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N
° 3022

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 décembre 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc,

par M. Didier JULIA

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 604 (2008-2009), 472, 473 et T.A. 116 (2009-2010).

Assemblée nationale : 2560.

INTRODUCTION 5

I – LA REFONTE DES DISPOSITIONS BILATÉRALES EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE EST DEVENUE NÉCESSAIRE 7

A – DES STIPULATIONS DISPERSÉES, MODIFIÉES ET COMPLÉTÉES À PLUSIEURS REPRISES 7

B – L’IMPORTANCE DES RELATIONS ENTRE LES PEUPLES FRANÇAIS ET MAROCAIN 8

1) La communauté marocaine en France est très nombreuse 8

2) Plusieurs dizaines de milliers de Français vivent au Maroc 9

C – DES ENJEUX FINANCIERS IMPORTANTS 10

II – LA CONVENTION, QUI COUVRIRA L’ENSEMBLE DES RISQUES ET DES CATÉGORIES D’ASSURÉS, EST PARTICULIÈREMENT FAVORABLE À SES BÉNÉFICIAIRES 13

A – LA PRISE EN COMPTE DE L’ENSEMBLE DES RISQUES ET DES CATÉGORIES D’ASSURÉS 13

B – DES PRINCIPES CLASSIQUES 15

C – L’ADAPTATION AUX SPÉCIFICITÉS DES FLUX MIGRATOIRES ENTRE LES DEUX PAYS, DANS DES CONDITIONS PARTICULIÈREMENT FAVORABLES 16

D – LE PROTOCOLE ANNEXE RELATIF AU LIBRE TRANSFERT DES COTISATIONS À LA CAISSE DES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER 18

CONCLUSION 21

EXAMEN EN COMMISSION 23

I – RÉUNION DU 1ER DÉCEMBRE 2010 23

II – RÉUNION DU 8 DÉCEMBRE 2010 27

ANNEXES 43

ANNEXE 1 – Données chiffrées relatives à l’application des accords et convention de sécurité sociale entre la France d’une part, le Maroc et la Tunisie d’autre part 45

ANNEXE 2 – Note sur les pensions de réversion versées aux veuves d’un assuré polygame dans le cadre des dispositions de coordination de sécurité sociale entre la France et le Maroc 47

_____

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 51

Mesdames, Messieurs,

L’élaboration de la convention de sécurité sociale entre la France et le Maroc signée le 22 octobre 2007 est à replacer dans le travail en cours depuis quelques années visant à actualiser et « refondre » d’anciens accords bilatéraux de sécurité sociale afin de prendre en compte l’évolution des législations des pays concernés en matière de sécurité sociale et, le cas échéant, les nouvelles caractéristiques des flux de population entre les deux pays.

Notre commission a déjà été amenée à examiner, au cours de la douzième législature, deux textes issus de ce travail : la convention générale de sécurité sociale entre la France et la Tunisie signée le 26 juin 2003 et l’entente de sécurité sociale entre le France et le Québec du 17 décembre 2003. Tous les deux sont aujourd’hui en vigueur. Trois autres accords sont actuellement en cours de négociation ou de finalisation : un accord franco-serbe de sécurité sociale, destiné à remplacer la convention générale franco-yougoslave de 1950, un nouvel accord général entre la France et le Canada, et un accord en matière de soins de santé entre la France et l’Algérie. Tous ces nouveaux textes se substituent à des stipulations actuellement dispersées et les complètent. Les principes sont communs, mais chacun est adapté aux spécificités des législations de l’Etat partenaire et à celles des flux de population entre ce dernier et la France.

La nouvelle convention de sécurité sociale franco-marocaine est très proche de l’accord franco-tunisien de 2003 : comme lui, elle couvre la quasi-totalité des publics et des prestations et pose des principes très favorables aux bénéficiaires. Elle est même plus favorable que lui sur un certain nombre de points. Elle est en outre complétée par un protocole annexe relatif au libre transfert des cotisations à la Caisse des Français de l’étranger.

Après avoir expliqué en quoi l’élaboration d’une nouvelle convention de sécurité sociale franco-marocaine était devenue nécessaire, votre Rapporteur en présentera les stipulations, en mettant l’accent sur son adaptation aux spécificités des relations entre les deux pays et sur son caractère particulièrement avantageux pour les bénéficiaires.

I – LA REFONTE DES DISPOSITIONS BILATÉRALES EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE EST DEVENUE NÉCESSAIRE

Peu de temps après l’accès du Maroc à l’indépendance est apparue la nécessité de négocier un accord bilatéral qui visait alors principalement à accompagner la main d’œuvre marocaine qui venait travailler en France. Plusieurs autres textes sont venus la compléter depuis pour élargir son champ d’application personnel et matériel. Mais aucune nouvelle mesure n’a été prise dans ce domaine depuis trente ans, alors que les législations nationales et la mobilité des populations entre les deux pays ont beaucoup évolué pendant cette période.

A – Des stipulations dispersées, modifiées et complétées à plusieurs reprises

La convention générale de sécurité sociale entre la France et le Maroc a été signée le 9 juillet 1965 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1967. Dès l’origine, elle était accompagnée de trois protocoles signés et entrés en vigueur le même jour qu’elle :

– le protocole n° 1 relatif à l’octroi de l’allocation aux vieux travailleurs salariés de la législation française aux ressortissants marocains ;

– le protocole n° 2 relatif au régime d’assurances sociales des étudiants ;

– et le protocole n° 3 relatif aux règlements financiers rattachés à des opérations de sécurité sociale ou de prévoyance sociale.

N’en demeuraient pas moins applicables deux autres instruments de droit international du 31 mars 1961 : la convention de coordination relative à l’accession des salariés français du Maroc et de Tunisie au régime de l’assurance volontaire pour la vieillesse et le protocole relatif aux modalités d’application de la convention du 31 mars 1961.

La convention générale a été modifiée par l’avenant n° 1 du 13 décembre 1973, entré en vigueur le 1er mars 1977, par l’avenant n° 2 du 22 janvier 1976, en vigueur depuis le 1er octobre 1978, et surtout par l’avenant du 21 mai 1979, entré en vigueur le 1er avril 1981.

Quatre autres instruments juridiques ont élargi le champ de la coopération entre les deux pays en matière de sécurité sociale :

– l’accord complémentaire signé à Rabat le 7 mai 1976 relatif au régime de sécurité sociale des marins, modifié par l’avenant n° 1 à l’accord complémentaire signé à Paris le 21 mai 1979 ;

– l’échange de lettres du 7 mai 1976 relatif au régime de sécurité sociale des marins ;

– l’échange de lettres administratives du 23 juin 1972 relatif au transfert, du Maroc en France, des cotisations de rachat d’assurance volontaire dues au titre de la législation française sur l’assurance vieillesse ;

– l’échange de lettres administratives du 15 janvier 1977 relatif au transfert, du Maroc en France, des cotisations de sécurité sociale et d’assurance chômage dues au titre de la législation française par des travailleurs salariés résidant au Maroc.

Le corpus a ainsi été complété au cours des quinze années qui ont suivi l’adoption de la convention générale.

L’article 62 de la convention signée le 22 octobre 2007 abroge l’ensemble de ces instruments juridiques, leur contenu étant rassemblé dans le nouveau texte. C’est ainsi que la nouvelle convention compte soixante-trois articles quand celle de 1965 se limitait à trente.

B – L’importance des relations entre les peuples français et marocain

Les liens historiques franco-marocains, la tradition d’immigration marocaine en France, l’excellente qualité des relations politiques, la densité des échanges économiques, la proximité géographique sont autant de facteurs qui expliquent que les relations entre les peuples français et marocain soient étroites. La communauté française au Maroc n’est évidemment pas aussi nombreuse que la communauté marocaine en France, mais elle augmente régulièrement.

1) La communauté marocaine en France est très nombreuse

Le ministère des affaires étrangères et européennes estime à 800 000 personnes la communauté marocaine en France, dont 350 000 binationaux.

Selon les informations du ministère chargé de l’immigration, 465 923 Marocains étaient titulaires d’un titre de séjour en cours de validité en 2009. Ils étaient environ 10 000 de plus en 2008, et autour de 465 000 entre 2005 et 2007. Les Marocains, constituent, après les Algériens, dont le nombre tourne autour de 580 000 au cours des dernières années, la deuxième communauté étrangère la plus nombreuse en France.

En 2008, la nationalité marocaine a été la première en terme de délivrance d’une première carte de séjour : 27 838 Marocains en ont reçu une, contre 26 312 Algériens. En 2009, le nombre a baissé pour les deux nationalités, mais davantage pour les Marocains (24 977) que pour les Algériens (25 406), qui ont retrouvé le premier rang.

Les Marocains sont aussi derrière les Algériens et devant les Tunisiens pour le nombre de bénéficiaires de cartes de séjour pour motif familial (en 2009, respectivement, 15 855, 17 465 et 7 081 bénéficiaires).

En ce qui concerne les titres de séjour délivrés pour motif d’études, les Marocains occupent également le deuxième rang, mais ils sont devancés par les Chinois : depuis 2004, entre 4 400 et plus de 5 000 jeunes Marocains ont étudié en France (contre 6 000 à 10 500 Chinois et 3 000 à 4 000 Algériens).

Enfin, un nombre important de ressortissants marocains travaillent en France. Au cours des dernières années, les nouveaux venus ont été compris entre 700 et plus de 5 000. Le seuil des 5 000 a été atteint en 2008, alors que seuls 941 titres leur ont été délivrés pour motif professionnel en 2007 et qu’ils étaient 2 357 en 2009. La volonté du Gouvernement de rééquilibrer l’immigration au profit des professionnels et la mise en place de titres de séjour pluriannuels spécifiques expliquent ces fluctuations. Les Marocains sont par exemple nombreux à avoir reçu en 2008 un titre de séjour « saisonnier », valable trois ans.

On constate donc que plusieurs centaines de milliers de Marocains vivent en France, soit de manière définitive, soit pour une période plus ou moins longue, et que les flux de nouveaux arrivants ne sont pas taris, qu’ils répondent à des motifs familiaux, professionnels ou d’études.

Ces chiffres relatifs aux titres de séjour ne tiennent évidemment pas compte des binationaux.

L’importance de l’immigration marocaine en France se traduit par d’abondants flux de capitaux des Marocains résidents en France vers leur pays d’origine : ils ont représenté 1,9 milliard d’euros en 2009, soit 43 % du total des transferts de capitaux des Marocains résidents à l’étranger.

2) Plusieurs dizaines de milliers de Français vivent au Maroc

Selon le ministère des affaires étrangères et européennes, 38 800 Français vivent de façon permanente au Maroc, dont 46 % de binationaux, et 40 000 Français y résident une partie de l’année.

Au 31 décembre 2009, les premiers auraient dépassé les 39 000 inscrits sur le registre des Français établis hors de France, soit 6 % de plus qu’un an auparavant. Le nombre d’inscrits continue à croître – d’un tiers depuis 2004 –, comme en Tunisie, alors que le nombre de Français vivant en Algérie a chuté de 25 % en trois ans. Le Maroc se place ainsi à la onzième place des pays qui accueillent le plus de Français, juste devant l’Algérie où vivent désormais moins de 31 000 de nos compatriotes.

S’y ajoutent 3 millions de touristes français, qui représentent 40 % des arrivées de touristes dans le pays en 2009. Leur présence assure des recettes de l’ordre de 1,7 milliard d’euros par an.

Aussi notre pays a-t-il encore six consulats généraux au Maroc, situés à Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech, Rabat et Tanger.

Le grand nombre de Français est en partie lié à l’intensité des relations économiques entre les deux pays : la France est le premier partenaire commercial du Maroc depuis plusieurs années ; elle assure 18,3 % des échanges extérieurs marocains en 2009. Le solde de la balance commerciale est favorable à la France et a même atteint un niveau record de 1,4 milliard d’euros en 2008, en hausse de 67 % par rapport à l’année précédente.

La France est aussi le premier investisseur étranger au Maroc, dont elle détient plus de 50 % du stock d’investissements directs étrangers. 750 filiales d’entreprises françaises y sont implantées et y emploient 80 000 personnes. De très nombreuses sociétés marocaines sont en outre dirigées par des entrepreneurs français ou à capitaux français. Trente-quatre entreprises du CAC 40 sont présentes au Maroc, mais les PME françaises y sont également de plus en plus actives. Les perspectives sont très positives : Renault-Nissan va s’implanter à Tanger, où le groupe a prévu de réaliser des investissements directs compris entre 600 millions et 1 milliard d’euros, auxquels s’ajouteront ceux de ses sous-traitants.

Le nombre de détachements de salariés français au Maroc témoigne de cette vitalité des relations économiques franco-marocaines. En 2008, selon le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, 12,74 % des détachements français concernaient le Maroc, qui occupe la deuxième place après les Etats-Unis pour l’accueil de salariés détachés français. 8 724 détachements correspondaient à des missions de moins de trois mois, 619 à des détachements pour une durée comprise entre trois mois et un an, 102 pour des détachements de un à deux ans et 73 pour un détachement de deux à trois ans.

C – Des enjeux financiers importants

La densité des échanges de populations entre les deux pays et la fréquence des allers-retours se traduit par le versement croisé de prestations sociales d’un montant très considérable, en application des stipulations précitées.

Le rapport statistique du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale permet de constater l’impact financier pour la sécurité sociale française de la convention générale de sécurité sociale et des autres accords actuellement en vigueur (1).

Il apparaît que, en matière de soins de santé, les flux financiers sont limités (le Maroc a notifié des dettes d’un montant de 16 117 euros en 2008, 30 746 euros en 2007, 2 390 172 euros en 2006). A titre comparatif, les créances présentées par la France sont quasi-inexistantes (2 938 euros en 2007).

En matière de prestations familiales transférées par la France pour les enfants résidant au Maroc, le montant s’élève – tous régimes confondus – à 3,16 millions d’euros pour 6 412 bénéficiaires en 2008. Ce chiffre est en constante baisse depuis 2000 (et en repli de 25 % par rapport à 2007).

Les flux financiers de loin les plus importants concernent les risques longs (rentes accidents du travail maladie professionnelle – AT-MP –, pensions d’invalidité, pensions de vieillesse, etc.) : au total, ce sont plus de 370 millions d’euros qui ont été transférés de la France vers le Maroc à ce titre en 2008, selon la répartition qui apparaît dans le tableau suivant.

LES TRANSFERTS FINANCIERS DE LA FRANCE VERS LE MAROC
POUR LES RISQUES LONGS, EN 2008

 

Type de prestations

Nombre de bénéficiaires

Montants

(en milliers d’euros)

Part du total des prestations du même type transférées (en %)

Rentes AT-MP (inclus rentes de survivants)

4 011

17 333,8

8,81

Pensions d’invalidité (inclus pensions de survivant invalide)

485

2 135

26,98

Pensions de vieillesse (inclus pensions de réversion)

82 624

267 093,8

13

Allocation de retraite complémentaire (AGIRC, ARRCO – inclus allocations de réversion)

55 499

80 261,8

14,17

Allocation de veuvage

302

3 576,1

25,07

Allocation décès

11

33

16,62

Source : rapport statistique du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale.

 

Actuellement, il n’existe pas de statistiques marocaines équivalentes permettant d’établir une comparaison, mais les flux sont certainement bien moins élevés.

II – LA CONVENTION, QUI COUVRIRA L’ENSEMBLE DES RISQUES ET DES CATÉGORIES D’ASSURÉS, EST PARTICULIÈREMENT FAVORABLE À SES BÉNÉFICIAIRES

L’accord franco-marocain signé le 22 octobre 2007 répond à la même logique que celle qui a présidé à la signature de l’accord franco-tunisien du 4 décembre 2003. Il est inspiré du même modèle, dont il ne se distingue que sur quelques points, soit pour s’adapter à des particularités marocaines, soit afin d’être encore plus favorable aux bénéficiaires de prestations.

Comme lui, il englobe l’ensemble des risques et des catégories d’assurés, il repose sur des principes classiques mais tient compte de certaines spécificités des flux de populations entre les deux pays.

A – La prise en compte de l’ensemble des risques et des catégories d’assurés

L’article 2 de la convention détermine son champ d’application personnel. Les personnes visées sont, en ce qui concerne la France, les travailleurs exerçant ou ayant exercé une activité salariée, non-salariée ou assimilée en France, les fonctionnaires civils et militaires de l’Etat et les fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers ; en ce qui concerne le Maroc, sont visés les travailleurs qui sont ou ont été soumis à la législation marocaine de sécurité sociale, les fonctionnaires civils et militaires de l’Etat, le personnel des collectivités territoriales et celui des établissements publics, le personnel soumis au régime collectif d’allocation retraite et celui relevant de systèmes particuliers de protection sociale. Pour ces catégories, les ayants droit sont aussi concernés par la convention. En ce qui concerne la France, les personnes n’exerçant pas d’activité (mais ayant cotisé à une assurance volontaire) bénéficieront également de ses stipulations.

Le champ d’application personnel de la convention est ainsi plus large que celui qui est couvert par l’ensemble des normes actuellement en vigueur. Il englobe en effet les travailleurs non salariés et les chômeurs indemnisés. Les fonctionnaires, les personnes en formation professionnelle, les préretraités, les demandeurs et titulaires de pensions qui ne résident pas dans l’Etat compétent pourront aussi bénéficier des prestations en nature de l’assurance maladie dans l’Etat de résidence. C’est surtout pour les pensionnés que cette extension est importante, car ils sont nombreux à retourner vivre au Maroc après avoir achevé leur carrière professionnelle en France, comme en atteste les quelque 140 000 pensions et retraites complémentaires versées par notre sécurité sociale au Maroc.

Le droit aux allocations familiales est également étendu aux fonctionnaires, chômeurs, rentiers et pensionnés. En outre, la notion d’ayant droit est élargie : alors que l’ancienne convention n’accordait un droit aux prestations qu’aux salariés et aux familles restées au pays, ce droit sera ouvert aux membres de la famille qui se déplacent avec l’assuré.

Les conditions de nationalité sont différentes selon que l’intéressé a cotisé en France ou au Maroc : dans tous les cas, les ressortissants français et marocains ainsi que les réfugiés statutaires bénéficient des stipulations de l’accord, mais le traitement des ressortissants d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou d’un Etat membre de l’Espace économique européen est différent selon le pays où il a cotisé. Côté français, tous les ressortissants de ces États bénéficient de ces stipulations comme un Français ou un Marocain ; côté marocain, ce ne sera le cas que s’ils sont ressortissants d’un Etat qui est lié au Maroc par un instrument juridique portant coordination de leurs régimes de sécurité sociale ou de protection sociale (2), ce qui constitue néanmoins un progrès puisque le droit antérieur à cette convention n’ouvrait pas de droits pour ces personnes.

Les législations couvertes par la convention, énumérées à l’article 3, sont très nombreuses : elles englobent l’ensemble des régimes (ceux des salariés des professions agricoles et non agricoles comme ceux des non-salariés, à quelques exceptions près, ainsi que les régimes spéciaux de sécurité sociale et l’assurance volontaire), et des risques (vieillesse et invalidité, accidents du travail, maladie et maternité, famille). Les législations marocaines visées sont moins complexes et moins nombreuses, mais couvrent de même l’ensemble des risques.

Le titre II de la convention met ainsi en place des dispositions de coordination en matière d’assurance maladie et maternité (chapitre Ier), de prestations familiales (chapitre II), d’assurance vieillesse et décès et de pensions de survivants (chapitre III), d’allocation décès (chapitre IV), d’assurance invalidité (chapitre V) et d’assurance accidents du travail et maladies professionnelles (chapitre VI).

Le fait que cette convention couvre l’ensemble des branches de la sécurité sociale traduit les relations anciennes et profondes qui unissent la France et le Maroc. En effet, tous les accords signés par la France dans ce domaine ne sont pas aussi complets. L’accord franco-tunisien, déjà très large, n’incluait ainsi que l’assurance volontaire vieillesse quand celui-ci prend aussi en compte l’assurance volontaire en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

B – Des principes classiques

Le principe de base, énoncé à l’article 4, est celui de l’égalité de traitement. Toutes les personnes entrant dans le champ d’application défini à l’article 2 bénéficient du même traitement qu’un Marocain vivant au Maroc ou qu’un Français résidant en France, dès lors qu’elles résident sur le territoire de l’un ou l’autre Etat.

L’article 5 pose le principe selon lequel « les travailleurs exerçant leur activité en France et/ou au Maroc sont soumis respectivement aux régimes de sécurité sociale applicables en France ou au Maroc ou à ces deux régimes en cas d’activité dans les deux États. » Suit néanmoins une série de dérogations à ce principe, accompagnées le plus souvent de plusieurs conditions, en particulier de durée de l’activité exercée à l’étranger : les salariés détachés par leur employeur dans un autre Etat, les travailleurs non-salariés qui effectuent une prestation de service, les fonctionnaires – les personnels non fonctionnaires des postes diplomatiques et consulaires sont soumises au régime de l’Etat où ils exercent leur activité, sauf s’ils sont ressortissants de l’Etat accréditant, cas dans lequel ils peuvent opter pour le régime de sécurité sociale de cet Etat –, les agents non titulaires mis par l’un des États à la disposition de l’autre au titre de la coopération technique lorsqu’un organisme de l’Etat d’envoi assure leur rémunération (lorsqu’ils sont rémunérés par un organisme de l’Etat où ils travaillent, ils sont souvent au régime social de cet Etat).

La nouvelle convention allonge à trois années renouvelables une fois la durée pendant laquelle un salarié peut bénéficier du statut de détaché, contre un an auparavant ; pour les travailleurs non-salariés – catégorie qui n’était pas prise en compte dans le droit antérieur –, la position de détachement est possible pour une durée de six mois non renouvelable.

Des règles particulières s’appliquent au personnel roulant ou navigant des entreprises de transports internationaux, soumis, en principe et sauf exceptions précisées dans le même article, à la législation de l’Etat sur le territoire duquel l’entreprise a son siège. De même, le travailleur qui exerce son activité à bord d’un navire est soumis à la législation de l’Etat contractant dont ce navire bat pavillon.

Par ailleurs, dans l’esprit du principe général, les étudiants sont assurés auprès du régime de sécurité sociale de l’Etat où ils effectuent leurs études, dès lors qu’ils ne peuvent plus bénéficier de la qualité d’ayant droit.

Le dernier alinéa de l’article 5 permet aux autorités administratives compétentes de prévoir, d’un commun accord, d’autres dérogations aux règles d’assujettissement, « dans l’intérêt de certaines catégories de personnes ou de certaines personnes ». Cette possibilité permettra notamment de régler, au cas par cas, des situations individuelles de prolongation de détachement supérieure à la durée normalement autorisée, ou celles des marins ressortissants d’un Etat partie qui travaillent à bord d’un navire battant pavillon de l’autre Etat et souhaitent rester soumis à la législation sociale de leur pays d’origine.

Un autre principe décliné pour chacun des risques est relatif à la totalisation des périodes d’assurance : lorsqu’un travailleur ne justifie pas de la durée d’assurance prévue par la législation de l’Etat d’affiliation pour l’ouverture ou le maintien d’un droit, il est fait appel aux périodes d’assurance antérieurement accomplies sous la législation de l’autre Etat. Ce principe vaut pour l’assurance maladie et maternité (article 6), les prestations familiales (article 19), l’assurance vieillesse et décès (article 23), l’allocation décès (article 32), l’assurance invalidité (article 34).

Les règles de calcul des pensions (article 24) prévoient plusieurs méthodes ; c’est toujours le montant le plus élevé qui doit être retenu.

Comme c’est très souvent le cas pour ce type d’accord, les modalités d’application de la convention sont fixées par un arrangement administratif général, en application de son article 51. Un nouvel arrangement administratif a été signé le 27 avril 2009, qui regroupe toutes les mesures d’application de la convention, y compris les formulaires, quand il existait auparavant un arrangement administratif spécifique en fonction des personnes et des branches et d’autres arrangements relatifs aux formulaires. Il apporte des précisions sur l’application des stipulations qui n’existaient pas dans le droit antérieur, simplifie le circuit permettant de bénéficier des prestations en espèces et prévoit que le remboursement des prestations en nature se fera dans des délais qu’il fixe et sur la base des coûts réels – et non plus une base forfaitaire.

C – L’adaptation aux spécificités des flux migratoires entre les deux pays, dans des conditions particulièrement favorables

Un certain nombre de dispositions de la convention répond aux spécificités de migrations de travail de grande ampleur, souvent, mais pas toujours, accompagnées du regroupement familial. Ces dispositions figurent aussi, pour l’essentiel, dans l’accord signé avec la Tunisie et dans celui en cours de négociation avec l’Algérie.

La proximité géographique des deux pays et le maintien de liens étroits entre les migrants et leur famille restée au Maroc entraînent de fréquents séjours des migrants dans leur pays d’origine et des visites en France de leurs ayants droit résidant au Maroc.

C’est pourquoi la convention lève les éventuelles clauses de résidence en matière de prestations vieillesse (article 22), d’assurance invalidité (article 33), d’assurance accidents du travail et maladies professionnelles (article 39). Cette levée de la clause de résidence est plus favorable que celle figurant dans l’accord franco-tunisien : en effet, ce dernier considérait comme remplie la condition de résidence si le bénéficiaire résidait dans l’un des deux États contractants ou sur le territoire d’un Etat tiers lié à chacun des deux États par un instrument de coordination en matière de sécurité sociale ; la convention franco-marocaine stipule qu’aucune condition de résidence n’est opposable aux personnes visées par la convention, « quel que soit leur lieu de résidence ». Elle est donc incontestablement plus favorable.

Un nombre important de dispositions porte sur les différents cas de transferts de résidence d’un Etat vers l’autre, qui sont en général autorisés sous réserve de l’autorisation de l’institution d’affiliation et de certaines limites de durée. Les prestations en nature sont généralement servies par l’institution du lieu de résidence selon les dispositions qu’elle applique, à la charge de l’institution compétente ; les prestations en espèce le sont directement par l’institution compétente selon la législation qu’elle applique et à sa charge (articles 7 à 10 pour l’assurance maladie et maternité, article 40 pour l’assurance accidents du travail et maladies professionnelles). La convention traite la question du congé de paternité, qui n’était pas abordée dans l’accord franco-tunisien.

De la même manière, l’article 12 de la nouvelle convention accorde aux ayants droit d’un travailleur, qui résident habituellement dans l’autre Etat alors que le travailleur réside sur le territoire de l’Etat compétent, le bénéfice des prestations en nature de l’assurance maladie.

L’article 20 ouvre le droit aux allocations familiales conventionnelles pour les enfants des travailleurs qui résident sur le territoire de l’autre Etat, tout en limitant leur paiement à quatre enfants. Cette disposition, qui figure dans l’actuelle convention ainsi que dans les accords entre la France et la plupart des États africains, résulte de la volonté française, à l’époque de la négociation des premiers accords, de ne pas se trouver pénalisée par les différences de natalité et de se préserver des difficultés liées à la polygamie, qui était interdite en France mais autorisée dans certains de ces pays. Tel est notamment le cas au Maroc, ce qui explique que l’article 31 de la convention fixe les règles de partage des pensions de survivants entre plusieurs épouses, qui sont différentes selon que la prestation a été acquise en France ou au Maroc (3). La proportion des ménages marocains en situation de polygamie n’est pas connue, mais le ministère marocain de la justice compte moins de mille hommes par an prenant une deuxième épouse, ce nombre étant en baisse tendancielle. Il faut probablement y voir une conséquence de l’entrée en vigueur, en 2004, du nouveau code de la famille qui pose notamment de sévères conditions à la polygamie et à la répudiation.

En outre, pour tenir compte du fait que les migrants ont pu aussi travailler dans un Etat tiers, l’article 23 prévoit, en matière d’assurance vieillesse et décès, la prise en compte des périodes cotisées dans les États tiers liés à chacun des deux États par un instrument de coordination en matière de sécurité sociale prévoyant la totalisation des périodes d’assurance ou assimilées (4). Contrairement aux stipulations de l’accord franco-tunisien, le paiement des pensions de vieillesse sera en revanche assuré en cas de résidence dans un Etat tiers même si ce dernier ne remplit pas cette condition (article 29).

Le chapitre relatif à l’assurance invalidité prévoit un mode de liquidation des pensions (article 33) différent par rapport à celui retenu dans l’accord franco-tunisien. En effet, le Maroc a souhaité conserver les stipulations de la convention de 1965 selon lesquelles les droits sont liquidés au regard d’une seule législation, celle de l’Etat dans lequel l’interruption de travail suivie de l’invalidité est intervenue (5). C’est la solution retenue dans la plupart des accords de sécurité sociale conclus par la France. Le droit à pension d’invalidité du régime marocain est ouvert à partir de trois ans ou 1 080 jours d’assurance, alors que cinq années sont exigées en Tunisie.

D – Le protocole annexe relatif au libre transfert des cotisations à la Caisse des Français de l’étranger

C’est en 2004 que la Caisse des Français de l’étranger (CFE) a signalé au ministère des affaires étrangères les difficultés rencontrées par certains adhérents pour transférer leurs cotisations en France.

Ces difficultés tenaient à deux obstacles principaux. Le premier était lié à l’existence d’un contrôle des changes au Maroc. Si les étrangers résidents peuvent transférer l’intégralité de leur revenu et, par conséquent, leurs cotisations, il n’en va pas de même pour les binationaux. Considérés comme Marocains, ils sont soumis au contrôle de changes qui limite l’exportation du dirham marocain. Le second obstacle découlait de l’interprétation possible de la loi chérifienne portant code des assurances. La CFE était ainsi considérée, par certains de ses interlocuteurs marocains, comme une entreprise d’assurance privée devant se soumettre aux dispositions de cette loi (qui comprennent notamment une obligation d’agrément).

Ces problèmes sont restés marginaux et ne concernent actuellement qu’une dizaine de personnes. En 2005, l’enjeu financier était limité à 300 000 euros, ce qui est peu en comparaison des dépenses engagées par les assurés à la CFE (7 millions d’euros) résidents au Maroc et des remboursements effectués (5 millions d’euros). Il a néanmoins été décidé de profiter de la négociation de la convention de sécurité sociale pour résoudre définitivement ces difficultés.

Signé le même jour que la convention, le protocole fixe le principe de libre transfert des cotisations d’assurance volontaire pour les cas qui ne sont pas prévus par la convention elle-même. Ce principe bénéficie aux adhérents et cotisants à la CFE. Le gouvernement marocain reconnaît ce principe. L’article 2 rappelle que cette reconnaissance n’exonère pas ces personnes de l’obligation de cotiser au régime d’assurance obligatoire prévu par la loi marocaine, lorsqu’elles sont soumises à cette obligation. Il ne fait que rappeler un principe général : l’adhésion à la CFE est toujours volontaire ; les Français qui résident à l’étranger sont naturellement tenus de respecter la loi de leur pays de résidence, y compris en matière de sécurité sociale.

Le protocole entrera en vigueur dans les mêmes conditions que la convention à laquelle il est annexé. Il reste indépendant de celle-ci et peut donc être dénoncé de manière autonome, tout comme il peut rester en vigueur même si la convention ne l’est plus.

CONCLUSION

Cette convention ne se contente ainsi pas de regrouper des stipulations actuellement dispersées ; elle apporte aussi un certain nombre de compléments et comporte des règles nouvelles qui sont plus avantageuses pour les bénéficiaires que les précédentes et que la plupart de celles incluses dans l’accord similaire de sécurité sociale franco-tunisien de 2003. Cette évolution favorable traduit la grande qualité des relations humaines, politiques et économiques entre la France et le Maroc.

La convention et le protocole annexe relatif au libre transfert des cotisations à la Caisse des Français de l’étranger ont été adoptés, côté marocain, par le conseil des ministres le 26 novembre 2009. La convention est actuellement soumise par le secrétariat général du gouvernement au Cabinet royal pour obtenir le sceau du roi. Il s’agit de la dernière étape de la procédure de ratification, avant l’envoi de l’instrument marocain d’approbation à la France.

Le présent projet de loi a pour sa part été adopté par le Sénat le 31 mai 2010. Votre Rapporteur est favorable à son adoption.

EXAMEN EN COMMISSION

I – Réunion du 1er décembre 2010

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 1er décembre 2010.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le Rapporteur, pouvez-vous préciser ce que recouvre exactement le montant de 370 millions d’euros que vous avez cité, et quelles sont les incertitudes sur le coût de la mise en œuvre de cette convention ?

M. Didier Julia, rapporteur. Le montant de 370 millions d’euros que j’ai mentionné correspond à la totalité des dépenses effectuées par la France au Maroc en application des différents instruments juridiques en vigueur. L’incertitude porte sur le coût supplémentaire qu’entraînera l’application de la convention par rapport à celle des différents accords préexistants. Cela concerne par exemple toutes les familles de travailleurs marocains exerçant en France qui effectuent de fréquents allers-retours entre notre pays et le Maroc. Cela concerne également tout travailleur marocain ayant cotisé en France et qui, prenant sa retraite, pourra la toucher où qu’il réside en Europe – et pas seulement au Maroc, c’est là un progrès de la nouvelle convention – comme s’il se trouvait sur le territoire français.

M. le président Axel Poniatowski. Les stipulations relatives aux pensions de retraite sont parfaitement légitimes. Là où le bât blesse, c’est que nous ne disposons d’aucune information précise sur l’impact d’un élargissement de l’assurance maladie à tous les membres des familles, où qu’ils se trouvent.

M. Jean-Paul Dupré. Je souhaiterais disposer de précisions sur la réciprocité de la convention, sur l’étendue des risques couverts et sur le nombre de personnes concernées.

M. Didier Julia, rapporteur. La réciprocité est évidemment totale. 800 000 Marocains, dont 350 000 binationaux, résident en France, tandis que quelque 40 000 Français sont établis au Maroc de façon permanente. Comme beaucoup de travailleurs originaires d’Afrique du Nord, ceux venant du Maroc pour travailler en France retournent ensuite souvent dans leur pays. Par ailleurs, les Français sont de plus en plus nombreux à prendre leur retraite au Maroc. Enfin, je puis vous indiquer que la France verse environ 150 000 prestations sociales, tous risques confondus, à des bénéficiaires résidant au Maroc.

M. Jacques Bascou. Si nous attendons encore de savoir quel coût supplémentaire représenterait l’application de cette convention, ne pouvons-nous craindre dès à présent qu’elle ne dégrade encore les comptes sociaux dans notre pays, où par ailleurs la générosité des prestations va diminuant ? À l’inverse cependant, je note que les personnes concernées par la convention ont travaillé et cotisé pour leur retraite ; s’agit-il donc de travailleurs dans tous les cas ?

M. Didier Julia, rapporteur. Les personnes concernées ont cotisé à la sécurité sociale ou sont des ayants droits.

M. Philippe Cochet. Ce projet devrait être en principe accompagné d’une étude d’impact. Il est atterrant, compte tenu du déficit de la sécurité sociale, de ne pas obtenir d’éléments chiffrés sur le coût induit par cette convention. Sans remettre en cause le bien-fondé de ce projet de loi, je me demande si nous ne devrions pas attendre, avant de le voter, de disposer de ces éléments. À défaut, personnellement, je m’abstiendrais.

M. Didier Julia, rapporteur. Le projet de loi dont nous débattons a été déposé avant que les études d’impact ne deviennent obligatoires.

M. François Rochefort. Le surcoût qu’implique cette convention est certes inconnu mais connaît-on le nombre de personnes concernées ? Par ailleurs, une retraite liquidée en France peut-elle être perçue au Maroc ?

M. le président Axel Poniatowski. Sur le deuxième point, cela est non seulement possible mais tout à fait normal.

M. Didier Julia, rapporteur. Quant au premier point, j’ai indiqué que 150 000 prestations étaient servies, ce qui signifie que le nombre de personnes concernées est inférieur car une même personne peut bénéficier de plusieurs prestations.

M. Jean-Paul Lecoq. Je suis disposé à soutenir a priori tout ce qui peut améliorer les relations entre la France et le Maroc ! (Sourires). Je m’interroge néanmoins sur l’impact de cette convention et sur l’existence de contrôles pour encadrer son application en matière d’assurance maladie. Alors que dans ma ville les contrôles diligentés par les caisses de sécurité sociale sont fréquents et sévères, qu’en est-il au Maroc pour le versement de prestations par la France ?

Sur un tout autre plan, plus personnel, j’avoue mon étonnement devant l’absence de réaction officielle de la part des députés français lorsque l’un de leurs collègues, quelle que soit son appartenance politique, se fait expulser indûment par un gouvernement étranger.

Enfin, Monsieur le Président, je souhaiterais connaître vos intentions s’agissant du débat que j’ai demandé sur la situation au Sahara occidental.

M. le président Axel Poniatowski. Nous sommes un certain nombre à nous être prononcés publiquement, à l’instar du ministre des affaires étrangères et européennes, contre l’expulsion parfaitement anormale que vous avez subie. Certains médias ont d’ailleurs rendu compte de nos protestations.

Je vous répondrai ultérieurement au sujet du débat que vous souhaitez voir organisé lorsque le Bureau de notre commission donnera son avis, mi décembre, sur la création d’un groupe d’étude sur le Sahara occidental qu’il appartient in fine au Bureau de notre Assemblée d’autoriser ou non. A titre personnel, compte tenu de l’évolution de la situation sur le terrain avec le démantèlement du Camp de El-Ayoun et du vote intervenu au Parlement européen, il y a peu, je serai favorable à la création d’un groupe d’études. L’Assemblée nationale ne peut pas rester inactive sur ce dossier.

M. Didier Julia, rapporteur. À propos de l’impact de la convention dans le champ de l’assurance maladie, je peux vous indiquer que pour l’année 2008, la France a remboursé en ce domaine 16 117 euros au Maroc, ce qui semble très faible.

M. Patrick Labaune. Afin de ne pas émettre un vote de rejet à l’encontre d’un très bon rapport, n’aurions-nous pas intérêt à reporter notre vote dans l’attente d’informations plus précises sur l’impact financier de la convention ?

M. Jean-Paul Bacquet. J’approuve notre collègue Jean-Paul Lecoq sur la question des contrôles. En France, les médecins prescripteurs s’inscrivent dans un cadre conventionnel, ce qui implique l’existence de contrôles, si perfectibles soient-ils. Mais à l’étranger, où les prescripteurs ne sont par définition pas conventionnés avec l’assurance maladie française, il n’y a aucun contrôle. J’ai en mémoire des exemples précis de caisses locales de sécurité sociale ayant découvert un système de fraude aux arrêts de travail, ceux-ci étant « achetés » à des médecins étrangers juste avant le retour en France à la fin des congés… De même a-t-on connu une prolifération de miliaire tuberculeuse au Maroc, qui n’était en fait qu’une escroquerie consistant à truquer des radiographies avec des complicités locales puis à envoyer les clichés en France pour s’y faire reconnaître victime de maladie professionnelle !

J’insiste donc sur ce problème de l’absence de contrôle qui me semble difficile à résoudre : on ne va pas, en effet, faire venir un travailleur marocain en France pour effectuer un contrôle, de même qu’il est peu probable que des contrôleurs français soient acheminés au Maroc.

Mme Martine Aurillac. D’autres accords du même type existent-ils avec des États voisins, comme la Tunisie ?

M. Didier Julia, rapporteur. Tel est précisément le cas. L’accord franco-tunisien, dont le contenu est très similaire à celui de la convention que nous examinons ce matin, donne toute satisfaction. Je me permets de vous rappeler que le projet de loi autorisant son approbation avait d’ailleurs fait l’objet d’un vote favorable et unanime de notre commission, en dépit de son impact financier imprécis.

Mme Chantal Bourragué. L’expression « ayant droit » recouvre-t-elle la même réalité en France et au Maroc ?

M. Didier Julia, rapporteur. La convention élargit la notion d’ayant droit : alors que l’ancienne convention n’accordait un droit aux prestations qu’aux salariés et aux familles restées au pays, ce droit sera ouvert aux membres de la famille qui se déplacent avec l’assuré. Je vous signale par ailleurs que le versement des prestations familiales est limité à quatre enfants par famille, eu égard aux cas de polygamie. Du reste, la polygamie est en recul au Maroc, où elle concerne tout de même, comme je viens de l’indiquer, 1 000 nouveaux foyers chaque année.

M. Gérard Menuel. Comment les stipulations de l’article 31 relatives à la réversion s’appliquent-elles en cas de polygamie ?

M. Didier Julia, rapporteur. La législation diffère sur ce point entre la France et le Maroc : dans ce pays, le partage des prestations s’effectue également entre les épouses, tandis qu’en France il s’effectue au prorata du nombre d’années de vie commune.

M. le président Axel Poniatowski. Je retire de nos débats que nous serons très probablement amenés in fine à approuver ce projet de loi. La convention dont il demande l’approbation ne pose aucun problème dans le domaine de la retraite ; en revanche, des questions se posent en matière d’assurance maladie. Nous avons besoin de disposer de davantage d’informations en ce domaine, notamment à propos des contrôles prévus, même si je suis persuadé que ces contrôles sont conduits au Maroc avec une rigueur identique – sinon supérieure – à celle observée en France. Mais devant l’absence d’étude d’impact il nous est difficile d’approuver ce projet « à l’aveugle ». Par conséquent, je vous propose de reporter notre vote sur ce projet qui sera de nouveau inscrit à l’ordre du jour de la commission.

Suivant la proposition du Président, la Commission décide de reporter son vote sur le projet de loi n° 2560.

II – Réunion du 8 décembre 2010

1) Audition

M. le président Axel Poniatowski. La semaine dernière, sur le rapport de notre collègue Didier Julia, nous avons décidé de reporter notre vote sur le projet de loi visant à autoriser la conclusion d’une nouvelle convention de sécurité sociale conclue entre la France et le Maroc.

Cette convention n’était pas assortie d’une étude d’impact, obligatoire depuis le 1er septembre 2009 – ce texte a été déposé fin août 2009 – ce qui ne signifie pas, bien entendu, que ce projet n’ait aucun impact.

Or, ce sont justement les conséquences de l’entrée en application de ce texte – qui se substitue nous l’avons compris à toute une série de conventions en vigueur – que nous voudrions connaître avec davantage de précisions avant de voter ce projet de loi qui nous est soumis.

Pour nous éclairer, sont présents parmi nous ce matin M. Cyrille Rogeau, sous-directeur d’Afrique du Nord et M. Jean-François Casabonne-Masonnave, sous-directeur des conventions et de l’entraide judiciaire, au ministère des affaires étrangères et européennes et Mme Anne Girel, qui a été désignée pour remplacer Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales de la direction de la sécurité sociale, auprès des ministères chargés du travail, de la santé et des comptes publics.

M. Rogeau pourrait, je pense, nous préciser les flux de population entre la France et le Maroc et de ce fait nous donner une idée de la population concernée par ce texte.

M. Casabonne-Masonnave nous présentera les conditions de négociation de la convention et ses apports par rapport au droit actuel.

Enfin, Mme Girel pourrait nous donner des précisions sur les flux financiers entre la France et le Maroc, résultant de l’application des textes en vigueur et nous indiquer le surcoût éventuel résultant du nouveau dispositif que nous étudions.

Mes chers collègues, je pense que nous aurons ainsi, grâce à la participation de nos intervenants, reconstituer l’étude d’impact qui, incontestablement, nous a manqué sur ce projet.

M. Jean-François Casabonne-Masonnave, sous-directeur des conventions et de l’entraide judiciaire au ministère des affaires étrangères et européennes. J’espère que nous parviendrons à apporter des réponses suffisamment précises à vos questions.

Il est vrai que la négociation de cette convention a été lancée il y a plusieurs années, dans un contexte où les questions financières, sans être laissées de côté, n’occupaient pas une place aussi centrale qu’aujourd’hui. Les négociations actuelles prennent désormais davantage en compte cet aspect, mais il est vrai qu’il est souvent difficile d’obtenir des prévisions de dépenses aussi exactes qu’on pourrait le souhaiter.

M. Cyrille Rogeau, sous-directeur d’Afrique du Nord au ministère des affaires étrangères et européennes. De par mes fonctions, je ne suis pas un expert des questions de sécurité sociale, mais je tiens à rappeler en quelques mots la qualité des relations franco-marocaines dans le cadre desquelles la négociation de cette convention s’est inscrite.

La partie marocaine a ratifié la convention depuis longtemps et attend désormais son entrée en vigueur avec une certaine impatience.

Le Maroc est l’un des partenaires de la France les plus proches, les plus fiables et les plus fidèles. L’un des plus hauts diplomates français a ainsi comparé notre relation avec le Maroc à la relation franco-allemande ! Elle est en effet restée d’excellente qualité quelle qu’ait été l’évolution de l’actualité internationale. Le ministère des affaires étrangères et européennes est donc très attaché à ce que cette convention puisse être rapidement ratifiée par la France.

Le président Axel Poniatowski. Je vous remercie pour cette introduction : la commission a parfaitement conscience de l’excellente relation bilatérale, qui n’est absolument pas en cause ici, mais souhaite avoir des informations claires sur des points précis.

Mme Anne Girel, chargée de mission à la division des affaires communautaires et internationales de la direction de la sécurité sociale, auprès des ministères chargés du travail, de la santé et des comptes publics. Je représente ici la division de la direction de la sécurité sociale chargée de négocier les conventions internationales de sécurité sociale. Sa responsable n’a pas été en mesure de répondre elle-même à l’invitation de la commission, étant en déplacement à l’étranger dans le cadre de négociations bilatérales.

La convention signée en octobre 2007 consolide une série de textes en vigueur, le premier d’entre eux étant la convention bilatérale de sécurité sociale signée en 1965. Il s’agissait alors de faciliter les flux migratoires de main d’œuvre en levant les obstacles à l’ouverture des droits sociaux pour les travailleurs migrants. La convention de 1965 ouvrait aux travailleurs marocains le droit à la sécurité sociale française, selon les règles de droit commun, c’est-à-dire lorsqu’eux mêmes et leurs ayants droit résidaient en France. En 1973, un premier avenant a visé à tenir compte de l’absence de sécurité sociale obligatoire au Maroc en prévoyant que la sécurité sociale française prenne en charge les frais des soins de santé dispensés au Maroc au bénéfice des ayants droit restés au pays et des travailleurs migrants rentrés chez eux pendant leurs congés payés. Ces stipulations sont reprises dans la nouvelle convention.

Sa négociation a procédé de la même logique que celle qui avait conduit à la « refonte » de la convention de sécurité sociale avec la Tunisie, en 2003 : outre la reprise de l’acquis, sont prévues quelques évolutions visant à tirer les conséquences de l’évolution législative et des situations dans les deux pays. Ainsi, depuis 2006, le Maroc a mis en place une assurance-maladie obligatoire : la France a décidé d’accompagner cette évolution positive. Elle a aussi souhaité adapter le droit au fait qu’un nombre important de pensionnés de la sécurité sociale française retourne vivre au Maroc. Ainsi, en 2009, sur les 85 000 pensions de base française servies à des personnes résidant au Maroc, 63 000 ont été calculées sur la seule base des trimestres d’assurance cotisés en France, sans qu’il ait été nécessaire de recourir à d’éventuels trimestres cotisés au Maroc. La nouvelle convention leur permettra de bénéficier de la prise en charge des soins reçus au Maroc, par la sécurité sociale française. Il s’agit là d’une mise à niveau qui s’imposait, susceptible en effet de se traduire par une augmentation du coût de la dépense en matière de soins de santé remboursés par la France au Maroc.

Il faut néanmoins avoir à l’esprit que, sur les 370 millions d’euros de flux financiers sociaux de la France vers le Maroc constatés en 2009, 94 % correspondaient au versement de pensions de retraites de base et complémentaires à un total de 147 000 bénéficiaires, le solde consistant en allocations familiales et, marginalement, en soins de santé.

L’autre évolution qui pourrait accroître les flux financiers, toujours en matière de soins de santé, est la prise en charge des soins d’immédiate nécessité pour les ayants droit résidant au Maroc à l’occasion d’un séjour temporaire en France. Dans la mesure où la couverture maladie marocaine est désormais obligatoire et où seuls les soins d’immédiate nécessité sont concernés, le surcoût pour la France devrait être limité.

Il faut enfin signaler que la nouvelle convention prévoit que la prise en charge des soins de santé ne se fera plus au forfait mais au coût réel, sur présentation des factures. La convention avec la Tunisie prévoyait aussi ce changement, que l’on retrouve dans tous les pays européens. Actuellement, le forfait annuel est évalué à partir des tarifs pratiqués dans le secteur hospitalier public marocain, en considérant une famille moyenne de cinq personnes (sans compter le salarié) : ainsi, en 2008, le remboursement des soins de santé au Maroc s’effectue sur la base de 100 euros par travailleur et 166 euros par famille. On tient ensuite compte du nombre de familles de travailleurs exerçant en France – lui-même estimé à partir de celui des prestations familiales versées multiplié par un coefficient correcteur – pour obtenir le montant remboursé au titre du forfait.

Les dépenses en matière de soins de santé se sont élevées à 1 million d’euros en 2005, 800 000 euros en 2006, 980 000 euros en 2007, 740 000 euros en 2008 et 735 000 euros en 2009, à rapprocher, donc des 370 millions de flux financiers totaux.

Il est difficile d’évaluer précisément au stade actuel le coût supplémentaire qu’induira la prise en charge des soins donnés en France aux familles y séjournant temporairement et des soins donnés au Maroc pour les pensionnés y résidant. On peut néanmoins, à titre de comparaison, regarder l’évolution des dépenses constatées avec la Tunisie, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle convention conclue sur le même modèle : avant son entrée en vigueur, les dépenses de soins de santé étaient du même ordre qu’aujourd’hui au Maroc, pour les travailleurs et leurs familles ; elles sont depuis passées à environ 4 millions d’euros, pensionnés inclus. Il faut souligner que cette dépense correspond encore à l’application du forfait, le passage aux frais réels n’étant pas encore effectif. Mais cette évolution permettra une maîtrise des flux financiers grâce à la possibilité de contrôler les factures. Il sera notamment possible d’effectuer des recoupements avec les soins donnés en France à la même personne, pour éviter, par exemple, des doubles paiements.

Pour résumer, les surcoûts éventuels proviendront principalement d’une part de la prise en charge des soins reçus au Maroc par les pensionnés, soit 63 000 bénéficiaires supplémentaires au maximum – mais l’expérience montre que seule une partie des bénéficiaires potentiels se fait enregistrer et peut ainsi être effectivement couverte –, et d’autre part de l’évolution du coût moyen de ces soins, résultant du passage du forfait au coût réel, soit d’une fourchette de 100 à 150 euros moyens à environ 300 euros, si l’évolution constatée en Tunisie se répète au Maroc.

M. le président Axel Poniatowski. Pour résumer, la nouvelle convention apporte donc deux modifications essentielles : d’une part, la population couverte ne sera plus seulement constituée des travailleurs marocains et de leurs familles mais également des pensionnés relevant d’un régime français et résidant au Maroc, ainsi que de leurs ayants droit. D’autre part, les prestations d’assurance maladie prises en charge ne le seront plus de manière forfaitaire à 166 euros par famille mais « au réel », ce qui pourrait représenter quelque 300 euros par famille.

Mme Anne Girel. Le montant de 300 euros correspond en fait, à titre d’illustration, au montant versé par famille en vertu de la convention similaire en vigueur avec la Tunisie, à cette nuance près que les versements à la Tunisie sont forfaitaires et non encore fondés sur les frais réels.

M. le président Axel Poniatowski. Le coût global de la mise en œuvre de la convention avec le Maroc passerait donc de moins d’un million d’euros à quelque 4 millions d’euros ?

Mme Anne Girel. Les seules données certaines sont les suivantes : les prestations d’assurance maladie payées par la France au Maroc représentent aujourd’hui 740 000 euros par an ; avec la Tunisie, ce coût est passé d’une somme comparable à 4 millions d’euros, calculé non pas selon les frais réels mais seulement au forfait, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle convention.

M. le président Axel Poniatowski. Les populations concernées ne sont pas les mêmes non plus. Ainsi, alors que 63 000 pensionnés résidant au Maroc relèvent d’un régime français, ils sont probablement bien moins nombreux en Tunisie. Quoi qu’il en soit, les montants globaux dont nous parlons demeurent objectivement très limités.

M. Serge Janquin. Personne ne conteste l’utilité de la mise à jour d’accords bilatéraux comme ceux que nous évoquons ce matin, qui nous lient au Maroc. À cet égard, les éléments fournis par la représentante du ministère de la santé sont satisfaisants. Une convention similaire est en vigueur depuis 2007 avec la Tunisie ; qu’en est-il avec l’Algérie ? Si une mise à jour était nécessaire dans ce cas également, il faudrait y procéder sans tarder car nous n’avons pas besoin à l’heure actuelle de donner le sentiment que nous traiterions moins bien l’Algérie que ses voisins.

Mme Anne Girel. La convention entre la France et l’Algérie en matière de protection sociale date de 1980 mais certaines dispositions spécifiques de coordination remontent elles aussi aux années soixante. Elle présente la particularité d’être complétée par un protocole relatif aux soins de santé, en vertu duquel l’Algérie rembourse à la France des soins prodigués dans notre pays à des assurés algériens après autorisation préalable de la caisse algérienne de sécurité sociale. Cela résulte d’une époque où certains soins ne pouvaient être administrés en Algérie, ce qui est beaucoup moins vrai aujourd’hui. Telle est la raison pour laquelle, depuis 2005 déjà, nous travaillons à une mise à jour de ce protocole franco-algérien, afin de mieux encadrer le mécanisme d’autorisation préalable par la caisse algérienne et les échanges avec les équipes soignantes françaises, comme d’élargir le champ de ce protocole.

M. Michel Terrot. Personnellement, je m’abstiendrai au moment du vote sur le projet de loi. J’ai quelque connaissance du sujet pour avoir été, il y a de cela une quinzaine ou une vingtaine d’années, le conseil de plusieurs organismes de sécurité sociale. Je me souviens de notre étonnement d’alors devant l’absence de contrôle sur les prestations versées dans ces pays ; je me souviens de bénéficiaires qui étaient curieusement fort nombreux à être plus que centenaires ! Le problème provient de ce que les organismes français de sécurité sociale ne sont pas habilités à procéder à des contrôles à l’étranger, pas davantage d’ailleurs pour les prestations d’assurance maladie que pour les pensions d’invalidité ou pour les rentes d’accidents du travail. Ce sont des médecins étrangers qui apprécient un taux d’invalidité servant de base au calcul de prestations liquidées en France, sans contrôle possible. Je me rappelle ces cas où, lorsqu’un contrôle a posteriori avait pu être mené, nous découvrions qu’un homme devenu prétendument tétraplégique suite à un accident du travail était en fait un authentique chef de village, dont la descendance s’était accrue depuis son accident…

M. le président Axel Poniatowski. Je vous rappelle que la pension moyenne annuelle d’un retraité marocain s’élève à 2 500 euros environ, ce qui est très modeste. Néanmoins, la question portant sur les contrôles est pertinente ; comment la partie française s’assure-t-elle, par exemple, de ce que les bénéficiaires des prestations qu’elle verse sont bien en vie ?

Mme Anne Girel. Nous sommes bien conscients des possibles abus du système. Pour les éviter, il existe des procédures classiques, comme par exemple les certificats de vie qui valent pour tout pensionné. S’agissant des contrôles que nous devrions diligenter à l’étranger, je souligne qu’il existe en amont un principe de confiance présidant aux relations bilatérales entre États contractants, de même qu’il existe un principe d’entraide administrative et de coopération mutuelle. Cela étant, en sus des dispositions habituelles des conventions en matière de contrôles médicaux, des commissions de médecins marocains peuvent se réunir, en tant que de besoin, afin d’établir des rapports d’expertise médicale en cas de contentieux en matière de maladies professionnelles. Si de nouvelles difficultés apparaissent, de nouvelles solutions seront trouvées lors des rencontres annuelles pour le suivi de la convention.

La préoccupation relative au contrôle à l’étranger est justement à l’origine d’une expérimentation actuellement en cours avec la Tunisie : les postes consulaires, sur avis du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, peuvent, dans ce cadre, agréer des personnes physiques ou morales aux fins de vérification sur place du bien-fondé du service de prestations versées par les organismes français. Si cette expérimentation est concluante, son extension au Maroc et à l’Algérie pourra être envisagée.

Enfin, n’oublions pas le principe de réciprocité inscrit dans ces accords bilatéraux : les autorités marocaines, tunisiennes et algériennes sont elles aussi confrontées à des difficultés, lorsque par exemple un médecin français décide que des soins sont nécessaires et qu’ils excèdent, par leur durée ou par leur ampleur, ce qui avait été agréé par l’autorité étrangère dans le cadre de l’autorisation préalable, et que cette dernière doit néanmoins rembourser ces soins.

M. Jean-Paul Bacquet. Nos échanges de ce matin justifient l’intérêt que nous portons aux contrôles dans le champ des prestations d’assurance maladie. À cet égard, me voilà plutôt rassuré d’apprendre que 94 % du coût de la convention franco-marocaine concerne la liquidation de pensions de retraite. Les 6 % restants recouvrent donc à la fois des allocations familiales et des prestations de maladie. Sur ce dernier point, je veux bien croire qu’il existe un principe de confiance lorsque, comme en France, les prestations émanent de médecins conventionnés, donc régulièrement contrôlés. Mais tel n’est pas le cas au Maroc ! Je vous rappelle les cas déjà évoqués lors de notre réunion de la semaine dernière : la fraude aux arrêts de travail au retour de congés, constatée en région lyonnaise dans les années 1990, ou les cas fictifs de miliaire tuberculeuse qui étaient autant d’escroqueries au système d’indemnisation des accidents du travail. Cela étant, si les sommes en cause représentent moins de 6 % du total des dépenses, il n’est peut-être pas opportun de diligenter des contrôles qui risqueraient de coûter plus cher qu’ils ne rapportent.

M. Jean-Paul Lecoq. Je m’interroge sur les effets, potentiellement pervers, de cette convention à l’avenir : les progrès de la médecine marocaine se poursuivant et les retours vers le Maroc s’amplifiant en parallèle, ne peut-on craindre pour ce pays des dérives s’apparentant au « tourisme médical », avec pour conséquence éventuelle le remboursement par la France de soins prodigués au Maroc alors qu’ils ne seraient pas autorisés en France ?

M. Alain Néri. Les anciens combattants sont titulaires d’une « retraite du combattant » qui n’a pas légalement le caractère d’une pension de retraite. Bénéficieront-ils néanmoins du régime de la convention franco-marocaine ou bien devront-ils souffrir une fois de plus d’être traités de façon inique et précaire, à l’image du triste sort qui est le leur à Bordeaux, dans la propre ville du ministre chargé des anciens combattants ?

M. le président Axel Poniatowski. Le projet de loi ne concerne que les travailleurs ayant cotisé en France.

Mme Anne Girel. La question de la décristallisation des pensions d’anciens combattants d’origine nord-africaine est un autre sujet. Même si depuis les années quatre-vingt la plupart des pensions ou rentes ont été décristallisées, il s’agit d’une réelle préoccupation que nous n’ignorons en aucun cas mais pour le traitement de laquelle la convention franco-marocaine de sécurité sociale n’est pas du tout le cadre approprié.

M. André Schneider. L’accord existant, datant de 1965, nécessitait-il vraiment d’être mis à jour ? Par ailleurs, pourquoi ne pas envisager, en lieu et place des accords bilatéraux sur le même thème avec les pays du Maghreb – mais aussi plus lointains comme le Cameroun –, un accord multilatéral ?

Mme Anne Girel. La négociation d’une mise à jour d’une convention existante est toujours le fruit de la volonté des deux parties en cause. S’agissant de l’extension éventuelle à d’autres pays africains de cette nouvelle convention comme un accord type alors qu’elle est en fait normée sur les spécificités et les attentes franco-marocaines, je ne crois pas qu’une telle volonté ait été officiellement manifestée par ces pays et je ne crois d’ailleurs pas qu’il s’agisse d’une bonne approche pour des Etats parfois très différents quant à leur système de sécurité sociale et quant à leurs besoins et leurs attentes vis-à-vis de la France et de son système.

M. Hervé de Charette. La convention comporte-t-elle des clauses de suivi ? des clauses de sauvegarde ? Il serait utile en l’occurrence que l’administration française soit dotée d’un dispositif de vérification de l’absence de fraude. Par ailleurs, j’ai accueilli avec intérêt les informations chiffrées qui nous ont été fournies : plus l’avalanche de chiffres est verbale et plus elle impressionne ! Pour garantir le sérieux du travail de la commission, un rapport écrit et préalable émanant du Gouvernement eût été certainement préférable.

M. le président Axel Poniatowski. Il faut rappeler que cette convention n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact, celle-ci n’ayant été rendue obligatoire que quelques semaines après le dépôt du projet de loi. L’audition d’aujourd’hui a précisément vocation à suppléer cette absence.

M. François Rochebloine. Si j’ai bien compris, seuls 6 % des 370 millions d’euros versés par des régimes de sécurité sociale français à des Marocains ne concernent pas les pensions de retraite. Les changements induits par la nouvelle convention ne portent donc que sur 740 000 euros pour les prestations de santé.

M. le président Axel Poniatowski. Qui risquent, on l’a vu, de passer à un montant bien supérieur, entre 3 et 10 millions d’euros.

M. François Rochebloine. C’est donc bien de cette évolution qu’il était question.

M. le président Axel Poniatowski. Oui, on nous a présenté les chiffres d’une projection faite pour le Maroc sur la base de l’expérience tunisienne.

Mme Henriette Martinez. Et ça ne comprend même pas l’évolution des coûts liée au remboursement sur facture !

M. François Rochebloine. A 3 millions d’euros, la hausse serait acceptable. Si l’on parle de 8 ou 10 millions, des dispositions pourraient être prises pour mieux contrôler le système, malgré la confiance qui règne entre nos deux pays.

M. Jacques Myard. Certes, pacta sunt servanda est la règle de base des relations internationales, mais il ne faut pas être naïf ! L’Etat français repasse le bébé aux organismes de sécurité sociale mais, s’agissant d’un accord international, c’est la République qui en cause, et l’Etat devrait donc se réserver un pouvoir de contrôle. Un acte du Parlement devrait d’ailleurs préciser ce point, sous forme d’une résolution par exemple.

Je souhaiterais avoir des éclaircissements sur l’article 31 de l’accord, qui évoque les pensions de réversion. Permet-il leur versement à plusieurs épouses d’un même homme ?

Mme Anne Girel. Concernant l’évolution de la prise en charge des soins, j’ai évoqué, dans un premier temps, le principe de confiance entre les deux Etats, mais j’ai également mentionné la possibilité d’effectuer un certain nombre de contrôles sur place. Par ailleurs, j’ai également évoqué l’existence d’un projet de coopération mené en Tunisie afin de développer le contrôle des organismes de sécurité sociale sur place. Je rappelle aussi que le passage à un remboursement sur facture permet de faciliter le contrôle des dépenses. Enfin, nous organisons des commissions mixtes annuelles qui réunissent notamment les organismes des deux Etats et sont chargées d’étudier l’évolution du droit interne des deux pays, mais aussi les conditions d’application de la convention et l’exécution des normes qu’elle contient.

Sur le second point, la convention précise les modalités d’application du droit français dans l’ordre juridique d’un autre Etat. La situation est comparable entre le Maroc et l’Algérie, dont certaines dispositions de la législation interne s’appliquent à des travailleurs se trouvant en situation de pluralité d’épouses selon le droit local.

La France liquide une seule pension de réversion, qu’elle transfère à la caisse marocaine qui se charge de la verser, en la partageant, si besoin est, en cas de pluralité d’épouses.

M. Jacques Myard. C’est scandaleux d’entendre ça.

Mme Anne Girel. C’est la réalité des faits, mais ces cas sont très résiduels : ils ne concernent qu’environ 900 hommes par an.

M. Jacques Myard. C’est inadmissible ! En plus, si la dernière épouse a vingt ans, on se retrouve à payer pendant des décennies !

M. le président Axel Poniatowski. Je vous rappelle que la convention n’apporte rien de nouveau s’agissant des pensions de réversion, mais qu’elle modifie la situation s’agissant de la couverture maladie, désormais étendue aux pensionnés rentrés au Maroc.

M. Didier Julia, rapporteur. En France, la pension de réversion est partagée en fonction de la durée de mariage entre les époux successifs. Au Maroc, dans les cas sus-mentionnés, la part versée à chaque épouse est identique. La pension de réversion versée par la France reste inchangée au total. N’existe-t-il pas un risque que la caisse marocaine conserve les sommes qui auraient dues être versées à celles des épouses qui sont décédées ?

Mme Anne Girel. Ces situations sont extrêmement réduites en nombre, même si je comprends tout à fait le problème de principe qu’elles soulèvent. Toutefois, la pension de réversion est un avantage qui résulte des cotisations versées par le travailleur. Dans le cadre de la convention actuelle, la France verse à la caisse marocaine une somme calculée selon les critères de la législation française, au titre de l’assuré décédé, et cette somme ne change pas car elle correspond à des droits acquis.

M. le président Axel Poniatowski. Je reprends la question du rapporteur : que se passe-t-il en cas de disparition d’une ou plusieurs épouses ?

Mme Henriette Martinez. Quelle est l’évolution en pourcentage des dépenses du fait du passage au remboursement sur facture ? A-t-on fait un calcul prévisionnel ?

Quel est le montant des flux financiers du Maroc vers la France en application de cette convention qui repose sur le principe de réciprocité ?

M. le président Axel Poniatowski. On nous a déjà dit qu’il n’y avait pas de projection à l’heure actuelle mais qu’on attendait davantage de contrôles et donc une meilleure maîtrise des soins pris en charge.

On se doute bien que les flux financiers vers la France sont résiduels.

Mme Anne Girel. La somme est effectivement minime, autour de 2 à 3 000 euros.

Mme Henriette Martinez. Autant dire qu’il n’y a pas de réciprocité !

M. Lionnel Luca. Je trouve que les réponses apportées manquent singulièrement de clarté.

M. le président Axel Poniatowski. Je ne peux pas vous laisser dire cela ; Mme Girel a répondu à chacune de nos interrogations de manière très précise.

M. Lionnel Luca. J’ai hâte de lire le compte rendu de ces débats car je n’ai pas pu comprendre ces réponses, n’étant pas expert des finances sociales, et n’ayant pas à ma disposition de support écrit reprenant ces informations. De manière générale, notre commission n’est pas spécialiste des affaires sociales. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas demandé à la commission des affaires sociales de nous donner un éclairage sur cette convention !

M. Jean-Paul Bacquet. Ils ne sont pas plus au courant que nous !

M. Lionnel Luca. Ce n’est pas rassurant. Par ailleurs, je partage entièrement le point de vue de Jacques Myard concernant la situation des veuves, et je réserve mon vote sur ce texte de ce fait.

M. le président Axel Poniatowski. Je ne partage pas votre avis sur le rôle de notre commission. Nous avons examiné des dizaines de conventions fiscales sans avis de la commission des finances, de même que nous n’appelons pas la commission du développement durable à l’aide pour les conventions à dimension écologique. La commission des affaires étrangères est par nature compétente pour tous les actes intéressant les relations bilatérales de notre pays avec d’autres Etats.

Mme Marie-Louise Fort. Pourquoi avoir retenu le chiffre de cinq pour la composition moyenne des familles ? En France, peu de familles sont composées de cinq personnes, surtout celles de personnes retraitées. Il y a un déséquilibre.

M. Jean-Pierre Dufau. La législation française, en cas de pluralité d’épouses dans le temps, prévoit un principe de calcul de la pension de réversion au prorata temporis. Au Maroc, même si l’on voit persister des situations de polygamie très regrettables, l’application de la convention conduirait donc, si j’ai bien compris, à ce que chaque épouse reçoive une part égale ?

Mme Chantal Bourragué. Je tiens personnellement à me féliciter de ce que la France aide les pensionnés marocains à assumer leurs dépenses de santé. Je souhaite réagir aux propos tenus par Alain Néri concernant les conditions d’accueil des anciens combattants marocains à Bordeaux. Ses affirmations sont scandaleuses. J’ai accueilli certains de ces anciens combattants à Bordeaux et j’affirme qu’ils sont accueillis dignement. Il y a eu des difficultés dans le passé, car les arrivées ont pu être très nombreuses, mais l’action menée depuis, y compris par le maire de Bordeaux, a porté ses fruits.

M. le président Axel Poniatowski. La question posée est la suivante : la France continue-t-elle de verser la totalité de la pension de réversion jusqu’à la disparition de la dernière épouse, ou bien cette somme diminue-t-elle en fonction des décès d’ayants droit ?

Je conçois que vous ne puissiez pas nous répondre immédiatement, aussi je vous demanderai de nous répondre précisément par écrit dans les meilleurs délais afin que ces éléments d’explication puissent être annexés au rapport.

M. Didier Julia, rapporteur. Je souhaiterais faire une remarque à l’adresse de Mme Girel. Je tiens à vous remercier pour les explications fournies et à vous assurer que je ne mets pas en cause vos compétences. Mais il ne faut pas négliger le fait que dans le contexte d’augmentation des frais de santé en France, les conséquences financières de la présente convention pourraient contribuer à accroître le déséquilibre des comptes de la Nation. Il est donc légitime que l’on s’y intéresse. Je tiens à m’assurer que le gouvernement va suivre l’application de la convention.

M. le président Axel Poniatowski. Je tiens à remercier MM. Rogeau, Casabonne-Masonnave et Mme Girel. Leurs développements ont été instructifs. Nous attendons néanmoins un retour d’expérience sur ce qui se passe concrètement entre les caisses françaises et marocaines pour le reversement des pensions de réversion.

2) Vote sur le projet de loi

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le Rapporteur, après cette audition, je vous donne la parole.

M. Didier Julia, rapporteur. Monsieur le Président, mes chers collègues, vous avez eu l’information à la source. Il vous revient à présent de choisir. Les réponses de la représentante compétente présentent un intérêt certain. Cette discussion aura l’avantage d’être publiée. Notre vote aura été éclairé par les débats qui ont eu lieu. Sous réserve d’un suivi et de précisions d’une part, sur les contrôles des maladies et des post-maladies, et, d’autre part, sur les droits des veuves, je me prononce en faveur de l’adoption du présent projet de loi. Néanmoins, il faut organiser un suivi de l’application de la convention et nous assurer que les caisses marocaines ne conservent pas les sommes qui auraient dû être versées à celles des épouses qui sont décédées.

M. le président Axel Poniatowski. Cette séance de travail a été utile et intéressante. A une ou deux incertitudes près, beaucoup de réponses ont été apportées aux questions soulevées. C’est une bonne façon d’examiner dans le détail un projet de loi autorisant l’approbation d’une convention. Notre rôle sera néanmoins de suivre l’application de cette convention.

Cette séance aura aussi certainement un impact important sur les administrations, et notamment sur leur préparation des auditions à l’Assemblée nationale et des études d’impact des projets de loi. Le fait que nous entrions désormais dans le détail des textes soumis à notre approbation traduit cette évolution positive à laquelle les services doivent s’adapter. Au sujet des pensions de réversion, il est indispensable que nous obtenions une réponse précise sur cette question délicate. Il semblerait que d’après l’article 31 de la nouvelle convention, le montant total de la pension de réversion soit constant et que, dans l’hypothèse de l’application du droit français, sa répartition entre les veuves évolue en faveur des survivantes au fur et à mesure de la disparition des autres.

M. Gaëtan Gorce. Je tiens à féliciter la représentante du ministère de la santé pour son sang-froid, et souligner qu’il est normal qu’elle ait eu quelques difficultés à répondre sur des questions d’ordre purement politique. Je suis satisfait de voir que la Commission se livre à ce genre d’exercice.

Pour ce qui est de l’approbation de cet accord, il faut faire attention à la façon dont on aborde la question de la pluralité d’épouses. On parle des droits acquis par des personnes ayant travaillé. La notion de « veuves » correspond à la conception française.

S’il est prévu que le montant de la pension de réversion, liquidé en France pour une veuve et réparti au Maroc, le cas échéant, entre plusieurs veuves, est versé dans son intégralité jusqu’au décès de la dernière d’entre elles, c’est une façon de ne pas reconnaître la polygamie.

S’il est à l’inverse prévu que ce montant de la pension de réversion diminue avec la disparition progressive des épouses auxquelles il était versé par fractions, c’est une façon de reconnaître la polygamie.

Enfin si la totalité du montant de la pension de réversion est versé aux caisses marocaines, et que celles-ci tiennent compte de la disparition progressive des épouses pour n’en attribuer qu’une fraction aux épouses survivantes, et en garder le reliquat, la situation serait fâcheuse.

M. Didier Julia, rapporteur. Je pense pouvoir répondre à l’interrogation que j’ai moi-même soulevée. Après relecture de l’article, il apparaît que, dans la nouvelle convention, les règles françaises de répartition s’appliquent aux pensions acquises en France et que donc, comme le Président vient de le dire, le montant versé à chaque veuve évolue à la hausse en fonction de la diminution de leur nombre.

M. François Rochebloine. Je tiens moi aussi à remercier la représentante du ministère de la santé ainsi que le Rapporteur.

Je souhaiterais savoir si ce principe de versement et de répartition de la pension de réversion à plusieurs épouses s’applique dans d’autres pays. Qu’en est-il en Tunisie, par exemple ?

M. Didier Julia. La polygamie est interdite en Tunisie ; la question ne se pose donc pas.

M. Hervé de Charette. En matière de ratification de conventions, le principe qui prévaut en séance plénière, c’est que le texte est à prendre ou à laisser.

En revanche, en commission, nous pouvons faire un certain nombre d’observations. Le Président de la commission peut ainsi écrire en notre nom pour se plaindre ou pour demander plus d’informations.

Sur la question de la pluralité d’épouses, je pense qu’il ne faut pas que nous commettions d’erreur susceptible de blesser les pays concernés. Ce qui se passe chez eux les concerne seuls. Ce qui se passe chez nous, nous concerne seuls.

Qu’en serait-il si un travailleur étranger venait travailler en France avec plusieurs épouses ? Il bénéficierait de plusieurs allocations familiales ? de plusieurs logements sociaux ? Cette situation-là serait scandaleuse.

Mais il s’agit ici du versement de pensions à des personnes ayant travaillé en France et prenant leur retraite au Maroc. Cette situation n’est pas scandaleuse, d’autant que les montants impliqués sont dérisoires.

M. Jacques Myard. La convention est claire. L’article 31 alinéa 2 dispose que « la prestation acquise est répartie également et définitivement entre les épouses survivantes ». Autrement dit les caisses françaises vont verser la totalité du montant de la pension de réversion jusqu’au décès de la dernière épouse. Ce texte pose le problème de la polygamie. Il est contraire à notre ordre public. Et il serait contraire à la Constitution qu’on l’adopte.

On ne peut approuver un tel brûlot politique.

Certes, en France, on reconnaît depuis un arrêt de la Cour de cassation de 1938, les enfants nés de couples polygames, mais il est inadmissible que l’on reconnaisse la polygamie en tant que telle.

C’est pourquoi je voterai contre le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.

M. Henri Plagnol. Il n’y a pas de bonne solution sur la pension de réversion et prévoir une diminution progressive du montant de la pension de réversion au gré des décès des épouses, ce serait de facto une reconnaissance de la polygamie. Par ailleurs, imaginer que le montant de la pension de réversion serait versé en totalité aux caisses marocaines jusqu’au décès de la dernière épouse, et que ces dernières n’en reverseraient qu’une partie aux épouses survivantes en conservant la différence constituerait une solution totalement intolérable pour nos concitoyens. Il y aurait là un sujet explosif !

Mme Marie-Louise Fort. Mais il l’est !

M. Henri Plagnol. En tout état de cause, le débat a été passionnant et tout à l’honneur de notre commission.

Il faudra à l’avenir se pencher sur la reconnaissance par la France des effets dans notre pays des lois des pays anciennement colonisés, notamment des lois qui régissent leur état civil. Si on reconnaît les effets des règles de l’état civil et des pratiques propres à ces pays, la situation risque de devenir inextricable en France. On le voit avec les logements sociaux. Je sais que notre commission n’est pas compétente sur cette question, mais il n’est pas normal que, si longtemps après la décolonisation, on continue d’intégrer dans nos dispositifs les règles des pays anciennement colonisés et leurs effets.

M. Robert Lecou. Alors que cette convention aurait pu être adoptée simplement et passer quasi-inaperçue, elle a conduit à des débats de fond. On parle de polygamie, de la souveraineté des Etats, et de la non-immixtion dans leur ordre juridique interne.

Une troisième séance sur ce sujet serait bienvenue. On n’a pas besoin de développements sur ce qui se fait « normalement », mais sur ce qui se fait « clairement » en pratique.

Je suis curieux de connaître le compte rendu qui sera fait de cette séance. Les sujets qui y ont été abordés doivent être rendus publics et nécessitent une grande clarification.

M. André Schneider. L’essentiel est dit. Pour emboîter le pas à M. de Charette, je tiens à souligner que, comme plusieurs de mes collègues, je fais partie d’associations, comme la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, et je ne vois pas comment on peut justifier l’acceptation de certaines situations. On est ici à la commission des affaires étrangères, et il faut que l’on trouve un chemin médian qui ménage nos valeurs tout en préservant nos relations avec le Maroc.

Plutôt que de multiplier, au risque d’aboutir à des incohérences, des textes bilatéraux, peut-être faudrait-il définir dans un cadre multilatéral et au sein d’un protocole des critères généraux susceptibles d’être repris dans des accords bilatéraux.

En tout état de cause, je considère que nous avons besoin d’une troisième séance pour examiner cette convention.

M. Jean-Pierre Dufau. Notre débat montre que la question est très difficile et quelle que soit la solution qu’on adopte, on pourra toujours dire qu’on aurait pu en prendre une autre. Si la pension dans son intégralité est versée au Maroc, sans se préoccuper de la situation des épouses, nous ne sommes pas dans la reconnaissance de la polygamie et cette position peut se défendre. Si nous parlons de dotation de la France, s’agissant d’un accord international, nous pouvons négocier ce que notre pays donne. Le prorata dès l’origine peut être une solution à porter au débat, mais est-on certain de ce qui se passe au fur et à mesure du décès des épouses ? Il convient d’être prudent. La même chose se passe-t-elle en France et qu’en est-il des autres Etats européens ? Quelle est leur politique vis-à-vis du Maroc et des autres Etats où la polygamie est légale ?

M. Rudy Salles. Je suis d’accord avec Hervé de Charette. Il y a un très gros problème chez nous et il n’y a pas de solution idéale. La répartition pro temporis serait une reconnaissance de droit et de fait de la polygamie. Le fait qu’il y ait succession d’épouses, sans divorces, revient à reconnaître la polygamie. Il faut continuer de travailler la question.

M. Jean-Paul Lecoq. Il ne faut cependant pas oublier que nous sommes sur un dossier qui concerne des travailleurs qui ont acquis des droits, en matière de santé et de retraite. Il faut l’avoir présent à l’esprit en priorité. Cela étant, sur la question de l’application, il y a effectivement un message politique, comme cela a été dit et il est important de savoir celui qui est acceptable par la société française, à l’heure actuelle. Ce que dit Jacques Myard est vrai : nous avons tous été sollicités par des préfets pour accueillir des familles polygames dans nos communes. J’ai eu à répondre que, chez moi, il n’y aurait pas de problème si, préalablement, le préfet légalisait une délibération du conseil municipal sur l’autorisation de la polygamie ! La question doit être posée ainsi. Est-ce que la polygamie est légalisable ou pas, c’est une question qu’il faut poser. Les travailleurs marocains doivent avoir des droits équivalents mais pas supérieurs. C’est cela qu’il faut régler, même s’il y a ensuite des aspects techniques à prendre en considération. Un autre point porte sur le fait de savoir si l’on considère que le Maroc est un pays qui respecte ses obligations. C’est une autre question sur laquelle j’ai mon opinion : je considère que le Maroc ne respecte pas ses obligations internationales. Tout autre est la question qui porte sur la situation des travailleurs marocains qui ont des droits qu’il faut respecter. Pour cette raison, je suis favorable à l’adoption de ce projet.

M. le président Axel Poniatowski. En ce qui concerne notre vote sur ce texte, je note en premier lieu que le rapporteur nous a donné des précisions supplémentaires importantes dont il ressort que ce n’est pas la caisse du Maroc qui s’enrichit selon l’évolution des situations individuelles mais que ce sont les personnes concernées qui en bénéficient directement. En deuxième lieu, nous nous penchons sur cette situation à l’occasion de l’examen de ce projet de loi mais cette règle de partage entre épouses existe depuis longtemps, même si elle est rappelée aujourd’hui. Troisièmement, il est clairement dit que la loi française s’applique aux prestations versées par la France et la loi marocaine à celles versées par le Maroc. Les us et coutumes marocains ne sont pas forcément bienvenus chez nous mais nous devons évidemment les respecter. Je crois que, effectivement, si nous ne votions pas ce texte, nous risquerions d’attirer l’attention sur des aspects qui ne le méritent pas et je suis en revanche tout à fait d’accord sur l’idée de faire des observations ainsi que sur la nécessité de contrôles. Je rappelle enfin que, tous les mois, il y a dans notre ordre du jour une semaine de contrôle : ce pourrait être un sujet de débat dans l’hémicycle si des groupes parlementaires le souhaitent. Je vous invite donc à voter ce projet de loi sans report.

M. Hervé de Charette. Sans explication de vote préalable ?

M. le président Axel Poniatowski. Un par groupe seulement, puisque tout le monde s’est déjà exprimé.

M. Robert Lecou. On ne peut pas cautionner la polygamie !

M. le président Axel Poniatowski. On ne peut pas refaire tout le débat. On ne peut pas dire que cette convention cautionne la polygamie et nous avons incontestablement besoin des travailleurs marocains en France qui cotisent et acquièrent des droits.

M. Jean-Paul Lecoq. Au Conseil de l’Europe, le Maroc est observateur et on y défend des valeurs qui sont contre la polygamie.

M. Hervé de Charette. Vous nous avez dit que vous feriez des observations au ministre et que ses réponses devraient être communiquées à la commission des affaires étrangères. En ce qui concerne la polygamie, je crois aussi que c’est une question qui doit être mise à l’étude et qu’il faut interroger le ministère pour qu’il en fasse l’inventaire sur le plan du droit.

M. Jean-Pierre Dufau. Comme nous n’avons pas eu toutes les explications souhaitées, les députés de notre groupe auront liberté de vote.

Mme Martine Aurillac. Je crois que le problème de la polygamie n’est absolument pas central dans cette convention qui a essentiellement pour effet d’améliorer la situation des bénéficiaires en matière de couverture médicale. Si nous rejetions ce projet de loi, ce serait un signal détestable envoyé en direction du Maghreb tout entier, au-delà du seul Maroc. Nous voterons donc ce projet. Comme il a été dit, il concerne des travailleurs qui ont acquis des droits.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2560).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXES

Annexe 1

Données chiffrées relatives à l’application des accords et convention de sécurité sociale entre la France d’une part, le Maroc et la Tunisie d’autre part

Principaux flux financiers avec le Maroc entre 2005 et 2009 (en millions d’euros)

Année

montants totaux

dont pensions/rentes

part des pensions dans le total des flux

nbre de bénéficiaires (*)

2005

300,70

291,00

96,77 %

152 577

2006

328,50

320,90

97,69 %

131 651

2007

359,20

351,50

97,86 %

137 006

2008

377,00

370,60

98,30 %

143 447

2009

367,00

347,20

94,60 %

147 795

(*) Le nombre de bénéficiaires total n’est pas disponible car pour les soins de santé et les allocations familiales, il s’agit de familles (voir tableau détaillé). Le nombre de bénéficiaires connu est celui de pensionnés (vieillesse, invalidité, réversion, rente AT-MP) soit la quasi-totalité du montant financier des prestations versées au Maroc.

Coûts moyens annuels de soins de santé au Maroc et en Tunisie (en euros)

 

 

2005

2006

2007

2008

Maroc

travailleur

91,32

77,25

86,24

102,07

 

familles

141,30

145,67

171,16

166,67

Tunisie

travailleur

205,07

214,25

282,99

312,26

 

familles

204,48

213,62

282,16

311,35

 

pensionnés

224,93

234,99

310,38

342,49

Dette française en matière de soins de santé (en millions d’euros)

Maroc (convention actuelle de 1965)

 

Tunisie (nvelle convention depuis 2007)

2005

nombre

montant

 

2005

nombre

montant

travailleurs

334

0,03

 

travailleurs

270

0,07

familles

9 140

1,04

 

familles

3 703

0,61

total

 

1,07

 

pensionnés

10 302

1,88

 

 

 

 

total

 

2,56

 

 

 

 

 

 

 

2006

nombre

montant

 

2006

nombre

montant

travailleurs

289

0,02

 

travailleurs

228

0,07

familles

6 607

0,78

 

familles

3 111

0,54

total

 

0,80

 

pensionnés

11 054

2,11

 

 

 

 

total

 

2,72

 

 

 

 

 

 

 

2007

nombre

montant

 

2007

nombre

montant

travailleurs

235

0,02

 

travailleurs

145

0,06

familles

6 910

0,96

 

familles

2 755

0,63

total

 

0,98

 

pensionnés

11 289

2,84

 

 

 

 

total

 

3,53

 

 

 

 

 

 

 

2008

nombre

montant

 

2008

nombre

montant

travailleurs

229

0,03

 

travailleurs

113

0,05

familles

5 257

0,71

 

familles

2 494

0,63

total

 

0,74

 

pensionnés

11 982

3,33

 

 

 

 

total

 

4,01

Créance française en matière de soins de santé (en euros)

Maroc (convention actuelle de 1965)

 

Tunisie (nvelle convention depuis 2007)

2005

nombre

montant

 

2005

nombre

montant

travailleurs

1

480,23

 

travailleurs

0

0,00

familles

1

1 579,68

 

familles

1

1 565,06

total

 

2 059,91

 

pensionnés

25

109 613,48

 

 

 

 

total

 

111 178,54

 

 

 

 

 

 

 

2006

nombre

montant

 

2006

nombre

montant

travailleurs

1

217,05

 

travailleurs

0

0,00

familles

1

1 688,19

 

familles

1

1 672,56

total

 

1 905,24

 

pensionnés

24

113 244,18

 

 

 

 

total

 

114 916,74

 

 

 

 

 

 

 

2007

nombre

montant

 

2007

nombre

montant

travailleurs

1

1 202,37

 

travailleurs

0

0,00

familles

1

1 795,71

 

familles

1

1 779,08

total

 

2 998,08

 

pensionnés

25

124 823,86

 

 

 

 

total

 

126 602,94

 

 

 

 

 

 

 

2008

nombre

montant

 

2008

nombre

montant

travailleurs

0

0,00

 

travailleurs

0

0,00

familles

0

0,00

 

familles

1

1 779,08

total

 

0,00

 

pensionnés

22

109 845,00

 

 

 

 

total

 

111 624,08

Prestations familiales (Maroc)

Année

nbre d’enfants

PF françaises
(droit commun)

Allocations familiales
« convention-nelles »

nbre de familles

montant
(en millions d’euros)

2005

1 enfant

-

28,23

2 391

 

2 enfants

115,07

56,47

2 670

 

3 enfants

262,49

84,71

2 108

 

4 enfants

409,91

113,00

1 915

 

total

 

 

 

9 084

5,69

 

 

 

 

   

2006

1 enfant

-

28,64

2 435

 

2 enfants

117,14

57,09

2 619

 

3 enfants

267,21

85,64

1 962

 

4 enfants

417,28

114,24

1 661

 

total

 

 

 

8 677

4,06

 

 

 

 

   

2007

1 enfant

-

28,90

2 108

 

2 enfants

119,13

57,60

2 153

 

3 enfants

271,75

86,41

1 583

 

4 enfants

424,37

115,27

1 272

 

total

 

 

 

7 116

4,20

 

 

 

 

   

2008

1 enfant

-

29,15

1 989

 

2 enfants

120,32

58,09

1 981

 

3 enfants

274,47

87,14

1 375

 

4 enfants

428,61

116,25

1 067

 

total

 

 

 

6 412

3,16

 

 

 

 

   

2009

1 enfant

-

34,15

2 179

 

2 enfants

123,92

68,06

2 075

 

3 enfants

282,70

102,10

1 370

 

4 enfants

441,48

136,20

984

 

total

 

 

 

6 608

3,13

Annexe 2

Note sur les pensions de réversion versées aux veuves d’un assuré polygame dans le cadre des dispositions de coordination de sécurité sociale entre la France et le Maroc

En application de la législation française, la pension de réversion représente une partie de la retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier l’assuré décédé, qui est reversée, sous certaines conditions, à son conjoint survivant ou à son (ses) ex-conjoint(s) proportionnellement à la durée de chaque mariage. Les conditions à remplir pour le survivant sont des conditions d’âge (au moins 55 ans) et de ressources.

Les accords de sécurité sociale conclus par la France et qui contiennent des dispositions tenant compte des situations de polygamie pour le versement de pensions de réversion sont les suivants : Algérie, Bénin, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Niger, Maroc, Mali, Mauritanie, Sénégal, Togo.

Les dispositions en la matière sont identiques dans les conventions actuellement en vigueur pour l’Algérie (convention de 1980) et le Maroc (convention de 1965)(6). En revanche, dans la nouvelle convention avec la Tunisie, signée en 2003 et entrée en vigueur en 2007, il n’y a plus de dispositions en la matière dans la mesure où la polygamie a été abolie depuis 1956.

S’agissant du Maroc, les dispositions en matière de polygamie pour le versement des pensions de réversion, que ce soit dans le cadre de la convention de 1965 ou de la nouvelle convention signée en 2007, ne viennent pas majorer le montant global de pension de réversion qui est versé au titre d’un ancien assuré d’un régime français qui est décédé, car ce montant est calculé, comme en droit français, par les caisses d’assurance vieillesse françaises au regard des conditions d’ouverture de droit susmentionnées, dès lors que l’une des épouses survivantes remplit ces conditions.

Ces dispositions précisent avant tout les modalités de répartition de la pension ainsi calculée entre les différentes épouses survivantes.

Dans le cadre de la convention franco-marocaine actuelle, deux cas de figure sont à distinguer :

- lorsque toutes les épouses résident au Maroc, la caisse française verse de façon globale le montant de la pension de réversion à la caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) marocaine, qui ensuite le répartit entre les différentes épouses selon son droit interne ; en pratique, à parts égales entre les différentes épouses, sans tenir compte de la durée de mariage de chacune d’entre elles. Ce versement revêt un caractère libératoire pour la caisse française, de telle sorte que, en cas de décès de l’une des épouses, le montant de pension transféré par la France à la CNSS au titre d’un assuré décédé ne change pas, seule la répartition qu’en fait la CNSS entre les épouses survivantes pouvant alors changer, cette répartition se faisant en tout état de cause selon les règles marocaines, et la CNSS ne gardant en aucun cas la part de la conjointe décédée ;

- si toutes les épouses ne résident pas au Maroc, c’est la caisse française qui répartit la pension à parts égales entre les épouses dont le droit est ouvert. Une nouvelle répartition est faite à chaque fois que l’une des épouses remplit les conditions d’ouverture du droit, mais la disparition d’une épouse ne donne pas lieu à une nouvelle répartition.

Dans le cadre de la nouvelle convention franco-marocaine, les conditions sont plus strictes et sont davantage calquées sur la législation française : les caisses françaises d’assurance vieillesse examineront les droits à pension de réversion de façon individuelle, pour chacune des épouses, et répartiront la pension au prorata des années de mariage de chacune d’entre elle avec le défunt, soit de la même manière qu’en cas de divorce dans le cadre de l’application de la seule législation française (partage de la pension entre tous les ex-conjoints). Ainsi, dès que l’une des épouses remplit les conditions d’ouverture du droit à pension de réversion, quel que soit son lieu de résidence, cette pension sera liquidée au prorata des années de mariage de l’épouse en question avec l’assuré décédé par rapport à la durée totale des mariages avec l’ensemble des épouses. Le décès de l’une des épouses pourra par ailleurs conduire à la révision des droits des autres épouses.  

Le fait que les caisses françaises d’assurance vieillesse seront désormais chargées de verser directement les quote-parts de pension de réversion à chacune des bénéficiaires permettra non seulement une meilleure prise en compte de la situation de chaque épouse mais aussi un meilleur contrôle par les caisses françaises, notamment en cas de décès d’une épouse survivante.

Le fait que les caisses françaises versent directement aux épouses survivantes les quote-parts de pension de réversion ne constitue pas un « cautionnement » par la France de la polygamie mais signifie simplement que la France prend en compte les effets qu’impliquent ces situations de faits acquises légalement au Maroc, et ce conformément au droit international privé.

 

Cette prise en compte s’inscrit également dans le cadre de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation en la matière (cf. arrêts Chemouni, 1958, ou Bendeddouche, 1980), qui reconnaît des effets (essentiellement patrimoniaux et en matière de succession) en droit interne français d’un mariage polygamique régulièrement conclu dans un Etat dans lequel ce type d’union est légal, et ce, en dépit du caractère contraire à l’ordre public de la polygamie en France (application des principes du droit privé international).

En revanche, lorsque la première épouse est de nationalité française, l’ordre public français jouera de façon prioritaire : aucun effet de la seconde union contractée à l’étranger ne pourra s’exercer à son détriment, seule la première bénéficiera de la pension de survivant (cf. Cass., 1988, Baaziz, affaire liée à l’application de la convention franco-algérienne de sécurité sociale).

Enfin, il convient de souligner que, suite à la réforme de 2004 du code de la famille marocain, les conditions permettant la polygamie au Maroc se sont durcies : désormais, une autorisation du tribunal est nécessaire pour se marier une seconde fois et l’époux doit justifier d’un motif objectif exceptionnel ainsi que de moyens suffisants pour assurer l’égalité de statuts et de niveaux de vie entre ses épouses. La polygamie a ainsi diminué de près de 7% en 2005, selon le ministère marocain de la justice. Selon la même source, moins de 900 hommes marocains avaient épousé une seconde femme en 2007, soit moins de 1% des mariages. On peut donc dire que ce phénomène est en voie d’extinction au Maroc.

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Dispositions des textes liant la France avec le Maroc en matière de versement de pensions de réversion à des veuves d’un assuré polygame

Convention du 9 juillet 1965

Article 15 (3)

Prestations de survivants

1. Les dispositions du présent chapitre [ouverture, calcul et liquidation des pensions de vieillesse] sont applicables, par analogie, aux droits des conjoints et enfants survivants.

2. Lorsque le décès, ouvrant droit à l’attribution d’une pension de survivants, survient avant que le travailleur ait obtenu la liquidation de ses droits au regard de l’assurance vieillesse, les prestations dues aux ayants droit sont liquidées dans les conditions précisées à l’article 11.

3. Si, conformément à son statut personnel, l’assuré avait au moment de son décès plusieurs épouses, l’avantage dû au conjoint survivant est liquidé dès lors que l’une des épouses remplit les conditions éventuellement requises pour ouvrir droit à cet avantage :

a) Lorsque toutes les épouses résident au Maroc au moment de la liquidation de l’avantage de réversion, celui-ci est versé à l’organisme de liaison marocain qui en détermine la répartition selon le statut personnel des intéressés.

Le versement est libératoire pour l’organisme débiteur ;

b) Lorsque la condition de résidence énoncée au a) ne se trouve pas remplie, l’avantage est réparti, par parts égales, entre les épouses dont le droit est ouvert.

Une nouvelle répartition doit être faite chaque fois qu’une épouse réunit les conditions d’ouverture du droit.

La disparition d’une épouse ne donne pas lieu à une nouvelle répartition.

Convention de 2007

Article 31

Dispositions particulières

Si, conformément à son statut personnel, le travailleur ou ancien travailleur avait au moment de son décès plusieurs épouses, les droits à prestations de chacune des épouses survivantes sont examinés dans les conditions suivantes :

1. En ce qui concerne la France :

a) quel que soit le lieu de résidence des épouses, les droits de chacune d’elles à l’une ou l’autre des prestations de survivants – autres que celles résultant d’un accident du travail ou

d’une maladie professionnelle – prévues par la législation française sont examinés en fonction de son âge et de sa situation ;

b) dès lors que les conditions d’ouverture du droit sont réunies, la prestation est attribuée au seul prorata de la durée du mariage selon les modalités fixées par l’arrangement administratif visé à l’article 51 de la présente convention ;

c) seul le décès de l’une des épouses peut conduire à la révision des droits liquidés au profit de l’autre ou des autres épouses ;

d) dans le cas où, outre les épouses survivantes, le travailleur ou ancien travailleur a eu des conjointes dont il a divorcé et qui ne sont pas remariées, la répartition de la pension de réversion prévue par la législation française s’effectue au prorata des durées de mariage selon les modalités fixées par l’arrangement administratif général visé à l’article 51 de la présente convention.

2. En ce qui concerne le Maroc : la prestation acquise est répartie également et définitivement entre les épouses survivantes.

Arrangement administratif (nouvelle convention de 2007)

Article 24

Règles applicables par les institutions françaises en cas de pluralité d’épouses survivantes

(application de l’article 31 de la convention)

1. Pour l’application de l’article 31 paragraphe 1 de la convention, le ou les organismes français compétents eu égard à la situation de chacune des épouses examinent de manière individuelle les droits de chacune.

2. Pour calculer la prestation au prorata en fonction de la durée de mariage, l’institution débitrice établit la durée de mariage qui a lié le travailleur ou ancien travailleur décédé à chacune de ses épouses survivantes et les totalise afin de fixer une durée totale de mariage. Le prorata de prestation dû à une épouse est établi en réduisant le montant de la prestation liquidée en fonction de la durée de mariage avec cette épouse par rapport à la durée totale de mariage.

3. Pour l’application de l’article 31 paragraphe 1 sous d) de la convention, afin de calculer le prorata de la pension de réversion due aux survivantes pour lesquelles le droit à cette prestation est ouvert, l’institution débitrice établit la durée de mariage qui a lié le travailleur ou ancien travailleur décédé d’une part à l’épouse divorcée ou à chacune des épouses divorcées, d’autre part à chacune des épouses survivantes, et les totalise afin de fixer une durée totale de mariage. Le prorata de prestation dû à chacune des bénéficiaires est établi en réduisant le montant de la pension de réversion en fonction de la durée de mariage avec cette bénéficiaire par rapport à la durée totale de mariage.

Source : division des affaires communautaires et internationales de la direction de la sécurité sociale, auprès des ministères chargés du travail, de la santé et des comptes publics.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de la convention de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc et du protocole annexe à la convention de sécurité sociale relatif au libre transfert des cotisations à la Caisse des Français de l’étranger, signés à Marrakech le 22 octobre 2007, et dont les textes sont annexés à la présente loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 2560).

© Assemblée nationale

1 () Les informations détaillées pour les dépenses effectuées au titre des soins de santé et des prestations familiales figurent en annexe 1 du présent rapport, ainsi qu’une comparaison avec la Tunisie.

2 () Il existe un tel instrument en vigueur entre le Maroc et la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, l’Allemagne, le Danemark, la Roumanie, la Libye, la Tunisie, le Canada et le Portugal. Ont aussi été signées des conventions avec l’Algérie, l’Italie, le Québec, l’Egypte et le Luxembourg, en 1991 pour la première et 1994 pour la seconde, depuis 2000 pour les autres, qui n’ont pas encore été ratifiées.

3 () Ainsi, alors que la prestation marocaine est répartie également et définitivement entre les épouses survivantes, le partage de la prestation française tient compte de la durée du mariage et peut être modifié après le décès de l’une des épouses. Pour plus de précisions, cf. l’annexe 2 du présent rapport.

4 () A l’exception de la Libye, tous les pays qui ont signé avec le Maroc un tel accord actuellement en vigueur sont aussi liés à la France dans ce domaine.

5 () La convention franco-tunisienne prévoit que la pension d’invalidité est liquidée au regard des deux législations. Ainsi, chaque institution compétente procède à un double examen des droits à pension nationale, prend en compte les périodes accomplies dans les deux pays, et effectue la liquidation d’une pension théorique. Celle-ci est ensuite proratisée en fonction des périodes accomplies en vertu de la législation de l’institution qui liquide par rapport aux périodes d’assurance accomplies dans les deux États. Une comparaison de la pension nationale et de la pension proratisée conduit au versement de la pension la plus élevée.

6 () Cf. à cet égard les textes afférents à la fin de la présente note.