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N
° 2787

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 septembre 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2338, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune,

par M.  Claude BIRRAUX

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – L’AVENANT DU 27 AOÛT 2009 : UN TEMPS FORT DES RELATIONS FRANCO-SUISSES 7

A – UN TEXTE POUR REPONDRE AUX EXIGENCES DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 7

1) Les insuffisances de la convention de 1966 7

2) Un texte qui méritait d’être toiletté 8

B – LE CONTEXTE DE LA NÉGOCIATION 9

1) Un contexte international favorable 9

2) Le cadre particulier de la négociation franco-suisse 10

3) Les inquiétudes de la Confédération, moteur de l’évolution du texte 11

II – VERS LA FIN DU SECRET BANCAIRE SUISSE 15

A – L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE L’AVENANT DE 2009 15

B – LA SITUATION DES TRAVAILLEURS FRONTALIERS 16

C – L’ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENTS FISCAUX 18

CONCLUSION 23

EXAMEN EN COMMISSION 25

_____

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 29

Mesdames, Messieurs,

La longue liste des conventions internationales signées ces derniers mois par notre pays avec des Etats étrangers suspectés d’être des paradis fiscaux et d’être insuffisamment coopératifs dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales n’aurait sans doute pas été complète si un accord avec la Suisse n’était venu parachever cet édifice construit négociation après négociation.

Compte tenu de la réputation bien établie en matière de secret bancaire de la Confédération helvétique, le fait pour le gouvernement d’avoir réussi à amender la convention en vigueur depuis 1966 entre nos deux pays dans un sens permettant notamment l’échange de renseignements fiscaux peut être considéré comme un succès diplomatique. Ce l’est d’autant plus que l’on sait que la Suisse et le Luxembourg abritent à eux deux près de 80 % des comptes français à l’étranger.

Avant de vous présenter le détail de l’avenant signé par le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Mme Christine Lagarde, le 27 août 2009, votre rapporteur croit utile de revenir sur les dispositions de la convention actuelle, ainsi que sur les circonstances qui ont présidé à la signature de cet avenant, particulièrement important.

I – L’AVENANT DU 27 AOÛT 2009 : UN TEMPS FORT DES RELATIONS FRANCO-SUISSES

Avant de détailler les aspects de cette nouvelle étape, il convient de rappeler la France et la Suisse sont liées depuis septembre 1966 par une convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, qui, en regard de la teneur des accords aujourd’hui négociés, frappe par la modestie de son contenu. Il convenait de l’adapter aux nouvelles obligations internationales.

A – Un texte pour répondre aux exigences de la communauté internationale

La convention de 1966 aux termes de laquelle la France et la Suisse sont liées, est à l’évidence d’une autre époque et les précédents avenants, signés en décembre 1969 et en juillet 1997, n’en ont jamais sensiblement modifié la portée. Les récents développements en matière fiscale menés sous l’égide de l’OCDE et des décisions du G20 de l’an dernier l’ont d’une certaine manière rendue obsolète en ce qui concerne les préoccupations actuelles de la communauté internationale en matière de transparence.

1) Les insuffisances de la convention de 1966

Signée en vue d’éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, l’accord de 1966 est des plus classiques. Pour l’essentiel, son dispositif énumère l’ensemble des impôts sur le revenu et sur la fortune, en France et en Suisse, auxquels elle s’applique, en d’autres termes, l’impôt sur le revenu, proprement dit, l’impôt sur les sociétés, la taxe sur les salaires et l’impôt de solidarité sur la fortune pour ce qui concerne la France. Les lieux d’imposition sont définis en fonction des différentes caractéristiques des revenus et des assujettis. Des dispositions sont enfin prévues pour éviter les cas de double imposition.

Conformément à la pratique suisse traditionnelle, l’échange d’informations fiscales y est strictement limité aux seules fins de bonne application de la convention. L’article 28 de la convention dispose en effet très clairement que « les autorités compétentes des Etats contractants pourront, sur demande, échanger les renseignements (que les législations fiscales des deux Etats permettent d’obtenir dans le cadre de la pratique administrative normale) nécessaires pour une application régulière de la présente Convention. » (1).

Le texte précise en outre que les renseignements ainsi échangés doivent être tenus secrets et ne peuvent être révélés qu’aux personnes chargées de la fixation ou de la perception des impôts auxquels se rapporte la Convention. Il prévoit surtout que « Les dispositions du présent article ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à l’un des Etats contractants l’obligation de prendre des mesures administratives dérogeant à sa propre réglementation ou à sa pratique administrative, ou contraires à sa souveraineté, à sa sécurité, à ses intérêts généraux ou à l’ordre public, ou de transmettre des indications qui ne peuvent être obtenues sur la base de sa propre législation et de celle de l’Etat qui les demande. »

En d’autres termes, la France, en application de ces dispositions, ne peut mener à bien une lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, dès lors que, sur fond de pratiques suisses en matière de secret bancaire, les possibilités offertes d’échange de renseignements interdisent de fait à l’administration d’obtenir des informations de nature à conduire des opérations de contrôle fiscal et à s’assurer du bien-fondé des bases d’imposition. Une telle situation encourage par conséquent les domiciliations fictives et la localisation d’avoirs et de revenus non déclarés.

Le protocole additionnel du 3 juillet 1969 et l’avenant du 22 juillet 1997 n’ont pas bouleversé l’économie générale de cette convention, qui traduit de fait les réticences suisses, toujours exprimées lors de précédentes négociations, quant à l’introduction de certaines stipulations. Jusqu’en 2009, la Suisse aura finalement défendu cette conception étroite de l’échange de renseignements à des fins fiscales. Cette position non conforme aux derniers standards de l’OCDE ainsi qu’aux exigences de la France en la matière, ne pouvait être maintenue sans mettre en difficulté les intérêts mêmes de la Suisse.

2) Un texte qui méritait d’être toiletté

Cela étant dit, on peut également relever que sur différents points complémentaires, certains dispositifs prévus, tels ceux visant à lutter contre les situations et transactions abusives entre les deux Etats, sont actuellement complexes et difficiles à mettre en œuvre. Ils méritaient donc d’être revus, clarifiés pour rendre leur application plus aisée, gage de l’amélioration de leur efficacité.

Il était également devenu opportun de préciser l’articulation de certains de ces dispositifs, compte tenu notamment d’accords intervenus ultérieurement entre la Suisse et la Communauté européenne.

Enfin, la convention favorise malencontreusement les situations de doubles exonérations des pensions privées, lorsqu’elles sont versées sous forme de capital par des organismes suisses aux résidents de France. En effet, l’article 20 de la convention de 1966 prévoit que « les pensions et autres rémunérations similaires versées à un résident d’un Etat contractant au titre d'un emploi antérieur ne sont imposables que dans cet Etat. » Or, en l’absence de dispositif de taxation de droit interne français permettant d’imposer les pensions servies en capital, ce type de revenus ne peut faire jusqu’à aujourd’hui l’objet d’aucune imposition, ni en Suisse, ni en France.

En d’autres termes, après les révisions de 1969 et de 1997, il devenait opportun de revoir plusieurs points de l’accord en vigueur, pour l’actualiser sans qu’il soit toutefois nécessaire de le renégocier dans son intégralité. Le contexte international issu des décisions du G20 au second semestre 2008 en a offert l’opportunité.

B – Le contexte de la négociation

1) Un contexte international favorable

Chacun sait que, crise financière aidant, le tournant dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales a été pris à la fin de l’année 2008 lorsque, en octobre, une conférence de l’OCDE s’est réunie à Paris, à l’initiative des ministres français et allemand du budget, qui a, entre autres mesures spectaculaires, établi la liste des paradis fiscaux. La reprise des propositions alors discutées par les sommets du G20 a ensuite accéléré les choses, notamment autour de thèmes spécifiques comme celui de la fin du secret bancaire.

Les conférences internationales qui ont eu lieu à partir de cette année-là, à Berlin, puis à Pittsburgh, ont abordé les différentes questions, notamment relatives à l’échange d’informations fiscales. Elles ont également conduit à l’établissement des listes de pays, - noires, grises ou blanches -, selon leur degré de coopération, sur la base de leur engagement à ratifier puis appliquer les dispositions régissant les échanges d’informations financières et fiscales, telles qu’elles figurent dans le modèle de convention établi par l’OCDE. Des mécanismes de suivi et d’évaluation par les pairs au sein d’un « forum mondial élargi », permettant d’examiner l’effectivité des échanges de renseignements, ont aussi été institués, aux termes desquels, d’ici deux ans, des mesures de rétorsion pourront être instituées contre les pays ne respectant pas leur engagements.

C’est dans ce cadre que la France a signé de nombreux accords en quelques mois, entamant ou relançant des négociations bloquées ou suspendues depuis parfois des années.

C’est ce même contexte qui a permis à la France et à la Suisse de s’entendre sur un nouvel avenant qui permet de mettre la convention de 1966 aux standards internationaux les plus actuels.

2) Le cadre particulier de la négociation franco-suisse

Il convient tout d’abord de rappeler que, outre les deux avenants déjà mentionnés sur lesquels la France et la Suisse s’étaient accordées en 1969 et en 1997, la convention de septembre 1966 avait déjà fait l’objet d’une renégociation à partir de juin 2005, laquelle avait abouti.

En effet, dans le prolongement des engagements que le gouvernement Suisse avait pris dans le cadre de l’accord sur la fiscalité de l’épargne et des travaux de l’OCDE sur la concurrence fiscale dommageable, des négociations en vue d’une modification importante de la convention de 1966 avaient été engagées.

Le 24 novembre 2006, la France et la Suisse avaient même paraphé un avenant à la Convention, signé en janvier 2009, qui élargissait notablement le champ de l’échange d’informations prévu entre administrations dans cette Convention. Néanmoins, la Suisse ne dérogeait pas pour autant à sa pratique traditionnelle, dans la mesure où ce nouveau cadre restait circonscrit aux renseignements nécessaires à l’application de la convention et aux situations constitutives de comportements frauduleux, au sens de la législation interne suisse. Il demeurait dès lors toujours en retrait par rapport aux nouveaux standards internationaux.

En effet, on sait que le modèle de convention de l’OCDE inclut un article sur les échanges de renseignements, qui crée le cadre favorable à une coopération réellement efficace entre signataires et permet à un pays comme le nôtre d’obtenir des renseignements de la part des autorités partenaires sans limitation quant à la nature des impôts, des personnes et des renseignements visés par la demande de renseignements, ni sans pouvoir opposer le secret bancaire. Il permet d’une certaine manière une forme d’automaticité de l’échange d’informations. L’échange, au sens du modèle de convention de l’OCDE, n’est plus soumis, comme autrefois et, spécifiquement, vis-à-vis d’un pays comme la Suisse, à la définition de la fraude fiscale qui, s’il arrive qu’elle diffère entre les Parties, entraîne le refus de transmission d’informations.

Cela étant, concrètement et comme dans le cas des précédentes conventions qui ont été signées par le gouvernement au cours de l’année 2009, le contexte international a joué un rôle majeur et favorable dans l’évolution des positions suisses et, par conséquent, du cadre conventionnel franco-suisse.

En effet, le 13 mars 2009, à l’annonce de la publication prochaine dans le cadre du G20 d’une liste d’Etats n’ayant pas adopté les standards de l’OCDE, la Suisse a fait part de sa volonté de mettre en conformité les conventions auxquelles elle était partie avec les normes les plus récentes en matière d’échange de renseignements. Dès cette annonce, la France a informé ses partenaires de son intention de ne pas poursuivre le processus de ratification de l’avenant signé en janvier 2009 tant que les nouveaux termes en matière d’échange de renseignements fiscaux prévus à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE n’y seraient pas repris. Elle a par conséquent indiqué souhaiter rouvrir les négociations, afin d’y introduire des dispositions relatives à l’échange de renseignements conformes aux standards de l’OCDE, ce qui coïncidait d’ailleurs avec les engagements pris par le Conseil fédéral suisse.

Les délégations française et suisse se sont alors rencontrées au début du mois de juin 2009 pour adapter l’avenant précédemment négocié à ces nouvelles exigences en matière d’échange de renseignements. Un nouveau texte a très vite été signé, le 27 août 2009. Il est conforme, comme on le verra dans la seconde partie de ce rapport, aux dernières avancées en la matière et constitue, à l’évidence, une avancée majeure dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales entre la France et la Suisse en créant le cadre favorable qui faisait défaut à la coopération entre nos deux pays.

3) Les inquiétudes de la Confédération, moteur de l’évolution du texte

Le contexte international actuel a donc clairement et fortement influencé les positions suisses, dès avant que la G20 ne se saisisse du sujet, et a conduit la Confédération à prendre les devants pour mettre en adéquation les conventions auxquelles elle est partie avec les nouveaux standards internationaux.

Il n’est toutefois pas indifférent de rappeler certaines des raisons qui ont incité le gouvernement suisse à entrer dans ce processus, démontrant ainsi que le contexte et ses propres intérêts peuvent faire de la Suisse un partenaire fiable en matière de coopération fiscale.

En effet, la Suisse, 7e place financière mondiale, n’est toujours pas membre du G20 et le déplore vivement. Il faut rappeler qu’elle n’a cessé ces derniers mois de revendiquer de jouer une meilleure place en ce qui concerne les questions de gouvernance mondiale du système financier et cette perspective est un sujet désormais systématiquement évoqué par les autorités gouvernementales suisses, que ce soit à Davos ou lors des entretiens bilatéraux avec leurs partenaires.

De fait, la Confédération se montre d’ores et déjà fort active, dans la mise en œuvre des décisions du G20. Plusieurs aspects notables, abordés par les sommets du G20 ont en effet déjà été l’objet de mesures d’adaptation internes. C’est ainsi le cas en ce qui concerne la question de l’encadrement des rémunérations dans le secteur financier, pour lequel les contraintes ont été renforcées par la FINMA, autorité suisse de surveillance intégrée du secteur financier. Entrées en vigueur au 1er janvier 2010, ces mesures ont par exemple contraint UBS et CSG, les deux plus grands établissements financiers, à mettre en œuvre les modalités de paiements des boni de leurs cadres, liées à leur résultat à moyen terme. Plus récemment, le Conseil fédéral a décidé, fin avril dernier, de mesures supplémentaires pour lutter contre les excès salariaux dans les banques et compagnies d’assurances, comportant notamment un droit de regard de l'Etat si l’établissement faisait appel au soutien public ; de même en est-il encore de la suppression du régime des stock options, ainsi que celle du statut fiscal privilégié dans le secteur.

De même, en matière de ratios prudentiels, les exigences en matière de fonds propres ont-elles été renforcées au début du mois de juillet dernier. L’importance de la place financière, qui représente 11 % du PIB suisse, et le poids des deux grandes banques citées, par rapport à la taille de l’économie helvétique, ont déterminé la Confédération à renforcer ses exigences en fonds propres et liquidités, qui sont d’ores et déjà supérieures aux standards internationaux.

En d’autres termes, un ensemble d’indices montrent que la Suisse semble déterminée, vis-à-vis de ses partenaires, à mettre ses pratiques en conformité avec les résolutions du G20 et de l’OCDE, afin de ne pas avoir à subir les conséquences d’une attitude qui serait considérée comme négative. En témoigne aussi le message du gouvernement suisse au Conseil fédéral dans le cadre de la procédure de ratification de cet avenant, sur son aspect essentiel, celui de l’échange des renseignements : considérant que les négociations avec la France ont été « plutôt difficiles », le gouvernement indique que « du point de vue suisse, et en tenant compte des changements drastiques intervenus récemment sur la scène internationale, et ceux à venir pour les Etats évalués comme non coopératifs en matière d’assistance administrative, les solutions retenues dans le projet d’avenant peuvent être considérées dans l’ensemble comme favorables. » (2), avant de préciser plus loin que « le niveau de l’entraide administrative convenu permettra en particulier d’éviter par ailleurs des contre-mesures qui seraient très dommageables pour la place économique suisse prise dans son ensemble. »

En d’autres termes, la Suisse a aujourd’hui conscience de son intérêt à coopérer avec les pays membres de l’OCDE et notamment la France. Notre commission a ces derniers temps souvent insisté sur la nécessité d’un suivi de l’application des conventions d’échanges de renseignements fiscaux. S’il fallait encore argumenter sur l’importance d’une pression internationale constante sur les paradis fiscaux, sur les Etats traditionnellement peu coopératifs, l’exemple suisse nous confirmerait de son bien fondé : le gouvernement helvétique s’est empressé de faire le nécessaire pour sortir de la liste grise de l’OCDE avant l’automne 2009, sentant ses intérêts menacés. Après la signature avec la Finlande de son douzième accord nécessaire pour cela, l’OCDE a sorti la Suisse de la liste grise le 25 septembre 2009.

Le fait que, après le vote des deux chambres du parlement le 18 juin dernier, l’avenant signé avec la France n’ait finalement pas été soumis au référendum facultatif en matière de traités internationaux, alors même qu’il comporte des dispositions considérées comme autant d’engagements importants pour la Suisse qui pourraient le justifier, comme le gouvernement le rappelait dans son argumentaire, confirme l’impression que la préoccupation est aujourd’hui suffisamment forte pour que tout ce qui pourrait entraîner une crispation de la communauté internationale envers la Confédération soit soigneusement évité.

II – VERS LA FIN DU SECRET BANCAIRE SUISSE

A – L’économie générale de l’avenant de 2009

L’avenant qui a été signé à Berne le 27 août 2009 par Christine Lagarde, ministre de l’économie, et Hanz-Rudolf Merz, président de la Confédération suisse, comporte un total de onze articles qui proposent parfois une réécriture intégrale de certaines dispositions de la convention de 1966.

Comme votre rapporteur l’a déjà mentionné, toute la convention n’est pas concernée par les modifications introduites, dont certaines sont au demeurant d’ampleur modeste, qu’il convient néanmoins de présenter rapidement.

En premier lieu, l’avenant introduit une harmonisation qui faisait défaut entre ses dispositions et celles d’autres textes. Concernant les clauses anti-abus, notamment, l’article 1 de l’avenant aligne le dispositif sur notre droit interne, à savoir sur l’article 119 ter 3 du Code général des impôts qui a transposé la directive 2003/123/CE de décembre 2003 sur le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et à leurs filiales.

De même, l’article 2 de l’avenant simplifie-t-il un dispositif anti-abus complexe et d’application malaisée. Désormais, les dispositifs pour lutter contre situations et transactions abusives entre les deux pays, rénovés et sécurisés, seront faciles et partant, plus efficaces.

Ainsi en est-il encore de l’article 3 de l’avenant qui complète l’article 17 de la convention et aligne la fiscalité des personnels qui exercent leur activité à bord d’un véhicule ferroviaire exploité en trafic international sur celui des personnels exerçant leur activité à bord de bateaux ou avions dans les mêmes conditions ou à bord d’un bateau servant à la navigation intérieure. Jusqu’alors, le lieu d’imposition des salaires des personnels ferroviaires dépendait du lieu d’exercice de l’activité lorsque l’employeur était une entreprise privée. Désormais, quel que soit le statut de l’entreprise, les rémunérations seront « imposables dans l’État contractant où le siège de direction effective est situé. » Cette modification simplifie le traitement fiscal de ce type de revenus, en évitant le débat sur la détermination du lieu d’exercice de l’activité.

Il s’agit encore d’harmonisation, à divers degrés, en ce qui concerne les articles 5 et 6 de l’avenant. L’article 5 prévoit que les « salaires, traitements, pensions et autres rémunérations similaires payés au titre de services rendus dans le cadre d’une activité industrielle ou commerciale exercée par un Etat contractant ou l’une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales, ou par une de leurs personnes morales de droit public » seront imposés dans l’Etat de résidence du bénéficiaire, conformément au modèle de l’OCDE relatif aux fonctions publiques. Jusqu’à présent, l’article 21 de la convention de 1966 qui est ainsi modifié, prévoyait que ces rémunérations n’étaient « imposables que dans l’Etat contractant d’où proviennent ces rémunérations. »

L’article 6 institue une procédure d’arbitrage entre la France et la Suisse, inspirée de la convention européenne d’arbitrage de 1990 pour le règlement des différends liés aux questions d’établissements stables. Cette disposition vient compléter l’article 27 de la convention, relatif aux recours et réclamations.

Cela étant, deux modifications d’importance ont été insérées dans la convention qui appellent de la part de votre rapporteur des commentaires plus développés. Elles concernent la situation des travailleurs frontaliers, d’une part, et la question de l’échange de renseignements fiscaux d’autre part, qui constitue comme on l’a souligné, le cœur de la révision. L’exposé des motifs du gouvernement suisse ne s’y trompe d’ailleurs pas qui ne porte que sur ces deux aspects de l’avenant.

B – La situation des travailleurs frontaliers

Les Parties contractantes ont tout d’abord profité de cette négociation pour insérer une nouvelle disposition qui vient mettre fin à une situation de double exonération en faveur des pensionnés, qu’il convient de rappeler.

En l’état actuel, la Convention fiscale actuellement en vigueur prévoit l’imposition des personnes bénéficiant du versement de pensions exclusivement dans l’Etat dans lequel elles résident. Son article 20 indique en effet simplement que « les pensions et autres rémunérations similaires versées à un résident d’un Etat contractant au titre d'un emploi antérieur ne sont imposables que dans cet Etat. »

L’article 4 de l’avenant modifie ce texte en insérant un second alinéa à l’article 20 de la convention aux termes duquel « Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, ces pensions et autres rémunérations similaires sont également imposables, dans la limite de la fraction non imposée dans l’autre Etat contractant, dans l’Etat contractant d’où elles proviennent, si elles ne sont pas imposées, en tout ou partie, dans l’autre Etat contractant en vertu de son droit interne. » Ce texte appelle quelques commentaires et éléments d’information, ne serait-ce que parce qu’il a suscité une vive opposition de la part des associations de travailleurs frontaliers.

Il faut souligner en effet que les pensions du « deuxième pilier », correspondant aux prestations de retraite complémentaire, peuvent être versées en Suisse sous forme de capital, option qui n’existe pas en droit français pour ce type de pension.

Consécutivement, lorsque des résidents en France, notamment anciens travailleurs frontaliers, perçoivent de telles pensions, celles-ci ne sont aujourd’hui imposées ni en Suisse, - l’article 20 précité de la convention fiscale prévoyant l’imposition de ce type de pensions en France -, ni en France, le droit interne français ne prévoyant pas de mécanisme d’imposition pour les pensions versées en capital. Il convient de préciser aussi que si les pensions en capital de source suisse sont soumises à une retenue à la source lors de leur versement, cette retenue est ensuite remboursée par la Suisse. Les bénéficiaires de ces pensions ne subissent donc en définitive aucune imposition en Suisse et de ce fait, les résidents de France percevant de telles pensions échappent à toute imposition.

Lors de la négociation de l’avenant signé le 12 janvier 2009, la Partie suisse avait demandé à mettre fin à cette situation, ce que la France ne pouvait refuser, sous peine de se voir reprocher de ne pas vouloir mettre un terme à une situation de double exonération contraire au principe d’égalité devant l’impôt, d’autant que les pensionnés qui perçoivent leur pension sous forme de rente sont, eux, imposés. La clause de l’article 4 de l’avenant a en conséquence été insérée, en vertu de laquelle la Suisse retrouve le droit de taxer ces pensions aussi longtemps que celles-ci seront exonérées en France.

La perspective d’une fiscalisation en Suisse des pensions en capital a suscité des interrogations des représentants des quelque 100 000 frontaliers travaillant en Suisse, qui sont en effet plus particulièrement concernés par le versement de ce type de prestations. Des inquiétudes sur l’existence d’une double imposition ont également été exprimées, au motif que l’impôt à la source prélevé en Suisse sur leur salaire est prélevé sur un revenu brut, les cotisations de retraite n’étant pas déductibles.

Renseignements pris par votre rapporteur, il apparaît en fait que les cotisations afférentes aux pensions en capital sont déduites, de manière réelle ou forfaitaire, au cours de la période d’activité des salariés frontaliers, que ceux-ci relèvent ou non du régime frontalier prévu par l’accord frontalier franco-suisse du 11 avril 1983.

S’ils relèvent de ce régime, c’est-à-dire s’ils travaillent dans l'un des huit cantons couverts par l’accord frontalier, ils sont imposés en France, et les cotisations à des régimes de retraite obligatoires suisses, correspondant aux régimes de base et complémentaire français, sont alors déductibles de l'impôt sur le revenu en France, aux terme du code général des impôts (3).

Dans le cas contraire, c’est-à-dire s’ils travaillent dans les cantons non couverts par l'accord franco-suisse du 11 avril 1983, ces frontaliers résidents de France sont imposés conformément aux principes de l’OCDE, c'est à dire en Suisse, Etat d'exercice de leur activité. En ce cas, conformément à la loi fédérale Suisse, ils sont contribuables non-résidents imposables en Suisse et sont effectivement assujettis à la retenue à la source sur leurs salaires bruts, mais le barème applicable prévoit à leur profit une déduction forfaitaire correspondant à la moyenne des déductions admises pour les contribuables résidents en Suisse. L'égalité de traitement entre contribuables résidents de Suisse imposés sur une base nette et non-résidents imposés sur une base brute est ainsi préservée.

En conclusion, votre rapporteur considère qu’on ne peut que souscrire à la disposition qui a été introduite, en ce qu’elle met fin à une situation de double exonération des pensions en capital de source suisse perçues par des résidents français, et préserve à la France le droit d’imposer les pensions en capital si son droit interne venait à évoluer sur ce plan.

Votre rapporteur a souhaité obtenir du gouvernement toutes les assurances quant aux incidences précises que ces réformes auraient sur la situation des travailleurs frontaliers. Le responsable du pôle fiscal au cabinet de Mme Christine Lagarde (4) lui a ainsi exposé le détail des mécanismes envisagés par le ministère. L’article 79 du Code général des impôts sera amendé pour instituer le principe de l’imposition à l’impôt sur le revenu des prestations de retraite versées sous forme de capital. Toutefois, il sera proposé que le capital retraite pour lequel les cotisations étaient déductibles du revenu imposable pendant la période d’activité, puisse bénéficier de modalités spécifiques d’imposition : pour l’établissement de l’impôt sur le revenu, le montant des prestations de retraite ainsi versées pourra, sur demande expresse de l’intéressé, être divisé par quinze.

En d’autres termes, ce dispositif permettra de replacer les intéressés dans la situation qui aurait été la leur s’ils avaient perçu leur retraite sous forme de rente viagère ; l’étalement sur une période de quinze ans, qui correspond à l’espérance de vie moyenne lors du départ à la retraite, atténuera considérablement les effets de la progressivité du barème de l’impôt sur le revenu. Votre rapporteur ne peut que se ranger à cette proposition qui permet, grâce à une taxation appropriée avantageuse, de ne pas pénaliser les intéressés tout en mettant fin à une situation qui ne pouvait plus se justifier. Il appartiendra à la représentation nationale de veiller, le moment venu, à ce que la modification du Code général des impôts sur ce point reprenne effectivement les informations et les assurances qui ont été données à votre rapporteur.

C – L’échange de renseignements fiscaux

C’est bien évidemment la question de l’échange des renseignements fiscaux qui constitue la part la plus importante de l’avenant dans le contexte actuel. On a vu que la France en avait fait la pierre angulaire de sa négociation avec la Suisse. A cet égard, l’article 7 de l’avenant modifie profondément les dispositions jusqu’à aujourd’hui en vigueur en substituant à l’article 28 de la convention actuelle une nouvelle rédaction. Les articles 8, 9 et 10 insèrent sur ce point de nouvelles dispositions complémentaires dans la convention.

Le premier aspect qui doit être souligné est donc la mise en conformité de la convention franco-suisse avec les standards de l’OCDE en matière d’échange de renseignements fiscaux. La nouvelle rédaction de l’article 28 de la convention à laquelle il est ainsi procédé suit les grandes lignes de ce modèle. L’exigence française a donc été satisfaite, la Suisse ayant pris l’engagement de reprendre le standard international, qui ne permet plus d’invoquer le secret bancaire pour refuser de transmettre les renseignements demandés.

Comme pour les autres accords que la France a récemment signés, l’article 7 de l’avenant prévoit en premier lieu que « les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature (5) ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. L’échange de renseignements n’est pas restreint par les articles 1er et 2. » En d’autres termes, cette disposition marque clairement le fait que la pratique suisse traditionnelle, consacrée par la convention de 1966 de ne limiter l’échange d’informations qu’à la seule application de celle-ci, est désormais caduque. Dans son exposé des motifs, précité, le gouvernement suisse reconnaît d’ailleurs explicitement qu’il lui a fallu déroger à ce principe, « sur demande expresse de la partie française qui faisait dépendre la clôture de ce cycle de négociations de l’adoption du présent libellé. » (6)

Les dispositions des paragraphes 2, 3 et 4 de cet article reprennent des dispositions déjà examinées dans d’autres cadres comparables, sans rien y ajouter de déterminant qui justifierait qu’on s’y arrêtât de nouveau, sur l’utilisation des informations transmises, le champ des renseignements ou les obligations de l'Etat requis. Il convient toutefois de noter que l’arrêté fédéral adopté par l’Assemblée fédérale de la Confédération le 18 juin 2010, au terme de la procédure helvétique de ratification, a précisé que « le Conseil fédéral déclare au Gouvernement de la République française que la Suisse n'accorde pas l'entraide administrative en matière fiscale lorsque la demande d'entraide se fonde sur des données obtenues illégalement (…) » (7) Cette précision, qu’on peut trouver redondante, dans la mesure où le nouvel article 28 de la convention franco-suisse stipule que les dispositions de l’accord « ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation : a) De prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l’autre Etat contractant ; b) De fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre Etat contractant. », traduisent néanmoins l’état d’esprit qui anime aujourd’hui les relations entre nos deux pays, sur la base d’événements récents.

En revanche, le cinquième paragraphe de cet article est intéressant, qui consacre la fin de l’opposabilité du secret bancaire suisse : « En aucun cas les dispositions du paragraphe 3 ne peuvent être interprétées comme permettant à un Etat contractant de refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent aux droits de propriété d’une personne. Aux fins de l’obtention des renseignements mentionnés dans le présent paragraphe, nonobstant le paragraphe 3 ou toute disposition contraire du droit interne, les autorités fiscales de l’Etat contractant requis disposent ainsi des pouvoirs de procédure qui leur permettent d’obtenir les renseignements visés par le présent paragraphe. »

En d’autres termes, désormais, comme l’a précisé le gouvernement suisse devant le parlement, « la Suisse ne peut pas refuser de communiquer des renseignements en invoquant uniquement le secret bancaire suisse. » (8) Consécutivement, cette disposition autorise explicitement le fisc suisse à accéder aux informations bancaires et lève par conséquent toute ambiguïté sur la possibilité pour la France d’obtenir des renseignements bancaires de la part des autorités de la Confédération. En application de cet article, la France pourra désormais obtenir des renseignements sans limitation quant à la nature des impôts, l’identité des personnes et la nature des renseignements visés par les demandes qu’elle formulera.

Classiquement, des dispositions complémentaires précisent certaines des modalités de l’échange de renseignements. C’est l’objet de l’article 10 de l’avenant, aux termes duquel « la pêche aux renseignements » est expressément prohibée et qu’est affirmé le principe de subsidiarité. Il est en effet d’une part précisé que « la référence aux renseignements “vraisemblablement pertinents” a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible, sans qu’il soit pour autant loisible aux Etats contractants “d’aller à la pêche aux renseignements” ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé. » étant entendu d’autre part, que « l’autorité compétente de l’Etat requérant formule ses demandes de renseignements après avoir utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne. »

L’article 10 détermine également les conditions de forme dans lesquelles les dispositions de l’avenant pourront s’appliquer, notamment quant aux personnes faisant l’objet de contrôle, aux renseignements précisément demandés, aux périodes visées, et « dans la mesure où ils sont connus, les nom et adresse de toute personne dont il y a lieu de penser qu’elle est en possession des renseignements demandés. » En d’autres termes, comme il est ensuite précisé, l’échange de renseignements spontané ou automatique n’est pas prévu et l’on peut s’attendre que la Suisse appliquera strictement ce qui est énoncé. Le gouvernement suisse a d’ailleurs précisé à ce sujet à l’intention de son parlement que « l’échange de renseignements est limité à des cas de demandes concrètes d’échange de renseignements dans des cas spécifiques. Faute de la mention spécifique des éléments nécessaires permettant l’identification du détenteur des informations, il est clair qu’en tout cas du côté suisse, on ne sera pas en mesure de donner une suite concrète à une demande de renseignements. En particulier, à défaut des indications nécessaires permettant la désignation de la banque en sa qualité de détentrice des informations dans la demande de renseignements, il ne sera pas possible de transmettre les données bancaires. » (9)

Pour autant, comme votre rapporteur l’indiquait plus haut, on peut être certain que la Partie suisse, soucieuse des intérêts de la Confédération, saura appliquer ces dispositions comme elles le doivent : la crainte de se voir appliquer les mesures de rétorsion prévues vis-à-vis des Etats non coopératifs, insérées dans la loi de finances française pour 2010, est d’ailleurs un argument qui a été expressément mentionné dans le débat de ratification suisse.

A signaler enfin que, en complément, l’article 8 précise les conditions d’assistance entre la France et la Suisse, « qui se prêtent mutuellement assistance pour la notification des actes et documents relatifs aux recouvrement des impôts visés par la convention » et autres, ensuite énumérés.

La Suisse ayant achevé ses formalités de ratification, l’avenant entrera en vigueur le jour où le gouvernement français notifiera au gouvernement suisse l’accomplissement des procédures internes, une fois que le Sénat aura approuvé à son tour le projet de loi qui nous est soumis. Il convient enfin de préciser que, en ce qui concerne l’échange de renseignements fiscaux, selon l’article 11 de l’avenant, c’est au 1er janvier 2010 que l’avenant entrera en vigueur.

CONCLUSION

Au terme de son analyse, votre rapporteur se félicite de la fermeté des négociateurs français. L’accord qui a été signé avec la Suisse est à l’évidence symbolique de la dynamique internationale qui est aujourd’hui en faveur de la lutte pour plus de transparence financière. Dans ce cadre, cette négociation a été exemplaire, révélatrice de l’importance de la pression internationale qu’il importe de ne pas relâcher et du rôle du gouvernement français dans cette conjoncture.

Le gouvernement suisse en est bien conscient qui souligne que « l’entrée en vigueur de l’avenant évitera à la Suisse d’être dans une situation difficile et péjorée dans les relations fiscales franco-suisses comparativement aux autres Etats industrialisés, ce qui aurait été nuisible à la capacité concurrentielle suisse. » (10)

Comme votre rapporteur l’a indiqué, la Suisse a d’ores et déjà effectué les procédures parlementaires de ratification. Une procédure référendaire aurait pu ensuite être lancée, et il était préférable pour notre Assemblée de temporiser un peu : une approbation précipitée de la part de la France aurait été inutile si une consultation populaire était venue remettre en question ce qui avait été négocié et en différer l’application de plusieurs mois. Le délai constitutionnel pour l’ouverture d’une telle procédure court jusqu’au 7 octobre prochain, mais les principaux partis politiques suisses ayant annoncé au cours de l’été leur intention de ne pas y recourir, il est désormais essentiel de ratifier sans plus tarder cet avenant qui mettra la convention franco-suisse actuelle aux standards internationaux.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 15 septembre 2010.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Alain Bocquet. La Suisse a signé cet avenant à la seule fin de ne plus figurer sur la liste des paradis fiscaux établie par l’OCDE. Les maigres avancées obtenues en matière d’échange d’informations bancaires ne peuvent pas être considérées comme une réelle transparence en la matière ni comme une levée du secret bancaire suisse. Il y a là beaucoup de faire semblant. Ainsi, à l’article 8 de l’avenant, relatif à l’assistance entre les États contractants pour la notification des actes et documents relatifs au recouvrement, quels sont les effets réellement attendus de la possibilité d’une notification par lettre recommandée ?

L’article 9 invite à établir un lien avec l’actuel débat en France sur la réforme des retraites : en réduisant le poids de la fiscalité sur les fonds de pension au profit des riches citoyens suisses résidant en France, ne risque-t-on pas de créer un précédent à l’égard des futurs fonds de pension français ?

L’amendement visant au rejet de ce texte de notre collègue Jean-Pierre Brard sera défendu par son auteur lors du débat en séance publique sur ce texte.

M. Jean-Paul Dupré. S’il est parfaitement compréhensible que l’on souhaite éviter les doubles impositions sur le revenu et la fortune, connaît-on l’impact de ces stipulations sur la transparence des dépôts bancaires en France et en Suisse, s’agissant en particulier de l’origine de ces fonds ?

M. Robert Lecou.  Pour la détermination de l’imposition des revenus, comment traite-t-on le cas d’un salarié qui serait employé par une entreprise sise en Suisse mais travaillerait dans un autre État ? La même question se pose d’ailleurs pour les personnes morales.

M. François Rochebloine. Monsieur le Rapporteur, vous avez cité le chiffre de 100 000 Français travaillant en Suisse. Quelle est la situation particulière de ceux qu’emploie l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire – le CERN –, dont les installations sont situées à cheval sur la frontière ?

Par ailleurs, comment lutter contre l’impunité dont jouissent les résidents de Suisse qui commettent en France des excès de vitesse ?

M. Alain Néri. Je vois mal l’intérêt que présente la partie de l’avenant consacrée aux retraites, et ce d’autant plus que le critère de l’espérance de vie dont le Rapporteur a fait état est tout relatif : cette espérance est plus longue de sept ans pour une femme que pour un homme, elle varie selon le type d’emploi occupé et elle fluctue aussi à raison de l’invalidité… J’estime par conséquent qu’il faudrait surseoir à l’examen de cette partie du texte.

M. Jacques Remiller. Je souhaite qu’il soit bien précisé que cette convention s’applique à l’échelon fédéral, sans particularisme pour aucun canton suisse, car cela existe dans d’autres cas.

M. Jacques Myard. Mais dans ces cas-là il ne s’agit pas de conventions internationales.

M. Claude Birraux, Rapporteur. À Monsieur Bocquet je répondrai que la confiance dans la bonne application d’une convention internationale s’apparente à un pari pascalien… Une convention doit être appliquée loyalement et il n’y a aucune raison de douter a priori de la bonne volonté des Parties. Je signale à ce propos que l’ambassadeur de France à Berne s’est vu demander l’état de la procédure de ratification de cet avenant par la France car la Suisse souhaite son entrée en vigueur rapide.

Monsieur Néri, les contribuables les plus riches résident plutôt en Suisse qu’en France. L’avenant concerne les travailleurs frontaliers. S’agissant des retraites, je précise qu’une pension à taux plein est acquise en Suisse à 65 ans pour un homme et à 64 ans pour une femme ; à toute pension liquidée avant cet âge s’applique pour toute la durée de son versement une décote de 7 % par an.

Monsieur Dupré, je ne pense pas qu’une banque française quelle qu’elle soit divulgue à tout un chacun l’origine des fonds qu’elle a en dépôt.

Monsieur Lecou, concernant le régime fiscal des travailleurs frontaliers, le canton de Genève n’a pas ratifié la convention, car il existe des possibilités de recours référendaire. Ce canton perçoit donc une retenue à la source et reverse de ce fait l’équivalent de 3,5 % de masse salariale. Pour les travailleurs frontaliers dans les huit autres cantons, l’impôt sur le revenu est acquitté en France et en contrepartie, depuis un accord de 1983, la France reverse à la Suisse l’équivalent de 4,5 % de masse salariale. Quant aux personnes morales, elles sont imposées là où elles ont leur siège.

Monsieur Rochebloine, la situation du CERN est très particulière. 25 pays au moins sont contributeurs et la frontière franco-suisse traverse l’emprise du site, de sorte que le droit applicable, par exemple en matière de marchés publics, fluctue selon l’endroit où l’on se trouve.

S’agissant des excès de vitesse, j’ai été le rapporteur d’une convention ad hoc entre la France et la Suisse ; il n’y a donc pas d’impunité sur ce point.

M. Jean-Paul Dupré. Pour avoir travaillé dans le secteur bancaire en France, je puis vous assurer qu’il existe une obligation de vérifier en cas de doute ou de soupçon l’origine des fonds déposés et de les signaler.

M. Claude Birraux, Rapporteur. J’avais donc mal compris, pardon, votre question.

Mme Martine Aurillac, Présidente. L’amendement de M. Jean-Pierre Brard sera défendu en séance publique.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2338).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris le 9 septembre 1966 (et son protocole additionnel), modifiée par l’avenant signé à Paris le 3 décembre 1969 et par l’avenant signé à Paris le 22 juillet 1997, signé à Berne le 27 août 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’avenant figure en annexe au projet de loi (n° 2338).

© Assemblée nationale

1 () Convention entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) signée à Paris le 9 septembre 1966, approuvée par la loi n° 66-995 du 26 décembre 1966 (JO du 28 décembre 1966), article 28.

2 () Message complémentaire au message du 6 mars 2009 concernant l’approbation du nouvel avenant à la convention contre les doubles impositions avec la France du 27 novembre 2009, § 3 : « Appréciation ». http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20090026

3 () article 83.1°.0 bis

4 () Audition du 29 juin 2010, de M. Blaise-Philippe Chaumont.

5 () En gras : souligné par votre rapporteur

6 () Message du 27 novembre 2009, précité.

7 () Arrêté fédéral portant approbation d’un nouvel avenant à la convention entre la Suisse et la France contre les doubles impositions du 18 juin 2010, article 3.

8 () Ibid.

9 () Message du 27 novembre, précité.

10 () Ibid.