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N
° 1667

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d’Espagne sur les dispositifs éducatifs, linguistiques et culturels dans les établissements de l’enseignement scolaire des deux États,

par M.  Jacques BASCOU

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros :

Sénat : 498 (2007-2008), 261, 273 et T.A. 67 (2008-2009).

Assemblée nationale : 1590

INTRODUCTION 5

I – LA PROMOTION DU FRANÇAIS ET DE L’ESPAGNOL : UN RENFORCEMENT MUTUEL DANS DES CONTEXTES DIFFÉRENTS 7

A – DES ENJEUX DIFFÉRENTS POUR LA FRANCOPHONIE ET L’« HISPANOPHONIE » 7

1) La promotion de la francophonie, élément de notre diplomatie d’influence, pose la question de la place des langues régionales 7

a) La défense et la promotion du français en Europe et dans le monde sont toujours une priorité affichée, dont les moyens déclinent 7

b) La France n'a pas, contrairement à l'Espagne, ratifié la Charte européenne des langues régionales et minoritaires 9

2) La langue espagnole ne s’inscrit pas dans une logique de protection 11

a) L’actuel « âge d’or » de l’espagnol dans le monde 11

b) Des langues régionales co-officielles 12

B − UNE COOPÉRATION LINGUISTIQUE ET CULTURELLE MULTIFORME 12

1) Un enseignement déjà pratiqué de part et d’autre dans le secondaire et le supérieur, dans des proportions inégales 12

a) L’enseignement de la langue et de la culture françaises en Espagne montre une situation de faiblesse 12

b) L’enseignement de la langue et de la culture espagnoles en France : une place de choix 14

2) Les autres formes d’échange : réseau scolaire à l’étranger, établissements culturels et coopération décentralisée 16

II – L’ACCORD-CADRE DU 16 MAI 2005 : UNE APPROBATION PUREMENT FORMELLE 21

A – UN ACCORD À VISÉE « OFFENSIVE » ET DONT IL EXISTE PEU D’EXEMPLES 21

1) L’accord-cadre s’inscrit, pour les deux Parties, dans une logique de reconquête 21

2) Peu d’exemples existent d’autres accords du même type 22

B − UNE MISE EN œUVRE DÉJÀ ENTAMÉE ET QUELQUES MOYENS DÉPLOYÉS 22

1) Un contenu qui illustre la dissymétrie administrative dans l’organisation de l’enseignement en France et en Espagne 22

2) Au-delà des moyens déjà engagés, des perspectives d’approfondissement de la coopération bilatérale 24

CONCLUSION 25

EXAMEN EN COMMISSION 27

______

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 29

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a adopté en première lecture, le 7 avril dernier, le présent projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre la France et l’Espagne sur les dispositifs éducatifs, linguistiques et culturels dans les établissements de l’enseignement scolaire des deux États, signé à Madrid le 16 mai 2005.

À première vue, il s’agit d’un accord classique manifestant la bonne volonté réciproque des deux Parties, qui ne devrait pas appeler de longs commentaires. En réalité, cet accord-cadre mérite examen à plus d’un titre : il révèle les trajectoires divergentes du français et de l’espagnol en tant que langues dont les ambitions sont mondiales, il illustre l’organisation administrative foncièrement différente de part et d’autres des Pyrénées, il pose la question des moyens réellement consacrés à notre diplomatie d’influence, et il reste muet sur la place des langues régionales.

Tels sont les thèmes que votre Rapporteur a souhaité aborder.

I – LA PROMOTION DU FRANÇAIS ET DE L’ESPAGNOL : UN RENFORCEMENT MUTUEL DANS DES CONTEXTES DIFFÉRENTS

A – Des enjeux différents pour la francophonie et l’« hispanophonie »

1) La promotion de la francophonie, élément de notre diplomatie d’influence, pose la question de la place des langues régionales

a) La défense et la promotion du français en Europe et dans le monde sont toujours une priorité affichée, dont les moyens déclinent

Présente sur les cinq continents, la langue française est la langue maternelle ou seconde de 181 millions de personnes à travers le monde et elle est apprise par 82,5 millions d’autres. Elle est langue officielle et de travail dans les organisations internationales que sont notamment l’ONU, l’Union européenne, l’OTAN, le Conseil de l’Europe…

Notre pays mène, quelle que soit la tendance du gouvernement de l’heure, une politique selon laquelle le français, notamment en milieu scolaire, ne doit pas se limiter aux élites politiques, administratives et universitaires des capitales et doit jouer le rôle d’une langue internationale capable d’offrir à la jeunesse qui la pratique un avenir universitaire ou professionnel. Dans cette optique, une modernisation des pratiques pédagogiques et culturelles est nécessaire et ne peut se faire sans l’apport des nouvelles technologies et des médias francophones déjà engagés dans la problématique d’une relation harmonieuse avec les langues nationales dans beaucoup de pays.

Dans ce cadre, plusieurs programmes de coopération régionaux ont permis de définir des démarches sectorielles avec la mise en place d’outils de promotion spécifiques par situation et objectif, au plus près des « demandes de français » qui s’expriment dans chaque zone géographique. Citons à cet égard :

− le plan de renforcement du plurilinguisme dans l’Union européenne, dont le propos recoupe celui du présent projet de loi. Ce plan prévoit l’accompagnement de l’introduction d’une deuxième langue vivante pendant la scolarité obligatoire dans les pays européens, le renforcement des dispositifs d’enseignement bilingues francophones dans le secondaire et le supérieur en Europe, un programme de formation au français de publics-cibles dans le cadre de l’élargissement, à Bruxelles et dans les capitales (en liaison avec l’Organisation intergouvernementale de la Francophonie), ainsi qu’un plan triennal de formation de 2 000 professeurs de français dans les pays nouvellement entrés dans l’Union européenne. La France a saisi l’occasion de sa présidence du Conseil de l’UE au semestre dernier pour rappeler à ses partenaires européens cette préoccupation ; les ministères de la Culture et de la communication, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche et des Affaires étrangères et européennes ont ainsi organisé, le 26 septembre 2008, des « États généraux du multilinguisme en Europe » qui ont regroupé 700 participants dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne ;

− le plan d’action pour le français dans le monde arabe. Celui-ci promeut la relance du français au Maghreb avec la création de « pôles pédagogiques de référence » grâce à l’outil du Fonds de solidarité prioritaire. Il prévoit également un appui à la réforme des systèmes éducatifs via l’enseignement des langues, vers un trilinguisme arabe/français/anglais dans l’éducation et la société (notamment au Liban et en Égypte), et un effort permanent pour la généralisation de l’apprentissage du français comme langue étrangère (dans les pays du Golfe, la Syrie et la Jordanie) ;

− le plan de relance du français en Amérique latine. Y sont prévues la modernisation de l’image du français grâce à l’utilisation renforcée des technologies d’information et de communication pour l’éducation, et la diffusion à grande échelle de produits audiovisuels éducatifs en français, ainsi que la formation au français des élites et des jeunes publics des établissements secondaires de l’enseignement public et privé, de même que la formation des enseignants par le renouvellement des générations et des pratiques pédagogiques ;

− le plan stratégique pour le français en Asie, qui s’articule autour de deux grands objectifs que sont la formation continue des professeurs de français et la mise en place d’un portail francophone au service des « apprenants » et des enseignants de français ;

− dans les pays de la Zone de solidarité prioritaire où le français est langue d’enseignement, la poursuite de la valorisation du français comme outil d’aide au développement. Le ministère des Affaires étrangères et européennes soutient les réflexions en cours sur l’articulation entre l’enseignement du français et les langues africaines vernaculaires pour mieux prendre en compte les données du contexte socio-linguistique ;

− enfin, dans les pays développés d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Océanie, la progression de l’apprentissage de notre langue, selon les sources gouvernementales, qui continue à être associé à la formation des élites, aussi bien au sein de nos établissements culturels − français professionnel et commercial − que dans le cadre de notre coopération scientifique et universitaire.

Par ailleurs, 452 établissements d’enseignement français scolarisent près de 170 000 élèves (dont 53 % sont nationaux) et 926 centres culturels et Alliances françaises dans plus de 130 pays dispensent des cours de français à 560 000 « apprenants ».

Bien que le présent rapport ne soit pas le lieu du débat budgétaire, votre Rapporteur veut souligner la précarité croissante de notre réseau culturel et d’enseignement à qui incombe, entre autres missions, de promouvoir le rayonnement de notre langue, de notre culture et de nos valeurs dans le monde.

Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2009 que les lois de finances rectificatives n’ont pas modifiée sur ce point, et dans le cadre plus large de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2009-2012, les crédits d’intervention du ministère des Affaires étrangères et européennes sont en nette diminution, en particulier s’agissant des moyens d’intervention du programme Rayonnement culturel et scientifique dont relève la coopération culturelle et linguistique avec des pays comme l’Espagne. À partir d’un volume de crédits déjà en baisse régulière depuis plus de dix ans, comme l’a relevé le Livre blanc de juillet 2008 sur la politique étrangère et européenne de la France, se conjuguent les effets restrictifs de la Révision générale des politiques publiques et les arbitrages contestables dictés par la Présidence de la République dans l’allocation des moyens nouveaux. Ceux-ci sont absorbés par la prise en charge des frais de scolarité des élèves français inscrits dans le réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), sans plafonnement aucun. La commission des Affaires étrangères a déjà eu l’occasion de contester les modalités d’application de cette mesure, sans même obtenir la moindre inflexion.

Dans le contexte plus particulier du présent projet de loi et de l’accord-cadre franco-espagnol dont il prévoit l’approbation, votre Rapporteur veut saisir l’occasion d’évoquer la place des langues régionales en France au regard de leur statut en Espagne.

b) La France n’a pas, contrairement à l’Espagne, ratifié la Charte européenne des langues régionales et minoritaires

La France, par la voix du gouvernement de M. Lionel Jospin, a signé, le 7 mai 1999, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, établie dans le cadre du Conseil de l’Europe et dans le prolongement de l’Acte final d’Helsinki de 1975 ainsi que de la réunion de Copenhague de 1990. Ce texte reconnaît l’existence de ces langues et leur confère une protection juridique. Saisi par le Président de la République, M. Jacques Chirac, le Conseil constitutionnel a estimé qu’aucun des engagements concrets souscrits par la France, au titre de la partie III de la Charte, ne méconnaissait les normes constitutionnelles françaises.

En revanche, le Conseil constitutionnel a jugé que certaines clauses de la Charte étaient contraires aux principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français, dans la mesure où elles tendaient à conférer des droits spécifiques à des groupes linguistiques à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées. Ces clauses étaient également contraires à l’article 2 de la Constitution, car elles créaient un droit à employer d’autres langues que le français dans la vie publique, notion dans laquelle la Charte inclut la justice, les autorités administratives et les services publics.

Un coup d’arrêt était ainsi porté aux revendications tendant à faire une plus large place aux langues régionales comme élément patrimonial de notre pays, alors que le gouvernement de l’époque, évidemment respectueux de notre ordre juridique interne, avait pris soin d’assortir sa signature d’une déclaration interprétative. La charte n’est donc toujours pas ratifiée par la France.

Qu’en est-il aujourd’hui des langues régionales dans le contexte scolaire ? L’enseignement de ces langues bénéficie d’une intégration dans l’enseignement de langues vivantes proposé aux familles. Cet enseignement s’inscrit toutefois dans le contexte créé par la décision du Conseil d’État du 29 novembre 2002 annulant deux textes relatifs à la mise en place d’un enseignement bilingue au titre des langues régionales par immersion dans les écoles, collèges et lycées. Le Conseil d’État a estimé que les prescriptions contenues dans ces textes allaient au-delà des nécessités de l’apprentissage d’une langue régionale et excédaient ainsi les possibilités de dérogation à l’obligation d’user du français comme langue d’enseignement. L’arrêté en vigueur du 13 mai 2003 tient compte de cette décision en organisant l’enseignement bilingue sur la base de la parité horaire entre la langue régionale et le français, sans qu’aucune discipline puisse être enseignée exclusivement en langue régionale. Dans ce contexte, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 a conditionné l’enseignement des langues régionales à la signature de conventions entre l’État et les collectivités territoriales.

Votre Rapporteur a été du nombre des députés du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés qui ont, en février 2008, signé une proposition de loi constitutionnelle (1) tendant à la reconnaissance des langues régionales. Un débat a d’ailleurs été organisé à l’Assemblée nationale sur ce thème le 7 mai 2008, quelques jours avant le début des travaux sur la révision constitutionnelle. Lors de la première lecture du projet de loi constitutionnelle, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement introduisant la référence aux langues régionales à l’article 2 de la Constitution, dans une formulation très directement inspirée de la proposition de loi précitée du groupe SRC :

« Le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution est ainsi rédigé : “La langue officielle de la République est le français. Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la nation. »

Mais cette modification a été rejetée par le Sénat, qui a fait valoir ses craintes quant au respect de la primauté de la langue française. La solution de compromis finalement adoptée a consisté à réintroduire la substance de cet article à la fin du Titre XII consacré aux collectivités territoriales. C’est ainsi qu’a été inséré dans la Constitution, le 23 juillet 2008, un article 75-1 ainsi rédigé :

« Article 75-1.− Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Ce rappel qui vise à mesurer la différence des situations entre les deux pays est nécessaire lorsque l’on aborde un accord-cadre sur les dispositifs éducatifs, linguistiques et culturels des établissements scolaires des deux Etats.

2) La langue espagnole ne s’inscrit pas dans une logique de protection

a) L’actuel « âge d’or » de l’espagnol dans le monde

La langue espagnole vit sans doute une forme d’apogée de son histoire. D’après le classement établi par l’UNESCO, l’espagnol est aujourd’hui la quatrième langue la plus parlée après le mandarin, l’anglais et l’hindi. On estime à 400 millions le nombre de locuteurs espagnols, dont 32 millions aux États-Unis d’Amérique, et ces chiffres ne cessent de croître. L’espagnol est la langue officielle de 21 pays.

Le gouvernement espagnol accompagne cette croissance avec un réseau de 25 établissements d’enseignement à l’étranger, de 94 sections internationales, de plus de mille professeurs titulaires en poste à l’étranger, de plus de 1 200 professeurs espagnols en mobilité au sein de collèges étrangers (en Allemagne, au Canada, aux États-Unis et en France notamment) et de 1 100 assistants de conversation. 12 millions d’étudiants apprennent la langue espagnole dans le monde.

Depuis une dizaine d’années, le ministère espagnol de l’Éducation, à travers sa sous-direction de la coopération internationale, a mis en place une politique très active en faveur de la langue qui couvre pratiquement l’ensemble des pays de l’Union européenne, un bon nombre de pays de l’Est de l’Europe, les États-Unis et le Canada, le Mexique, le Brésil, l’Argentine, le Maroc, la Guinée Équatoriale, l’Australie et la Nouvelle-Zélande et depuis 2005, la Chine. Cette politique passe par la signature d’accords, l’implantation de structures, la distribution de bourses, l’envoi d’enseignants, d’assistants de langue, etc. Voilà qui éclaire bien le contexte du présent projet de loi.

S’agissant de l’attitude poursuivie dans les enceintes internationales en matière de politique linguistique, l’Espagne s’attache plus précisément à promouvoir l’usage des langues co-officielles au sein des instances européennes et obtient quelques résultats en la matière, même si le règlement communautaire européen ne considère pas les langues régionales espagnoles comme des langues officielles.

À titre d’exemple, l’Espagne a signé un accord avec la Cour de justice des communautés européennes en avril dernier pour que les langues co-officielles d’Espagne soient reconnues et utilisées lorsque nécessaire. Le statut des langues régionales est en effet en Espagne bien différent de ce qu’il est en France.

b) Des langues régionales co-officielles

Contrairement à la France, l’Espagne a ratifié la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Par ailleurs, trois articles de la Constitution du 31 octobre 1978 se rapportent à la question des langues :

− l’article 3 énonce que « L’espagnol est la langue officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de la connaître et le droit de l’utiliser. Les autres langues espagnoles seront également des langues officielles dans les communautés autonomes selon les statuts de chacune d’elles. La richesse des diverses modalités linguistiques de l’Espagne constitue un patrimoine culturel qui doit être particulièrement respecté et protégé. » ;

− l’article 20 précise que la future réglementation de l’organisation et du contrôle parlementaire des moyens de communication sociale du secteur public « devra se faire dans le respect du pluralisme de la société et des diverses langues de l’Espagne. » ;

− l’article 148 fixe au nombre des compétences des communautés autonomes « le développement de la culture, de la recherche et, le cas échéant, de l’enseignement de la langue de la communauté autonome. »

Ces éléments expliquent certaines des particularités de l’accord-cadre évoquées dans la seconde partie du présent rapport. Auparavant, votre Rapporteur croit utile de dresser un panorama de la coopération bilatérale entre la France et l’Espagne dans le domaine linguistique et culturel, notamment en milieu scolaire.

B − Une coopération linguistique et culturelle multiforme

1) Un enseignement déjà pratiqué de part et d’autre dans le secondaire et le supérieur, dans des proportions inégales

a) L’enseignement de la langue et de la culture françaises en Espagne montre une situation de faiblesse

Dans l’enseignement primaire et secondaire, environ 9 500 professeurs enseignent le français à 1,2 million d’élèves, ce qui représente 16,2 % d’élèves apprenant le français au plan national, tous niveaux confondus. Dans l’enseignement secondaire, 98,5 % des élèves apprennent l’anglais, 38,4 % le français et 2,4 % l’allemand.

La diffusion de notre langue dans le système éducatif espagnol demeure donc préoccupante, en raison notamment de l’abandon au niveau national, dans la Ley Organica de Educacion de 2006, de l’obligation d’étudier une deuxième langue vivante. Cela est particulièrement vrai aux Baléares (3,9 % d’élèves apprenant le français), au Pays basque (6,6 %), dans la Communauté de Valence (7,5 %) et en Catalogne (8,7 %). La proximité géographique n’est donc manifestement pas un critère de choix du français. D’une manière générale, le français est implanté de manière plus forte dans les communautés qui ne possèdent pas de langue co-officielle.

Néanmoins, en 2009, 261 sections bilingues de français (contre 99 en 2004-2005) scolarisent plus de 20 000 élèves, ce que détaille le tableau suivant :

NOMBRE DE SECTIONS BILINGUES DE FRANÇAIS
PAR COMMUNAUTÉ AUTONOME ESPAGNOLE

Andalousie

54

Com. de Madrid

15

Aragon

30

Com. de Valence

5

Asturies

7

Estrémadure

9

Baléares

8

Galice

18

Canaries

0

La Rioja

25

Cantabrie

10

Murcie

17

Castille-La Manche

19

Navarre

6

Castille et León

15

Pays basque

10

Catalogne

13

Total sections bilingues

261

Source : ministère des Affaires étrangères et européennes.

Il faut se réjouir du succès de ces sections bilingues francophones en Espagne et souhaiter que les établissements français puissent saisir les nouvelles possibilités d’échanges qui en résultent : échanges d’élèves pour des périodes de courte et moyenne durée ou échanges de professeurs à développer. Tel est précisément l’un des objets de l’accord-cadre.

Dans l’enseignement supérieur, tout comme dans l’enseignement secondaire, la langue française est la seconde langue étrangère enseignée. Cependant, la situation du français dans l’enseignement primaire et secondaire influe considérablement sur la situation de l’enseignement du français dans le supérieur : un déclin entraîne l’autre.

Il existe à ce jour 38 départements de philologie française et de traduction dans les universités espagnoles, qui accueillent environ 3 000 étudiants de la première à la cinquième année. Les départements d’études françaises sont dans la phase de réforme liée au processus de Sorbonne-Bologne, avec la généralisation du cursus « LMD » (licence-master-doctorat) ; ils peinent cependant à trouver une dynamique suffisante pour attirer de nombreux étudiants. Les universités relèvent depuis le printemps 2008 du ministère des Sciences et de l’innovation, qui a mis en place une nouvelle politique leur donnant plus de latitude. La réforme, qui s’inscrit dans le cadre de la « loi organique universitaire », devrait entraîner la création de masters plus polyvalents permettant une meilleure adéquation entre l’offre de formation et la demande des étudiants. Le sort des philologies françaises n’est donc pas encore fixé, d’autant que la formation des futurs enseignants de langues devrait être assurée par les départements de « didactique des langues » et non par les départements de philologie.

D’autre part, toutes les universités dispensent un enseignement de français, soit à travers des filières spécialisées (tourisme, droit, gestion…), soit par l’intermédiaire des Instituts de langues. Rien qu’à l’Université Complutense de Madrid, cet enseignement s’adresse à plus de 3 000 élèves, et à plus de 2 000 à l’Université de Séville.

En moyenne, plus de 3 500 étudiants espagnols sont accueillis en France chaque année dans le cadre du programme Erasmus, ce qui place notre pays en deuxième position pour l’accueil des étudiants espagnols en Europe. Plus de 5 000 étudiants français choisissent l’Espagne pour le programme Erasmus. Enfin, à ce jour, 137 doubles diplômes universitaires franco-espagnols sont recensés, dont 27 avec la seule École polytechnique de Madrid. Ces formations bi-diplômantes favorisent non seulement l’apprentissage de la langue française mais aussi l’apprentissage des méthodologies propres aux cursus français.

70 000 « apprenants » de français sont par ailleurs recensés dans les Écoles officielles de langues qui sont réparties sur l’ensemble du territoire espagnol et qui sont subventionnées par les Communautés autonomes. Elles sont réservées aux jeunes et aux adultes à partir de 16 ans et attirent de nombreux étudiants, compte tenu de la modicité des tarifs et de la qualité des enseignements.

b) L’enseignement de la langue et de la culture espagnoles en France : une place de choix

Dans l’enseignement primaire et secondaire, environ 14 000 professeurs enseignent l’espagnol à 2,25 millions d’élèves. Ces chiffres sont relativement stables, tout comme ceux des postes ouverts aux concours de recrutement (agrégation et CAPES) : 491 en 2008, dont 413 au CAPES et 78 à l’agrégation. 40 % des élèves français des collèges et lycées apprennent l’espagnol, qui est la deuxième langue étrangère enseignée en France derrière l’anglais et devant l’allemand (16 %) et l’italien (7 %). 69 % des élèves français choisissent l’espagnol comme deuxième langue vivante. La place de l’espagnol en France est donc nettement plus enviable que celle du français en Espagne. La même remarque vaut pour l’enseignement supérieur, puisque non moins de 33 000 étudiants suivent une formation d’espagnol en France en 2007-2008.

Des développements particuliers doivent être réservés aux sections européennes et internationales d’espagnol. Les sections européennes et les sections internationales se différencient sur trois points :

− le cursus, tout d’abord. Les sections européennes commencent à partir de la classe de quatrième avec un horaire d’au moins deux heures en langue vivante auquel se substitue, au lycée, l’enseignement dans cette langue de tout ou partie du programme d’une discipline non linguistique. Mais le format exact de cet enseignement et le caractère plus ou moins intensif du renforcement linguistique sont laissés à la discrétion de chaque recteur d’académie. Les sections internationales commencent dès le primaire avec trois heures d’enseignement de langue puis, au collège et au lycée, quatre heures de langue et littérature étrangère s’ajoutant aux horaires normaux d’enseignement de la langue et quatre heures d’histoire-géographie, dont deux heures dans la langue de la section ;

− les enseignants, ensuite. En section européenne, ils doivent posséder une certification complémentaire en langue vivante prouvant leur capacité à enseigner une discipline non linguistique dans une langue étrangère. En section internationale, ce sont des enseignants locuteurs natifs. Dans le cas de l’espagnol, ils sont mis à disposition et rémunérés par le gouvernement espagnol ;

− les diplômes de fin d’études secondaires, enfin. En section européenne, le baccalauréat porte la mention « section européenne ». Les élèves de section internationale passent quant à eux l’option internationale du baccalauréat. Un accord de janvier 2008 prévoit par ailleurs la possible double délivrance du baccalauréat français et du bachiller espagnol (cf. infra).

Les sections européennes d’espagnol ont connu un rapide développement en cinq ans : à la rentrée 2006, 703 sections européennes scolarisaient 27 000 élèves (soit une progression de 30 % depuis 2002 et de 13 % en un an, taux largement supérieur à celle des sections d’allemand et d’anglais). Elles se développent également en lycée professionnel. Le tableau suivant en dresse la liste complète :

SECTIONS EUROPÉENNES D’ESPAGNOL DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE FRANÇAIS

Académies

Collèges

Lycées généraux et technologiques

Lycées professionnels

Total

 

Nbre de sections

Effectifs

Nbre de sections

Effectifs

Nbre de sections

Effectifs

Nbre de sections

Effectifs

Aix-Marseille

11

430

6

344

1

11

18

785

Amiens

3

72

3

143

6

215

Besançon

8

231

8

300

16

531

Bordeaux

27

1 236

10

462

12

222

49

1 920

Caen

12

421

5

221

1

29

18

671

Clermont-Ferrand

9

224

6

272

15

496

Corse

Dijon

2

26

6

201

8

227

Grenoble

10

397

5

341

15

738

Lille

47

774

20

922

67

1 696

Limoges

4

125

1

41

5

166

Lyon

18

813

7

455

25

1 268

Montpellier

66

2 443

22

760

4

75

92

3 278

Nancy-Metz

28

910

15

800

43

1 710

Nantes

9

452

9

460

18

912

Nice

15

622

5

335

20

957

Orléans-Tours

13

368

10

428

1

5

24

801

Poitiers

8

217

4

174

2

121

14

512

Reims

6

257

3

222

9

479

Rennes

36

1 346

17

1 008

1

45

54

2 399

Rouen

15

390

3

148

18

538

Strasbourg

5

82

7

246

12

328

Toulouse

79

2 716

39

1 807

20

477

138

5 000

Paris

16

710

7

372

4

125

27

1 207

Créteil

8

200

3

175

11

375

Versailles

50

1 889

13

889

6

125

69

2 903

Guadeloupe

5

172

1

61

6

233

Guyane

1

24

1

25

2

49

Martinique

7

202

2

95

1

46

10

343

Réunion

18

805

8

324

26

1 129

Total

536

18 554

246

12 031

53

1 281

835

31 866

Source : ministère des Affaires étrangères et européennes.

Au sein du dispositif des sections internationales, l’Espagne est le premier partenaire de la France avec 38 sections dans 11 académies − Versailles, Lyon et Bordeaux étant les plus importantes − et 50 professeurs mis à disposition par le ministère espagnol en charge de l’éducation. Voici le tableau actuel :

SECTIONS INTERNATIONALES D’ESPAGNOL (À LA RENTRÉE 2008)

Académie

Nb de

sections

Effectifs d’élèves

Nombre d’enseignants

Taux de réussite au baccalauréat

Aix-Marseille

3

186

4

100 %

Bordeaux

4

437

10

100 %

Grenoble

2

166

4

93 %

Lyon

4

341

7

100 %

Montpellier

2

198

3

100 %

Nice

2

198

3

100 %

Rennes

2

111

3

100 %

Strasbourg

2

124

5

83 %

Toulouse

2

212

3

96 %

Paris

2

153

3

94 %

Versailles

3

252

10

100 %

Total

28

2 378

55

98 %

Source : ministère des Affaires étrangères et européennes.

De nouvelles sections sont en cours d’implantation, selon les informations communiquées à votre Rapporteur.

2) Les autres formes d’échange : réseau scolaire à l’étranger, établissements culturels et coopération décentralisée

Même si elle est moins directement tournée vers la coopération linguistique comme principal objet, l’existence d’établissements scolaires de chacune des deux Parties chez l’autre est une forme d’échange culturel. Avec plus de 19 000 élèves répartis sur 23 sites et encadrés par près de 1 300 professeurs et personnels administratifs, le réseau des établissements d’enseignement français en Espagne constitue un des volets les plus importants de notre coopération bilatérale.

Le tableau suivant les répertorie selon le degré de leurs liens avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) :

LE RÉSEAU DE L’AEFE EN ESPAGNE

Trois établissements en gestion directe

 

Lycée français de Barcelone

2 815 élèves

Lycée français de Madrid (+ annexe école Saint-Exupéry)

3 413 élèves (+ 362)

Lycée français de Valence

1 921 élèves

Six établissements conventionnés avec l’AEFE

 

Lycée d’Alicante (géré par la Mission laïque) + annexe École de Benidorm

1 272 élèves (+ 82)

Lycée de Bilbao

1 022 élèves

Collège d’Ibiza

235 élèves

École Lesseps de Barcelone

471 élèves

Lycée français de Malaga

744 élèves

Lycée Molière de Villanueva de la Cañada (géré par la Mission laïque)

828 élèves

Sept établissements homologués gérés par la Mission laïque française

Collège de Las Palmas

444 élèves

Lycée français de Murcie

732 élèves

Collège de Palma

434 élèves

Lycée Molière de Saragosse

743 élèves

Lycée français de Séville

37 élèves

Collège de Ténérife

353 élèves

Lycée de Castilla y León à Valladolid

382 élèves

Cinq établissements homologués de gestion privée

 

Collège Bel Air à Barcelone

661 élèves

Collège Bon Soleil de Gavá à Barcelone

1 078 élèves

Collège français de Reus à Barcelone

274 élèves

Lycée St Chaumond à Madrid

801 élèves

École St Louis des Français à Madrid

137 élèves

Source : ministère des Affaires étrangères et européennes.

Le réseau des établissements scolaires espagnols en France, par comparaison, est beaucoup moins développé. Seuls deux établissements d’enseignement dépendent en France du ministère de l’Éducation espagnol :

− le Colegio Español Federico García Lorca à Paris, qui accueille 199 élèves, dont 67 % de nationalité espagnole, en 2007-2008 ;

− le Liceo Español Luis Buñuel à Neuilly-sur-Seine, où sont inscrits 183 élèves, dont 70 % de nationalité espagnole, en 2007-2008.

Dans le cadre de la coopération décentralisée, la quasi-totalité des 17 communautés autonomes espagnoles a conclu des accords avec certaines académies en France. Le tableau suivant dresse la liste de ces accords :

ACCORDS DE COOPÉRATION EN MATIÈRE D’ENSEIGNEMENT LINGUISTIQUE
ENTRE LES 17 COMMUNAUTÉS AUTONOMES ESPAGNOLES ET LES ACADÉMIES FRANÇAISES

« Consejerías » de l’Education des Communautés autonomes signataires

Académies françaises signataires

Date de l’accord

Expiration de l’accord

Objectifs de l’accord

Andalousie

Orléans-Tours

15 novembre 2005

15 novembre 2008

(possibilité de renouvellement pour la même période)

Collaboration entre les deux institutions, promotion et développement de l’enseignement et de l’apprentissage de la langue partenaire, réalisation d’actions conjointes en suivant l’objectif d’intégration européenne.

Strasbourg

16 novembre 1995

16 novembre 1996

(possibilité de renouvellement annuel)

Établissement et développement de liens étroits entre les deux parties dans le but d’améliorer la qualité de l’enseignement et de la formation dans un contexte européen.

Aragon

Toulouse

1er octobre 2007

Développement de l’enseignement des langues partenaires et promotion des programmes d’échanges (d’élèves, d’enseignants, de jeunes professionnels). Actions de formation et échange d’informations.

Asturies

Besançon

9 juin 2006

Durée indéfinie

Promotion et développement de l’enseignement de la langue des deux parties (connaissances sociologiques et linguistiques pour la formation des enseignants, activités conjointes pour la formation, jumelage...).

Baléares

Souhait d’accord avec Montpellier

     

Canaries

Aucun accord à ce jour

     

Cantabrie

Rennes

18 octobre 2005

Durée de six ans

Actions conjointes afin de favoriser l’apprentissage de la langue et la culture des deux parties. Appui pour la mise en œuvre de projets éducatifs communs (programmes européens).

Castille-La Manche

Montpellier

16 décembre 2005

Durée de six ans

(possibilité de renouvellement)

Promotion et développement de l’enseignement de la langue des deux parties (programmes d’échanges, activités conjointes, actions de formation des enseignants, veiller à la dimension européenne de l’éducation).

Castille et León

Grenoble

23 septembre 2005

23 septembre 2006

(possibilité de renouvellement le 1er semestre de chaque année)

Établissement d’un cadre de collaboration favorisant le développement d’actions de coopération éducative (sections bilingues, jumelages, IUFM).

Catalogne

Montpellier

9 avril 1999

Nouvel accord en cours de négociation

9 avril 2002

(possibilité de renouvellement par tacite reconduction)

Développement d’actions coordonnées (promotion du catalan, du français et de l’enseignement bilingue, projets transfrontaliers, échange et diffusion d’outils pédagogiques).

Estrémadure

Poitiers

Note verbale du 4 mai 2007.

En attente de signature

Durée de trois ans renouvelable

Développement des échanges scolaires et d’actions de coopération éducative entre les deux institutions.

Galice

Rennes

Projet en cours

 

Partenariat actif, échanges poste à poste et échanges éducatifs.

La Rioja

Bordeaux

6 mars 2007

Durée de trois ans, renouvelable tacitement

Développement des échanges scolaires et d’actions de coopération éducative.

Madrid

Versailles

27 janvier 2006

27 janvier 2009 (possibilité de renouvellement par reconduct° expresse)

Promotion des échanges entre les deux parties (établissements scolaires, enseignants, jeunes professionnels).

Murcie

Nancy-Metz

23 avril 2004

 

Promotion des échanges éducatifs et enseignement bilingue.

Navarre

Bordeaux

6 mars 2007

Durée de trois ans renouvelable tacitement

Développement des échanges scolaires et d’actions de coopération éducative.

Pays Basque

Bordeaux

17 avril 2007

Durée de trois ans renouvelable tacitement

Développement des échanges scolaires et d’actions de coopération éducative.

Valence

Aucun accord à ce jour

     

Source : ministère des Affaires étrangères et européennes.

Votre Rapporteur remarque ici que les académies de Bordeaux, Toulouse et Montpellier ne sont pas les seules parties prenantes.

Enfin, une autre forme de promotion de la langue et de la culture nationales de l’un des deux pays chez son voisin, au-delà de la sphère scolaire et universitaire, est celle de l’apprentissage de la langue via le réseau des alliances françaises et des instituts Cervantès.

L’Alliance française s’est implantée très tôt en Espagne. Dès 1884, soit un an après sa création, Barcelone accueillait la première Alliance française en Europe et le réseau espagnol s’est étendu très rapidement. C’est aujourd’hui un Institut français qui est implanté à Barcelone. La plus ancienne Alliance française toujours en activité serait celle de Valladolid, fondée en 1894. Actuellement, le réseau est composé de 22 Alliances, toutes proposant des cours, mais de façon très hétérogène : ainsi les chiffres d’affaires vont-ils de 3,5 millions d’euros à Madrid, pour 3 000 élèves, jusqu’à moins de 10 000 euros à Sama de Langreo, pour 25 élèves.

Autofinancées à 100 %, ces 22 Alliances forment environ 9 000 étudiants par an et emploient 200 recrutés locaux. Le soutien du ministère des Affaires étrangères et européennes consiste en la mise à disposition de trois postes d’expatriés − un délégué général de l’Alliance française et deux directeurs, à Madrid et à Malaga − ainsi que de deux postes de volontaires internationaux − un coordinateur pédagogique à la délégation générale et un professeur/animateur à Sabadell, dans la banlieue de Barcelone. Une subvention de 68 000 euros est par ailleurs attribuée à la délégation générale. Selon les informations communiquées à votre Rapporteur, en 2009, une baisse de 16 % de l’enveloppe culturelle destinée à l’Espagne entraîne une diminution à due proportion de la subvention précitée : la délégation générale percevra donc 57 000 euros pour animer le réseau de 22 Alliances. Soulignons enfin que les directeurs recrutés localement sont rarement payés à temps complet pour exercer leur fonction : souvent professeurs eux-mêmes pour s’assurer un revenu, ils sont rémunérés comme directeurs à temps partiel, ou exercent comme bénévoles − c’est le cas dans au moins cinq Alliances.

Davantage présentes dans le nord du pays, les Alliances françaises sont absentes de quelques grandes villes où sont implantés des Instituts français − Barcelone, Valence, Saragosse −, ou bien des villes où existaient de tels instituts jusqu’à une époque récente − Séville, Bilbao. Le réseau a compté jusqu’à 25 Alliances françaises mais ces dernières années, certaines d’entre elles ont fermé, souvent suite au départ d’un directeur qui les « portait à bout de bras ». L’Alliance de Santander, qui vient de fêter ses 100 ans en 2008, est au bord de la faillite. Malgré les difficultés dues à l’effet de la concurrence et à une réduction du marché, les Alliances françaises font preuve de rigueur, et réussissent à préserver leurs recettes en augmentant le taux de rentabilité des cours. Il faut à cet égard noter que le taux de fidélisation des étudiants est en constante augmentation. En dehors des cours de langue, les Alliances françaises d’Espagne ont proposé en 2007 près de 450 manifestations culturelles, principalement des films en collaboration avec des filmothèques locales, mais seuls deux ou trois établissements peuvent dégager des marges suffisantes pour ce secteur.

Quant au réseau de l’Institut Cervantès en France, il compte quatre centres : Paris (ouvert en 1994), Bordeaux (en 1994 également), Toulouse (en 1995) et Lyon (en 2003). Le ministère des Affaires étrangères et européennes n’a pu fournir comme derniers chiffres disponibles que des données remontant à 2004-2005, date à laquelle ces quatre instituts ont organisé près de 400 cours de langues pour 3 300 inscriptions.

En dépit du soutien déclinant du gouvernement français à ses instituts et au réseau des Alliances françaises en Espagne, il a été indiqué à votre Rapporteur que ce réseau, à travers la délégation générale de l’Alliance sur place, avait été « totalement associé à la réflexion » ayant mené à l’accord qu’il convient à présent d’examiner en détail.

II – L’ACCORD-CADRE DU 16 MAI 2005 : UNE APPROBATION PUREMENT FORMELLE

A – Un accord à visée « offensive » et dont il existe peu d’exemples

1) L’accord-cadre s’inscrit, pour les deux Parties, dans une logique de reconquête

Aux dires du ministère des Affaires étrangères et européennes lui-même, l’accord-cadre du 16 mai 2005 comporte un caractère clairement « offensif » en ce sens qu’il ne s’inscrit pas dans un contexte de déclin de la langue française, mais au contraire dans une logique de reconquête entreprise une dizaine d’années auparavant. Un peu de recul historique permet de constater que la langue française, majoritairement enseignée en Espagne durant la période franquiste, avec environ 2,5 millions d’« apprenants » à l’époque, a connu une chute brutale lors de la phase de démocratisation : le nombre d’apprenants était tombé à seulement 300 000 en 1995. Cette évolution n’apparaît pas à la lecture du Préambule de l’accord-cadre, qui ne se réfère qu’aux dispositions générales de l’accord bilatéral de coopération culturelle, scientifique et technique de 1969.

Les premières sections bilingues (cf. supra) sont apparues en Andalousie dès 1998 et ont contribué à réintroduire l’enseignement du français dans les écoles par le truchement d’accords conclus directement entre l’ambassade et les Communautés autonomes. Ce sont ces accords qui ont indirectement conduit à la signature de l’accord-cadre de 2005 ; en effet, le gouvernement espagnol a estimé que la légitimité de ces accords administratifs avec les Communautés ne pouvait que s’inscrire dans le cadre d’un accord bilatéral formel entre la France et l’Espagne. C’est dans ce contexte qu’il convient de lire l’article 4 de l’accord-cadre, dont les stipulations désignent sans équivoque les réels maîtres d’œuvre de la coopération.

C’est donc une autre forme de « reconquête », plus politique que linguistique, qui a motivé la Partie espagnole : il s’agissait aussi de réaffirmer l’autorité de l’État espagnol vis-à-vis de Communautés autonomes ayant souvent tendance à s’affranchir des considérations nationales.

Les négociations ont été conduites par les deux ministères de l’Éducation via les deux ministères des Affaires étrangères, les services de l’ambassade assurant le rôle de pivot et de médiateur. Certaines Communautés ont toutefois été consultées de manière ponctuelle, sur certaines parties du texte qui a été négocié par le ministère espagnol de l’Éducation.

2) Peu d’exemples existent d’autres accords du même type

L’Espagne n’a signé aucun autre accord-cadre de ce type avec un autre pays. Elle a signé de nombreux mémorandums, mais rien de comparable à ce jour. Il existe cependant un projet d’accord avec l’Italie du même type, qui n’a pas encore pu aboutir.

La France a conclu des accords de même type avec l’Italie (un protocole de coopération éducative du 17 juillet 2007), avec le Portugal (un protocole de coopération éducative du 10 avril 2006) et avec la Roumanie (un accord intergouvernemental sur l’enseignement bilingue du 28 septembre 2006).

Une autre originalité de l’accord-cadre franco-espagnol, et non des moindres, réside dans sa mise en œuvre anticipée, qui donne à l’exercice de l’autorisation parlementaire d’approbation une tournure on ne peut plus formelle.

B − Une mise en œuvre déjà entamée et quelques moyens déployés

1) Un contenu qui illustre la dissymétrie administrative dans l’organisation de l’enseignement en France et en Espagne

Les « dispositions générales » du chapitre I de l’accord-cadre sont surtout notables en ce qu’elles prévoient l’implication de chaque Partie dans l’organisation du système scolaire de l’autre État aux fins de la coopération envisagée.

Les stipulations du chapitre II révèlent toute la signification et la portée de la notion d’accord-cadre. En effet :

− des dispositifs déjà existants sont présentés comme s’inscrivant dans l’orbite de l’accord. Tel est le cas de l’article 3 qui fait allusion aux sections bilingues et autres dispositifs d’enseignement renforcé de langue vivante décrits en première partie du présent rapport ;

− l’article 4 reconnaît la large compétence des Communautés autonomes espagnoles en matière d’éducation et vise à permettre un suivi des développements de leurs actions de coopération linguistique et culturelle par la mise en place d’une « commission bilatérale de suivi » (cf. infra). Par ailleurs, est affirmée la compétence de l’État central espagnol lorsqu’il s’agit de promouvoir l’espagnol en France ;

− trois domaines d’approfondissement de la coopération sont mentionnés à l’article 5, à savoir la formation continue des professeurs, le matériel pédagogique et les échanges entre élèves et entre enseignants des deux pays.

Votre Rapporteur note que l’impression de « ratification de l’existant » est renforcée par la rédaction de l’exposé des motifs du projet de loi déposé au Sénat, qui rattache volontiers les nombreux éléments descriptifs qu’il contient, ainsi que des pistes précises de coopération envisageable, au chapitre II de l’accord-cadre, pourtant rédigé en des termes beaucoup plus généraux. Que l’on en juge à la lecture de l’encadré suivant :

Extrait de l’exposé des motifs du projet de loi déposé au Sénat

« Dans le cadre du chapitre II de cet accord, des perspectives sont aussi ouvertes en matière :

− d’échanges d’élèves pour des périodes de courte et moyenne durée ;

− d’échanges de professeurs et de mise en place de formations continues communes (dans un fort contexte européen) ;

− de renforcement des programmes d’assistants de langue (actuellement 191 jeunes Espagnols et 276 jeunes Français : un meilleur équilibre est envisagé) ;

− de renforcement des coopérations entre les facultés d’éducation et les IUFM pour la réalisation de stages pratiques permettant un renforcement linguistique pour les professeurs des écoles et de l’enseignement secondaire (professeurs de français, professeurs d’espagnol, professeurs des sections bilingues européennes et internationales) ;

− de renforcement des coopérations éducatives sur les secteurs faisant débat (qualité de l’éducation, évaluation des acquis, diversification des filières et itinéraires, enseignement bilingue et plurilingue, accueil des élèves issus de l’immigration, violence scolaire…). »

Le chapitre III composé de l’article 6 solennise l’existence des sections internationales de langue espagnole dans les établissements français, et comme on l’a vu dans la première partie du présent rapport le strict équivalent n’existe pas en Espagne. C’est ici que la dissymétrie est la plus visible.

Le chapitre IV (ou article 7) laisse ouverte la possibilité de coopérations supplémentaires, à la fois sous la forme d’une « stipulation balai » et avec une directe allusion à un dispositif qui n’existait pas encore à la date de signature de l’accord mais a pris corps depuis (cf. infra).

Le chapitre V (ou article 8) institue une commission bilatérale de suivi de l’accord-cadre. À la différence du chapitre VI (article 9) qui prévoit le règlement de tout différend par la voie diplomatique, le chapitre VII (article 10) qui contient les stipulations finales est original en ce qu’il prévoit que l’accord « s’applique provisoirement à compter de sa signature »… On aura compris qu’il s’agissait de « ratifier » les accords déjà conclus en ordre dispersé par les Communautés autonomes ; mais cette application anticipée a aussi été utilisée pour la commission bilatérale de suivi.

En effet, cette dernière s’est réunie dès le 28 octobre 2005 à Madrid. Elle se compose paritairement de représentants des ministères des deux Parties chargés des affaires étrangères, de l’éducation et de l’enseignement supérieur. Elle ne s’est pas réunie en tant que telle depuis cette date, les réunions de négociations bilatérales en cours sur la double délivrance du baccalauréat et du bachiller en tenant lieu. Tel est le point que votre Rapporteur souhaite aborder avant de conclure son propos.

2) Au-delà des moyens déjà engagés, des perspectives d’approfondissement de la coopération bilatérale

Déjà évoqué plus haut, le développement emblématique en matière de coopération linguistique franco-espagnole dans le domaine éducatif est la concrétisation du double diplôme sanctionnant la fin des études secondaires.

L’accord du 10 janvier 2008 relatif à la double délivrance du baccalauréat et du bachiller s’inscrit dans l’accord-cadre de 2005. Il a pour objet d’établir un cadre de coopération éducative permettant la délivrance simultanée de ces diplômes aux élèves ayant suivi un parcours de formation mixte fondé sur l’apprentissage d’au moins deux disciplines, dont une discipline non linguistique, dans la langue du partenaire.

Le texte de cet accord précise les conditions fixées d’un commun accord pour la délivrance du double diplôme :

− la conception d’un parcours de formation spécifique agréé par les deux parties (sur le modèle de l’AbiBac franco-allemand) qui devrait permettre aux élèves d’atteindre une quasi-autonomie dans la pratique de la langue du partenaire ;

− le mode d’évaluation et la place des disciplines relevant de ce parcours dans l’examen de fin d’études secondaires ;

− la détermination des établissements scolaires habilités à le proposer ;

− les modalités de suivi pédagogique par les autorités éducatives respectives (rôle des corps d’inspection) ;

− la coopération en matière de formation des enseignants concernés par ce dispositif en fonction de la demande et du budget disponible ;

− l’institution d’une commission de suivi pour la bonne réalisation de l’accord.

Ainsi, l’accord-cadre du 16 mai 2005 a déjà produit certains des effets qui en étaient attendus. Pour mieux mesurer ce degré de réalisation, passé et à venir, il n’aurait pas été inutile de formaliser davantage le rôle de suivi et d’évaluation la commission bilatérale ad hoc.

Quant à la concrétisation financière de l’implication française dans la mise en œuvre de cet accord, elle vient certes en complément de l’apport des Communautés autonomes mais dans une mesure qui demeure modeste : en 2009, le budget consacré à la coopération éducative et linguistique en Espagne s’élève à 114 000 euros, dont 37 000 euros d’appui aux sections bilingues et à la coopération éducative et 68 000 euros pour la promotion et la diffusion de la langue française et du plurilinguisme.

CONCLUSION

À l’heure où l’on ne peut que déplorer le recul des moyens d’intervention de la France en matière de diplomatie culturelle, cet accord-cadre en dégage quelques-uns, pour le renforcement de la coopération linguistique et culturelle franco-espagnole en milieu scolaire ; il mérite par conséquent d’être approuvé.

Ce faisant, l’Assemblée nationale se bornerait cependant, dans la foulée du Sénat, à adopter conforme un texte déjà appliqué par anticipation depuis 2005, année de sa signature. L’implication du Parlement ressemble, dans ce cas d’espèce, à un simple exercice de validation.

Au-delà, on aurait pu souhaiter qu’en intervenant dans le champ linguistique et scolaire entre la France et l’Espagne, un tel accord évoque la place des langues régionales qui ne sont pas, l’exemple de l’Espagne le montre, contradictoires avec la promotion des langues nationales.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 13 mai 2009.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

Mme Nicole Ameline. Je m’interrogeais sur le fait que ce serait le trilinguisme, s’il était imposé en Europe, qui serait seul à même d’assurer la survie de langues nationales comme le français au niveau international. On voit en effet que la part des Etats où on apprend majoritairement l’anglais en deuxième langue, et qui suppriment l’obligation d’apprendre une troisième langue vivante, est croissante.

A-t-on des données sur le succès des démarches de coopération entreprises avec l’Allemagne sur ces sujets ? Si l’on veut défendre le français dans le monde, il faut en effet commencer par le défendre en Europe !

M. Jean-Paul Bacquet. Le taux d’élèves espagnols apprenant le français me paraît très faible, ce qui est surprenant et effrayant. Quelle proportion d’Espagnols parlent le français, et réciproquement ? La fin de l’immigration espagnole massive dans notre pays a probablement fait chuter le premier de ces deux chiffres. Or, ce sujet est important, car l’Espagne reste notre deuxième partenaire commercial. Au-delà de ces enjeux, M. Dominique Wolton, linguiste et philosophe reçu par notre Commission il y a deux ans, affirmait que le fait de parler plusieurs langues contribuait à défendre au mieux la langue française.

M. Jacques Bascou, rapporteur. Le nombre de francophones en Espagne est effectivement passé de 2 millions à 300 000 en quelques décennies. En revanche, l’espagnol reste la deuxième langue la plus fréquemment apprise en France après l’anglais.

La partie espagnole ne comprend pas que l’Union européenne n’ait pas reconnu sa deuxième langue officielle, le catalan, qui est pourtant plus parlée que le danois ou le maltais. Je considère qu’il vaut mieux, pour le bien de la francophonie, être pragmatique qu’idéologue. En réalité, derrière le présent accord, on trouve les relations de notre pays avec les provinces espagnoles, et il est vrai que le fait qu’il y ait des langues co-officielles dans une province ne nuit pas à l’enseignement de langues étrangères.

M. Jean-Paul Bacquet. Dominique Wolton rappelait que l’espagnol pourrait devenir la première langue des Etats-Unis dans quelques années.

M. Michel Terrot. Pourquoi cet accord a-t-il été ratifié cinq ans après sa signature ? Comment expliquer ce retard ?

M. Jacques Bascou, rapporteur. Il n’y a pas d’explication particulière si ce n’est la lenteur traditionnelle de la procédure préalable à l’examen des projets de loi de ratification. La ratification du présent accord a d’ailleurs une valeur relativement symbolique, puisque ses principales dispositions sont déjà en vigueur.

Les sommets franco-espagnols de janvier 2008 à Paris et d’avril 2009 à Madrid ont sans doute permis de relancer les procédures internes, à la demande instante de nos partenaires. Le Gouvernement espagnol entend en effet reprendre la main, dans le domaine des langues, face à la multiplication d’accords passés dans ce domaine par les provinces, faisant usage de leurs compétences en matière de coopération décentralisée.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 1590).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d’Espagne sur les dispositifs éducatifs, linguistiques et culturels dans les établissements de l’enseignement scolaire des deux États, signé à Madrid le 16 mai 2005, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord-cadre figure en annexe au projet de loi (n° 1590).

© Assemblée nationale

1 () Doc. AN n° 657.