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N
° 2230

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
SUR LA PROPOSITION DE RESOLUTION (n° 2153)
DE Mme Sandrine MAZETIER ET PLUSIEURS DE SES COLLEGUES
ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN
ET DIVERS GAUCHE ET APPARENTÉS,
sur la protection temporaire,


PAR MM. Christophe Caresche et Thierry Mariani,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Thierry Mariani, Didier Quentin, vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer, Gérard Voisin secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Franck Riester, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

A. LA PROTECTION TEMPORAIRE EST UN DISPOSITIF D’ATTENTE POUR PERMETTRE AUX RÉGIMES D’ASILE DES ETATS MEMBRES DE FAIRE FACE À UN AFFLUX MASSIF DE PERSONNES DÉPLACÉES 7

B. LES TROIS CRITÈRES DE DÉCLENCHEMENT DE LA PROTECTION TEMPORAIRE NE SONT PAS REMPLIS, PARCE QU’UN AFFLUX MASSIF SUSCEPTIBLE DE DÉSORGANISER LES RÉGIMES D’ASILE DES ETATS MEMBRES NE PEUT PROVENIR EN FAIT QUE DES PAYS DANS LE VOISINAGE DE L'UNION EUROPÉENNE 9

C. LA PROCHAINE MISE EN œUVRE DU RÉGIME D’ASILE EUROPÉEN COMMUN POURRAIT ÊTRE L’OCCASION DE DÉFINIR UN RÉGIME DE PROTECTION PARTICULIER POUR UN PAYS EN GUERRE COMME L’AFGHANISTAN 11

TRAVAUX DE LA COMMISSION 13

ANNEXE : PROPOSITION DE RESOLUTION 17

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution européenne sur la protection temporaire (n° 2153), déposée le 14 décembre 2009 par le groupe socialiste, radical, citoyen, est renvoyée pour examen préalable à la Commission des affaires européennes, en application des articles 88-4 de la Constitution et 151-5 du Règlement. Cette procédure s’applique pour la première fois.

Elle rappelle tout d’abord qu’avec plus de 2,7 millions de réfugiés et 500 000 personnes déplacées, la communauté afghane est la première communauté de réfugiés dans le monde, mais qu’en raison des restrictions du droit actuel, notamment du règlement de Dublin II, seuls 281 Afghans ont demandé l’asile en France en 2008. Or il existe un statut de protection temporaire défini par la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées qui n’a jamais été utilisé et pourrait s’appliquer pour la première fois à des réfugiés fuyant le chaos régnant dans une grande partie de l’Afghanistan.

Les auteurs de la proposition souhaitent que la France transmette à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d’adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l’octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d’Afghanistan et du Pakistan.

Ils soulignent également l’urgence, après l’adoption par les Etats membres du programme de Stockholm, de mettre fin à l’inadaptation ou à l’application restrictive des instruments de protection juridique, et invitent la France à promouvoir un régime d’asile européen commun, fondé sur des normes élevées et garantissant une protection effective à toutes les personnes fuyant les conflits.

A. LA PROTECTION TEMPORAIRE EST UN DISPOSITIF D’ATTENTE POUR PERMETTRE AUX RÉGIMES D’ASILE DES ETATS MEMBRES DE FAIRE FACE À UN AFFLUX MASSIF DE PERSONNES DÉPLACÉES

Le statut de protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées a été créé en 2001 à la suite de la crise du Kosovo et des conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 sur la nécessité d’un accord reposant sur la solidarité entre les Etats membres. Le déplacement de plusieurs centaines de milliers de personnes lors des conflits de l’ex-Yougoslavie et, en particulier, du Kosovo, menaçait de désorganiser le système d’asile de plusieurs Etats membres et a conduit à définir ce statut de protection temporaire.

La protection temporaire se distingue du dispositif de protection subsidiaire, prévu à l’article 15 c) de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004. Cette directive définit les conditions dans lesquelles l’asile peut être accordé et prévoit, à côté de la protection accordée en application de la Convention de Genève sur les réfugiés, une protection subsidiaire à l’étranger qui, en cas de renvoi dans son pays d’origine, courrait un risque de subir des atteintes graves, en raison d’une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international.

Conformément aux protocoles régissant leur position particulière dans ces matières, le Royaume-Uni a notifié sa participation à l’adoption et à l’application de la directive de 2001, tandis que l’Irlande et le Danemark n’y participent pas.

La directive relative à la protection temporaire a un double objet :

- d’une part, définir des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine ;

- d’autre part, instaurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.

La directive précise les conditions de mise en œuvre de la protection temporaire de la manière suivante :

- la protection temporaire est une procédure exceptionnelle assurant une protection immédiate et temporaire à ces personnes déplacées, notamment si le système d’asile risque de ne pouvoir traiter cet afflux massif sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement ;

- les personnes déplacées sont les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui ont dû quitter leur pays ou région d’origine, dont le retour dans des conditions sûres et durables est impossible en raison de la situation régnant dans le pays, en particulier les personnes qui ont fui des zones de conflit armé ou de violence endémique, ou qui ont été victimes de violations systématiques ou généralisées des droits de l’homme ou sur lesquelles pèsent de graves menaces à cet égard ;

- l’afflux massif consiste en l’arrivée, dans la Communauté européenne, d’un nombre important de personnes déplacées en provenance d’un pays ou d’une zone géographique déterminée ;

- il appartient au Conseil, sur proposition de la Commission européenne et, le cas échéant, à la demande d’un Etat membre, de décider à la majorité qualifiée de déclencher la mise en œuvre de cette protection temporaire dans tous les Etats membres. Il tient compte des informations que lui communiquent les Etats membres, la Commission européenne ainsi que le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) ;

- la durée de la protection temporaire est d’un an et peut être prorogée automatiquement par période de six mois pour une durée maximale d’un an, soit deux ans au total. Elle s’achève lorsque la durée maximale a été atteinte ou à tout moment, si le Conseil estime que le retour dans le pays est possible, dans le respect des droits de l’homme et des obligations des Etats membres en matière de non-refoulement.

La protection temporaire ouvre un droit au séjour, avec carte de séjour temporaire et visas, y compris de transit, et des droits économiques et sociaux. Les bénéficiaires de la protection temporaire sont autorisés à exercer une activité salariée ou non salariée dans les mêmes conditions que les réfugiés. Ils ont accès à un hébergement approprié ou les moyens d’obtenir un logement, aux soins médicaux et à l’aide sociale, ainsi qu’au système éducatif pour les bénéficiaires de moins de dix-huit ans.

Le dispositif autorise le regroupement familial et les membres de la famille éligibles à cette protection temporaire sont : le conjoint ou le partenaire non marié engagé dans une relation stable, si la législation de l’Etat membre les traite de manière comparable ; les enfants mineurs célibataires, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés, d’autres parents proches à la charge du regroupant.

La directive garantit l’accès à la procédure d’asile aux bénéficiaires de la protection temporaire qui peuvent déposer une demande d’asile à tout moment. Les Etats membres ont la possibilité de refuser le cumul du bénéfice du statut de demandeur d’asile et de la protection temporaire pendant l’instruction de la demande ; la France a opté pour le non-cumul. Cependant si le statut de réfugié n’est pas accordé au bénéficiaire de la protection temporaire, celle-ci lui reste acquise pour la durée de la protection temporaire restant à courir.

Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour rendre possible le retour volontaire des bénéficiaires de la protection temporaire, avant son terme ou après.

Ils organisent le retour forcé des personnes dont la protection temporaire a pris fin et qui ne peuvent être admises dans ces Etats, dans le respect de la dignité humaine.

En cas de retour forcé, ils examinent les raisons humanitaires impérieuses rendant le retour impossible ou déraisonnable dans des cas précis. L’état de santé ou la fin de l’année scolaire en cours peuvent justifier une prolongation du séjour.

Enfin la directive équilibre les efforts entre les Etats membres par une possibilité de transfert des bénéficiaires d’un Etat membre à un autre, et par une aide supplémentaire aux Etats membres concernés, financée par le Fonds européen pour les réfugiés, créé par la décision 2000/596/CE.

B. LES TROIS CRITÈRES DE DÉCLENCHEMENT DE LA PROTECTION TEMPORAIRE NE SONT PAS REMPLIS, PARCE QU’UN AFFLUX MASSIF SUSCEPTIBLE DE DÉSORGANISER LES RÉGIMES D’ASILE DES ETATS MEMBRES NE PEUT PROVENIR EN FAIT QUE DES PAYS DANS LE VOISINAGE DE L'UNION EUROPÉENNE

L’Union européenne n’a pas mis en œuvre le statut de protection temporaire depuis dix ans parce que ses Etats membres n’ont pas eu à faire face à un afflux massif et soudain de personnes déplacées comme celui qu’elle a connu au moment de la crise du Kosovo.

Bien qu’ayant le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, l’Afghanistan n’a pas été justiciable de ce statut.

L’Afghanistan a été en effet le principal pays d’origine des réfugiés au cours des trois dernières décennies, à la suite de l’invasion soviétique en 1979, de la guerre civile puis de l’intervention des Etats-Unis et de l’OTAN à partir de 2001. Fin 2008, il y avait encore plus de 2,8 millions de réfugiés afghans. Un réfugié sur quatre dans le monde est originaire d’Afghanistan. Bien que des réfugiés afghans résident dans 69 pays d’asile à travers le monde, 96 % d’entre eux vivent au Pakistan et en Iran. Les pays en développement sont en effet les hôtes de quatre cinquièmes des réfugiés et le Pakistan est l’hôte du plus grand nombre de réfugiés sous mandat du HCR dans le monde (1,8 million essentiellement afghans) suivi de la Syrie (1,1 million) et de l’Iran (980 000). Mais de 3 à 6 millions d’Afghans sont réfugiés de manière informelle au Pakistan.

La non-application de la protection temporaire aux populations déplacées afghanes vient du fait que le flux des demandeurs d’asile en provenance de ce pays vers l’Union européenne est proportionnellement limité par rapport aux 2,8 millions de réfugiés afghans dans le monde, ainsi que par rapport aux autres demandes d’asile présentées dans l’Union européenne.

Le flux de demandeurs d’asile afghans vers l'Union européenne est passé de 16 005 en 1998 à 45 405 en 2001 pour retomber à 7 665 et remonter à 9 135 au premier semestre 2009. Il se situe, au premier semestre 2009, au troisième rang après l’Iraq (9.570) et la Somalie (9.190), deux autres pays en guerre.

Or au premier semestre 2009, l'Union européenne a enregistré 118.126 demandes d’asile et la France 19.416.

A cet égard, la France est au premier rang des pays de l'Union européenne, avec une augmentation de 21 % (16.000) par rapport au premier semestre 2008 et de 32 % (14.700) par rapport au deuxième semestre 2009, et au deuxième rang après les Etats-Unis (23.700) sur les 44 pays industrialisés suivis par le HCR.

La pression croissante actuellement observable sur les systèmes d’asile des Etats membres de l'Union européenne ne provient pas d’une augmentation de la demande afghane. C’est le cas en France où les cinq premières nationalités pour la demande d’asile en 2009 sont la Russie, la Serbie et le Kosovo, la Turquie, le Sri Lanka et la République démocratique du Congo.

En 2009, 702 Afghans ont demandé l’asile en France et le nombre d’Afghans placés sous la protection de notre pays et relevant de l’OFPRA, en tant que réfugiés statutaires et bénéficiaires de la protection subsidiaire, s’élève à 1.504.

Sur le plan juridique, les deux premiers critères de déclenchement d’une protection temporaire définis par l’article 2 de la directive de 2001, ne sont pas actuellement remplis :

- il n’est pas constaté d’afflux massifs ou imminents d’Afghans dans l'Union européenne ;

- les flux actuels en provenance de ce pays ne submergent ni ne désorganisent le système d’asile d’aucun Etat membre.

Le troisième critère relatif à l’impossibilité du retour dans des conditions sûres et durables en raison de la situation régnant dans le pays d’origine n’est pas non plus rempli.

Ni la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), ni les Nations unies n’ont, jusqu’à présent, constaté une violence généralisée et d’une intensité telle qu’elle interdirait l’éloignement de tout Afghan vers son pays.

Dans son arrêt Sultani c/ France du 20 septembre 2007, la CEDH a jugé que le fait de venir d’un pays ou d’une région connaissant des troubles graves ne suffisait pas à justifier une protection absolue contre l’éloignement ou à avoir droit à une protection internationale et que les personnes devaient justifier de « caractéristiques particulières » ou de « traits distinctifs », permettant de considérer qu’il existe des risques sérieux qu’elles soient exposées à de mauvais traitements en cas de retour. L’examen de l’impossibilité du retour en Afghanistan relève d’une appréciation du risque individuel, au cas par cas, et non du constat d’une violence extrême et généralisée qui interdirait systématiquement tout retour.

Par ailleurs, les Nations unies n’ont pas émis de recommandations prohibant le retour forcé d’Afghans dans leur pays en raison de risques de traitements dégradants ou inhumains, alors que le HCR a clairement appelé les Etats accueillant des réfugiés et demandeurs d’asile iraquiens à ne pas les renvoyer en Iraq.

Depuis 2002, le HCR a pu organiser des programmes de rapatriement de plus de 5 millions de réfugiés afghans résidant au Pakistan ou en Iran, même si ce mouvement de rapatriement volontaire a chuté en 2009.

Ni la Commission européenne ni aucun Etat membre n’ont proposé le déclenchement de la protection temporaire en faveur des déplacés afghans, parce que les trois critères ne sont pas remplis. Si la France demandait son déclenchement, il est probable qu’elle ne trouverait pas une majorité qualifiée d'Etats membres pour la suivre et qu’elle serait assez isolée.

C. LA PROCHAINE MISE EN œUVRE DU RÉGIME D’ASILE EUROPÉEN COMMUN POURRAIT ÊTRE L’OCCASION DE DÉFINIR UN RÉGIME DE PROTECTION PARTICULIER POUR UN PAYS EN GUERRE COMME L’AFGHANISTAN

A côté des éléments juridiques qui viennent d’être rappelés, la discussion doit aussi porter sur l’objectif des auteurs de la proposition de résolution d’inciter l’Union européenne à mieux protéger ces personnes fuyant un pays en guerre, indépendamment des critères de la directive de 2001.

Les opinions publiques française et européenne qui mesurent la violence de la guerre en Afghanistan aux pertes subies par leurs armées sur le terrain, pourraient sans doute admettre la création d’un régime de protection plus favorable pour ces personnes fuyant le conflit afghan.

L’adoption prévue ce semestre, sous la présidence espagnole de l’Union européenne, des textes nécessaires à la mise en œuvre du régime d’asile européen commun pourrait être l’occasion de réfléchir à la définition d’un régime de protection particulier pour un pays en guerre comme l’Afghanistan. Il pourrait s’inscrire dans une modification du régime de protection temporaire de 2001 ou dans un élargissement de la protection subsidiaire de 2004, dans le cadre de l’examen individuel des demandes d’asile.

Il ne faut cependant pas se cacher les difficultés que poserait la création d’un régime de protection particulier.

La première difficulté serait de définir le critère délimitant les pays en guerre bénéficiant d’une telle protection, pour ne pas créer une discrimination à l’encontre des populations d’autres pays en guerre souffrant tout autant. L’Iraq pourrait relever de ce régime comme l’Afghanistan, mais la Somalie a fourni le deuxième contingent de demandeurs d’asile à l'Union européenne au premier semestre 2009 et la guerre du Darfour au Soudan, si elle n’a pas provoqué un afflux vers l'Union européenne, a fait plus de 200.000 morts et 2 millions de déplacés depuis 2003.

Une autre difficulté serait d’amplifier le nombre des retours forcés à gérer à l’expiration de la période de protection particulière.

En 2009, sur 702 demandes d’asiles présentées par des Afghans, l’OFPRA a rendu 352 décisions dont 127 positives, soit un taux de reconnaissance de 36 %. Ce taux montre que tous les ressortissants afghans ne relèvent pas d’une logique de protection et, même s’il devait augmenter dans le cadre d’une appréciation plus souple, il resterait au-delà des retours volontaires beaucoup de retours forcés à gérer.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires européennes s’est réunie le 19 janvier 2010, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner la proposition de résolution européenne sur la protection temporaire.

« M. Christophe Caresche, co-rapporteur. La proposition de résolution européenne sur la protection temporaire du groupe socialiste concerne le problème des Afghans qui se pose en France, en Europe et à l’international. Il suffit de voir les conditions actuelles en Afghanistan pour comprendre que le problème est loin d’être réglé. Ses auteurs voudraient que la France appelle à négocier au niveau européen pour accueillir ces populations dans de bonnes conditions, au moins de manière temporaire, dans des pays européens engagés par ailleurs dans ce conflit militaire, et ne pas les renvoyer dans leur pays d’origine.

Elle propose de s’inspirer de la directive de 2001 qui avait créé un dispositif de protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées, à la suite de la crise du Kosovo. Cette protection temporaire, d’une durée d’un an ou deux ans maximum, répartit les charges de l’accueil de ces populations entre les Etats membres de l’Union européenne.

Je vais essayer de vous démontrer que les trois conditions du déclenchement de cette protection temporaire en faveur des déplacés afghans pourraient être remplies.

Premièrement, on peut discuter de la notion d’afflux massif qui permet au Conseil de décider à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission européenne éventuellement à la demande d’un Etat membre, de déclencher la protection temporaire. Mais un flux de demandeurs d’asile afghans vers l’Union européenne de plus de 9 000 personnes au premier semestre 2009, qui les place au troisième rang après l’Iraq et la Somalie, est déjà significatif et on doit en outre interpréter ce critère sur le plan politique.

Deuxièmement, si cet afflux ne désorganise pas le système d’asile des Etats membres et notamment celui de notre pays, la France pourrait développer un mécanisme d’asile subsidiaire en faveur des Afghans par l’interprétation d’une autre directive de 2004 portant notamment sur la protection subsidiaire, à côté de la protection accordée en application de la Convention de Genève sur les réfugiés. Si l’on pense que la France va ainsi créer un appel d’air et déstabiliser son système d’asile national et qu’un Etat membre ne peut pas répondre seul à ce problème, alors il faut se tourner vers l’Union européenne pour trouver une solution à ce niveau et créer en Europe une protection temporaire spécifique pour les Afghans.

Troisièmement, pour déclencher la protection temporaire, les conditions d’insécurité doivent être telles dans le pays d’origine qu’elles ne permettent pas aux personnes déplacées d’y retourner.

Or l’Afghanistan n’est pas un pays sûr. La plupart des réfugiés afghans sont au Pakistan, mais le programme de rapatriement en Afghanistan des réfugiés installés au Pakistan a été interrompu cet été. On peut donc considérer aujourd’hui que l’Afghanistan n’est pas un pays suffisamment sûr pour permettre le retour des réfugiés et déplacés.

Nous demandons d’activer la protection temporaire pour répondre à une situation qui n’est pas satisfaisante, notamment la situation anglaise. Les pays se renvoient la balle et la France ne trouve pas un mode de règlement satisfaisant avec le Royaume-Uni sur ce sujet. Le Nord de la France subit toujours un afflux important, le trouble est sensible en gares du Nord et de l’Est, ce qui a amené la ville de Paris à ouvrir un centre d’hébergement pour accueillir ces populations.

Quant aux retours forcés, vous connaissez notre opposition à une procédure dont les conditions de sécurité ne sont pas satisfaisantes, même si elle reste très limitée quant au nombre des personnes afghanes concernées.

On ne règle donc pas le problème de ces populations dont la situation crée des difficultés à la population française. Or la détérioration de la situation en Afghanistan va rendre encore plus aigu le sort de ces personnes. Il faut donc régler cette question, soit dans le cadre de la protection temporaire, soit dans le cadre d’une discussion au niveau européen pour harmoniser les systèmes d’asile dans l’Union européenne.

Nous serions d’accord pour l’extension d’une protection subsidiaire. Cela se fait à Malte avec un accord conclu au niveau européen de répartition dans les différents Etats membres, dès que l’asile est accepté. Le Royaume-Uni a également décidé unilatéralement une protection temporaire pour la population venant du Darfour. Il est donc possible dès maintenant au niveau européen que des Etats membres prennent des décisions unilatérales de protection temporaire ou que des décisions communautaires soient mises en œuvre pour accueillir ces populations.

En conclusion, je propose que la France pose la question des Afghans au niveau européen pour régler de manière temporaire le problème de l’accueil de ces populations en Europe.

M. Thierry Mariani, co-rapporteur. J’arrive aux conclusions opposées parce que les trois critères de déclenchement de la protection temporaire ne sont pas remplis.

L’Union européenne n’a pas mis en œuvre le statut de protection temporaire depuis dix ans parce que ses Etats membres n’ont pas eu à faire face à un afflux massif et soudain de personnes déplacées comme celui qu’elle a connu au moment de la crise du Kosovo.

Bien qu’ayant le plus grand nombre de réfugiés dans le monde (2,8 millions fin 2008), l’Afghanistan n’est pas justiciable de ce statut de protection temporaire parce que 96 % des réfugiés afghans vivent au Pakistan et en Iran. Le flux de demandeurs d’asile afghans vers l'Union européenne est proportionnellement limité par rapport aux autres demandes d’asile présentées dans l’Union européenne, puisqu’il s’élève à 9.135 au premier semestre 2009, soit au troisième rang après l’Iraq (9.570) et la Somalie (9.190), deux autres pays en guerre.

Or au premier semestre 2009, l'Union européenne a enregistré 118.126 demandes d’asile et la France 19.416, la plaçant au premier rang des pays de l'Union européenne. La pression ne provient pas d’une augmentation de la demande afghane. C’est le cas en France où les cinq premières nationalités pour la demande d’asile en 2009 sont la Russie, la Serbie, le Kosovo, la Turquie, le Sri Lanka et la République démocratique du Congo. En 2009, 702 Afghans ont demandé l’asile en France et le nombre d’Afghans placés sous la protection de notre pays et relevant de l’OFPRA s’élève à 1.504.

Sur le plan juridique, les deux premiers critères de déclenchement d’une protection temporaire définis par l’article 2 de la directive de 2001, ne sont pas actuellement remplis : il n’est pas constaté d’afflux massifs ou imminents d’Afghans dans l'Union européenne ; les flux actuels en provenance de ce pays ne submergent ni ne désorganisent le système d’asile d’aucun Etat membre. Le troisième critère relatif à l’impossibilité du retour dans des conditions sûres et durables en raison de la situation régnant dans le pays d’origine n’est pas non plus rempli.

Ni la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), ni les Nations unies n’ont, jusqu’à présent, constaté une violence généralisée et d’une intensité telle qu’elle interdirait l’éloignement de tout Afghan vers son pays. Ni la Commission européenne ni aucun Etat membre n’ont proposé le déclenchement de la protection temporaire en faveur des déplacés afghans, parce que les trois critères ne sont pas remplis. Si la France demandait son déclenchement, il est probable qu’elle ne trouverait pas une majorité qualifiée d'Etats membres pour la suivre et qu’elle serait assez isolée.

Je rejoins toutefois M. Caresche sur un point : la prochaine mise en œuvre du régime d’asile européen commun pourrait être l’occasion de définir un régime de protection particulier pour un pays en guerre comme l’Afghanistan. Il faut d’ailleurs rappeler que ce régime d’asile européen commun avait été initié sous la présidence française de l’Union européenne.

En conclusion, je propose de rejeter la proposition de résolution européenne pour trois motifs : les trois critères du déclenchement de la protection temporaire ne sont pas remplis ; la France serait isolée au Conseil si elle le demandait ; enfin, les jeunes d’un pays où plus de 100 000 ressortissants étrangers se battent et risquent leur vie pour la liberté de ce pays, ne doivent pas aller ailleurs mais doivent se battre à leurs côtés pour défendre cette liberté.

M. Lionnel Luca. Je m’étonne de cette proposition de résolution car rien ne justifie qu’un régime particulier soit appliqué en ce qui concerne l’Afghanistan. Avec 702 demandes déposées, on ne peut pas parler d’un « afflux ». Il faut distinguer la réalité et une certaine exagération médiatique. L’Iraq et d’autres Etats présentent d’autres caractéristiques. Les ressortissants afghans ont la possibilité de se réfugier au Pakistan et en Iran ; dans ces conditions, pourquoi viendraient-ils massivement se réfugier dans l’Union européenne ? J’observe également que la notion de « réfugié » est en général associée à celle de « civil », on pense en priorité aux femmes, aux enfants, aux vieillards. Or on constate que les Afghans présents sur notre territoire sont plutôt des hommes jeunes, leurs familles sont restées en Afghanistan.

M. Jacques Myard. Je rejoins la position de Thierry Mariani, les critères juridiques ne sont pas remplis. De plus, il ne faut pas jouer avec le feu. Adopter une telle proposition de résolution aboutirait justement à amplifier le phénomène sans résoudre le problème humain. L’immigration sera le problème majeur du XXIème siècle. Si on autorise cet afflux, cela peut avoir des conséquences désastreuses. Il faut se garder de tels effets d’annonce.

M. Jérôme Lambert. Je crains de votre part, chers collègues, une certaine confusion. Il ne s’agit pas de permettre une immigration massive en provenance d’Afghanistan ni d’accorder le statut – durable – de réfugié politique, mais d’offrir une protection temporaire. Le but est de répondre à un problème qui s’est objectivement posé : le renvoi de plusieurs dizaines de personnes en Afghanistan a suscité l’émotion d’une partie de l’opinion publique. A cela il s’agit d’apporter une réponse temporaire. On peut ergoter sur les chiffres, constater qu’il n’y a eu que 9 000 demandes dans l’Union européenne en un semestre, mais ce chiffre n’est pas négligeable, on ne parle pas de quelques centaines ! Peut-on affirmer qu’il ne s’agit pas de « vrais » réfugiés parce que ce sont surtout des jeunes hommes ? Les femmes, enfants et vieillards qui fuient l’Afghanistan ne parviennent pas jusqu’en Europe et se réfugient au Pakistan et en Iran.

Le Président Pierre Lequiller. Ceci constitue la première résolution de ce type examinée par notre Commission, en application de notre nouveau Règlement, et pour ces propositions de résolution, nous désignerons systématiquement deux rapporteurs d’avis différent. L’objet n’est pas de trancher au fond mais de se prononcer sur la question de savoir si la directive de 2001, qui avait été élaborée pour le Kosovo, doit s’appliquer en l’espèce. Nous allons passer au vote. »

La Commission des affaires européennes a rejeté la proposition de résolution européenne dont le texte figure en annexe.

ANNEXE :
PROPOSITION DE RESOLUTION

(rejetée par la Commission des affaires européennes)

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE SUR LA PROTECTION TEMPORAIRE

Article unique

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 68 § 1 du Traité sur l’Union européenne stipulant que « l’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu’aux autres traités pertinents »,

Vu la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil,

Vu l’article 15 §c, de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts,

Considérant que les demandes d’asile dans les pays industrialisés ont, selon l’Organisation des Nations unies (ONU), augmenté de 10 % dans la première moitié de l’année 2009 - et de 20 % en France selon l’OFPRA - que l’Europe a reçu plus de trois quart de ces demandes et que la France constitue le deuxième pays dans le monde, avec près de 19 400 demandes, vers lequel se sont tournées ces populations vulnérables venant principalement d’Irak (13 000), d’Afghanistan (12 000) et de Somalie (11 000), Etats qui se trouvent être soit en état de guerre, soit incapables de faire respecter les droits humains les plus fondamentaux ;

Considérant les possibles conséquences migratoires de l’instabilité de plusieurs provinces frontalières du Pakistan, actuellement en situation de guérilla, ayant déjà entraîné la suspension du programme de retour volontaire des réfugiés afghans ;

Considérant les propos du Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies, Antonio Guterres stigmatisant, le 3 novembre 2009, lors de la 64e session de l’Assemblée générale de l’ONU, la réduction des possibilités d’obtenir une protection internationale à travers la « tendance générale vers plus de restrictions et moins de droits », dénonçant la responsabilité de « nombre de pays développés en train de limiter l’accès à leurs territoires d’une manière qui ne respecte pas le droit des demandeurs d’asile et des réfugiés selon les règles du droit international […] Pousser les demandeurs d’asile là où aucune protection n’est disponible ou se décharger vers les pays en développement, qui accueillent déjà quatre cinquième des réfugiés dans le monde, n’est ni moral, ni acceptable » ;

Attendu que selon l’article 3 §3 de la directive 2001/55/CE du Conseil, « l’établissement, la mise en œuvre et la cessation de la protection temporaire font l’objet de consultations régulières avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés » ;

Attendu que l’article 2 al. d de la directive 2001/55/CE définit l’afflux massif comme « l’arrivée dans la Communauté d’un nombre important de personnes déplacées, en provenance d’un pays ou d’une zone géographique déterminée » ;

Attendu qu’il est fait actuellement une interprétation restrictive des raisons prévues à l’article 15 §c de la directive 2004/83/CE, donnant aux personnes faisant l’objet de « menaces graves et individuelles (…) en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international » le droit à la protection subsidiaire, et considérant que, dans ce contexte, devraient être pris en compte des critères géographique et temporel pour évaluer le risque de menace individuelle et les risques d’évolution, de contagion et de déplacement d’un conflit armé ;

Souhaite que la France, conformément à l’article 5 §1 de la Directive 2001/55/CE sur la protection temporaire et à l’article 15 §c de la directive 2004/83/CE dite « Qualification », puisse transmettre à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d’adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l’octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d’Afghanistan et du Pakistan.

Attire, en outre, l’attention sur l’urgence, suite à l’adoption par les Etats membres de l’Union du programme pluriannuel de Stockholm, de mettre fin à l’impasse actuelle dans laquelle se trouvent les instruments de protection juridique existants. Ils se révèlent en effet, soit inadaptés à la situation, et ne sont de ce fait, ni utilisés par les Etats membres, ni même invoqués par les individus auxquels ils sont destinés, soit appliqués de manière restrictive et par là même détournés du but premier qui a présidé à leur création.

Insiste à cet égard pour que la France se montre ambitieuse dans la promotion auprès de ses partenaires européens d’un régime d’asile européen commun, fondé sur des normes élevées, permettant de garantir un accès effectif à la protection internationale pour toutes les personnes fuyant les conflits.

© Assemblée nationale

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.