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N
° 1675

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 mai 2009

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 906) de M. ALAIN BOCQUET tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles a été préparée puis prise par Michelin, la décision de fermer l'usine Kléber de Toul (Meurthe et Moselle), et sur les contre-propositions économiques et industrielles élaborées par les syndicats en faveur du maintien du site et des emplois,

PAR M. Yves ALBARELLO,

Député.

——

Voir le numéro : 906

INTRODUCTION 5

I.— CADRE GÉNÉRAL 7

L’usine Kléber de Toul 7

Chronologie 7

Deux cultures d’entreprises très différentes 8

Les résultats 2008 du groupe Michelin marqués par la crise 8

Le marché du pneu tourisme camionnette 9

II.— UN TRAVAIL DE TERRAIN 10

III.— UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT DE L'AUTOMOBILE 11

Une crise mondiale 11

Pour le pneu : Pirelli, Continental, Goodyear : des équipementiers dans la tourmente 11

Le marché du pneu tourisme/camionnette de 2ème ligne 13

Une crise française 13

Une crise lorraine 13

Le département de Meurthe-et-Moselle 13

Le site de Toul avait-il un avenir ? 14

Analyse par le groupe Michelin des solutions alternatives éventuelles 14

Conclusions du cabinet Secafi Alpha, missionné par l’intersyndicale CGT-FO 15

IV.— DES PROJETS EXEMPLAIRES DE RECLASSEMENT ET DE FORMATION DES SALARIÉS, AINSI QUE DE REVITALISATION DU TERRITOIRE 16

Les engagements de Michelin 17

Bilan des engagements Michelin au 30 janvier 2009 17

CONCLUSION : IL N’Y A PAS LIEU DE CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 21

Qu’est-ce qu’une commission d’enquête ? 21

L’État joue pleinement son rôle 23

TRAVAUX DE LA COMMISSION 25

MESDAMES, MESSIEURS,

Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mai 2008 et mise en distribution le 10 juin, une proposition de résolution a été présentée par Monsieur Alain Bocquet, président du groupe GDR et seize députés membres de ce groupe. Elle tend à la création d’une commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles a été préparée puis prise par Michelin la décision de fermer l’usine Kléber de Toul (Meurthe-et-Moselle) et sur les contre-propositions économiques et industrielles élaborées par les syndicats en faveur du maintien du site et des emplois.

L’exposé des motifs peut être brièvement résumé comme suit :

1°– Propriété de Michelin depuis 1982, l’usine Kléber de Toul, ouverte en 1969, a fait l’objet d’une annonce de sa fermeture le 3 octobre 2007 ;

Selon l’industriel, dont l’annonce a été accompagnée d’une hausse de l’action en bourse, cette fermeture est justifiée par des coûts de production trop élevés.

2°– Contestée par les syndicats, critiques à l’égard de la délocalisation de certaines productions, la décision de l’industriel a recueilli un avis négatif du Comité Central d’Entreprise (CCE) le 24 avril 2008.

Les conditions de recevabilité de la création d'une commission d'enquête sont réunies.

L'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale définissent les conditions de recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête.

Ces textes prévoient d'abord que la proposition de résolution doit déterminer avec précision soit les faits pouvant donner lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion. La proposition de résolution déposée par plusieurs de nos collègues répond à ces exigences.

La seconde exigence concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire qui interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Par lettre du 4 novembre 2008, Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, qu’aucune procédure n’était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition.

Dans un second courrier du 11 mai 2009, la Garde des Sceaux indique au président Patrick Ollier deux nouveaux éléments :

– le 2 mars 2009, deux cadres de l’usine qui avaient été retenus dans les locaux pendant le mouvement social de février 2008 ont déposé une plainte avec constitution de partie civile du chef de séquestration ;

– une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris le 6 avril 2009 du chef de blanchiment. Cette enquête fait suite à un courrier de la direction générale des finances publiques du ministère du Budget transmis en application de l’article 40 du code de procédure pénale et dans lequel le nom du groupe Michelin est évoqué.

Ces procédures judiciaires en cours ne sont sans rapport avec l'objet de la commission d'enquête en ce que le groupe Michelin est concerné, mais leur existence ne suffit pas à faire obstacle à sa création. En effet, l'objet de la proposition de résolution concerne la stratégie de l’entreprise Kléber dans la stratégie d’ensemble du groupe Michelin.

Par ailleurs, selon une pratique constante depuis 1971, il a été admis que l'existence de poursuites judiciaires n'était pas, à elle seule, un obstacle à la création d'une commission d'enquête, mais constituait un élément à prendre en compte pour limiter ses pouvoirs d'investigation « dans la mesure de l'étendue des faits dont est saisie, pour sa part, l'autorité judiciaire ».

Les faits signalés par la Garde des Sceaux nous obligent simplement à veiller à ce que la commission d'enquête ne porte pas sur ces éléments.

Ainsi, le fait qu'un certain nombre de personnes liées à des mouvements à caractère sectaire faisaient l'objet de poursuites judiciaires devant diverses juridictions n’a pas fait obstacle à la création d’une commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs le 28 juin 2006.

La proposition de résolution qui est soumise à notre examen remplit donc parfaitement les conditions de recevabilité, et c’est sur sa pertinence que nous devons nous prononcer.

I.— CADRE GÉNÉRAL

L’usine Kléber de Toul

L’usine Kléber de Toul est spécialisée dans le pneu de tourisme de moyenne gamme, un marché très attaqué par nos concurrents asiatiques, moins chers de 50 %.

Près de 830 salariés, titulaires d'un contrat à durée indéterminée, et une cinquantaine d'intérimaires ont perdu leur emploi du fait de la fermeture du site. S'y ajoutent les répercussions pour les sous-traitants.

Chronologie

– 1965 : Michelin entre au capital de Kléber

– 1969 : création de l’usine de Toul

– 1981 : Michelin devient majoritaire au capital de Kléber

– depuis 2001 : les salariés travaillent 40 heures par semaine, pour 2 jours de RTT supplémentaires

– 2006 : un accord prévoit 6 jours de travail en plus par an, contre 6 % de hausse salariale

– 2006 : Michelin lance une nouvelle gamme de pneus, fabriqués partout sauf à Toul

– 2006 : arrêt en Lorraine de la production des pneus pour camionnettes, qui représentait 1/3 des volumes

– 3 octobre 2007 : Michelin annonce la fermeture pour le début 2009 du site de Toul. 836 salariés sont concernés

– 17 octobre 2007 : Mme Nadine Morano alors député, rencontre le Premier ministre et demande que le dossier Kléber soit prioritaire pour le Gouvernement

– 21 décembre 2007 : installation du comité de suivi à la préfecture

– 6 et 7 février 2008 : Le Président de la République reçoit les dirigeants de Michelin puis les responsables syndicaux

– 14 au 17 février 2008 : le chef du personnel et le directeur des relations sociales de l’entreprise sont séquestrés contre leur gré, pendant plusieurs jours par des salariés contestant les mesures d’accompagnement du plan social

– 22 février 2008 : Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, préside le comité de suivi

– 19 mai 2008 : ouverture des ateliers de transition professionnelle (ATP)

– automne 2008 : Michelin annonce la création à Toul d’un centre de relations clients générant 150 embauches, projet porté par la société Acticall devant être opérationnel en février 2009. Michelin annonce également l’implantation d’une plate-forme européenne de recyclage, Ecorevia, développée avec Sita (Suez) et Renault (135 emplois + à terme une trentaine de chercheurs).

– 25 novembre 2008 : arrêt de la production

– 31 décembre 2008 : cessation d’activité déclarée de l’usine et du centre technique

Deux cultures d’entreprises très différentes

Il a été frappant de constater, lors de la journée d’auditions à Toul, que cette question a été abordée spontanément par toutes les parties prenantes évoquant une différence marquée entre les cultures d’entreprise de Michelin et de Kléber, que résument les concepts de la « famille » et de la « maison ».

Les résultats 2008 du groupe Michelin marqués par la crise

Leader mondial du pneumatique avec 17,1 % du marché

Un bénéfice de 286 millions d’euros en 2008

Un chiffre d’affaires en baisse, de 16,8 milliards d’euros en 2007 à 16,4 milliards en 2008

Une marge opérationnelle en baisse, de 9,8 % en 2007 à 5,6 % en 2008

Des résultats nets en baisse, de 772 millions d’euros en 2007 à 357 millions en 2008

Un résultat opérationnel avant éléments non récurrents en retrait de 44 % traduisant essentiellement, outre la diminution des volumes vendus, le renchérissement des matières premières et le coût de la sous-utilisation des capacités industrielles

Après une hausse de 3,2 % en 2007, les volumes vendus baissent de 2,9 % en 2008 (- 16 % au quatrième trimestre en raison du recul particulièrement fort de la demande)

Le dividende par action proposé à l’assemblée générale des actionnaires du 15 mai 2009 est en baisse, à 1 euro par action, alors qu’il s’élevait à 1,60 euro par action en 2008.

En 2009, Michelin donnera la priorité à la gestion de sa trésorerie, par l’optimisation du pilotage industriel et la forte réduction de ses investissements. La réduction des investissements devrait être forte en 2009, et priorité donnée au développement dans les zones de croissance.

L’impact de la sous-utilisation des capacités industrielles du fait des ajustements conjoncturels de production décidés dans la plupart des usines du groupe s’est traduit par une charge conjoncturelle de 224 millions d’euros, dont 170 millions d’euros sur le seul dernier trimestre 2008. Ce montant regroupe les effets de la sous-activité sur la productivité, les amortissements et les coûts externes.

Le marché du pneu tourisme camionnette

Les ventes de Michelin sur ce marché représentaient en 2008 91 millions d’unités « première monte » et 277 millions d’unités « remplacement » en Europe. L’Europe représente 32 % d’un marché mondial de 1,1 milliard de pneus.

Le marché du remplacement a connu une croissance globale de 30 % en dix ans, deux fois plus importante dans les zones émergentes dites « BRIC » que dans les zones matures (Europe et Amérique du nord). Près de 60 % des points de vente dans le monde sont situés dans les pays émergents !

ÉVOLUTION DES MARCHÉS PNEUMATIQUES TOURISME CAMIONNETTE EN 2008

 

Europe

Amérique du Nord

Asie

Amérique du Sud

Afrique -MO

Total

Première monte

-7,2 %

-16,5 %

+1,9 %

+8,2 %

+13,8 %

-4 %

Remplacement

-4 %

-5,3 %

+2,7 %

+2,4 %

+3,2 %

-2,2 %

En Europe : le marché « première monte » s’établit à la baisse, sous l’effet des arrêts massifs de production décidés en fin d’année par les constructeurs automobiles ; le recul du marché du remplacement, avec une accélération sur le dernier trimestre, s’explique par la hausse des prix du carburant, la diminution des kilométrages parcourus, la réduction de la vitesse moyenne des véhicules et le report des achats.

La baisse des ventes a été renforcée par un effet volume pour le pneu tourisme camionnette par les effets du déstockage opéré dans la distribution. La marque Michelin a résisté, renforçant ses positions commerciales dans toutes les zones.

II.— UN TRAVAIL DE TERRAIN

Votre rapporteur, soucieux d’éclairer pleinement la commission, a effectué un travail préparatoire plus approfondi qu’il n’est habituel à ce stade de nos travaux.

Un déplacement en Meurthe-et-Moselle le 19 février 2009 a permis de rencontrer le représentant de l’État et des responsables d’administration, de s’entretenir avec la direction de l’entreprise et les syndicats, ainsi que d’arpenter les locaux de l’usine Kléber pour observer l’état de l’outil de travail.

Programme du déplacement du 19 février 2009

8h42 : Arrivée en gare de Nancy. Accueil par Monsieur Frédéric BERNARDO, directeur de cabinet du préfet de Meurthe-et-Moselle

9h-10h : Entretien avec M. Hugues PARANT, préfet de Meurthe-et-Moselle

10h : Départ pour Toul, sur le site de KLEBER

10h30 : Entretien avec M. Marcel LALITTE, directeur du personnel de KLEBER, chargé de la mise en oeuvre du suivi du PSE, et M. Michel GERMAIN, représentant de la SIDE

Visite du site

13h : Déjeuner sur le site

14h30-15h30 : Entretien avec M. Bernard BREYTON, sous-préfet de Toul, M.Christian ESTIENNE, directeur adjoint du travail, et Madame Laurence FLAMENT, directrice du Pôle emploi de Toul

15h30-16h30 : Entretien avec les représentants syndicaux : M. Pierre KOVALSKI (CGT), Guy PERNIN (CGT), M. Jacques AUXERRE (FO)

16h30 : Départ pour le site de Kléber

17h-18h30 : Visite des ateliers de transition professionnelle (ATP) avec le responsable du site, M. Marc ROZEN

20h15 : Départ pour Paris

Ces auditions ont été complétées par plusieurs rencontres et entretiens à Paris avec M. Patrick Lepercq, directeur général des affaires publiques de Michelin, ainsi qu’avec M. Philippe Gustin, directeur adjoint du cabinet de Mme Christine Lagarde. Les représentants de la CGT ont également transmis à plusieurs reprises des documents complémentaires.

En outre, votre rapporteur s’est naturellement entretenu à plusieurs reprises de ces questions avec les ministres concernés.

III.— UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT DE L'AUTOMOBILE

La situation de l’usine Kléber traduit, de manière un peu anticipée, la crise du marché de l’automobile et la multiplication actuelle des conflits sociaux, y compris sous certaines de ces formes les plus discutables, traduisant l’ampleur du choc qu’affrontent les salariés, et des situations personnelles douloureuses.

Force est de constater hélas que si la fermeture de l'usine avait été décidée aujourd'hui le plan social aurait été bien moins favorable aux salariés.

Une crise mondiale

Début mars, General Motors affirmait que sa branche européenne pourrait être à court d’argent d’ici un mois si les pays européens n’apportent pas une aide financière d’urgence. 300 000 emplois sont en jeu, alors que les surcapacités industrielles sont évaluées à 30 % en Europe, soit trois usines de trop.

Extrait des Echos, 4 mars 2009, à l’occasion du Salon de l’automobile :
« La crise vue par 5 patrons de l’automobile »

– Jean-Philippe Collin, DG de Peugeot : « En 2009, nous sommes toujours sur l’idée d’un marché européen à -20 % »

– Patrick Pélata, DG Renault : « nous ne sommes pas au point le plus bas en matière de marchés automobiles, mais on en est peut-être plus très loin. Il y a deux choses différentes : le marché européen a l’air de s’installer sur une tendance de fond, à -25 %, mais par-dessus, il y a les effets de certaines primes à la casse qui rectifient le mouvement. En fait à mes yeux, la dérive négative a fortement diminué ».

– Martin Winterkor, PDG Volkswagen : « Nous ne savons pas combien de temps va durer la crise actuelle ».

– Tadashi Arashima, pdt Toyota Europe : « L’étendue et l’ampleur de la crise sont absolument sans précédent. Très peu d’acteurs en sortent indemnes ».

– John Fleming, PDG Ford Europe : « pour le 1er semestre, nous prévoyons un marché européen, toutes marques confondues, à -20 -25 %. Et 2010 est particulièrement difficile à prédire. (…) en ce qui concerne Ford Europe, nous avons différé certains programmes et nous avons enlevé des capacités. La question est maintenant de savoir ce qu’il faut faire si nous voulons aller plus loin. En tout cas, je n’envisage pas de fermeture d’usines ».

Pour le pneu : Pirelli, Continental, Goodyear, des équipementiers dans la tourmente

Le marché mondial du pneumatique représentait un chiffre d’affaires de 127 milliards de dollars en 2007. En 2008 : Michelin détient 17,1 % du marché mondial du pneu.

1,1 milliard de pneus tourisme et camionnette ont été vendus sur le marché mondial en 2008.

Si le secteur des pneumatiques s’est longtemps distingué par une forte croissance, gagnant en valeur de 5,9 % par an, soit un triplement sur 20 ans, ces marchés ont connu une forte baisse au premier semestre 2009, subissant la crise violente de l’automobile.

Pirelli après l’annonce de 1 500 suppressions d’emplois en Europe en 2008, prévoit en 2009 un programme 2009-2011 de réduction des coûts de 300 millions d’euros dans la division pneus. En 2008, Pirelli avait déjà annoncé la suppression de 1 500 emplois en Europe dans cette division et la focalisation de la croissance sur les marchés émergents : Chine et Russie. Il n’y aura pas de versement de dividende en 2008 compte tenu de la forte baisse du résultat et du chiffre d’affaires.

Continental a annoncé le 11 mars 2009 la fermeture de l’usine de Clairoix, dans l’Oise, qui compte 1 120 salariés. Le bénéfice de l’équipementier allemand était en recul en 2008 de 39 % par rapport à 2007. La fermeture définitive est prévue avant le 31 mars 2010 et celle d’un autre site de production à Hanovre est également annoncée. 1 900 personnes sont donc concernées au total. Pourtant, des engagements avaient été pris il y a trois ans à Clairoix : l’augmentation du temps de travail devait permettre le maintien des emplois.

Quelques chiffres sur la situation de Michelin montrent clairement le contexte difficile auquel est confrontée l’entreprise :

En 2008, une chute des ventes en volume de 2,9 % et de 2,7 % en valeur (après +3,2 % et +3 % en 2007).

Des effectifs en baisse constante, passés de 120 456 ETP en 2004 à 110 252 au 31 décembre 2008.

Une répartition quasi constante des effectifs entre pays émergents (33 % en 2006 et 2007, 34 % en 2008) et matures (66,66 % et 67 %).

Des effectifs qui diminuent en Europe de l’ouest (55 106 personnes en 2008, 57 204 en 2007) comme en Europe de l’est (12 489 en 2008 et 13 378 personnes en 2007).

Cette situation est particulièrement flagrante pour le segment de marché de l’usine Kléber Toul (tourisme et camionnette) : un résultat net en baisse de 54 % en 2008 après une hausse de 35 % en 2007, et des ventes nettes en baisse de 4,1 % en 2008 après une faible hausse de 0,6 % en 2007.

Le marché du pneu tourisme/camionnette de 2ème ligne

En 2008 le marché de la première monte a reculé de 4 % (-7,2 % en Europe), du fait des arrêts massifs de production décidés en fin d’année par les constructeurs, tandis que celui du remplacement perdait 2,2 % (-4 % en Europe).

Une crise française

La part de l’industrie dans l’économie française continuera de reculer d’ici à 2010 : la baisse de la production industrielle est estimée à 9 % en 2009 et encore à 2 % en 2010. Parmi les régions les plus touchées figurent le Nord Pas de Calais, l’Alsace, l’Auvergne, la Bretagne, la Lorraine, la Picardie, la Normandie, Rhône–Alpes et le Limousin (1). Quant aux défaillances d’entreprises en 2008, elles ont augmenté de 15 %.

Une crise lorraine

La Lorraine est une région éprouvée, marquée par les décisions rapprochées de fermetures d’établissements de Total à Carling, de Mittal à Gandrange, de Kléber à Toul, de Cignet, qui réveillent, vingt-cinq ans après la marche des sidérurgistes sur Paris, le spectre d’une nouvelle désindustrialisation.

En cinq ans, l'industrie a perdu 22 000 emplois salariés en Lorraine ; le bassin d'emploi de Toul, malgré les difficultés passées, était fin 2006 le plus dynamique du département, avec un taux de chômage de 7,3 %, jouissant notamment d'une situation favorable, situé à proximité de Nancy et bien desservi par les axes de communication.

Mais dans un bassin de 22 000 salariés, ce sont 4,2 % d'entre eux qui sont directement concernés par la fermeture de Kléber, à quoi il faut ajouter tous les emplois induits, difficiles à chiffrer, chez les sous-traitants, les fournisseurs et dans la vie économique locale.

Fin décembre 2008, la Lorraine comptait 83 000 demandeurs d’emplois de catégorie 1, en hausse de 14,6 % sur un an. Le taux de chômage en Lorraine fin 2008 était de 7,5 % alors qu’il était de 7,3 % pour la moyenne nationale, et de 7,1 % pour la Meurthe-et-Moselle.

Le département de Meurthe-et-Moselle

En 2005 le département comptait 722 000 habitants, et 243 400 emplois, dont 23 % dans le secteur industriel, secteur qui connaît une tendance à la baisse.

Il se caractérise par un tissu d’entreprises privées plutôt de petite taille offrant des activités de service.

Le site de Toul avait-il un avenir ?

C’est toute la controverse.

Le groupe rappelle que l’usine de Toul fabrique des pneus limités au milieu de gamme, fortement concurrencés depuis cinq ans par les importations des pays à faibles coûts de production, asiatiques bien sûr, sur un marché déjà en surcapacité.

L’usine se caractérise par un coût de production supérieur de plus de 50 % à ses concurrentes, malgré les 45 millions d’euros investis ces dernières années (certes on peut se demander s’ils visaient vraiment à améliorer l’avenir de l’usine et pas seulement à la maintenir à flot quelques années seulement) et la qualification et l’implication, reconnues par tous, de l’ensemble du personnel.

Le groupe estime que les limites technologiques de l’outil industriel empêchent sa reconversion pour produire des pneus de haut de gamme dans des conditions économiquement viables. Les syndicats contredisent ce point, mais reconnaissent la lourdeur des investissements nécessaires à cette fin, la paralysie temporaire de l’usine, et la perte d’un quart des emplois au moins dans un tel scénario.

La contribution de l’usine au résultat économique de la société Kléber est négative.

Le groupe Michelin compte 31 sites de production en Europe de l’ouest et 7 en Europe de l’Est, sur un total de 69 sites dans 19 pays.

Pour la ligne produits tourisme camionnette Michelin dispose de 19 sites en Europe : Cholet, Clermont-Ferrand (2), Lille, LMontceau-les-Mines, Roanne, Dundee, Lasarte, Valladolid, Vitoria, Cuneo, Turin, Bad-Kreuznach, Bamberg, Victoria, Nyiregyhaza, Olsztyn, Davydovo, Pirot

Analyse par le groupe Michelin des solutions alternatives éventuelles

En préalable au projet d’arrêt de la production de l’usine de Toul, Michelin a procédé à l’étude des solutions alternatives qui lui semblaient envisageables. Le groupe a estimé qu’elles n’étaient pas viables d’un point de vue économique, ou contradictoires avec sa stratégie industrielle. Ces solutions alternatives ont été présentées au comité central d’entreprise du 24 janvier 2008.

Alternative 1 : augmentation du volume de production du site. Cette option se ferait au détriment d’usines dont les capacités sont plus importantes sans garantir pour autant des niveaux de coûts compétitifs à Toul. Elle aurait, par conséquent, pour résultat de renchérir globalement les coûts pour l’ensemble du Groupe Michelin.

Alternative 2 : montée en gamme des pneumatiques fabriqués par le site. Cette option conduirait de fabriquer uniquement des pneumatiques « haut de gamme » Kléber/BF Goodrich en raison du procédé industriel installé sur le site. Les volumes accessibles sur ce segment de marché sont plus limités et les coûts de revient seraient, néanmoins, rapidement disproportionnés par rapport aux prix de vente de cette gamme de pneumatiques alors que Michelin dispose des capacités suffisantes pour produire cette même gamme dans des usines plus performantes.

Alternative 3 : conversion du site avec mise en place du procédé de fabrication Michelin. Même un investissement très important (selon les options il peut s’élever jusqu’à 130 millions d’euros) ne permettrait pas de lever le handicap de compétitivité pesant sur l’usine de Toul. Celle-ci resterait donc moins compétitive que les autres sites (coût plus de 50 % supérieur aux usines du Groupe les plus performantes d’Europe de l’Ouest). Réinvestir dans des capacités dont dispose déjà Michelin constituerait, par ailleurs, une erreur stratégique majeure qui mobiliserait d’importantes ressources au détriment de nouveaux développements pour des marchés en croissance.

Alternative 4 : reprise du site par un manufacturier concurrent. Les manufacturiers européens déploient la même stratégie industrielle que Michelin, avec parfois un temps d’avance. Les manufacturiers asiatiques choisissent, quant à eux, de s’installer dans les pays européens à bas coûts de production pour maintenir des prix de vente très inférieurs à ceux de Kléber et gagner ainsi des parts de marché. Le choix récent de Hankook et d’Apollo Tyres de s’implanter en Hongrie confirme cette analyse.

Alternative 5 : moratoire sur l’arrêt de la production jusqu’en 2011. Le problème de compétitivité du site de Toul est structurel. Le moratoire ne changerait donc rien à l’issue et pénaliserait l’ensemble du Groupe Michelin qui aurait à supporter pendant 3 années supplémentaires une structure de coûts trop élevés, empêchant tout ajustement des prix de vente et se traduisant par des pertes de parts de marché en Europe. Le reclassement du personnel de l’usine pourrait, quant à lui, s’avérer plus difficile.

Conclusions du cabinet Secafi Alpha, missionné par l’intersyndicale CGT-FO :

Selon le rapport des experts du cabinet Secafi, le groupe Michelin aurait volontairement créé une sous-activité sur son site de Toul, en transférant massivement des productions vers des usines d'Europe de l'Est ou d'Allemagne et aurait provisionné, depuis les années quatre-vingt, les 130 millions d'euros prévus pour fermer le site toulois.

Pour ce cabinet, l'usine serait viable à peu de frais : il suffirait de remettre une seule chaîne de production sur le site. Cela coûterait environ 64 millions d’euros, soit la moitié environ de la somme que Michelin s'apprête à dépenser pour fermer le site et indemniser les salariés. Ce surcroît de production nécessiterait en plus l'embauche d'une centaine de salariés pour produire environ 4,5 millions de pneus annuellement.

Il s’agit toutefois d’un raisonnement au seul niveau du site et non pas au niveau du groupe, comme si l’usine de Toul pouvait exister par elle-même, indépendamment d’une stratégie d’ensemble.

Les deux analyses sont donc en totale discordance. L’absence de plainte contestant la validité du caractère économique des licenciements n’a pas permis de recourir à une analyse tierce, de solliciter un expert par le biais de la justice, expertise qui aurait pu émaner de la CCI, de l’INSEE ou de la DIACT par exemple.

Est-ce aujourd’hui à l’Assemblée nationale de jouer ce rôle ? La création d’une commission d’enquête, procédure très spécifique qui répond à des objectifs précis, n’a pas à résulter d’un choix tactique des syndicats.

IV.— DES PROJETS EXEMPLAIRES DE RECLASSEMENT ET DE FORMATION DES SALARIÉS, AINSI QUE DE REVITALISATION
DU TERRITOIRE

Ayant fait le choix industriel et économique de la fermeture de l’usine Kléber de Toul, le groupe Michelin en assume toutes les conséquences sociales, ainsi que leur coût financier, conscient du drame personnel pour les salariés, économique et social pour la région.

Le projet proposé par le groupe est un projet d’ensemble, pour l’entreprise Kléber et pour ses salariés d’une part, pour les différents bassins d’emploi (Toul mais aussi Commercy) d’autre part.

Le cabinet Secafi Alpha reconnaît l’existence, dès 2004-2005, de dépenses de formation très supérieures aux obligations légales (1,5 % de la masse salariale chez Michelin : supérieures à 2,2 % en 2004 et 2005) mais regrette que l’employabilité soit restée limitée au contexte de Kléber.

Pour le reclassement des salariés, Michelin est allé au-delà des obligations légales, et on peut parler d’un plan exemplaire.

Pour l’ensemble des propositions présentées ci-après, Michelin a mis en place un dispositif d’accompagnement de 9 à 12 mois, dans des ateliers de transition professionnelle (ATP) :

– des conseillers professionnels pour suivre le salarié jusqu’à l’aboutissement de son nouveau projet ;

– des bilans de compétence et une valorisation des acquis professionnels ;

– des formations en interne ou à l’extérieur de l’entreprise entièrement prises en charge par Michelin ;

– un droit à l’erreur (la période d’essai prolonge le temps de transition).

La présence de Pôle emploi sur le site même de l’entreprise constitue un dispositif particulièrement utile.

Il faut heureusement noter aussi l’importance des créations d’entreprise, qui représentent plus de 8 % des projets des salariés ayant rejoint les ATP. 18 projets sur un total de 62 ont déjà été finalisés.

L’analyse aussi approfondie d’un projet de reconversion est réellement rare. Offrir aux salariés des solutions privilégiant l’autonomie, viables à long terme, est vraiment la meilleure solution en cas de crise.

Les engagements de Michelin :

– coût du plan social : au bas mot 130 millions d’euros

– fournir à chaque salarié de Toul deux propositions de postes dans une des 16 usines françaises du groupe ; prime de mobilité, aide à la recherche d'un emploi pour le (ou la) conjoint(e), etc.

– pour ceux qui ne seraient pas reclassés, une période de transition de 9 à 12 mois pendant laquelle les personnes pourront conserver leur salaire ; un complément de salaire pour ceux qui trouveraient un emploi moins bien rémunéré dans une autre entreprise : de 100 % la 1ère année, 66 % la 2ème et 33 % la 3ème.

– des indemnités de licenciement équivalentes à 20 mois de salaire net pour 18 ans d'ancienneté (la moyenne d'ancienneté étant de 18,5 ans) ; indemnité de licenciement de 2 500 euros par an.

– une association avec le groupe Suez pour construire un nouveau centre industriel sur le site de Kléber/Toul (valorisation des produits en fin de vie, notamment les produits en caoutchouc, métaux et plastiques, puis création d’un centre de recherche, de développement et de formation pour la valorisation des matières premières), susceptible de créer plusieurs centaines d'emplois, à partir de 2011. (C’est déjà Suez qui avait dépollué et assuré la revitalisation économique de Metaleurop). C’est le projet Campus prévoyant un investissement de 50 millions d’euros, dont 12 à la charge de Michelin et 22 de Suez.

– la création de 900 emplois dans les 5 ans par la SIDE (société d’industrialisation et de développement économique), filière de Michelin : projet FETIA, consortium de plusieurs sous-traitants du groupe Suez, spécialisés dans le recyclage de déchets industriels et la dépollution, 600 emplois étant prévus avec des entrepreneurs locaux, et 300 emplois dans le cadre du pôle Ecorevia.

Bilan des engagements Michelin au 30 janvier 2009 

Le personnel a été réparti en 5 groupes.

60 personnes ont bénéficié d’une solution définitive sans entrer dans les ATP (ateliers de transition professionnelle)

– pour les salariés des trois premiers groupes (entrés dans les ATP respectivement les 19 mai, 23 juin et 6 octobre 2008) : 290 personnes sur 460 ont déjà retrouvé un emploi, soit près de 2/3 des salariés (emploi définitif pour 267 personnes, 17 encore en période d’essai)

– dans le 4ème groupe, entré dans les ATP le 1er décembre 2008, 31 personnes sur 103 ont déjà retrouvé un emploi (définitif pour la moitié, période d’essai pour l’autre moitié)

– dans le 5ème groupe, entré dans les ATP le 5 janvier 2009 ; en moins d’un mois, 7 personnes avaient retrouvé un emploi définitif et 3 étaient en période d’essai, sur 184.

La convention de revitalisation signée entre la SIDE (groupe Michelin) et la préfecture, conformément à la loi de cohésion sociale, a été signée le 2 décembre 2008.

Les objectifs portent sur 900 emplois sur 5 ans, avec la création de 300 emplois par la réindustrialisation du site de Toul à travers Ecorevia et de 600 emplois par la venue d’entreprises extérieures au bassin et l’aide de Michelin au développement des PME locales.

Le projet Ecorevia consiste en un pôle de compétences européen pour la conception et la production de nouvelles matières premières issues du recyclage. Il est mené en partenariat avec Sita France, filiale de GDF Suez. Une étude est engagée depuis fin novembre 2008 sur l’implantation des activités FETIA sur le site Ecorevia.

Trois projets sont en cours, qui créeront entre 100 et 140 emplois à partir de 2010 sur le site : ils portent sur la granulation de caoutchouc à partir de produits reclassés de fabrication des usines Michelin Europe et sur le recyclage de plastiques et de véhicules usagés (partenariat avec Renault).

Le 31 octobre 2008 a vu l’annonce du projet du centre de relations clients Acticall (viable grâce à son principal client, GDF Suez) ; il devrait permettre la création de 150 emplois dès maintenant, avec une extension possible à 250 emplois d’ici début 2011.

Trois conventions entre Michelin et des entrepreneurs du bassin d’emploi de Toul ont déjà été signées, portant sur des aides financières permettant la création d’une centaine d’emplois dans les 3 ans à venir.

Bilan de la convention de revitalisation SIDE au 30 janvier 2009 :

– développement des entreprises existantes : 108 visites effectuées dans 44 entreprises ; 3 entreprises ont été aidées par des prêts à taux bonifié sans demande de garantie ; 77 emplois CDI seront créés dans le cadre d’une convention sur 3 ans, tous industriels et tous situés à Toul ou en périphérie. Sur ces 44 entreprises, 29 n’avaient pas recours à ce stade à l’aide financière de la SIDE et 12 étaient en discussion pour signer une convention, l’enjeu étant supérieur à 150 emplois.

– emplois exogènes : 150

Soit au total 227 emplois aidés sur le bassin en décembre 2008 pour 251 000 euros engagés.

Quant à la réindustrialisation du site, la préparation des implantations des 3 activités avec SITA suivait son cours, la rénovation du bâtiment pour Acticall était conforme au calendrier prévu et deux autres projets d’implantation faisaient l’objet d’études préliminaires.

*

* *

On peut penser que si la décision de fermeture de l’usine de Toul avait dû être prise ces derniers temps, le plan de reclassement serait nettement moins favorable aux salariés.

Les engagements du groupe Michelin étaient déjà en voie d’être suivis lorsque la commission des affaires économiques s’est saisie de la question. Malgré la crise, les engagements pris en 2008 ont continué à être respectés en 2009, comme l’indique le tableau suivant.

CONCLUSION : IL N’Y A PAS LIEU DE CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Qu’est-ce qu’une commission d’enquête ?

Les commissions d’enquête ont vu leur rôle renforcé avec la réforme de la constitution de juillet 2008, qui a consacré leur existence dans un nouvel article 51-2 de la Constitution, qui dispose que pour « l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information.

La loi détermine leurs règles d’organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée. »

Elles disposent de pouvoirs très forts, prévus pour des questions graves par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Les conséquences de la création d’une telle commission, dans les circonstances économiques actuelles, dont la gravité apparaît au regard de la multiplication des fermetures d’usines, doivent donc être pleinement appréciées, notamment les incidences pour l’image de l’ensemble du groupe et de ses salariés, au-delà du seul cas du site de Toul.

Contrôle sur pièces et sur place par les rapporteurs

Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis.

Toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. A l'exception des mineurs de seize ans, elle est entendue sous serment. Elle est, en outre, tenue de déposer.

Des sanctions lourdes sont prévues en cas de refus :

La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. + possible interdiction, en tout ou partie, de l'exercice des droits pour une durée maximale de deux ans

Mêmes peines en cas de refus de communiquer les documents.

Sanctions également, prévues par le code pénal, en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin.

Les auditions auxquelles procèdent les commissions d'enquête sont publiques. Toutefois, elles peuvent décider l'application du secret.

Or, rappelons-le, la validité du motif économique de licenciement n’a pas été contestée ici : aucune plainte n’a été déposée en justice sur ce point.

C’est une différence importante avec l’annonce de la fermeture de l’usine Continental de Clairoix, à l’occasion de laquelle M. Luc Chatel, secrétaire d’État à l’industrie, a parlé de « trahison » : il y avait eu à Clairoix un accord il y a trois ans entre les salariés et la direction prévoyant l’augmentation du temps de travail en échange du maintien de l’emploi. Rien de tel ici. Les syndicats ont fait le choix de la politique, non de la justice.

Sur le principe, une commission parlementaire n'a pas vocation à examiner en détail toutes les fermetures d'usines, aussi douloureuses soient-elles.

En l’espèce, il n’est fait état d’aucune malversation en l’état actuel du dossier, ni du mauvais emploi de fonds publics. Seules sont contestées des décisions stratégiques d'entreprise.

Quant à l’interférence entre un éventuel blanchiment pour fraude fiscale avec la situation économique de certains sites industriels du groupe, il ne serait pas possible de l’examiner, compte tenu des dispositions de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Selon Secafi Alpha : « La faisabilité industrielle d’une modernisation totale pour basculer le site au process Michelin, ou partielle, pour réduire les écarts de process par rapport au reste du groupe n’est pas contestable, même si des perturbations du process actuel seraient importantes du fait des investissements ».

Est-ce à nous d’apprécier cette possibilité ?

Est-ce à une commission parlementaire d’apprécier le niveau de performance acceptable d’un site ? Non. Ce n’est ni au Parlement, ni d’ailleurs aux syndicats, même s’ils doivent naturellement être entendus, de définir la stratégie des entreprises.

Le groupe Michelin met en avant d’autres éléments à prendre en compte : la situation de surcapacité des usines européennes qui ne sont pas saturées, l’efficacité plus grande des investissements nécessaires s’ils étaient mis en œuvre dans d’autres usines.

Le transfert de production vers d’autres usines du groupe est souvent souligné ; mais est-ce au Parlement d’organiser cette répartition ?

Pour mémoire : sous la XIIème législature, sur 50 propositions de résolution renvoyées à la commission des affaires économiques, les créations de commissions d’enquête décidées ont été rares :

– sur le loup (examen en séance publique en novembre 2002 ; auteur de la demande : C. Estrosi, rapporteur : P. Ollier)

– sur la sécurité du transport maritime (examen en séance publique en février 2003, demande de MM. Edouard Landrain, Christophe Priou et Jacques Barrot, rapporteur : Jacques Le Guen)

– Air lib : seule commission d’enquête (présidée par P. Ollier) sur la situation d’une entreprise, du fait de la mauvaise utilisation de fonds publics ; demande de MM. Patrick Ollier et Jacques Barrot, rapporteur P. Ollier, créée le 19 mars 2003

10 demandes furent examinées et rejetées, dont une transformée en mission d’information.

Sous la XIIIème législature, plus de 16 propositions de résolution ont déjà été renvoyées à la commission des affaires économiques, mais aucune n’a fait l’objet d’un examen particulier. Une seule commission d’enquête a été créée par l’Assemblée nationale depuis 2007, relativement aux conditions de la libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens.

L’État joue pleinement son rôle

Plus largement, le contrôle de l’État est lui aussi régulier et satisfaisant, et son investissement pour l’avenir économique de la région est important.

Le préfet a mis en place un « comité de suivi » composé des services de l'État et de toutes les parties, et qui doit, en collaboration avec les autres acteurs, rechercher des solutions à la fois pour les personnes touchées directement par cette décision et, plus largement, pour le bassin d'emploi de Toul.

Ce comité se réunit très régulièrement, dans des conditions désormais apaisées.

Pour mémoire, la convention État-région pour les mutations économiques pourrait apporter des financements à la reconversion du site. L’État apporte 45 millions d’euros au titre de cette convention.

Le contrôle parlementaire est par ailleurs effectif. 

Plusieurs questions au Gouvernement, écrites et orales, ont ainsi été posées. Dès le 4 octobre 2007, Mme Nadine Morano s’adressait dans ce cadre à Mme Christine Lagarde, la députée exprimant le choc ressenti par tout le Toulois, mais soulignait aussi les coûts de production de l’usine supérieurs de plus de 50 % à ceux de ses concurrents, et rappelait que les engagements de Michelin lors de la restructuration de l’établissement de Poitiers semblaient avoir été tenus.

La ministre indiquait dans sa réponse que la décision de fermer l’usine s’imposait, nonobstant les 45 millions d’euros investis par l’entreprise dans les dernières années, compte tenu des surcoûts de production, et de l’exiguïté du site. Elle mentionnait les engagements du groupe Michelin, qui mène une politique de recherche et développement (R&D), de créer d’ici 2011 4 000 emplois dans le secteur de l’innovation.

Répondant à une question de M. Jean-Yves Le Déaut sur la politique de l’État pour la réindustrialisation de la Lorraine et le soutien à sa compétitivité, Mme Valérie Létard faisait référence le 30 janvier 2008 au Contrat de projet État-région pour lequel la participation de l’État s’élève à 13 millions d’euros, et aux deux pôles de compétitivité pour les matériaux innovants, les produits intelligents et les fibres naturelles.

Le ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi a transmis le 14 avril dernier ces éléments en réponse à une question de M. Jean-Claude Mathis.

Enfin, la commission des affaires économiques auditionne régulièrement M. Luc Chatel sur la situation de nos industries et la politique mise en œuvre par le gouvernement pour la réindustrialisation de nos territoires.

La création d’une commission d’enquête ne paraît donc pas nécessaire à votre rapporteur.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du 13 mai 2009, la commission a examiné, sur le rapport de M. Yves Albarello, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles a été préparée puis prise par Michelin, la décision de fermer l’usine Kléber de Toul (Meurthe-et-Moselle), et sur les contre-propositions économiques et industrielles élaborées par les syndicats en faveur du maintien du site et des emplois (n° 906).

Le Président Patrick Ollier. Je laisse la parole à notre rapporteur, qui a effectué, je veux le souligner, un travail remarquable sur la proposition dont nous sommes saisis par le groupe GDR et exceptionnel s’agissant d’une proposition de commission d’enquête.

M. le Rapporteur. Début février, vous m’avez fait l’honneur de me confier la responsabilité d’étudier, en vue d’un rapport à présenter à notre Commission, la proposition de résolution n° 906 tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de la fermeture de l’usine de Kleber (Groupe Michelin) de Toul en Meurthe-et-Moselle.

A cette fin, je me suis scrupuleusement attaché à examiner le problème sous tous ses aspects. Cela m’a conduit à analyser de nombreux documents, à rencontrer un certain nombre d’interlocuteurs à Paris, enfin à me rendre sur place, à Toul et à Nancy, le 19 février dernier pour une journée entière de travail avec le Préfet, le Sous-Préfet, les fonctionnaires des administrations compétentes, les syndicalistes représentatifs, les dirigeants locaux de la Société Kléber, etc. Je tiens à cet égard à remercier en particulier les responsables CGT qui ont poursuivi ultérieurement ce dialogue en me communiquant périodiquement après notre entrevue de nombreuses et intéressantes informations par courriels.

Par ailleurs, j’ai dû tenir compte fin mars et début avril d’informations diffusées dans les médias selon lesquelles le nom de « Michelin » pourrait être cité à l’occasion d’une affaire fiscale délictueuse ayant pour cadre un pays connu en matière d’évasion fiscale, le Liechtenstein. Cet événement a entraîné de ma part une demande complémentaire d’information tant auprès du Ministre du Budget que de la Chancellerie qui vient de donner sa réponse.

En effet, conformément à l’article 141 (alinéa 2 notamment) du Règlement de notre Assemblée Nationale, il a fallu vérifier auprès du Garde des Sceaux si cette affaire fiscale pouvait donner lieu à des poursuites judiciaires sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution précitée. Si tel avait été le cas, nous n’aurions pas pu discuter de cette proposition de résolution. Après vérification, il apparaît que cette affaire fiscale, pour ce que l’on peut en connaître en raison du secret de l’instruction, ne présenterait pas de rapport direct avec l’objet de notre proposition de résolution. Il en est de même pour la plainte en séquestration déposée le 2 mars 2009 par deux cadres du Groupe Michelin.

Ce contretemps a provoqué un retard indépendant de ma volonté ce qui vous explique le recul jusqu’à aujourd’hui de la présentation de mon rapport qui était prêt fin mars lorsque cet événement imprévu a eu lieu.

La proposition de résolution de nos collègues comportait une double demande : d’une part la recherche des « conditions dans lesquelles a été préparée puis prise par Michelin la décision de fermer l’usine Kléber de Toul (Meurthe-et-Moselle) » ; d’autre part l’examen des « contre-propositions économiques et industrielles élaborées par les syndicats en faveur du maintien du site et des emplois ».

L’exposé des motifs, que je résume, précise les raisons de cette double demande. Sur le premier point, nos collègues font valoir que le Groupe Michelin a présenté comme inéluctable la fermeture du site de Toul au regard des pertes enregistrées par cette unité d’exploitation alors que le Groupe n’aurait pas effectué au cours des années antérieures les investissements nécessaires pour en assurer la rentabilité et qu’en tout état de cause les résultats du Groupe montrent, je cite, que « les licenciements annoncés sur Toul ne sont pas nécessaires à la sauvegarde ni à la compétitivité de l’activité Tourisme en Europe du Groupe Michelin, ni à la compétitivité du Groupe Michelin ».

Sur le second point, nos collègues reprennent à leur compte une opinion locale selon laquelle le travail de contre-propositions à la fermeture, effectué par les syndicalistes assistés d’un Cabinet d’étude, la société Secafi-Alpha, « apporte un éclairage significatif sur la pérennité du site.

Les représentants de la direction de Michelin vont devoir sérieusement plancher sur leur dossier pour convaincre l’ensemble des acteurs de la région de la nécessité de fermer l’usine de Toul ».

En conclusion, après avoir affirmé que le Groupe Michelin aurait volontairement créé une situation de sous-activité depuis plusieurs années afin de justifier en 2007 la décision de fermeture, nos collègues estiment que les 130 millions d’euros prévus par Michelin pour la reconversion des personnels seraient mieux employés dans des investissements au profit du maintien de l’usine, pour lesquels 90 millions seulement seraient nécessaires. D’où la demande d’une commission d’enquête permettant de dégager des solutions appropriées, c’est-à-dire le maintien du site et des emplois.

Il m’aurait été possible, depuis le mois de février, de considérer que l’émergence de la grave crise financière et économique mondiale qui sévit depuis l’automne dernier a radicalement transformé les données du problème telles qu’elles existaient au printemps 2008 lorsque la proposition de résolution a été déposée sur le bureau de l’Assemblée Nationale.

Mais je n’ai pas voulu me placer dans cette seule perspective, considérant qu’il fallait examiner aussi le contenu de la proposition de résolution à la date à laquelle elle était déposée. Toutefois, nous ne pouvons pas aujourd’hui traiter le présent et l’avenir en ignorant ce qui s’est passé depuis l’automne dernier.

Reprenons quelques données de base. L’usine Kléber de Toul était spécialisée dans le pneu de tourisme de moyenne gamme, marché qui est très attaqué par les concurrents asiatiques du Groupe Michelin, moins chers de 50 %. En raison de cette concurrence, les salariés ont été obligés d’augmenter leur temps de travail depuis 2001 avec, en contrepartie, des jours de RTT puis une hausse de salaires (6 %, en 2006).

Malgré cet effort, la production des pneus pour camionnettes (soit 1/3 des volumes) est arrêtée en 2006 et le 3 octobre 2007 Michelin annonce la fermeture de l’usine Kléber de Toul pour le début de l’année 2009. Cette fermeture concerne 836 salariés qui perdent ainsi leur emploi.

La vive réaction des salariés de l’usine conduit à la séquestration contre leur gré dans les locaux de l’usine de deux cadres de l’entreprise en février 2008 tandis qu’à l’automne le Groupe Michelin met en place un plan de reconversion. Fin novembre 2008 la production est arrêtée et le 31 décembre 2008 l’unité industrielle est déclarée en cessation d’activité.

Examinons maintenant les éléments du problème exposés par nos collègues.

Si la situation du Groupe Michelin a été satisfaisante jusqu’en 2007, en revanche elle s’est fortement dégradée en 2008 sous l’effet de la crise mondiale. Ainsi le chiffre d’affaires est-il tombé de 16,8 milliards d’euros à 16,4, la marge opérationnelle de 9,8 % à 5,6 %, les résultats nets de 772 millions à 357 millions – Quant aux volumes vendus ils ont baissé de 2,9 % en 2008 alors qu’ils étaient en hausse de 3,2 % en 2007 ; remarquons d’ailleurs à cet égard une baisse de 16 % au quatrième trimestre de 2008, et une baisse de 14,2 % au 1er trimestre 2009. Cette baisse traduit un recul du volume des ventes de près de 25 %.

Un mot également sur les profits des actionnaires. En 2009, le dividende par action est tombé à 1 € alors qu’il était de 1,60 € en 2008.

Que peut-on en déduire ?

Tout simplement que si la fermeture de l’usine avait été décidée aujourd’hui, le plan social de 130 millions €, mis au point par Michelin, aurait certainement été beaucoup moins favorable aux salariés.

En effet, l’automobile, nous le savons tous, subit une terrible crise et cela dans le monde entier. General Motors, PSA Peugeot-Citroën, Renault, Volkswagen, Toyota, Ford Europe et ainsi de suite. Tous les constructeurs automobiles sont confrontés à une forte chute du marché. Naturellement, cette situation est identique en ce qui concerne les fabricants de pneumatiques.

En 2007, le marché mondial du pneumatique était de l’ordre de 127 milliards de dollars avec une croissance moyenne de 5,9 % par an soit un triplement sur 20 ans.

Mais en 2008 et 2009, le marché s’est effondré. Continental, comme nous le savons, a décidé de fermer l’usine de Clairoix dans l’Oise.

Pirelli a supprimé 1 500 emplois en Europe en 2008 et a prévu une économie de 300 millions € en 2009. Tous les marchés du pneumatique sont aujourd’hui en forte baisse en raison de cette crise violente de l’automobile.

S’agissant du marché du pneu tourisme/camionnette de moyenne gamme, on constate la présence de 1,1 milliard de pneus sur le marché mondial. La production est en forte baisse : en Europe, de 7,2 % pour la première monte, de 4 % pour le remplacement. La baisse est moins forte sur le plan mondial : 4 % et 2,2 % respectivement. Or, on sait que la production de l’usine de Toul se situait sur ce marché.

Replaçons par ailleurs le cas du site de Toul dans l’économie lorraine d’une part, française d’autre part. Au cours des 5 dernières années, l’industrie lorraine a perdu 22 000 emplois. Le bassin de Toul se trouve particulièrement éprouvé par la fermeture de l’usine Kléber qui affecte plus de 4 % des emplois industriels existants directement touchés auxquels il faut ajouter un nombre inconnu d’emplois induits (sous-traitants, fournisseurs, vie économique locale, etc.).

S’agissant de la France entière, on constate une augmentation de 15 % des défaillances d’entreprises en 2008 avec un recul de la production industrielle estimé à 9 % en 2009 et 2 % en 2010.

Dans ces conditions, on doit s’interroger : le site de Toul avait-il un avenir ?

Je rappelle que l’usine de Toul fabriquait des pneus de moyenne gamme qui sont fortement concurrencés depuis plusieurs années par des importations en provenance des pays à faibles coûts de production, notamment asiatiques, et cela dans un marché déjà en surcapacité.

Malgré un investissement de 45 millions € réalisé au cours des dernières années, l’usine de Toul montrait un coût de production supérieur de plus de 50 % aux usines concurrentes.

A titre d’exemple un des principaux concurrents du Groupe Michelin le Coréen Hankook, qui demeure l’un des fabricants de pneus ayant la croissance la plus rapide dans le monde, produit dans sa nouvelle usine phare de Geumsan, entièrement automatisée en Corée, sur le même segment de marché 12 millions de pneus avec un effectif de 1 150 personnes que l’on peut comparer à l’usine de Toul produisant 4,5 millions de pneus pour un effectif de 836 personnes.

Enfin, à titre de comparaison :

Le coréen Hankook possède 4 usines pour une fabrication de 60 millions de pneus.

Michelin produit également 60 millions de pneus mais avec 12 usines.

De ce fait, malgré l’implication du personnel dans sa volonté de sauver l’usine et malgré sa qualification reconnue de tous, l’usine de Toul est apparue comme non viable aux dirigeants du Groupe Michelin.

A quel moment ? Sur ce point, il y a divergence.

Les syndicats estiment que l’investissement de 45 millions € n’était pas destiné à améliorer réellement l’usine mais seulement à la maintenir à flot, sa « mort » étant programmée de longue date. Le Groupe Michelin dément et considère avoir fait tout ce qui était possible en temps opportun, c’est-à-dire jusqu’en 2006. Il estime que les limites technologiques de l’outil industriel empêchent sa reconversion pour produire des pneus haut de gamme dans des conditions économiquement viables.

Les syndicats contredisent ce point mais reconnaissent la lourdeur des investissements nécessaires et, même dans cette hypothèse, la disparition d’au moins ¼ des emplois.

Michelin a-t-il étudié toutes les possibilités de maintenir l’usine ?

L’industriel affirme que oui. Il a analysé 5 scénarios alternatifs auxquels il n’a pas donné suite, à savoir :

– augmentation du volume de production du site. Cette alternative se ferait au détriment d’usines dont les capacités sont plus importantes sans garantir pour autant des niveaux de coûts compétitifs à Toul. Elle aurait, par conséquent, pour résultat de renchérir globalement les coûts pour l’ensemble du groupe Michelin.

– montée en gamme des pneus fabriqués sur le site. Cette option conduirait de fabriquer uniquement des pneumatiques « haut de gamme » Kléber/BF Goodrich en raison du procédé industriel installé sur le site. Les volumes accessibles sur ce segment de marché sont plus limités, et les coûts de revient seraient, en outre, rapidement disproportionnés par rapport aux prix de vente de cette gamme de pneumatiques alors que Michelin dispose des capacités suffisantes pour produire cette même gamme dans des usines plus performantes.

– conversion du site avec mise en place du procédé de fabrication Michelin substitué au procédé Kléber. Le principe de fabrication est différent entre le procédé Kleber et le procédé Michelin. Premièrement : la tringle qui se trouve dans le talon du pneu est ronde pour Michelin alors qu’elle est carrée pour Kleber. Deuxièmement : en sortie de fabrication le pneu est suspendu a un crochet pour Kleber, ce qui pour les spécialistes déforme la pneumatique, alors que pour Michelin il est transporté sur un tapis. Même un investissement très important, (selon les options il peut s’élever jusqu’à 130 millions €) ne permettrait pas de lever le handicap de compétitivité pesant sur l’usine de Toul. Celle-ci resterait donc moins compétitive que les autres sites (coût plus de 50 % supérieur aux usines du groupe les plus performantes d’Europe de l’Ouest). Réinvestir dans des capacités dont dispose déjà Michelin constituerait, par ailleurs, une erreur stratégique majeure qui mobiliserait d’importantes ressources au détriment de nouveaux développements pour des marchés en croissance.

– reprise du site par un manufacturier concurrent. Les manufacturiers européens déploient la même stratégie industrielle que Michelin, avec parfois un temps d’avance. Les manufacturiers asiatiques choisissent, quant à eux, de s’installer dans les pays européens à bas coûts de production pour maintenir des prix de vente très inférieurs à ceux de Kléber et gagner ainsi des parts de marché. Le choix récent de Hankook Tyres de s’implanter en Hongrie après un investissement de 500 M€ confirme cette analyse.

– moratoire jusqu’en 2011 quant à l’arrêt de la production et la fermeture de l’usine. Le problème de compétitivité du site de Toul est structurel. Le moratoire ne changerait donc rien à l’issue et pénaliserait l’ensemble du Groupe Michelin qui aurait à supporter pendant 3 années supplémentaires une structure de coûts trop élevés, empêchant tout ajustement des prix de vente et se traduisant par des pertes de parts de marché en Europe. Le reclassement du personnel de l’usine pourrait, quant à lui, s’avérer plus difficile.

C’est pourquoi, à moins de mettre en cause la bonne foi de Michelin, on doit constater que l’industriel a examiné toutes les autres possibilités que la fermeture avant de se résigner à cette décision.

Que penser des conclusions du Cabinet Secafi-Alpha, missionné par les syndicats ?

Selon ce bureau d’études, le Groupe Michelin aurait volontairement créé une sous-activité de l’usine de Toul en transférant massivement ses productions vers d’autres usines du Groupe, notamment en Europe de l’Est. En outre, il aurait provisionné depuis plusieurs années les 130 millions € consacrés à la reconversion afin de pouvoir fermer le site.

Secafi-Alpha estime que l’usine de Toul reste viable à peu de frais en se contentant de remettre une seule chaîne de production sur le site. Le cabinet estime cette opération à 64 millions € soit la moitié environ du plan de reconversion financé par Michelin pour fermer le site et indemniser les salariés. Ce surcroît de production impliquerait l’embauche d’une centaine de salariés. La production annuelle attendue serait de 4,5 millions de pneus.

Confrontées, la vision du Groupe Michelin et celle de Secafi-Alpha et des syndicats obéissent à deux logiques différentes. Michelin raisonne selon une stratégie de Groupe multinational. Secafi-Alpha et les syndicats raisonnent par rapport à un site individuel, celui de Toul, sans tenir compte du Groupe. Cette dernière vision part du postulat selon lequel l’usine de Toul pourrait exister par elle-même indépendamment d’une stratégie d’ensemble.

Chacun a ainsi sa propre logique. D’où la question : qui est qualifié pour définir la stratégie de l’entreprise, surtout quand il s’agit d’un grand groupe multinational employant quelque 130 000 salariés ?

A noter que par rapport à la position de Michelin et à celle de Secafi-Alpha / Syndicats il manque une vision tierce, qui n’a pas été sollicitée, indépendante vis-à-vis de ces deux parties opposées.

Si l’on accepte le point de vue traditionnel légal selon lequel c’est à l’entreprise qu’il appartient de définir sa stratégie, on doit dès lors admettre que Michelin était en droit de fermer son usine de Toul si sa stratégie le justifiait.

En revanche, la décision de fermer l’usine de Toul étant prise, Michelin avait alors le devoir de mettre en œuvre une compensation exemplaire sous forme de reconversion des 836 salariés à travers un plan pouvant servir de référence.

A cet égard, le programme de reconversion en cours d’exécution par Michelin répond manifestement à cette exigence.

Le plan de reclassement proposé par Michelin est exemplaire

De l’ordre de 130 millions €, il s’appuie en priorité sur un dispositif d’accompagnement de 9 à 12 mois dans des ateliers de transition professionnelle (ATP) spécialement créés à Toul par le Groupe. Pendant cette période, les salariés non reclassés conservent leur salaire, ils sont suivis par des conseillers professionnels et reçoivent des formations appropriées en vue d’un nouveau projet individuel. Pôle Emploi est présent sur le site.

Michelin s’est en outre engagé :

– à fournir à chaque salarié de Toul, 2 propositions de postes dans une des 16 usines françaises du Groupe ;

– à verser des indemnités de licenciement équivalentes à 20 mois de salaire ;

– à construire, en association avec le Groupe Suez, un nouveau centre industriel sur le site de Toul (valorisation des produits en fin de vie) ;

– à créer 900 emplois dans les 5 ans grâce à une filiale : la Side (Société d’Industrialisation et de Développement Economique). Un projet FETIA concernant le recyclage de déchets industriels et la dépollution est mis en œuvre.

Le bilan des premiers reclassements fin janvier 2009 est prometteur.

Le personnel ayant été réparti en 5 groupes, on constate :

– que 60 personnes ont été reclassées définitivement sans passer par les ATP,

– que pour les trois premiers groupes, 290 personnes sur 460 ont retrouvé un emploi,

– qu’il en est de même pour 31 personnes sur 103 au titre du 4ème groupe et 7 sur 184 pour le 5ème. Les groupes 4 et 5 sont entrés aux ATP en décembre 2008 et janvier 2009.

Une convention de revitalisation entre la Side et la préfecture a été signée en décembre 2008. Le pôle de compétence européen Ecorevia concernant les matières premières issues du recyclage a été créé en partenariat avec GDF/SUEZ. Plusieurs projets sont en cours : granulation de caoutchouc et recyclage de plastiques pour 100 à 140 emplois, centre de relations Acticall pour 150 emplois avec extension éventuelle à 250, conventions (3) avec des entreprises du bassin d’emploi pour créer une centaine d’emplois (dont 77 déjà créés).

En résumé, on peut affirmer que si la décision de fermer l’usine de Toul devait être prise aujourd’hui, le plan de reclassement serait nettement moins favorable aux salariés.

La création d’une commission d’enquête est-elle justifiée ?

On doit mesurer les conséquences que pourrait provoquer la constitution d’une commission d’enquête dans les circonstances présentes où les industries liées à l’automobile sont particulièrement fragiles.

En outre, si l’on compare le cas de Toul avec celui de l’usine Continental de Clairoix, la situation est tout à fait différente. A Clairoix, il y avait eu un accord il y a trois ans entre les salariés et la direction de l’entreprise au terme duquel le temps de travail avait été augmenté en échange du maintien de l’emploi. Il n’y a rien de tel dans le cas de Kléber/Toul et la validité du motif économique de licenciement n’a pas été contestée par les salariés : aucune plainte sur ce point n’a été déposée en justice.

Sur le principe, il n’y a pas lieu de créer une commission d’enquête à l’occasion de chaque fermeture d’usine, aussi douloureuses que soient ces fermetures.

Au cas particulier, aucune malversation n’a été constatée ni aucun mauvais emploi de fonds publics. Seule est en cause une décision d’ordre stratégique prise par un groupe multinational.

Même si l’on adoptait le point de vue de Secafi-Alpha sur la viabilité éventuelle du site, est-ce à une commission parlementaire d’enquête d’apprécier le niveau de performance économique acceptable d’un site industriel ? D’apprécier l’opportunité d’un choix stratégique éventuel sur lequel les opinions divergent ?

Je ne le crois pas.

Michelin fait valoir divers arguments : surcapacité des usines européennes qui ne sont pas saturées, meilleure efficacité des investissements mis en œuvre dans d’autres usines. Est-ce à une commission d’enquête d’en juger ?

De même en ce qui concerne le transfert de production dans d’autres usines du groupe : qui peut, hormis l’entreprise, organiser cette répartition ?

Ce n’est ni au Parlement ni aux syndicats de définir la stratégie des entreprises.

Dans le passé, la création de commissions d’enquête a été très rare et la seule commission concernant une entreprise a visé la mauvaise et frauduleuse utilisation de fonds publics par la société Air Lib.

Par ailleurs, dans le cas de l’usine de Toul, on constate que l’État joue son rôle. Le « comité de suivi » mis en place par le Préfet est actif et efficace. La Région peut aussi, de son côté, apporter un concours financier non négligeable à la reconversion du site.

C’est pourquoi, l’objectif prioritaire devrait être à mon sens d’obtenir le respect par Michelin de ses engagements de reconversion, en dépit de la nouvelle conjoncture économique.

Les salariés de Kléber/Toul ont sans doute eu le sentiment d’être un peu des laissés pour compte au sein du Groupe Michelin en raison des cultures d’entreprises très différentes entre Kléber et Michelin : la famille chez l’un, la maison chez l’autre. Le débat sur le maintien ou la fermeture de l’usine de Toul est aujourd’hui dépassé : l’usine est fermée, le matériel a été enlevé en grande partie, l’usine ne rouvrira pas.

En revanche, il est indispensable que les engagements en matière de reclassement soient tenus. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle est le mieux placé pour jouer en la circonstance le rôle attendu de l’État et la Ministre de l’Economie, Madame Christine Lagarde, a fait valoir qu’elle y veillerait.

Compte tenu de ce qui précède, il me paraît justifié de ne pas donner suite à la proposition de résolution n° 906 dont la mise en œuvre, si elle était décidée, serait aujourd’hui trop éloignée de la réalité.

M. André Chassaigne. Je remercie le Président Patrick Ollier d’avoir permis l’examen en commission d’une proposition de résolution déposée par l’opposition, en l’occurrence le groupe GDR, ce qui est rarement le cas. Je salue également l’intervention du rapporteur Yves Albarello, qui témoigne d’un examen très attentif de la situation de l’usine Kléber de Toul, même si je ne partage ni l’analyse développée ni les conclusions qui en découlent. Je considère a contrario que le rapport qui a été présenté plaide en faveur de la constitution d’une commission d’enquête parlementaire en raison de la nécessité à la fois d’une vision tierce de ce qui s’est passé, évoquée par le rapporteur lui-même, mais également d’une autre approche de l’intervention économique. A l’heure où l’impératif d’une régulation de l’économie semble a priori faire consensus, peut-on, au nom du libéralisme économique, priver l’État et la représentation nationale de tout droit de regard sur la conduite des entreprises et de toute possibilité d’intervention sur les choix opérés par leurs dirigeants ? Enfin, il est temps de donner plus de pouvoir aux salariés en les impliquant davantage dans les décisions prises en matière d’emploi ou de fermeture de sites.

A cet égard, on peut s’interroger sur les difficultés que rencontre aujourd’hui la manufacture Michelin. En effet, dans deux jours, l’assemblée générale va proposer la distribution de profits aux actionnaires soit 147 millions d’euros de dividendes, 1 euro par action. La direction souhaite également proposer la distribution de 3 millions d’actions sous la forme de stocks-options aux 100 plus hauts dirigeants de l’entreprise, ce qui, compte tenu du cours de l’action Michelin autour de 43 euros, représente environ 130 millions d’euros, l’équivalent de la somme qui a été dépensée pour la fermeture du site de Kléber et du capital qui est aujourd’hui détenu par les salariés.

S’agissant ensuite des raisons avancées pour la fermeture du site, sont évoqués des problèmes de performance du matériel et d’obsolescence des installations qui paraissant d’autant moins avérés que depuis plusieurs mois, des ouvriers venus d’Europe de l’Est, de Serbie, de Pologne, de Roumanie, de Hongrie et même de Grande-Bretagne démontent les machines pour qu’elles soient remontées ailleurs, par exemple en Inde pour créer une ligne de vulcanisation. Cet état de fait semble donc démontrer que le matériel en question n’est pas si obsolète. Cette situation crée en outre de nouvelles illégalités, les ouvriers concernés arrivant en France sans convention de détachement.

Enfin, en ce qui concerne les engagements de Michelin en termes de reclassement, ceux-ci ne sont pour l’heure pas complètement tenus. Alors qu’il était question de présenter à chaque salarié dont l’emploi est supprimé une proposition sur 16 sites, seuls 250 propositions sur 5 sites ont été recensées sur les 800 promises. Par ailleurs, 10 % des 400 salariés sur 826 qui devaient être reclassés, dont 130 en interne, sont déjà au chômage. Je ne porte donc pas la même appréciation que le rapporteur sur la qualité des solutions apportées par Michelin, ce qui renforce la nécessité d’une commission d’enquête pour trancher cette question.

La technique qui consiste à mettre un site en difficulté pour pouvoir le fermer ensuite est bien connue. De ce point de vue, la situation de plusieurs usines Michelin pose question : par exemple, dans le Puy-de-Dôme, les salariés d’un site de rechapage de poids lourds de Clermont-Ferrand sont au chômage technique alors qu’à quelques kilomètres, un spécialiste du changement de pneumatiques doit mettre ses clients en attente pour la catégorie de pneus précisément fabriqués dans cette usine en l’absence de stock disponible ; de même, en raison de la mise au chômage technique de ses salariés, Michelin n’a pu fournir l’usine Trellborg de Clermont-Ferrand mettant celle-ci en difficulté.

L’objet d’une commission d’enquête est de faire la transparence et cette transparence est d’autant plus nécessaire que d’autres sites en France sont aujourd’hui menacés également sous le prétexte allégué d’une absence de performance ou de l’obsolescence du matériel : Montceau-les-Mines, Le Puy, La Roche-sur-Yon et Roanne.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je remercie le rapporteur pour son exposé argumenté tout en soulignant mon désaccord avec les conclusions apportées. Le constat selon lequel on ne peut rien faire et que la situation pourrait être pire ne me paraît pas du tout satisfaisant. On ne peut se résigner à un sentiment d’impuissance face à la stratégie des grands groupes internationaux, alors même que c’est au contribuable qu’il revient in fine de pallier les conséquences de ces stratégies. A cet égard, je rappelle que le Président de la République avait affirmé il y a un peu plus d’un an lors de son déplacement sur le site d’Arcelor-Mittal à Gandrange que son objectif était de garder les usines en France car un pays qui n’a plus d’usines n’a plus d’économie. Or on constate que le tissu industriel continue de se défaire, notamment en Lorraine, avec le site de Gandrange mais également aujourd’hui avec Kléber à Toul, Total à Carling, Raflatac à Pompey ou encore Philips à Pont-à-Mousson.

Créer une commission d’enquête, ce n’est pas une attaque contre le groupe Michelin, c’est une tentative pour comprendre les raisons qui conduisent à la disparition de notre tissu industriel. Certes Michelin a consacré des sommes importantes à la reconversion du site de Toul mais est-ce bien moral de consacrer de telles sommes à la suppression d’emplois plutôt qu’à leur maintien ? Il s’agit d’une entreprise qui a engrangé 1 milliard d’euros de bénéfices en 2008, 772 millions d’euros de résultat net et encore 400 millions cette année en dépit de la crise. L’usine Kléber a été reprise en 1996 par Michelin, qui la contrôlait déjà de fait depuis 1981 : dans ces conditions, est-il possible que la fermeture du site n’ait pas été anticipée ? Lorsqu’en 2001, Michelin investit 200 millions d’euros en Roumanie, cinq fois plus que ce qui est investi à Toul, il opère un choix très clair. Il n’est donc pas étonnant que huit ans après, l’entreprise constate que le site roumain est plus performant que celui de Toul. Ainsi, on se retrouve dans une situation où le contribuable français, qui finance déjà le développement économique des pays de l’Union européenne situés à l’Est de l’Europe, doit assumer le coût des restructurations sur le territoire national liées aux délocalisations d’activités dans ces mêmes pays.

C’est pourquoi la création d’une commission d’enquête paraît en l’occurrence pleinement justifiée et pourrait même dépasser le seul cas de l’usine Kléber de Toul pour s’intéresser également à d’autres sites comme Gandrange.

J’ai, au nom du Conseil régional de Lorraine, rencontré à plusieurs reprises les organisations syndicales qui se sont fortement impliquées dans la reconversion du site de Toul. Or, en dépit des efforts réalisés, les conséquences de la fermeture du site ne seront pas neutres sur l’emploi local, sur le niveau de vie des anciens salariés qui, même avec un nouvel emploi, ont perdu les avantages liés à leur ancienneté, leurs primes, etc, ainsi que sur les entreprises sous-traitantes. De nombreuses interrogations demeurent qui justifient la constitution d’une commission d’enquête parlementaire.

M. François Loos. Je tiens à exprimer mes félicitations au rapporteur pour la qualité de son travail et la pertinence de son analyse. Il a parfaitement exposé le mécanisme de la décision industrielle qui conduit à la fermeture du site. Même si nous devons tout faire pour que les emplois soient maintenus, gardons à l’esprit que la situation économique actuelle de la filière automobile apparaît délicate et que celle des régions du nord-est ne l’est pas moins.

Je suis défavorable à la création de cette commission d’enquête pour deux raisons de fond et deux raisons de forme. Sur le fond, cette initiative adresserait un signal négatif aux investisseurs étrangers ; elle perturberait également la mise en œuvre des efforts de reconversion et de reclassement orchestrés sur le site. Quant à la forme, je crois qu’il faut résister à la tentation de remettre en cause la séparation des pouvoirs. La surveillance des plans sociaux relève des préfets et éventuellement des tribunaux, certes pas des parlementaires. Du reste, quel texte aurions-nous à proposer pour répondre aux difficultés du terrain ?

Le groupe UMP fait donc siennes les conclusions du rapporteur. Il estime inopportun de procéder à la création d’une commission d’enquête.

M. Philippe Morenvillier. Je suis l’élu de la circonscription dans laquelle ont lieu les événements décrits par le rapporteur. Je suis d’autant mieux placé pour confirmer sans réserve son analyse. La fermeture de l’usine a certes été ressentie comme une catastrophe, mais il me semble que nous sommes parvenus à en limiter les effets. Il faut louer, pour cela, l’action du préfet Hugues Parant et la qualité du comité de suivi mis en place, dont la ministre de l’économie, Mme Christine Lagarde, suit les travaux. Les ateliers de transition professionnelle ont fonctionné de façon remarquable. Les personnes frappées par la fermeture ont reçu en moyenne une somme de 65 000 €, qui a pu atteindre 150 000 € lorsque l’ancienneté était maximale.

En outre, 338 engagements d’emploi ont été signés et 58 créations de société décidées. Quant au site industriel lui-même, des projets de reconversion existent autour des entreprises Suez et Ecorevia dans le sens d’activités de recyclage dans le secteur automobile. D’autres initiatives pourraient émaner d’entreprises locales.

Toul n’est plus sous le choc de la fermeture de l’usine Kléber.

Le Président Patrick Ollier. Je connais dans ma ville de Rueil une situation similaire avec le désengagement de Renault qui menace directement deux mille emplois. Je ne demande pourtant pas la création d’une commission d’enquête.

M. François Grosdidier. Personne ne comprendrait que nous créions une commission d’enquête pour cette usine et pas pour les autres, surtout que les propos qui viennent d’être tenus en font davantage un modèle de dispositif social qu’une source légitime d’interrogations. Mieux vaudrait se demander pourquoi la Lorraine, à l’issue d’une reconversion profonde menée il y a une trentaine d’années qui l’avait positionnée comme terrain privilégié des investissements productifs, se présente dorénavant comme une terre de départ des activités. Comment corriger ce travers ? Élargissons l’horizon de nos questionnements.

M. Philippe Meunier. Je représente un département également touché par les délocalisations. Les raisons de ce phénomène sont bien connues, elles naissent dans la division internationale du processus de production. Nous devrions privilégier la lutte contre le dumping social.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Malheureusement, c’est tous les jours que des emplois sont supprimés. Nous devons garder à l’esprit l’impératif de compétitivité du territoire. Or, une commission d’enquête sur la fermeture de l’usine Kléber ne manquerait pas d’adresser un signal négatif aux investisseurs, dégradant l’attractivité du territoire.

M. François de Rugy. Certes, il n’est pas envisageable de multiplier les commissions d’enquête à chaque fermeture d’usine et à chaque délocalisation. Mais c’est un vrai sujet, qui mériterait une enquête parlementaire. J’avais souhaité la création d’un groupe d’études sur ce thème des délocalisations en début de législature, en lien avec la problématique du commerce international, mais je m’étais alors heurté à un refus.

Le Président Patrick Ollier. Je tiens à rappeler que les commissions d’enquête ont prouvé leur efficacité de manière éclatante – et à mon initiative – lors de l’affaire Air Lib, puisque le rapport établi avait servi de base au procureur de la République pour le déclenchement de l’action pénale. Le principal protagoniste avait été incarcéré. Mais il faut suspecter des fautes pour justifier pareille action et je ne vois ici rien de tel.

En revanche, je suis tout à fait disposé à lancer à la rentrée une mission d’information sur le thème des délocalisations. La Commission a d’ailleurs déjà travaillé sur cette problématique : M. Jérôme Bignon, ici présent, a présidé en 2006 une mission d’information sur les délocalisations dont Mme Chantal Brunel était rapporteur.

Ceci me semblerait plus opportun. Et je rappelle que la Commission a auditionné hier M. Luc Chatel, secrétaire d’État à l’industrie, à qui il aurait été bon que les interrogations exprimées en ce moment soient présentées. Nous pouvons demander à le réentendre prochainement, voire souhaiter dans un avenir proche la venue de responsables du groupe Michelin.

Le rapporteur Yves Albarello. Nous parlons ici de la fermeture de l’usine Kléber de Toul, pas de la stratégie globale du groupe Michelin. Nous sommes partout confrontés, dans le secteur de l’automobile, à des restructurations similaires. Mais je ne crois pas que ce soit à l’Assemblée nationale qu’il revienne d’écrire l’avenir du marché du pneumatique en France.

S’agissant de la possibilité offerte aux syndicats de pouvoir aborder la stratégie des entreprises dans lesquelles ils travaillent – possibilité évoquée par M. André Chassaigne –, il faut savoir que dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés, les comités d’entreprise peuvent faire auditer les comptes par un commissaire aux comptes et un cabinet d’audit spécialisé.

S’agissant de la rémunération des actionnaires, le capital doit être rémunéré. Or, comme cela a été rappelé à titre liminaire, le dividende de Michelin est passé d’1,60 euro à 1 euro. Il serait dommage qu’il passe à moins de 0,50 euro. Le jour où une entreprise ne fait plus de bénéfice, elle est morte. Il faut que l’entreprise fasse a minima des bénéfices.

Enfin, en ce qui concerne les déménagements, je me suis rendu sur place, car je ne savais pas ce qu’est un pneumatique, et j’ai surtout appréhendé l’outil de travail : celui-ci est devenu obsolète, car il y a eu un modus vivendi, entre la direction et les syndicats, fondé sur de bons salaires mais pas d’investissements. C’était une vue à court terme qui ne tient pas dans un contexte de concurrence internationale. Les pneus fabriqués à Toul coûtent 100 euros, tandis qu’ils ne coûtent que 40 euros en Pologne. Est-il utile de continuer à produire des pneus à 100 euros alors qu’on ne pourra pas les vendre, le prix n’étant pas compétitif ? En Asie, les usines sont automatisées et les Asiatiques se rendent dans les pays de l’est, pays à bas coûts, pour éviter les coûts de transport des pneumatiques. Hancok, concurrent farouche de Michelin, et qui est en train de prendre des proportions extraordinaires dans le monde du pneumatique, vient de construire une usine de 500 millions d’euros qui produit 12 millions de pneus par an.

En visitant l’outil de travail, j’ai pu voir le démontage de l’usine, et constater le départ de machines vers des pays à bas coûts salariaux. Aujourd’hui, dans une économie mondialisée, la vision d’une usine de Toul simplement dans le Toulois est une vision dépassée.

Compte tenu de ces éléments, le rapporteur demande le rejet de la proposition de création d’une commission d’enquête parlementaire.

Puis la Commission a rejeté la proposition de résolution n° 906 par 34 voix contre 17.

© Assemblée nationale

1 () Etude publiée le 4 mars 2009 par les prévisionnistes de la société d’assurance crédit Euler Hermes SFAC.