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N
° 1603

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 avril 2009

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1576) DE M. HERVÉ GAYMARD, RAPPORTEUR DE LA COMMISSION CHARGÉE DES AFFAIRES EUROPÉENNES, sur la fixation des profils nutritionnels des denrées alimentaires,

PAR M. Michel Raison,

Député.

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Voir le numéro 1576.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

A.– UN PROJET DE RÈGLEMENT SOUMIS À LA SEULE APPROBATION D’EXPERTS ET DONT LES FONDEMENTS COMME LES MODALITÉS PARAISSENT DISCUTABLES 7

La genèse du projet de la Commission européenne 7

2. Un projet sujet à caution 8

B.— UNE RÉGLEMENTATION DONT L’IMPACT AUSSI BIEN POLITIQUE QU’ÉCONOMIQUE OU SANITAIRE N’A PAS ÉTÉ CORRECTEMENT MESURÉ 10

1. Une menace directe pour la filière laitière 10

2. Un impact sanitaire qui pourrait s’avérer négatif 11

3. Une tentative d’uniformisation des modes de vie des citoyens européens politiquement inacceptable 14

EXAMEN EN COMMISSION 17

PROPOSITION DE RÉSOLUTION 23

ANNEXE 1 : Article 4 du règlement (CE) n° 1924/2006 Conditions d'utilisation des allégations nutritionnelles et de santé 25

ANNEXE 2 : Profils nutritionnels spécifiques et conditions d’utilisation auxquelles les aliments ou certaines catégories d’aliments doivent se conformer pour ouvrir droit aux allégations nutritionnelles et de santé 27

Mesdames, Messieurs,

En se saisissant d’un document de travail rédigé, en anglais, par la Commission européenne dans le cadre de l’élaboration d’un projet de règlement établissant les profils nutritionnels prévus par l’article 4 du règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil, la commission chargée des affaires européennes a fait application, pour la première fois depuis l’adoption de la révision constitutionnelle de juillet 2008 (1), des nouvelles dispositions prévues par l’article 88-4 de la Constitution. Celui-ci autorise en effet désormais le Parlement à adopter des résolutions sur « tout document émanant d’une institution de l’Union européenne ».

Ce faisant, elle inaugure une procédure qui permettra à l’avenir au Parlement d’instaurer une veille active sur les différents textes communautaires, sans devoir être au préalable saisi par le gouvernement, et d’intervenir suffisamment en amont pour être en mesure d’influer sur les décisions qui sont prises à Bruxelles. En s’intéressant à la question des profils nutritionnels, la commission chargée des affaires européennes permet en outre à notre assemblée de connaître un sujet qui, sous un abord apparemment technique, recouvre en réalité des enjeux politiques et économiques extrêmement importants, qu’il s’agisse de la liberté du choix de son alimentation pour le consommateur ou de la liberté de commercialiser ses productions pour le secteur agricole et agro-alimentaire.

En effet, si l’établissement de profils nutritionnels répond avant tout à un objectif de protection du consommateur et de limitation des distorsions de concurrence au sein du marché communautaire en encadrant le recours aux allégations nutritionnelles et de santé, leur processus d’élaboration par la Commission ne va pas sans poser problème.

Un profil nutritionnel se définit sur la base de seuils fixant des teneurs maximales en nutriments ou en substances ayant des effets nutritionnels ou physiologiques (en l’occurrence les acides gras saturés, le sodium et le sucre) au-delà desquelles il devient quasiment impossible de communiquer sur les bienfaits d’un produit. Or, la méthode utilisée par la Commission pour arrêter ces seuils apparaît plus que discutable et les seuils auxquels elle aboutit in fine s’avèrent extrêmement restrictifs pour certains produits. Les fromages sont particulièrement concernés en France mais également d’autres produits traditionnels, comme la charcuterie ou les pains (bretzels notamment).

Il convient donc de réagir avant que le projet de la Commission européenne ne soit avalisé par les experts nationaux des États-membres puis par le Parlement et le Conseil dans le cadre de la procédure dite de comitologie. En effet, si cette réglementation devait être mise en œuvre, elle interdirait très concrètement aux producteurs d’un nombre important de produits traditionnels de se prévaloir de la richesse nutritionnelle (en calcium, en oméga 3, en vitamines, etc.) de leurs productions en raison de leur teneur naturelle en acides gras saturés ou en sel. Cela est d’autant plus grave que, parallèlement, un produit industriel artificiellement enrichi, par exemple en calcium, pourrait, lui, s’en prévaloir, sous réserve de respecter les seuils communautaires.

D’une manière générale, ce projet de réglementation doit être combattu car il témoigne une fois de plus de la méconnaissance, voire du mépris, dans lequel sont tenus les produits de nos terroirs à Bruxelles et qu’il va en outre à l’encontre des décisions qui ont été prises en application du bilan de santé de la politique agricole commune (PAC) visant à mieux valoriser les productions de qualité, les petites productions ou les productions situées sur des territoires défavorisés.

La proposition de résolution n° 1576 sur la fixation des profils nutritionnels des denrées alimentaires adoptée par la commission chargée des affaires européennes sur le rapport de M. Hervé Gaymard constitue ainsi une opportunité non seulement de faire savoir que l’Assemblée nationale désapprouve les évolutions en cours au niveau communautaire mais également de réclamer l’instauration d’une autre politique alimentaire européenne, plus respectueuse des traditions respectives des États membres.

A.– UN PROJET DE RÈGLEMENT SOUMIS À LA SEULE APPROBATION D’EXPERTS ET DONT LES FONDEMENTS COMME LES MODALITÉS PARAISSENT DISCUTABLES

 La genèse du projet de la Commission européenne

La notion de profil nutritionnel a été introduite par le règlement communautaire n° 1924/2006 de décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires. L’objet de ces profils est de fixer par produit ou catégorie de produits des compositions-types à respecter : celles-ci reposent sur des seuils, définissant des teneurs maximales en nutriments ou en substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique. Lorsque ces seuils sont dépassés par un produit ou une catégorie de produit donné, il n’est quasiment plus possible d’utiliser d’allégations nutritionnelles positives.

L’objectif initial est donc, avant tout, de protéger le consommateur en lui garantissant une information claire et compréhensible de manière à éviter qu’il ne soit induit en erreur par telle ou telle allégation et adopte un comportement alimentaire préjudiciable à sa santé.

L’article 4 du règlement 1924/2006 (2) confie à la Commission européenne le soin de définir les profils nutritionnels des aliments, les exemptions possibles ainsi que les conditions d’utilisation des allégations, après avoir recueilli l’avis de l’AESA (autorité européenne de sécurité des aliments). Il précise en effet que « les profils nutritionnels sont fondés sur des connaissances scientifiques concernant le régime alimentaire et l'alimentation, et leur lien avec la santé ».

Plus généralement, l’article 4 encadre l’action de la Commission en précisant trois points importants :

- tout d’abord, il dresse la liste des nutriments ou substances susceptibles d’être pris en compte pour l'établissement des profils nutritionnels en raison de leurs effets nutritionnels ou physiologiques. Sont ainsi cités, à titre d’exemple, les matières grasses, les acides gras saturés, les acides gras trans, les sucres et le sel/sodium, mais une énumération beaucoup plus importante figure dans le considérant (11) du règlement 32) ;

- il indique ensuite que la place et le rôle des denrées alimentaires dans le régime alimentaire global doivent être pris en considération ;

- il ouvre enfin la possibilité d’octroyer des dérogations à l'obligation de respecter les profils nutritionnels pour certaines denrées alimentaires en raison précisément de leur rôle et leur importance dans le régime alimentaire de la population. Cette possibilité apparaît toutefois fortement encadrée dans la mesure où les allégations nutritionnelles ne seraient autorisées que dans le cas où un seul nutriment excède le profil nutritionnel et sous réserve qu'une mention portant spécialement sur ledit nutriment apparaisse à proximité de l'allégation, sur la même face et avec la même visibilité (4).

Même une lecture rapide de l’article 4 du règlement (CE) n° 1924/2006 permet de comprendre qu’en dépit des bonnes intentions affichées et du recours à la science, l’établissement des profils nutritionnels risque de s’avérer un exercice délicat. Outre la limite inhérente à la définition même de ces profils (classement par catégories d’aliments sans possibilité de mesurer l’interaction entre ces catégories au sein d’un régime alimentaire équilibré, utilisation de seuils par définition discriminants, choix délicat des nutriments et substances à prendre en compte), la procédure de renvoi à la Commission pour établir ces profils pose également problème dans la mesure où elle relève de la comitologie (5). Dans ce cadre, la Commission prépare dans un premier temps un projet de règlement qu’elle soumet ensuite à l’avis d’un comité d’experts des différents États membres : si ce comité approuve le texte, celui-ci est ensuite soumis au Conseil et au Parlement européen non pour approbation, mais pour un simple contrôle, qui consiste essentiellement à vérifier que le projet n’excède pas les compétences d’exécution confiées à la Commission ou qu’il n’est pas incompatible avec le but ou le contenu de l’acte l’ayant prévu ou encore qu’il respecte bien les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Une fois le projet approuvé par le comité d’experts, il sera donc quasiment impossible de s’opposer à son adoption, qui nécessitait en outre de réunir une majorité qualifiée au sein du Conseil.

Or, le comité d’experts compétent en la matière, le CP CASA (comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale), doit se réunir le 27 avril prochain. Face aux protestations émanant tant des États-membres que de l’intérieur même de la Commission, un nouveau projet devrait y être présenté, sans que l’on en connaisse cependant pour l’heure le contenu précis. Il demeure donc essentiel pour le Parlement de se prononcer sur le seul document de travail existant et disponible pour le moment.

2. Un projet sujet à caution

Suite à l’avis de l’AESA rendu en janvier 2008, la Commission européenne a élaboré un projet de règlement qui ne reprend que partiellement les éléments définis par le règlement (CE) n° 1924/2006.

La Commission a tout d’abord restreint la définition d’un profil nutritionnel à trois éléments : la teneur en acides gras saturés (ou AGS), en sodium et en sucre, ce qui paraît très limité. Quant au choix de ces éléments, il mérite que l’on s’y attarde, notamment s’agissant des matières grasses. En effet, seuls ont été retenus les acides gras saturés (6) et aucune différenciation entre les différents acides gras n’a été opérée alors même que la science ne les considère pas comme un seul bloc car ils sont des effets physiologiques différents. A cet égard, si l’organisme n’a pas réellement besoin d’apports en acides gras saturés, certains aliments, riches en AGS, lui sont néanmoins bénéfiques car ils sont également riches en vitamine A (par exemple le beurre), en vitamine D (les œufs, le beurre, le lait) ou en calcium (les produits laitiers en général). Par conséquent, la présence d’acides gras saturés est justifiée dans le cadre d’une alimentation équilibrée (7).

Ensuite, comme on peut le constater dans le tableau figurant à l’annexe 2 issu du projet de la Commission, celle-ci a choisi des seuils limites extrêmement restrictifs. Ainsi, pour les fromages, les seuils choisis apparaissent particulièrement irréalistes et à tout le moins inadaptés à nos productions, qu’il s’agisse de la teneur en acides gras saturés, qui ne doit pas dépasser 10 grammes pour 100 grammes de produit, ou du taux de sodium, qui à 600 mg pour 100 g de produit, pénalise tout particulièrement les fromages affinés.

Force est de constater que la Commission n’a pris en considération ni la composition naturelle de ces produits ni les effets bénéfiques qu’ils peuvent avoir sur la santé, ni, plus globalement, le rôle important qu’ils jouent dans un régime alimentaire équilibré. L’application de tels seuils n’aurait cependant pas pour seul effet de priver les producteurs de la possibilité de communiquer positivement sur les produits traditionnels ou artisanaux mais elle ouvrirait en outre une voie royale pour les produits industriels formatés. Ainsi, très concrètement, si de tels seuils devaient s’appliquer, un producteur de fromage de terroir naturellement riche en calcium mais également en acides gras saturés et en sel ne pourrait plus, à l’avenir, communiquer positivement sur la richesse en calcium de son produit, de même que, par exemple, un producteur de charcuterie riche en oméga 3 car issue de viande de porcs nourris avec du lin ne pourrait plus le faire savoir en raison de la richesse de son produit en AGS. En revanche, un produit industriel artificiellement enrichi en calcium ou en oméga 3 pourrait, lui, se voir apposer des allégations nutritionnelles et de santé, sous réserve de respecter les seuils communautaires. Cela est d’autant plus grave que, parallèlement, des recherches récentes démontrent que les acides gras contenus, par exemple, dans le lait sont meilleurs pour la santé que leurs équivalents artificiels. Les premiers résultats du projet de recherche Transqual, mené par l’Institut national de recherche agronomique (INRA) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en partenariat avec le CNIEL (centre national interprofessionnel de l’économie laitière) tendent en effet à prouver que s’agissant des maladies cardiovasculaires ou du pré-diabète, « les acides gras Trans d’origine naturelle (ceux du lait) n’ont pas les effets délétères qu’ont ceux issus de la source technologique (fabriqué par hydrogénation des huiles végétales) » (8). Cependant, au niveau communautaire, ces éléments n’ont pas été pris en compte par la Commission qui se borne à comptabiliser les seuls acides gras saturés.

Autre détail révélateur des impasses de la Commission européenne : celle-ci a classé la crème (crème fraîche, crème liquide) dans le groupe des yaourts. Étant donné son taux de matière grasse, il sera donc impossible d’y apposer des allégations nutritionnelles, y compris lorsque celle-ci est allégée ou dite « légère », ne serait-ce que pour le signaler ! Ce dernier exemple achève de démontrer, s’il en était besoin, que la Commission n’a pris en considération ni la complexité de l’alimentation – un aliment peut à la fois être bon et mauvais : tout dépend de la consommation qui en est faite et du régime alimentaire global dans lequel il s’inscrit – ni les modes de consommation traditionnels des produits concernés.

Enfin, s’agissant des dérogations possibles, il s’avère que l’application du dispositif prévu par le règlement (CE) 1924/2006 aurait vraisemblablement des conséquences encore plus néfastes pour les produits que l’absence de communication. Il serait, certes, autorisé d’apposer des allégations sur un produit sous réserve qu’il respecte au moins deux seuils sur les trois fixés par la Commission mais seulement à la condition expresse que le seuil qui n’est pas respecté fasse l’objet d’un signalement spécifique. Un sondage réalisé par les professionnels de la filière laitière (9) le prouve : l’effet sur le consommateur est alors désastreux car il suscite une réaction anxiogène et un rejet du produit. Le signalement du seuil non respecté a en effet un fort impact négatif sur l’intention d’achat et l’image des produits que ne parviennent pas à compenser les allégations positives.

B.— UNE RÉGLEMENTATION DONT L’IMPACT AUSSI BIEN POLITIQUE QU’ÉCONOMIQUE OU SANITAIRE N’A PAS ÉTÉ CORRECTEMENT MESURÉ

1. Une menace directe pour la filière laitière

Si les profils nutritionnels fixés dans le document de travail de la Commission européenne n’appellent pas tous un commentaire spécifique, il est clair qu’avec les produits laitiers, la Commission semble avoir accumulé les erreurs, tant en ce qui concerne le classement de ces produits que les seuils fixés. Or, l’annonce de cette nouvelle réglementation intervient dans un contexte particulièrement difficile pour la filière laitière et apparaît d’autant moins acceptable que les professionnels sont déjà fragilisés par les autres réformes en cours au niveau communautaire.

La perspective de la suppression des quotas laitiers en 2015 suscite en effet le désarroi voire le découragement au sein de la profession. En effet, si lors de son instauration en 1984, le régime des quotas laitiers avait été largement décrié, il constitue désormais un instrument de régulation des marchés et un facteur d’équilibre de la relation entre les producteurs et les consommateurs apprécié des exploitants agricoles. En France, ce dispositif s’est en outre révélé un instrument efficace en matière d’aménagement du territoire en favorisant le maintien d’exploitations laitières dans les zones difficiles.

Les mesures d’accompagnement annoncées au niveau national et les « clauses de rendez-vous » obtenues par le ministre français de l’agriculture afin de s’assurer que l’augmentation – c’est-à-dire l’élimination – progressive des quotas correspond bien à l’évolution du marché ne rassurent pas vraiment les producteurs. La conjoncture est en effet très préoccupante. L’an passé, la Commission européenne a fait adopter une augmentation des quotas laitiers de 2 %, justifiant cette proposition par la nécessité de s’adapter à un marché où les tensions sont vives. Il s’avère aujourd’hui que les marchés des produits industriels (beurre, poudre) sont fortement déprimés et que le prix de la matière première ne cesse de baisser alors que les coûts de production ne diminuent pas, menaçant la survie de certaines exploitations. Cette situation se double en outre de difficultés spécifiques à la France dans la détermination du prix du lait liées à la condamnation par la DGCCRF (direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) de la pratique de l’interprofession laitière consistant à émettre des recommandations nationales d'évolution, jugeant cette pratique anticoncurrentielle.

Avec la disparition progressive de la régulation, le risque de concentration de la production laitière dans les zones où il est le plus facile de produire à un coût moindre constitue donc une menace réelle susceptible de conduire à l’abandon de productions locales et d’occasionner d’importantes difficultés dans l’aval de la filière. Il est donc impensable que puisse s’ajouter à cela l’impossibilité de valoriser les productions sous signe de qualité, les petites productions ou les productions situées sur des territoires défavorisés en utilisant la communication positive. Cette situation serait d’autant plus absurde que les décisions prises en application du bilan de santé de la PAC au niveau national visent précisément à apporter un soutien supplémentaire à ces productions.

2. Un impact sanitaire qui pourrait s’avérer négatif

Comme indiqué précédemment, le but poursuivi par la Commission européenne à travers l’établissement de profils nutritionnels est de protéger le consommateur dans un objectif de santé publique. Restreindre l’accès aux allégations nutritionnelles et de santé aux seuls produits présentant des seuils conformes à la réglementation en sel, sucre et acides gras saturés doit permettre d’orienter le consommateur vers des produits plus sains pour son alimentation.

La Commission précise à cet égard dans le neuvième considérant du document de travail qu’elle a diffusé que l’AESA avait recommandé dans son avis sur ce projet de sélectionner les nutriments pour lesquels avait été préalablement mis en évidence un déséquilibre dans le régime alimentaire des populations européennes, déséquilibre susceptible d’avoir une influence sur le développement des cas de surpoids et d’obésité ou des maladies liées à l’alimentation, comme les maladies cardiovasculaires. L’autorité européenne suggérait toutefois que ne soient pas seulement pris en compte les nutriments dont la consommation apparaît excessive (comme les matières grasses, le sel et le sucre) mais également ceux pour lesquels les apports sont inférieurs aux recommandations, comme les acides gras monoinsaturés et les fibres.

A cet égard, le cas des produits laitiers est également très intéressant à étudier d’un point de vue sanitaire. Ceux-ci jouent en effet un rôle considérable dans notre alimentation car ils sont, en raison de leur matière première, le lait, d’une grande richesse nutritionnelle : ils apportent du calcium, du potassium et d’autres minéraux (magnésium, phosphore, zinc…) et oligoéléments, ainsi que des vitamines, des protéines, des acides gras moninsaturés et des oméga 3 – nutriments essentiels pour la croissance et le développement de l’homme. Le fromage est ainsi le premier contributeur aux apports nutritionnels conseillés (ANC) en calcium chez les adultes (21 %) et le troisième chez l’enfant (11 %). Or, d’après les dernières données datant de 2004 et 2007 de l’enquête CCAF (comportements et consommations alimentaires en France) du CREDOC (10), on constate une baisse continue de la consommation de fromages chez les enfants depuis 1999 et chez les adultes depuis 2003, ainsi qu’un glissement vers des portions plus petites. Parallèlement, on observe une diminution des apports totaux en calcium entre 2003 et 2007 avec une augmentation du nombre d’individus qui ont des apports en calcium inférieurs à 2/3 des ANC. On peut donc légitimement s’interroger sur l’opportunité d’adopter des règles qui auraient pour effet direct d’interdire de communiquer sur les qualités nutritionnelles et fonctionnelles spécifiques des produits laitiers et donc, indirectement, de contribuer à détourner les consommateurs de ces produits.

APPORTS DES FROMAGES

Enfants

Contributions aux apports :

Adultes

Contributions aux apports :

- 11 % (3e) pour le calcium ;

- 12 % (2e) pour le rétinol ;

- 5 % pour les protéines ;

- 5e pour le phosphore ;

- 6e pour la vitamine B12 ;

- 5 e pour la vitamine B2 ;

et aussi :

- 6 % des apports en lipides ;

- 9 % des apports en AGS (2e).

- 21 % (1er) pour le calcium ;

- 16 % (1er) pour le rétinol ;

- 11 % (1er) pour le phosphore ;

- 13 % (2e) pour la vitamine B12 ;

- 8 % (4e) pour les protéines ;

- 4e pour la vitamine B2, B9 ;

et aussi :

- 9 % (3e) des apports en lipides ;

- 15 % (1er) des apports en AGS.

Source : Enquête CCAF 2007.

Enfin, s’agissant des liens entre la consommation de certains nutriments et le développement de l’obésité et de certaines maladies cardiovasculaires, il convient d’être extrêmement prudent dans ce que l’on avance. En l’occurrence, aucun lien n’a été scientifiquement établi entre la consommation d’acides gras saturés, en général, et de certains aliments riches en AGS comme les produits laitiers, en particulier, et le développement de ces maladies. Il faut d’ailleurs noter que si la France est avec l’Italie le pays européen qui consomme le plus de fromage, elle a aussi la plus faible proportion de personnes en surpoids ou atteintes de maladies coronariennes.

C’est pourquoi il paraît en tous points préférable de laisser une latitude suffisante à chaque État membre pour adapter la communication nutritionnelle qu’il souhaite faire passer au « profil alimentaire » de ses consommateurs. A cet égard, la politique de la Commission européenne empiète largement sur les compétences des États membres en matière de santé et, en ce qui concerne la France, va directement à l’encontre de notre politique de prévention. Les standards fixés par la Commission sont peut-être adaptés à la Grande-Bretagne où la Food Standards Agency, l’équivalent de l’AFSSA (agence française de sécurité sanitaire des aliments), finance des campagnes pour favoriser la consommation de produits laitiers allégés en matière grasse, mais pas à la France où le programme national nutrition santé (PNNS) promeut quant à lui la consommation de 3 à 4 produits laitiers par jour. Mais, plus généralement, l’approche choisie par la Commission pour traiter de la question des allégations, manifestement d’inspiration anglo-saxonne, se heurte à toute notre tradition alimentaire.

3. Une tentative d’uniformisation des modes de vie des citoyens européens politiquement inacceptable

Si les conclusions auxquelles la Commission européenne parvient dans son projet de règlement s’avèrent au final si déconnectées des habitudes de consommation qui prévalent dans certains États membres, c’est manifestement que, sous l’apparente homogénéisation des modes de vie à l’échelle européenne voire planétaire, non seulement certains traits culturels liés à l’alimentation perdurent mais ils demeurent suffisamment forts dans des pays comme le nôtre pour constituer un socle de références qui continue de façonner les habitudes alimentaires des populations et participe à la définition de l’identité nationale. A cet égard, la principale erreur de la Commission est peut-être d’avoir voulu mettre au point une réglementation « taille unique » (11) pour un consommateur européen idéal qui, en réalité, n’existe pas. Le rapport à l’alimentation, au corps et à la santé diffère en effet profondément d’un pays à l’autre.

Comme le montrent les résultats d’une récente étude de l’OCHA (12), ces divergences proviennent avant tout d’une conception différente de l’alimentation. Dans les pays anglo-saxons, la notion de nutriment (lipides, glucides, protéines, vitamines, minéraux) prévaut sur celle d’aliment, tout comme la nutrition l’emporte sur l’alimentation. La dimension santé y est donc beaucoup plus déterminante que dans les pays latins où, a contrario, la qualité des aliments apparaît avant tout comme liée au goût, à l’authenticité, au naturel et à la fraîcheur des produits. De même, l’acte de manger est vécu par nos voisins anglo-saxons comme un acte individuel, un choix personnel, alors que nous privilégions avant tout la dimension conviviale du repas.

Ainsi, les Français ne pensent pas l’alimentation uniquement d’un point de vue fonctionnel et ne la limitent pas à sa seule fonction nutritionnelle. Le repas reste en effet en France la principale source de diversité alimentaire et de lien social, avec pour corollaire d’importants effets bénéfiques sur la santé. En effet, la tradition du repas « à la française » (à table, à plusieurs) contribue à structurer notre alimentation et à atténuer les effets pervers de la nutrition moderne (grignotage entre les repas, absence de prise à heure fixe, etc.).

Le projet de règlement de la Commission européenne établissant les profils nutritionnels des aliments ne menace pas directement nos habitudes alimentaires mais il repose sur un certain nombre de présupposés dont les fondements sont en totale inadéquation avec notre conception de l’alimentation. Contester ce projet, c’est donc non seulement lutter contre la standardisation de nos modes de vie et protéger la diversité de l’Europe, qui fait également sa richesse, mais c’est aussi tenter de proposer un autre modèle de politique alimentaire qui ne repose pas que sur des interdits mais également sur la valorisation et la promotion de nos produits et de l’alimentation.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 8 avril 2009, la Commission a examiné, sous la présidence de Mme Fabienne Labrette-Ménager, la proposition de résolution (n° 1576) de M. Hervé Gaymard sur la fixation des profils nutritionnels des denrées alimentaires.

Mme Fabienne Labrette-Ménager. La commission des affaires économiques est saisie par la commission des affaires européennes d’une proposition de résolution sur la fixation de profils nutritionnels des denrées alimentaires destinés à réglementer les allégations nutritionnelles ou de santé. Je propose, s’il n’y a pas d’opposition, que Michel Raison soit nommé rapporteur sur cette proposition de résolution.

Je précise que notre commission des affaires économiques et notre sous-commission agriculture avaient été alertées en amont, notamment au moment du salon de l’agriculture, sur le contenu du projet de la Commission européenne et que nous avions alors interpellé le ministre de l’agriculture.

Je me félicite donc que la commission des affaires européennes ait adopté une proposition de résolution sur le texte de la Commission – qui n’est pour l’heure qu’un document de travail – comme nous le permet désormais l’article 88-4 de la Constitution qui dispose que « des résolutions européennes peuvent être adoptées (…) sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne. »

M. Michel Raison. Comme l’a rappelé Mme la Présidente, la sous-commission agriculture a déjà travaillé sur la question des profils nutritionnels et j’ai moi-même mené plusieurs auditions sur le sujet. Un courrier a également été envoyé au ministre de l’agriculture ainsi qu’au Premier ministre.

Le texte sur lequel porte la présente proposition de résolution n’est qu’un document de travail, de nature technique, qui plus est disponible uniquement en anglais. Il n’en constitue pas moins un document très important par la menace que son contenu représente pour nos produits traditionnels et de qualité, comme les fromages. Or, il risque d’être adopté quasiment sans débat démocratique car il relève de la procédure dite de « comitologie ». Dans ce cadre, le débat entre Etats-membres se fait au niveau d’experts nationaux et la position à laquelle ils aboutissent est ensuite généralement avalisée sans débat par le Parlement et le Conseil, sous réserve qu’elle ait été adoptée conformément aux procédures. Il nous faut donc être très vigilants et agir en amont et vite car la prochaine réunion du comité permanent de la chaîne alimentaire (CP CASA) est fixée au 27 avril prochain.

Tout d’abord, qu’est-ce que les profils nutritionnels ?

Cette notion a été introduite par le règlement communautaire 1924/2006 de décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires. Mais il faut souligner que l’idée d’établir des profils nutritionnels pour encadrer le recours aux allégations est apparue suite à la commercialisation d’une sucette sur l’emballage de laquelle le producteur avait fait apposer la mention : « sans cholestérol », ce qui avait évidemment suscité de nombreuses protestations. L’objet des profils nutritionnels est donc de fixer par produit ou catégorie de produits des compositions-types à respecter : lorsque les teneurs en certains nutriments sont dépassés, il n’est alors quasiment plus possible d’utiliser d’allégations nutritionnelles. L’objectif initial est donc avant tout de protéger le consommateur en lui garantissant une information claire et compréhensible de manière à éviter qu’il ne soit induit en erreur par telle ou telle allégation et adopte un comportement alimentaire préjudiciable à sa santé.

L’article 4 du règlement 1924/2006 confie à la Commission le soin de définir les profils nutritionnels des aliments, après avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, mais encadre toutefois son action. Il dresse tout d’abord la liste des nutriments ou substances à prendre en compte en raison de leurs effets nutritionnels ou physiologiques ; il indique ensuite que la place et le rôle des denrées alimentaires dans un régime alimentaire global doivent être pris en considération ; et enfin, il ouvre la possibilité d’octroyer des dérogations à l’obligation de respecter les profils nutritionnels pour certaines denrées alimentaires en raison précisément de leur rôle et leur importance dans le régime alimentaire de la population.

Ces éléments n’ont que partiellement été pris en compte par la Commission. Celle-ci a tout d’abord restreint la définition d’un profil nutritionnel à trois éléments : la teneur en acides gras saturés, en sodium et en sucre, alors que la liste visée dans le règlement en comprenait une douzaine. En outre, retenir pour la catégorie des lipides, les seuls acides gras saturés paraît également discutable, sachant non seulement que certains d’entre eux ont des propriétés bénéfiques pour l’organisme mais également qu’aucun lien n’a été scientifiquement établi entre la consommation de ces acides gras et les maladies cardiovasculaires ou l’obésité.

Ensuite, la Commission a choisi des seuils limites extrêmement restrictifs au-delà desquels toute communication positive est impossible. En effet, si cette réglementation devait être adoptée, un emmental, riche en calcium mais également riche en acides gras, ne pourrait plus bénéficier de la mention « riche en calcium », de même qu’un pain, riche en fibres mais également en sel, ne pourrait plus être dit « riche en fibres ». A contrario, une margarine fabriquée industriellement afin de respecter les seuils fixés au niveau communautaire et artificiellement enrichie en oméga 3 pourrait se prévaloir de sa richesse en oméga 3 et concurrençait ainsi un produit comme le beurre, naturellement riche en oméga 3, mais pour lequel il serait désormais interdit de le signaler.

Ainsi, pour les fromages, les seuils choisis apparaissent particulièrement inadaptés à nos productions, qu’il s’agisse de la teneur en acides gras saturés, qui ne doit pas dépasser 10 grammes pour 100 grammes de produit, ou du taux de sodium, qui à 600 mg pour 100 g de produit, pénalise tout particulièrement les fromages affinés. Cela est d’autant plus grave que des recherches récentes, notamment de l’INRA, démontrent que les acides gras contenus dans le lait sont meilleurs pour la santé que leurs équivalents artificiels.

La Commission n’a donc pris en considération ni la composition naturelle de ces produits ni les effets bénéfiques qu’ils peuvent avoir sur la santé, ni, plus globalement, le rôle important qu’ils jouent dans un régime alimentaire équilibré.

Autre détail révélateur : la Commission européenne a classé la crème fraîche dans le groupe des yaourts. Étant donné son taux de matière grasse, il sera donc impossible d’y apposer des allégations nutritionnelles, y compris lorsque celle-ci est allégée ou dite « légère », ne serait-ce que pour le signaler !

Enfin, s’agissant des dérogations possibles, la Commission a imaginé un dispositif dont les effets seraient vraisemblablement plus néfastes que l’absence de communication : ainsi, pour un produit ne respectant pas un seul des seuils définis, il serait néanmoins possible d’apposer des allégations uniquement sous réserve de signaler le non-respect du seuil en question.

Bien sûr, la Commission se défend de vouloir s’attaquer aux traditions culinaires des Etats membres et de tenter d’uniformiser, voire d’aseptiser, nos modes de consommation : les produits ne sont pas interdits, ils sont juste privés de moyens de communication. On sait bien pourtant qu’il s’agit là du nerf de la guerre et que, sans la communication positive, il sera beaucoup plus difficile de valoriser les petites productions ou les productions situées sur des territoires défavorisés, alors même que la réforme issue du bilan de santé de la PAC a permis de dégager des marges de manœuvre pour soutenir un peu plus ces productions. Il s’agit là d’une incohérence flagrante qui pourrait se révéler dramatique pour la filière laitière. Ce traitement témoigne par ailleurs une nouvelle fois de la méconnaissance, voire du mépris, dans lequel sont tenus les produits de nos terroirs à Bruxelles ; et il en va d’ailleurs de même pour le vin rosé.

Il convient donc de combattre la conception réductrice de l’alimentation qui sous-tend la politique conduite par la Commission européenne et qui est soutenue par les pays anglo-saxons, comme la Grande-Bretagne ou le Danemark.

En outre, du point de vue de la santé publique, il paraît en tous points préférable de laisser un peu de souplesse à chaque État membre pour adopter la communication nutritionnelle qu’il juge la plus adaptée. L’état sanitaire de la population varie d’ailleurs fortement d’un pays à un autre : si la France est avec l’Italie le pays européen qui consomme le plus de fromage, elle a aussi la plus faible proportion de personnes en surpoids ou atteintes de maladies coronariennes. La politique de la commission va ainsi directement à l’encontre de notre politique de santé, qui recommande la consommation de 3 à 4 produits laitiers par jour.

Pour en venir à la proposition de résolution qui nous a été transmise, j’ai assez peu de remarques à formuler ; celle-ci est aussi claire que brève :

– dans son premier point, elle demande à la Commission de revoir sa copie pour les produits laitiers ;

– dans son deuxième point, elle aborde la question précise du classement de la crème fraîche ;

– et dans son troisième point, elle demande à ce que soit plus largement ouvert le champ des allégations positives pour les produits agricoles et les spécialités traditionnelles.

J’adhère à l’ensemble de ces points et vous suggérerai donc seulement d’adopter quelques petites modifications ponctuelles et deux précisions qui me semblent importantes :

– d’une part, souligner le type de politique alimentaire que nous souhaitons voir défendue au niveau communautaire ;

– et, d’autre part, réaffirmer notre attachement à la liberté de chaque État membre et de chaque peuple européen de préserver ses traditions culinaires, lorsqu’elles sont constitutives de son identité.

M. Michel Sermier. Le rapporteur connaît particulièrement bien le dossier, mais il me paraît très sévère à l’égard de la Commission européenne. Il est en effet louable de chercher à trouver un moyen adéquat d’informer le consommateur. Nous avons d’ailleurs ratifié il y a deux ans une ordonnance sur les signes de qualité qui visait déjà à permettre au consommateur de mieux se repérer dans le « maquis » des labels existants. Il faut rendre compte à la population, dont l’alimentation est de plus en plus uniformisée, des dangers pour la santé que représentent des aliments qui ne sont pas sains.

Pour autant, si l’idée de départ de la Commission européenne était légitime, il ne reste pas moins que le résultat est catastrophique. Son application porterait en effet préjudice aux produits de qualité comme, par exemple, le comté, qui est la plus grosse AOC de France en termes de tonnage.

Les acides gras ne sont pas tous dangereux pour la santé. On simplifie trop les relations entre les nutriments présents dans les aliments et on résume la qualité d’un produit à la somme des nutriments qui le composent. Or, en poussant le raisonnement de la Commission à son terme, on pourrait aller jusqu’à interdire la communication sur certains fruits. Il ne s’agit donc pas d’une bonne méthode pour classer les aliments et ses effets sont disproportionnés.

Je suis par conséquent contre la proposition de l’Union européenne, et favorable à la proposition de résolution de la Commission des affaires européennes, qui demande un certain nombre d’éclaircissements. Mais, plus largement, je suis contre l’établissement de ces profils nutritionnels qui ne permettra pas d’informer correctement le consommateur.

M. André Chassaigne. Je salue la démarche de la commission chargée des affaires européennes, ainsi que les propositions de notre rapporteur. L’affirmation de la nécessité pour le Parlement de se saisir en amont des textes communautaires est particulièrement bienvenue. Nous nous plaignons trop souvent d’être mis devant le fait accompli. Il nous appartient d’être réactifs, dans nos critiques comme dans nos propositions.

Le rapporteur s’est appuyé à juste titre sur les travaux des chercheurs. L’INRA Auvergne a publié les résultats de recherches démontrant que les acides gras trans industriels et naturels n’ont pas les mêmes effets sur la santé. Les acides gras trans des huiles végétales partiellement hydrogénées, que l’on trouve dans les produits transformés comme par exemple les barres chocolatées, les soupes, les biscuits, entraînent une baisse du taux bon cholestérol, et augmentent celui de mauvais cholestérol, facteur de risque de maladies cardio-vasculaires. En revanche, les acides gras trans des composés naturels, issus du lait, du beurre et d’autres produits laitiers, n’ont pas d’impact négatif. Ils augmentent même le taux de bon cholestérol chez les femmes.

D’autre part, la question des profils nutritionnels est directement liée au type d’agriculture que nous souhaitons promouvoir. En effet, les recherches précitées prouvent également que la valeur nutritionnelle des laits et fromages dépend de leur teneur en acides gras essentiels et vitamines, qui dépend elle-même de l’alimentation des animaux. Les laits provenant de rations à base d’herbe ou supplémentées en huile de lin sont ainsi plus riches en oméga-3 que ceux de rations à base d’ensilage de maïs.

L’Auvergne est connue pour être un « immense plateau de fromages ». Nous devons nous battre pour maintenir la qualité et la diversité de nos terroirs. Je voterai donc la proposition de résolution modifiée par le rapporteur.

Mme Marie-Lou Marcel. Nous représentons tous des régions aux riches terroirs, avec de nombreux produits labellisés, de qualité, comme, dans mon cas, en Midi-Pyrénées et plus précisément en Aveyron. Nous voulons les défendre.

M. Michel Piron. La démarche intellectuelle de la Commission européenne est franchement étonnante : elle prétend élaborer la règle à partir de l’exception, part de la sucette pour envahir le champ de notre alimentation. Les concepts anglo-saxons, de plus en plus fréquents en droit communautaire, ne sont en outre pas du tout adaptés à notre droit latin. Il faut refuser « le délire de la raison » uniformisatrice, qui interdit de valoriser toute particularité, ce qui est justement l’objet, par exemple, des AOC. Toute information doit-elle enfin être calibrée par la loi ? Peut-être faudrait-il à cet égard traiter le problème différemment, non pas en multipliant le champ des interdits mais en valorisant ce qui est permis. Enfin, je dois dire que si je suis un fervent Européen, je ne considère pas que ces questions soient une priorité pour l’Europe.

M. Michel Raison. S’il convient de faire en sorte que les informations transmises au consommateur soient sérieuses, la validité de l’information doit non seulement se mesurer du point de vue scientifique mais également du point de vue du bon sens. Or, le projet de la Commission, aussi louable soit-il à l’origine, pêche par ses deux aspects à la fois. D’un point de vue scientifique, le traitement qui est fait de la question des acides gras est problématique ; les recherches de l’INRA sont à cet égard révélatrices. Et, du point de vue du bon sens, la Commission est totalement dans l’erreur et va trop loin dans l’excès de réglementation. On a beaucoup parlé des produits du terroir et des AOC mais tous les produits agroalimentaires sont potentiellement concernés : or, si une telle réglementation devait être adoptée, on pourrait également assister à des reculs dans ce domaine. En effet, lorsque des industriels améliorent des produits et qu’ils ne peuvent pas le faire savoir et le valoriser, ils renoncent simplement aux efforts entrepris. Enfin, j’attire votre attention sur le point 4 que je vous propose d’introduire dans la proposition de résolution qui met l’accent sur la nécessité de lutter contre l’uniformisation de nos modes de vie et de consommation qui est à l’œuvre au niveau communautaire, et qui d’ailleurs dépasse le simple cadre de l’alimentation.

La Commission a ensuite adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire vous demande d’adopter la proposition de résolution, dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique


L’Assemblée nationale,


Vu l’article 88-4 de la Constitution,


Vu le document de travail de la Commission européenne du 13 février 2009 relatif aux profils nutritionnels permettant l’application de la législation sur les allégations nutritionnelles et de santé,


Considérant qu’il appartient au Parlement de mettre en place une veille active sur les différents documents émanant des institutions communautaires ;


Considérant que la protection du consommateur exige une information adaptée sur les denrées alimentaires ;


Considérant que la fixation des profils nutritionnels par catégorie de produits, en fonction de leur teneur en acides gras saturés, sodium et sucres, ne tient pas compte de l’équilibre alimentaire global et ne constitue donc pas une mesure pertinente pour la protection du consommateur ;


Considérant que les seuils en acides gras saturés et en sodium envisagés par la Commission européenne ne tiennent pas compte de la spécificité des produits laitiers et notamment des fromages, eu égard à leur teneur naturelle en matière grasse et en sel ; qu’en conséquence, le projet de la Commission européenne interdit pour presque tous les fromages et crèmes de faire valoir leur richesse en calcium et, en outre, pour les crèmes, de communiquer sur leur allégement en matière grasse ;


Considérant qu’il n’existe aucun lien entre consommation de fromages et surpoids et qu’au contraire, des études montrent que la consommation de fromages va de pair avec une alimentation structurée et diversifiée ;


Considérant qu’il est essentiel de défendre nos habitudes alimentaires et la diversité de nos produits et, plus généralement, de faire prévaloir une conception responsable de la politique alimentaire, aussi soucieuse des intérêts des consommateurs que respectueuse du travail des producteurs, de leur savoir-faire et des traditions culinaires qu’ils contribuent à perpétuer ;


1. Demande à la Commission européenne d’élever les seuils en acides gras saturés et en sodium envisagés pour l’établissement des profils nutritionnels des fromages, du lait entier et des matières grasses laitières à tartiner ;


2. Demande le classement des crèmes avec les fromages afin que ces produits ne soient pas pénalisés par leur teneur en acides gras saturés ;


3. Demande, d’une manière générale, que les producteurs puissent continuer à vanter les mérites nutritionnels des denrées agricoles de base, tels les fruits et légumes, la viande et le lait, ainsi que des produits traditionnels, comme les fromages, le pain et la charcuterie, sans contrainte inutile ;


4. Estime enfin essentiel, s’agissant de questions touchant aux modes de fabrication traditionnels des produits alimentaires et aux habitudes de consommation, que les spécificités propres à chaque État-membre soient respectées au niveau communautaire dès lors qu’elles sont au c
œur de leur patrimoine et de leur identité ; la reconnaissance de cette diversité, qui fait la richesse de l’Union européenne, s’oppose donc à la mise en place de normes inadaptées risquant d’aboutir à une standardisation et une uniformisation des denrées consommées et des modes de vie, à la perte de la notion de terroir et, in fine, à la disparition de pans entiers du patrimoine culturel et gastronomique européen.

ANNEXE 1 :

Article 4 du règlement (CE) n° 1924/2006

Conditions d'utilisation des allégations nutritionnelles et de santé

1. Au plus tard le 19 janvier 2009, la Commission définit, conformément à la procédure visée à l'article 25, paragraphe 2, des profils nutritionnels spécifiques, y compris les exemptions, que les denrées alimentaires ou certaines catégories de denrées alimentaires doivent respecter avant de donner lieu à des allégations nutritionnelles ou de santé, ainsi que les conditions d'utilisation des allégations nutritionnelles et de santé pour des denrées alimentaires ou catégories de denrées alimentaires en ce qui concerne les profils nutritionnels.

Les profils nutritionnels pour les denrées alimentaires et/ou certaines catégories de denrées alimentaires sont établis en prenant en considération notamment :

a) les quantités de certains nutriments et autres substances contenues dans la denrée alimentaire concernée, par exemple les matières grasses, les acides gras saturés, les acides gras trans, les sucres et le sel/sodium ;

b) le rôle et l'importance de la denrée alimentaire (ou des catégories de denrées alimentaires) et l'apport au régime alimentaire de la population en général ou, s'il y a lieu, de certains groupes à risque, notamment les enfants ;

c) la composition nutritionnelle globale de la denrée alimentaire et la présence de nutriments reconnus scientifiquement comme ayant un effet sur la santé.

Les profils nutritionnels sont fondés sur des connaissances scientifiques concernant le régime alimentaire et l'alimentation, et leur lien avec la santé.

Lors de l'établissement des profils nutritionnels, la Commission demande à l'Autorité de donner, dans un délai de douze mois, un avis scientifique sur la question, en s'attachant plus particulièrement :

i) au point de savoir si les profils doivent être établis pour les denrées alimentaires en général et/ou pour des catégories de denrées alimentaires ;

ii) au choix et à l'équilibre des nutriments à prendre en compte ;

iii) au choix des quantités/bases de référence pour les profils ;

iv) à l'approche du calcul des profils ; et

v) à la faisabilité et à l'essai du système proposé.

Lors de l'établissement des profils nutritionnels, la Commission procède à des consultations auprès des parties intéressées, en particulier des exploitants du secteur alimentaire et des groupes de consommateurs.

Les profils nutritionnels et leurs conditions d'utilisation sont mis à jour pour tenir compte des évolutions scientifiques en la matière conformément à la procédure visée à l'article 25, paragraphe 2, et après consultation des parties intéressées, notamment des exploitants du secteur alimentaire et des groupes de consommateurs.

2. Par dérogation au paragraphe 1, les allégations nutritionnelles :

a) relatives à la réduction de la teneur en matières grasses, en acides gras saturés, en acides gras trans, en sucres et en sel/sodium, et ne faisant pas référence à un profil défini pour le ou les nutriments particuliers pour lesquels l'allégation est formulée sont autorisées, à condition qu'elles remplissent les conditions définies dans le présent règlement ;

b) sont autorisées dans le cas où un nutriment particulier excède le profil nutritionnel pourvu qu'une mention portant spécialement sur ledit nutriment apparaisse à proximité de l'allégation, sur la même face et avec la même visibilité. La mention se lit ainsi : « Forte teneur en [... (*)]».

3. Les boissons titrant plus de 1,2 % d'alcool en volume ne comportent pas d'allégations de santé.

En ce qui concerne les allégations nutritionnelles, seules celles portant sur la faible teneur en alcool ou sur la réduction de la teneur en alcool ou du contenu énergétique sont autorisées pour les boissons titrant plus de 1,2 % d'alcool en volume.

4. En l'absence de règles communautaires spécifiques concernant les allégations nutritionnelles relatives à la faible teneur en alcool, à la réduction de la teneur en alcool ou du contenu énergétique, ou à leur absence, dans des boissons qui contiennent normalement de l'alcool, les règles nationales pertinentes peuvent s'appliquer dans le respect des dispositions du traité.

5. Les denrées alimentaires ou catégories de denrées alimentaires autres que celles visées au paragraphe 3, à l'égard desquelles il y a lieu de restreindre ou d'interdire les allégations nutritionnelles ou de santé, peuvent être déterminées selon la procédure visée à l'article 25, paragraphe 2, et à la lumière des preuves scientifiques.

ANNEXE 2 :

Profils nutritionnels spécifiques et conditions d’utilisation auxquelles les aliments ou certaines catégories d’aliments doivent se conformer pour ouvrir droit aux allégations nutritionnelles et de santé

Catégories d’aliments

Conditions spécifiques (13)

Seuils

Sodium (mg/100 g ou 100 ml)

Acides Gras Saturés (g/100 g ou 100 ml sauf spécification contraire)

Sucres (g/100 g ou 100 ml)

Huiles végétales et matières grasses à tartiner telles que définies dans le Règlement (CE) n° 2991/94 du Conseil

-

500

30 kcal/100 g

-

Fruits, légumes, graines, et leurs dérivés, à l’exception des huiles

Fruits, légumes et leurs dérivés à l’exception des huiles (14)

50 g minimum de fruits et/ou légumes pour 100 g de produits finis

400

5

15

Graines et leurs dérivés, à l’exception des huiles (15)

50 g minimum de fruits à coque pour 100 g de produits finis

400

10

15

Viande ou produits à base de viande

50 g minimum de viande pour 100 g de produits finis

700

5

-

Poisson, produits de la pêche, crustacés, mollusques

50 g minimum de poisson pour 100 g de produits finis

700

10

-

Produits laitiers

Produits laitiers à l’exception des fromages

50 g minimum de composants laitiers pour 100 g de produits finis

300

2,5

15

Fromages

50 g minimum de composants laitiers pour 100 g de produits finis

600

10

15

Céréales et produits céréaliers

Pains contenant au moins 3 g de fibre pour 100 g ou au moins 1,5 g de fibre pour 100 kcal

50 g minimum de céréales pour 100 g de produits finis

700

(les six années suivant la date d’adoption du règlement) puis

400

5

15

Céréales et produits céréaliers à l’exception des céréales de petit-déjeuner

50 g minimum de céréales pour 100 g de produits finis

400

5

15

Céréales de petit-déjeuner

50 g minimum de céréales pour 100 g de produits finis

500

5

25

Plats cuisinés, soupes et sandwichs

200 g minimum par portion

Pour les plats cuisinés et les sandwichs, 2 ingrédients minimum parmi les suivants :

- 30 g de fruits, légumes et/ou fruits à coques,

- 30 g de céréales,

- 30 g de viande,

- 30 g de poisson et/ou 30 g de lait

400

5

10

Boissons non alcoolisées

Aliments liquides, dans la mesure où ils ne rentrent dans aucune des catégories précitées

-

-

8

Autres aliments

Aliments solides, dans la mesure où ils ne rentrent dans aucune des catégories précitées

300

2

10

Source : Projet de règlement établissant les profils nutritionnels prévus par l’article 4 du règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du conseil (notre traduction).

© Assemblée nationale

1 () Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

2 () Voir le texte complet de cet article en annexe.

3 (2) Les matières grasses, les graisses saturées, les acides gras trans, le sel/sodium et les sucres, dont la présence en quantités excessives dans le régime alimentaire global n'est pas recommandée, ainsi que les graisses polyinsaturées et monoinsaturées, les glucides assimilables autres que les sucres, les vitamines, les substances minérales, les protéines et les fibres.

4 () La mention devant se lire ainsi : «Forte teneur en … ».

5 () Décision du Conseil du 17 juillet 2006 modifiant la décision 1999/468/CE fixant les modalités de l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission.

6 () Les AGS sont des constituants des lipides que l’on trouve notamment dans les graisses animales (lait, fromage, beurre, viande, lard, etc.) mais également dans les huiles de coco et de palme. Ils représentent une source d'énergie importante (1g d’acide gras saturé libère 9 kcal) et véhiculent les vitamines liposolubles (vitamines A, D, E, K).

7 () L'apport recommandé en acides gras saturés est de ¼ des graisses totales.

8 () Propos de Jean-Michel Chardigny, coordinateur du projet, cités dans Agrapresse Hebdo n° 3194 du 16 mars 2009.

9 () Etude Audirep pour le CNIEL, tests d’allégations nutritionnelles sur les produits laitiers, 2008-270, 17 décembre 2008.

10 () Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.

11 () « One size fits all » comme disent les Anglo-saxons.

12 () Observatoire du CNIEL (centre national interprofessionnel de l’économie laitière) des habitudes alimentaires. L’Ocha travaille depuis 1992, sous l’égide d’un comité scientifique, à un programme à long terme d’études et de publications dont l’objectif est de déchiffrer la relation que les mangeurs entretiennent avec leur alimentation. Il a ainsi lancé en 2002 une enquête internationale sur les habitudes alimentaires comparées de plus de 7 000 personnes en France,Italie, Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne et Etats-Unis.

13 () la quantité minimum requise doit être calculée sur la base des ingrédients entrant dans la composition.

14 () les légumes comprennent les pommes de terre et les différents types de haricots et de légumes secs.

15 () les graines comprennent les graines, les amandes, les fruits à coque. Les fruits à coque comprennent les cacahuètes et les différents type de noix.