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N° 2372

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 février 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 2295) DE M.  André VALLINI, M.  Jean-Marc AYRAULT, Mme  Élisabeth GUIGOU, Mme  Marylise LEBRANCHU, M.  Manuel VALLS, M.  Christophe CARESCHE, M.  Jean-Yves LE BOUILLONNEC, M.  Dominique RAIMBOURG, M.  Pierre-Alain MUET ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE ET APPARENTÉS , visant à instituer la présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue.

PAR M. André VALLINI

Député.

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INTRODUCTION 5

I.– LA GARDE À VUE, PHASE CRITIQUE DE LA PROCÉDURE PÉNALE 7

A. LE RÉGIME GÉNÉRAL DE LA GARDE À VUE 7

1. Les conditions du placement en garde à vue et sa durée 7

2. Les droits de la personne gardée à vue 8

a) Le droit à l’information 8

b) Le droit de prévenir un proche ou son employeur 9

c) Le droit à un examen médical 10

d) Le droit de demander à s’entretenir avec un avocat 10

B. LE DÉROULEMENT DES GARDES À VUE TROP SOUVENT SUJET À CRITIQUES 11

1. Des locaux de garde à vue trop souvent indignes 11

2. Les pressions exercées sur les personnes placées en garde à vue 12

3. Un contrôle insuffisant des conditions de déroulement des gardes à vue 14

C. LA GARDE À VUE : PHASE DÉTERMINANTE DES POURSUITES PÉNALES 16

1. La garde à vue, antichambre des poursuites dites « rapides » 17

2. L’impact déterminant sur la procédure judiciaire des déclarations faites pendant la garde à vue 18

II. L’AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE : UN ÉLÉMENT ESSENTIEL DU PROCÈS ÉQUITABLE 19

A. L’ASSISTANCE D’UN AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE : UN DROIT RECONNU DANS DE NOMBREUX ÉTATS EUROPÉENS 19

B. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EXIGE L’ASSISTANCE D’UN AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE 21

1. Des arrêts de la CEDH concernant la Turquie 21

a) Du droit à l’assistance dès les premiers stades des interrogatoires de police… 21

b) … au droit à l’assistance dès la privation de liberté indépendamment des interrogatoires 22

2. Des arrêts transposables au droit français 23

a) L’incontestable force obligatoire des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme 23

b) Le droit français n’est pas compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme 25

III. UNE RÉPONSE DU LÉGISLATEUR QUI NE SAURAIT ÊTRE DIFFÉRÉE DAVANTAGE 27

A. L’INSÉCURITÉ JURIDIQUE DES MESURES DE GARDE À VUE NE SAURAIT PERDURER 27

1. Les risques d’invalidation des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d’un avocat 28

a) Les décisions rendues par les juridictions françaises depuis les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme font application des principes dégagés par le juge européen 28

b) Les décisions des juridictions nationales faisant application des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme sont juridiquement incontestables 32

2. Les risques de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme 33

B. L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LES DROITS DE LA PERSONNE GARDÉE À VUE 34

1. Un constat unanimement partagé sur la nécessité d’une amélioration des droits des personnes gardées à vue 34

2. Pour une réponse simple et forte : l’assistance effective d’un avocat pendant les interrogatoires de garde à vue 36

DISCUSSION GÉNÉRALE 41

EXAMEN DES ARTICLES 49

Article unique : Audition immédiate de toute personne gardée à vue et droit à l’assistance d’un avocat au cours de cette audition 49

MESDAMES, MESSIEURS,

Symbole de l’activité policière, mesure de coercition et d’investigation la plus connue de l’arsenal policier, la garde à vue se trouve aujourd’hui au cœur de l’actualité pour une double raison.

En premier lieu, le nombre de ces mesures a explosé au cours des dix dernières années, passant de 336 718 en 2001 à près de 577 816 en 2009, auxquelles il convient de rajouter près de 200 000 gardes à vue pour des infractions routières qui sont comptabilisées à part. De plus en plus de nos concitoyens sont soumis à une mesure de garde à vue, et plusieurs affaires récentes, impliquant des mineurs, des journalistes ou des personnes mises en cause dans des infractions de faible gravité, ont soulevé un trouble et une inquiétude dans l’opinion.

En second lieu, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu, en 2008 et 2009, deux arrêts dans lesquels elle a proclamé successivement que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui protège le droit à un procès équitable, « exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police » (1), puis – allant plus loin encore – qu’« un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit » (2). Sur le fondement de ces considérants de principe, la Cour a condamné par deux fois la Turquie pour violation du droit à un procès équitable, pour ne pas avoir permis à des personnes placées en garde à vue de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat dès le début de la privation de liberté dont elles ont fait l’objet. Or, l’article 63-1 de notre code de procédure pénale actuellement en vigueur – très proche du droit turc, que la CEDH a jugé contraire au droit à un procès équitable – ne prévoit que le droit à un entretien avec un avocat de trente minutes au début de la garde à vue, sans possibilité pour le conseil d’avoir accès au dossier ni d’assister aux auditions. Se fondant sur la jurisprudence de la CEDH, des avocats réclament depuis la fin de l’année dernière l’annulation des mesures de garde à vue au cours desquelles la personne n’a pas pu bénéficier de l’assistance effective d’un avocat et plusieurs juridictions ont déjà fait droit à ces demandes.

Les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen ont donc déposé la proposition de loi faisant l’objet du présent rapport, qui prévoit que « Toute personne placée en garde à vue doit immédiatement faire l’objet d’une audition, assistée d’un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu’à l’arrivée de l’avocat ».

Alors que la garde à vue apparaît aujourd’hui comme une phase critique de la procédure pénale (I), la présence d’un avocat au cours de cette phase apparaît comme un élément nécessaire au respect du droit à un procès équitable (II) que le législateur est aujourd’hui tenu, tant juridiquement que politiquement, de mettre en place sans plus attendre (III).

I.– LA GARDE À VUE, PHASE CRITIQUE
DE LA PROCÉDURE PÉNALE

Phase critique de la procédure pénale, dans la mesure où elle est souvent le préalable à une décision de poursuites du ministère public, la garde à vue est aussi sujette à la critique, en raison de l’insuffisance des droits du gardé à vue et des conditions effectives de son déroulement.

Le code de procédure pénale soumet la garde à vue à des conditions de placement et à des règles de limitation de durée, et ouvre aux personnes placées sous ce régime un certain nombre de droits (A). Ces droits apparaissent aujourd’hui trop limités, au regard des conditions du déroulement des gardes à vue souvent sujettes à critiques (B), d’autant que la garde à vue exerce une influence déterminante sur l’exercice des poursuites (C).

A. LE RÉGIME GÉNÉRAL DE LA GARDE À VUE

Le code de procédure pénale définit aux articles 63 à 63-4 les conditions du placement en garde à vue, la durée de la mesure et les droits des personnes placées sous ce régime.

1. Les conditions du placement en garde à vue et sa durée

En application des articles 63, 77 et 154 du code de procédure pénale, dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou d’une instruction, tout officier de police judiciaire peut garder à sa disposition toute personne « à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Mesure privative de liberté, la garde à vue est décidée par un fonctionnaire de police ou par un gendarme ayant la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ), sans intervention de l’autorité judiciaire, et quelle que soit la gravité de l’infraction soupçonnée.

Sous l’empire du code d’instruction criminelle de 1808, les actes de recherche et d’investigation relevaient de la compétence exclusive des magistrats, qui devaient statuer rapidement sur la mise en œuvre d’une éventuelle mesure coercitive prolongée. Ainsi, le code d’instruction criminelle ne comportait aucune disposition sur l’arrestation par la police judiciaire et attribuait aux magistrats la conduite des enquêtes. La loi du 8 décembre 1897, en autorisant l’avocat à assister son client pendant les interrogatoires conduits par les magistrats, a de manière indirecte favorisé le développement des mesures de garde à vue : afin d’éviter la présence de l’avocat, le parquet et la police mirent en place des enquêtes officieuses, qui se traduisaient par des rétentions arbitraires.

C’est en 1958 que le législateur décida de légaliser enfin la garde à vue en l’inscrivant dans le code de procédure pénale, tout en l’entourant d’un minimum de garanties. Le dispositif initial a subi de nombreuses modifications, tendant notamment à allonger la durée de garde à vue pour les infractions les plus graves et à renforcer les droits de la personne placée en garde à vue.

Aux termes de l’article 63-4 du code de procédure pénale, la durée initiale de la garde à vue est limitée à 24 heures, mais elle peut être prolongée de 24 heures sur autorisation du ministère public dans les cas d’enquêtes de flagrance et préliminaire, ou du juge d’instruction dans le cas où une information judiciaire est ouverte. Quel que soit le cadre de la garde à vue, l’OPJ prenant la décision de placement doit en aviser immédiatement l’autorité judiciaire compétente (procureur de la République ou juge d’instruction). La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a porté la durée totale maximale de la garde à vue à 96 heures dans certains cas particulièrement graves de criminalité organisée, en particulier pour les affaires de proxénétisme aggravé, de trafic de stupéfiants et de terrorisme, sur décision du juge des libertés et de la détention (3). Enfin, lorsqu’« il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement », la durée de la garde à vue peut exceptionnellement, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, être portée à six jours.

2. Les droits de la personne gardée à vue

Ils sont définis par les articles 63-1 à 63-4 du code de procédure pénale.

a) Le droit à l’information

Le premier des droits reconnus à la personne placée en garde à vue est un droit à l’information, qui comporte un double aspect. Ce droit à l’information est énoncé par le premier alinéa de l’article 63-1, qui dispose que « Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63 ». Ce droit à l’information, qui découle du droit à la sûreté reconnu par l’article 7 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 (4) et de l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 (5), constitue une garantie essentielle dans un État de droit. Non moins essentiel est le second aspect de ce droit à l’information, le droit à être informé de ses droits, qui conditionne l’exercice effectif de ceux-ci.

À cet égard, votre rapporteur estime nécessaire de souligner que la suppression par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure de l’information sur le « droit à se taire » qu’avait prévue la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, apparaît critiquable. En effet, ce droit, corollaire du droit à ne pas s’auto-incriminer reconnu avec constance par la Cour européenne des droits de l’Homme, constitue l’un des droits de la personne gardée à vue, même s’il n’est pas expressément affirmé par le code de procédure pénale. La disparition de la notification de ce droit au silence conduit donc à ce que l’un des droits essentiels de la personne gardée à vue ne soit pas porté à sa connaissance.

Afin de garantir la délivrance effective par les OPJ des informations prévues par l’article 63-1, le deuxième alinéa de l’article prévoit que « mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne gardée à vue » et qu’« en cas de refus d’émargement, il en est fait mention ».

Dans le même objectif d’assurer l’effectivité du droit à l’information, le troisième alinéa dispose que « Les informations mentionnées au premier alinéa doivent être communiquées à la personne gardée à vue dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits ». Des dispositions particulières sont également prévues pour les personnes atteintes de surdité et ne sachant ni lire ni écrire, qui doivent « être assistée[s] par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds ».

b) Le droit de prévenir un proche ou son employeur

Le deuxième droit de la personne gardée à vue, consacré à l’article 63-2 du code de procédure pénale, est le droit de faire prévenir un proche ou son employeur : « Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir dans le délai prévu au dernier alinéa de l’article 63-1 (6), par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et soeurs ou son employeur de la mesure dont elle est l’objet ». Ce droit, créé par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, n’est toutefois pas un droit absolu, le second alinéa de l’article prévoyant que « si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l’enquête, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit ».

Ce droit est essentiel pour permettre à la personne placée en garde à vue de dissiper l’inquiétude que sa disparition soudaine peut engendrer parmi ses proches, ainsi que pour lui permettre de prendre les dispositions nécessaires pendant le temps de sa privation de liberté, concernant notamment ses enfants ou son emploi.

c) Le droit à un examen médical

Le troisième droit de la personne gardée à vue, lui aussi issu de la loi du 4 janvier 1993, est le droit d’être examiné par un médecin. Aux termes de l’article 63-3 du code de procédure pénale, « Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois ». À ce droit du gardé à vue de bénéficier, à sa demande, d’un examen médical, s’ajoute la faculté ouverte au procureur de la République ou à l’officier de police judiciaire, « à tout moment » et « d’office », de « désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue ». Outre ces deux cas de demande d’examen médical par la personne gardée à vue, le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire, le troisième alinéa de l’article 63-3 prévoit qu’« un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ». Enfin, le quatrième alinéa de cet article dispose que « Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue » et que « Le certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l’aptitude au maintien en garde à vue est versé au dossier ».

d) Le droit de demander à s’entretenir avec un avocat

Enfin, le dernier droit reconnu à la personne soumise à une mesure de garde à vue est le droit de « demander à s’entretenir avec un avocat », ce droit pouvant être exercé dès le début de la garde à vue. Selon les cas, cet avocat sera soit un avocat choisi, nommément désigné par la personne et que l’OPJ devra alors informer de la demande formulée, soit un avocat commis d’office par le bâtonnier si la personne « n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté ».

Le rôle de l’avocat dans le cadre de cet entretien est strictement défini et encadré par les deuxième à cinquième alinéas de l’article 63-4. Ainsi, le deuxième alinéa dispose que « l’avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien », dont la durée maximale est fixée à trente minutes. Les seules informations dont il dispose préalablement à cet entretien sont « la nature et [la] date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête », dont doit l’informer l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de police judiciaire. L’unique prérogative dont dispose l’avocat à l’issue de l’entretien est de « présente[r], le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure ».

Aux termes du cinquième alinéa de l’article 63-4, « L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue ». Il ne saurait, par exemple, contacter une personne susceptible de fournir des informations ou des documents pouvant constituer un élément de défense en faveur de la personne gardée à vue. Cette disposition a pour objet d’empêcher que d’éventuels complices puissent être informés du placement en garde à vue d’une personne avec laquelle ils ont commis une infraction.

L’avant-dernier alinéa de l’article 63-4 prévoit que lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut à nouveau demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les mêmes conditions que celles décrites précédemment.

Enfin, le dernier alinéa de l’article 63-4 prévoit un certain nombre de cas particuliers dans lesquels le droit de demander à s’entretenir avec un avocat est différé, pour des raisons tenant à la gravité des faits pour lesquels l’enquête est ouverte. Ainsi, certains des faits relevant des dispositions spéciales du code de procédure pénale applicables à la criminalité organisée permettent de différer l’exercice de droit de quarante-huit, voire de soixante-douze heures. L’entretien avec l’avocat sera retardé à l’issue d’un délai de quarante-huit heures dans les cas de crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée, crimes et délits aggravés de proxénétisme, crimes de vol commis en bande organisée, crimes aggravés d’extorsion et délits d’association de malfaiteurs à condition que l’association ait pour objet de préparer une infraction relevant de la criminalité organisée (7). Le report sera de soixante-douze heures en cas de crimes et délits de trafic de stupéfiants et de crimes et délits constituant des actes de terrorisme (8).

B. LE DÉROULEMENT DES GARDES À VUE TROP SOUVENT SUJET À CRITIQUES

La situation est connue et dénoncée depuis longtemps : les gardes à vue sont, trop souvent, effectuées dans des locaux insalubres, voire indignes dans certains cas. En outre, et malgré la valeur des personnels de la police et de la gendarmerie, les conditions de la garde à vue sont constitutives de pressions psychologiques. Enfin, le contrôle exercé par les parquets sur le déroulement des gardes à vue apparaît insuffisant.

1. Des locaux de garde à vue trop souvent indignes

L’état déplorable de certains locaux de garde à vue est connu depuis de nombreuses années. Il est inacceptable, non seulement pour les personnes gardées à vue, mais aussi pour les fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale, contraints de supporter des conditions de travail indignes d’un État moderne et démocratique.

La situation n’évolue que marginalement et lentement. Dans les deux recommandations qu’il a, depuis sa création par la loi du 30 octobre 2007 (9), adressées au ministère de l’intérieur au sujet de locaux de garde à vue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, a dénoncé cet état déplorable. Au commissariat de Besançon, il a relevé que « La vétusté des locaux de garde à vue et de dégrisement et la fréquence de leur utilisation soumettent les personnes qui y sont placées à de mauvaises conditions matérielles » et recommandé que « des dispositions [soient] prises afin d’améliorer le sort des personnes gardées à vue qui sont, d’une part, dans l’incapacité d’effectuer une toilette faute de distribution d’eau chaude, d’équipement de douche et de mise à disposition de produits de toilette et, d’autre part, dépendantes des fonctionnaires pour se rendre aux toilettes et accéder à un point d’eau » (10). Au commissariat de Boulogne-Billancourt, le Contrôleur général a relevé que « Les conditions d’hygiène sont indignes pour les personnes placées en garde à vue et celles placées en dégrisement : les toilettes « à la turque » débordent dans les chambres de sûreté, une odeur nauséabonde saisit toute personne pénétrant dans une cellule même inoccupée, les murs sont recouverts d’inscriptions et de matières diverses. L’entretien courant est totalement défaillant. De ce fait, il s’ensuit aussi des conditions de travail que les personnels ne devraient pas avoir à supporter. Des travaux doivent être entrepris sur-le-champ. Faute d’amélioration immédiate, les cellules de garde à vue et de dégrisement ne sauraient être utilisées » (11).

Depuis plusieurs semaines, de nombreux témoignages de personnes ayant été confrontées à l’expérience d’un placement en garde à vue sont publiés dans la presse (12). Ces témoignages confirment que les situations décrites par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans les deux commissariats ayant fait l’objet de ses recommandations sont, malheureusement, loin d’être isolées.

2. Les pressions exercées sur les personnes placées en garde à vue

La garde à vue a pour objet, rappelons-le, de permettre aux forces de police et de gendarmerie de réaliser des investigations et de recueillir des déclarations de la part de la personne faisant l’objet de la mesure. Certes, aux termes des articles 427 et 428 du code de procédure pénale, « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction », et « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges ». Il n’en demeure pas moins que l’aveu revêt encore, dans notre système judiciaire, une force particulière. En dépit du développement de la police scientifique et technique, des méthodes d’analyse faisant, notamment, appel à l’ADN, notre procédure reconnaît toujours à l’aveu, ancienne « reine des preuves », une valeur probante excessive.

Cette culture de l’aveu conditionne le travail des enquêteurs, étant noté que la privation de liberté est, par elle-même, la première pression que subit la personne concernée.

Mais d’autres formes de pressions sont également utilisées dans le cadre des mesures de garde à vue. Cette affirmation n’a nullement pour but de stigmatiser policiers et gendarmes, qui dans leur immense majorité accomplissent leurs missions dans des conditions difficiles avec le souci du respect des lois de la République. Pour autant, le témoignage de M. Alain Marécaux lors de son audition par la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau nous rappelle que des formes illégitimes de pressions restent parfois, aujourd’hui encore, pratiquées en garde à vue :

« Première méthode : les injures. Je suis assis, menotté, accroché au sol. Je souffre d’un problème de dos. J’ai deux vertèbres qui se décollent. J’en fais part au policier qui m’interroge. J’ai même demandé, le lendemain, à être vu par un médecin, comme la loi m’y autorisait. La réponse du policier fut : "Tu commences à nous emmerder avec tes problèmes. Tu veux des médicaments, tu en auras." Voilà la première méthode policière. (…)

« La deuxième méthode, c’est le deal. Le policier qui est devant moi me dit que l’avocat ne sert à rien, que le meilleur avocat, c’est lui, et que si je reconnais tous les faits, ma femme et mes enfants seront libérés dans l’instant qui suit. Je vous prie de croire que quand vous avez devant vous un flic qui vous propose cela, quand vous vous dites que vous êtes embarqué dans une histoire grotesque, qu’une machine s’est mise en route, vous vous demandez si vous ne pourriez pas sauver votre femme et vos enfants. (…)

« La troisième méthode, c’est la méthode gentille. "Allez, avoue, et puis c’est tout. Ça va te faire du bien." (…) » (13).

Même si ces pratiques ne sont que marginales, il ne fait aucun doute que la présence de l’avocat pendant les interrogatoires de la personne gardée à vue permettrait de les empêcher.

D’autres usages courants lors des mesures de garde à vue peuvent également être assimilées à des formes de pressions. Tel est le cas, par exemple, du retrait quasiment systématique des lunettes et, pour les femmes, du soutien-gorge, dénoncés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son premier rapport annuel. S’agissant du retrait des lunettes, il peut placer la personne gardée à vue dans une situation d’inconfort et d’infériorité préjudiciables à son état physique et psychique que chacun peut comprendre aisément.

Quant au retrait du soutien-gorge, si des raisons de sécurité sont invoquées par le ministère de l’intérieur pour justifier cette pratique, M. Jean-Marie Delarue a souligné que le soutien-gorge « est un possible instrument de dissimulation, une vérification par un agent du même sexe doit résoudre la difficulté (au prix, si l’on veut, d’une privation brève). C’est aussi un vêtement armé… de baleines (éventuellement) : sous réserve d’un démenti à venir des fabricants, on conçoit difficilement que la baleine en cause devienne un tranchant redoutable ou quelque instrument de cette efficacité : combien d’automutilations ou d’agressions lui sont dues ?

« C’est enfin une forme (les bretelles) pouvant être utilisées pour un étranglement, ou une pendaison. Mais si tout est concevable, tout peut-il se produire ? Combien de pendaisons pourraient être commises chaque année avec ce mal par destination que serait le soutien-gorge ? Vraisemblablement aucune. Sauf à ce que les fabricants là encore opposent des avis autorisés, on voit mal une bretelle résister au poids d’un corps d’une cinquantaine de kilogrammes.

« Quant au danger pour autrui… puisqu’il s’agit bien, aux termes des textes en vigueur, de considérer le danger pour soi-même et pour autrui, convenons que la chronique des commissariats ou brigades recèle peu de récits d’attaques au soutien-gorge… » (14).

Ces pratiques aboutissent souvent à ce qu’une personne finisse par reconnaître des faits qu’elle n’a pas commis et, compte tenu du poids considérable de l’aveu dans les procédures judiciaires, en dépit de la règle légale ne lui reconnaissant aucune valeur particulière, cet aveu conduit à enclencher des procédures qui peuvent se conclure par des condamnations.

3. Un contrôle insuffisant des conditions de déroulement des gardes à vue

Aux termes de l’article 41 du code de procédure pénale, « le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue. Il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an ; il tient à cet effet un registre répertoriant le nombre et la fréquence des contrôles effectués dans ces différents locaux. Il adresse au procureur général un rapport concernant les mesures de garde à vue et l’état des locaux de garde à vue de son ressort ; ce rapport est transmis au garde des sceaux. Le garde des sceaux rend compte de l’ensemble des informations ainsi recueillies dans un rapport annuel qui est rendu public ». L’article 65 du même code dispose, quant à lui, que « Les mentions et émargements prévus par le premier alinéa de l’article 64, en ce qui concerne les dates et heures de début et de fin de garde à vue et la durée des interrogatoires et des repos séparant ces interrogatoires, doivent également figurer sur un registre spécial, tenu à cet effet dans tout local de police ou de gendarmerie susceptible de recevoir une personne gardée à vue ».

Outre le contrôle sur place que le représentant du parquet peut effectuer sur l’état des locaux de garde à vue, c’est essentiellement par l’examen du registre de l’article 65 que le contrôle du parquet sur les mesures de garde à vue peut s’exercer. C’est ce que souligne le premier rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lui-même lecteur attentif de ce registre lors des contrôles qu’il opère dans des locaux de garde à vue : « Le registre de garde à vue, prévu par l’article 65 du code de procédure pénale, constitue, ainsi que l’a voulu le législateur, non seulement un moyen de connaissance de l’état des gardes à vue, mais aussi un outil permettant de retracer l’ensemble du déroulement de celles-ci. (…) Faute d’admettre dans notre droit, sauf à titre exceptionnel, des moyens exhaustifs d’enregistrement de l’ensemble de la phase d’enquête policière, le registre demeure l’outil central de contrôle du déroulement de la garde à vue » (15).

Or la lecture du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté révèle nettement l’insuffisance du contrôle que les parquets exercent sur les mesures de garde à vue, pour une double raison. D’une part, le contrôle que les parquets sont en mesure d’exercer est rendu difficile par une tenue des registres que le Contrôleur général qualifie de « variable selon les services ». D’autre part, le contrôle que les parquets exercent effectivement est, lui aussi, qualifié de « variable » par le Contrôleur général.

S’agissant de la qualité de tenue des registres, les lacunes relevées par le rapport du Contrôleur général révèlent que toute volonté de contrôle effectif de ces registres se heurte dans de nombreux cas au caractère incomplet, imprécis voire inexistant des mentions légales que devraient comporter les registres. Quelques exemples tirés du rapport précité illustrent cette situation : « Dans un commissariat, les contrôleurs ont constaté qu’une personne gardée à vue n’a été inscrite sur le registre de garde à vue que plusieurs heures après le début de la mesure » ; « Les gardes à vue sont parfois enregistrées sans ordre chronologique. Rencontrée dans deux commissariats, (…) cette modalité (…) peut s’expliquer par une mauvaise manipulation du document mais aussi par un enregistrement tardif » ; « L’absence de l’heure de début et/ou de fin de garde à vue a été remarquée à plusieurs reprises » ; « L’absence de la mention de prolongation a été constatée à plusieurs occasions » ; « Il arrive également que le registre ne porte aucune mention relative à des opérations effectuées durant le temps de la garde à vue. L’omission de l’inscription des auditions réalisées peut laisser craindre une durée de garde à vue excessive au regard des investigations nécessaires que seule une analyse ultérieure du procès-verbal sera en mesure de lever » ; « L’identité de l’OPJ qui décide de la mesure n’est pas toujours clairement établie à la lecture du registre : seule la mention du service est portée notamment lorsque la mesure est prise de nuit. Il en est de même de celle du magistrat qui accorde la prolongation » (16). Cette liste de carences n’est pas exhaustive, la lecture complète du rapporteur du Contrôleur général étant à cet égard édifiante.

Analysant ces différents manquements, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a estimé que « Ces manquements semblent liés à un désintérêt des OPJ pour le registre, alors même qu’il est prévu par la loi. Les enquêteurs expliquent que renseigner ce document constitue une gêne et une lourdeur, voire une perte de temps. Pour eux, les mentions figurent déjà dans le procès-verbal et le registre ferait doublon » (17). Néanmoins, ces manquements aux obligations légales d’enregistrement des informations afférentes au déroulement des mesures de garde à vue empêchent l’exercice effectif par le parquet de ses prérogatives de contrôle des mesures de garde à vue.

À ces carences dans la tenue des registres, viennent s’ajouter des carences dans l’effectivité du contrôle exercé par le ministère public. Les pratiques sont qualifiées de « variables » par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui ajoute que « La visite des locaux de garde à vue par le procureur de la République ne s’accompagne pas toujours d’un examen du registre de garde à vue et de son visa ». Certaines visites ont cependant révélé une absence complète de tout contrôle du ministère public : « Sur le registre de garde à vue d’une brigade de gendarmerie, aucun visa postérieur à 1983 n’a été trouvé. Dans une autre, le dernier datait du 14 octobre 2003 ». Cette insuffisance du contrôle des gardes à vue par le ministère public affaiblit gravement l’exercice par l’autorité judiciaire de sa mission de « gardienne de la liberté individuelle ».

Locaux de garde à vue indignes, pressions sur les personnes gardées à vue, insuffisance du contrôle sur les mesures de garde à vue : le tableau est sombre. Il l’est d’autant plus que la garde à vue exerce une influence déterminante sur l’exercice des poursuites et le sort pénal de la personne placée en garde à vue.

C. LA GARDE À VUE : PHASE DÉTERMINANTE DES POURSUITES PÉNALES

La garde à vue influe considérablement sur l’exercice des poursuites, d’une part, parce qu’elle est souvent l’antichambre des poursuites rapides, qui placent la personne poursuivie dans une situation ne lui permettant pas de se défendre dans les meilleures conditions, et, d’autre part, parce que les déclarations effectuées en garde à vue poursuivent le gardé à vue pendant toute la procédure pénale, scellant souvent son sort judiciaire.

1. La garde à vue, antichambre des poursuites dites « rapides »

Passé de 336 718 en 2001 à 577 816 en 2009, auxquelles il faut rajouter près de 200 000 gardes à vue pour des infractions routières qui font l’objet d’une comptabilité à part, le nombre des gardes à vue a explosé dans la dernière décennie. Or, dans la grande majorité des cas, ces mesures débouchent sur l’engagement de poursuites judiciaires dites « rapides », dont on sait qu’elles sont à l’origine d’une très large part des peines de prison ferme assorties de mandat de dépôt à l’audience.

La quasi-totalité des poursuites rapides, ainsi que la majorité des poursuites sur citation directe, font suite à une garde à vue (pour les majeurs comme pour les mineurs). Il suffit pour s’en rendre compte d’assister à une audience de comparution immédiate dans une grande juridiction, pour constater que toutes les personnes présentées ont passé un voire deux jours – et donc, une voire deux nuits – en garde à vue, mesure qui a généralement laissé des signes visibles de lassitude physique et psychologique rendant difficile la présentation d’une défense solide.

Les données transmises à votre rapporteur par le ministère de la justice le confirment. Ainsi, parmi les 552 124 affaires criminelles ou délictuelles concernant des majeurs poursuivies en 2008, 313 507 ont donné lieu à des poursuites dites rapides (par la voie de la convocation par procès-verbal, de la convocation par officier de police judiciaire, de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou de la comparution immédiate devant le tribunal correctionnel) et 81 129 ont été poursuivies par la voie de la citation directe. S’agissant des affaires impliquant des mineurs, 55 019 des 58 550 affaires poursuivies l’ont été par la voie de requêtes pénales ou de convocation par officier de police judiciaire, tandis que 1 486 l’ont été par la voie de la présentation immédiate.

Au total, même si les données collectées par le ministère de la justice ne permettent pas de savoir si les personnes poursuivies avaient ou non été préalablement soumises à une mesure de garde à vue, puisque les statistiques relatives au nombre de gardes à vue sont collectées par le ministère de l’intérieur et ne sont pas reliées à celles du ministère de la justice, ce chiffre de 451 141 poursuites rapides coïncide peu ou prou avec le nombre total de près de 577 816 gardes à vue, la différence entre ces deux chiffres débouchant soit sur des poursuites par des procédures classiques, soit sur des mises hors de cause lorsque les investigations menées n’ont pas permis au ministère public de disposer d’éléments justifiant un acte de poursuite. Les 200 000 gardes à vue pour infractions routières débouchent elles aussi très fréquemment sur des procédures rapides, mais aussi, dans bon nombre de cas, sur des poursuites contraventionnelles devant le tribunal de police, car elles concernent largement des faits ne présentant pas le caractère d’un délit, et donc non passibles de peines d’emprisonnement.

Ce caractère quasi systématique de la garde à vue préalablement à l’engagement de poursuites apparaît excessif. Dans de nombreux cas en effet, la mise en œuvre d’une procédure coercitive ne se justifie pas. C’est le cas lorsque la personne à l’encontre de laquelle existent des soupçons de participation à une infraction accepte de son plein gré de suivre les enquêteurs et de répondre à leurs questions. C’est le cas lorsque des mineurs sont poursuivis pour des faits qui sont parfois minimes, tels qu’une bagarre sans gravité à la sortie d’un établissement scolaire. C’est le cas pour un certain nombre d’infractions routières, où la personne est placée en garde à vue essentiellement pour l’empêcher de reprendre la route dans des conditions susceptibles de créer un danger pour les autres usagers, mais où un passager en état de conduire aurait pu prendre le volant après que l’infraction a été constatée sur le lieu même de sa commission.

En outre, le passage par la garde à vue, lorsqu’elle débouche sur des poursuites selon une procédure rapide, oblige (18) la personne poursuivie à comparaître dans des conditions qui lui seront défavorables : fatiguée par une ou deux nuits sans sommeil, n’ayant parfois pu ni se laver ni se raser avant de comparaître, psychologiquement atteinte voire traumatisée par l’épreuve qu’elle a subie et n’ayant disposé que d’un temps très réduit pour préparer sa défense.

Ce désavantage lié aux conséquences physiques et psychologiques de la garde à vue est aggravé par le fait qu’il est très difficile de revenir sur des déclarations faites pendant une garde à vue, qui, même si les magistrats s’en défendent, revêtent une force probatoire excessive.

2. L’impact déterminant sur la procédure judiciaire des déclarations faites pendant la garde à vue

Les déclarations faites pendant la garde ont un impact déterminant sur la procédure judiciaire : elles poursuivent le mis en cause tout au long du processus pénal, devant le juge d’instruction, auprès des experts et, le cas échéant, à l’audience. Il sera très difficile pour l’intéressé de modifier ou de préciser son propos. De plus, le mis en cause ne peut généralement même pas se réfugier derrière un refus de signer des procès-verbaux dont il estime qu’ils ne reflètent pas exactement les déclarations qu’il a faites : dans cette hypothèse, le procès-verbal conservera sa puissance accusatrice, le refus de signer étant souvent attribué au « mauvais état d’esprit » du gardé à vue.

Ici encore, il suffit d’assister à une audience de comparution immédiate pour constater que les déclarations faites en garde à vue sont le plus généralement lues à l’audience et en constituent souvent le point de départ déterminant. Lorsque le prévenu cherche à en préciser ou à en modifier le sens, cette évolution est souvent présentée par le ministère public, voire parfois par le président de la juridiction, comme une contradiction révélant le caractère mensonger des nouvelles déclarations. La garde à vue fabrique souvent une vérité policière, qui s’impose durant toute la procédure, audience comprise, pour finalement devenir vérité judiciaire.

Enfin, il n’est pas rare que soient placées en garde à vue des personnes, par définition non mises en examen (19), pour lesquelles le juge d’instruction dispose pourtant d’indices qui pourraient, en toute rigueur juridique, être considérés comme suffisamment « graves et concordants » pour rendre « vraisemblable qu’elles aient pu participer (…) à la commission des infractions dont il est saisi », et qui devraient justifier une mise en examen en application de l’article 80-1 du code de procédure pénale. Par ce biais, la garde à vue est donc parfois utilisée dans le cadre de l’instruction afin d’obtenir des aveux, en dehors de la présence et de l’assistance d’un avocat.

II. L’AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE :
UN ÉLÉMENT ESSENTIEL DU PROCÈS ÉQUITABLE

Compte tenu des conditions effectives de déroulement de la mesure de garde à vue et de l’influence déterminante qu’elle a sur les poursuites judiciaires, il semble incontournable, dans un souci de juste équilibre entre l’efficacité des enquêtes et le respect de la liberté individuelle, que la personne gardée à vue soit assistée par un avocat. Droit reconnu dans de nombreux États européens (A), le droit à l’assistance d’un avocat est en outre considéré par la Cour européenne des droits de l’Homme comme une nécessité pour que soit pleinement respecté le droit à un procès équitable (B).

A. L’ASSISTANCE D’UN AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE : UN DROIT RECONNU DANS DE NOMBREUX ÉTATS EUROPÉENS

La France, aujourd’hui, ne reconnaît pas le droit pour la personne gardée à vue à être assistée par un avocat. Le droit français reflète la crainte que ce droit constitue une entrave excessive à l’efficacité des enquêtes. L’examen des règles applicables dans un certain nombre de pays voisins révèle que cette méfiance vis-à-vis de la présence de l’avocat n’est pas partagée en Europe.

Une étude de législation comparée du Sénat portant sur six États européens, publiée en décembre 2009 (20), révèle en effet que le droit pour les personnes placées en garde à vue à bénéficier de l’assistance d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté est largement reconnu au sein de l’Union européenne. Tel est le cas en Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, au Danemark, en Espagne et en Italie, où l’assistance d’un avocat, le cas échéant commis d’office, est prévue dès le début de la garde à vue. Dans quatre de ces cinq pays, l’avocat peut en général assister aux interrogatoires. Seule l’Allemagne ne prévoit pas la présence de l’avocat lors des interrogatoires, mais permet au gardé à vue de demander l’interruption de l’interrogatoire afin de consulter son avocat.

Parmi les six États étudiés, seule la Belgique écarte l’assistance d’un avocat pendant la garde à vue.

L’exemple de l’Espagne, pays confronté à des actes terroristes commis par des groupes particulièrement dangereux et où l’État est soucieux de pouvoir lutter aussi efficacement que possible contre ce fléau, est particulièrement instructif. En effet, dans le cadre d’une garde à vue de droit commun, le droit à l’assistance d’un avocat est reconnu très largement : le gardé à vue a le droit d’« être assisté (…) par un avocat, choisi ou commis d’office, qui doit être présent lors des interrogatoires (ce qui ne signifie pas que l’avocat est présent dès la première heure de la garde à vue) ainsi que lors des opérations d’établissement de l’identité. Le cas échéant, la police téléphone à l’ordre des avocats, qui désigne un avocat commis d’office, lequel doit se présenter le plus rapidement possible, en tout cas au plus tard dans les huit heures » (21). Ce n’est que dans le cas où aucun avocat ne s’est présenté au terme de ce délai que la personne gardée à vue peut être interrogée ou faire l’objet d’une reconnaissance d’identité si elle y consent. L’avocat a en outre le droit de s’entretenir en secret avec son client.

En matière de terrorisme, certains des droits de la personne gardée à vue sont écartés par le code de procédure pénale espagnol. Ainsi, les personnes placées en garde à vue dans le cadre d’affaires terroristes peuvent être mises au secret sur décision de l’autorité judiciaire, une telle décision devant être motivée et prise dans les 24 heures suivant l’arrestation. Certains des droits reconnus aux personnes gardées à vue sont alors écartés, tels que le droit à un entretien secret avec l’avocat et le libre choix de l’avocat sont écartés. Mais le droit à être assisté par un avocat pendant les interrogatoires est maintenu.

De cet examen des règles applicables chez nos voisins européens, l’on peut déduire que l’efficacité des enquêtes et le droit à l’assistance d’un avocat pendant les actes d’enquête sont parfaitement conciliables.

B. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EXIGE L’ASSISTANCE D’UN AVOCAT PENDANT LA GARDE À VUE

En 2008 et 2009, deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ont condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable, pour ne pas avoir permis à deux personnes placées en garde à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat au cours de cette mesure. Si ces décisions concernent la Turquie, leurs conclusions sont indiscutablement transposables au droit français.

1. Des arrêts de la CEDH concernant la Turquie

En moins d’un an, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu deux arrêts par lesquels elle a fait franchir à sa jurisprudence un pas décisif, en reconnaissant le droit à l’assistance effective d’un avocat pendant la garde à vue, puis en précisant que c’est dès le moment où la personne est privée de liberté que ce droit doit pouvoir s’exercer.

a) Du droit à l’assistance dès les premiers stades des interrogatoires de police…

Dans le premier de ces deux arrêts (Salduz contre Turquie), la Cour de Strasbourg a affirmé, dans un considérant de principe, que « l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police ». La Cour a assorti cette règle générale d’une possibilité de dérogation, en énonçant que « ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables », la question posée étant alors de « savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l’affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l’accusé d’un procès équitable » (22).

En l’espèce, l’examen des conséquences de la restriction au droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat sur le respect du droit à un procès équitable de la personne poursuivie avait conduit la Cour à considérer que le requérant, poursuivi pour une infraction contre la sûreté de l’État, avait été privé de ce droit, au motif que « la restriction imposée au droit d’accès à un avocat relevait d’une politique systématique et était appliquée à toute personne, indépendamment de son âge, placée en garde à vue en rapport avec une infraction relevant de la compétence des cours de sûreté de l’État » et que « même si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à charge à son procès en première instance puis en appel, l’impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat alors qu’il se trouvait en garde à vue a irrémédiablement nui à ses droits de la défense » (23).

Interprété strictement, ce premier arrêt faisait débuter ce droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat aux « premiers stades des interrogatoires de police ». Cependant, plusieurs juges de la Cour européenne avaient, dans des opinions concordantes jointes à l’arrêt, précisé la portée qu’il convenait, selon eux, de donner aux termes « dès les premiers stades des interrogatoires de police ». Ainsi, le juge Zagrebelsky avait estimé nécessaire d’« ajouter quelques mots pour expliquer le sens du raisonnement de la Cour » : « L’importance des interrogatoires est évidente dans le cadre de la procédure pénale, de sorte que, comme l’arrêt le souligne, l’impossibilité de se faire assister d’un avocat pendant les interrogatoires s’analyse, sauf exceptions, en une grave défaillance par rapport aux exigences du procès équitable. Mais l’équité de la procédure, quand il s’agit d’un accusé qui est détenu, requiert également que l’accusé puisse obtenir (et le défenseur exercer) toute la vaste gamme d’activités qui sont propres au conseil : la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse, le contrôle des conditions de détention, etc. Le principe de droit qu’il faut tirer de l’arrêt est donc que l’accusé en état de détention a droit, normalement et sauf limitations exceptionnelles, à ce que, dès le commencement de sa garde a vue ou de sa détention provisoire, un défenseur puisse le visiter pour discuter de tout ce qui touche à sa défense et à ses besoins légitimes » (24).

Cette interprétation de l’arrêt Salduz par plusieurs des juges ayant composé la Cour ne devait pas demeurer longtemps au rang de simple opinion émise en marge de la décision.

b) … au droit à l’assistance dès la privation de liberté indépendamment des interrogatoires

L’intérêt majeur du second arrêt (Dayanan contre Turquie) est, en sus de la confirmation du principe du droit à l’assistance effective d’un avocat pendant la garde à vue, d’avoir intégré dans la décision elle-même les opinions émises par les juges dans l’arrêt Salduz précité. Dans une espèce très similaire, la Cour européenne a à nouveau condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable, en énonçant qu’« un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit. En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer » (25).

Ce second arrêt a donc supprimé toute ambiguïté sur le moment auquel le gardé à vue doit pouvoir bénéficier d’un avocat : c’est dès le moment de la privation de liberté, et « indépendamment des interrogatoires qu’il subit », que le gardé à vue doit pouvoir être assisté.

L’arrêt Dayanan est également particulièrement instructif par la définition qu’il donne de ce que recouvre l’assistance effective d’un avocat, à l’aune de laquelle la conformité des différents droits nationaux aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne peut être mesurée.

Si le prononcé de ces deux arrêts relatifs à la Turquie a suscité un tel intérêt en France, c’est parce que le droit turc, considéré par la Cour comme contraire aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, apparaît très proche des règles françaises prévues en matière de garde à vue (26). En réalité, le droit turc est même plus favorable que le droit français, puisqu’il reconnaît en général le droit à l’assistance d’un avocat pendant les interrogatoires de la garde à vue, mais l’écarte lorsque les personnes placées en garde à vue sont poursuivies pour des faits constitutifs d’atteinte à la sûreté de l’état. C’est donc dans ses dispositions dérogatoires que le droit turc peut être apparenté au droit français, mais dans ses dispositions de droit commun pour ce dernier. Dès lors, les conclusions de ces arrêts apparaissent totalement transposables au droit français.

2. Des arrêts transposables au droit français

En droit, l’incontestable force obligatoire des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme oblige le législateur français à s’interroger sur la compatibilité du droit français avec les principes dégagés dans les deux décisions précédemment décrites. Pour votre rapporteur, la réponse est claire : le droit français en matière de garde à vue n’est, en l’état actuel, pas compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

a) L’incontestable force obligatoire des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme

Certes, aux termes de l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui dispose que « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties », seul l’État concerné par la décision rendue est directement lié par la décision. Une lecture rapide de cette disposition pourrait conduire à conclure que les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme rendues à l’égard d’un État n’ont aucune incidence sur les autres États. C’est en substance cet argument qu’a développé Mme Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, en indiquant le 9 février 2010 que « si la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée » et que « la France n’a pas été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, les arrêts en question concernant la Turquie et le droit de ce pays ».

Dans un entretien publié le 24 janvier dernier dans le quotidien La Croix, le président de la Cour européenne des droits de l’Homme, M. Jean-Paul Costa, rejoignant la position défendue par Mme la garde des Sceaux, a estimé que « Aujourd’hui, les arrêts ne lient que ceux directement visés par la plainte ». Cependant, il a assorti cette présentation de la portée des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme de deux précisions. D’une part, il a indiqué qu’il faudrait « sans doute (…) repenser ce dispositif et enjoindre aux pays européens de revoir leur législation quand un problème chez eux est analogue à celui identifié par la Cour dans un autre pays », estimant qu’« Il faut cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l’Homme ». D’autre part, il a fait valoir que « Les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois » (27). Le président de la Cour européenne des droits de l’Homme considère donc que les décisions de la Cour, si elles n’ont pas d’« effet direct » dans les États qui n’ont pas été condamnés, devraient toutefois inciter les États, dont la législation est analogue à celle d’un État qui a été condamné pour violation d’un droit fondamental, à réviser leur législation sans attendre d’être eux-mêmes condamnés.

A minima, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ont donc une force d’influence sur l’ensemble des États signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme. Pour autant, votre rapporteur considère que cette interprétation restrictive de la portée des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme méconnaît l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes duquel les traités internationaux auxquels la France est partie ont une « autorité supérieure à celle des lois ». Or, le contenu des normes internationales ne saurait être limité au seul corpus du traité ou de l’accord conclu par l’État : lorsque la convention internationale en question a prévu la création d’une institution supranationale chargée de veiller à l’application et à l’interprétation de ses dispositions, les décisions rendues par cette institution doivent revêtir la même force supranationale que la convention qu’elles interprètent. Tel est précisément le cas de la Cour européenne des droits de l’Homme, créée par les États membres du Conseil de l’Europe « afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses protocoles » (28). L’interprétation par la Cour de Strasbourg de la portée des « engagements » pris par les États membres à la Convention européenne des droits de l’Homme lie donc, sans contestation possible, les juridictions nationales.

b) Le droit français n’est pas compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme

Les arrêts de la CEDH n’exigent pas un simple entretien avec un avocat, mais une assistance effective dès la privation de liberté, incluant la possibilité pour l’avocat d’exercer librement « toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil », ce qui inclut « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention » (29). La question ici posée est donc simple : au vu des termes de cette décision, le droit français est-il ou non conforme aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l’Homme pour assurer le droit à un procès équitable dans le cadre de la garde à vue ?

Le droit français, qui ne reconnaît à la personne placée en garde à vue qu’un droit à un entretien de trente minutes en début de garde à vue, sans possibilité pour l’avocat d’avoir accès au dossier (30) ni d’être présent lors des auditions, pourrait à la rigueur être considéré comme partiellement conforme à l’article 6 de la CEDH dans la mesure où il permet à l’avocat d’assumer deux aspects de la gamme d’interventions visée par la Cour, « le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ». Dans le bref laps de temps qui lui est octroyé, l’avocat peut en effet s’efforcer d’apporter un certain réconfort à une personne choquée par une mesure privative de liberté. Il peut également formuler des observations sur les conditions de déroulement de la garde à vue, par exemple sur l’état des locaux.

Mais pour les trois autres éléments composant la « gamme d’interventions qui sont propres au conseil » mentionnés par la Cour, il ne saurait être sérieusement soutenu que le droit français est en conformité avec l’article 6 de la CEDH tel qu’il est interprété par la Cour de Strasbourg. Lors de son audition par la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, Me Jean-Louis Pelletier avait qualifié le droit à un entretien avec un avocat au début de la garde à vue de « pantalonnade » : « Nous sommes des visiteurs de gardés à vue, avec, en outre, l’obligation de ne rien dire à personne de ce que nous venons de voir et de ce que nous venons d’entendre. Nous n’avons même pas le droit de dire à la famille que nous avons rendu visite au fils, au frère, etc. Au sens de la loi, nous n’avons même pas le droit de dire comment va la personne en question et ce qui lui est reproché » (31).

Dans ces conditions, peut-on considérer que l’entretien de trente minutes en début de garde à vue permet à l’avocat d’apporter à son client son aide pour « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé [et] la préparation des interrogatoires », comme l’exige la Cour européenne des droits de l’Homme ? La réponse à cette question est clairement négative, ce qui amène à la conclusion que le droit français n’est pas conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Cette non-conformité des règles françaises est en outre aggravée par la jurisprudence, appliquée avec constance par les juridictions, selon laquelle « aucune disposition légale ou conventionnelle n’impose à l’officier de police judiciaire, qui a tenté vainement de joindre, dès le début de la mesure de garde à vue, le bâtonnier de l’Ordre des avocats ou son délégataire, de différer l’audition de la personne qui fait l’objet de cette mesure » (32) et « aucune disposition légale n’impose au policier de différer l’audition d’une personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu par l’article 63-4 du code de procédure pénale » (33). En vertu de cette jurisprudence, la personne gardée à vue peut ne pas bénéficier pendant plusieurs heures de l’entretien avec l’avocat auquel elle a droit, et donc avant le ou les premiers interrogatoires, dès lors que l’OPJ a effectué des diligences considérées comme suffisantes pour joindre l’avocat, même sans y parvenir, ou dès lors que l’avocat a été prévenu et qu’il ne peut se déplacer immédiatement ou si les délais de transport au lieu de la garde à vue ne lui permettent pas de s’entretenir rapidement avec son client. Le droit actuel ne consacre donc pas le droit à bénéficier effectivement d’un entretien avec un avocat dès le début de la garde à vue, mais, beaucoup plus modestement, le simple droit de demander à s’entretenir avec un avocat, cet entretien pouvant « légalement » se dérouler très tardivement dans le cours de la mesure.

L’absence de droit effectif à un entretien avec un avocat dès le début de la garde à vue apparaît d’autant plus choquante que l’information du gardé à vue sur les droits dont il bénéficie n’est pas complète : en effet, comme indiqué précédemment, depuis la loi du 18 mars 2003, le gardé à vue n’est plus informé de son « droit au silence », alors même que ce droit est consacré par la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dès lors que les OPJ ne sont plus légalement tenus d’informer la personne gardée à vue de ce droit, et que l’avocat n’est pas davantage en mesure de le faire avant le premier interrogatoire qui peut se dérouler avant son arrivée, peut-on véritablement considérer ce droit au silence comme un droit effectif ? Il est donc évident que la personne gardée à vue n’est pas mise effectivement en situation de bénéficier de la « gamme d’interventions qui sont propres au conseil », l’information sur le droit au silence pouvant constituer un aspect de « l’organisation de la défense » et de « la préparation des interrogatoires ».

Autrement dit, même si l’on admettait que le droit de demander un entretien avec un avocat en début de garde à vue suffit à rendre le droit français conforme à l’exigence résultant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme de pouvoir bénéficier effectivement de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue, la jurisprudence permettant de ne pas attendre cet entretien pour procéder à la première audition devrait être considérée comme privant de l’effectivité de ce droit la personne placée en garde à vue.

Pour cette double raison, le droit français ne peut en aucune manière être jugé conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et à l’interprétation qu’en donne la Cour de Strasbourg. En conséquence, la réponse du législateur face à cette inconventionnalité ne saurait être davantage différée.

III. UNE RÉPONSE DU LÉGISLATEUR
QUI NE SAURAIT ÊTRE DIFFÉRÉE DAVANTAGE

La réponse du législateur à la non-conformité du droit français à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme en matière de droits des personnes gardées à vue ne saurait être davantage différée. Une réponse immédiate est nécessaire pour des raisons juridiques, car l’actuelle situation d’insécurité ne saurait perdurer, et pour des raisons politiques, le législateur devant aujourd’hui assumer pleinement ses responsabilités.

A. L’INSÉCURITÉ JURIDIQUE DES MESURES DE GARDE À VUE NE SAURAIT PERDURER

La situation actuelle est caractérisée par une réelle insécurité juridique : la lettre de l’article 63-4 du code de procédure pénale est en contradiction évidente avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme tel qu’il est interprété depuis 2008 par la Cour européenne de Strasbourg. Face à cette situation, les « praticiens » de la garde à vue, c’est-à-dire ceux qui la décident et ceux qui la contrôlent, ont adopté deux attitudes. D’un côté, les officiers de police judiciaire et les magistrats du parquet, soumis aux instructions de leurs autorités hiérarchiques respectives, s’appuient sur la lettre du code de procédure pénale pour refuser de permettre aux personnes gardées à vue d’être assistées par un avocat. De l’autre, certains juges du siège s’appuient sur la jurisprudence européenne pour contrôler la validité des mesures de garde à vue et, le cas échéant, prononcer leur annulation ou refuser de les prolonger.

Cette divergence d’appréciation, inévitable dans une telle situation de flou juridique, ne saurait être reprochée aux acteurs concernés. Elle a débouché en janvier dernier sur un épisode fâcheux : craignant que des mesures de garde à vue qu’ils demandaient soient annulées, des juges d’instruction du tribunal de Bobigny ont accompagné leur demande de procéder à des arrestations adressée à des officiers de police de Seine-Saint-Denis de demandes expresses tendant à ce que les personnes arrêtées soient assistées par des avocats pendant les interrogatoires de leur garde à vue. Les officiers de police avaient alors refusé de procéder à ces arrestations, en considérant qu’ils ne pouvaient s’écarter de la lettre de l’article 63-4 du code de procédure pénale (34).

Il importe, ici encore, de rappeler que la présente proposition de loi n’a pas pour objet de stigmatiser les policiers et les gendarmes qui appliquent les lois de la République et qui, dans leur immense majorité, effectuent le mieux possible un travail difficile dans des conditions souvent défavorables. Au contraire, c’est l’absence d’intervention du législateur pour mettre notre droit en conformité avec le droit européen qui est ici en cause. Le flou actuel risque en effet de déboucher sur deux conséquences graves : d’une part, des invalidations par les juridictions des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d’un avocat ; d’autre part, une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme.

1. Les risques d’invalidation des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d’un avocat

Plusieurs décisions ont d’ores et déjà annulé des mesures de garde à vue ou refusé de prolonger des mesures de garde à vue en matière de criminalité organisée. D’autres décisions ont confirmé la validité de mesures de garde à vue, mais en faisant application des critères dégagés par la Cour de Strasbourg pour considérer que l’absence d’assistance n’avait pas porté une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable. Pour votre rapporteur, ces décisions des juridictions nationales faisant application des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme sont juridiquement incontestables.

a) Les décisions rendues par les juridictions françaises depuis les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme font application des principes dégagés par le juge européen

Depuis la fin de l’année 2009, les juridictions françaises sont saisies de demandes d’annulation de mesures de garde à vue au cours desquelles la personne faisant l’objet de la mesure n’a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat. Plusieurs dizaines de décisions ont déjà été rendues. Si toutes ne concluent pas à l’invalidation de la mesure de garde à vue, une lecture attentive des décisions rendues montre que les juridictions font en fait application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en ce qu’elles se fondent sur les critères développés par la Cour pour vérifier s’il a ou non été porté atteinte au droit de la personne gardée à vue à un procès équitable.

Par exemple, dans une affaire de droit commun (35), le tribunal correctionnel d’Orléans a annulé une mesure de garde à vue, en jugeant que « au regard des principes posés par la Cour européenne des droits de l’Homme, Monsieur X s’est trouvé lors de ses auditions en garde à vue et de sa présentation au procureur de la République dans une situation particulièrement vulnérable qui n’a pas été compensée de manière adéquate par l’assistance d’un avocat (…) ; il convient dès lors d’appliquer les principes posés par la Cour européenne des droits de l’Homme et d’écarter en conséquence en tant que moyens de preuve les procès-verbaux d’audition en garde à vue et le procès-verbal d’interpellation par Monsieur le procureur de la République de Monsieur X » (36). La juridiction, considérant que les autres éléments figurant dans le dossier qui n’étaient pas issus de la garde à vue lui permettaient de juger la personne poursuivie sur le fond, l’avait ensuite relaxée, en considérant que ces éléments n’établissaient pas la preuve de sa culpabilité. Si l’annulation de la garde à vue n’a pas empêché que les poursuites aillent à leur terme, puisqu’une décision au fond a été rendue, il apparaît toutefois évident que l’annulation de la garde à vue a largement fragilisé l’accusation et permis une relaxe pour un motif procédural.

Dans un jugement en date du 28 janvier 2010, le tribunal correctionnel de Paris a annulé des mesures de garde à vue décidées dans une affaire de violences aggravées ne relevant pas de la criminalité organisée. Se fondant sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, le tribunal a jugé qu’il lui appartenait de comparer le rôle assigné à l’avocat par l’article 63-4 du code de procédure pénale à la « définition impérative du rôle de l’avocat » donnée dans l’arrêt Dayanan. Cet examen a amené le tribunal à la conclusion que « cet entretien de trente minutes ne correspond manifestement pas aux exigences européennes. L’avocat ne peut remplir les différentes tâches qui sont le propre de son métier et dont quelques-unes sont rappelées et énumérées par les arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il lui est impossible de "discuter de l’affaire" dont il ne sait rien si ce n’est la date des faits et la nature de l’infraction et ce que la personne gardée à vue (…) peut en savoir elle-même. Il lui est impossible "d’organiser la défense" dans la mesure où il ignore quelles sont les "raisons plausibles" de soupçon retenues par l’officier de police judiciaire pour décider la garde à vue. La "recherche des preuves favorables à l’accusé" ne peut être qu’extrêmement aléatoire faute de savoir quelles sont les preuves défavorables et les circonstances de l’affaire. Il en va de même de la préparation des interrogatoires auxquels il ne peut de toutes façons pas participer ». Le tribunal a en conséquence estimé que « le rôle confié par l’article 63-4 du code de procédure pénale à l’avocat pendant la garde à vue constitue une violation manifeste des règles européennes posées par l’article 6 de la Convention européenne » (37).

Dans une autre affaire, de trafic de stupéfiants cette fois-ci, la cinquième chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a fait application des principes dégagés par la Cour de Strasbourg pour juger que l’intervention différée de l’avocat en matière de trafic de stupéfiants n’est « pas contraire à l’article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme et aux interprétations qu’en a fait la Cour Européenne de Strasbourg, qui admet les exceptions au principe de l’exercice du droit à un avocat, s’il est démontré, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

À l’appui de cette décision, la juridiction parisienne a relevé que « la participation à un trafic de stupéfiants constitue une infraction particulièrement grave de par ses conséquences, entre autres, sur la santé publique, de telle sorte que les restrictions temporaires instituées poursuivent une préoccupation légitime, apparaissent proportionnées à l’objectif social, tel que voulu par le législateur, et ne se montrent pas contraires au principe du procès équitable » (38). Ce faisant, bien que son arrêt n’ait pas annulé la mesure de garde à vue, la juridiction a très clairement fait application des principes dégagés par la Cour de Strasbourg, et plus particulièrement de celui énoncé dans l’arrêt Salduz permettant qu’il soit dérogé au droit à être assisté par un avocat dès le premier interrogatoire lorsqu’il existe, « à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, (…) des raisons impérieuses de restreindre ce droit » (39).

Le ministère de la justice a communiqué à votre rapporteur une liste de trente décisions judiciaires, rendues en première instance ou en appel entre le 28 juillet 2009 et le 9 février 2010, ayant répondu à des conclusions tendant à l’annulation de la mesure de garde à vue ou au rejet d’une demande de prolongation de garde à vue, fondées sur la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le sens de ces décisions et leurs motivations sont synthétisés dans le tableau suivant.

DÉCISIONS JUDICIAIRES RENDUES SUR DES DEMANDES D’ANNULATION
DE GARDES À VUE OU DE REFUS DE PROLONGATION DE GARDE À VUE
ENTRE LE 28 JUILLET 2009 ET LE 9 FÉVRIER 2010

     

Première instance

Appel

TOTAL

     

Juge des libertés et de la détention

Tribunal correctionnel

Chambre de l’instruction

Cour d’appel

Annulation de mesures de garde à vue ou de PV d’interrogatoires ; refus de prolongation

Droit commun

 

(40)

   

9

Criminalité organisée

10 (41)

(42)

   

15

Validation de la garde à vue ; autorisation de prolongation de la garde à vue

Droit commun

… en s’appuyant sur les arrêts de la CEDH

   

(43)

 

1

… sans s’appuyer sur les arrêts de la CEDH

       

0

Criminalité organisée

… en s’appuyant sur les arrêts de la CEDH

 

(44)

(45)

(46)

3

… sans s’appuyer sur les arrêts de la CEDH

(47)

(48)

   

2

TOTAL

   

11

16

2

1

30

Au total, sur ces trente décisions, dix décisions de JLD ont refusé de prolonger des mesures de garde à vue en matière de criminalité organisée en se fondant sur la jurisprudence européenne, tandis que quatorze décisions de tribunal correctionnel ont annulé des mesures de garde à vue ou des auditions réalisées au cours de celles-ci, dont neuf décisions rendues dans des affaires de droit commun et cinq dans des affaires de criminalité organisée. Seules six des trente décisions dont la liste a été communiquée ont validé les mesures de garde à vue ou autorisé leurs prolongations, mais, parmi ces six décisions, quatre l’ont fait en se fondant sur les critères posés par la Cour de Strasbourg et qui peuvent permettre de déroger à la règle générale de l’assistance de l’avocat. De ces données communiquées par le ministère, il ressort que la tendance majoritaire des juridictions françaises va donc vers une application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme pour contrôler la validité des mesures de garde à vue.

b) Les décisions des juridictions nationales faisant application des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme sont juridiquement incontestables

Lors du débat au Sénat qui s’est déroulé le 9 février dernier, Mme la garde des Sceaux a estimé que « l’interprétation de la jurisprudence européenne faite par certaines juridictions me paraît totalement erronée : si la Convention européenne des droits de l’Homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée. D’ailleurs, cette analyse est partagée par de nombreuses juridictions, tant du premier que du second degré, comme en témoigne ce qu’ont décidé le tribunal correctionnel d’Angers hier et la chambre de l’instruction de Paris aujourd’hui même » (49).

Votre rapporteur a montré au contraire que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ont une incontestable force obligatoire à l’égard de tous les États membres du Conseil de l’Europe (50). Par ailleurs, l’analyse par Mme la garde des Sceaux de la décision de la chambre de l’instruction de Paris diffère de celle de votre rapporteur, qui a montré précédemment que cette décision, quand bien même elle n’a pas annulé la garde à vue, a en réalité fait application des principes posés par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Lors du même débat au Sénat, Mme Alliot-Marie a également fait valoir que la Cour de cassation, dans un arrêt de 2007, avait « admis la conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l’Homme ». En effet, dans un arrêt en date du 20 mars 2007, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « les dispositions du dernier alinéa de l’article 63-4 et de l’article 706-73 du code de procédure pénale ne sont pas incompatibles avec les dispositions conventionnelles invoquées » (51). Mais cette présentation de l’arrêt de 2007 omet deux aspects essentiels de cette décision.

Le premier aspect essentiel de la décision de la Cour de cassation que Mme la garde des Sceaux omet de prendre en considération est sa date : cette décision est en effet intervenue avant les décisions de la Cour de Strasbourg présentées précédemment. Or, il n’est pas rare que la Cour de cassation juge une disposition conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme, jusqu’à ce que la Cour européenne rende une décision contraire, et que la juridiction suprême nationale en tire ensuite les conséquences par un inévitable revirement de jurisprudence.

D’autre part, l’invocation de cette décision de la Cour de cassation occulte le fait que celle-ci a été rendue en matière de trafic de stupéfiants commis en bande organisée. C’est donc la procédure dérogatoire en matière de garde à vue que la Cour de cassation a jugée conforme au droit à un procès équitable, et non la procédure de droit commun. Or, on a vu que le juge européen admet que le droit à bénéficier d’un avocat soit écarté pour des « raisons impérieuses », la lutte contre certaines formes particulièrement graves de criminalité pouvant constituer une telle raison impérieuse.

Que décidera demain la Cour de cassation lorsqu’elle sera appelée à se prononcer sur la conformité à la Convention européenne des droits de l’Homme de l’absence de l’avocat dans le cadre d’affaires de droit commun ? Pourra-t-elle ne pas appliquer les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme ? Au vu de l’argumentation qu’il a développée jusqu’ici, votre rapporteur est convaincu du contraire.

Le risque d’invalidation massive d’un grand nombre de gardes à vue est donc aujourd’hui bien réel. Un grand nombre de procédures en cours s’en trouvera grandement fragilisé, à l’image de l’affaire jugée par le tribunal correctionnel d’Orléans. Lors d’un discours prononcé en novembre 2009, M. le Premier ministre avait souligné les risques d’annulation que la complexité actuelle de la procédure pénale faisait courir : « Que répondre aux victimes d’un délinquant dont la culpabilité peut avoir été reconnue et qui se voit dégagé de sa responsabilité parce qu’on a relevé une erreur de procédure ? » (52). Ce même argument peut aujourd’hui être utilisé face aux risques d’invalidation massive par les juridictions des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d’un avocat, que fait courir l’absence de modification des dispositions du code de procédure pénale relatives à la garde à vue.

2. Les risques de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme

Si le danger présenté ci-dessus ne suffisait pas à convaincre les parlementaires et le Gouvernement de l’urgence à reconnaître le droit pour la personne gardée à vue à bénéficier de l’assistance d’un avocat pendant la garde à vue, peut-être le risque de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme emportera-t-il leur conviction.

Compte tenu de la similitude des législations turque et française s’agissant du droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat (53), une condamnation de la France pour violation du droit à un procès équitable par la Cour européenne des droits de l’Homme lorsqu’elle sera saisie – ce qui ne manquera pas d’arriver – apparaît inéluctable.

L’enjeu est d’importance au regard de l’impact d’une condamnation par la Cour de Strasbourg sur l’image de la France. Il est aussi financier : en application de l’article 41 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour peut accorder au plaignant reconnu victime d’une violation de l’un de ses droits une « satisfaction équitable », c’est-à-dire une compensation financière du préjudice qu’il a subi.

La France, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent ses finances publiques, peut-elle réellement courir le risque d’être condamnée à grande échelle à verser des indemnisations à toutes les personnes placées en garde à vue sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat et qui pourront établir que cette privation a porté atteinte à leur droit à un procès équitable ?

B. L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LES DROITS DE LA PERSONNE GARDÉE À VUE

De la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau au comité de réflexion sur la justice pénale présidé par l’avocat général Philippe Léger, le constat semble aujourd’hui unanimement partagé : les droits de la personne gardée à vue doivent impérativement être améliorés. De ce consensus doit naître une réponse simple et forte, qui ne peut être que la reconnaissance du droit à l’assistance effective d’un avocat dès le début de la garde à vue

1. Un constat unanimement partagé sur la nécessité d’une amélioration des droits des personnes gardées à vue

Le constat sur la nécessité d’une amélioration des droits des personnes gardées à vue est aujourd’hui unanimement partagé.

Il y a près de quatre ans déjà, la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau avait cherché à analyser les raisons qui avaient conduit à l’un des plus grands fiascos judiciaires de l’histoire de notre pays. Si les insuffisances dans le déroulement de l’instruction avaient en partie causé ce drame, la garde à vue avait elle aussi joué un rôle non négligeable. C’est la raison pour laquelle le rapport de la commission d’enquête avait proposé d’« autoriser l’avocat à avoir accès au dossier de la procédure dès lors que la garde à vue est prolongée » : « L’avocat de l’intéressé aurait accès au dossier de la procédure au-delà des premières 24 heures et pourrait assister aux interrogatoires de son client. Cette procédure ne serait pas applicable aux crimes et délits relevant de la criminalité organisée » (54). Cette proposition, somme toute relativement modeste, n’avait cependant pas été retenue dans la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

Le comité de réflexion sur la justice pénale mis en place par le Président de la République a également estimé que « malgré les garanties apportées, la garde à vue offre une place encore trop réduite aux droits de la défense. (…) Les membres du comité estiment qu’il convient de réformer la garde à vue suivant trois lignes directrices : l’augmentation des droits du gardé à vue, la restriction des cas de placement et la création d’une mesure coercitive d’une durée plus limitée que la garde à vue » (55). S’agissant des droits de la personne gardée à vue, les propositions du comité Léger rejoignent largement celles de la commission Outreau, et vont même sensiblement plus loin sur certains points. Le comité a ainsi proposé « d’accroître la place de l’avocat, tout en préservant l’efficacité de l’enquête, selon les règles suivantes :

« - maintien de l’intervention de l’avocat dès le début de la mesure pour un entretien d’une demi-heure ;

« - possibilité d’un nouvel entretien avec l’avocat à la douzième heure, l’avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client ;

« - présence possible de l’avocat aux auditions si la mesure de garde à vue est prolongée, soit à l’issue de la vingt-quatrième heure ».

Enfin, la nécessité d’une réforme de la garde à vue est reconnue tant par les parlementaires de toutes les sensibilités qu’au plus haut niveau de l’exécutif. À l’Assemblée nationale et au Sénat, des propositions de loi tendant à améliorer les droits des personnes gardées à vue ont été déposées par des membres de sept des neuf groupes parlementaires existants (56). La plus ambitieuse de ces propositions de loi, est celle déposée par M. Manuel Aeschlimann et plusieurs de ses collègues : cette proposition de loi prévoit en effet en son article 1er que l’avocat doit avoir accès au dossier de l’enquête avant de pouvoir s’entretenir avec son client, et modifie l’article 63-4 du code de procédure pénale pour prévoir que « dès le début de la garde à vue, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête, à moins qu’elle n’y renonce expressément, qu’en présence de son avocat ou ce dernier dûment appelé ».

Et si le Président de la République a lui-même estimé qu’il était « possible d’aboutir à un consensus sur une nouvelle procédure pénale, plus soucieuse des libertés, plus adaptée aux évolutions de la police technique et scientifique » (57), le Premier ministre a quant à lui appelé à mieux garantir les libertés fondamentales : « La loi confère beaucoup de pouvoirs aux acteurs de la lutte contre la délinquance, c’est normal et c’est indispensable. Placer une personne en garde à vue ou en détention provisoire, ce sont des actions légales, autorisées, justifiées par la loi (…). Mais mon exigence, c’est que ces pouvoirs exceptionnels ne tombent jamais dans la banalité, qu’ils ne soient envisagés par personne comme des éléments de routine, qu’ils restent des actes graves pour ceux qui les décident parce qu’ils sont graves pour ceux qui les subissent. (…) Parce qu’il ne faut pas confondre l’usage de la garde à vue encadrée et justifiée avec les abus qui peuvent l’entourer. Il est en effet apparu nécessaire, évident de repenser ses conditions d’utilisation et son utilité » (58).

Ce consensus autour de la nécessité de la réforme de la garde à vue appelle une réponse simple et forte : la reconnaissance du droit à l’assistance effective d’un avocat dès le début et pendant toute la garde à vue.

2. Pour une réponse simple et forte : l’assistance effective d’un avocat pendant les interrogatoires de garde à vue

Lors du débat organisé au Sénat le 9 février 2010 (59), Mme la garde des Sceaux a présenté les grandes lignes du projet de loi qu’elle envisage de déposer pour réformer la garde à vue. Tout d’abord, le « caractère exceptionnel de la garde à vue » serait réaffirmé, par une « limitation du champ du recours à la garde à vue » aux seuls crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement. En deuxième lieu, elle a indiqué souhaiter « accroître les droits de la personne gardée à vue et la latitude d’intervention de l’avocat », par trois moyens. Premièrement, le texte prévoirait expressément qu’« en matières criminelle et correctionnelle aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n’aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat ». Deuxièmement, « pendant la première période de garde à vue, l’avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des auditions de son client dès que ceux-ci auront été réalisés ». Troisièmement, « si les auditions sont prolongées au-delà de vingt-quatre heures, (…) le gardé à vue pourra être assisté par son avocat lors des auditions durant toute la durée de la prolongation ».

Les propositions de Mme la garde des Sceaux apparaissent insuffisantes.

Juridiquement, l’évolution du contexte juridique de la garde à vue, marquée par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, rend cette réforme inévitable, car seule à même de mettre le droit français en conformité avec l’article 6 de la Convention tel qu’il est désormais interprété par la Cour de Strasbourg.

Politiquement, la prise de conscience par nos concitoyens de la gravité de l’atteinte à la liberté individuelle que représente la mesure de garde à vue, a fortiori dans un contexte d’augmentation importante du nombre de ces mesures, rend indispensable un renforcement significatif des droits de la personne mise en cause.

La réponse du législateur face à l’exigence juridique de la Cour européenne des droits de l’Homme et à l’exigence politique d’amélioration des droits des personnes gardées à vue doit donc être une réponse simple et forte : la reconnaissance du droit à l’assistance effective d’un avocat dès le début et pendant toute la garde à vue.

*

* *

En conclusion, votre rapporteur estime nécessaire de répondre par avance à certaines critiques qui ne manqueront pas d’être formulées à l’encontre de la présente proposition de loi. En effet, certains estimeront que la présente proposition de loi est partielle, d’autres qu’elle ne va pas assez loin dans l’amélioration des droits du gardé à vue, d’autres enfin qu’elle va trop loin.

Certains reprocheront à la présente proposition de loi de n’apporter aux critiques adressées à la garde à vue qu’une réponse partielle. Ainsi, certains parlementaires feront vraisemblablement valoir qu’il serait également nécessaire, comme le propose Mme la garde des Sceaux, de limiter le champ d’application de la garde à vue aux infractions punies d’un certain quantum d’emprisonnement et de créer une forme allégée de retenue judiciaire. Votre rapporteur partage cette opinion : une réforme globale de la garde à vue devra aussi intervenir. Toutefois, la mise en place de l’assistance par un avocat pendant les interrogatoires présente un caractère d’urgence indépendant de l’utilité d’une réforme globale de la garde à vue. Cette réforme globale, qui serait issue d’un projet de loi qui n’a pas encore été examiné par le Conseil d’État ni soumis au Conseil des ministres, nécessitera plusieurs mois de travail parlementaire avant d’aboutir, au mieux en 2011. Pendant ce laps de temps, des centaines voire des milliers de gardes à vue risquent d’être annulées, des centaines voire des milliers de procédures judiciaires en auront été fragilisées, au détriment de l’efficacité du travail de la police et de la justice, mais au détriment aussi de la sécurité de nos concitoyens. C’est donc aujourd’hui et sans attendre qu’il faut ouvrir le droit pour la personne gardée à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat pendant les interrogatoires.

Deuxième critique qui ne manquera pas d’être formulée, la proposition de loi n’irait pas assez loin dans l’amélioration des droits du gardé à vue, au regard notamment de l’accès au dossier par l’avocat. Cependant, votre rapporteur a souhaité préserver un juste équilibre entre l’efficacité de l’enquête et les droits de la personne. C’est la raison pour laquelle il estime préférable – et suffisant pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen – de ne pas permettre à l’avocat d’accéder au dossier de la procédure dès le début de la garde à vue, mais seulement à partir de l’éventuel renouvellement de celle-ci.

Enfin, certains estimeront que la présente proposition de loi va trop loin, soit parce qu’elle serait inapplicable compte tenu du nombre des mesures dans lesquelles un avocat devra intervenir, soit parce qu’elle nuirait excessivement à l’efficacité des enquêtes.

À l’argument selon lequel la réforme proposée serait inapplicable, en raison du nombre de mesures de garde à vue pour lesquelles l’assistance d’un avocat sera requise, il peut être répondu que la réforme de l’assistance de l’avocat devra être accompagnée de la restriction du champ de la garde à vue que propose Mme la garde des Sceaux qui permettra de diminuer le nombre de gardes à vue. La présence de l’avocat aux côtés de son client en garde à vue pour une réelle mission d’assistance ne sera donc pas inapplicable.

Quant à la question de l’efficacité des enquêtes, la crainte est parfois exprimée que l’avocat présent en garde à vue pourrait avoir la tentation d’entraver le cours de la justice. La preuve du contraire peut être rapportée : aujourd’hui, pendant la demi-heure où l’avocat s’entretient avec son client, celui-ci peut lui demander d’alerter un complice ou de faire disparaître une pièce. Or, depuis que la loi a permis ce contact d’une demi-heure, les infractions commises par des avocats appelés pour des centaines de milliers de gardes à vue se comptent sur les doigts d’une main. L’avocat doit être présent pendant les interrogatoires, non pour en troubler le déroulement, mais comme garant de la régularité de ce qui s’y passe et notamment de la conformité de la retranscription par la police des déclarations de l’intéressé.

En dernier lieu, à ceux qui opposent artificiellement l’efficacité de la lutte contre la délinquance au renforcement des droits des personnes gardées à vue, il faut opposer avec force la conviction que, dans un État de droit, la justice n’a rien à gagner à permettre que des justiciables soient condamnés dans des conditions laissant le moindre doute sur le respect de leur droit fondamental à bénéficier d’un procès équitable.

*

* *

Dans le discours qu’il avait prononcé lors de l’audience solennelle de la Cour de cassation du 7 janvier 2009, le chef de l’État avait déclaré sur le rôle de l’avocat dans la procédure pénale : « Parce que les avocats sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne faut pas, parce qu’elle est bien sûr une garantie pour leurs clients mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire » (60). Votre rapporteur invite chaque parlementaire à méditer ces propos, lorsqu’il devra exprimer son vote sur la présente proposition de loi.

Nous avons le devoir aujourd’hui d’aligner notre droit sur celui de toutes les démocraties voisines de la France « patrie des droits de l’Homme », faute de quoi la Cour de Strasbourg condamnera tôt ou tard la République française, à notre grande honte.

Ce devoir passe aujourd’hui par la reconnaissance du droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat pendant la garde à vue. La démocratie l’exige. Les Français l’attendent. Nous devons le faire.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa deuxième séance du mercredi 24 février 2010, la Commission examine la proposition de loi visant à instituer la présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue (n° 2295).

Après l’exposé du rapporteur, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, intervient.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Nous sommes d’accord sur le constat : le recours à la garde à vue est aujourd’hui trop systématique, les conditions en sont indignes, quels que soient les efforts engagés, et l’avocat n’a pas toujours les moyens d’y jouer pleinement son rôle.

Je salue, monsieur Vallini, la qualité et la modération de l’argumentation que vous développez, et j’en tiendrai compte au cours de la concertation que j’ai lancée sur la base du texte que j’ai préparé. Votre proposition en rejoint plusieurs autres, formulées à l’Assemblée nationale et au Sénat. Vous avez vous-même souligné, néanmoins, certaines des difficultés qu’elle soulève.

La première est qu’elle est très parcellaire. Or, la multiplication de réformes ponctuelles rend souvent peu lisible le fonctionnement de la justice. La réforme que j’engage, qui est une véritable refondation de la procédure pénale, vise précisément à assurer cette lisibilité d’ensemble. Toute réflexion sur la garde à vue doit s’inscrire dans une approche globale de la procédure pénale. La question particulière de la présence de l’avocat doit prendre en compte tous les paramètres de l’enquête judiciaire, en veillant à assurer un bon équilibre entre les besoins de l’enquête et la garantie des droits de la défense.

Cette refondation de la procédure pénale ne viendra pas si tard que vous le craignez. Dès mardi, une vaste concertation sera engagée avec les syndicats de policiers et de magistrats, les associations de victimes et les représentants de toutes les structures, ainsi qu’avec les groupes parlementaires. Il serait paradoxal de ne pas organiser une telle concertation sur un sujet aussi sensible.

D’autre part, vous reconnaissez vous-même que votre proposition de loi serait difficilement applicable avant la mise en œuvre de la nouvelle procédure pénale. Mieux vaut donc mettre en œuvre au plus vite cette réforme.

La question de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue devra certes être posée. Notre projet va plus loin, et cherche à garantir les conditions de l’efficacité de l’assistance par l’avocat, permettant notamment à celui-ci d’avoir accès aux procès-verbaux d’interrogatoire au fur et à mesure de leur production.

Nos réponses doivent s’inscrire dans une logique d’ensemble. Aucune question ne doit être éludée. La première question, que ne pose pas votre proposition de loi, est de savoir à quoi sert réellement la garde à vue. Notre texte prévoit qu’elle ne sera possible que dans les cas de crimes ou de délits punis d’une peine d’emprisonnement. Il y aurait un paradoxe à ce que soit privé de liberté quelqu’un qui, même s’il était condamné, ne le serait pas. En outre, la garde à vue doit être distinguée d’autres situations, comme le dégrisement, qui représente sans doute aujourd’hui quelques centaines de milliers de gardes à vue, et devrait être tout à fait séparé – y compris du point de vue immobilier. C’est là sans doute l’une des questions à régler en urgence.

Il se pose également le problème des critères de la garde à vue : pourquoi et quand y recourir ? Elle doit être liée aux nécessités réelles de l’enquête – quand on craint, par exemple, que la personne mise en garde à vue ne se soustraie à l’interrogatoire, ne fasse disparaître des preuves ou ne suborne des témoins. Nous proposons donc, lorsque ces critères ne sont pas remplis, une forme d’audition libre – sauf bien sûr si la personne concernée demande elle-même à être placée en garde à vue.

La meilleure réponse à la crainte que l’aveu puisse être obtenu par des pressions exercées durant la garde à vue, c’est de dénier la force de l’aveu : des aveux ou des déclarations faits durant la garde à vue hors de la présence de l’avocat ne pourront pas être utilisés comme un élément participant à la condamnation.

Les conditions de la garde à vue contribuent au soupçon qui entoure celle-ci. Il est donc prévu de développer l’usage de l’enregistrement audiovisuel. La pratique des fouilles doit aussi être mieux encadrée, ainsi que celle du retrait de certains objets, comme le soutien-gorge. Les conditions de la garde à vue ne doivent pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Tous ces éléments sont indissociables et nous devons parvenir à une réforme aussi complète et cohérente que possible, situant la garde à vue dans le cadre de l’enquête. La question de la présence de l’avocat ne doit donc pas être isolée de l’ensemble des éléments de la réforme.

Enfin, le texte qui nous est proposé soulève des questions auxquelles il ne répond pas. L’évolution de la présence de l’avocat doit tenir compte de certaines nécessités de l’enquête. La garde à vue étant destinée à permettre aux services de police ou de gendarmerie d’entendre directement une personne dans le but d’obtenir des informations indispensables à l’enquête, la présence systématique de l’avocat est incompatible avec certaines exigences, notamment en matière de lutte contre le terrorisme ou la grande criminalité – cas dans lesquels même la Cour de Strasbourg ne l’exige pas.

En outre, très concrètement, qu’advient-il si l’avocat ne se présente pas ? Il est déjà très difficile d’obtenir sa présence dans la première heure. Faut-il bloquer toute investigation en l’attendant ? La question se pose particulièrement dans les cas d’enlèvement ou de séquestration. Si l’avocat ne se présente pas au bout de 24 heures, la prolongation de la garde à vue serait peu compatible avec le respect des droits de la défense et avec le souhait de proportionner la longueur de la garde à vue à l’importance de l’infraction constatée. Si l’avocat ne se présente jamais, l’enquête sera-t-elle repoussée sine die ? De fait, la garde à vue peut avoir lieu n’importe où sur le territoire national, et n’importe quand. Le régime proposé est donc trop rigide et inadapté à certaines procédures.

Nous souhaitons que la réforme que nous préparons s’accompagne d’une étude d’impact des mesures proposées. C’est ce qui manque à votre proposition. On reproche assez souvent au Gouvernement de légiférer dans la précipitation et sous l’effet de l’actualité, pour que je puisse, avec un sourire, vous retourner pour une fois ce reproche.

Par ailleurs, je ne partage pas vos craintes quant à la perspective de condamnations de la France par la CEDH car, dans les affaires ayant motivé les arrêts que vous invoquez, les personnes gardées à vue n’avaient bénéficié de la présence d’aucun avocat, ce qui est très différent de la situation actuelle en France. La CEDH n’a du reste jamais condamné la France à propos de la garde à vue et les décisions rendues portent sur des affaires particulières. Quant à l’applicabilité d’un arrêt auquel vous voulez donner la force d’un traité, permettez à la constitutionnaliste que je suis de s’étonner de votre vision très extensive du droit conventionnel.

Vous l’aurez compris, si je suis intéressée par votre proposition et, plus encore, désireuse de travailler avec vous dans un esprit de concertation non dilatoire, je souhaite que la proposition de loi ne soit pas discutée, car elle est contraire à notre souhait d’une réforme globale de la procédure pénale.

Plusieurs commissaires interviennent ensuite dans la discussion générale.

M. Philippe Houillon. Le dépôt de cette proposition de loi permet de maintenir la pression sur un sujet qui mérite indiscutablement une réforme. Ce texte, identique à celui qu’a adressé le bâtonnier de Paris à un certain nombre de députés voici quelques mois, vient cependant en contradiction avec d’autres propositions, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.

La question est complexe. La portée exacte de la jurisprudence européenne doit être précisée : les arrêts de la CEDH disposent que, si les conséquences incriminantes des déclarations faites en garde à vue peuvent être prises en compte pour asseoir la culpabilité et la condamnation, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme suppose l’assistance d’un avocat. En outre, l’arrêt de 2008 précise que « ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables » – comme dans les cas du terrorisme ou de la criminalité organisée, lesquelles ne sont pas prévues dans le texte qui nous est soumis. « Il s’agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l’affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l’accusé d’un procès équitable ». Il faut donc disposer d’une vue d’ensemble de la procédure pénale pour juger si les dispositions de l’article 6 ont été respectées. Pour juger de la conformité à l’article 6 de la réforme engagée par Mme le ministre d’État, il faudra donc attendre d’avoir connaissance de son contenu, ce qui sera le cas dans quelques jours.

L’arrêt de 2009 évoque, quant à lui, « l’assistance d’un avocat », qu’il définit comme l’ensemble des conseils que l’avocat peut prodiguer. La CEDH précise en effet que, « comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit ». Or, un avocat est efficace quand il peut conseiller son client sur sa défense – et il est, à cet égard, insatisfaisant que son rôle soit, dans le système actuel, celui d’une assistante sociale. La préparation de la défense suppose l’accès au dossier, aussi difficile que soit cette question.

M. Étienne Blanc. Cette proposition de loi suscite de ma part des réserves. La première est pratique : l’audition de la personne gardée à vue doit-elle être différée dans l’attente d’un avocat ? Je sais pour avoir exercé dans des barreaux de province que les distances rendent souvent impossible la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue. Décaler l’interrogatoire générerait pour les enquêteurs des problèmes récurrents tout au long de la procédure – comme la disparition de preuves.

En deuxième lieu, on ne peut réformer le régime de la garde à vue sans l’inscrire dans une vision d’ensemble de la procédure. La réforme de la procédure pénale s’articulera autour de la suppression du juge d’instruction et de son remplacement par un juge de l’enquête – dont la mission sera de superviser l’ensemble des procédures pénales, y compris les 96 % ou 97 % d’affaires qui ne sont pas aujourd’hui placées sous la surveillance d’un juge du siège. On ne saurait utiliser deux arrêts de la CEDH pour réformer la garde à vue alors que, très prochainement, toutes les enquêtes seront placées sous l’autorité d’un juge du siège. Il faut donc attendre que nous soit soumis le projet du Gouvernement pour statuer sur la présence de l’avocat durant la première heure de garde à vue.

En troisième lieu, l’interprétation des arrêts Salduz et Dayanan est compliquée, non seulement parce que le texte de ces arrêts trahit le fait qu’ils ont été rédigés en anglais et que l’on n’y retrouve pas cette « horlogerie de la pensée » qu’incarnait, selon un secrétaire perpétuel de l’Académie française, le français employé comme langue du droit international, mais aussi parce que certains alinéas sont contradictoires. Du reste, les deux arrêts cités condamnent la Turquie parce que la présence de l’avocat est proscrite durant la garde à vue, ce qui est très différent de notre droit. En outre, si les informations recueillies en l’absence d’un avocat ne constituaient pas le fondement de la condamnation, la jurisprudence de la CEDH serait probablement inverse.

Il serait donc plus judicieux que la question de la garde à vue soit examinée dans le cadre d’une révision complète de notre procédure pénale.

M. Jean-Paul Garraud. Je partage en tout point cet avis, même si je comprends les motivations de la proposition de loi.

À la différence de la mise en examen, qui intervient alors que l’enquête est terminée et ouvre une phase juridictionnelle, la garde à vue, qui se situe au tout début de la procédure, vise à recueillir tous les éléments susceptibles de participer à la manifestation de la vérité et suppose des investigations dont certaines doivent être confidentielles. Il faut donc se garder de la judiciariser. C’est la raison pour laquelle certaines restrictions sont apportées à la présence de l’avocat.

J’observe en outre qu’aucune cour d’appel, ni la Cour de cassation, n’ont eu à se prononcer sur la question de la présence de l’avocat.

Enfin, pour la garde à vue, décidée par la police sur le fond de raisons plausibles appelant des investigations, la présence de l’avocat n’est pas la seule garantie de la préservation des droits des personnes gardées à vue : au titre de l’article 63 du code de procédure pénale, le procureur de la République est informé dès le placement en garde à vue…

Mme Sandrine Mazetier.  Cela ne fonctionne pas bien, à l’évidence.

M. Jean-Paul Garraud. …et il doit viser son éventuelle prolongation. Peut-être peut-on donc tirer meilleur parti des textes existants. En tout état de cause, la question de la garde à vue ne doit pas être dissociée de la prochaine réforme globale de la procédure pénale. Il serait prématuré d’adopter un texte consacré à la garde à vue à la veille de cette réforme et de la concertation qui va s’engager.

M. Dominique Raimbourg. La proposition de loi répond à une urgence juridique. Il faut en effet tenir compte des arrêts de la CEDH – je rappelle que, dans l’un des cas, la procédure a été incriminée alors que le plaignant avait gardé le silence durant toute sa garde à vue, et ne se trouvait donc pas dans une situation où ses déclarations auraient pu le priver du droit à un procès équitable. Les décisions des tribunaux correctionnels qui annulent des procédures en appliquant les arrêts de la CEDH sont une autre cause d’insécurité juridique.

La question est difficile, car il faut trouver un équilibre entre la nécessité de la manifestation de la vérité et la protection du gardé à vue. En outre, la garde à vue fait partie d’un arsenal policier et est un élément de gestion de l’ordre public. S’il faut sans doute la distinguer du dégrisement, il faut aussi s’assurer que cette distinction n’engendrera pas trop de troubles.

Troisième observation : nous ne saurons que la semaine prochaine, lorsque nous connaîtrons le contenu de la réforme d’ensemble de la procédure pénale, si les deux textes sont dissociables et s’il est possible de répondre séparément à la situation d’insécurité juridique que nous connaissons.

Enfin, des améliorations seront évidemment nécessaires. Ainsi, on peut envisager de prévoir par amendement un enregistrement filmé de la garde à vue pour les cas où, du fait de la distance, l’avocat ne pourrait pas y assister. Ce sont là des questions que nous pourrons aborder durant l’examen du texte. N’écartons donc pas trop vite cette proposition de loi.

M. le rapporteur. Madame la ministre d’État, il est certes nécessaire de prévoir un régime dérogatoire dans le cas du terrorisme. Je rappelle toutefois qu’en Espagne, l’avocat est présent tout au long des interrogatoires de garde à vue, sans dérogation pour la criminalité organisée ni pour le terrorisme.

Pour ce qui est des difficultés pratiques, je suis ouvert à tous les amendements, mais je dois aussi souligner que les barreaux sont demandeurs de cette réforme, et qu’il leur revient de s’organiser. Il conviendra également que l’aide juridictionnelle soit abondée en conséquence au niveau du budget de l’État.

Du reste, pour permettre aux policiers de procéder aux perquisitions ou auditions nécessaires avant l’interrogatoire de la personne gardée à vue, il pourrait être préférable d’écrire simplement que « l’avocat est présent aux interrogatoires », en supprimant la notion d’immédiateté qui figure dans la proposition.

Enfin, notre souci n’est pas de répondre à l’urgence médiatique, mais à l’urgence juridique que représente le risque de condamnation de la France par la CEDH. Dès le 1er mars, et donc avant la réforme que vous préparez, se posera la question de ce que fera le Conseil constitutionnel lorsqu’il sera saisi par un justiciable soulevant l’exception d’inconstitutionnalité de la procédure de garde à vue au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme.

J’ai bien compris que M. Houillon voulait aller plus loin que moi, en permettant l’accès de l’avocat au dossier et sa présence tout au long de la garde à vue.

Il est vrai, monsieur Garraud, que ce texte, comme d’ailleurs la réforme que prépare Mme la garde des Sceaux, judiciarise davantage encore la garde à vue. On peut condamner cette évolution, mais, à défaut d’y mettre fin en décidant que les gardes à vue ne peuvent être décidées que par les procureurs, elle est inéluctable et il me semble préférable de l’accompagner. Votre réaction me fait penser à celle des juges d’instruction de la fin du xixe siècle, qui ne souhaitaient pas la présence des avocats dans leurs cabinets, jugeant qu’ils les empêcheraient de faire leur travail. La même réaction anime aujourd’hui les policiers. Il nous faut donc aller au bout de la logique et judiciariser la garde à vue.

Quant au contrôle qu’exercerait le procureur, il existe certes dans les textes, mais il est théorique, pour ne pas dire fictif, comme le soulignait dans son premier rapport M. Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Enfin, trois juridictions d’appel – Orléans, Nancy et Paris – ont déjà appliqué la jurisprudence « turque » de la CEDH.

Monsieur Blanc, les arrêts de la CEDH sont très précis : l’avocat doit exercer librement sa mission de conseil et d’assistance, décrite dans les termes que j’ai cités tout à l’heure.

M. Philippe Gosselin, président. Les délais ne poussent pas à la précipitation. En effet, une phase de consultation de deux mois doit s’ouvrir la semaine prochaine et le dépôt du texte devrait intervenir au début de l’été pour une discussion qui pourrait s’engager dès l’automne. Nous pouvons donc prendre un peu de temps, sans renvoyer aux calendes grecques pour autant.

Mme la ministre d’État. Pour préciser le propos de M. Vallini, s’il est vrai qu’en Espagne la présence de l’avocat est admise dans les affaires de terrorisme, cet avocat n’est pas choisi par la partie concernée. Il n’est pas certain que les barreaux français accepteraient cette pratique.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

Audition immédiate de toute personne gardée à vue et
droit à l’assistance d’un avocat au cours de cette audition

Afin de mettre le droit français en conformité avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme tel que l’a interprété la Cour de Strasbourg dans ses arrêts Salduz et Dayanan, l’article unique de la proposition de loi prévoit que « Toute personne placée en garde à vue doit immédiatement faire l’objet d’une audition, assistée d’un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu’à l’arrivée de l’avocat ».

Dans sa dernière décision, la Cour européenne des droits de l’Homme exige en effet, pour que le droit au procès équitable soit respecté, que la personne gardée à vue puisse être effectivement assistée par un avocat dès le début de la privation de liberté, cette assistance devant inclure la possibilité pour l’avocat d’exercer librement « toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil », ce qui comprend « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention » (61).

Le présent article vient donc renforcer les droits actuellement reconnus à la personne gardée à vue, en ajoutant au droit de demander à s’entretenir avec un avocat pendant une durée de trente minutes le droit d’être entendue immédiatement par les enquêteurs et le droit d’être assistée par un avocat au cours de cette audition.

La Commission rejette cet article, la proposition de loi étant ainsi rejetée.

*

* *

En conséquence, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à instituer la présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue (n° 2295).

© Assemblée nationale

1 () CEDH, arrêt Salduz contre Turquie, 27 novembre 2008, requête n° 36391/02, considérant n° 52.

2 () CEDH, arrêt Dayanan contre Turquie, 13 octobre 2009, requête n° 7377/03, considérant n° 32.

3 () Article 706-88 du code de procédure pénale.

4 () « Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout Citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. »

5 () « Nul ne peut être arbitrairement détenu.

« L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

6 () C’est-à-dire « dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a été placée en garde à vue ».

7 () Infractions mentionnées aux 4°, 6°, 7°, 8° et 15° de l’article 706-73 du code de procédure pénale.

8 () Infractions mentionnées aux 3° et 11° de l’article 706-73 du code de procédure pénale.

9 () Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

10 () Recommandations du 15 octobre 2009 relatives au commissariat de police de Besançon (Doubs), Journal officiel du 28 octobre 2009, texte n°88.

11 () Recommandations du 11 mai 2009 relatives au commissariat central de police de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), Journal officiel du 3 juin 2009, texte n°63.

12 () Voir par exemple Jean-Marc Leclerc, Polémique après la garde à vue d’une mineure de 14 ans, Le Figaro, 10 février 2010 ; Patricia Jolly, Patrons, étudiants et collégiennes, ils racontent leur « gardav », Le Monde, 16 février 2010. Moins récemment, l’interpellation dans une affaire de délit de presse d’un ancien directeur de la rédaction du quotidien Libération avait également suscité une forte polémique : Eliane Patriarca, Un ex-PDG de Libération brutalement interpellé à son domicile, Libération, 28 novembre 2008.

13 () Rapport (n° 3125) de MM. André Vallini, Président, et Philippe Houillon, Rapporteur, au nom de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, page 198.

14 () Rapport d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour l’année 2008, Chapitre VI : Le soutien-gorge et les lunettes (fable ?), page 89.

15 () Rapport d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour l’année 2008, page 34.

16 () Op. cit., pages 42 et 43.

17 () Op. cit., pages 42 et 43.

18 () Si la personne placée en garde à vue est renvoyée devant le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate, elle n’est, en droit, pas « obligée » d’accepter d’être jugée selon cette procédure : l’article 397 du code de procédure pénale prévoit en effet que le président du tribunal « avertit le prévenu qu’il ne peut être jugé le jour même qu’avec son accord ». Dans ce cas, il devra être jugé dans un délai compris entre deux et six semaines, mais pourra dans l’attente de sa comparution être placé en détention provisoire. En pratique, ce placement en détention provisoire est la règle en cas de refus de la procédure de comparution immédiate. Devant choisir entre comparaître immédiatement – dans des conditions défavorables après une garde à vue – et passer deux à six semaines en détention provisoire, le prévenu apparaît, « de fait », obligé de comparaître dans les conditions défavorables précédemment décrites.

19 () L’article 152 du code de procédure pénale, qui permet aux OPJ commis pour l’exécution d’une commission rogatoire d’exercer, « dans les limites de la commission rogatoire, tous les pouvoirs du juge d’instruction », interdit que les OPJ puissent « procéder aux interrogatoires et confrontations des personnes mises en examen », lesquelles ont droit à l’assistance d’un avocat pendant ces actes lorsqu’ils sont réalisés par le juge d’instruction.

20 () Étude de législation comparée n° 204, La garde à vue, décembre 2009.

21 () Op. cit., page 32.

22 () CEDH, arrêt Salduz contre Turquie, 27 novembre 2008, requête n° 36391/02, considérant n° 52.

23 () Arrêt Salduz, considérants nos 61 et 62.

24 () Opinion concordante du juge Zagrebelsky, à laquelle se sont ralliés les juges Casadevall et Türmen ; voir aussi l’opinion concordante du juge Bratza.

25 () CEDH, arrêt Dayanan contre Turquie, 13 octobre 2009, requête n° 7377/03, considérant n° 32.

26 () Les dispositions pertinentes de la législation turque sont énoncées par la Cour européenne des droits de l’Homme dans les considérants nos 27 à 31 de l’arrêt Salduz.

27 () Entretien avec Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l’Homme, « Cessons de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l’Homme », propos recueillis par Marie Boeton, La Croix, 24 janvier 2010.

28 () Article 19 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

29 () CEDH, arrêt Dayanan contre Turquie, 13 octobre 2009, requête n° 7377/03, considérant n° 32.

30 () Rappelons qu’aux termes de l’article 63-4, alinéa 2, du code de procédure pénale, l’avocat est « informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête », ce qui ne saurait être considéré comme une information précise des charges pesant sur son client.

31 () Audition du 19 janvier 2006, citée par le rapport (n° 3125) de MM. André Vallini, Président, et Philippe Houillon, Rapporteur, au nom de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, page 200.

32 () Crim. 28 avril 2004, Bull. crim. n° 102.

33 () Crim. 13 décembre 2006, Bull. crim. n° 312.

34 () Isabelle Mandraud et Alain Salles, Tensions entre juges et policiers sur la garde à vue, Le Monde, 14 janvier 2010.

35 () C’est-à-dire une affaire poursuivie sur une qualification pénale pour laquelle le code de procédure pénale ne prévoit pas de règles dérogatoires en matière de garde à vue.

36 () Tribunal correctionnel d’Orléans, 29 janvier 2010, n° 219/s2/10.

37 () Tribunal correctionnel de Paris, 28 janvier 2010, n° 0815530244.

38 () Cour d’appel de Paris, cinquième chambre de l’instruction, 9 février 2010, n° 2009/07792.

39 () CEDH, arrêt Salduz contre Turquie, 13 octobre 2009, requête n° 7377/03, considérant n° 55.

40 () TC Bobigny, 30 décembre 2009 (2 décisions) ; TC Montluçon, 6 janvier 2010 ; TC Paris, 28 janvier 2010 ; TC Epinal, 18 décembre 2009 (2 décisions) ; TC Paris, 29 janvier 2010 ; TC Orléans, 29 janvier 2010 ; TC Agen, 5 janvier 2010.

41 () JLD Bobigny, 28 juillet 2009 ; JLD Bobigny, 1er décembre 2009 ; JLD Evreux, 3 décembre 2009 ; JLD Bobigny, 4 décembre 2009 ; JLD Bobigny, 10 décembre 2009 ; JLD Créteil, 25 décembre 2009 ; JLD Créteil, 30 décembre 2010 ; JLD Bobigny, 7 janvier 2010 (2 ordonnances); JLD Créteil, 20 janvier 2010.

42 () TC Bobigny, 11 décembre 2009 ; TC Nancy, 14 janvier 2010 ; TC Nancy, 21 janvier 2010 ; TC Nancy, 4 janvier 2010 ; TC Montpellier, 5 février 2010.

43 () Chambre de l’instruction d’Orléans, 4 février 2010.

44 () TC Troyes, 25 novembre 2009.

45 () Chambre de l’instruction de Paris, 9 février 2010.

46 () CA Nancy, 19 janvier 2010.

47 () JLD Bobigny, 10 décembre 2009 (prolongation de la garde à vue autorisée au motif que le mis en cause ne souhaitait pas s’entretenir avec un avocat).

48 () TC Angers, 8 février 2010.

49 () Débats Sénat, mardi 9 février 2010, question orale avec débat de M. Jacques Mézard sur le renforcement des droits des personnes placées en garde à vue.

50 () Cf. supra, pages 23 et 24.

51 () Crim. 20 mars 2007, JurisData 2007-038449.

52 () Discours de M. François Fillon lors de l’inauguration de la maison d’arrêt du Mans, 21 novembre 2009.

53 () Ce sont en fait le droit dérogatoire turc et le droit commun français qui sont similaires, en ce que ni l’un ni l’autre n’autorisent le gardé à vue à bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure de garde à vue.

54 () Rapport (n° 3125) de MM. André Vallini, Président, et Philippe Houillon, Rapporteur, au nom de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, synthèse des propositions, page 513.

55 () Rapport du comité de réflexion sur la justice pénale présidé par M. Philippe Léger, remis le 1er septembre 2009 à M. le Président de la République et à M. le Premier ministre, page 18.

56 () Outre la proposition de loi faisant l’objet du présent rapport, ont été déposées à l’Assemblée nationale :

- la proposition de loi (n° 2181) de M. Manuel Aeschlimann et plusieurs de ses collègues tendant à instituer la présence de l’avocat durant tous les actes de la procédure établis au cours de la garde à vue ;

- la proposition de loi (n° 2191) de M. François Goulard visant à imposer l’audition immédiate des personnes mises en garde à vue ;

- la proposition de loi (n° 2193) de M. Michel Hunault tendant à rendre obligatoire la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue ;

- la proposition de loi (n° 2356) de M. Noël Mamère et plusieurs de ses collègues portant réforme de la garde à vue ;

- la proposition de loi (n° 2364) de M. Jean-Jacques Candelier et plusieurs de ses collègues tendant à garantir les droits de la défense des personnes placées en garde à vue.

Au Sénat, ont été déposées :

- la proposition de loi n° 208 (2009-2010) de M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues tendant à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue ;

- la proposition de loi n° 201 rectifiée (2009-2010) de Mme Alima Boumediene-Thiery et plusieurs de ses collègues portant réforme de la garde à vue ;

- la proposition de loi n° 286 (2009-2010) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues tendant à encadrer la garde à vue.

57 () Discours de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, lors de l’audience solennelle de début d’année de la Cour de cassation, 7 janvier 2009.

58 () Discours de M. François Fillon, Premier ministre, lors de l’inauguration de la maison d’arrêt du Mans, 21 novembre 2009.

59 () Débats Sénat, mardi 9 février 2010, question orale avec débat de M. Jacques Mézard sur le renforcement des droits des personnes placées en garde à vue.

60 () Discours de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, lors de l’audience solennelle de début d’année de la Cour de cassation, 7 janvier 2009.

61 () CEDH, arrêt Dayanan contre Turquie, 13 octobre 2009, requête n° 7377/03, considérant n° 32.