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Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 2275

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 février 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1816) DE MM. FRANÇOIS BAROIN ET JACK LANG, visant à modifier la procédure du huis clos devant la cour d’assises des mineurs,

PAR M. François BAROIN,

Député.

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INTRODUCTION 5

I. – LES RÈGLES DE PUBLICITÉ DES DÉBATS JUDICIAIRES APPLICABLES AUX MINEURS DEVENUS MAJEURS NE SONT PAS ADAPTÉES AUX NÉCESSITÉS D’UNE JUSTICE PLACÉE SOUS LE CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE DES CITOYENS 9

A. LES RÈGLES DE PUBLICITÉ APPLICABLES AUX PROCÈS DES MINEURS DEVENUS MAJEURS 9

1. Le principe de la publicité restreinte 9

2. L’exception au principe de la publicité restreinte : la demande de l’accusé ou du prévenu devenu majeur 11

B. LA MAJORITÉ DES MINEURS POURSUIVIS POUR DES FAITS CRIMINELS SONT JUGÉS APRÈS LEUR MAJORITÉ 13

C. LA PUBLICITÉ RESTREINTE : UN DROIT DU MINEUR DEVENU MAJEUR DEVANT ÊTRE CONCILIÉ AVEC D’AUTRES INTÉRÊTS 14

1. Des dérogations aux règles de procédure applicables aux mineurs sont possibles dans le cas des mineurs devenus majeurs 15

2. La publicité des débats et la publicité restreinte : deux principes constitutionnellement et internationalement protégés 16

3. La prise en compte d’intérêts légitimes incompatibles avec la publicité restreinte peut permettre de faire primer le principe de la publicité 18

II. – UN NOUVEL ÉQUILIBRE NÉCESSAIRE EN MATIÈRE DE PUBLICITÉ DES DÉBATS POUR LES PROCÈS DE MINEURS DEVENUS MAJEURS 21

A. LA PROPOSITION DE LOI INVERSE LES RÈGLES DE PUBLICITÉ POUR LES PROCÈS D’ASSISES DES MINEURS DEVENUS MAJEURS 21

B. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION : UN NOUVEL ÉQUILIBRE EN MATIÈRE DE PUBLICITÉ DES PROCÈS DE MINEURS DEVENUS MAJEURS 22

1. Un principe de publicité restreinte réaffirmé 22

2. Une exception au principe de la publicité restreinte aménagée 23

3. Un champ d’application étendu aux audiences correctionnelles 24

4. Le nécessaire renforcement de l’effectivité de l’interdiction de publication de l’identité du mineur 25

TABLE RONDE SUR LA PROPOSITION DE LOI 27

DISCUSSION GÉNÉRALE 47

EXAMEN DES ARTICLES 49

Article 1er (Article unique de la proposition de loi initiale) (art. 306 du code de procédure pénale) : Modification des règles de publicité applicables aux audiences des cours d’assises des mineurs lorsque l’accusé mineur au moment des faits est devenu majeur 49

Article 2 (nouveau) (art. 400 du code de procédure pénale) : Modification des règles de publicité applicables aux audiences des tribunaux pour enfants lorsque le prévenu mineur au moment des faits est devenu majeur 50

Article 3 (nouveau) (art. 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945) : Adaptation des sanctions applicables en cas de divulgation de l’identité d’un mineur poursuivi devant une juridiction pour mineurs ou de publication d’éléments relatifs à des procès mettant en cause des personnes mineures au moment des faits 51

Article 4 (nouveau) : Application de la loi sur l’ensemble du territoire de la République 52

Titre de la proposition de loi 52

TABLEAU COMPARATIF 53

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 57

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 59

ANNEXE : RÈGLES DE PUBLICITÉ APPLICABLES DEVANT LES JURIDICTIONS POUR MINEURS DANS DIX ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE 61

Mesdames, Messieurs,

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement », dispose en son article 6 la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Ce principe de la publicité des débats judiciaires, consacré par le droit européen, constitue également l’une des règles fondatrices de la République française, puisque c’est dès 1789 que l’Assemblée constituante en a proclamé le principe.

La règle de la publicité des audiences judiciaires est fondamentale pour les libertés publiques et constitue l’un des piliers des sociétés démocratiques, en ce qu’elle permet aux citoyens d’exercer un contrôle sur les conditions dans lesquelles la justice est rendue en leur nom. Ses fondements ont été exposés à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme : d’une part, elle permet de « protéger les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public » (1; d’autre part, elle permet de « préserver la confiance des justiciables dans l’institution judiciaire et participe pleinement, par cette transparence, du droit à un procès équitable et de sa finalité » (2).

S’il s’applique à toutes les juridictions de jugement en matière répressive, le principe de la publicité de l’audience s’impose avec une force particulière aux débats devant la cour d’assises. En effet, celle-ci connaît des affaires les plus importantes, de celles qui sont de nature à troubler le plus gravement la conscience collective et à entraîner pour ceux qui sont traduits devant elle les peines les plus sévères. Le contrôle démocratique sur la justice des assises est donc particulièrement nécessaire pour les affaires criminelles. C’est pour cette raison que l’article 306 du code de procédure pénale, qui ouvre le chapitre consacré aux débats devant la cour d’assises, dispose que « Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les moeurs ».

Le corollaire de la publicité des audiences est la liberté de rendre compte dans la presse, écrite ou parlée, du déroulement des procès. Les journalistes ont, comme tout citoyen, accès à la salle d’audience, et peuvent relater ce qu’ils y ont vu et entendu, à la condition – prévue par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – que leur compte rendu soit « fidèle » et « fait de bonne foi ».

Le principe de publicité n’est cependant pas absolu et peut recevoir des exceptions lorsque d’autres intérêts justifient que la publicité soit supprimée ou atténuée. Ainsi, le troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale prévoit-il que « lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas ». Dans ce cas particulier de crimes mettant en jeu l’intimité de la victime, le conflit entre la publicité des débats et le droit de la victime à la protection de sa vie privée a été tranché par le législateur en faveur du droit de la victime à choisir entre le procès public et le procès à huis clos. Si elle souhaite ne pas voir son intimité livrée aux regards du public, le huis clos sera de droit ; si la victime n’a pas formulé cette demande, le huis clos ne pourra être ordonné par la cour que si elle ne s’y oppose pas.

Le principe de la publicité des débats judiciaires reçoit une deuxième exception s’agissant des crimes et délits commis par des mineurs. Les articles 14 et 20 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante soumettent les débats des juridictions spécialisées pour mineurs au principe de la publicité restreinte : seules certaines catégories de personnes ayant un intérêt direct à l’affaire, énumérées par l’article 14 de l’ordonnance, sont autorisées à avoir accès à la salle d’audience lors des débats du tribunal pour enfants ou de la cour d’assises des mineurs. Ce même article 14 prohibe la publication de tout compte rendu des débats par quelque moyen de communication que ce soit, et n’autorise que la publication des décisions rendues, à condition que le nom des mineurs jugés n’y figure pas, même par une simple initiale.

Cette règle de la publicité restreinte pour les audiences concernant des mineurs est fondée sur la volonté de protéger les mineurs des regards du public et de ne pas empêcher leur réinsertion future, qui est l’un des objectifs prioritaires de l’ordonnance du 2 février 1945. Le conflit entre deux intérêts opposés dans l’administration de la justice – la publicité des débats, d’une part, et la protection des mineurs, d’autre part – a été tranché dans le sens de la protection des mineurs. Le choix fait par le législateur de protéger les mineurs est particulièrement fort, puisque le principe de la publicité restreinte s’applique à tous les mineurs poursuivis pour des faits criminels ou correctionnels, y compris lorsque ces mineurs sont devenus majeurs au moment du jugement.

Les articles 306 et 400 du code de procédure pénale prévoient cependant une exception au principe de la publicité restreinte, dans le cas où le mineur poursuivi est devenu majeur au jour de l’ouverture des débats (3). Dans cette situation, la publicité restreinte peut être écartée si le mineur accusé devenu majeur en fait la demande, à condition qu’il n’existe pas d’autre accusé toujours mineur et qu’un autre accusé mineur devenu majeur ne s’oppose pas à cette demande. La publicité restreinte est donc aujourd’hui conçue comme un droit dont bénéficie le mineur, même après être devenu majeur, droit auquel il peut seul renoncer mais dont il ne peut être privé sans son accord, quand bien même d’autres intérêts pourraient éventuellement justifier l’application de la règle générale de la publicité.

Cependant, la réalité des audiences des cours d’assises des mineurs doit amener le législateur à se poser la question de l’adéquation des règles relatives à la publicité restreinte avec les aspirations démocratiques légitimes à ce que la justice soit rendue publiquement. En effet, la très grande majorité des accusés jugés par les cours d’assises des mineurs sont, du fait des délais nécessaires à l’instruction et à l’audiencement des affaires, jugés après leur majorité. En outre, la conception très stricte des exceptions au principe de la publicité restreinte aboutit à ce que le droit à la protection du mineur ne puisse être concilié avec d’autres intérêts qui devraient conduire à ce que les audiences soient publiques.

La proposition de loi faisant l’objet du présent rapport vise à modifier les règles de publicité applicables aux mineurs devenus majeurs jugés par une cour d’assises des mineurs, en faisant de la publicité la règle et de la publicité restreinte une exception soumise non plus à la volonté de l’accusé mais à la décision de la cour. Après avoir entendu l’avis des professionnels de la justice spécialistes des mineurs et d’associations de citoyens se consacrant aux questions relatives au fonctionnement de la justice, votre rapporteur considère que les règles actuelles de publicité des débats applicables aux mineurs devenus majeurs ne sont pas adaptées aux nécessités d’une justice placée sous le contrôle démocratique des citoyens (I), et estime qu’un nouvel équilibre doit être trouvé en matière de publicité des débats pour les procès de mineurs devenus majeurs (II).

I. – LES RÈGLES DE PUBLICITÉ DES DÉBATS JUDICIAIRES APPLICABLES AUX MINEURS DEVENUS MAJEURS NE SONT PAS ADAPTÉES AUX NÉCESSITÉS D’UNE JUSTICE PLACÉE SOUS LE CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE DES CITOYENS

Avant d’aborder la question de la pertinence des règles actuelles, il est nécessaire d’exposer dans le détail les règles de publicité applicables aux procès des mineurs devenus majeurs (A). La pertinence de ces règles devra ensuite être examinée à l’aune, d’une part, de la réalité judiciaire, qui est que la majorité des mineurs poursuivis pour des faits criminels sont jugés après leur majorité (B), et, d’autre part, du fait que le principe de la publicité restreinte est un droit du mineur devant être concilié avec d’autres intérêts (C).

A. LES RÈGLES DE PUBLICITÉ APPLICABLES AUX PROCÈS DES MINEURS DEVENUS MAJEURS

Par exception au principe de la publicité des débats judiciaires, les débats des juridictions pour mineurs sont soumis à la règle de la publicité restreinte. Cependant, cette règle peut être écartée, en cas de demande de l’accusé devenu majeur.

1. Le principe de la publicité restreinte

Lorsque des mineurs sont jugés par la cour d’assises des mineurs (compétente pour des faits criminels commis par des mineurs de 16 à 18 ans) ou par le tribunal pour enfants (compétent pour des faits délictuels commis par des mineurs de 16 à 18 ans, ainsi que pour des faits délictuels ou criminels commis par des mineurs de moins de 16 ans), les audiences de ces juridictions sont soumises à la règle de la publicité restreinte. Prévue par l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante pour les audiences du tribunal pour enfants, cette règle s’applique également aux audiences des cours d’assises des mineurs par renvoi de l’article 20 de la même ordonnance.

Le régime de la publicité restreinte ne consiste pas en une absence de publicité, ce en quoi il se distingue du huis clos pouvant être décidé par la cour d’assises dans les cas visés par l’article 306 du code de procédure pénale, mais en une limitation des personnes pouvant assister aux débats. Le deuxième alinéa de l’article 14 de l’ordonnance de 1945 contient une énumération des personnes qui, outre celles qui y participent régulièrement (parmi lesquels les greffiers d’audience et les experts cités à comparaître, ainsi que les magistrats ou avocats même non directement concernés par l’affaire), sont admises à assister aux débats. Aux termes de ce texte, « seuls seront admis à assister aux débats, la victime, qu’elle soit ou non constituée partie civile, les témoins de l’affaire, les proches parents, le tuteur ou le représentant légal du mineur, les membres du barreau, les représentants des sociétés de patronage et des services ou institutions s’occupant des enfants, les délégués à la liberté surveillée ». Ce texte avait été modifié par l’article 30 de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, pour faire figurer dans cette liste la victime, qui jusque-là n’y figurait pas en cette qualité, mais qui pouvait assister aux débats en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation l’assimilant à un témoin (4).

Cette énumération étant limitative, la Cour de cassation juge que constitue une méconnaissance de la publicité restreinte la présence aux débats du « père de la victime dont la constitution de partie civile avait été déclarée irrecevable » (5). De même, la présence d’un journaliste dans la salle d’audience au cours des débats de la cour d’assises des mineurs méconnaît l’exigence de la publicité restreinte (6).

La publicité restreinte doit être observée pendant toute la durée des débats de la cour d’assises des mineurs, c’est-à-dire à partir du moment où le président a, conformément à l’article 305 du code de procédure pénale, déclaré le jury définitivement constitué, jusqu’à celui où, en application de l’article 347 du même code, il déclare lesdits débats terminés. En revanche, les arrêts doivent être rendus en audience publique : les dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 qui ont institué la publicité restreinte des débats de la cour d’assises des mineurs ne s’appliquent qu’aux débats stricto sensu et n’apportent aucune dérogation au principe de la publicité des arrêts, réaffirmé par le cinquième alinéa de l’article 14 de l’ordonnance précitée.

L’inobservation des règles relatives à la publicité restreinte est sanctionnée par la cassation des arrêts rendus, cette règle étant d’ordre public.

Outre la publicité restreinte, une autre règle spécifique aux mineurs permet de leur assurer une protection que justifie leur âge au moment des faits : l’interdiction de la publication des débats, prévue par l’avant-dernier alinéa de l’article 14 et par l’article 20 de l’ordonnance du 22 février 1945 : « La publication du compte rendu des débats des tribunaux pour enfants dans le livre, la presse, la radiophonie, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit est interdite. La publication, par les mêmes procédés, de tout texte ou de toute illustration concernant l’identité et la personnalité des mineurs délinquants est également interdite ». La violation de ces interdictions est punie d’une amende de 6 000 euros, et, en cas de récidive, d’un emprisonnement de deux ans. Par ailleurs, en application du dernier alinéa de l’article 14 de l’ordonnance du 2 février 1945, seul l’arrêt de la cour d’assises des mineurs peut être publié, à condition que le nom du mineur n’y soit pas indiqué, même par une initiale. La violation de cette interdiction est punie d’une amende de 3 750 euros.

Comme l’ont rappelé lors de leur audition les représentants des différents syndicats de magistrats, de l’Association française des magistrats de la famille et de la jeunesse ou encore du Conseil national des barreaux et de l’Ordre des avocats, la règle de la publicité restreinte pour les audiences concernant des mineurs est fondée sur la volonté de protéger les mineurs des conséquences négatives que pourrait avoir pour leur réputation la présence du public et de la presse, afin de ne pas nuire à leur réinsertion future, qui est l’un des objectifs prioritaires de l’ordonnance du 2 février 1945. Dans le rapport qu’il avait remis à Mme la garde des sceaux en décembre 2008 en conclusion des travaux de la commission de réflexion sur la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, le recteur André Varinard avait souligné que « la publicité restreinte des débats judiciaires est la garantie de la protection de l’image et de la réputation du mineur prévenu » (7).

Par ailleurs, lors de son audition, M. Michel Huyette, conseiller à la Cour d’appel de Toulouse, a indiqué que la publicité restreinte présentait deux autres intérêts. D’une part, elle favoriserait un bon déroulement du procès, en permettant à l’accusé ou au prévenu de s’exprimer sereinement, sans craintes liées à la présence du public qui peut se révéler intimidant ou au fait que soient rendus publics des éléments de sa vie familiale et personnelle relevant de son intimité. Ce risque avait également été soulevé par le rapport de la commission présidée par le recteur André Varinard, qui avait relevé que « si le caractère public des débats est généralement considéré comme la garantie d’une procédure équitable, il convient d’observer qu’appliqué aux mineurs il peut avoir l’effet inverse, la présence du public intimidant, voire "traumatisant" les mineurs au point de les empêcher de participer à leur défense » (8). D’autre part, la publicité restreinte permettrait d’éviter des présences non souhaitées, telles que celles de personnes appartenant à une bande rivale dans des affaires mettant en jeu des phénomènes de bandes : la publicité restreinte serait alors indispensable non seulement pour permettre à l’accusé ou au prévenu de s’exprimer sans crainte mais aussi pour assurer sa protection.

Une seule dérogation à ce principe est prévue par les articles 306 et 400 du code de procédure pénale, en cas de demande expresse de l’accusé ou du prévenu devenu majeur.

2. L’exception au principe de la publicité restreinte : la demande de l’accusé ou du prévenu devenu majeur

Le régime de la publicité restreinte s’impose, en principe, dès lors que l’accusé ou le prévenu était mineur à la date des faits, sans qu’il importe qu’il soit devenu majeur lors de sa comparution devant la cour d’assises des mineurs ou le tribunal pour enfants. Cependant, une affaire ayant eu un fort retentissement médiatique au début des années 2000, dans laquelle un mineur condamné par une cour d’assises des mineurs avait bénéficié d’une révision de sa condamnation et été renvoyé, alors qu’il était âgé de plus de 30 ans, devant une nouvelle cour d’assises des mineurs, avait mis en évidence les inconvénients que pouvait présenter la règle de la publicité restreinte, notamment dans des cas où l’accusé devenu majeur estimait avoir intérêt à ce que l’audience soit publique. L’article 9 de la loi n° 2002-307 du 4 mars 2002 complétant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a donc apporté une dérogation à la règle de la publicité restreinte, dans le cas de l’accusé ou du prévenu qui, mineur à la date des faits, est devenu majeur lorsque s’ouvrent les débats de la juridiction de jugement devant laquelle il comparaît.

Un nouvel alinéa, inséré à la fois dans l’article 306 et dans l’article 400 dispose que, dans cette hypothèse, les dispositions « de droit commun » prévoyant le principe de la publicité des débats et la possibilité, par exception, de décider le huis clos, sont applicables au mineur, à une double condition. Premièrement, le mineur devenu majeur doit demander que le procès se déroule publiquement. Deuxièmement, il faut qu’il n’y ait pas dans la cause un autre accusé ou prévenu toujours mineur ou, si celui-ci est lui-même devenu majeur, qu’il ne s’oppose pas à la demande.

In fine, la décision sur les conditions de publicité dans lesquelles se dérouleront les audiences appartient discrétionnairement à l’accusé ou au prévenu, qui est libre de ne pas demander la publicité ou de s’y opposer, sauf dans les cas où le huis clos est décidé en application du premier ou du troisième alinéa de l’article 306. Dans ces derniers cas, en effet, même si la publicité est demandée par l’accusé devenu majeur, elle ne peut être ordonnée si la cour estime que la publicité serait dangereuse pour l’ordre ou les moeurs, ou si la partie civile, victime d’un viol ou de tortures ou actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, a demandé le huis clos, lequel est alors de droit.

L’architecture juridique de cette dérogation à la publicité restreinte traduit la conception qui a animé en 2002 le législateur : la publicité restreinte est un droit dont bénéficie tout mineur déféré devant une juridiction judiciaire, y compris lorsqu’il est devenu majeur. Destiné à le protéger, ce droit peut certes recevoir une exception, mais dans le seul cas où le mineur devenu majeur fait le choix d’y renoncer. Cette conception a pour conséquence que la faculté de renoncer à la publicité restreinte appartient de façon discrétionnaire au seul accusé : « dans la mesure où la publicité restreinte protège les mineurs, il est normal que seuls ces derniers – une fois devenus majeurs – puissent renoncer à une règle dont ils sont les bénéficiaires » (9).

Cependant, les travaux menés par votre rapporteur ont mis en évidence la réalité judiciaire, qui est que la majorité des mineurs poursuivis pour des faits criminels sont jugés après leur majorité, ce qui peut amener à s’interroger sur le maintien d’une conception aussi absolue du droit à la publicité restreinte pour les mineurs devenus majeurs comparaissant devant une juridiction de jugement.

B. LA MAJORITÉ DES MINEURS POURSUIVIS POUR DES FAITS CRIMINELS SONT JUGÉS APRÈS LEUR MAJORITÉ

Lors de leur audition par votre rapporteur, MM. Henri-Claude Le Gall et Jean-Pierre Deschamps, représentants de l’association nationale des praticiens de la cour d’assises, ont souligné une réalité judiciaire souvent méconnue : les mineurs jugés par les cours d’assises des mineurs alors qu’ils sont encore mineurs constituent une infime minorité.

PART DES MINEURS DEVENUS MAJEURS PARMI LES MINEURS AU MOMENT DES FAITS
CONDAMNÉS PAR DES JURIDICTIONS POUR MINEURS ENTRE 2004 ET 2008

   

Tribunal pour enfants

Cour d'assises des mineurs
(1ère instance

Cour d'assises des mineurs (appel)

2004

Nombre de mineurs condamnés

22 723

229

30

Nombre de mineurs devenus majeurs condamnés

7 756

224

30

Part des mineurs devenus majeurs parmi les mineurs condamnés

34,1 %

97,8 %

100 %

2005

Nombre de mineurs condamnés

27 925

217

21

Nombre de mineurs devenus majeurs condamnés

11 649

214

21

Part des mineurs devenus majeurs parmi les mineurs condamnés

41,7 %

98,6 %

100 %

2006

Nombre de mineurs condamnés

29 040

191

20

Nombre de mineurs devenus majeurs condamnés

11 950

190

20

Part des mineurs devenus majeurs parmi les mineurs condamnés

41,2 %

99,5 %

100 %

2007

Nombre de mineurs condamnés

30 785

239

15

Nombre de mineurs devenus majeurs condamnés

13 315

234

15

Part des mineurs devenus majeurs parmi les mineurs condamnés

43,3 %

97,9 %

100 %

2008

Nombre de mineurs condamnés

31 553

237

23

Nombre de mineurs devenus majeurs condamnés

13 786

233

23

Part des mineurs devenus majeurs parmi les mineurs condamnés

43,7 %

98,3 %

100 %

Source : ministère de la Justice, casier judiciaire national

Les statistiques nationales communiquées par M. Jean-Marie Huet, Directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, confirment la réalité vécue par les praticiens des cours d’assises, comme le révèle le tableau ci-dessus. Ainsi, en 2008, sur les 237 accusés mineurs au moment des faits ayant été condamnés par des cours d’assises des mineurs, seuls 4 ont été jugés alors qu’ils étaient encore mineurs, 233 (soit 98 %) ayant été jugés alors qu’ils étaient devenus majeurs. En appel, aucun des 23 mineurs condamnés par une cour d’assises d’appel n’a été jugé en étant encore mineur. Le déséquilibre est moins flagrant pour les tribunaux pour enfants, qui en 2008 ont jugé des mineurs devenus majeurs dans 44 % des affaires ayant débouché sur une condamnation (13 786 sur 31 553), mais la part des mineurs devenus majeurs parmi les mineurs condamnés a tendance à augmenter : de 34,1 % en 2004, elle est passée à 43,7 % en 2008.

Aussi paradoxal et surprenant que cela puisse paraître, ce n’est qu’exceptionnellement que les cours d’assises des mineurs sont amenées à juger des mineurs au moment du procès. Cette réalité judiciaire est la conséquence de l’addition des délais d’instruction, obligatoire en matière criminelle, et des délais d’audiencement des affaires, qui peuvent être très variables d’une cour d’assises à une autre. La question des conditions de publicité dans lesquelles doivent se dérouler les procès d’assises des mineurs est donc posée de façon quasiment systématique à toutes les cours d’assises des mineurs.

Cette réalité judiciaire soulève une question sur la portée que doit revêtir la protection des mineurs devenus majeurs par la règle de la publicité restreinte. Les travaux qu’il a menés sur cette délicate question ont amené votre rapporteur à la conclusion que le droit du mineur devenu majeur à la publicité restreinte ne devrait plus être conçu comme un droit absolu du mineur, mais que ce droit doit se concilier avec d’autres intérêts.

C. LA PUBLICITÉ RESTREINTE : UN DROIT DU MINEUR DEVENU MAJEUR DEVANT ÊTRE CONCILIÉ AVEC D’AUTRES INTÉRÊTS

La publicité restreinte est certes un droit pour le mineur, destiné à défendre les intérêts du mineur. Cette prise en compte des intérêts des mineurs ne peut cependant pas empêcher que le droit à la publicité restreinte soit, s’agissant de mineurs devenus majeurs, mis en balance avec d’autres intérêts légitimes qui peuvent être considérés comme ayant la même force contraignante, voire une force supérieure. La question soulevée par la présente proposition de loi est donc celle de l’équilibre devant être trouvé entre deux principes, la publicité des débats judiciaires et le droit à la publicité restreinte pour les mineurs.

Il convient en premier lieu de relever que des dérogations aux règles de procédure applicables aux mineurs sont possibles dans le cas des mineurs devenus majeurs. En outre, l’examen de la jurisprudence constitutionnelle et du droit international permettra de mettre en évidence que la conciliation des deux principes de la publicité et de la publicité restreinte peut permettre de faire primer la règle de la publicité, en vue de prendre en compte des intérêts légitimes incompatibles avec la publicité restreinte.

1. Des dérogations aux règles de procédure applicables aux mineurs sont possibles dans le cas des mineurs devenus majeurs

Lors de leurs auditions, les représentants du Syndicat de la magistrature ou du Conseil national des barreaux et de l’Ordre des avocats ont fait part de leur opposition à toute modification des règles de publicité applicables aux mineurs devenus majeurs. Dans une résolution adoptée le 14 novembre 2009 et transmise à votre rapporteur, le Conseil national des barreaux a notamment fait valoir que le principe de la publicité restreinte « est spécifique aux juridictions pour mineurs dont l’objet est de sanctionner, mais aussi de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants selon des procédures appropriées, comme le rappellent le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme ». Lors de son audition, Maître Dominique Attias a estimé que « les dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 s’appliquent à une personne qui s’est rendue coupable d’un crime alors qu’elle était mineure, même si celle-ci est devenue depuis majeure. Comme pour le droit applicable au fond, la procédure applicable doit tenir compte de l’âge au moment des faits. Le mineur délinquant étant jugé par la cour d’assises des mineurs, les règles de procédure concernant la justice des mineurs doivent nécessairement s’appliquer ».

Votre rapporteur considère que, s’ils étaient admis, de tels arguments devraient interdire tout aménagement des règles applicables aux mineurs lorsque les mineurs poursuivis sont devenus majeurs. Or, le droit positif prévoit déjà des cas où les règles procédurales applicables aux mineurs sont aménagées lorsque les mineurs poursuivis sont devenus majeurs. Si les règles de fond – telles que le principe d’atténuation de la responsabilité – et les règles de compétence juridictionnelle ne peuvent pas être aménagées, puisqu’elles sont une conséquence du principe de la légalité, il n’en va pas de même pour les règles de procédure. Par exemple, la Cour de cassation a jugé que les règles spécifiques relatives à la garde à vue des mineurs ne sont pas applicables aux mineurs devenus majeurs au jour de la mesure, en considérant que « les règles énoncées par l’article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945 visent à protéger le mineur placé en garde à vue, non en raison de son manque de discernement au jour des faits mais en raison de sa vulnérabilité supposée au jour de son audition » (10). De même, en matière de détention provisoire, la Cour de cassation a jugé que le rapport prévu par l’article 12 de l’ordonnance du 2 février 1945, qui prévoit qu’une proposition éducative doit être formulée par le service de la protection judiciaire de la jeunesse pour tout mineur à l’encontre duquel une mesure de placement en détention est envisagée, n’est plus exigé s’agissant d’une personne devenue majeure au moment où le magistrat statue sur sa détention (11).

Dans un article relatif à la situation du mineur délinquant devenu majeur, M. Philipe Bonfils avait estimé que « la situation du mineur devenu majeur n’a pas été pleinement envisagée par le législateur. Si certaines questions ont été résolues, il ne se dégage pas de principes généraux ; parfois on retiendra les règles de l’ordonnance de 1945, parfois aussi on les écartera. (…) Il nous paraît acquis que de manière générale, le droit pénal de fond applicable au mineur devenu majeur doit rester celui de l’ordonnance de 1945. Cette solution est, à notre avis, la seule qui permet d’assurer le respect de la légalité. (…) S’agissant de la procédure, les éléments de réponse fournis par le droit positif semblent suggérer une distinction, entre les règles de l’ordonnance de 1945 qui restent applicables et celles qui sont écartées » (12).

Dès lors, les règles de publicité étant des règles de procédure, les arguments tendant à considérer le régime de la publicité restreinte comme un droit absolu du mineur auquel il ne serait pas possible de déroger sans son accord, y compris lorsqu’il est devenu majeur, apparaissent irrecevables. De plus, si le principe de la publicité restreinte est constitutionnellement et internationalement protégé, tel est également le cas du principe de la publicité.

2. La publicité des débats et la publicité restreinte : deux principes constitutionnellement et internationalement protégés

Le principe de la publicité des débats résulte de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et bénéficie, à ce titre, d’une protection constitutionnelle. Dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel avait censuré une disposition prévoyant que les décisions d’homologation des peines proposées par le ministère public dans le cadre de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité seraient rendues en chambre du conseil, en considérant « qu’il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration de 1789 que le jugement d’une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l’objet d’une audience publique ».

Le principe de la publicité restreinte a lui aussi été reconnu par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 relative à la loi d’orientation et de programmation pour la justice. Pour valider la compétence de la juridiction de proximité pour juger les mineurs poursuivis pour des contraventions des quatre premières classes, le Conseil avait en effet relevé que « la publicité des débats sera soumise aux restrictions prévues par l’article 14 de la même ordonnance ».

Les deux principes qui entrent en concurrence lorsque doit être jugé un mineur devenu majeur, le principe de la publicité des débats judiciaires et le droit du mineur à la publicité restreinte, bénéficient donc également d’une protection constitutionnelle. Il en va de même au niveau européen et international, qui reconnaissent et protègent ces deux droits.

Ainsi, l’article 6, alinéa 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CEDH) relatif au droit au procès équitable prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ». Mais le même alinéa du même article prévoit également que ce principe peut recevoir des exceptions : « l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

La lecture de ces dispositions amène à la conclusion que l’article 6 de la CEDH ne requiert pas nécessairement la publicité restreinte pour les audiences concernant des mineurs, mais autorise simplement l’interdiction de la salle d’audience à la presse ou au public « lorsque les intérêts des mineurs l’exigent ». Tel est le cas lorsque l’accusé est mineur au moment de son procès, et particulièrement lorsque son âge est très en deçà de l’âge de la majorité. Ainsi, dans deux décisions en date du 16 décembre 1999, la Cour européenne des droits de l’Homme avait relevé que « s’agissant d’un jeune enfant accusé d’une infraction grave qui a un retentissement considérable auprès des médias et du public, la Cour estime qu’il faudrait conduire le procès de manière à réduire autant que possible l’intimidation et l’inhibition de l’intéressé ». Elle avait en conséquence conclu à une violation de l’article 6, en considérant que « dans le cas d’un enfant de onze ans, un procès public devant une juridiction pour adultes, avec la publicité dont il s’accompagne, doit être considéré comme une procédure extrêmement intimidante, et conclut qu’eu égard à son âge, le fait d’avoir soumis le requérant à toute la rigueur d’un procès public devant un tribunal pour adultes l’a privé de la possibilité de participer réellement à la procédure visant à décider du bien-fondé des accusations en matière pénale dirigées contre lui » (13). En revanche, l’article 6 n’impose nullement que la règle de la publicité restreinte soit appliquée systématiquement à tous les mineurs sans aucune distinction en fonction de leur âge, a fortiori lorsque ces mineurs sont devenus majeurs au jour du procès.

Du reste, dans plusieurs États de l’Union européenne, la règle applicable devant les juridictions pour mineurs amenées à juger une personne devenue majeure – mais aussi parfois lorsque la personne est encore mineure – est celle de la publicité des audiences, la juridiction pouvant par exception écarter la publicité si elle estime que l’intérêt de la personne poursuivie le justifie. C’est notamment le cas en Autriche, en Belgique, en Espagne ou encore au Royaume-Uni (14).

L’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, prévoit quant à lui que, s’agissant des droits des mineurs accusés d’infractions pénales, que « les États parties veillent (…) à ce que tout enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le droit (…) à ce que sa vie privée soit pleinement respectée à tous les stades de la procédure ». Mais, conformément à l’article 1er de cette Convention, « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable ». La disposition prévue à l’article 40 s’applique donc aux enfants, au sens de l’article 1er de la Convention, mais n’interdit nullement que des personnes qui n’ont plus cette qualité au moment où elles sont jugées soient soumises à des règles de publicité différentes de celles appliquées aux mineurs jugés alors qu’ils sont encore mineurs.

En résumé, ni la jurisprudence constitutionnelle française, ni les dispositions de l’article 6 de la CEDH, ni l’interprétation qui en est donnée par la Cour de Strasbourg, ni l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant ne permettent de conclure que le droit à la publicité restreinte serait un droit absolu pour les mineurs, a fortiori lorsque ces mineurs sont jugés alors qu’ils sont devenus majeurs. Le législateur national peut donc, en conformité avec les règles nationales et internationales de protection des droits de l’Homme, prévoir des dérogations à la règle de la publicité restreinte, la prise en compte d’autres intérêts légitimes pouvant conduire, dans les cas prévus par la loi, à faire primer le principe de la publicité.

3. La prise en compte d’intérêts légitimes incompatibles avec la publicité restreinte peut permettre de faire primer le principe de la publicité

Si la publicité restreinte ne peut recevoir d’exceptions dès lors que l’accusé est toujours mineur au moment du procès ou que l’un des accusés l’est encore, il en va autrement lorsque l’accusé est devenu majeur. En effet, si le mineur a droit à certaines protections particulières du fait de son âge au moment des faits, ses droits d’ancien mineur peuvent être amenés, dans certains cas, à être conciliés avec d’autres droits. Le droit à la publicité restreinte, qui doit être une protection absolue pour le mineur dans le cours de sa minorité, peut recevoir des aménagements pour être concilié avec d’autres intérêts lorsque l’accusé est devenu majeur au moment de l’audience.

Ces intérêts avec lesquels le droit à la protection du mineur devenu majeur doit être concilié sont de trois ordres : ceux d’éventuels coaccusés majeurs au moment des faits, ceux de la société et ceux des parties civiles.

Tout d’abord, le droit à la publicité restreinte du mineur devenu majeur doit être concilié avec les intérêts d’éventuels coaccusés majeurs au moment des faits. En effet, de nombreuses affaires révèlent que des faits criminels sont fréquemment commis en bande par des mineurs proches de l’âge de la majorité et par de jeunes majeurs. Or, ces derniers, du fait de la compétence d’attribution dont dispose la cour d’assises des mineurs pour juger les majeurs coauteurs ou complices de faits commis par des mineurs, sont, en dehors des hypothèses où une disjonction est décidée, jugés dans des conditions de publicité ne correspondant pas à leur statut de majeur. Du fait du droit discrétionnaire dont dispose le mineur devenu majeur de s’opposer à la publicité, ces coaccusés majeurs ne peuvent pas bénéficier de la publicité à laquelle ils ont pourtant droit en application de l’article 306 du code de procédure pénale et de l’article 6, alinéa 1, de la CEDH.

Lors de son audition, Maître Francis Szpiner a souligné que la présence dans une audience de cour d’assises des mineurs d’un seul mineur devenu majeur aux côtés d’une majorité d’accusés majeurs au moment des faits avait pour effet de priver ces derniers du droit à la publicité que leur reconnaît la CEDH, au seul nom de la protection des intérêts de mineurs qui n’ont plus cette qualité au moment des débats. La législation actuelle a fait le choix de faire primer le droit à la publicité restreinte des mineurs devenus majeurs sur le droit à la publicité des majeurs, mais ce choix n’est pas exempt de tout inconvénient. Une condamnation de la France pour violation de l’article 6, alinéa 1, de la CEDH pourrait d’ailleurs être encourue si un majeur jugé par une cour d’assises des mineurs dans des conditions de publicité restreinte contestait les conditions de la décision de condamnation.

Au cours de son audition par votre rapporteur, Mme Catherine Sultan, présidente de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille, a estimé que lorsque la mise en œuvre du régime de la publicité restreinte serait susceptible de nuire aux intérêts d’un accusé majeur, une solution adaptée pour résoudre cette difficulté pourrait être la disjonction des affaires. Cependant, comme l’a souligné M. Philippe Léger, ancien avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes et président du Comité de réflexion sur la justice pénale, la disjonction est rarement souhaitable dans les affaires criminelles, dans lesquelles « des mineurs peuvent avoir joué un rôle majeur tandis que des majeurs y ont joué un rôle mineur ».

En deuxième lieu, le droit à la publicité restreinte du mineur devenu majeur doit également être concilié avec les intérêts de la société, qui requièrent que les débats judiciaires soient, par principe, publics. La publicité étant la condition de l’exercice du contrôle démocratique par les citoyens du bon fonctionnement de la justice, il est possible de la faire primer sur la publicité restreinte destinée à protéger les mineurs, dans le cas où ceux-ci ne sont plus mineurs au jour de l’audience. Lors de leur audition par votre rapporteur, M. Xavier Bébin, Mme Françoise de Chabot et Maître Stéphane Maître, représentants de l’Institut pour la justice, se sont ainsi déclarés favorables à toute modification de la législation susceptible de favoriser la transparence de la justice, et particulièrement à la modification proposée par la présente proposition de loi, qui permettrait de soumettre au contrôle des citoyens le fonctionnement de la justice dans des affaires mettant en cause des mineurs devenus majeurs.

Enfin, même si la question est de nature à faire débat, dans la mesure où elle est liée à la délicate question de la place de la victime dans le procès pénal, votre rapporteur estime que le droit à la publicité restreinte du mineur devenu majeur doit également être concilié avec les intérêts de la partie civile. D’une part, l’article 6 de la CEDH qui consacre le droit à un procès équitable et public s’applique aussi aux demandes formulées par la victime dans le cadre de sa constitution de partie civile. D’autre part, la victime peut estimer nécessaire que les débats soient ouverts au public, afin que le procès puisse se dérouler dans des conditions empêchant toute mise en cause de l’impartialité des débats et toute déformation volontaire de ces débats dans la presse du fait du rôle d’intermédiaire joué par les avocats des parties et, dans certains cas, par le ministère public. Notamment, certains faits mettant en jeu des questions fondamentales dans la cohésion de la société, tels des crimes pouvant revêtir la qualification de crimes racistes ou antisémites, exigent aux yeux des victimes ou de leurs proches que l’opinion puisse être directement et correctement informée de la nature des faits commis à leur encontre.

Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de l’Institut pour la justice ont souligné que les dispositions actuelles de l’article 306 du code de procédure pénale, qui laissent la décision du régime de publicité auquel sera soumis le procès entre les mains de l’accusé, privent la victime de la sécurité que procure un procès public en termes de garantie de l’impartialité de la justice. La modification prévue par la proposition de loi permettrait donc de mettre les règles relatives à la publicité des audiences impliquant des mineurs devenus majeurs en conformité avec l’un des principes posés par l’article préliminaire du code de procédure pénale, dont le II dispose que « l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ».

II. – UN NOUVEL ÉQUILIBRE NÉCESSAIRE EN MATIÈRE
DE PUBLICITÉ DES DÉBATS POUR LES PROCÈS
DE MINEURS DEVENUS MAJEURS

Les développements qui précèdent ont mis en évidence le fait qu’un nouvel équilibre doit être trouvé s’agissant des règles de publicité des débats pour les procès de mineurs devenus majeurs. Le texte initial de la proposition de loi a fait le choix d’inverser les règles actuelles de publicité applicables aux procès en assises des mineurs devenus majeurs. Votre commission a adopté, en gardant le même objectif de permettre que des procès impliquant des mineurs devenus majeurs puissent avoir lieu publiquement, une approche sensiblement différente fondée sur la recherche du meilleur équilibre entre les principes de publicité et de publicité restreinte.

A. LA PROPOSITION DE LOI INVERSE LES RÈGLES DE PUBLICITÉ POUR LES PROCÈS D’ASSISES DES MINEURS DEVENUS MAJEURS

Afin de répondre à la difficulté soulevée par la situation des mineurs devenus majeurs jugés par des cours d’assises des mineurs, la proposition de loi a recherché un nouvel équilibre entre le principe de la publicité des audiences et le droit à la publicité restreinte, en inversant la règle actuelle. Ainsi, lorsqu’un mineur comparaîtrait devant une cour d’assises des mineurs alors qu’il est devenu majeur au jour de l’ouverture des débats, les audiences seraient par principe publiques, sauf si la cour, saisie d’une demande de l’accusé mineur, décide que les débats se déroulent à huis clos. La cour statuerait sur la demande de non-publicité formulée par l’accusé après avoir entendu toutes les parties. Pour les mineurs devenus majeurs, la règle deviendrait donc la publicité, et l’exception le huis clos. Les dispositions du troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale, prévoyant le huis clos de droit à la demande de la victime partie civile de viols ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, resteraient applicables.

Par ailleurs, le champ d’application prévu par la proposition de loi pour ces nouvelles règles de publicité serait limité aux cours d’assises des mineurs. Les tribunaux pour enfants resteraient soumis aux règles actuelles : la publicité ne pourrait être décidée que sur demande ou en l’absence d’opposition de l’accusé ou du prévenu mineur devenu majeur.

Trois modifications pourraient toutefois être apportées à la proposition de loi initiale. La première est une précision purement technique : la proposition de loi prévoit que, par exception au principe de la publicité, la cour puisse décider le « huis clos ». Le huis clos consiste dans l’interdiction de la présence dans la salle d’audience de toute personne étrangère à la cause, alors que, pour les mineurs, le régime applicable est celui de la publicité restreinte, qui permet la présence dans la salle d’audience de certaines personnes énumérées par l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

La deuxième modification a trait au champ d’application de la proposition de loi, limité aux seules cours d’assises des mineurs. Lors des auditions menées par votre rapporteur, un grand nombre des personnes entendues a estimé que cette limitation créait une disparité entre la cour d’assises des mineurs et le tribunal pour enfants, qui juge les délits commis par les mineurs de 13 à 18 ans et les crimes commis par les moins de 16 ans, alors que les mêmes difficultés liées au régime de publicité peuvent se présenter devant le tribunal pour enfants lorsque comparaissent des mineurs prévenus ou accusés devenus majeurs.

Enfin, si le choix de l’inversion du principe et de l’exception permet d’apporter une réponse très efficace à la difficulté soulevée tout en maintenant la possibilité que le procès se déroule dans le cadre de la publicité restreinte, lorsque certaines circonstances particulières le justifient, plusieurs personnes entendues ont estimé qu’une telle inversion revenait à faire disparaître l’une des spécificités du droit pénal des mineurs. Ainsi, M. Hugues Feltesse, délégué général de la Défenseure des enfants, et Mme Carol Bizouarn, conseillère de la Défenseure des enfants sur les questions de justice, ont estimé que l’inversion du principe était excessive voire dangereuse et mettait en cause de façon trop importante le droit à la protection des mineurs garanti tant par le droit interne que par les textes internationaux. Ayant entendu ces arguments, votre rapporteur, au terme de ses travaux, a estimé nécessaire de proposer un nouvel équilibre consistant à maintenir le principe de la publicité restreinte, mais à modifier les conditions dans lesquelles ce régime peut être écarté au profit de celui de la publicité.

B. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION : UN NOUVEL ÉQUILIBRE EN MATIÈRE DE PUBLICITÉ DES PROCÈS DE MINEURS DEVENUS MAJEURS

Sur proposition de votre rapporteur, la commission a modifié le texte de la proposition de loi initiale, afin de réaffirmer le principe de la publicité tout en réaménageant les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à ce principe. Par ailleurs, elle a également étendu l’application de ces nouvelles règles de publicité au tribunal pour enfants. Enfin, elle a renforcé l’effectivité de l’interdiction de publication de l’identité du mineur, afin de garantir que le régime de publicité destiné à garantir le bon fonctionnement de la justice n’ait pas pour conséquence non désirée un risque de « lynchage médiatique » du mineur dans certaines affaires particulières.

1. Un principe de publicité restreinte réaffirmé

L’ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, qu’elles se soient déclarées favorables ou hostiles à une évolution des règles de publicité pour les mineurs devenus majeurs, a fait valoir que la proposition de loi constituait une modification fondamentale du statut pénal particulier reconnu aux mineurs par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Mme Catherine Sultan, présidente de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille, a ainsi estimé que le renversement du principe par la proposition de loi remettait en cause l’une des spécificités du droit pénal des mineurs, le droit commun des majeurs devenant le droit commun des mineurs devenus majeurs.

Ayant entendu les observations de l’ensemble des personnes intéressées, votre rapporteur a proposé de modifier le dispositif initial de la proposition de loi, afin de réaffirmer le principe de la publicité restreinte pour les mineurs devenus majeurs au jour de leur procès. Le maintien de ce principe apparaît en effet conforme à la nécessité de préserver une spécificité au statut pénal des mineurs, afin de tenir compte de leur âge au moment des faits.

En outre, le maintien de ce principe, quel que soit l’âge auquel le mineur sera jugé, est conforme avec les conclusions de la commission présidée par le recteur André Varinard sur la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Le rapport de la commission a en effet proposé que le principe de publicité restreinte figure parmi les principes directeurs de la justice pénale des mineurs. La commission a donc choisi de ne pas modifier la règle selon laquelle, devant les juridictions pour mineurs, le principe est la publicité restreinte, y compris lorsque les mineurs jugés sont devenus majeurs.

2. Une exception au principe de la publicité restreinte aménagée

Pour s’opposer à une modification de la règle permettant de déroger à la publicité restreinte pour des mineurs devenus majeurs, Maître Dominique Attias avait invoqué, lors de son audition par votre rapporteur, le fait que la commission présidée par le recteur Varinard ait adopté à l’unanimité l’affirmation du principe de la publicité restreinte comme principe directeur de la justice pénale des mineurs. Cependant, le fait que la commission Varinard n’ait pas abordé la question des règles de publicité applicables aux mineurs devenus majeurs ne saurait être interprété comme une exclusion de toute possibilité d’aménagement des règles de publicité dans le cas des mineurs devenus majeurs. En effet, comme l’a souligné M. Philippe Bonfils, membre de cette commission, le silence du rapport sur cette question particulière provient uniquement du fait que le travail de la commission, réalisé dans de très brefs délais, s’est exclusivement concentré sur le texte de l’ordonnance du 2 février 1945, et que les dispositions intéressant les mineurs se trouvant dans d’autres supports législatifs, tels que les articles 306 et 400 du code de procédure pénale, n’ont pu par manque de temps être examinés.

Si votre rapporteur, au terme de ses travaux, estime que la présente proposition de loi doit réaffirmer le principe de la publicité restreinte pour les mineurs devenus majeurs, il n’en conclut pas pour autant qu’aucune évolution de la possibilité de déroger à cette règle ne soit possible. Au contraire, il considère que la conciliation des deux principes de la publicité et de la publicité restreinte rend nécessaire que la décision sur les conditions de publicité n’appartienne plus uniquement à l’accusé, mais qu’elle fasse l’objet, sur demande de l’une des parties – ministère public, accusé ou prévenu, partie civile – d’une décision de la juridiction saisie.

Afin de guider la décision de la juridiction saisie, la commission a donc prévu que, en cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, la cour devra statuer en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile, après un débat au cours duquel auront été entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée (article 1er du texte adopté par la commission). Toutefois, la commission a également prévu que, dans le cas où la personnalité de l’accusé mineur au moment des faits rendrait indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics, la cour devrait ordonner que l’audience sera soumise au régime de la publicité restreinte.

Au regard de la législation en vigueur dans plusieurs États membres de l’Union européenne, la disposition adoptée par la commission placera le droit français dans une position que l’on peut qualifier de « médiane ». En effet, dans plusieurs États, les mineurs devenus majeurs – et, dans certains cas, les mineurs toujours mineurs au jour de leur procès – sont soumis par principe au régime de la publicité des audiences, la juridiction pouvant par exception décider la publicité restreinte ou le huis clos (15). La nouvelle règle française placera donc le droit français dans la catégorie intermédiaire des États dans lesquels le principe est la publicité restreinte ou le huis clos, avec par exception la possibilité pour la juridiction de décider la publicité. Ce positionnement « médian », comparativement aux règles en vigueur dans plusieurs États européens, confirme le caractère équilibré des modifications adoptées, ainsi que leur conformité avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

3. Un champ d’application étendu aux audiences correctionnelles

La majorité des personnes entendues par votre rapporteur qui se sont déclarées favorables à une évolution des règles de publicité des audiences judiciaires concernant des mineurs devenus majeurs a estimé qu’il serait logique d’étendre la nouvelle règle aux audiences du tribunal pour enfants. Ainsi, M. Alain Boulay, président de l’Association des parents d’enfants victimes, a estimé que, même si les tribunaux pour enfants ne jugent jamais de majeurs au moment des faits (qui relèvent nécessairement du tribunal correctionnel) en qualité de coauteurs ou complices de mineurs, les mêmes questions sur le régime de publicité adapté que devant les cours d’assises des mineurs se posent lorsque le mineur prévenu ou accusé est devenu majeur au moment de l’audience.

La commission a donc adopté un amendement modifiant l’article 400 du code de procédure pénale, afin d’étendre au tribunal pour enfants les nouvelles règles de publicité décrites ci-dessus, en permettant audit tribunal de décider, sur demande de l’une des parties, que les audiences seront publiques (article 2).

4. Le nécessaire renforcement de l’effectivité de l’interdiction de publication de l’identité du mineur

En dehors de la règle de la publicité restreinte, les mineurs sont également protégés par l’interdiction de la publication des comptes rendus des débats et de la divulgation de leur identité. Cependant, les sanctions actuellement prévues en cas de divulgation de l’identité ou de publication d’éléments relatifs à des procès mettant en cause des personnes mineures au moment des faits apparaissent insuffisamment dissuasives. Ainsi, lors de son audition par votre rapporteur, Mme Catherine Sultan, présidente de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille, a souligné que ces dispositions tendant à garantir l’anonymat des mineurs étaient trop fréquemment violées, les noms des mineurs étant soit publiés par la presse, soit diffusés via Internet.

Actuellement, la personne qui publie un compte rendu de débats du tribunal pour enfants ou de la cour d’assises des mineurs est passible d’une amende de 6 000 euros et, en cas de récidive, d’un emprisonnement de deux ans ; celle qui publie une décision de l’une de ces juridictions sans l’anonymiser est passible d’une amende de 3 750 euros.

Il apparaît nécessaire de renforcer et d’uniformiser ces sanctions, relatives à des faits de gravité comparable. À titre de comparaison, certaines infractions similaires, commises par voie de presse, sont aujourd’hui punies d’une amende de 15 000 euros : tel est le cas notamment de la divulgation de l’identité d’un mineur disparu ou victime d’une infraction sans autorisation de ses parents ou des autorités administratives ou judiciaires (article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse), ou encore de la diffusion de l’image d’une victime sans son consentement (article 39 quinquies de la même loi).

La commission a donc adopté un article 3 portant les sanctions prévues par l’article 14 de l’ordonnance du 2 février 1945 en matière de divulgation de l’identité de mineurs jugés par des juridictions pour mineurs au même niveau que celles prévues par la loi du 29 juillet 1881 en matière de divulgation de l’identité de personnes victimes d’infractions.

Enfin, il apparaît que, dans les cas où des violations des interdictions de publication sont constatées, des poursuites ne sont pas systématiquement engagées par les parquets, même lorsqu’une plainte du mineur dont l’identité a été divulguée leur est adressée. Votre rapporteur estime donc souhaitable que la future circulaire d’application, qui sera adressée aux autorités judiciaires chargées de l’application de la future loi, donne aux parquets des instructions de poursuites systématiques dans les cas de violations du droit à l’anonymat des mineurs ayant comparu devant des juridictions pénales, quand bien même ceux-ci seraient devenus majeurs au moment de leur procès.

TABLE RONDE SUR LA PROPOSITION DE LOI

La Commission entend, dans le cadre d’une table ronde, ouverte à la presse, sur la proposition de loi visant à modifier la procédure de huis clos devant la cour d'assises des mineurs (n° 1816) :

– Me Dominique Attias, avocate au barreau de Paris, membre du Conseil national des Barreaux ;

– M. Henri-Claude Le Gall, président de l’Association nationale des praticiens de la cour d’assises ;

– Me Stéphane Maître, avocat au barreau de Paris, conseiller de l’Institut pour la justice ;

– Mme Catherine Sultan, présidente de l’Association nationale des magistrats de la jeunesse et de la famille ;

– Me Francis Szpiner, avocat au barreau de Paris.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, au cours d’une table ronde plusieurs interlocuteurs, parmi les plus éminents qu’a déjà rencontrés M. François Baroin, l’auteur et rapporteur de la proposition de loi visant à modifier la procédure de huis clos devant la cour d’assises des mineurs.

M. le professeur Varinard, président de la commission de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, qui devait être parmi nous ce matin, a dû y renoncer car il prête aujourd’hui serment comme assesseur au tribunal pour enfants et nous prie de bien vouloir l’en excuser.

Avant de passer la parole au rapporteur, je vous précise que cette proposition de loi sera inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée à l’initiative du groupe UMP le mardi 16 février.

M. François Baroin, rapporteur. La proposition de loi faisant l’objet de la table ronde a été déposée en réaction au déroulement du procès devant la cour d’assises des mineurs de Paris de Youssouf Fofana, chef du « gang des barbares », reconnu coupable d’assassinat et de tortures à l’encontre d’Ilan Halimi. Compte tenu de sa genèse, il pourrait être tentant de qualifier cette proposition de loi de proposition de circonstance. Pourtant, il n’est ni rare ni illégitime qu’une affaire particulière mette en évidence une défaillance de la législation et amène le législateur à en tirer des conséquences générales. Tel est le cas de la présente proposition de loi.

Au-delà de l’horreur des faits commis et de la réprobation qu’ils ont suscitée, les conditions de publicité restreinte dans lesquelles s’est déroulé ce procès ont suscité un assez large émoi, en mettant en évidence la règle actuelle selon laquelle la décision de rendre public un procès appartient au seul accusé lorsqu’il était mineur au moment des faits, même s’il est devenu majeur au moment de l’audience. Dans l’affaire Fofana en particulier, l’application de cette règle s’est révélée problématique, en raison du fait que parmi les 21 personnes renvoyées devant la cour d’assises des mineurs de Paris, seuls deux étaient mineurs au moment des faits. Pour les autres accusés, majeurs au moment des faits, le procès aurait donc dû être public et n’a été soumis à la règle de la publicité restreinte que parce deux de leurs coaccusés étaient mineurs au moment des faits et que l’un d’entre eux a refusé la publicité…

C’est afin de remédier à ce qui nous est apparu comme une anomalie que mon collègue Jack Lang et moi-même avons jugé nécessaire de déposer une proposition de loi tendant à faire dépendre la décision de soumettre le procès à la règle de la publicité, non plus du mineur accusé devenu majeur au moment des faits, mais de la cour d’assises.

En conclusion des travaux que j’ai menés sur cette proposition de loi, avec près d’une vingtaine d’auditions, il m’a paru intéressant, afin d’éclairer pleinement les membres de la commission des Lois sur les enjeux de cette proposition de loi, de confronter les différents points de vue qui se sont exprimés sur ce texte. Je vous propose de nous attarder successivement sur trois thèmes, sur lesquels les différents participants se sont exprimés lors de leur audition : les finalités de la règle de la publicité restreinte, la portée de cette règle, et enfin la protection des mineurs vis-à-vis de la presse.

La première question soulevée par la proposition de loi me semble être celle des finalités de la règle de la publicité restreinte. Quels sont les objectifs de cette règle ? Toutes les personnes entendues ont souligné que cette règle avait pour vocation première de protéger les mineurs des conséquences négatives que pourrait avoir pour leur réputation la présence du public et de la presse, afin de ne pas nuire à leur réinsertion future. Un rappel par les participants des motifs justifiant cette règle de publicité restreinte et de ses fondements juridiques pourrait être intéressant.

S’agissant de la portée de la règle de la publicité restreinte, cette règle a aujourd’hui une portée quasiment absolue : en dehors du cas où l’accusé mineur devenu majeur demande lui-même ou accepte la publicité, tout procès impliquant un mineur devenu majeur sera soumis à la règle de la publicité restreinte, quand bien même il se déroulerait de nombreuses années après la majorité de l’accusé, comme dans l’affaire Dils, et même si la plupart des accusés étaient majeurs au moment des faits, comme dans l’affaire Fofana.

Ces situations amènent à s’interroger sur la portée que doit avoir cette règle. Dans les cas évoqués, la règle de la publicité restreinte ne devrait-elle pas pouvoir être conciliée avec un autre principe important de la procédure pénale, celui de la publicité de la justice ? L’intérêt général – celui de la publicité de la justice – ne doit-il pas dans certains cas pouvoir primer un intérêt particulier – celui du mineur accusé devenu majeur ? En d’autres termes, la cour d’assises doit-elle pouvoir, comme le propose la proposition de loi, décider d’écarter la règle de la publicité restreinte ?

Cette question amènera sans doute les participants à évoquer la portée de l’article 6, alinéa 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme relatif au droit au procès équitable, qui prévoit le principe de la publicité des audiences et définit les cas dans lesquels il peut recevoir exception. Ainsi, si cet alinéa dispose tout d’abord que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial », le même alinéa prévoit également que « l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ». En d’autres termes, l’article 6 impose-t-il que les procès de mineurs devenus majeurs soient soumis à une règle de publicité restreinte, ou permet-il simplement d’écarter la règle de la publicité « lorsque les intérêts des mineurs l’exigent » et sous réserve que d’autres intérêts ne justifient le maintien de la publicité ?

Enfin, la dernière question soulevée est celle de la protection des mineurs face aux informations qui pourraient être révélées par la presse. En effet, les auditions ont mis en évidence le fait que l’interdiction de divulguer l’identité d’un mineur accusé était très fréquemment violée par les médias ou par la voie d’Internet. Même dans l’hypothèse où le législateur permettrait que les procès de mineurs devenus majeurs soient publics, il n’est pas souhaitable que puissent être publiées librement les identités des mineurs, le détail des faits qu’ils ont commis ou encore les éléments de personnalité révélés à l’audience.

Comment faire pour que cette interdiction soit mieux respectée ? Faut-il augmenter les sanctions encourues, actuellement fixées à 6 000 euros et, en cas de récidive, à un emprisonnement de deux ans en cas de publication d’un compte rendu de débats du tribunal pour enfants ou de la cour d’assises des mineurs, et à 3 750 euros d’amende en cas de publication d’une décision de l’une de ces juridictions sans l’anonymiser ?

M. le président. Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole à nos invités.

M. Henri-Claude Le Gall, président de l’Association nationale des praticiens de la cour d’assises. L’association nationale des praticiens de la cour d’assises, que je représente, a pris position lors d’une récente assemblée générale, pour le statu quo en matière de publicité des débats devant la cour d’assises des mineurs. Nous estimons qu’il s’agit d’un choix politique même si, à première vue, cette question paraît assez technique. Nous souhaitons apporter quelques observations de praticiens du droit avant de décider de l’opportunité de cette réforme. Le texte prévoit que, lorsque le mineur devient majeur, il pourra demander le huis clos et non la publicité restreinte, ce qui revient à supprimer de facto la procédure de publicité restreinte car la majorité des mineurs qui commettent des infractions entre seize et dix-huit ans sont jugés au-delà de leur majorité. Il faut bien distinguer la procédure de huis clos de celle de publicité restreinte. Actuellement, il est possible de demander le huis clos et la procédure de publicité restreinte peut être utilisée de manière concomitante et dans la même affaire, avec le huis clos. Si cette modification est introduite, le mineur sera assimilé aux autres parties au procès qui, aujourd’hui, peuvent demander le huis clos.

Il convient de garder à l’esprit que l’article 306, alinéa 3, du code de procédure pénale prévoit qu’en cas de procès pour viol ou pour barbarie avec sévices sexuels, la victime peut s’opposer à la demande de huis clos présentée par le mis en cause. C’est bien un cas où le mineur peut se voir refuser la demande de huis clos.

La réforme envisagée ne résoudrait pas le problème posé par l’article 20, alinéa 8 de l’ordonnance du 2 février 1945, qui précise que la presse et les autres médias ne peuvent faire référence aux débats se déroulant devant la cour d’assises des mineurs. Dans le courrier que j’ai adressé à la commission des Lois, j’ai suggéré, pour résoudre cette difficulté, de remplacer la demande de huis clos par une demande de publicité restreinte.

La règle actuelle concernant l’organisation des débats devant la cour d’assises des mineurs vise à assurer une protection particulière aux mineurs mis en cause en leur assurant une certaine discrétion. Il s’agit d’éviter que certaines « erreurs de jeunesse » ne soient étalées sur la place publique alors que certains procès se déroulent très longtemps après la majorité du mis en cause comme ce fut le cas, par exemple, pour une affaire concernant une infraction d’attouchements sexuels commise lorsque le mineur avait seize ans et qui fut jugée lorsque l’intéressé avait quarante-et-un ans.

M. le rapporteur. Pour répondre à votre préoccupation, un amendement sera présenté pour bien distinguer la procédure de huis clos et celle de publicité restreinte.

Mme Catherine Sultan, présidente de l’Association nationale des magistrats de la jeunesse et de la famille. J’interviens ici en tant que présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille et comme praticienne, puisque je préside le tribunal pour enfants du TGI de Créteil. Je tiens à rappeler que notre association est opposée à la réforme et qu’il convient de souligner les raisons qui ont conduit à mettre en place un droit pénal des mineurs spécifique. Même si, ces dernières années, on a constaté une tendance à l’alignement du droit pénal des mineurs sur celui des majeurs, il n’en demeure pas moins que les mineurs doivent être protégés par un droit spécifique. En effet, le sens de l’infraction et la réponse à y apporter sont très différents, selon qu’il s’agit de mineurs ou de majeurs. La spécificité du droit pénal des mineurs est une obligation qui a été rappelée dans de nombreux textes juridiques comme, par exemple, la Convention internationale des droits de l’enfant, ainsi que par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, dans une décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a affirmé que la spécificité du droit pénal des mineurs constituait un principe fondamental de notre droit et a visé explicitement la règle de publicité restreinte.

Il faut à nouveau rappeler que la justice des mineurs doit, certes, répondre aux actes délictueux, mais en garantissant aux mineurs les meilleures chances de réinsertion et en évitant toute stigmatisation.

Je voudrais apporter un témoignage qui illustre les inconvénients de la publicité des débats. J’ai suivi l’affaire des incendiaires de l’Haÿ-les-Roses, qui a eu un fort retentissement médiatique malgré les efforts entrepris par les magistrats pour garantir la discrétion de la procédure. Les jeunes filles mises en cause ont dû être protégées par les éducateurs du service éducatif auprès du tribunal (SEAT) pour leur permettre d’assister aux audiences dans les meilleures conditions possibles. Si ce procès avait été public, leur présence aurait été impossible, d’autant plus que l’une d’entre elles présentait des troubles suicidaires. Ce témoignage plaide largement pour le maintien de la procédure actuelle qui permet des débats sereins et complets. La publicité conduirait fatalement à un appauvrissement de la procédure.

Me Stéphane Maître, avocat au Barreau de Paris, conseiller de l’Institut pour la justice. J’interviens ici pour l’Institut pour la justice, association qui s’est prononcée publiquement en faveur de cette proposition de loi. Nous sommes favorables au principe de publicité judiciaire, qui ne doit pas reculer sous différents prétextes. L’obligation de transparence est d’autant plus importante que la délinquance des mineurs connaît une évolution inquiétante tant en termes quantitatifs que pour la gravité des infractions commises.

La publicité des débats pourrait être mise en place car cette procédure serait organisée sous le contrôle du juge, qui apprécierait l’intérêt des différentes parties en cause. Le texte proposé est particulièrement équilibré et laisse toute latitude au magistrat.

Il convient, en outre, de rappeler que la Convention européenne des droits de l’homme pose le principe de la publicité des audiences, certaines restrictions étant possibles lorsque l’intérêt du mineur l’exige. Le texte prévoit donc explicitement que c’est au juge d’apprécier si la publicité peut être favorable au mineur en question.

M. le rapporteur. Vous avez raison de rappeler que dans la proposition de loi, il est précisé que la cour apprécie souverainement s’il y a lieu de décider d’accorder la publicité des débats.

Me Dominique Attias, avocate au Barreau de Paris, membre du Conseil national des Barreaux. Je prends la parole dans cette table ronde comme membre du Conseil de l’ordre du barreau de Paris et comme spécialiste du droit pénal des mineurs puisque, dans ma pratique professionnelle, je défends essentiellement des jeunes, tantôt comme auteurs d’infractions, tantôt comme victimes. Je précise par ailleurs que ce sujet me tient particulièrement à cœur car je suis l’avocate de la mineure qui, dans l’affaire Fofana, a refusé la publicité des débats.

Cette décision a fait l’objet d’une longue réflexion ; elle est apparue conforme à l’intérêt de la jeune fille, mais aussi favorable au bon déroulement des débats. Il est trop facile d’opposer l’intérêt du jeune et celui de la société, alors qu’ils sont complémentaires. En réalité, il faut garantir la sérénité de la procédure et favoriser l’échange de propos authentiques. Lors du procès Fofana, grâce à la publicité restreinte, il a été possible aux familles des mis en cause, aux témoins et aux professionnels de l’enfance d’assister aux débats. Une véritable pédagogie a pu être menée en faveur de ces jeunes qui mettaient en cause la justice.

La publicité des débats aurait surtout servi le goût de la provocation du jeune Fofana, qui rêvait d’avoir ainsi une tribune pour ridiculiser la justice. Au cours de ce procès, les débats ont été très approfondis, ce qui aurait été impossible s’ils avaient été publics. Les jeunes mis en cause étaient, certes, majeurs au plan de l’état civil, mais ils se sont révélés très immatures.

La société doit s’attacher à ce que la justice s’accomplisse dans le respect de la vie privée des mineurs et avec le souci d’assurer leur réinsertion.

Pourquoi vouloir modifier cette règle fondamentale du droit pénal des mineurs alors que le Parlement doit être saisi dans quelques mois d’un projet de nouveau code pénal des mineurs ? Pourquoi cette proposition de loi de circonstance, alors que la garde des Sceaux, dans une récente intervention lors de la rentrée de l’École nationale de la magistrature, a réaffirmé son attachement à des réformes globales portant une philosophie du droit clairement énoncée ?

Je rappelle par ailleurs que la commission Varinard a réaffirmé son attachement au principe de publicité restreinte.

Je n’ose imaginer le procès en appel, en octobre prochain, de l’affaire Fofana avec une procédure de publicité. Ce procès sera très douloureux et rien ne pourra réparer la peine des victimes, quelle que soit la qualité des débats. Je m’adresse ici à des parlementaires, qui sont aussi des citoyens qui doivent garantir à la justice toute sa sérénité. J’espère vous avoir convaincus de la nécessité de ne pas modifier les règles actuelles, car elles contribuent à la révélation de la vérité et à la bonne qualité de la justice.

M. le rapporteur. Je précise que nous avons reçu, dans le cadre de nos travaux, M. André Varinard, qui nous a explicitement indiqué que la commission qu’il présidait n’avait pas traité la question particulière du jeune, ayant commis un crime alors qu’il était mineur et devenu majeur lors de la tenue du procès. En outre, la présente proposition de loi n’a pas pour objet de remettre en cause la protection des mineurs devant les cours d’assises.

Me Francis Szpiner, avocat au barreau de Paris. Je n’avais pas l’intention d’évoquer le procès de Youssouf Fofana, mais, puisqu’il vient d’en être question, je vais le faire.

Dans cette affaire, nous parlons de criminels et non de délinquants, de majeurs qui étaient mineurs au moment des faits, et non de mineurs. Il faut également revenir sur la nature de ce crime : Ilan Halimi est mort du silence. Il est effrayant de constater dans cette affaire que des dizaines de personnes connaissaient les circonstances de la séquestration d’Ilan Halimi, sans qu’aucune information ne soit portée à la connaissance des services de police. C’est le silence qui a tué Ilan et la justice a prolongé cette conspiration du silence avec la tenue du procès à huis clos : la société française ne sait pas pourquoi et comment un tel crime a pu être commis.

Moi, comme la famille d’Ilan, nous n’avons pas peur de la publicité des débats devant la cour d’assises des mineurs. Ce n’est pas la justice qui offre une tribune à Youssouf Fofana, mais c’est la société qui se regarde telle qu’elle est et telle qu’elle est composée.

Il va de soi que la publicité restreinte des débats devant les cours d’assises pour mineurs n’a qu’un seul fondement : permettre à celui, qui a commis un crime alors qu’il était mineur au moment des faits, de bénéficier d’un droit à l’oubli et de faciliter sa reconstruction.

Or, la publicité restreinte des débats s’accompagne d’une forme d’hypocrisie dans le cas du « procès Fofana » : l’identité des mineurs ainsi que leurs photos ont été publiées dans la presse, sans que, ni les avocats des parties, ni le ministère public, n’aient procédé aux moindres poursuites.

La question que je me pose est donc la suivante : l’accusé majeur, ancien mineur au moment des faits, est-il le seul juge de la manière dont doit être rendue la justice ? Dans ce procès, des accusés, majeurs au moment des faits, n’ont pas eu droit à un procès public. Seuls les accusés mineurs au moment des faits ont eu le choix du régime de publicité des débats. C’est pourquoi il ne me semble pas scandaleux que ce privilège, aujourd’hui réservé aux seuls accusés mineurs au moment des faits, soit transféré aux magistrats. Avec la présente proposition de loi, le magistrat, sur demande de l’accusé demandant à bénéficier d’une publicité restreinte, pourra apprécier les circonstances, afin de faire droit ou non à cette demande. Il ne s’agit pas là d’une atteinte intolérable aux droits d’une des parties au procès, puisqu’elle se fait sous le contrôle des juges. J’ai confiance dans les juges et, notamment, dans leur capacité à discerner l’intérêt général et les intérêts particuliers.

Mais il convient dans le même temps de renforcer la protection des mineurs et, en particulier, la répression contre la publication de l’identité et des photos de jeunes mineurs ayant commis un crime. Sur cet aspect, la loi doit être plus claire et plus répressive.

Mme George Pau-Langevin. Je crois que nous avons tous été particulièrement impressionnés et émus, en tant que citoyens et individus, par l’horreur de cette affaire « Fofana ». Nous avons d’ailleurs été nombreux à être présents aux manifestations qui ont suivi la mort d’Ilan Halimi.

Si nous comprenons que l’émotion pousse à réagir, il faut se garder d’établir, à partir de crimes affreux, des règles particulières et contingentes. Malheureusement, dans notre société, il y a eu et il y aura des crimes affreux. C’est pourquoi, afin de mieux protéger les victimes, les auteurs des faits et la société dans son ensemble, il faut établir et conserver des règles claires et valables en tout temps.

Toutes les institutions présentes au cours de cette table ronde ont rappelé que l’intérêt et l’avenir de la société nécessitaient une justice spécifique et adaptée pour les mineurs. Ces derniers sont trop souvent perçus comme une menace pour la société, alors qu’ils en constituent l’avenir. Aussi convient-il de ne pas toujours avoir une position exclusive de défiance et de critique à leur encontre.

En outre, cette proposition de loi, qui sera débattue en séance dans quinze jours, n’a pas de justification, dans la mesure où nous sommes actuellement en train de mener une réflexion de fond sur la réforme de la justice pénale des mineurs. Alors que la procédure applicable aux mineurs, aujourd’hui définie par l’ordonnance de 1945, va être modifiée sous peu, pourquoi ressort-on une affaire comme celle de Youssouf Fofana pour changer la procédure pénale applicable aux mineurs ? Cette proposition de loi est une proposition de loi de circonstance, qui n’a d’autre justification que celle de répondre à l’émotion suscitée par des faits particuliers.

Il ne nous appartient pas de donner une tribune à des personnes tenant des discours inacceptables, en modifiant les règles relatives à la publicité restreinte. Cette proposition de loi n’a donc pas de justification véritable : il convient, à ce titre, de ne pas lui donner de suite. Il faut, à l’inverse, continuer à faire un travail de fond sur la réforme de la justice pénale des mineurs et ne pas céder à l’émotion.

M. Dominique Raimbourg. Je voudrais faire cinq remarques.

En premier lieu, on comprend l’émotion à l’origine de la proposition de loi, mais il n’est pas possible de suivre le raisonnement qui l’anime. Il s’agit en réalité d’un contentieux très faible. L’annuaire statistique de la justice indique qu’il y a eu, en 2006, 256 affaires renvoyées devant les cours d’assises des mineurs. Il s’agit certes d’affaires graves, mais elles restent peu nombreuses.

En deuxième lieu, l’annuaire statistique de la justice indique que la durée moyenne de l’instruction de ces affaires est de vingt-cinq mois et sept jours, soit un peu plus de deux ans. C’est pourquoi la plupart des mineurs au moment des faits comparaissent alors qu’ils sont devenus majeurs. L’affaire « Fofana » n’est donc pas une exception.

En troisième lieu, ce n’est pas l’intérêt particulier du mineur qui s’oppose à la publicité des débats, mais bien l’intérêt général. On protège, en effet, l’intérêt de la jeunesse en général et pas des mineurs en cause.

En quatrième lieu, la publicité des débats s’oppose souvent aux intérêts des victimes. Ces dernières, qui sont le plus souvent mineures, ne veulent pas voir étaler leur chagrin sur la place publique et encore moins que la presse s’en empare. À ce jour, nous n’arrivons pas à nous opposer à ce que tout soit divulgué dans la presse. L’intérêt des victimes milite donc en faveur du huis clos.

En cinquième et dernier lieu, l’intérêt de la paix sociale plaide également pour le maintien du huis clos. En effet, il n’y a rien à gagner à diffuser auprès de la jeunesse le modèle de jeunes délinquants. La jeunesse aura davantage tendance à s’identifier à ces derniers plutôt que dans le discours du Procureur de la République.

En définitive, en dépit des bonnes intentions qui animent ce texte, il n’est pas souhaitable de l’adopter.

M. André Vallini. Je partage ce que viennent de dire mes collègues. Je remercie et félicite le Président et le rapporteur d’avoir organisé cette table ronde. Il s’agit là d’une initiative intéressante qui permet d’associer les parlementaires qui n’assistent pas aux auditions. Je suis en revanche choqué par la démarche de M. le rapporteur et j’entends les arguments, qui m’ont convaincu, de Me Dominique Attias et de Mme Catherine Sultan. En effet, il n’est pas raisonnable d’inciter la commission des Lois et l’Assemblée nationale à légiférer en fonction d’une circonstance particulière et à l’issue d’un procès particulier. Il s’agit d’une loi ad hominem, une loi de circonstance. Ce n’est pas acceptable.

Je sais que Me Szpiner s’est fait fort, dès le prononcé du verdict et au cours d’un colloque que j’ai organisé à l’Assemblée nationale, de faire changer la loi avant le procès en appel de Youssouf Fofana. C’est très choquant. Ce n’est pas Me Szpiner qui fait la loi. Ce sont les députés et les sénateurs. Or, M. le rapporteur, je considère que Me Szpiner a eu recours à vous car vous vous connaissez bien, vous avez été son collaborateur dans son cabinet d’avocat. Ce sont là des procédés qui sont choquants.

Alors que nous travaillons actuellement sur la refonte totale de la justice pénale des mineurs et sur la réforme de la procédure pénale, qui devraient toutes deux aboutir dans quelques mois, il convient d’arrêter de multiplier les lois pénales dictées par l’urgence et l’émotion.

M. Guy Geoffroy. Je remercie le rapporteur du texte et le Président d’avoir pris l’initiative d’organiser cette table ronde.

En premier lieu, je pense qu’il faut garder le plus de sérénité possible dans ce débat. Deux parlementaires dans cette salle – M. Dominique Raimbourg et moi-même – sont les mieux placés pour parler des travaux de la commission présidée par M. André Varinard, puisque nous en étions membres. C’est pourquoi, je me méfie toujours de ceux qui parlent de conclusions de travaux auxquels ils n’ont pas eux-mêmes participé directement.

En second lieu, à mon initiative, la commission Varinard a adopté, et sans que cela donne lieu à un long débat, une proposition consistant à établir un code de la justice pénale des mineurs, avec pour ambition de parvenir à une prise en compte globale et cohérente, en droit pénal et dans la procédure pénale, de toutes les spécificités de la justice pénale des mineurs.

Cependant, il convient de souligner que ce code spécifique sera amené à reprendre des dispositions pénales déjà existantes. Il ne constituera pas un bouleversement complet de la justice pénale des mineurs. Ainsi, si certaines adaptations ou modifications y seront intégrées, les fondements de la justice pénale des mineurs depuis l’ordonnance de 1945 seront dans le même temps réaffirmés.

Dès lors, la présente proposition de loi ne mérite pas les manifestations d’indignation que je constate aujourd’hui. Il faut raison garder par rapport à ce texte. Il s’agit de faire de la publicité restreinte une simple faculté, placée sous le contrôle du juge, alors qu’aujourd’hui c’est automatique. Dans certaines affaires, même si l’auteur était mineur au moment des faits, son comportement était si grave qu’il interpelle la société tout entière.

Il ne faut donc pas se montrer trop caricatural sur une telle question et, à l’inverse, faire preuve d’ouverture. C’est pourquoi, alors que je défends la spécificité de la justice des mineurs, j’apporte mon soutien à cette proposition de loi.

M. Michel Hunault. Permettez-moi tout d’abord de féliciter le rapporteur, à l’initiative de la proposition de loi que nous allons examiner. Sur la méthode, je souhaite également indiquer à notre président de commission tout l’intérêt que je porte à ces séances de travail ouvertes à des personnalités qualifiées, qui donnent toute sa richesse à l’élaboration de la langue juridique, surtout lorsqu’elles s’inscrivent dans une initiative parlementaire. Je me réjouis que sur un tel sujet, le Parlement soit en pointe et j’aimerais appeler notre commission à se saisir plus souvent de textes d’initiative parlementaire touchant à la procédure pénale, comme la récente proposition de loi du groupe Nouveau Centre visant à réformer la garde à vue.

Sur la forme, je regrette que la personnalité du rapporteur ait été mise en cause par notre collègue André Vallini.

Pour ma part, je voudrais que l’on ramène le fond de la proposition de loi à une plus juste mesure, en ne lui attribuant pas une signification qu’elle ne revêt pas. En l’occurrence, je ferai observer à Me Attias qu’il ne s’agit aucunement de remettre en cause ce qui existe pour la protection des mineurs. La proposition de loi vise une situation spécifique, liée au passage du mineur concerné au statut de majeur. De ce point de vue, le texte s’inscrit parfaitement dans le souci de préserver la protection des parties, à laquelle nous sommes tous ici particulièrement attachés.

J’ajoute que la publicité n’a pas pour vocation de porter à la connaissance du public des faits horribles. Elle doit s’envisager comme le moyen de mieux appréhender la situation actuelle, dans laquelle des milliers d’enfants sont victimes de crimes et délits sexuels.

Enfin, la proposition de loi précise que ses dispositions « sont applicables devant la cour d’assises des mineurs sauf si l’un des accusés est toujours mineur au moment de l’ouverture des débats. L’accusé mineur au moment des faits et devenu majeur au moment de l’ouverture des débats a la possibilité de demander que les débats se déroulent à huis clos. La cour statue alors sur sa demande toutes les parties entendues. ». Peut-être nous faudra-t-il envisager, lors de la discussion de l’article unique, d’encadrer davantage ces dispositions ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Je tiens à mon tour à souligner combien la table ronde de ce matin m’apparaît constituer une heureuse initiative. Je m’interroge cependant sur l’opportunité de son ouverture à la presse, qui a motivé certains propos tenus dans notre enceinte et auxquels leur auteur ne nous avait pas habitués dans le cadre de nos travaux en commission.

Sur le fond, je me demande tout d’abord si la proposition de loi dont nous allons débattre est conforme aux conventions internationales signées par la France, à défaut de quoi nous n’aurions pas lieu de légiférer.

M. Alain Vidalies. Bonne question…

M. Jean-Christophe Lagarde. Ensuite, il me semble que le problème soulevé est moins celui de la publicité des débats, au sens de l’accès à la salle d’audience, que celui du compte rendu public qui en est fait par la presse.

Me Attias nous a affirmé que, s’il avait été publié, le procès Fofana aurait constitué une formidable tribune pour l’accusé. Cependant, la publicité des propos qu’il tenait était assurée par la presse et ses commentaires, non par l’ouverture de la salle d’audience au public.

Me Szpiner a souligné quant à lui les difficultés découlant de la publicité donnée aux noms et aux photos des mineurs concernés, ce qui empêche bien souvent la reconstruction des victimes. Pour ma part, je considère qu’il importe effectivement de nous pencher sur la protection de l’identité visuelle et patronymique des intéressés. Tous, aussi bien les victimes que les accusés, doivent être protégés de ce point de vue, ce qui confinerait à un équilibre satisfaisant avec une plus grande publicité donnée aux débats.

Mme Sandrine Mazetier. Les questions soulevées par le texte qui nous est soumis aujourd’hui sont essentielles, mais les réponses qui leur sont apportées apparaissent hors sujet. L’important est que la justice passe et que l’intérêt général de la société soit sans cesse protégé.

À cet égard, n’eût-il pas été plus pertinent d’adapter aux victimes la spécificité de la procédure que de modifier les règles entourant la publicité des débats ?

À cet égard, je citerai l’article 90-1 du code de procédure pénale, aux termes duquel : « En matière criminelle, (…) le juge d’instruction avise tous les six mois la partie civile de l’état d’avancement de l’information. »

L’information des victimes n’est, en l’occurrence, qu’une possibilité et non une obligation. Il s’agit à mon sens d’une forme de violence de la procédure à l’égard des familles de victimes. Celles-ci peuvent passer des mois sans avoir accès à la moindre information.

Plutôt qu’assurer la publicité de débats pénibles pour les parties au procès, pourquoi ne pas prévoir une information systématique des victimes sur l’avancement des investigations préalables au procès ? Pour ma part, je défendrai un amendement en ce sens, afin de permettre aux victimes d’être reçues au moins une fois par le juge d’instruction. Il me semble qu’une telle proposition est plus conforme à l’intérêt général.

Rendez-vous compte, mes chers collègues, que les parents d’une victime mineure peuvent recevoir le détail de l’autopsie de leur enfant par simple courrier recommandé avec accusé de réception, sans autre explication de l’autorité judiciaire !

M. Claude Goasguen. Permettez-moi de renouveler à notre rapporteur toute l’amitié que je lui porte. Connaissant également un peu M. Vallini, je ne peux qu’imaginer qu’il ait exagéré ses propos quand il a imputé des motivations personnelles à François Baroin dans une initiative qui renvoie à un enjeu d’intérêt général.

Cette proposition de loi porte peu sur le fond du droit mais plutôt sur la médiatisation et la publicité du procès. À ce titre, elle me pose des questions.

Tout d’abord, je ne suis pas certain qu’elle soit conforme à la convention internationale des droits de l’enfant, source de droit supérieure que le législateur se doit de respecter en toute hypothèse.

Ensuite, je me demande s’il appartient au juge, en dehors de problèmes d’ordre public et de décisions de huis clos liées à des considérations de fait, de décider si le procès doit être ouvert à une médiatisation publique. Cela ne me semble pas sûr, même si je comprends bien l’intérêt que les avocats pourraient y trouver.

Moi aussi, j’ai suivi le déroulement du procès Halimi. J’ai bien évidemment été scandalisé par les propos tenus lors des audiences mais, avec le recul, je m’interroge sur la pertinence d’un déballage d’informations pas forcément maîtrisées.

Il n’est pas sûr non plus que les accusés mineurs soient en situation de décider eux-mêmes de la publicité à donner ou non aux débats. Dans ce cas, la prérogative reviendrait de fait à leurs avocats, qui ne seront pas forcément en mesure de savoir ce qui sera démonstratif ou pas.

Enfin, tout cela déroge quand même à une certaine conception de la justice des mineurs et de la procédure pénale appliquée aux mineurs. Ayant lu le rapport Varinard, je souhaite que la question de la délinquance des mineurs soit abordée dans toute sa spécificité. Pour aller plus loin, je ne suis pas sûr que le code de procédure pénale soit le support le plus adapté pour le traitement de cette délinquance particulière. Au-delà de l’atrocité de certains actes commis par les mineurs, nous ne devons pas perdre de vue que ce sont aussi des enfants au moment des faits. À cet égard, j’estime qu’on pourrait rattacher les questions de justice des mineurs à un texte traitant plus généralement de problématiques liées à l’enfance.

Au total, même si je fais confiance à François Baroin, j’émets à ce stade quelques réserves sur le texte.

M. Étienne Blanc. À titre liminaire, j’observerai que, dans les prétoires, on se garde d’attaques ad hominem et que cette règle me semble devoir s’imposer aussi au sein de notre commission.

Sur le fond, cette proposition de loi m’interpelle. Je formulerai à son sujet quatre observations.

En premier lieu, nous stigmatisons souvent, au Parlement, l’absence de principes forts dans le code pénal. Il fut un temps où ce code, d’un volume alors plus réduit, s’articulait autour de principes simples et clairs, connus et appliqués rigoureusement par le juge. Or, la justice des mineurs participe encore de cette force qui fait désormais défaut au code pénal et il me semble que cette proposition de loi enfonce un coin, certes relatif mais bien réel, dans les principes clairs sur lesquels elle repose. Je crains ainsi que la lisibilité de ces principes ne s’en trouve affaiblie.

En deuxième lieu, avec l’adoption de ce texte, l’opinion publique rentrera dans les prétoires. De ce fait, l’application de la justice des mineurs s’en trouvera modifiée. À mon sens, il n’y a en effet de justice sereine qu’en dehors d’interférences quelconques de l’opinion publique.

En troisième lieu, je sais que la publicité des débats afférents à la justice des mineurs correspond à une demande ancienne de la presse. J’estime néanmoins que faire entrer le quatrième pouvoir dans le déroulement des procès de mineurs va immanquablement ajouter à la passion de l’opinion publique.

Enfin, en dernier lieu, la décision d’ouverture des débats devra être prise par un arrêt d’assises préalable. Cet arrêt devrait certainement être plus discuté que celui rendu au fond, pour des raisons liées à l’opportunité et à la gravité des faits. On peut même imaginer qu’il fera l’objet d’un appel, rallongeant alors la procédure.

Je conclurai mon intervention par une suggestion que m’a inspirée, lors de la visite de la « souricière » du tribunal de grande instance de Paris en compagnie du Procureur de la République, le comportement injurieux de M. Fofana à l’égard de son escorte et des autres accusés. En l’occurrence, je me demande dans quelle mesure il ne serait pas judicieux, pour concilier tous les points de vue, de cantonner l’application du principe prévu par cette proposition de loi aux accusés mineurs âgés de plus de 20 ans au moment de leur procès.

M. Philippe Houillon. Il faut ramener le débat à ses justes proportions : la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise propose la réécriture du dernier alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale. La question de la publicité des débats devant la cour d’assises des mineurs relevant de cet alinéa, il n’est pas illégitime que nous modifiions ici le code de procédure pénale.

Sur le fond, je souligne que la présente proposition de loi ne fait que remplacer une publicité automatique à la demande du mineur devenu majeur au moment du procès, par une décision du juge, solution qui a ma préférence. En tout état de cause, le débat qui nous réunit aujourd’hui ne vise assurément pas à une réforme d’ensemble du droit pénal des mineurs…

M. Michel Vaxès. J’ai le sentiment que cette affaire n’est pas mineure… Le contexte actuel est lourd d’interrogations sur l’avenir de la spécificité de la justice des mineurs – je pense à la possible suppression du Défenseur des Enfants au bénéfice de la création du Défenseur des Droits, mais aussi aux réformes d’ampleur qui sont annoncées – et je crois que la proposition de loi qui nous est soumise va bien plus loin qu’on ne nous le dit.

Je salue certes les évolutions annoncées par le rapporteur dans son document faisant état de ses travaux par rapport au texte initial, mais je m’interroge sur les finalités de cette évolution : est-ce la marque de la sagesse qui aurait pris sa place dans la réflexion ou s’agit-il au contraire d’un signe d’intelligence rusée consistant à éliminer les obstacles tout en conservant la modification la plus importante ?

En tout état de cause, je ne comprends pas la précipitation de l’examen de cette question précise, à partir d’un événement donné, alors même qu’une réforme d’ampleur est annoncée. Ce n’est pas la première fois, certes, que l’actualité immédiate influe sur le droit, mais je crois prudent de reporter ce débat dont on voit bien qu’il n’est pas aisé à trancher, les débats internes à votre majorité le démontrent aisément. Lorsque M. Vallini fait état de ses interrogations, il ne faut rien y voir de personnel…

M. le rapporteur. Un peu quand même…

M. Michel Vaxès. Renvoyer à la cour d’assises la prise d’une telle décision va être source de difficultés : sur quels critères va-t-elle se déterminer ? La proposition de loi ne le dit pas. Il y aura donc un second débat qui immanquablement s’ouvrira devant la cour. J’espère que vous retirerez votre texte afin qu’il ne soit pas examiné avant la réforme d’ensemble de la justice pénale des mineurs.

M. Jacques Alain Bénisti. Je ne crois pas que la question fondamentale ait trait à la publicité restreinte, mais à la manière dont les débats seront utilisés - je devrais dire tronqués. Je partage le jugement de Me Szpiner qui a jugé que la question relevait d’une « vaste hypocrisie » : dans l’affaire du crime odieux dont a été victime Ilan Halimi, malgré le huis clos des débats, les photos de tous les protagonistes ont été abondamment publiées et commentées. Ce qu’il faut absolument protéger, c’est la vérité des débats ! Or, il n’existe pas d’obligation de contradictoire dans la presse, dans laquelle on retrouve les déclarations des parties au procès dévoyées ou sorties de leur contexte. Nous avons en mémoire, mes chers collègues, les auditions menées par la Commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau – dont le Président et le rapporteur sont présents – au cours desquelles un magistrat a pu nous avouer que sa décision d’incarcérer dix-sept personnes, qui se sont révélées innocentes, était largement due à la pression de l’opinion publique. On connaît les conséquences dramatiques qui s’en sont suivies pour ces malheureux…

M. Alain Vidalies. Je crois que ce débat est honorable, mais qu’il est tout autant honorable pour notre Commission de réfléchir à la question de savoir si on doit légiférer ad hominem ou de manière générale. L’opposition n’a pas inventé le contexte particulier dans lequel s’inscrit ce texte et les déclarations qui ont précédé son dépôt et nos débats. André Vallini a raison : nous ne pouvons passer ces circonstances sous silence.

Sur le fond, la question a été très bien posée par notre collègue Claude Goasguen. La question fondamentale est celle du remplacement d’un droit, accordé par le législateur, par une décision juridictionnelle, sans que ne soient précisés les critères qui vont guider cette décision. Ces critères seront-ils amenés à changer ? Seront-ils les mêmes en première instance et en appel ? Contrairement à M. Houillon, je ne crois pas que cette question relève du simple détail, mais apporte au contraire un changement de fond, malgré sa portée, certes, limitée.

M. Philippe Houillon. Je n’ai pas dit que j’estimais que cette question n’était qu’un détail…

M. Alain Vidalies. Soit, je vous en donne acte. Il n’en demeure pas moins que le juge sera bien embarrassé pour justifier sa décision devant les parties au procès.

M. le président. Je donne la parole à André Vallini qui a souhaité répondre.

M. André Vallini. Notre Commission n’est pas un prétoire, et si quelques-uns d’entre nous exercent la profession d’avocat, nous sommes ici des députés entre lesquels les règles de confraternité ne jouent pas. Je n’ai nullement mis en cause le rapporteur, mais Me Szpiner, qui a publiquement annoncé au lendemain du procès qu’il prenait l’engagement de faire changer la loi et rappelé que M. François Baroin avait été son collaborateur. Je ne vise nullement M. Baroin pour lequel j’ai de l’estime politique et de l’amitié.

Mme Maryse Joissains-Masini. Nos collègues avocats doivent en revenir à de plus justes proportions. Je connais personnellement tant Me Attias que Me Szpiner et je pense que tous deux posent des interrogations qui sont complémentaires, l’un défendant le point de vue de l’accusé, l’autre celui de la victime. Je partage le jugement de Claude Goasguen : avec ce texte, on va mettre à la charge du juge le soin de se prononcer sur des considérations qui sont extérieures au procès, qui ont trait à la société. Je crois qu’il pourra ainsi être mis en difficulté. Aujourd’hui, il faut bien l’avouer, l’automaticité arrange tout le monde. Notre souci est la protection de la victime, or la publicité peut être utilisée comme une tribune par l’accusé, comme un moyen lui conférant un statut particulier, voire une position de modèle pour d’autres mineurs. Je crois que ce problème doit être traité dans un cadre plus général, celui du procès d’assises. Or cette question difficile ne doit pas être traitée par des non-spécialistes.

Mme Aurélie Filippetti. En tant que rare députée n’exerçant pas la profession d’avocat, je ne reviendrai pas sur les questions qui viennent d’être évoquées. On critique une proposition loi de circonstance, écrite sous le coup de l’émotion. Je dois vous dire que cela ne me choque pas. Que l’affaire Halimi ait suscité une indignation toute particulière dans l’opinion – par les faits atroces qui ont été commis, par l’antisémitisme qu’elle a révélé –, au point que le législateur s’interroge sur une éventuelle évolution de la loi ne me choque pas. En revanche, dans le cas d’espèce, je me demande si la publicité des débats aurait été forcément meilleure, tant pour la société que pour les victimes. Le procès a suscité de nombreux débats et d’articles dans la presse, laissant émerger la réalité terrible de l’antisémitisme conduisant à cet horrible assassinat. La publicité des débats n’aurait-elle pas donné une tribune à l’accusé, lui fournissant un public auquel il aspire ? Vis-à-vis des victimes, je ne crois pas non plus que la publicité aurait pu être une bonne solution.

Par pragmatisme donc, je pense que cette proposition de loi n’est pas opportune.

M. Jean-Paul Garraud. Ce débat est très intéressant, très riche et en même temps très délicat. Au plan des principes, il ne me semble pas choquant que la publicité des débats soit le principe et le huis clos l’exception. Que l’on laisse le juge apprécier la situation, en tenant compte de toutes les considérations qui peuvent l’aider à prendre sa décision ne me choque pas non plus. Au contraire, c’est le fait qu’un huis clos puisse s’imposer à tous, y compris au juge, qui pose problème. Faisons confiance au juge pour prendre la décision, même quand il s’agit d’un procès médiatique : les magistrats sont dorénavant habitués à ce genre de situation, il existe même une formation spécifique à l’École nationale de la magistrature sur la prise en compte de la médiatisation.

En revanche, ce qui me gêne un peu est qu’il y a actuellement d’importants chantiers dans le domaine de la procédure pénale, concernant la réécriture du code de procédure pénale et la création d’un code de la justice des mineurs. Les réformes que l’on peut être amenés à proposer ne trouveraient-elles pas mieux leur place dans un texte global, permettant d’en apprécier l’ensemble des tenants et aboutissants ? Par exemple, je souhaiterais personnellement une réforme de la cour d’assises avec la création d’un tribunal d’assises départemental, mais je préfère attendre les textes du Gouvernement avant de formaliser ma proposition, afin d’éviter des contradictions et des problèmes d’articulation.

Mme George Pau-Langevin. Certes, il peut être utile que les débats soient publics. Mais il ne faut pas oublier qu’il est possible de disjoindre le cas des accusés mineurs.

Par ailleurs, je vois un danger : on nous dit que la proposition de loi concerne la cour d’assises, or je vois dans le pré-rapport que la procédure envisagée pourrait être étendue aux tribunaux pour enfants.

Enfin, si l’on estime qu’une audience peut avoir un intérêt spécifique par la suite, pourquoi ne pas réfléchir à une possibilité de procéder à son enregistrement audiovisuel ?

M. Manuel Valls. Je comprends les raisons qui ont poussé nos collègues François Baroin et Jack Lang à déposer cette proposition de loi. Cependant, trois éléments me gênent.

Tout d’abord, cette proposition sur la publicité des débats résulte largement de la contestation formulée par la famille d’Ilan Halimi et par ses conseils, contestation qui ne portait pas seulement sur la procédure mais sur la décision de justice elle-même.

Ensuite, dans cette affaire, il y donc eu appel et je ne vois pas, quelle que soit l’horreur du crime, comment nous pourrions légiférer dans le contexte d’une procédure en cours.

Enfin, comme d’autres l’ont dit, il me semblerait préférable d’intégrer cette question dans le débat annoncé sur la procédure pénale en général. Je ne suis pas fermé sur ce sujet, car il faut tenir compte des réalités de la communication, mais il faut se laisser le temps de mener une réflexion globale.

M. le rapporteur. Je tiens à préciser que ma démarche s’inscrit pleinement dans les suites de la révision constitutionnelle de 2008 qui a valorisé l’initiative parlementaire. Je suis député depuis 1993, mais cette démarche est vraiment nouvelle, elle permet de susciter un débat sur une question, en entendant les différents points de vue. Je pense que le plus simple est de laisser nos invités répondre aux intervenants, me réservant pour ma part de répondre dans le cadre de l’examen de la proposition de loi par la Commission, et non de cette audition ouverte à la presse, aux « faits personnels » dont j’ai fait l’objet.

Me Francis Szpiner Certes, François Baroin a fait partie de mes collaborateurs, mais ça n’est pas le cas de Jack Lang, coauteur de la proposition de loi ! Il me semble que les parlementaires sont capables de prendre des initiatives sans recevoir d’instructions…

Par ailleurs, je ne suis pas le premier avocat, ni le dernier, à demander aux parlementaires de changer une loi qui nous paraît mauvaise : je m’inscris dans la tradition de Gisèle Halimi dans son combat pour l’IVG ou de Me Henri-Georges Garraud pour la légitime défense. Je rappellerai aussi l’action de Me Florent, relayé par le député Jean-Pierre Michel et le groupe socialiste, qui a permis une modification des règles entre le premier procès Dils en révision et le procès en appel. Au nom de la famille Halimi, je revendique souhaiter que le procès en appel soit public.

Je voudrais également rappeler que le juge est là pour juger, je renvoie à ce que dit le code de procédure pénale : le juge a la faculté de rejeter tout ce qui peut compromettre les débats, le juge est juge de l’intérêt de la justice. Le texte proposé est conforme aux règles de la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’il n’écarte pas la spécificité de la justice des mineurs.

La dernière consolation de la famille Halimi est de se battre pour que ce procès soit public, pour que l’on sache ce qu’est l’état de notre société et comment le racisme, l’antisémitisme et les conditions sociales peuvent conduire à un tel crime, afin que d’autres jeunes ne se lancent pas dans une telle aventure et que Ilan ne soit pas mort pour rien. Ce n’est pas une loi de circonstance, un crime peut interpeller le législateur et le conduire à changer la loi car le crime est révélateur de notre société.

Me Dominique Attias. J’aurais aimé que des membres de la société civile, et notamment des jeunes, aient pu assister à nos échanges et constater que vous vous intéressez en profondeur, quel que soit le bord politique, aux problèmes de société, tout particulièrement celui-ci qui concerne notre jeunesse. Je vous remercie de m’avoir permis de vivre ce moment.

Mme Catherine Sultan. Je vous remercie de nous avoir permis de participer à ce débat. J’ai compris que l’objectif de la proposition de loi était préventif et pédagogique. Mais je crains que l’effet de la publicité ne soit contraire à l’objectif recherché. Les acteurs de la prévention et les éducateurs doivent travailler avec jeunes sur les notions d’altérité, de respect de l’autre, sur le racisme et l’antisémitisme… Mais je ne pense pas qu’un débat médiatique puisse favoriser ce travail ; je crains, au contraire, que sur des esprits fragiles et vulnérables, il n’attise les haines.

Me Stéphane Maître. J’ai entendu beaucoup d’arguments sur la sérénité des débats qui serait compromise par la publicité. Mais cet argument ne vaut pas que pour la justice des mineurs, on pourrait l’étendre à tous les procès ! Cette réticence face à l’opinion publique me semble curieuse alors que la justice est rendue au nom du peuple français. Je crois que c’est le secret qui provoque la méfiance et que la transparence est gage de sérénité.

M. le président. Je remercie l’ensemble de nos invités pour leur contribution à ce débat.

DISCUSSION GÉNÉRALE

À l’issue de la table ronde organisée au cours de sa séance du mercredi 3 février 2010, la Commission examine la proposition de loi de visant à modifier la procédure de huis clos devant la cour d'assises des mineurs (n° 1816).

M. François Baroin, rapporteur. Sur la question de l’opportunité de légiférer à partir d’une affaire particulière, c’est une question qui est très souvent posée. Le législateur intervient régulièrement sur ce qui a choqué la société. On peut le constater ou le regretter, mais ce n’est pas un argument pertinent, car cela fait partie du travail du législateur de s’appuyer sur l’évolution de la société pour faire évoluer la législation.

Je regrette les propos tenus par M. André Vallini, auxquels je pourrais trouver un caractère insultant, car ils sous-entendent que je serais incapable de prendre une décision politique sans être influencé par des amitiés personnelles. Ces accusations, proches de celles tenues par les défenseurs de Youssouf Fofana lors du procès, me choquent d’autant plus que nos travaux au cours des auditions et de la table ronde d’aujourd’hui ont été d’une grande qualité.

S’agissant des propositions de modification contenues dans la proposition de loi que j’ai déposée avec M. Jack Lang, elles sont issues des échanges que nous avons eus avec la famille d’Ilan Halimi, la victime de Youssouf Fofana. Nous avons souhaité savoir comment cette famille avait vécu cette épreuve, l’épreuve de l’enlèvement, de la barbarie, des demandes de rançon, la découverte de la mort de ce jeune homme dans des conditions épouvantables au bord d’une voie ferrée après avoir vécu une terrible agonie. Ces échanges ont suscité émotion et interrogations. La seule demande de la famille était de permettre que la société retienne la leçon de ce qui s’est passé, de cette immense violence et de cette loi du silence qui règnent dans certains de nos quartiers. C’est cette demande, destinée à permettre à la société de comprendre les faits qui ont été commis, qui nous a poussés à déposer cette proposition de loi.

Les modifications proposées visent à trouver un juste point d’équilibre et ne consistent pas à bouleverser intégralement le droit existant. Elles n’auront pas pour effet de priver les mineurs jugés en étant toujours mineurs de leur droit à la publicité restreinte. L’objectif poursuivi est simplement d’offrir à la cour la possibilité de décider que le procès sera public, en prenant en compte les intérêts de la société, des victimes et de l’accusé dans une logique de procès équitable. Cette proposition constitue un équilibre, issu de travaux au cours desquels toutes les parties intéressées à cette question ont été entendues.

Enfin, lors des auditions que j’ai menées, j’ai découvert avec stupéfaction que le ministère public n’engageait pas systématiquement de poursuites à l’encontre des personnes qui divulguent l’identité des mineurs poursuivis devant des juridictions pour mineurs. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai de muscler les peines encourues en cas de divulgation de l’identité d’un mineur accusé ou prévenu.

M. André Vallini. Si j’ai blessé François Baroin, qu’il veuille bien m’en excuser. Je ne pensais pas que mes propos allaient être aussi mal interprétés. Je maintiens que c’est Me Szpiner qui était en cause et pas François Baroin car je suis exaspéré par ses fanfaronnades dans cette affaire comme dans beaucoup d’affaires dans lesquelles intervient Me Szpiner. Je ne savais même pas que les accusés avaient utilisé cette thématique. Je ne savais pas non plus que la presse était présente ce matin et, d’ailleurs, j’ai refusé plusieurs demandes d’interview depuis tout à l’heure.

Mme Sandrine Mazetier. Je voudrais rappeler tout d’abord qu’aujourd’hui est la date anniversaire de la mort d’Ilan Halimi, retrouvé le 3 février 2006 sur les bords d’une voie ferrée. Je suis particulièrement sensible à ce sujet parce que la mère d’Ilan Halimi habitait dans ma circonscription au moment des faits. L’émotion suscitée par cette affaire a atteint toute la société, y compris le groupe socialiste, et non le seul Jack Lang. En second lieu, je n’ai pas le sentiment que la justice ait participé à  la « conspiration du silence », selon l’affirmation de Me Szpiner. J’ai même le souvenir qu’en pleine affaire, le service public audiovisuel a accueilli sur ses plateaux une émission – que je qualifierais de « lunaire » parce que l’on se trouvait en plein procès – dans laquelle les parties débattaient alors que la procédure était celle de la publicité restreinte. À la suite de cette affaire atroce, il nous appartient d’en tirer les leçons, mais je ne pense pas que la solution soit celle que vous nous proposez. La procédure mise en œuvre a permis, me semble-t-il, une information sur les motivations des auteurs du crime et n’a pas occulté la nécessité d’une vigoureuse action contre le racisme et l’antisémitisme.

M. Dominique Raimbourg. Je ne veux pas refaire le débat mais je rappellerai qu’on ne peut pas juger de l’évolution d’une société à partir d’une affaire, aussi dramatique et horrible soit-elle. Par ailleurs, les chiffres confirment que, dans leur immense majorité, ceux qui comparaissent devant les cours d’assises des mineurs sont devenus majeurs. Enfin, la lutte contre l’antisémitisme passe certainement davantage par la publication d’ouvrages ou l’organisation de débats publics plutôt que par la publicité d’un procès offrant une tribune à des propos antisémites.

M. Michel Vaxès : Si, aux yeux de certains avocats, la publicité revêt une telle importance, pour quelles raisons n’ont-ils pas demandé la disjonction de l’instance pour les mineurs si cela était possible ?

M. François Baroin, rapporteur. J’accepte les excuses présentées par M. Vallini. En réponse à Mme Mazetier j’indiquerai que l’émission diffusée sur France 2 pendant le procès Fofana a été une forme de palliatif à l’absence de publicité du procès.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(Article unique de la proposition de loi initiale)


(art. 306 du code de procédure pénale)


Modification des règles de publicité applicables aux audiences
des cours d’assises des mineurs lorsque l’accusé
mineur au moment des faits est devenu majeur

Le présent article, issu d’un amendement de rédaction globale de l’article unique de la proposition de loi initiale, a pour objet de redéfinir les règles de publicité applicables aux audiences des cours d’assises des mineurs lorsque l’accusé mineur au moment des faits est devenu majeur. L’article adopté par la commission maintient le principe de l’application de la publicité restreinte pour les audiences des cours d’assises des mineurs, y compris lorsque sont jugés des mineurs devenus majeurs, mais permet à toutes les parties de demander l’application du régime de la publicité de l’article 306 du code de procédure pénale, la décision étant alors prise par la cour qui devra statuer par décision spéciale et motivée insusceptible de recours et en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile.

Afin de répondre à la difficulté soulevée par la situation des mineurs devenus majeurs jugés par des cours d’assises des mineurs, la proposition de loi initiale avait recherché un nouvel équilibre entre le principe de la publicité des audiences et le droit à la publicité restreinte, en inversant la règle actuelle. Ainsi, selon son article unique, lorsqu’un mineur aurait comparu devant une cour d’assises des mineurs alors qu’il était devenu majeur au jour de l’ouverture des débats, les audiences auraient par principe été publiques, sauf si la cour, saisie d’une demande de l’accusé mineur, avait décidé que les débats se dérouleraient à huis clos. La cour aurait statué sur la demande de non-publicité formulée par l’accusé après avoir entendu toutes les parties. Pour les mineurs devenus majeurs, la règle serait donc devenue la publicité, et l’exception la publicité restreinte.

L’ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, qu’elles se soient déclarées favorables ou hostiles à une évolution des règles de publicité pour les mineurs devenus majeurs, a fait valoir que la proposition de loi constituait une modification fondamentale du statut pénal particulier reconnu aux mineurs par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. En conséquence, la commission, sur proposition de votre rapporteur, a modifié le dispositif initial de la proposition de loi, afin de réaffirmer le principe de la publicité restreinte pour les mineurs devenus majeurs au jour de leur procès. Le maintien de ce principe apparaît en effet conforme à la nécessité de préserver une spécificité au statut pénal des mineurs, afin de tenir compte de leur âge au moment des faits.

Cependant, s’il est nécessaire que le principe de la publicité restreinte soit maintenu pour les mineurs devenus majeurs, cela ne signifie nullement qu’aucune évolution de la possibilité de déroger à cette règle ne soit possible. Afin d’aboutir à un nouvel équilibre entre les intérêts en présence, l’article tel qu’adopté par la commission prévoit que les audiences des procès des mineurs devenus majeurs au jour de l’ouverture des débats seront publiques « si le ministère public, la personne poursuivie, un autre accusé ou la partie civile en fait la demande, sauf s’il existe un autre accusé toujours mineur ». En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, la cour devra statuer « en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile, après un débat au cours duquel sont entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée qui n’est pas susceptible de recours ».

Par ailleurs, l’article prévoit également que, « si la personnalité de l’accusé qui était mineur au moment des faits rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics », la cour devra ordonner que l’audience sera soumise au régime de la publicité restreinte. Cette disposition donne ainsi à l’intérêt du mineur une force particulière parmi les intérêts que la cour devra prendre en compte dans sa décision relative au régime de publicité.

Enfin, la publicité des débats ne doit pas conduire à ce que l’identité du mineur soit publiée dans la presse et que puisse avoir lieu un « lynchage médiatique » du mineur poursuivi. En conséquence, l’article 306 est complété par un nouvel alinéa prévoyant que, lorsque les débats devant la cour d’assises des mineurs sont publics en application des nouvelles dispositions de l’article 306 du code de procédure pénale, les comptes rendus de ces débats faisant l’objet d’une diffusion écrite ou audiovisuelle ne devront pas mentionner l’identité de l’accusé mineur au moment des faits, sous peine d’une amende de 15 000 euros. Cette peine ne sera toutefois pas encourue si le mineur a donné son accord à la publication de son identité.

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La Commission adopte l’amendement CL 1 du rapporteur et l’article 1er ainsi rédigé, M. Jean-Christophe Lagarde ayant estimé que l’amende proposée lui paraissait insuffisante, car insuffisamment dissuasive.

Article 2 (nouveau)

(art. 400 du code de procédure pénale)


Modification des règles de publicité applicables aux audiences
des tribunaux pour enfants lorsque le prévenu
mineur au moment des faits est devenu majeur

Cet article, issu d’un amendement de votre rapporteur, étend au tribunal pour enfants les nouvelles règles prévues par l’article 1er de la proposition de loi pour la cour d’assises des mineurs en matière de publicité des débats lorsqu’un mineur poursuivi est devenu majeur au moment du procès.

Comme devant la cour d’assises des mineurs, la décision sur les conditions de publicité des audiences du tribunal pour enfants n’appartiendra plus au seul prévenu, mais fera l’objet, sur demande de l’une des parties – ministère public, accusé ou prévenu, partie civile – d’une décision du tribunal. En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, le tribunal devra statuer en prenant en considération les intérêts de la société, du prévenu et de la partie civile, après un débat au cours duquel auront été entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée.

L’augmentation de la peine prévue en cas de divulgation de l’identité d’un mineur poursuivi est également rendue applicable aux comptes rendus des audiences devant le tribunal pour enfants.

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La Commission adopte l’amendement CL 2 du rapporteur.

Article 3 (nouveau)

(art. 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945)


Adaptation des sanctions applicables en cas de divulgation de l’identité
d’un mineur poursuivi devant une juridiction pour mineurs ou de publication d’éléments relatifs à des procès mettant en cause des personnes mineures
au moment des faits

Le présent article, issu d’un amendement de votre rapporteur, a pour objet d’adapter les sanctions applicables en cas de divulgation de l’identité d’un mineur poursuivi devant une juridiction pour mineurs ou de publication d’éléments relatifs à des procès mettant en cause des personnes mineures au moment des faits.

Les sanctions actuellement prévues en cas de divulgation de l’identité ou de publication d’éléments relatifs à des procès mettant en cause des personnes mineures au moment des faits, outre qu’elles sont insuffisamment appliquées et qu’il est nécessaire que les parquets engagent plus systématiquement des poursuites à l’encontre des auteurs de ces faits, sont insuffisamment dissuasives.

Actuellement, la personne qui publie un compte rendu de débats du tribunal pour enfants ou de la cour d’assises des mineurs est passible d’une amende de 6 000 euros et, en cas de récidive, d’un emprisonnement de deux ans ; celle qui publie une décision de l’une de ces juridictions sans l’anonymiser est passible d’une amende de 3 750 euros.

Il est nécessaire de renforcer et d’uniformiser ces deux sanctions, relatives à des faits de gravité comparable. À titre de comparaison, des infractions similaires, commises par voie de presse, sont punies d’une amende de 15 000 euros. Tel est le cas notamment de la divulgation de l’identité d’un mineur disparu ou victime d’une infraction sans autorisation de ses parents ou des autorités administratives ou judiciaires (article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse), ou encore de la diffusion de l’image d’une victime sans son consentement (article 39 quinquies de la même loi).

Le présent article porte donc les sanctions prévues par l’article 14 de l’ordonnance du 2 février 1945 au même niveau que celles prévues par la loi du 29 juillet 1881.

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La Commission adopte l’amendement CL 3 du rapporteur.

Article 4 (nouveau)

Application de la loi sur l’ensemble du territoire de la République

Le présent article, issu d’un amendement de votre rapporteur, prévoit l’application de la réforme sur l’ensemble du territoire de la République, y compris dans les collectivités d’outre-mer.

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La Commission adopte l’amendement CL 4 du rapporteur.

Titre de la proposition de loi

La Commission adopte l’amendement CL 5 du rapporteur.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée, MM. Manuel Valls et Pascal Terrasse ayant déclaré s’abstenir.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi relative au régime de publicité applicable devant les juridictions pour mineurs dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi visant à modifier la procédure du huis clos devant la cour d’assises des mineurs

Proposition de loi relative au régime de publicité applicable devant les juridictions pour mineurs

(amendement CL5)

 

Article unique

Article 1er

Code de procédure pénale

L’article 306 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

Art. 306. – Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les mœurs. Dans ce cas, la cour le déclare par un arrêt rendu en audience publique.

« Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les mœurs. Dans ce cas, la cour le déclare par un arrêt rendu en audience publique.

Alinéa supprimé

Toutefois, le président peut interdire l’accès de la salle d’audience aux mineurs ou à certains d’entre eux.

« Toutefois, le président peut interdire l’accès de la salle d’audience aux mineurs ou à certains d’entre eux.

Alinéa supprimé

Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas.

« Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas.

Alinéa supprimé

Lorsque le huis clos a été ordonné, celui-ci s’applique au prononcé des arrêts qui peuvent intervenir sur les incidents contentieux visés à l’article 316.

« Lorsque le huis clos a été ordonné, celui-ci s’applique au prononcé des arrêts qui peuvent intervenir sur les incidents contentieux visés à l’article 316.

Alinéa supprimé

L’arrêt sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique.

« L’arrêt sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique.

Alinéa supprimé

Les dispositions du présent article sont applicables devant la cour d’assises des mineurs si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l’ouverture des débats et qu’elle en fait la demande, sauf s’il existe un autre accusé qui est toujours mineur ou qui, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l’ouverture des débats, s’oppose à cette demande.









Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante

Art. 14. – Cf. infra. art. 3.

« Les dispositions du présent article sont applicables devant la cour d’assises des mineurs sauf si l’un des accusés est toujours mineur au moment de l’ouverture des débats. L’accusé mineur au moment des faits et devenu majeur au moment de l’ouverture des débats a la possibilité de demander que les débats se déroulent à huis clos. La cour statue alors sur sa demande toutes les parties entendues. »



… mineurs si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l’ouverture des débats et si le ministère public, la personne poursuivie, un autre accusé ou la partie civile en fait la demande, sauf s’il existe un autre accusé toujours mineur. En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, la cour statue en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile, après un débat au cours duquel sont entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée qui n’est pas susceptible de recours. Si la personnalité de l’accusé qui était mineur au moment des faits rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics, la cour ordonne que l’audience fera l’objet d’une publicité restreinte conformément aux dispositions de l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. »

   

«  Lorsque les débats devant la cour d’assises des mineurs sont publics en application des dispositions de l’alinéa précédent, les comptes rendus de ces débats faisant l’objet d’une diffusion écrite ou audiovisuelle ne doivent pas mentionner l’identité de l’accusé mineur au moment des faits, sous peine d’une amende de 15 000 €, sauf si le mineur donne son accord à cette publication. »

(amendement CL1)

Code de procédure pénale

   

Art. 400. – Les audiences sont publiques.

Néanmoins, le tribunal peut, en constatant dans son jugement que la publicité est dangereuse pour l’ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d’un tiers, ordonner, par jugement rendu en audience publique, que les débats auront lieu à huis clos.

   

Lorsque le huis clos a été ordonné, celui-ci s’applique au prononcé des jugements séparés qui peuvent intervenir sur des incidents ou exceptions ainsi qu’il est dit à l’article 459, alinéa 4.

 

Article 2 (nouveau)

Le jugement sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique.

 

Le dernier alinéa de l’article 400 du code de procédure pénale est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

Les dispositions du présent article sont applicables devant le tribunal pour enfants si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l’ouverture des débats et qu’elle en fait la demande, sauf s’il existe un autre prévenu qui est toujours mineur ou qui, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l’audience, s’oppose à cette demande.







Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée

Art. 14. – Cf. infra. art. 3.

 

« Les dispositions du présent article sont applicables devant le tribunal pour enfants si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l’ouverture des débats et si le ministère public, la personne poursuivie, un autre prévenu ou la partie civile en fait la demande, sauf s’il existe un autre prévenu toujours mineur. En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, le tribunal statue en prenant en considération les intérêts de la société, du prévenu et de la partie civile, après un débat au cours duquel sont entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée qui n’est pas susceptible de recours. Si la personnalité du prévenu qui était mineur au moment des faits rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics, le tribunal ordonne que l’audience fera l’objet d’une publicité restreinte conformément aux dispositions de l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

   

« Lorsque les débats devant le tribunal pour enfants sont publics en application des dispositions de l’alinéa qui précède, les comptes rendus de ces débats faisant l’objet d’une diffusion écrite ou audiovisuelle ne doivent pas mentionner l’identité du prévenu mineur au moment des faits, sous peine d’une amende de 15 000 €, sauf si le mineur donne son accord à cette publication. »

(amendement CL2)

Art. 14. – Chaque affaire sera jugée séparément en l’absence de tous autres prévenus.

 

Article 3 (nouveau)

Seuls seront admis à assister aux débats la victime, qu’elle soit ou non constituée partie civile, les témoins de l’affaire, les proches parents, le tuteur ou le représentant légal du mineur, les membres du barreau, les représentants des sociétés de patronage et des services ou institutions s’occupant des enfants, les délégués à la liberté surveillée.

 

L’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifié :

Le président pourra, à tout moment, ordonner que le mineur se retire pendant tout ou partie de la suite des débats. Il pourra de même ordonner aux témoins de se retirer après leur audition.

 

1° La dernière phrase de l’avant-dernier alinéa est ainsi rédigée :

La publication du compte rendu des débats des tribunaux pour enfants dans le livre, la presse, la radiophonie, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit est interdite. La publication, par les mêmes procédés, de tout texte ou de toute illustration concernant l’identité et la personnalité des mineurs délinquants est également interdite. Les infractions à ces dispositions seront punies d’une amende de 6000 € ; en cas de récidive, un emprisonnement de deux ans pourra être prononcé.

 









« Les infractions à ces dispositions sont punies d’une amende de 15 000 €. » ;

Le jugement sera rendu en audience publique, en la présence du mineur. Il pourra être publié, mais sans que le nom du mineur puisse être indiqué, même par une initiale, à peine d’une amende de 3750 €.

 




2° À la fin du dernier alinéa, les mots : « à peine d’une amende de 3 750 € » sont remplacés par les mots : « sous peine d’une amende de 15 000 € ».

(amendement CL3)

   

Article 4 (nouveau)

   

Les dispositions de la présente loi sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République.

(amendement CL4)

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CL1 présenté par M. François Baroin, rapporteur :

Article unique

Rédiger ainsi cet article :

« Le dernier alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le présent article est applicable devant la cour d’assises des mineurs si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l’ouverture des débats et si le ministère public, la personne poursuivie, un autre accusé ou la partie civile en fait la demande, sauf s’il existe un autre accusé toujours mineur. En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, la cour statue en prenant en considération les intérêts de la société, de l’accusé et de la partie civile, après un débat au cours duquel sont entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée qui n’est pas susceptible de recours. Si la personnalité de l’accusé qui était mineur au moment des faits rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics, la cour ordonne que l’audience fera l’objet d’une publicité restreinte conformément à l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

«  Lorsque les débats devant la cour d’assises des mineurs sont publics en application de l’alinéa précédent, les comptes rendus de ces débats faisant l’objet d’une diffusion écrite ou audiovisuelle ne doivent pas mentionner l’identité de l’accusé mineur au moment des faits, sous peine d’une amende de 15 000 €, sauf si le mineur donne son accord à cette publication. »

Amendement CL2 présenté par M. François Baroin, rapporteur :

Après l’article unique

Insérer l’article suivant :

Le dernier alinéa de l’article 400 du code de procédure pénale est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le présent article est applicable devant le tribunal pour enfants si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour de l’ouverture des débats et si le ministère public, la personne poursuivie, un autre prévenu ou la partie civile en fait la demande, sauf s’il existe un autre prévenu toujours mineur. En cas d’opposition de l’une des parties à la publicité des débats, le tribunal statue en prenant en considération les intérêts de la société, du prévenu et de la partie civile, après un débat au cours duquel sont entendus le ministère public et les avocats des parties, par décision spéciale et motivée qui n’est pas susceptible de recours. Si la personnalité du prévenu qui était mineur au moment des faits rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics, le tribunal ordonne que l’audience fera l’objet d’une publicité restreinte conformément à l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

« Lorsque les débats devant le tribunal pour enfants sont publics en application de l’alinéa qui précède, les comptes rendus de ces débats faisant l’objet d’une diffusion écrite ou audiovisuelle ne doivent pas mentionner l’identité du prévenu mineur au moment des faits, sous peine d’une amende de 15 000 €, sauf si le mineur donne son accord à cette publication. »

Amendement CL3 présenté par M. François Baroin, rapporteur :

Après l’article unique

Insérer l’article suivant :

« L’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifié :

« 1° La dernière phrase de l’avant-dernier alinéa est ainsi rédigée :

« Les infractions à ces dispositions sont punies d’une amende de 15 000 €. » ;

« 2° À la fin du dernier alinéa, les mots : « à peine d’une amende de 3 750 € » sont remplacés par les mots : « sous peine d’une amende de 15 000 € ». »

Amendement CL4 présenté par M. François Baroin, rapporteur :

Après l’article unique

Insérer l’article suivant :

« La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. »

Amendement CL5 présenté par M. François Baroin, rapporteur :

Titre

Rédiger ainsi le titre de la proposition de loi :

« Proposition de loi relative au régime de publicité applicable devant les juridictions pour mineurs ».

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

—  Mme Carol BIZOUARN, conseillère de la Défenseure des enfants sur les questions de justice, accompagnée de M. Hugues FELTESSE, délégué général

—  M. Jean-Marie HUET, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice

—  M. Philippe LÉGER, ancien avocat général auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, président du Comité de réflexion sur la justice pénale

—  M. Henri-Claude LE GALL, président de l’Association nationale des praticiens de la cour d’assises, accompagnée de M. Jean-Pierre DESCHAMPS, président de la cour d’assises des Bouches du-Rhône

—  Mme Catherine SULTAN, présidente de l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF)

—  Mme Emmanuelle PERREUX, présidente du Syndicat de la Magistrature, accompagnée de Mme Natacha RATEAU, vice-présidente

—  Christophe REGNARD, président de l’Union Syndicale des Magistrats, accompagné de Mme Catherine VANDIER, vice-présidente

—  M. Michel HUYETTE, conseiller à la Cour d’appel de Toulouse

—  Me Dominique ATTIAS, avocate au barreau de Paris, représentante du GIE Conseil national des barreaux – Ordre des avocats de Paris – Conférence des Bâtonniers

—  Me Françis SZPINER, avocat au barreau de Paris

—  Me Philippe BONFILS, avocat au barreau de Marseille, professeur de droit pénal à l’Université Paul Cézanne Aix Marseille III

—  M. André VARINARD professeur de droit pénal à l’Université Jean Moulin  III, président de la commission sur la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante

—  M. Xavier BEBIN, délégué général de l’Institut pour la justice, accompagné de Mme Françoise de CHABOT, responsable des relations institutionnelles, et de Me Stéphane MAÎTRE, avocat au barreau de Paris

—  M. Alain BOULAY, président de l’association Aide aux parents d’enfants victimes (APEV)

—  M. Dominique VERDEILHAN, vice-président de l’Association de la presse judiciaire, accompagné de M. Pierre-Antoine SOUCHARD, secrétaire général

ANNEXE : RÈGLES DE PUBLICITÉ APPLICABLES
DEVANT LES JURIDICTIONS POUR MINEURS
DANS DIX ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE
 (16)

Les règles de publicité applicables devant les juridictions pour mineurs dans les États membres de l’Union européenne pour les personnes majeures jugées pour des faits commis alors qu’elles étaient mineures peuvent être regroupées en trois catégories :

1. Les États dans lesquels le principe est la publicité restreinte ou le huis clos, sans exception possible :

C’est le cas :

—  au Portugal : selon l’article 41 de la loi n° 166/99 du 14 septembre 1999, qui a approuvé la loi tutélaire éducative, la procédure est secrète : « la publicité de la procédure se fait en respectant la personnalité du mineur et sa vie privée et, dans la mesure du possible, en préservant son identité ». La loi n° 147/99 du 1er septembre 1999, qui a approuvé la loi sur la protection des enfants et des jeunes en danger, prévoit dans son article 88 le caractère confidentiel de la procédure. L’article 89 envisage la consultation à des fins scientifiques, tandis que l’article 90 dispose que les médias ne peuvent pas divulguer d’informations concernant la procédure. Les règles de publicité applicables aux mineurs devenus majeurs sont les mêmes.

—  en Slovénie : les audiences relatives aux mineurs ne sont pas ouvertes au public. Les juges peuvent décider d’autoriser à assister aux débats uniquement les personnes chargées de conseiller lesdits mineurs, de leur protection ou encore de la répression de la délinquance, ainsi que les experts.

2. Les États dans lesquels le principe est la publicité restreinte ou le huis clos, avec possibilité pour la juridiction de décider la publicité :

C’est le cas aux Pays-Bas : selon le code de procédure pénale néerlandais, les procès contre les mineurs (âgés de moins de 18 ans) ont lieu à huis clos. Le président du tribunal peut cependant autoriser la présence de personnes autres que les parties au procès ou ordonner la publicité du procès.

3. Les États dans lesquels le principe est la publicité, avec possibilité pour la juridiction de décider la publicité restreinte ou le huis clos :

C’est le cas :

—  en Autriche : si le mineur a atteint l’âge de la majorité lors du procès pénal, il est soumis aux dispositions de droit commun du code de procédure pénale. Cependant, la publicité peut être restreinte par le tribunal lorsque les débats portent sur des détails de la vie privée de la personne poursuivie.

—  en Belgique : les audiences du tribunal de la jeunesse sont publiques, quel que soit l’âge de la personne poursuivie au moment de l’audience, en application des principes généraux consacrés tant par la Constitution belge (articles 148 et 149) que par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, l’article 57 de la loi 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse prévoit expressément la possibilité pour le tribunal de procéder à huis clos. Le tribunal en décide souverainement.

—  au Danemark : en l’absence de règles spécifiques, les mineurs sont soumis au régime de droit commun de publicité des audiences défini par la loi portant administration de la justice du 29 octobre 2009. Toutefois, lorsqu’un mineur est poursuivi, les magistrats peuvent décider soit de leur propre initiative, soit à la demande de l’une des parties, de limiter la publicité du procès. La restriction de la publicité comprend trois degrés : le huis clos absolu, l’absence de compte rendu de l’audience, l’interdiction de publier les noms des parties au procès.

—  en Espagne : le principe est la publicité, mais l'article 35 alinéa 2 de la loi organique n° 5/2000 du 12 janvier 2000 sur la responsabilité pénale des mineurs dispose que le juge pour enfants peut décider que le procès se déroulera à huis clos, si l'une des parties en fait la demande ou dans l'intérêt de l'accusé mineur.

—  en Finlande : le principe est la publicité, mais les tribunaux peuvent, à la demande de l’une des parties ou pour toute autre raison que le tribunal estime suffisante, décider que l’instance se déroulera, pour tout ou partie, à huis clos, si l’une des parties est mineure au moment des audiences et si le huis clos ne va pas à l’encontre d’un intérêt public exceptionnel.

—  en Lituanie : le tribunal saisi statue sur le régime de publicité du procès. Lorsque la personne accusée est un mineur âgé de moins de 18 ans, les débats peuvent se tenir à huis clos ; cependant, il ne s’agit pas d’une règle automatique, la décision relève toujours de l’appréciation souveraine du tribunal, au cas par cas. Le fait qu’une personne, mineure au moment des faits, ait atteint l’âge de la majorité lors du jugement est donc sans influence sur les conditions de publicité du procès

—  au Royaume-Uni : en droit britannique, les conditions de publicité des audiences impliquant des mineurs sont fonction du tribunal devant lequel ils sont poursuivis. La plupart des mineurs délinquants sont poursuivis devant des tribunaux propres aux mineurs, mais ils peuvent dans certains cas être poursuivis devant les juridictions de droit commun.

Devant les tribunaux pour mineurs, l’article 49 de la loi de 1933 portant dispositions relatives aux enfants et aux jeunes personnes prévoit des restrictions automatiques de publicité des audiences devant les tribunaux pour mineurs, en particulier l’interdiction de publier l’identité des mineurs parties à l’affaire ainsi que des éléments pouvant permettre leur identification (image, adresse, lieu de scolarisation par exemple). Cependant, la jurisprudence a déterminé que ces dispositions ne s’appliquent plus dès lors que le mineur concerné atteint l’âge de 18 ans.

Lorsqu’un mineur délinquant est jugé par un tribunal de droit commun, certaines restrictions de publicité peuvent être mises en œuvre en application de l’article 39 de la loi de 1933 précitée. La cour a le pouvoir discrétionnaire d’interdire la publicité, totale ou partielle, de l’identité du mineur partie au procès ainsi que des éléments pouvant permettre de l’identifier, mais cette décision n’est plus applicable lorsque les personnes concernées ont atteint l’âge de la majorité.

© Assemblée nationale

1 () Cour européenne des droits de l’Homme, 24 novembre 1997, Werner contre Autriche, JCP 1998, I 107, n° 27.

2 () Cour européenne des droits de l’Homme, 8 décembre 1983, Axen contre Allemagne, série A, n° 72, § 25.

3 () L’article 306 s’applique à la cour d’assises des mineurs, compétente pour les crimes commis par des mineurs de 16 à 18 ans ; l’article 400 s’applique au tribunal pour enfants, compétent pour les délits commis par les mineurs quel que soit leur âge et pour les crimes commis par des mineurs de moins de 16 ans.

4 () Cass. Crim, 15 décembre 1993.

5 () Cass. crim., 6 janvier 1993 : Bull. crim. 1993, n° 10.

6 ()Cass. crim., 24 juin 1998, Juris-Data n° 1998-003472 ; Bull. crim. 1998, n° 205.

7 () Commission de réflexion sur la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, La Documentation française, 2008, page 68.

8 () op. cit., page 68.

9 () Adeline Gouttenoire et Philippe Bonfils, Droits de l’enfant, Recueil Dalloz 2008, page 1854.

10 () Cass. crim., 25 ocobre 2000, Bull. crim. 2000, n° 316.

11 () Cass. Crim., 21 juin 2006, Recueil Dalloz 2006, page 1989.

12 () Philippe Bonfils, Libres propos sur la situation du mineur délinquant devenu majeur, Droit pénal, décembre 2007, page 7.

13 () Cour européenne des droits de l’Homme, 16 décembre 1999, T. contre Royaume-Uni et V. contre Royaume-Uni, requêtes nos 24724/94 et 24888/94.

14 () Voir l’annexe sur les règles de publicité applicables devant les juridictions pour mineurs dans dix États membres de l’Union européenne, page 61.

15 () Voir l’annexe sur les règles de publicité applicables devant les juridictions pour mineurs dans dix États membres de l’Union européenne, page 61.

16 () Ce document a été établi à partir des informations communiquées par le services des Affaires européennes de l’Assemblée nationale. Au 3 février 2010, dix États de l’Union européenne avaient répondu au questionnaire adressé en décembre 2009 par votre rapporteur.