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N
° 2703

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 juillet 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kenya en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu,

par M.  Jean-Michel FERRAND

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 248 (2008-2009), 213, 214 et T.A. 71 (2009-2010).

Assemblée nationale : 2319.

INTRODUCTION 5

I – LE KENYA AU SORTIR DES TROUBLES DE L’HIVER 2008 7

A – LA STABILITÉ RETROUVÉE 7

B – DES RELATIONS FRANCO-KENYANES QUI RESTENT POURTANT MODESTES 8

II – L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE LA CONVENTION 11

A – UN TEXTE DE COMPROMIS 11

B – LES PERSONNES ET IMPÔTS CONCERNÉS : LE CHAMP D’APPLICATION DE LA CONVENTION 13

C – LA RÉPARTITION DES IMPOSITIONS ET LEURS CRITÈRES 14

D – L’ÉVASION ET LA FRAUDE FISCALES 16

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

_____

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 23

Mesdames, Messieurs,

A l’instar des autres membres de l’OCDE, la France a négocié et signé au cours de l’année dernière de nombreuses conventions relatives à l’échange de renseignements fiscaux que la commission des affaires étrangères examine depuis quelques semaines. En application des décisions du G20, il s’agit par la conclusion de ces accords d’inciter les territoires non coopératifs à adopter les normes juridiques de l’OCDE et de mettre un terme à leur statut et leurs activités de paradis fiscal.

D’autres conventions ont été négociées qui portent sur les questions de double imposition et sur la prévention de l’évasion et de la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu. C’est le cas de l’accord conclu entre la France et le Kenya, objet du présent rapport.

Cette convention, la première signée en la matière avec le Kenya, est le résultat d’une longue négociation entre les deux Parties. La nature même de l’accord en porte la trace, comme vous le montrera votre rapporteur après vous avoir présenté l’état des relations économiques et commerciales que les deux pays entretiennent.

I – LE KENYA AU SORTIR DES TROUBLES DE L’HIVER 2008

A – La stabilité retrouvée

Les violents troubles post-électoraux que le Kenya a connus en janvier 2008 à la suite de la réélection contestée du président Kibaki ont heureusement été jugulés en un temps relativement rapide, grâce aux médiations internationales, celle de Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies, mais aussi celle de l’Union européenne, alors présidée par la France. A la mi-avril 2008, un gouvernement de coalition était constitué, un partage du pouvoir instauré entre le Président de la République et le chef de l’opposition, Raila Odinga, désigné Premier ministre au terme d’un processus de réconciliation nationale. Le Kenya retrouvait le chemin, brièvement interrompu, vers le développement.

En effet, il faut rappeler que le Kenya faisait jusqu’alors figure de pôle de développement économique et de stabilité politique dans la région. Malgré l’absence de minerais ou de ressources pétrolières, le Kenya était devenu l’économie la plus développée et la plus industrialisée de la région est-africaine, avec un PIB reposant sur trois piliers principaux : les services à plus de 50 % ; l’agriculture, pour plus d’un quart ; l’industrie, pour près de 20 %. Avec un taux de croissance en 2007 de 7 %, une inflation maîtrisée, des taux d’endettement fort acceptables et un déficit budgétaire limité à 5.3 % du PIB, les perspectives étaient bonnes.

La tension politique du premier semestre 2008, pour limitée qu’elle ait été dans le temps, aura toutefois coûté au pays quatre points de croissance, une relance forte de l’inflation, une baisse des flux de capitaux et une chute brutale des principales ressources sur lesquelles reposent la croissance kenyane : le tourisme, en toute logique, mais aussi l’agriculture, qui a un temps pâti des déplacements importants de populations survenus lors des troubles.

Néanmoins, le Kenya a montré lors de cette crise une forte capacité de résistance aux chocs, si l’on tient compte aussi du fait que cette année 2008 a aussi été celle de la crise financière et alimentaire et de la hausse du prix du baril de pétrole. Ainsi, le commerce au sein de l’Afrique de l’Est a-t-il redémarré très tôt, et un programme d’investissement public ambitieux a-t-il été lancé. Le retour à la normalité politique a permis au secteur économique de repartir très vite et a ouvert aussi la voie à la mise en chantier d’un certain nombre de réformes, non seulement institutionnelles mais aussi d’ordre économique, destinées à améliorer la compétitivité du pays et favorables au retour des investissements étrangers. Ainsi que le disait le Premier ministre Raila Odinga lors de son audition devant notre commission des affaires étrangères le 21 octobre 2009, répondre aux grands défis de l’avenir auxquels est confronté le Kenya, « exige des ressources, que nous ne trouverons que dans un partenariat. Le Kenya est prêt à jouer son rôle au sein de l’équipe africaine, mais nous avons besoin de nouer des partenariats avec le reste du monde, notamment avec l’Europe. »

Le fait que le Kenya soit également le point d’entrée régional pour les principaux opérateurs économiques qui réalisent des transactions avec la Tanzanie, voire même le Mozambique, pourtant plus éloigné, renforce son attractivité. La politique de réforme gouvernementale porte ses fruits : la Banque mondiale a eu l’occasion de saluer les efforts du gouvernement pour attirer les IDE et a classé le pays au 10e rang des pays les plus réformateurs en la matière. De fait, les investissements étrangers sont désormais conséquents, à parité avec ceux effectués en Ouganda ou en Tanzanie, alors que naguère encore le Kenya n’en accueillait que trois fois moins.

Dans ce panorama général, la présence française tend à croître sensiblement depuis ces dernières années, comme le rappelait il y a quelques mois notre collègue Jean-Paul Dupré, rapportant sur l’accord d’encouragement et de protection réciproque des investissements conclu avec le gouvernement kenyan (1). Pour autant, les échanges restent encore relativement modestes.

B – Des relations franco-kenyanes qui restent pourtant modestes

Sur le plan des investissements et de la présence française, les années 2006 et 2007 ont été marquées par une très nette augmentation du flux d’IDE français. Il a atteint 440 M€ en 2007, contre 5 millions en 2006, à la suite de la reprise de l’opérateur historique public Telkom Kenya par France Telecom. Le Kenya s’est ainsi classé 33e en 2007, contre 110e en 2006, dans les IDE françaises, soit 0,3 % du total des IDE françaises de cette année-là et nos investissements représentent désormais 14 % de la capitalisation à la bourse de Nairobi.

Aujourd’hui, la présence française est forte d’une cinquantaine d’implantations dans des secteurs très diversifiés. On estime qu’elle génère plus de 10 000 emplois directs : matériaux de construction, télécommunications, distribution d'hydrocarbures, agriculture (café, fleurs), banque, transports, automobile, chimie, pharmacie et services. Parmi les principales entreprises, on note la présence de Lafarge et de Total qui, avec France Telecom, sont les principaux investisseurs français au Kenya. Alcatel, CFAO, Peugeot, Renault, Michelin, Thalès, Sanofi Aventis, ou encore SAGEM, Air France-KLM ou Calyon, par le biais de la Bank of Africa, sont également sur le terrain kenyan.

En parallèle, sur le plan des échanges commerciaux, la France est l’un des principaux partenaires économiques du Kenya, même s’il reste modeste puisqu’il est aujourd’hui notre 103e client, en progrès d’une place par rapport à 2008, et notre 104e fournisseur, en recul, en revanche, de quatre places. La caractéristique de nos échanges est qu’ils restent très concentrés et continûment excédentaires. Quatre postes, en effet, les préparations pharmaceutiques, les câbles et fibres optiques, les équipements de communications et les cartes électroniques, représentent à eux seuls près de la moitié de nos ventes au Kenya. Inversement, les produits agricoles constituent la quasi-totalité de nos achats de produits kenyans.

Si dans la région, le Kenya représente toujours notre principal partenaire, il faut relever que nos échanges sont en 2009 à la baisse : les exportations françaises vers le Kenya ont en effet diminué de 6,5 % en 2009 pour atteindre 146 M€. Les services du commerce extérieur estiment que 2010 devrait sans doute voir une progression moyenne de nos exportations, en l’absence de grands contrats, grâce à la bonne tenue de l’économie kenyane, fortement ouverte sur l’étranger.

Nos exportations sont actuellement portées par les biens d’équipements, qui représentent environ 40 % des nos ventes avec 57 M€. Le secteur des télécommunications domine ici avec les câbles de fibre optique (16 M€) et les équipements de communication (15 M€), suivis par les moteurs, génératrices et transformateurs électriques (5 M€). Les biens intermédiaires, avec près de 45 M€ arrivent en 2e position (en baisse de 11 %), concentrés sur la filière chimique avec 18 M€ (produits chimiques, pesticides et autres produits agrochimiques et produits chimiques organiques de base) et les cartes électroniques assemblées (12 M€).

Les biens de consommation (33 M€) occupent le troisième rang avec une part de marché de 23 %, en progression de 35 %. Il s’agit essentiellement de préparations pharmaceutiques, en hausse de 38%, qui constituent notre premier poste produit d’exportation. Les produits des industries agricoles et alimentaires se situent au quatrième rang (avec une part de marché de 2 %). Les ventes de poissons et produits de la pêche préparés dont les ventes avaient atteint, assez paradoxalement, 16 M€ en 2008, sont repassées à la normale (1 M€). Les produits de l’industrie automobile arrivent en cinquième position (1,5 M€), signe de la faible notoriété de nos marques Peugeot et Renault sur ce marché, suivis par les produits énergétiques (1 M€).

En parallèle, les importations françaises ont également diminué, de 16 M€, pour s’établir à 67 M€ (2), et proviennent, à hauteur de 98 %, de la filière agro-alimentaire. Les produits non transformés - agricoles, sylvicoles, piscicoles - ont atteint 38 M€ (en baisse de 5%), les haricots verts (frais ou en conserves, avec Bonduelle) représentent notre principal poste avec sans doute plus de la moitié de nos achats au Kenya. Les avocats et autres fruits tropicaux (mangues, fruits de la passion) constituent, avec le thé et le café, l’autre composante forte de nos importations. Nos achats de produits des industries agricoles et alimentaires se sont élevés à 28 M€, diminuant de moitié. Au niveau européen, la France arrive à égalité avec l’Allemagne (66 M€), loin derrière le Royaume-Uni (346 M€) et les Pays Bas (237 M€).

Notre excédent commercial avait atteint un pic historique, en 2007, avec plus de 96 M€. Il s’était expliqué pour plus de la moitié par les ventes exceptionnelles de produits pétroliers (27 M€), mais aussi par la progression de nos ventes de la filière chimique (8,3 M€), des composants électroniques (7 M€), de la construction aéronautique (7 M€) et des équipements de télécommunications (4 M€). Nos exportations avaient également atteint un pic historique, de 168 M€, soit une croissance de 57 %, en particulier tirées par les biens intermédiaires (38 % du total). Au niveau européen, la France se maintient toutefois en quatrième position derrière le Royaume-Uni (331 M€), l’Allemagne (204 M€) et les Pays Bas (159 M€), devançant l’Italie (126 M€).

Toutefois, cette présence et ses échanges de la France avec le Kenya pourraient vraisemblablement s’améliorer. Certains secteurs d’avenir deviennent en effet des priorités gouvernementales fortes, tel celui de la conversion énergétique du pays pour diminuer la dépendance du Kenya aux combustibles fossiles. Outre la question des énergies renouvelables, le Premier ministre Odinga avait ainsi mentionné lors de son audition devant la commission des affaires étrangères la possibilité d’une coopération avec notre pays dans le secteur nucléaire, dans le cadre de son objectif de produire au cours des trois années à venir 2 000 mégawatts d’énergie propre, d’origine hydraulique, géothermique, éolienne, solaire, ou encore issue des biocarburants ou du nucléaire.

Le souhait du Kenya de s’ouvrir davantage sur l’étranger constitue pour nos investisseurs une perspective intéressante d’accroissement de nos échanges commerciaux. Le développement des relations de la France ces dernières décennies avec d’autres pays que ses anciennes colonies est un fait que Raila Odinga avait mis en avant en notant que cette diversification était de l’intérêt de tous.

La signature de la convention entre la France et le Kenya en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu, le même jour, 4 décembre 2007, que celle relative à l’encouragement et à la protection réciproques des investissements, s’inscrit dans ce cadre et devrait permettre de contribuer à renforcer la présence française au Kenya et, plus largement, en Afrique de l’Est, en y sécurisant les activités des investisseurs.

II – L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE LA CONVENTION

Jusqu’à la signature de cet accord, la France et le Kenya n’étaient liés par aucune convention en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu. C’est la France qui est à l’initiative de cette négociation, entamée à partir de l’été 2003 sur la base d’un projet soumis au gouvernement du Kenya en septembre 2002. Il s’agit de la première convention de ce type signée par le Kenya depuis exactement 20 ans, et elle revêt en cela une signification particulière.

A – Un texte de compromis

Ainsi que le rappelle l’exposé des motifs, l’accord conclu est le résultat d’un large compromis trouvé entre les deux Parties, dans la mesure où leurs positions initiales différaient grandement. Le Kenya défendait un texte largement inspiré du modèle de convention des Nations Unies, tandis que les propositions de la France s’articulaient sur le modèle de l’OCDE, plus fréquemment utilisé aujourd’hui.

Il convient de rappeler en effet que l’Organisation des Nations Unies a réfléchi à partir de la fin des années 1960 à un modèle de convention fiscale internationale plus adapté aux pays en développement ou importateurs de capitaux que celui que l’OCDE qui, s’il s’est imposé dans la pratique, est avant tout la matrice des conventions signées entre ses pays membres. A partir des années 1980, une première version du modèle de convention des Nations Unies relatif aux doubles impositions entre pays développés et pays en développement a ainsi été publiée, qui a fait ensuite l’objet d’adaptations régulières et de mises à jour, de la part de groupes d’experts, comme l’est de son côté annuellement, le modèle de l’OCDE. La France participe ainsi régulièrement au sein du comité des affaires fiscales de l’OCDE à l’actualisation du modèle, qui reflète donc plus fidèlement ses positions.

Selon les renseignements qui ont été fournis à votre rapporteur, le modèle de convention de l'OCDE comporte par exemple des dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale plus efficaces que celui de l'ONU. Il comporte notamment un article relatif à l'échange de renseignements fiscaux qui stipule que les informations doivent être échangées quand bien même l’Etat sollicité n’y aurait pas d'intérêt, sans pouvoir arguer de ses dispositions de droit interne relatives au secret bancaire ou encore de la circonstance que les informations sont requises à des fins d'assiette d'impôts non couverts par la convention fiscale.

En outre, compte tenu de la forme que prennent ses échanges économiques avec les pays non membres de l’OCDE, ce modèle est plus favorable à la France sur un plan budgétaire. En effet, la convention fiscale organisant un partage, entre les deux Etats, du droit d'imposer les revenus, il est de l’intérêt de notre pays de réduire l'imposition des investisseurs français au Kenya afin de conserver en France une matière imposable plus importante, sachant que les flux d'investissement sont principalement dirigés de la France vers le Kenya. Le modèle de convention de l'OCDE répond précisément à cet objectif, dans la mesure où d’une part, la notion d'établissement stable y est définie de manière plus restrictive que dans le modèle onusien, et où, d’autre part, entre autres aspects, le taux et le champ des retenues à la source frappant les dividendes et les intérêts sont limités, et que des investisseurs ayant créé une structure à l'étranger ont la possibilité de pouvoir rapatrier des revenus sur le territoire, français en l’espèce, en supportant une taxation à la source minorée.

Cela étant, parmi les différences notables entre les deux modèles de conventions fiscales, celui de l’ONU accorde au pays de la source des revenus un droit de les imposer substantiellement plus étendu que le modèle OCDE. De même par une définition extensive des notions d’établissement stable et de redevances de la part du modèle de l’ONU, ainsi que par des retenues à la source sur les intérêts et les redevances, non prévues par le modèle de l’OCDE, qui prétend surtout éviter les pertes financière et les discriminations dans les échanges, induites par les risques de compétence partagée du droit d’imposition par l’Etat de la résidence et l’Etat de la source du revenu.

Ces remarques faites, au-delà des philosophies différentes de base entre ces conventions, on doit aussi reconnaître que dans son labeur de mise à jour le groupe d’experts de l’ONU s’est finalement grandement inspiré du schéma de l’OCDE, de sorte que les différences se sont atténuées. Subsistent néanmoins des particularités, notamment sur les droits des Etats de la source des revenus ou du pays importateur de capitaux en matière d’imposition, qui sont supérieurs à ceux prévus dans le modèle de l’OCDE.

L’analyse du texte conclu entre la France et le Kenya montre que résulte finalement de la négociation une convention dont les dispositions s’inspirent des deux modèles. Comme le précise abondamment l’exposé des motifs, quasiment chacun des articles de la convention a fait l’objet de la négociation et résulte d’un compromis, l’une comme l’autre des Parties ayant obtenu une rédaction conforme au modèle de sa préférence ou ayant fait les concessions nécessaires, et parfois importantes, pour emporter l’adhésion de l’autre. Consécutivement, la nature des revenus concernés, les bénéficiaires ou les taux d’imposition retenus ont été accordés au cas par cas et résultent à chaque fois de cette négociation. Ainsi, les dividendes font l’objet d’une retenue à la source de 10 %, les intérêts de 12 % et les redevances de 10 %. Ces taux sont inférieurs aux taux prévus par le droit interne kenyan et sont surtout les plus faibles jamais concédés par ce pays à ses partenaires de l’OCDE, qui sont en général compris entre 15 et 25 %. Inversement, la France a par exemple accordé au Kenya l’imposition des revenus des professions indépendantes, qui n’existe pas dans le modèle de l’OCDE, ou encore l’imposition partagée des revenus.

B – Les personnes et impôts concernés : le champ d’application de la convention

De manière fort classique, les premiers articles de la convention définissent son champ d’application global en précisant la nature des impôts et les personnes auxquelles elle a vocation à s’appliquer.

Ainsi, l’article 1er stipule-t-il que la « convention s’applique aux personnes qui sont des résidents d’un Etat contractant ou des deux Etats contractants. » Le deuxième article énumère les impôts visés par le texte, à savoir les « impôts sur le revenu perçus pour le compte d’un Etat contractant ou de ses collectivités locales, quel que soit le système de perception. » Sont considérés comme tels « les impôts perçus sur le revenu total ou sur des éléments du revenu, y compris les impôts sur les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, les impôts sur le montant global des salaires payés par les entreprises ainsi que les impôts sur les plus-values. » S’agissant de la France, il est en outre précisé qu’il s’agit de l’impôt sur le revenu, des contributions sociales généralisées, des contributions pour le remboursement de la dette sociale, de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur les salaires. S’agissant du Kenya, l’article 2 renvoie aux « impôts sur le revenu établis par la Loi de Finances, Cap 470 (Income Tax Act, Cap. 470) ». Le texte de la convention précise en outre qu’elle s’applique également aux impôts qui viendraient à être créés postérieurement à son entrée en vigueur.

Les articles 3 et 4 posent les définitions nécessaires à la correcte application de la convention, tout d’abord en ce qui concerne les Parties signataires ainsi que les personnes visées, physiques ou morales et autres définitions pertinentes. L’article 4 détaille la notion de résidence et reprend celle qui prévaut dans le modèle de convention de l’OCDE en précisant, à la demande des négociateurs français que l’expression « résident d’un Etat contractant » comprend les sociétés de personnes et les groupements de personnes dont le siège de direction effective est situé dans un Etat contractant et dont les porteurs de parts, associés ou autres membres y sont personnellement soumis à l’impôt à raison de leur quote-part dans les bénéfices de ces sociétés ou groupements en application de la législation interne de cet Etat.

Enfin, l’article 5 définit la notion d’« établissement stable », qui « désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité » et précise les divers cas et restrictions auxquelles elle s’applique ou non. La rédaction de cet article résulte de compromis des deux Parties. En effet, si cette définition correspond à celle de l’OCDE, à la demande du Kenya la durée habituellement nécessaire pour que les chantiers de construction et de montage soient considérés comme stables a été réduite à 6 mois, contre un an en règle générale, conformément à ce que la France avait déjà accordé à d’autres pays africains.

C – La répartition des impositions et leurs critères

L’essentiel du dispositif de la convention, soit les articles 6 à 21, détermine les règles d’imposition pour chaque catégorie de revenu.

L’article 6 concerne les revenus immobiliers, étendus à ceux provenant des exploitations agricoles et forestières y compris leurs accessoires, tels que les cheptels, morts ou vifs, ainsi que les droits dérivés qui y sont attachés. Ils sont imposables dans l’Etat où ils sont situés. Les parts de sociétés immobilières y sont assimilées et répondent aux mêmes règles d’imposition, à la demande de la France.

Un protocole additionnel a été adopté au moment de la signature de l’accord. Il précise notamment les dispositions de l’article 7 relatives à l’imposition des bénéfices des entreprises. Cet article reprend les clauses de l’OCDE en posant comme principe que les bénéfices d’une entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat sauf si elle exerce son activité dans l’autre via un établissement stable. Il définit également les règles de détermination et d’imputation des bénéfices.

En ce qui concerne les bénéfices des entreprises de navigation maritime ou aérienne, l’article 8 de la convention précise qu’ils sont imposés dans l’Etat dans lequel la société a son siège de direction effective. L’exposé des motifs indique que la France a obtenu sur ce point de la part du Kenya le bénéfice du taux jusqu’alors accordé à la Suède, plus favorable que celui accordé à ses partenaires conventionnels, soit 5 % du chiffre d’affaires réalisé sur le transport de fret ou de passagers à partir de son territoire, l’impôt exigible de la part du Kenya étant réduit de moitié.

Les bénéfices des entreprises associées font l’objet de l’article 9 de la convention. Ils sont relatifs aux relations entre une société mère et ses filiales ou entre sociétés étant sous contrôle commun. Dans ce cas, « les bénéfices qui (…) auraient été réalisés par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être eu égard à la relation commerciale ou financière entre les entités, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence. »

L’imposition des dividendes est partagée, aux termes de l’article 10 de la convention, dans la mesure où, au principe selon lequel « les dividendes payés par une société qui est un résident d’un Etat contractant à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat », s’ajoute celui selon lequel « les dividendes mentionnés au paragraphe 1 sont aussi imposables dans l’Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident » Toutefois, « si le bénéficiaire effectif des dividendes est un résident de l’autre Etat contractant, l’impôt ainsi établi ne peut excéder 10 % du montant brut des dividendes ». Cette concession de la France a été contrebalancée par un taux plus faible que celui que le Kenya accorde habituellement à ses partenaires.

Le principe régissant l’imposition des intérêts est tout à fait comparable. Il est régi par l’article 11 de la convention qui prévoit que « les intérêts provenant d’un Etat contractant et payés à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat », mais une imposition partagée est également possible, au taux maximal de 12 %. Les deux articles incluent chacun une clause anti-abus, à la demande française, afin d’éviter les opérations n’ayant pour seul but que de profiter de la législation.

Il en est exactement de même de l’article 12 qui traite de l’imposition des redevances, à savoir que l’imposition qu’elles supportent peut être partagée entre l’Etat de résidence du bénéficiaire et l’Etat de source des revenus. Les impôts sur les redevances, entendues comme « les rémunérations de toute nature payées pour l’usage ou la concession de l’usage, d’un droit d’auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique, (…) d’un brevet, d’une marque de fabrique ou de commerce (…) ainsi que pour l’usage ou la concession de l’usage d’un équipement commercial, industriel ou scientifique (…) » sont plafonnés au taux de 10 % de leur montant brut.

Ces trois articles font l’objet d’un complément remarquable, inséré à l’article 28 de la convention, aux termes duquel la clause de la nation la plus favorisée s’appliquera automatiquement si le Kenya venait ultérieurement à signer avec un autre pays membre de l’OCDE une convention prévoyant l’exonération de ces trois types de revenus ou une taxation inférieure à celle ici accordée.

L’article 13 reprend le principe des dispositions de l’article 6 concernant les biens immobiliers.

L’imposition des revenus des personnes physiques fait ensuite l’objet des articles 14 et suivants de la convention. Elle présente certaines particularités par rapport au modèle de l’OCDE.

Ainsi, les professions indépendantes, professions « libérales » au sens habituel ou professions artistiques scientifiques, etc., apparaissent-elles tout d’abord imposées dans l’Etat de résidence, selon l’article 14, qui crée cependant une situation non prévue dans les conventions de l’OCDE, dans la mesure où la règle des 183 jours de présence par année fiscale s’applique pour déterminer le lieu de l’imposition. Selon l’article 17, les revenus artistiques sont toutefois imposables dans l’Etat où ils ont été perçus, sauf s’ils proviennent essentiellement de fonds publics, et cela, indépendamment des règles posées concernant les professions indépendantes.

En ce qui concerne les autres professions « dépendantes », soit salariées, l’article 15 pose le principe de leur imposition dans l’Etat dans lequel est exercée l’activité, sauf exercice temporaire, inférieur à une durée de 183 jours.

Les retraités sont imposés soit dans leur Etat de résidence, s’agissant d’anciens salariés du secteur privé, soit dans l’Etat de la source, s’agissant de retraités de la fonction publique. Les articles 18 et 19 en traitent. Les ressources perçues par les étudiants pour subvenir à leurs besoins durant leur scolarité ne sont pas imposables, aux termes de l’article 19.

Enfin, l’article 21 pose le principe de l’imposition exclusive des « autres revenus », « d’où qu’ils proviennent qui ne sont pas traités dans les articles précédents » dans l’Etat de résidence. Assez curieusement, après avoir indiqué que ces revenus « ne sont imposables que dans cet Etat », le quatrième paragraphe prévoit néanmoins leur imposition partagée dans l’Etat d’où ils proviennent. L’exposé des motifs indique qu’il s’agit d’une concession important de la France, qui a permis d’aboutir à un accord global sur le texte. Selon les précisions qui ont été fournies à votre rapporteur, cette disposition s’éloigne du modèle de convention de l’OCDE qui prévoit l'imposition exclusive de ces revenus dans l'Etat de résidence de leur bénéficiaire. En pratique toutefois, la portée de ce dispositif sera relativement limitée du fait du champ étroit des revenus couverts par l'article 21, d’autant plus que, en cas d'éventuelle situation de double imposition, l'octroi d'un crédit d'impôt égal à l'impôt payé au Kenya est prévu.

En complément de cet ample dispositif, l’article 22 définit les mécanismes nationaux de la France et du Kenya permettant d’éviter les doubles impositions. Il reprend les éléments de législation fiscale en vigueur dans chacune des deux Parties et prévoit que chacun, en cas de divergence de qualification des revenus entraînant une double exonération, conserve le droit d’appliquer sa législation interne. L’article 23 reprend les clauses de non discrimination habituelles entre nationaux et non nationaux et n’appelle pas de commentaire particulier non plus que l’article 24, relatif aux procédures amiables de règlement des différends. Les derniers articles de la convention exposent les règles concernant les personnels diplomatiques, (article 26), les modalités d’application d’entrée en vigueur et de dénonciation, (articles 27, 29 et 30), sans spécificité.

D – L’évasion et la fraude fiscales

Tout en précisant que le Kenya ne figure pas ni n’a jamais figuré par le passé sur une liste établie par l’OCDE des Etats non coopératifs ou jugés à risque, à l’instar des nombreuses conventions relatives à l’échange de renseignements fiscaux signés ces derniers mois par la France sur le modèle de l’OCDE, sur la ratification desquelles notre commission des affaires étrangères a eu à se prononcer, l’accord du 4 décembre 2007 prévoit un volet tendant à prévenir la fraude et l’évasion fiscales.

Un long article 25 reprend en effet les dispositions des conventions habituelles en la matière et organise l’échange de renseignements fiscaux entre la France et le Kenya. Concrètement, conformément aux principes des conventions adoptées sur le modèle de l’OCDE, les deux Parties conviennent que « les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature (…) » Ainsi qu’il est habituel dans ce type de conventions, la levée du secret bancaire est prévue, ainsi qu’une obligation d’agir de la part des Parties lorsqu’elles sont requises par le demandeur. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 25, en effet, « si des renseignements sont demandés par un Etat contractant conformément à cet article, l’autre Etat contractant utilise les pouvoirs dont il dispose pour obtenir les renseignements demandés, même si cet autre Etat peut ne pas en avoir besoin à ses propres fins fiscales » et il ne peut se soustraire à cette obligation et « refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci ne présentent pas d’intérêt pour lui dans le cadre national. »

CONCLUSION

Au terme de son analyse, votre rapporteur vous recommande d’approuver ce projet de loi.

La ratification de cette convention, que l’on peut certes considérer comme tardive par rapport à celle de la convention de protection des investissements pourtant signée ce même 4 décembre 2007 par les deux gouvernements, constituera un élément supplémentaire de sécurisation pour nos investisseurs au Kenya. Ils bénéficieront désormais de mesures favorables dans le champ de la fiscalité.

Cette convention viendra opportunément compléter la convention de protection des investissements déjà en vigueur et de la convention franco-kenyane en vue d’éviter les doubles impositions en matière de transport aérien, signée le 12 janvier 1996 à Nairobi, qui n’est entrée en vigueur qu’au 1er janvier dernier.

Un ensemble cohérent et complet de dispositions juridiques sera désormais en application avec ce partenaire africain important, après les conventions signées ces dernières années avec la Namibie, le Botswana ou encore l’Ethiopie.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 6 juillet à 17h30.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jean-Marc Roubaud. M. le Rapporteur, pourriez-vous préciser en quoi consistent les concessions acceptées par le Kenya en termes de taux et d’assiettes d’imposition ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Le Kenya a concédé des taux d’imposition inférieurs aux taux prévus par le droit interne kenyan et surtout plus faibles que ceux que ce pays ait jamais concédés à un partenaire conventionnel de l’OCDE : alors que le réseau conventionnel kenyan prévoit pour les pays de l’OCDE des taux compris entre 15 et 25 %, l’accord avec la France prévoit que les dividendes font l’objet d’une retenue à la source de 10 %, les intérêts de 12 % et les redevances de 10 %. La France a aussi obtenu l’insertion d’une clause de la nation la plus favorisée sur l’ensemble de ces revenus.

M. Jean-Paul Lecoq. Avec de tels avantages, nous allons créer un risque de délocalisation vers le Kenya ! Dans quelle mesure une entreprise peut-elle choisir le pays dans lequel elle déclare certaines dépenses ou paie certaines impositions ? Alors que de nombreux accords signés par la France mentionnent les impôts sur le revenu et sur la fortune, pourquoi ce dernier est-il absent de la convention avec le Kenya ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Il n’existe pas d’impôt sur la fortune au Kenya.

Pour ce qui est du lieu d’imposition, il relève de l’application de la notion d’établissement stable, laquelle renvoie à six mois de présence sur le territoire kényan, durée inférieure à celle retenue dans les pays de l’OCDE.

M. Michel Terrot. Combien de Français résident-ils au Kenya ? Quel niveau les investissements français atteignent-ils et quelles entreprises françaises y sont-elles implantées ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. La présence française est forte d’une cinquantaine d’implantations dans des secteurs très diversifiés : matériaux de construction, télécommunications, distribution d’hydrocarbures, agriculture (café, fleurs), banque, transports, automobile – mais les groupes français souffrent d’une faible notoriété –, chimie, pharmacie – avec notamment Sanofi – et services. Parmi les principales entreprises, on note la présence de Lafarge et de Total qui, avec France Telecom, sont les principaux investisseurs français au Kenya.

M. Jean-Paul Dupré. Quelle est la situation de la balance commerciale entre les deux pays ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Nos exportations vers le Kenya ont diminué de 6,5 % entre 2008 et 2009 et nos importations de 19,5 %. Notre excédent commercial, qui occupe le 52ème rang parmi nos excédents commerciaux, est de 78 millions d’euros. Le Kenya est notre 103e client et notre 104e fournisseur seulement, mais notre principal partenaire commercial en Afrique de l’Est.

M. Philippe Cochet. Les services fiscaux kényans avaient-ils des relations avec les services fiscaux français avant la conclusion de la convention ? Sont-ils organisés de manière comparable ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Aucun accord ne permettait jusqu’ici d’organiser des relations entre les services fiscaux des deux pays.

M. Jean-Pierre Kucheida. Pourquoi les négociations de cette convention, qui n’est pas révolutionnaire, ont-elles duré sept ans ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Les négociations ont été conduites à un rythme normal, pour parvenir à des concessions mutuelles. Le processus de ratification a en revanche été long.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2319).

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La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kenya en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu (ensemble un protocole), signée à Nairobi le 4 décembre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n°2319).

© Assemblée nationale

1 () Rapport n °1411 du 28 janvier 2009, Jean-Paul Dupré, sur le projet de loi n ° 1136, approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Kenya sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements.

2 () Le montant de nos importations est sans doute sous-évalué, dans la mesure où l’essentiel des exportations kenyanes de fleurs vers l’Union Européenne (400 M€ environ) passe par les Pays-Bas avant d’être re-routée vers d’autres pays européens dont la France.