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Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 3111

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI relatif à la bioéthique (n° 2911)

PAR M. Jean LEONETTI,

Député.

——

TOME I

Exposé général
Travaux de la commission

INTRODUCTION 15

I.- LA RÉAFFIRMATION DES GRANDS PRINCIPES BIOÉTHIQUES DANS LES DOMAINES DE LA GÉNÉTIQUE ET DU DON D’ORGANES ET DE CELLULES 19

A. UNE PROCÉDURE D’INFORMATION DE LA PARENTÈLE CONCILIANT DROITS DES TIERS ET SECRET MÉDICAL 19

1. Un dispositif inappliqué, au détriment des droits des tiers 19

2. Une nouvelle procédure qui concilie l’ensemble des intérêts en présence 19

B. UNE AUTORISATION ENCADRÉE DES DONS CROISÉS D’ORGANES 20

1. Répondre à la situation de pénurie de greffons 20

2. Préserver l’équilibre de notre législation 21

3. La solution proposée par le projet de loi : une autorisation encadrée du don croisé d’organes 23

4. Mieux informer la population et mieux reconnaître les donneurs d’organes vivants 24

C. UN MEILLEUR ENCADREMENT DES DONS DE CELLULES SOUCHES HÉMATOPOÏÉTIQUES 24

1. Un régime juridique trop complexe et inadapté aux exigences qui découlent des grands principes bioéthiques 24

2. Un débat sur l’opportunité d’interdire les banques privées à finalité autologue de sang de cordon 25

3. Le projet de loi réaffirme les principes fondateurs de la bioéthique pour encadrer les prélèvements de cellules souches hématopoïétiques 26

II.- L’ENCADREMENT ACTUEL DES DIAGNOSTICS ANTÉNATAUX EST CONSERVÉ DANS SES GRANDES LIGNES TOUT EN FAISANT L’OBJET D’AMÉLIORATIONS PONCTUELLES 29

A. AMÉLIORER LE RÉGIME JURIDIQUE DU DIAGNOSTIC PRÉNATAL POUR ÉVITER TOUTE DÉRIVE EUGÉNIQUE ET MIEUX INFORMER ET ACCOMPAGNER LA FEMME ENCEINTE 29

1. La nécessité de renforcer l’encadrement juridique des diagnostics prénataux a été soulignée par de nombreux rapports 29

2. Le projet de loi précise la définition du diagnostic prénatal et encadre mieux la succession de ses étapes en améliorant l’information et l’accompagnement des femmes enceintes 32

B. LE RÉGIME JURIDIQUE DES DIAGNOSTICS BIOLOGIQUES EFFECTUÉS À PARTIR DE CELLULES PRÉLEVÉES SUR L’EMBRYON IN VITRO N’EST PAS MODIFIÉ 33

1. Le projet de loi unifie la dénomination des différents diagnostics biologiques sous le vocable usuel de « diagnostic préimplantatoire » 34

2. Aucune extension des indications du diagnostic préimplantatoire n’est réalisée 34

3. La possibilité de recourir au DPI-HLA est maintenue et son caractère expérimental est supprimé 36

III.- UN MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT DES FEMMES DANS LE CADRE DE L’INTERRUPTION MÉDICALE DE GROSSESSE 37

A. L’INTERRUPTION MÉDICALE DE GROSSESSE : UNE PRATIQUE TRÈS ENCADRÉE 37

B. LE PROJET DE LOI : UN MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT DE LA FEMME 38

IV.- LA LEVÉE DE L’ANONYMAT DU DON DE GAMÈTES : POUR UNE APPROCHE PRAGMATIQUE ET ÉTHIQUE 39

A. LES ENJEUX DE LA LEVÉE DE L’ANONYMAT DU DON DE GAMÈTES 39

B. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT : UNE LEVÉE ENCADRÉE DE L’ANONYMAT 41

C. LA POSITION DU RAPPORTEUR : PRIVILÉGIER UNE APPROCHE PRAGMATIQUE ET ÉTHIQUE 42

V.- L’ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION 47

A. L’AUTORISATION ET LA MISE EN œUVRE DES TECHNIQUES D’AMP 48

1. L’autorisation des techniques d’AMP 48

2. La mise en œuvre des techniques d’AMP 50

B. LES CAS PARTICULIERS DES AMP AVEC TIERS DONNEUR ET AVEC ACCUEIL D’EMBRYON 53

1. L’AMP avec tiers donneur : le problème du don d’ovocytes. 53

2. L’accueil d’embryons 56

C. LA FINALITÉ DE L’AMP 57

1. L’indication médicale de l’AMP : une nécessaire clarification 57

2. Les conditions d’accès à l’AMP 58

VI.- TROUVER UN ÉQUILIBRE ENTRE LES ENJEUX ÉTHIQUES ET LES BESOINS DE LA RECHERCHE 63

A. LA FIN DU MORATOIRE DÉCIDÉ EN 2004 63

1. La loi de 2004 réaffirme le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon humain mais ouvre la possibilité dérogatoire et temporaire de mener certaines recherches sur l’embryon humain in vitro 63

2. L’expiration en février 2011 du moratoire sur les recherches sur l’embryon accentue l’urgence d’un réexamen de la loi 64

B. LES ARGUMENTS EN FAVEUR D’UN RÉGIME D’AUTORISATION 65

1. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires ont progressé 65

2. Plusieurs organismes ont proposé de mettre en place un régime d’autorisation des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires 67

C. UN RÉGIME DÉROGATOIRE PÉRENNE APPARAÎT NÉANMOINS LE PLUS ADAPTÉ AUX ENJEUX ÉTHIQUES ET AUX ATTENTES DES CHERCHEURS 69

1. L’impossible accord sur la définition de la nature de l’embryon exige le maintien d’un interdit symbolique fort 69

2. L’impossible distinction entre les recherches sur l’embryon et celles sur les lignées de cellules souches embryonnaires 75

3. Les chercheurs ont en définitive été moins gênés par le système dérogatoire que par son caractère provisoire 78

4. Les cellules souches adultes et les cellules souches pluripotentes induites apparaissent encore plus prometteuses que les cellules souches embryonnaires 80

D. LE PRINCIPE DE L’INTERDICTION AVEC DÉROGATION EST PÉRENNISÉ 84

1. La notion d’« études ne portant pas atteinte à l’embryon » est supprimée 84

2. L’interdiction de la recherche sur l’embryon humain est réaffirmée et étendue explicitement aux cellules souches embryonnaires 84

3. Le régime dérogatoire des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est maintenu sans limitation de durée 84

4. Les conditions du régime dérogatoire permettant de mener des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires sont aménagées 85

5. Les conditions de révocation du consentement du couple dont les embryons sont issus à la recherche sont modifiées 87

6. Le régime juridique des exportations de cellules souches embryonnaires est allégé dans un sens favorable à la recherche 88

E. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION ONT PERMIS D’ENRICHIR LE TEXTE 88

1. Le contrôle démocratique sur l’Agence de la biomédecine a été renforcé 88

2. Un objectif de limitation du stock d’embryons surnuméraires a été fixé 89

VII.- L’ENCADREMENT DES APPLICATIONS DES NEUROSCIENCES ET L’ADAPTATION DE L’ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE, DEUX APPORTS DU DÉBAT EN COMMISSION 91

A. LE NÉCESSAIRE ENCADREMENT DES APPLICATIONS DES NEUROSCIENCES 91

1. Ces techniques, bien qu’absentes des précédentes lois de bioéthique, posent des problèmes éthiques croissants 91

2. Il est nécessaire de poser les bases d’un encadrement éthique en matière de neurosciences et d’utilisation de l’imagerie cérébrale 92

B. L’ADAPTATION DE L’ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE À L’ABSENCE DE CLAUSE DE RÉVISION 93

1. Une information permanente du Parlement 94

2. Un débat régulier au Parlement 96

3. Un débat public en cas de modification législative majeure 96

TRAVAUX DE LA COMMISSION 99

I.- AUDITIONS ET TABLES RONDES 99

II.- EXAMEN DES ARTICLES 265

TITRE IER EXAMEN DES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉTIQUES 265

Avant l’article 1er 265

Article 1er (articles L. 1131-1, L. 1131-1-1 et L. 1131-1-2 [nouveaux] du code de la santé publique) : Information de la parentèle en cas de détection d’une anomalie génétique grave 265

Article 2 (article L. 1131-2 du code de la santé publique) : Définition des règles de bonnes pratiques pour les examens génétiques 273

Article 3 (articles L. 1131-2-1 [nouveau], L. 1131-3, L. 1133-6-1 [nouveau] du code de la santé publique) : Nécessité d’une autorisation pour les laboratoires de biologie médicale désirant effectuer des examens génétiques 275

Article 4 (article L. 1131-6 du code de la santé publique) : Renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer les conditions d’information de la parentèle et d’autorisation des laboratoires habilités à effectuer des examens génétiques 279

Après l’article 4 280

TITRE II ORGANES, CELLULES 284

Article 5 (articles L. 1231-3 et L. 1418-1 du code de la santé publique et article 511-3 du code pénal) : Autorisation des dons croisés d’organes entre personnes vivantes 284

Article 5 bis (nouveau) Information sur le don d’organes dans les lycées et les établissements de l’enseignement supérieur 300

Article 5 ter (nouveau) Inscription dans le dossier médical personnalisé du fait que le patient est informé de la législation relative au don d’organes 302

Après l’article 5 303

Article 5 quater (nouveau) Reconnaissance symbolique de la Nation et non-discrimination à l’égard des donneurs d’organes 304

Article 5 quinquies (nouveau) Accès prioritaire des donneurs vivants à la greffe 305

Après l’article 5 307

Article 5 sexies (nouveau) Inscription sur la carte vitale du fait que son titulaire a été informé de la législation en vigueur relative aux dons d’organes 309

Article 5 septies (nouveau) Information sur le don lors de la Journée Défense et Citoyenneté 310

Article 5 octies (nouveau) Évaluation par l’Agence de la biomédecine de l’impact des campagnes d’information sur les dons d’organes 310

Après l’article 5 311

Article 5 nonies (nouveau) : Indemnisation des donneurs vivants par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) 313

Article 5 decies (nouveau) Neutralité financière du don d’organes 314

Article 5 undecies (nouveau) Campagne nationale d’information sur les dons 314

Article 6 (articles L. 1220-1 [nouveau], L. 1241-1, L. 1241-3, L. 1241-3, L. 1243-2 et L. 1245-5 du code de la santé publique) : Harmonisation du régime juridique des cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse et du sang périphérique 316

Article 7 (articles L. 1241-1, L. 1243-2 et L. 1245-2 du code de la santé publique) : Principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire 323

Article 8 (articles L. 1242-1 et L. 1272-4 du code de la santé publique et 511-5 du code pénal) : Autorisation des établissements habilités à prélever des cellules 328

TITRE III DIAGNOSTIC PRÉNATAL, DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE ET ÉCHOGRAPHIE OBSTÉTRICALE ET FœTALE 330

Article 9 (Article L. 2131-1 du code de la santé publique) : Diagnostic prénatal 330

Article 10 (Article L. 2131-4-2 du code de la santé publique) : Agrément des praticiens établissant un DPN 352

Article 11 (Articles L. 2131-4, L. 2131-4-1 et L. 2131-5 du code de la santé publique) : Diagnostic préimplantatoire 353

Article 11 bis [nouveau] Suppression du caractère expérimental du double diagnostic préimplantatoire 358

Article 12 (Articles L. 2131-2, L. 2131-3 et L. 2131-5 du code de la santé publique) : Autorisations des laboratoires de biologie médicale et des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal 359

Après l’article 12 361

TITRE IV INTERRUPTION DE GROSSESSE PRATIQUÉE POUR MOTIF MÉDICAL 363

Article 13 (article L. 2213-1 du code de la santé publique) : Interruption de grossesse pratiquée pour motif médical 363

Après l’article 13 369

TITRE V ACCÈS À DES DONNÉES NON IDENTIFIANTES ET À L’IDENTITÉ DU DONNEUR DE GAMÈTES 370

Article 14 (article L. 1211-5 du code de la santé publique) : Accès à des données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes 380

Article 15 (articles L. 1244-2, L. 1244-7, L. 2141-5 et L. 2141-10 du code de la santé publique) : Information des donneurs et des couples demandeurs sur les conditions de la levée d’anonymat du don de gamètes et de l’accueil d’embryon 391

Article 16 (articles L. 2143-3, L. 2143-4, L. 2143-5, L. 2143-6 [nouveaux] du code de la santé publique) : Modalités d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes 395

Article 17 (article 16-8 du code civil) : Inscription dans le code civil de la levée de l’anonymat du don de gamètes 402

Article 18 (articles 511-10 du code pénal et L. 1273-3 du code de la santé publique) : Dépénalisation de la divulgation d’informations relatives aux donneurs dans le cadre de la levée de l’anonymat du don de gamètes 404

Article 18 bis (nouveau) : Réglementation de la conservation des données détenues par les CECOS 405

TITRE VI ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION 406

Article 19 A (nouveau) : Don d’ovocytes par des femmes n’ayant pas encore procréé et autorisation d’absence au bénéfice des donneuses 406

Article 19 B (nouveau) : Suppression de l’agrément individuel des praticiens exerçant des activités d’AMP ou de DPN 410

Article 19 (Article. L. 2141-1 du code de la santé publique) : Autorisation des procédés utilisés en assistance médicale à la procréation ; règles de bonnes pratiques en matière de stimulation ovarienne 412

Après l’article 19. 429

Article 20 (Article. L. 2141-2 du code de la santé publique) : Affirmation de la finalité médicale de l’AMP ; accès à l’AMP des partenaires d’un PACS sans condition de délai 430

Article 20 bis (nouveau) : Autorisation du transfert d’embryon post-mortem 443

Après l’article 20 445

Article 21 (Article. L. 2141-4 du code de la santé publique) : Consentement des couples à l’utilisation des embryons surnuméraires pour la recherche 446

Article 21 bis (nouveau) : Suppression du caractère exceptionnel du don d’embryon 451

Article 22 (Articles L. 2141-3, L. 2141-7 et L. 2141-10 du code de la santé publique) : Coordination 452

Article 22 bis (nouveau) : Promotion de la recherche sur les causes de la stérilité 453

Article 22 ter (nouveau) : Évaluation des centres d’assistance médicale à la procréation par l’Agence de la biomédecine 454

Après l’article 22 454

Article 22 quater (nouveau) : Habilitation des sages-femmes à concourir aux activités d’assistance médicale à la procréation 455

Après l’article 22 455

TITRE VII RECHERCHE SUR L’EMBRYON ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES 460

Article 23 (Article L. 2151-5 du code de la santé publique) : Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires 460

Article 24 (Articles L. 2151-6, L. 2151-7 et L. 2151-8 du code de la santé publique) : Cellules souches embryonnaires 495

Après l’article 24 503

TITRE VII BIS (NOUVEAU) NEUROSCIENCES ET IMAGERIE MÉDICALE 504

Article 24 bis (nouveau) Encadrement des usages des techniques d’imagerie cérébrale 504

TITRE VII TER (NOUVEAU) APPLICATION ET ÉVALUATION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE 505

Article 24 ter (nouveau) : Rapport du Comité consultatif national d’éthique 505

Article 24 quater (nouveau) : Adaptation des missions de l’Agence de biomédecine 505

Après l’article 24 506

Article 24 quinquies (nouveau) : Clause de conscience des personnels de recherche 506

Après l’article 24 507

Article 24 sexies (nouveau) : Rapport du Gouvernement sur les enjeux éthiques des sciences émergentes 508

Après l’article 24 509

TITRE VIII DISPOSITIONS OUTRE-MER 510

Article 25 (articles L. 1521-6, L. 1541-5, L. 1541-6 et L. 1541-7 [nouveaux]) : Application dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie des dispositions relatives à l’examen des caractéristiques génétiques 510

Article 26 : Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives aux dons croisés d’organes et au régime des cellules souches hématopoïétiques 512

Article 27 (Articles L. 2421-2, L. 2441-2 et L. 2441-3 du code de la santé publique) : Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire 515

Article 28 (Articles L. 2445-2 et 2445-4 du code de la santé publique) :  Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives à l’interruption médicale et volontaire de grossesse 519

Article 29 (Articles L. 2442-1, L. 2442-5 [nouveau] du code de la santé publique) : Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives à la levée de l’anonymat du don de gamètes 520

Article 30 (Articles L. 2142-1, L. 2421-1 et L. 2442-2 du code de la santé publique) : Application outre-mer des dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation 522

Article 31 Applicabilité du régime juridique de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires pour l’outre-mer 523

Article 32 : Dispositions transitoires et diverses applicables à l’outre-mer 523

TITRE IX DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET DIVERSES 524

Article 33 : Dispositions transitoires et diverses 524

ANNEXE : APPLICATION DE L’ARTICLE 86, ALINÉA 8, DU RÈGLEMENT 529

Principales modifications apportées par la commission

Parmi les 242 amendements examinés par la commission spéciale, lors de ses séances des 25 et 26 janvier 2011, en présence de Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé et de M. Xavier Bertrand, ministre de l’emploi, du travail et de la santé, la commission en a retenu 117.

 Au titre Ier (Examen des caractéristiques génétiques), la commission spéciale a apporté plusieurs modifications au projet de loi :

– la procédure d’information de la parentèle a été clarifiée dans les cas où la personne qui subit l’examen génétique ne souhaite pas prendre connaissance de ses résultats (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– le médecin prescripteur devra proposer à la personne dont le diagnostic révèle une anomalie génétique grave de prendre contact avec une association de malades agréée (adoption d’un amendement de M. Xavier Breton).

● Au titre II (Organes et cellules), les principales modifications au projet de loi portent sur :

– l’affirmation du principe de non-discrimination à l’égard des donneurs d’organes (adoption des amendements de MM. Philippe Gosselin, Olivier Jardé, Jacques Domergue et Alain Claeys) ;

– la demande de deux rapports au Gouvernement visant à améliorer les conditions d’indemnisation des donneurs vivants en cas de complication médicale et à garantir la neutralité financière du don d’organes et de gamètes (adoption des amendements de MM. Yves Bur, Philippe Gosselin, Olivier Jardé, Jacques Domergue et Alain Claeys) ;

– l’octroi d’une priorité dans l’accès aux greffons aux donneurs vivants d’organes (adoption des amendements de MM. Yves Bur, Olivier Jardé, Jacques Domergue et Alain Claeys) ;

– l’inscription sur le dossier médical personnalisé et sur la carte vitale du fait que le patient est informé de la législation relative aux dons d’organes (adoption de deux amendements de M. Philippe Gosselin) ;

– l’amélioration de l’information de la population sur les dons d’organes. Le projet de loi prévoit une information sur le don d’organes et de cellules dans les lycées et les établissements de l’enseignement supérieur ainsi que dans le cadre de la Journée Défense et citoyenneté. Il prévoit également l’organisation d’une campagne d’information annuelle sur le don dans les principaux médias publics (adoption de trois amendements de M. Philippe Gosselin).

 Au titre III (Diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire et échographie obstétricale et fœtale), les principales modifications au projet de loi portent sur :

– la faculté pour la femme enceinte de disposer de façon générale, y compris lorsqu’elle n’est pas orientée vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, d’une information sans avoir à la demander, tout en respectant son choix de refuser l’information (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– l’assurance que la femme enceinte reçoive une information complète avant l’expression de son consentement pour que celui-ci soit vraiment éclairé (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– la réaffirmation que l’ensemble des examens proposés dans le cadre du diagnostic prénatal présente un caractère facultatif (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– la suppression du caractère expérimental du DPI-HLA (adoption d’un amendement du rapporteur).

 Au titre V (Accès à des données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes), la commission spéciale est restée sur le principe de l’anonymat du don de gamètes, en supprimant les articles 14 à 18 (adoption des amendements du rapporteur et de MM. Paul Jeanneteau, Michel Vaxès et Olivier Jardé).

La commission a également précisé les conditions de conservation et de traitement des informations relatives aux donneurs par les Centres d’études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) et leur contrôle par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (adoption d’un amendement du rapporteur).

 Au titre VI (Assistance médicale à la procréation), plusieurs modifications ont été apportées :

– le don d’ovocytes est facilité : les femmes majeures  nullipares pourront donner leurs ovocytes; elles pourront se voir proposer la possibilité de conserver une partie de ces ovocytes à des fins d’utilisation autologue, en cas d’infertilité survenant après le don, dans le cadre de droit commun de l’assistance médicale à la procréation ; les donneuses pourront bénéficier d’autorisations d’absences de leur employeur pour se rendre aux examens et se soumettre aux traitements nécessaires au don (amendement du rapporteur) ;

– la vitrification ovocytaire est autorisée et l’AMP privilégie les procédés permettant de limiter le nombre des embryons conservés (amendement du rapporteur)

– le nombre d’ovocytes fécondés est limité à trois (amendement de MM Jean-Sébastien Vialatte et Olivier Jardé) ;

– l’accès à l’assistance médicale à la procréation est ouvert aux couples indépendamment de leur statut juridique ; la condition de pouvoir justifier d’une vie commune d’au moins deux ans imposée aux concubins est supprimée (amendement du rapporteur) ;

– le transfert d’embryons post mortem pourra être autorisé après avis de l’Agence de la biomédecine et sous réserve du consentement donné par le père de son vivant (amendements de MM Jean-Sébastien Vialatte, Olivier Jardé, Alain Claeys et de Mme Martine Aurillac) ;

– les sages-femmes sont autorisées à concourir aux activités d’assistance médicale à la procréation et l’agrément individuel des praticiens en AMP et DPN est supprimé (amendements du rapporteur) ;

– les missions de l’ABM sont élargies afin de lui permettre de lancer des appels à projet dans le domaine des recherches sur les causes de la stérilité et d’évaluer les centres d’AMP en fonction des caractéristiques de leur patientèle (amendements de M. Xavier Breton).

 Au titre VII (Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires), les principales modifications au projet de loi portent sur :

– le fait que les recherches alternatives à celles sur l’embryon et conformes à l’éthique devront être favorisées (adoption d’un amendement de M.  Xavier Breton) ;

– l’information du couple consentant à ce que ses embryons surnuméraires fassent l’objet d’une recherche sur la nature des recherches envisagées (adoption d’un amendement de M.  Xavier Breton) ;

 Création d’un titre VII bis portant sur les neurosciences et sur les techniques d’imagerie cérébrale. Ce titre introduit deux nouveaux articles 16-14 et 16-15 dans le code civil qui réservent l’usage des techniques d’imagerie cérébrale à des finalités médicales et scientifiques et qui prohibent les discriminations qui seraient fondées sur l’usage de ces techniques (adoption de deux amendements du rapporteur).

 Création d’un titre VII ter qui regroupe les dispositions institutionnelles en matière d’application et d’évaluation de la loi de bioéthique. Ce nouveau titre contient quatre articles qui prévoient notamment :

– une discussion parlementaire annuelle en séance publique, sur le fondement du rapport d’activité de l’Agence de la biomédecine (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– le renforcement du contenu du rapport de l’Agence de la biomédecine, qui devra notamment comprendre une évaluation des recherches sur les cellules souches embryonnaires en France par rapport aux recherches sur les autres cellules et par rapport aux recherches menées à l’étranger (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– l’extension des compétences de l’Agence de la biomédecine à l’information du Parlement et du Gouvernement en matière de neurosciences (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– la publication d’un rapport du comité consultatif national d’éthique, tous les deux ans, sur les principaux enjeux éthiques de la loi de bioéthique (adoption d’un amendement du rapporteur) ;

– la création d’une clause de conscience pour les personnes qui ne souhaitent pas participer aux recherches sur l’embryon ou sur les cellules souches embryonnaires (adoption d’un amendement de M. Breton).

INTRODUCTION

MESDAMES, MESSIEURS,

Voici maintenant plus de quinze ans que les premières lois de bioéthique étaient adoptées. Depuis, la réflexion éthique sur la science et sur ses rapports avec le corps humain n’a pas cessé, rythmée par la révision de 2004 et par la révision actuelle. Il ne se passe pas une année sans que plusieurs des sujets relevant des lois de bioéthique ne soient au centre de l’actualité, à la faveur d’un progrès scientifique, de la publication d’un rapport préparatoire à la révision ou de la naissance d’un débat public autour d’un cas médiatisé. Cette nécessaire adaptation des lois de bioéthique à une réalité mouvante en fait l’originalité et implique, en retour, des conditions d’élaboration particulières, dans lesquelles le Parlement occupe une place centrale, au croisement des interrogations et des propositions de la société civile, des professionnels de santé et du monde scientifique.

La première particularité des lois de bioéthique tient au champ, immense, qu’elles couvrent. À vrai dire, il n’existe pas de définition de la bioéthique qui fasse réellement consensus. Cette notion recouvre davantage une série de domaines, qui ont trait aux relations entre le corps humain et la science et notamment la médecine. Sont ainsi concernés l’assistance médicale à la procréation, les dons de produits du corps humain – en particulier les dons d’organes et les dons de gamètes – la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches qui en sont issues, les tests génétiques et les brevets qui portent sur des produits du corps humain. La définition de la bioéthique est d’une telle extensivité et d’une telle imprécision que l’on hésite à y inclure les problématiques liées à la fin de vie qui se rattachent plus aux droits des malades et que l’on s’interroge sur l’opportunité d’y faire figurer les implications éthiques des sciences émergentes, notamment les nanotechnologies et les neurosciences.

À la lecture de cette liste apparaît immédiatement la seconde spécificité des lois de bioéthique, qui est la nécessité d’adopter des positions cohérentes, afin d’éviter que les réglementations de ces différents domaines n’entrent en contradiction ou que les principes dont elles découlent ne soient trop éloignés les uns des autres. Il s’agit là d’un choix spécifiquement français. Si la plupart des autres pays européens se sont également dotés de normes pour régir les relations de la science et du corps humain, seule la France a fait le choix de les discuter ensemble. De ce travail de réflexion globale sont issus les grands principes qui figurent aujourd’hui dans les premiers articles du code civil, tels que celui de la dignité de la personne humaine, celui de l’indisponibilité du corps humain, celui de la gratuité et de l’anonymat du don ou celui de l’intégrité de l’espèce humaine. Leur spécificité est de ne pas régir un seul des domaines couverts par les lois de bioéthique, mais d’irriguer le code civil et le code de la santé publique. Ils constituent l’identité bioéthique de la France, l’affirmation de ses valeurs et l’expression d’une originalité. Leur caractère fondamental tient au fait qu’ils forment l’un des éléments de la troisième génération des droits de l’homme, venant après les libertés politiques et les droits économiques et sociaux. Ce n’est pas un hasard si le rapport que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avait écrit en 1992 portait comme titre Les sciences de la vie et les droits de l’homme.

De cette particularité française découle en partie la troisième spécificité des lois de bioéthique : les principes qu’elles affirment ont une valeur supérieure aux dispositions d’une simple loi. Ceci est manifeste sur le plan international puisque le travail de mise en cohérence et d’élaboration des principes qu’a conduit la France lui a permis (ainsi qu’à ses juristes) d’inspirer très largement le droit européen et international de la bioéthique, qui ne peut nécessairement comporter que des principes généraux, respectant la marge de manœuvre de chacun des États Parties. C’est le cas de la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine ou de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la bioéthique et les droits de l’homme. Sur le plan interne également, si le Conseil constitutionnel n’a pas conféré directement valeur constitutionnelle aux principes du code civil, il les a rattachés à la notion de dignité de la personne humaine, qui a valeur constitutionnelle.

Ce sont l’ensemble de ces caractéristiques qui nécessitent et qui justifient que les procédures de préparation, de discussion et d’adoption de ces lois aient toujours été un peu hors du commun puisque le Parlement se trouve de fait placé au centre des révisions de la loi. Il dispose alors du temps qui lui est nécessaire pour remplir ses nouvelles missions constitutionnelles dans l’ordre le plus valorisant pour lui : évaluer, contrôler et voter la loi.

L’évaluation de la loi est le préalable indispensable à sa révision. Le Parlement a toujours saisi l’occasion des lois de bioéthique pour mener un travail considérable d’évaluation en amont. D’une part, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a systématiquement produit un rapport pour éclairer le Parlement sur les enjeux scientifiques des lois qu’il allait devoir examiner (1). D’autre part, la révision des lois de bioéthique a toujours été précédée de la constitution d’une mission d’information. Tous les acteurs des domaines relevant de la bioéthique sont donc auditionnés à plusieurs reprises. Le processus de révision en cours ne fait pas exception, puisque la mission d’information de l’Assemblée a entendu toutes les personnes aptes à l’éclairer (2), des meilleurs spécialistes de la procréation médicalement assistée aux anthropologues et aux sociologues qui ont réfléchi sur les évolutions de la famille, des associations qui revendiquent de nouveaux droits aux agences qui sont chargées de l’application des dispositions actuelles. Se déroule ainsi une lente gestation, qui est seule apte à faire naître des grands principes partagés.

Si le Parlement est l’acteur central de ce processus d’évaluation, ce n’est pas le seul. Il se situe à l’interface des organes techniques ou consultatifs (que l’on pense aux rapports élaborés par le Comité consultatif national d’éthique (3), par l’Agence de la Biomédecine (4) ou par le Conseil d’État (5)) et de la société civile. Cette dernière n’est pas seulement destinataire des travaux du Parlement, elle en est également l’une des inspiratrices. Ce rôle s’est encore accru lors de cette nouvelle révision, qui a vu la création des États généraux de la bioéthique. Trois forums thématiques se sont tenus dans des grandes villes françaises, des rencontres régionales ont été organisées au sein des espaces éthiques régionaux et un site Internet a été ouvert pour recueillir les contributions de chaque citoyen qui le désire. Ces débats ont donné lieu à la rédaction d’avis, qui rejoignent largement les conclusions de la mission d’information parlementaire (6).

Après ces phases essentielles d’évaluation et de contrôle, viennent l’élaboration et la discussion proprement dites de la loi. Le débat parlementaire et le débat public s’alimentent mutuellement. Il n’est pas rare d’ailleurs que les débats parlementaires dépassent les clivages politiques, notamment dans le cadre de l’examen du projet de loi en commission spéciale, structure parlementaire qui permet à des députés membres de toutes les commissions de participer au débat. Il faut souligner qu’en 1994 comme en 2004, ce processus de maturation de la loi, à travers une double lecture au sein de chaque chambre, s’est poursuivi malgré un changement de majorité. Si le texte final en a été transformé, il n’en a pas été bouleversé pour autant par rapport au projet initial.

À vrai dire, les spécificités que nous venons de mettre en valeur témoignent du fait que la bioéthique et les lois portant sur la bioéthique constituent aujourd’hui un exemple original de débat démocratique, que la démocratie se définisse comme le régime assurant aux citoyens la garantie de leurs droits ou comme celui garantissant le libre choix par le peuple de ses représentants et de ses lois. Avant même la révision constitutionnelle de 2008 et le renforcement des droits du Parlement, ce dernier avait assumé la totalité de ses prérogatives, apparaissant comme le cœur d’une délibération collective engagée au sein de la société tout entière.

Cette démarche constitue une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que la France ne doit pas se sentir obligée de prendre systématiquement modèle sur l’étranger. Forte de ses spécificités, de l’originalité de ses procédures et armée de ses principes, elle peut aborder sereinement les débats contemporains, qui opposent de plus en plus la revendication de droits individuels à une vision collective de valeurs communes et affirmer dans un monde en quête de repères son attachement à ces mêmes valeurs.

I.- LA RÉAFFIRMATION DES GRANDS PRINCIPES BIOÉTHIQUES DANS LES DOMAINES DE LA GÉNÉTIQUE ET DU DON D’ORGANES ET DE CELLULES

Le projet de loi renforce l’effectivité des grands principes bioéthique, notamment dans les domaines de la génétique et du don d’organes et de cellules, en réécrivant la procédure d’information de la parentèle, en encadrant les dons croisés d’organes et en interdisant les banques autologues de sang de cordon.

A. UNE PROCÉDURE D’INFORMATION DE LA PARENTÈLE CONCILIANT DROITS DES TIERS ET SECRET MÉDICAL

La procédure d’information de la parentèle permet au porteur d’une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de prévention ou de soins, de prévenir les membres de sa famille potentiellement concernés qu’ils peuvent également être porteurs de la même anomalie génétique.

1. Un dispositif inappliqué, au détriment des droits des tiers

L’article L. 1131-1 du code de la santé publique institue une obligation, pour le porteur d’une anomalie génétique grave d’en informer les membres de sa parentèle dans les cas où des mesures de prévention ou de soins pourraient leur être proposées.

Parallèlement à cette obligation, une procédure est prévue afin que la personne qui est porteuse de l’anomalie ne soit pas contrainte de procéder elle-même à cette information. En effet, le médecin prescripteur de l’examen génétique peut recueillir les coordonnées de la parentèle et les transmettre à l’agence de la biomédecine qui se charge d’informer la parentèle de l’existence d’une information médicale à caractère familial susceptible de les concerner.

Cependant, ce dispositif n’a jamais pu être mis en œuvre, faute de décret d’application. Ce dernier s’est avéré impossible à écrire dans la mesure où la procédure prévue par l’article L. 1131-1 du code de la santé publique était trop complexe. En conséquence, les membres de la parentèle qui n’étaient pas informés de la présence d’une anomalie génétique grave au sein de leur famille étaient susceptibles de perdre une chance d’être soignées, sans que cela ne leur ouvre droit à une quelconque action en réparation.

2. Une nouvelle procédure qui concilie l’ensemble des intérêts en présence

L’article 1er du projet de loi met fin à cette situation en instaurant une nouvelle procédure d’information de la parentèle qui concilie les différents droits et intérêts en présence, au nombre desquels on peut compter :

– le respect du secret médical. Ainsi, tant la mission d’information (7) que les États généraux de la bioéthique (8) ont conclu qu’il était nécessaire de préserver le secret médical dans les cas où la personne qui a subi le test génétique ne souhaite pas informer sa parentèle. Les députés comme les citoyens jugent nécessaire que le patient soit mieux accompagné par le médecin dans la difficile démarche de partage d’informations médicales ;

– le respect du droit de ne pas savoir. La personne qui a effectué le test génétique peut décider de ne pas prendre connaissance de ses résultats, conformément au quatrième alinéa de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique. Le projet de loi lui permet néanmoins de déclencher la procédure d’information de la parentèle ;

– le respect des droits des tiers. La nouvelle procédure prévoit que la personne qui pratique un examen génétique a l’obligation d’informer la parentèle de ses résultats si des mesures de prévention ou de soin peuvent être envisagées. À défaut, sa responsabilité pourrait être engagée.

La procédure instituée par le projet de loi atteint donc un équilibre entre ces différentes exigences en prévoyant la possibilité, pour la personne, de demander au médecin qui a prescrit l’examen de procéder lui-même à l’information de la parentèle, par l’intermédiaire de l’un de ses confrères.

B. UNE AUTORISATION ENCADRÉE DES DONS CROISÉS D’ORGANES

1. Répondre à la situation de pénurie de greffons

Le nombre de porteurs de greffons est aujourd’hui estimé à 40 000 en France. Comme le souligne le rapport de l’Agence de la biomédecine d’octobre 2008 (9), cette thérapeutique est de plus en plus efficace : ses résultats en termes de durée et de qualité de vie des patients sont en constante progression.

Nombre de greffes par an

 

2004

2005

2006

2007

Cœur

317

339

358

366

Cœur-poumons

22

21

22

20

Poumons

145

184

182

203

Foie

931

1 024

1 037

1 061

Rein

2 424

2 572

2 731

2 911

Pancréas

103

92

90

99

Intestin

7

6

8

6

Total

3 494

4 238

4 428

4 666

Source : Agence de la biomédecine.

Cependant, on observe un décalage croissant entre les besoins et le nombre de greffons disponibles. Chaque année, 300 à 400 personnes décèdent en attente de greffe et le nombre de malades en attente ne cesse de progresser.

2. Préserver l’équilibre de notre législation

Face à la pénurie de greffons, plusieurs options sont possibles : étendre les possibilités de prélèvement d’organes sur les personnes en état de mort encéphalique ; développer le prélèvement sur les donneurs décédés après arrêt cardiaque et enfin favoriser la greffe à partir de donneurs vivants. Il convient cependant de préciser que toute modification brutale de la législation risquerait de déstabiliser l’équilibre de notre système et entraînerait une baisse des dons.

La première marge de progrès concerne les prélèvements sur personnes décédées, qui représentent aujourd’hui 95 % des prélèvements d’organes. On constate depuis 2004 une progression des taux de prélèvement sur donneur décédé (10). Cependant, sur quelque 3 000 donneurs potentiels recensés chaque année par l’Agence de la biomédecine, 30 % sont refusés, dans 4 cas sur 10 parce que le défunt a déclaré son opposition de son vivant, dans les autres parce que sa famille s’y oppose.

Le prélèvement sur personne décédée obéit en effet au principe de consentement présumé, défini par l’article L. 1232-1 du code de la santé publique, selon lequel « ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment. »

Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés.

Dans les faits, les familles du défunt sont souvent mal informées sur le don d’organes et peu préparées à cette éventualité. Il est difficile pour le médecin, bien souvent dans des situations de grande souffrance, de discuter le refus éventuel des proches, ce qui explique un taux de refus relativement élevé (30 %).

C’est pourquoi certaines associations de malades militent en faveur du passage à un consentement explicite, qui suppose la création d’un fichier national des donneurs d’organes. Notons que les citoyens ayant participé aux États généraux de la bioéthique ont préconisé la création d’un « registre du choix », considérant qu’ « un don solidaire devait être l’effet d’un choix assumé » (11).

Cependant, votre rapporteur, suivant l’avis de l’Agence de la biomédecine et du Conseil d’État (12), estime qu’il est peu opportun de modifier la législation sur ce point. Il n’est pas certain que le régime du consentement éclairé pratiqué dans certains pays soit plus efficace que le régime de consentement présumé.

L’exemple des pays qui ont adopté le système du fichier positif n’est guère probant. En effet, l’Allemagne connaît une situation de pénurie grave de greffons, avec 4 675 transplantations en 2008 pour 12 000 malades en attente. Au Royaume-Uni, 3 513 transplantations ont été effectuées en 2009 pour 7 877 personnes en attente et selon une étude récente, 64 % de la population serait favorable au consentement présumé. A contrario, la Belgique qui est passée d’un régime de consentement explicite à un régime de consentement présumé, a vu son taux de dons presque doubler en trois ans. En Espagne, dont le régime est similaire au nôtre, le taux de refus de prélèvement par la famille est de moitié inférieur à celui de la France. Ces exemples montrent que c’est autant le régime juridique que l’attitude de la société à l’égard de la mort et de la solidarité qui influent sur les dons d’organes. De plus, un régime de consentement explicite n’implique pas obligatoirement que le médecin pourrait se passer totalement de l’avis des familles.

La réponse tient donc d’avantage dans l’information du grand public et des jeunes et dans le dialogue avec les familles avant le décès du donneur, que dans le changement de régime juridique.

La deuxième option consiste en un élargissement du champ des donneurs vivants. Votre rapporteur estime que cette solution doit être abordée avec la plus grande prudence.

En effet, notre régime juridique a toujours considéré les prélèvements d’organes sur donneurs vivants comme une exception, au nom du respect des principes de non violabilité et de non patrimonialité du corps humain consacrés par le code civil, mais aussi du « primum non nocere » (13), principe directeur de la médecine. De fait, ils représentent environ 5 % des prélèvements en France. Il s’agit en majorité de greffes de rein (235 greffes en 2007) et de foie (18 greffes en 2007).

Le prélèvement d’organes sur une personne vivante est strictement encadré. L’article L. 1231-1 du code de la santé publique prévoit qu’il ne peut être opéré que dans l’intérêt thérapeutique direct du receveur, et que le donneur doit avoir la qualité de père ou de mère du receveur. Par dérogation, et depuis la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, le cercle des donneurs a été ouvert à la parentèle élargie (14). Dans les faits, 78 % des donneurs sont les parents, ou les frères et sœurs du receveur. Afin de garantir le choix libre et éclairé des donneurs, et d’éviter toute pression psychologique ou pécuniaire, le président du tribunal de grande instance et un comité d’experts composé de médecins et de psychologues sont chargés de recueillir leur consentement.

Pour répondre à la situation de pénurie de greffons, l’Agence de la biomédecine, dans son rapport précité, ainsi que les citoyens ayant participé aux États généraux de la bioéthique, ont envisagé la possibilité d’une extension des dons d’organes entre vifs par le don croisé, mais aussi par l’élargissement du cercle des donneurs à toute personne ayant des « liens affectifs étroits et stables » avec le receveur.

Si votre rapporteur est favorable à la première option, à condition qu’elle soit encadrée, il considère que l’assouplissement du lien entre donneur et receveur est une solution périlleuse, dont les résultats sont incertains. Au-delà des risques de pressions pécuniaires qui pourraient s’exercer sur le donneur, de la potentielle hausse des trafics, des divergences d’interprétation auxquelles une définition si large pourrait donner lieu, une telle mesure donnerait un mauvais signal à la population, alors même que la priorité doit être accordée au développement des prélèvements sur personnes décédées.

3. La solution proposée par le projet de loi : une autorisation encadrée du don croisé d’organes

L’article 5 du projet de loi autorise et encadre la pratique du don croisé d’organes en France. Il s’inspire pour cela de la législation des pays où elle est permise, tels que l’Italie ou les Pays-Bas, tout en respectant les grands principes énoncés par les lois de bioéthique de 1994 et 2004.

Par don croisé, on entend la possibilité pour le donneur d’un couple A de donner son rein au receveur du couple B, et vice-versa, dès lors qu’il y a incompatibilité entre les deux membres de chaque couple.

Pour mémoire, l’autorisation du don croisé s’inscrit dans le droit commun relatif aux dons d’organes. Il n’implique pas de revoir la liste des donneurs vivants potentiels, il respecte le principe d’anonymat consacré par l’article L. 1211-5 du code de la santé publique, enfin, les donneurs de chaque « paire » doivent faire part de leur consentement devant le président du tribunal de grande instance ainsi que devant le comité d’experts, après avoir été dûment informés des bénéfices mais aussi des risques du prélèvement d’organes.

Innovation importante du projet de loi : les actes de prélèvement et de greffe auront lieu simultanément, ce qui implique la mise à disposition de quatre blocs opératoires de façon simultanée sur deux sites différents. Une telle charge organisationnelle permet de penser que le don croisé sera pratiqué par un nombre limité de sites en France.

Enfin, il reviendra à l’Agence de la biomédecine de veiller à l’appariement des paires, une fois le consentement des donneurs obtenu.

4. Mieux informer la population et mieux reconnaître les donneurs d’organes vivants

De nombreux rapports ont insisté sur l’insuffisance ou le caractère inadapté de l’information de la population relative aux dons d’organes. De fait, c’est bien souvent la désinformation des familles qui entraîne leur refus du prélèvement d’organes au moment du décès d’un proche. Il est donc essentiel que le maximum de personnes prennent position de leur vivant sur le don d’organes et que chacun soit sensibilisé à cette problématique.

C’est pourquoi la commission spéciale a adopté un certain nombre d’amendements qui visent à améliorer l’information de la population et en particulier des jeunes. Ainsi, il est prévu une information spécifique au lycée et dans les établissements de l’enseignement supérieur sur la législation relative aux dons d’organes et sur les modalités d’inscription au registre national du refus. La Journée Défense et citoyenneté devrait également être d’avantage mise à profit pour informer les jeunes. Enfin, l’Agence de la biomédecine devrait mentionner dans son rapport annuel le détail des campagnes d’information qu’elle a menées dans l’année et leur impact.

Par ailleurs, la commission spéciale a souhaité affirmer la reconnaissance de la Nation envers les donneurs d’organes. En pratique, cette reconnaissance passe par l’amélioration de leur situation sur trois points : leur indemnisation en cas de complication médicale ; l’effectivité de la neutralité financière du don, qui passe notamment pas de meilleurs délais de remboursement des frais engagés à l’occasion du prélèvement ; enfin, l’affirmation du principe de non-discrimination à leur encontre, notamment pour les assurances et les banques. La commission spéciale a adopté trois articles additionnels visant à demander au Gouvernement des solutions précises sur ces trois sujets.

C. UN MEILLEUR ENCADREMENT DES DONS DE CELLULES SOUCHES HÉMATOPOÏÉTIQUES

Le projet de loi clarifie et adapte le régime juridique des cellules souches hématopoïétiques afin de leur appliquer les grands principes du droit de la bioéthique.

1. Un régime juridique trop complexe et inadapté aux exigences qui découlent des grands principes bioéthiques

Les cellules souches hématopoïétiques (CSH), qui sont utilisées de manière croissante dans les cas de maladies graves du sang, peuvent avoir trois origines différentes. Elles peuvent être prélevées directement dans la moelle osseuse, dans le sang périphérique, par l’intermédiaire d’une prise de sang ou sous la forme de sang de cordon et de placenta lors d’un accouchement.

Or, leur encadrement actuel n’est pas satisfaisant, dans la mesure où ces trois types de cellules souches hématopoïétiques sont soumis à trois régimes juridiques différents. En effet, les cellules prélevées dans le sang périphérique sont considérées comme des cellules sanguines, régies de ce fait par les dispositions du code de la santé publique relatives au sang humain, alors que les CSH prélevées dans la moelle osseuse sont soumises au régime juridique applicable aux tissus et cellules du corps humain. Enfin, le sang de cordon et le sang placentaire n’ayant pas de statut juridique particulier, ils sont actuellement considérés comme un déchet opératoire.

Deux inconvénients majeurs résultent de ce dispositif d’ensemble. D’une part, le droit est devenu complexe, en multipliant les régimes juridiques applicables, alors que les cellules dont il est question peuvent parfois être parfaitement identiques. D’autre part, le recueil des cellules du sang de cordon et du sang placentaire n’est pas soumis à l’expression d’un consentement par la femme enceinte, celles-ci étant assimilées à un déchet opératoire.

C’est pourquoi la mission d’information parlementaire avait préconisé de clarifier le régime juridique applicable aux cellules souches hématopoïétiques (15).

2. Un débat sur l’opportunité d’interdire les banques privées à finalité autologue de sang de cordon

Les différentes instances qui se sont penchées sur la révision des lois de bioéthique en amont du débat parlementaire ont dans la très grande majorité, abordé la question de l’opportunité d’autoriser la conservation autologue de sang de cordon.

Deux arguments peuvent militer dans ce sens. Tout d’abord, le nombre d’unités de sang placentaire actuellement conservées en France est relativement peu important par rapport à celui dont dispose les pays comparables dans le monde. Elle se situe ainsi au seizième rang mondial (16) en terme d’unités par habitant, avec un stock d’environ 8 250 unités conservées dans sept banques publiques allogéniques. En conséquence, ainsi que le pointait la mission parlementaire, 77 % des greffons de CSH bénéficiant aux patients nationaux doivent être importés, avec un coût unitaire de 25 000 euros, alors qu’un greffon conservé en France revient à 2 000 euros.

D’autre part, de nombreux pays européens ont autorisé la conservation de cellules de sang de cordon et de sang placentaire à des fins autologues. Ce modèle, retenu notamment par l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, la Pologne et le Royaume-Uni, se traduit par la coexistence de banques publiques et de banques privées. La même possibilité est ouverte au Canada et aux États-Unis. Les couples peuvent alors décider, à l’accouchement, de conserver le sang du cordon et du placenta en vue d’une éventuelle utilisation thérapeutique future en faveur de leur descendance.

Chaque instance a alors pris position sur la question. Ainsi, l’Académie nationale de médecine, dans son rapport du 19 novembre 2002, et le Comité consultatif national d’éthique, dans son avis n° 74 du 12 décembre 2002, se sont déclarés opposés à la création de banques commerciales privées ayant pour objet le prélèvement et le stockage de sang de cordon pour un usage strictement personnel.

En revanche, tant la mission d’information parlementaire que le Conseil d’État et le rapport dédié au sujet de la sénatrice Marie-Thérèse Hermange ont laissé la porte ouverte à la constitution de banques privées, à la condition expresse que l’usage allogénique des unités de sang placentaire qui y seraient stockées soit prioritaire sur l’usage autologue. Dans ce cas, un dédommagement serait versé à la personne ayant procédé au stockage.

3. Le projet de loi réaffirme les principes fondateurs de la bioéthique pour encadrer les prélèvements de cellules souches hématopoïétiques

Afin de trancher cette question et de clarifier le régime juridique applicable aux cellules souches hématopoïétiques, les articles 6 à 8 du projet de loi réaffirment les principes désormais classiques du droit de la bioéthique.

L’article 6 aligne le régime juridique des CSH issues du sang périphérique sur celui des cellules prélevées dans la moelle osseuse. De la sorte, les garanties données aux donneurs sont harmonisées vers le haut, le passage devant un magistrat pour l’expression du consentement étant nécessaire dans tous les cas. De même, cet article renforce les exigences en matière de sécurité sanitaire des préparations à base de CSH du sang périphérique et de la moelle osseuse.

Un régime de consentement libre et éclairé est également créé par l’article 7 du projet de loi pour ce qui est des prélèvements de cellules du sang placentaire et du sang de cordon. Ces dernières ne seraient donc plus considérées comme des résidus opératoires.

Enfin, sur la question de l’autorisation des banques autologues, le projet de loi adopte la seule position qui est conforme au respect des grands principes bioéthiques tels qu’ils sont inscrits dans le code civil et dans le code de la santé publique. L’anonymat du don, sa gratuité et l’égalité accès aux soins commandent en effet que soient privilégiées les banques publiques à finalité allogénique de sang de cordon et de sang placentaire. Ceci est d’autant plus vrai qu’aucune indication thérapeutique n’existe à l’heure actuelle en matière d’utilisation autologue de ces cellules. Il serait donc absurde de cantonner l’accès aux banques aux seules personnes qui peuvent y contribuer financièrement, alors que ces prélèvements, qui sont en nombre insuffisant, sont susceptibles de ne jamais pouvoir être utilisés, faute d’indications thérapeutiques.

Néanmoins, en complément de cette interdiction, il est nécessaire de poursuivre le développement des banques de sang de cordon allogéniques, afin de mieux couvrir les besoins sur le territoire national. À ce titre, quatre à cinq banques devraient être prochainement créées grâce aux crédits du plan cancer.

II.- L’ENCADREMENT ACTUEL DES DIAGNOSTICS ANTÉNATAUX EST CONSERVÉ DANS SES GRANDES LIGNES TOUT EN FAISANT L’OBJET D’AMÉLIORATIONS PONCTUELLES

À côté du diagnostic prénatal (DPN), qui désigne l’ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus, le code de la santé publique prévoit un autre type de diagnostic, dit diagnostic préimplantatoire (DPI), effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation.

L’évolution des techniques diagnostiques soulève de nouvelles questions éthiques au regard du principe du libre choix de la femme et du risque de dérives eugéniques.

A. AMÉLIORER LE RÉGIME JURIDIQUE DU DIAGNOSTIC PRÉNATAL POUR ÉVITER TOUTE DÉRIVE EUGÉNIQUE ET MIEUX INFORMER ET ACCOMPAGNER LA FEMME ENCEINTE

1. La nécessité de renforcer l’encadrement juridique des diagnostics prénataux a été soulignée par de nombreux rapports

Plusieurs rapports ont récemment insisté sur l’opportunité de renforcer l’encadrement juridique des diagnostics prénataux.

a) L’évolution des techniques diagnostiques soulève des questions éthiques nouvelles au regard du risque de dérives eugéniques

L’étude du Conseil d’État « La révision des lois de bioéthique » de mai 2009 a indiqué que les conditions d’accès au DPN, centrées sur la recherche d’affection d’une particulière gravité, « ne permettent pas d’écarter totalement d’éventuelles dérives » eugéniques.

Pour le Conseil d’État, l’eugénisme « peut être désigné comme l’ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine. Il peut être le fruit d’une politique délibérément menée par un État et contraire à la dignité humaine. Il peut aussi être le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, dans une société où primerait la recherche de l’« enfant parfait », ou du moins indemne de nombreuses affections graves ».

Or, celui-ci fait remarquer que « la connaissance de plus en plus précoce des caractéristiques du foetus, en particulier dès la première échographie de surveillance de la grossesse qui intervient entre 11 semaines et 13 semaines et six jours d’aménorrhée, et l’identification d’un risque de trisomie 21 dans le même délai, alors que le délai de réalisation d’une interruption volontaire de grossesse sans motif médical est passé de 12 à 14 semaines d’aménorrhée, soulèvent de nouvelles questions. Dans ce délai, le Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal n’intervient pas pour analyser la situation de façon plus approfondie et délivrer, le cas échéant, une attestation de la particulière gravité de l’affection pour l’enfant à naître permettant, si la femme le souhaite, de réaliser une interruption médicale de grossesse ».

Le développement récent d’autres pratiques diagnostiques, comme les tests génétiques permettant l’identification de gènes dont les altérations constitutionnelles sont associées à un risque élevé de cancer, suscite également des interrogations sur l’opportunité de retenir les indications de formes héréditaires de cancers en matière de DPN et de DPI. La réalisation, en nombre encore très limité, de diagnostics de ce type en France et le débat que cette évolution a suscité ont conduit l’Agence de la biomédecine et l’Institut National du Cancer (INCa) à commanditer une étude (17), réalisée sous la direction du professeur Dominique Stoppa-Lyonnet, ayant pour objet de faire l’état des lieux de la réalisation de DPN et DPI dans le cadre des formes héréditaires de cancers. Cette étude a mis en évidence qu’il fallait s’attendre à ce que les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) soient davantage sollicités dans les années à venir pour ce type d’indication. En s’appuyant sur un groupe multidisciplinaire de vingt experts, ce rapport a souligné l’importance d’une réflexion approfondie sur l’ensemble des aspects entrant en jeu lors de demandes de diagnostic faites avant la naissance d’un enfant par des couples atteints de cancers d’une particulière gravité et d’origine génétique.

De la même façon, le comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) s’est interrogé, dans son avis n° 107 d’octobre 2009 sur « les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) », sur le fait de savoir si la médecine prénatale ne risque pas de « favoriser, à son insu, une sélection des enfants à naître ».

Face à l’évolution des possibilités de techniques diagnostiques, le Conseil d’État a particulièrement insisté sur le fait que la limitation du risque eugénique doit prendre la forme de l’information et de l’accompagnement des femmes. Il estime ainsi que « dans ce contexte d’analyses fœtales de plus en plus précoces, en particulier du fait des performances de l’échographie, sans que le diagnostic ni le pronostic des anomalies détectées ne soient toujours confirmés, la question de l’information de la femme enceinte et de son accompagnement, dès le début de sa grossesse, apparaît en effet essentielle. Dans la pratique du DPN, la dimension d’annonce, d’accompagnement de la femme enceinte dans sa décision de poursuivre ou non la grossesse, et de conseil sur la mise en œuvre des actions périnatales appropriées devrait ainsi être davantage mise en valeur, au-delà de sa seule information (article R. 2131-2 du code de la santé publique) ou de l’édiction de bonnes pratiques (article R. 2131-1-1 du code de la santé publique) déjà prévues ».

b) Les activités d’échographie fœtale ne sont actuellement pas suffisamment encadrées

Alors que l’échographie obstétricale est devenue depuis 1975 le premier moyen utilisé pour le DPN et permet de donner des images du fœtus suffisamment fines pour permettre le dépistage de certaines malformations ou troubles du développement, la loi ne réglemente pas l’échographie fœtale comme les autres explorations prénatales, biologiques et génétiques.

L’échographie n’est en effet pas visée à l’article R. 2131-1 du code de la santé publique qui dresse la liste des analyses rentrant dans le champ du DPN.

Dans son « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » d’octobre 2008, l’Agence de la biomédecine a ainsi appelé l’attention sur le fait que « cette technique n’entre pas dans les domaines de compétence de l’Agence de la biomédecine, notamment en termes d’encadrement et d’évaluation ».

Tout au plus peut-on souligner que les techniques d’imagerie sont soumises, aux termes de l’article R. 2131-1-1 à des règles de « bonnes pratiques » définies par arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition du directeur général de l’Agence de la biomédecine après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), tenant compte des recommandations de la Haute autorité de santé.

En conséquence, l’Agence de la biomédecine a suggéré que « l’encadrement de l’imagerie fœtale par échographie pourrait (…) être homogénéisé avec les autres types d’explorations prénatales » biologiques et génétiques, notamment en termes d’informations préalables, de consentements explicites et de discussions multidisciplinaires.

c) Le diagnostic prénatal ne s’inscrit pas encore suffisamment dans une véritable filière de prise en charge

Comme le souligne le document « État des lieux du diagnostic prénatal en France » de février 2008, réalisé à la demande de l’Agence de la biomédecine par un groupe d’expert du diagnostic prénatal, le DPN a vocation à s’inscrire « dans une véritable filière de prise en charge pour le fœtus, sa mère et l’ensemble de la famille, tout au long de la grossesse mais également au-delà ».

De la même façon, l’avis du CCNE n°107 d’octobre 2009 sur les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals souligne que, face au développement de tests ultraprécoces, « l’accompagnement de la femme devrait être encore plus attentif ».

Dans ce sens, le Conseil d’État suggère qu’« il pourrait être proposé de renforcer l’information et l’accompagnement de la femme lorsque les analyses fœtales à partir de prélèvements sur le sang maternel, effectuées au cours du premier trimestre, sont susceptibles, après confirmation diagnostique, de conduire à des interruptions de grossesse motivées par des raisons médicales, intervenant dans le délai légal de l’interruption volontaire de grossesse. La possibilité d’orienter la femme enceinte vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, lorsque sa demande est motivée par des raisons tenant à la santé de l’enfant à naître, pourrait ainsi être prévue dès ce stade. L’intérêt d’une telle démarche serait de donner à la femme enceinte les conseils médicaux adaptés à sa situation afin de pouvoir prendre sa décision en toute connaissance de cause ».

2. Le projet de loi précise la définition du diagnostic prénatal et encadre mieux la succession de ses étapes en améliorant l’information et l’accompagnement des femmes enceintes

a) Le diagnostic prénatal englobe désormais explicitement l’échographie obstétricale et fœtale

Le projet de loi ne modifie pas la définition du diagnostic prénatal qui continue de désigner « les pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité ».

L’article 9 du projet de loi modifie néanmoins la rédaction de l’article L. 2131-1 du code de la santé publique afin d’englober désormais dans cette définition « l’échographie obstétricale et fœtale » qui n’était pas jusque-là explicitement visée à l’article R. 2131-1 du code de la santé publique dressant la liste des analyses rentrant dans le champ du DPN.

b) Les modalités d’agrément des praticiens réalisant un diagnostic prénatal ne sont pas pour autant alourdies

L’intégration de l’échographie obstétricale et fœtale dans la définition du DPN ne conduit pas pour autant à soumettre les praticiens qui réalisent ces échographies à la procédure lourde d’agrément par l’Agence de la biomédecine.

Sans remettre en cause l’agrément individuel par l’Agence de la biomédecine des praticiens qui réalisent des examens de biologie médicale destinée à établir un diagnostic prénatal, l’article 10 du projet de loi soustrait de cette procédure d’agrément les praticiens qui réalisent des échographies obstétricales et fœtales.

Il convient de souligner que la commission a décidé lors de ses travaux d’adopter un amendement présenté par votre rapporteur supprimant l’agrément individuel des praticiens procédant à des activités de diagnostic prénatal, la compétence de ces praticiens devant être vérifiée lors de la visite de conformité des établissements et organismes pratiquant le DPN.

c) L’information et l’accompagnement de la femme enceinte tout au long du diagnostic prénatal sont mieux assurés

L’article 9 renforce l’accompagnement et l’information de la femme enceinte tout au long des étapes du DPN de manière à assurer un service de qualité homogène sur l’ensemble du territoire.

Une meilleure information sur l’objectif, les limites et les risques de ce diagnostic est de nature à renforcer le caractère éclairé du consentement écrit de la femme enceinte à réaliser des examens dont l’enjeu est d’autant plus important qu’il détermine souvent sa décision de recourir ou non à une interruption volontaire ou médicale de grossesse.

Lors de ses travaux, la commission a adopté, à l’initiative de votre rapporteur, une série d’amendements destinés à améliorer le cadre dans lequel ces diagnostics prénataux sont réalisés.

Ces améliorations visent en particulier :

– à ce que la femme enceinte dispose de façon générale, y compris lorsqu’elle n’est pas orientée vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, d’une information sans avoir à la demander, tout en respectant son choix de refuser l’information ;

– à s’assurer que la femme enceinte reçoive une information complète avant l’expression de son consentement pour que celui-ci soit vraiment éclairé au sens de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique ;

– à réaffirmer dans la loi que l’ensemble des examens proposés dans le cadre du DPN présente un caractère facultatif.

B. LE RÉGIME JURIDIQUE DES DIAGNOSTICS BIOLOGIQUES EFFECTUÉS À PARTIR DE CELLULES PRÉLEVÉES SUR L’EMBRYON IN VITRO N’EST PAS MODIFIÉ

Alors que le diagnostic prénatal (DPN) recouvre l’ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus, le législateur a également ouvert la possibilité, dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, de recourir à deux autres types de diagnostics effectués à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, dont le projet de loi ne modifie pas le régime juridique.

1. Le projet de loi unifie la dénomination des différents diagnostics biologiques sous le vocable usuel de « diagnostic préimplantatoire » 

a) Il existe deux types différents de diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro 

Dès 1994, le législateur a permis, « à titre exceptionnel » et en l’encadrant strictement, de recourir, dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, à un diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro afin de n’implanter dans l’utérus de la mère que des embryons indemnes d’une maladie génétique d’une particulière gravité dont la probabilité d’occurrence, du fait des antécédents familiaux, apparaît élevée.

La loi du 6 août 2004 a par la suite autorisé un autre type de diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, dit DPI-HLA (18), afin d’implanter dans l’utérus de la mère un embryon qui soit non seulement indemne de la maladie génétique particulièrement grave mais également compatible, en termes de caractéristiques immunologiques, avec un aîné malade pour que ce dernier puisse bénéficier d’une greffe de cellules souches.

b) Ces deux diagnostics sont désormais appelés « diagnostics préimplantatoires »

L’article 11 englobe sous la dénomination de « diagnostic préimplantatoire » l’appellation jusqu’ici retenue par le code de la santé publique de « diagnostics biologiques réalisés à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro » et substitue cette nouvelle terminologie dans l’ensemble du code de la santé publique.

Cette nouvelle appellation ne fait que reprendre un terme déjà largement utilisé dans le langage courant pour désigner ces deux types de diagnostic biologique réalisé à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro.

2. Aucune extension des indications du diagnostic préimplantatoire n’est réalisée

Le projet de loi ne modifie pas fondamentalement le régime juridique d’encadrement du diagnostic préimplantatoire.

a) Le projet de loi ne retient pas l’idée de l’établissement d’une liste de maladies susceptibles de faire l’objet d’un diagnostic préimplantatoire

Aucune liste de maladies pour lesquelles la demande d’un couple de recourir à un diagnostic préimplantatoire serait recevable n’est en particulier établie.

Il convient de se féliciter de cette absence de fixation par la loi d’une liste de maladies susceptibles de faire l’objet d’un DPI, car, comme le soulignait le CCNE dans son avis d’octobre 2009, l’absence de liste permet utilement au CPDPN « d’analyser les situations au cas par cas » et « d’éviter une attitude discriminatoire pour les sujets qui seraient atteints d’une des maladies listées ».

b) La possibilité de rechercher une trisomie 21 à l’occasion d’un diagnostic préimplantatoire n’est pas retenue par le projet de loi

La proposition faite à la fois par le CCNE dans son avis n°107 d’octobre 2009 sur « les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) » et par la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique de janvier 2010, de lever l’interdiction de procéder à la détection d’une trisomie 21 avant de transférer les embryons non atteints de l’anomalie recherchée, afin d’éviter le risque d’une trisomie révélée au cours de la grossesse qui déboucherait sur une interruption médicale de grossesse, n’est pas reprise dans le projet de loi.

Cette position rejoint l’avis des citoyens du Forum de Marseille, dans le cadre des États généraux de la bioéthique » qui souhaitaient qu’« à l’occasion d’un DPI ne soit recherchée qu’une et une seule maladie », insistant sur le fait que « la solution au handicap passe exclusivement par la recherche sur les maladies et non par l’élimination ».

Lors de son audition par la commission spéciale en date du 12 janvier 2011, le professeur Jacques Testart, faisant remarquer que la trisomie 21 n’est pas plus fréquente chez les personnes ayant un risque élevé de présenter une anomalie génétique d’une exceptionnelle gravité, a appelé l’attention sur le fait que la proposition de détection d’une trisomie 21 dans le cadre du DPI risquait de conduire à ce que celle-ci ne soit pas la seule anomalie recherchée et qu’elle était également susceptible d’entraîner une revendication d’extension de la détection d’une trisomie 21 dans le cadre de toutes les procréations médicalement assistées.

M. Arnold Munnich, pédiatre généticien et professeur de médecine a de toute façon certifié, lors de son audition en date du 19 janvier 2011, qu’« il n’est pas possible aujourd’hui sur le plan technique de dépister une deuxième maladie, en tout cas sans compromettre la fiabilité du DPI ».

3. La possibilité de recourir au DPI-HLA est maintenue et son caractère expérimental est supprimé

Le caractère expérimental du DPI-HLA est maintenu dans le projet de loi.

Après quelques interrogations sur l’opportunité de maintenir les dispositions relatives au double DPI, compte tenu notamment des problèmes éthiques qu’il pose (19) et du développement des banques de sang de cordon, la mission d’information parlementaire de janvier 2010 sur la révision des lois de bioéthiques avait également décidé de maintenir les dispositions de la loi relatives au « bébé du double espoir ».

Ce dispositif, qui n’a jusqu’ici aboutit à aucune naissance, peut en effet garder, dans de très rares cas, son intérêt.

En revanche, estimant juridiquement contestable, au regard des exigences constitutionnelles qui exigent la fixation précise d’un terme à toute expérimentation, le maintien de ce caractère expérimental, votre rapporteur a fait adopter par la commission un amendement conférant au dispositif du DPI-HLA un caractère désormais permanent.

III.- UN MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT DES FEMMES DANS LE CADRE DE L’INTERRUPTION MÉDICALE DE GROSSESSE

A. L’INTERRUPTION MÉDICALE DE GROSSESSE : UNE PRATIQUE TRÈS ENCADRÉE

Le code de la santé publique distingue deux catégories d’interruption volontaire de grossesse. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse et l’interruption pratiquée pour motif médical (IMG), qui dépasse ce délai et obéit à des règles spécifiques.

Les cas dans lesquels une IMG peut être demandée par la mère sont rares et extrêmement encadrés par l’article L. 2213-1 du code de la santé publique. :

– l’interruption de grossesse est autorisée lorsque « la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme » ;

– l’interruption de grossesse est également permise lorsqu’il existe « une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Les indications d’interruption médicale de grossesse concernent essentiellement des anomalies neurologiques, génétiques, chromosomiques, les anomalies graves et étendues du squelette ou de l’appareil locomoteur ou encore les polymalformations viscérales.

Afin d’éviter toute dérive eugéniste ou tout abus du recours à l’IMG, le code de la santé publique a prévu une procédure ad hoc qui fait intervenir des médecins, des psychologues et des spécialistes. Le motif médical justifiant l’interruption de grossesse doit en effet être attesté par deux médecins, après l’avis consultatif d’une équipe pluridisciplinaire.

La composition de cette équipe diffère suivant que l’IMG est demandée pour motif « maternel » ou « fœtal ».

En cas de mise en péril de la santé de la mère, l’équipe devra comporter : un médecin qualifié en gynécologie obstétrique ; un médecin choisi par la femme, et une personne qualifiée tenue au secret professionnel qui peut être un assistant social ou un psychologue.

En cas de mise en péril de la santé de l’enfant, l’équipe est celle d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). Elle comporte donc obligatoirement un certain nombre de spécialistes en gynécologie-obstétrique, génétique médicale, psychologie ou psychiatrie, fœtopathologie ou encore en pédiatrie.

Le nombre d’attestations délivrées en vue d’une IMG se situe entre 6 000 et 7 000 par an. Les refus d’autorisation demeurent limités.

B. LE PROJET DE LOI : UN MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT DE LA FEMME

Afin d’assurer un meilleur suivi de la femme demandant une interruption médicale de grossesse, l’article 13 du présent projet de loi complète le code de la santé publique sur deux points.

Il prévoit tout d’abord que le médecin qualifié en gynécologie obstétrique, membre de l’équipe chargée d’examiner la demande d’IMG en cas de mise en péril de la santé de la femme devra obligatoirement être « membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal ». Ce faisant, le projet de loi institutionnalise et resserre un lien qui existait déjà de manière informelle. En effet, un médecin membre d’un CPDPN apportera une expertise et une expérience qui seront à même d’améliorer le dialogue avec la patiente.

Par ailleurs, le projet de loi modifie la composition de l’équipe pluridisciplinaire chargée de rendre un avis sur la demande d’IMG en cas de mise en péril de la santé de la femme, pour y introduire un « praticien spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte ».

IV.- LA LEVÉE DE L’ANONYMAT DU DON DE GAMÈTES :
POUR UNE APPROCHE PRAGMATIQUE ET ÉTHIQUE

Les progrès techniques considérables réalisés depuis une quarantaine d’années en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP) ont bousculé le concept même de filiation dans ses fondements socioculturels et juridiques. Le débat dont est aujourd’hui saisie la représentation nationale en témoigne.

Principe intangible posé dès l’origine de l’AMP avec tiers donneur, l’anonymat du don de gamètes, corollaire de sa gratuité, a toujours été considéré comme la garantie d’une démarche éthique et comme une forme de protection pour les donneurs et les parents.

Cependant, de nombreux pays étrangers ont récemment choisi de lever l’anonymat. Ce principe est également remis en cause en France par une partie des personnes issues d’un don de gamètes. Le dispositif proposé par le projet de loi entend leur apporter une réponse qui n’est cependant pas dénuée de risques.

A. LES ENJEUX DE LA LEVÉE DE L’ANONYMAT DU DON DE GAMÈTES

La question de la levée de l’anonymat du don de gamètes est éminemment complexe car elle implique la notion d’origine, et sa réinterprétation dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Il est difficile de la résumer à un « pour ou contre ».

On peut s’interroger tout d’abord sur l’origine du principe d’anonymat du don de gamètes.

Il s’est imposé dès les premières expérimentations d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur par les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) au début des années 1970. Corollaire du principe de gratuité du don, le principe d’anonymat a d’abord été conçu comme un moyen de légitimer aux yeux de la société un procédé qui était encore déconsidéré, avant d’être consacré dans les articles 16-8 du code civil et 1211-5 du code de la santé publique par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 dite bioéthique.

L’anonymat du don de gamètes est considéré en droit français comme la principale garantie d’une démarche éthique. Il protège les donneurs de toute dérive pécuniaire ou pression psychologique, au nom du principe de non patrimonialité du corps humain. Il permet aussi d’éviter toute tentation eugéniste de « sélection » du donneur de gamètes en fonction de critères physiques ou sociaux.

Il a également été conçu comme un moyen de protéger les protagonistes de l’assistance médicale à la procréation : le donneur, les parents et l’enfant. En dépersonnalisant le don, l’anonymat est pour chacun un moyen de rester libre après le don, le donneur retournant à sa propre famille, le couple demandeur s’investissant dans sa famille en devenir. Il permet également aux parents de révéler avec plus de sérénité à leur enfant son mode de conception. L’anonymat est donc paradoxalement un antidote au secret, dont les travaux psychanalytiques ont montré qu’il avait des conséquences délétères sur le développement de l’enfant.

Pourquoi la question émerge-t-elle aujourd’hui dans le débat public ?

Les adversaires du principe d’anonymat du don de gamètes s’appuient sur plusieurs arguments.

– Les exemples étrangers : un certain nombre de pays étrangers, dont la Norvège, le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore l’Espagne, ont fait le choix de lever l’anonymat du don de gamètes, selon des régimes différents, avec un succès d’ailleurs variable. Mais la simple comparaison internationale ne justifie pas en soi une révision de notre législation.

– Les revendications de certains enfants nés d’un don : une partie des personnes issues d’un don de gamètes réclame aujourd’hui l’accès à l’identité du donneur comme à une partie de leur histoire personnelle. Pour citer la sociologue Dominique Mehl, auditionnée par la mission d’information de l’Assemblée nationale, les enfants issus d’un don de gamètes souhaitent « disposer de la totalité de leur histoire personnelle. Les personnes issues d’un don n’affichent pas de dévotion envers le lien génétique, mais ils ne souhaitent pas non plus que celui-ci soit éradiqué. » Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause leur démarche, mais de savoir s’il faut légiférer au nom de l’intérêt général ou de la demande d’une partie de la population.

Enfin, la demande de levée de l’anonymat du don de gamètes s’inscrit dans un mouvement plus global de revendication d’un droit d’accès aux origines. En témoigne la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, qui a introduit la réversibilité du secret de l’identité de la mère accouchant sous X et créé le Conseil national d’accès aux origines personnelles. Cependant, l’AMP avec tiers donneur ne peut être complètement assimilée à un accouchement sous X ou encore à une adoption, avec lesquelles elle est fréquemment comparée. Dans un cas, une histoire parentale, même si elle fut parfois tragique, a précédé la naissance, dans l’autre, il s’agit du don d’un matériel biologique, qui ne s’est à aucun moment accompagné d’un projet parental. Ces deux cas sont radicalement différents.

B. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT : UNE LEVÉE ENCADRÉE DE L’ANONYMAT

Le titre V du projet de loi prévoit, à la majorité de l’enfant, l’accès à des données non identifiantes, et l’accès optionnel à des données identifiantes, si l’enfant en fait la demande et si le donneur en est d’accord.

L’article 14 prévoit que tout enfant issu d’un don de gamètes ou d’un accueil d’embryon peut, à sa majorité, avoir accès à des données non identifiantes sur le donneur.

Précisons qu’une partie de ces données peut être communiquée aux enfants issus d’un don effectué avant la promulgation de la loi (son âge, son état de santé, ses caractéristiques physiques). Les autres (catégorie socioprofessionnelle ou encore motivations du don) ne sont communiquées que si le donneur y consent.

Le même article vise à permettre un accès optionnel à des données identifiantes, si l’enfant en fait la demande et si le donneur en est d’accord. Il faut noter que l’accès à l’identité du donneur ne s’applique qu’aux dons effectués à compter de la promulgation de la loi, sauf si le donneur consent explicitement à une application rétroactive.

L’article 15 vise en parallèle à renforcer l’information délivrée aux donneurs et aux couples ayant recours à l’assistance médicale à la procréation avec don de tiers ou à un « accueil » d’embryon.

L’article 16 précise les modalités concrètes de la levée de l’anonymat.

Il prévoit notamment la création d’une « commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes » chargée de la communication des données, dont le fonctionnement est proche du Conseil national d’accès aux origines personnelles.

Tout enfant issu d’un don de gamètes ayant atteint la majorité pourra avoir un accès systématique à des données non identifiantes telles que l’âge, l’état de santé et certains traits physiques.

Si le donneur y a consenti au moment du don, il peut également avoir accès à sa situation familiale, sa catégorie professionnelle, sa nationalité et les motivations de son don.

Enfin, si le donneur y consent au moment où la demande est formulée, la personne issue d’un don de gamètes peut connaître son identité.

L’article 17 modifie le code civil pour introduire une dérogation au principe d’anonymat du don, consacré par l’article 16-8, dans le cadre de l’AMP avec tiers donneur.

Il précise également que la levée de l’anonymat du don de gamètes ne remet pas en cause les règles de la filiation dans le cadre d’une AMP avec tiers donneur. Aucune action en responsabilité à l’encontre de ce dernier ne peut être engagée à raison du don de gamètes.

L’article 18 procède à la dépénalisation de la divulgation d’informations relatives aux donneurs par les CECOS, afin de faciliter leurs échanges avec la nouvelle commission chargée de les communiquer.

C. LA POSITION DU RAPPORTEUR : PRIVILÉGIER UNE APPROCHE PRAGMATIQUE ET ÉTHIQUE

Dès lors qu’elle est médicalisée, la procréation avec tiers donneur ne peut plus être considérée comme un acte purement privé, elle engage la société tout entière et le sens que celle-ci veut donner à la filiation. Or il est à craindre que la levée de l’anonymat ne fragilise la position et des donneurs et des parents, sans apporter une véritable réponse aux jeunes adultes qui la réclament aujourd’hui.

Tout d’abord, un certain nombre d’arguments en faveur de la levée de l’anonymat sont discutables.

Pour défendre la levée de l’anonymat, certains avancent des raisons médicales. Cependant, comme l’a rappelé M. Pierre Jouannet lors de son audition par la commission spéciale, les CECOS ont « toujours pu répondre aux questions des médecins sans avoir à révéler l’identité du donneur. Si l’on souhaitait désormais des informations génétiques plus précises, il suffirait de conserver un échantillon d’ADN des donneurs pour procéder ultérieurement à tous les tests souhaités, sans qu’il soit nécessaire, là encore, de dévoiler leur identité ». On sait de plus que l’article L. 1211-5 du code de la santé publique prévoit d’ores et déjà une dérogation au principe d’anonymat « en cas de nécessité thérapeutique ». Cet argument n’est donc pas recevable.

D’autres arguent qu’il serait utile de lever l’anonymat pour éviter de possibles rencontres incestueuses entre enfants conçus d’un même donneur. Le risque, pour exceptionnel qu’il soit, n’est pas nul qu’une personne conçue par don de sperme tombe amoureuse d’une autre conçue avec le sperme du même donneur et puisse vouloir des enfants avec elle. Mais si elle s’en inquiète, elle peut interroger le CECOS où elle a été conçue qui a les moyens, toutes les paillettes étant codées, de savoir si deux personnes conçues par don sont ou non issues d’un même donneur. Il n’est pas nécessaire pour cela de lever l’anonymat.

Surtout, la levée de l’anonymat dans le cadre de l’AMP présente le risque majeur de remettre en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation.

Comme l’a rappelé avec justesse M. Axel Kahn lors de son audition par la commission spéciale, « l’humanité de l’homme et son entendement l’amènent parfois à fonder une filiation à part entière sur l’investissement affectif, comme dans le cas de l’adoption ou de la fécondation avec recours à un tiers. À l’inverse, la certitude que les enfants seront ce à quoi les destinent leurs gènes réduit la filiation humaine à celle des animaux ou des plantes à fleurs, c’est-à-dire à la filiation génétique. »

Votre rapporteur rejoint tout à fait cette approche. La filiation par le cœur, par l’esprit, et par le désir d’avoir des enfants ensemble, est ce qu’il y a de plus important dans une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Pour reprendre la formule utilisée par le Comité consultatif national d’éthique (20), « les parents ne sont pas des gamètes ».

Par ailleurs, la levée de l’anonymat pourrait fragiliser la position des parents et des donneurs.

Des parents tout d’abord, car la dépersonnalisation du don que permet l’anonymat est une garantie. Elle permet aux familles de se construire sereinement, sans craindre l’irruption d’un tiers dans l’existence de leur enfant, lorsque celui-ci aura atteint sa majorité.

La levée de l’anonymat du don de gamète aurait également des conséquences importantes pour le donneur. Une personne qui n’aurait aucun projet d’enfant au moment du don pourrait être confrontée 18 ans plus tard à la demande d’un, voire plusieurs, enfants en quête de leurs origines. On peut alors légitimement s’interroger sur les conséquences de la levée de l’anonymat sur l’équilibre familial du donneur. De plus, n’est-il pas culpabilisant pour un donneur d’avoir à refuser la demande d’un enfant, même s’il ne se considère investi d’aucun rôle « paternel » vis-à-vis de lui ?

Dans ce contexte, on comprend que les 157 donneurs interrogés au cours d’une enquête récente (21) aient déclarés à 61,8 % qu’ils ne feraient plus de don en cas de levée d’anonymat, soit près des deux tiers d’entre eux. Il existe un risque réel de baisse brutale des dons de gamètes, alors même que la France connaît une situation de pénurie (22).

Enfin, la levée de l’anonymat pourrait être contraire à l’intérêt des enfants.

Pour ses détracteurs, l’anonymat serait contraire au droit de l’enfant de connaître ses origines. Mais l’argument peut être aisément retourné, car la levée de l’anonymat aurait pour effet de développer le secret dans les familles.

En effet, la majorité des parents interrogés sur le sujet  estiment qu’en cas de levée de l’anonymat, ils tairaient à leur enfant son mode de conception, de peur de voir un tiers faire irruption dans leur vie à sa majorité. L’exemple de la Suède est à ce titre éloquent. Sur une cohorte de 300 enfants nés de cette technique entre 1985 et 1993, aucun n’a demandé à connaître l’identité du donneur. Selon M. Pierre Jouannet, les praticiens expliquent ce phénomène par le fait que les parents n’ont pas informé les enfants de leur mode de conception. La levée de l’anonymat encouragerait donc paradoxalement le secret.

De plus, le projet gouvernemental, tel qu’il est rédigé, crée une inégalité entre les enfants issus d’un don. En effet, l’accès à l’identité du donneur dépend uniquement de son consentement. Dans les cas où plusieurs enfants au sein d’une même famille seraient issus d’un don de gamètes, certains pourraient connaître l’identité de leur donneur alors que d’autres se le verraient refuser.

Enfin, ne faut-il pas s’interroger sur le bénéfice réel de la levée de l’anonymat au regard des conséquences sur l’équilibre des familles et la vie privée des donneurs ? Les 50 à 100 personnes qui demandent la levée de l’anonymat ne peuvent faire oublier les quelque 50 000 qui ne demandent rien. Comme l’a en effet déclaré M. Christophe Masle, président de l’Association des Enfants du Don, lors de son audition par la commission spéciale, « la levée de l’anonymat ne saurait résoudre toutes les difficultés car, conçus ou non par don, les enfants se questionneront toujours sur leurs origines. Croire que ces réponses se trouvent hors de l’individu, c’est nier sa capacité à en trouver aussi à l’intérieur de lui. Que ces données soient désormais accessibles risque de faire croire aux enfants qu’ils en ont besoin pour se construire alors qu’il existe bien d’autres façons d’y parvenir. »

En tout état de cause, la levée de l’anonymat n’étant pas, par principe, rétroactive, le projet de loi n’apportera pas de réponse satisfaisante à ceux qui, aujourd’hui, réclament l’accès à l’identité de leur donneur.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que la levée de l’anonymat est non seulement discutable sur le plan éthique mais également contre productive sur le plan pratique.

C’est pourquoi, sur proposition du rapporteur et avec l’assentiment d’une grande partie des députés membres de la commission spéciale, des amendements de suppression des articles 14 à 18 ont été adoptés afin de maintenir le droit en vigueur.

Cependant, les conditions de conservation des informations relatives aux donneurs par les CECOS ne sont pas satisfaisantes. Les auditions réalisées par la commission spéciale l’ont montré et il est apparu nécessaire de mieux les encadrer.

Les données non identifiantes, principalement de nature médicale, sont à l’heure actuelle conservées dans un dossier qui peut être communiqué pour des raisons thérapeutiques. En principe, les informations touchant à l’identité des donneurs, à l’identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens des CECOS y ont accès.

Cette pratique fait l’objet de nombreuses critiques qui n’hésitent pas à la qualifier de « double état civil ». De fait, il semble que les conditions de conservation des informations relatives aux donneurs soient variables selon les CECOS. Surtout, et bien qu’il s’agisse de données à caractère personnel, la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’en a jamais contrôlé l’utilisation.

Ce vide juridique peut potentiellement mettre en danger l’anonymat des donneurs et crée inutilement un sentiment de défiance à l’égard des CECOS. Pour cette raison, la commission spéciale a adopté un amendement, à l’initiative de votre rapporteur, qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État viendra préciser les conditions de conservation des données par les CECOS sous le contrôle de la CNIL.

V.- L’ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle.

Elle ne peut avoir que deux finalités : remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

Les bénéficiaires doivent être des couples formés d’un homme et d’une femme, mariés ou pouvant attester d’une vie commune d’au moins deux ans. Ils doivent être en âge de procréer et ils doivent être vivants, et le décès d’un des membres du couple interdit la poursuite de l’AMP. Le couple doit demeurer uni et le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation ainsi que la fin de la vie commune interdisent l’insémination et le transfert d’embryons.

Il est possible de procéder à une AMP en recourant à un don de gamètes, mais l’embryon ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple, ce qui interdit le double don de gamètes.

Il est également possible à un couple d’accueillir l’embryon conçu dans le cadre d’une AMP mise en œuvre au bénéfice d’un autre couple, et qui ne ferait plus l’objet d’un projet parental du couple au bénéfice duquel il a été conçu, à condition que ce dernier y ait consenti. L’accueil d’embryon est subordonné à une décision de l’autorité judiciaire.

Selon le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine, en 2008, 20 136 enfants sont nés en France grâce aux techniques d’AMP. Ils représentent environ 2,4 % des enfants nés de la population générale cette même année (828 404).

121 515 tentatives de FIV ont été réalisées, dans la grande majorité des cas avec les gamètes du couple, l’AMP intraconjugale représentant 94,5 % de l’ensemble des tentatives. Seules 94 tentatives d’AMP ont été menées dans le cadre d’un accueil d’embryon.

Les taux de grossesse échographique après tentative d’AMP, c’est-à-dire le pourcentage de grossesses après implantation des embryons, varient, selon les techniques, entre 12,6 et 29,6 %.

A. L’AUTORISATION ET LA MISE EN œUVRE DES TECHNIQUES D’AMP

1. L’autorisation des techniques d’AMP

a) L’autorisation des procédés permettant d’améliorer l’efficacité et la sécurité des techniques d’AMP

À l’issue des débats ayant conduit à l’adoption de la loi de bioéthique du 6 août 2004, la définition de l’assistance médicale à la procréation avait été modifiée afin de prévoir qu’un arrêté du ministre de la santé, pris après avis de l’Agence de biomédecine, fixerait les listes des « techniques d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel ».

Cette modification constituait une solution de compromis : d’un côté, il était apparu nécessaire de prévoir un système d’autorisation des techniques d’AMP, reposant sur une évaluation préalable de leur efficacité et de leur innocuité. Pour autant, toute évaluation complète d’une nouvelle technique aurait supposé de braver deux interdits, également introduits par la loi de 2004, celui de la constitution d’embryons à des fins de recherche et celui du transfert d’embryons à des fins de recherche.

La liste des techniques d’effet équivalent avait donc pour objet d’autoriser les techniques d’AMP dans la mesure où celles-ci ne comporteraient que des risques acceptables, et d’éviter l’écueil de ce que le ministre de la Santé de l’époque, M. Jean-François Mattéi, avait qualifié « d’essais d’hommes ».

Mais cet arrêté n’a jamais été pris, la difficulté à définir le degré d’innovation permettant de distinguer une nouvelle technique d’une technique existante n’ayant pu être surmontée.

Ainsi, comme le note l’ABM dans son bilan d’application de la loi de bioéthique, « la congélation des embryons ou des ovocytes par la méthode de la vitrification, qui permet d’accélérer fortement la descente en température, peut être vue soit comme une nouvelle technique de congélation, soit comme une évolution de la technique de congélation qui ne justifie pas de qualifier une nouvelle technique ».

Cette situation aboutit à figer l’état des techniques d’AMP et interdit la mise en œuvre de techniques mises au point et testées à l’étranger, empêchant ainsi l’amélioration de ces techniques et donc des taux de succès de l’AMP.

b) L’article 19 prévoit une nouvelle procédure d’autorisation des procédés d’AMP

L’ensemble des rapports consacrés au bilan de la loi de bioéthique de 2004 et aux perspectives ouvertes par le projet de loi conclut à la nécessité de sortir de cette impasse, même s’ils ne s’accordent pas sur les solutions juridiques à mettre en œuvre.

Le rapport de la mission d’information de notre assemblée affirme quant à elle deux principes essentiels : le premier concerne le maintien de l’interdiction de constitution d’embryons à des fins de recherche et de transfert d’embryon ayant fait l’objet de recherches. La mission a estimé que revenir sur ces deux principes conduirait à « franchir un seuil dans la réification utilitariste du vivant » et à « restreindre la portée d’un principe qui garantit que des essais sur l’homme ne puissent se transformer en "essai d’homme" »

Le second principe est celui de la nécessité d’un régime d’autorisation des techniques d’AMP reposant sur des critères de qualité, d’innocuité, d’efficacité et de reproductibilité. Ainsi, même « si ces critères excluent de valider toute technique dont le caractère innovant apparenterait son application à une expérimentation, ils ne [devraient] pas écarter des techniques validées scientifiquement, auxquelles des professionnels à l’étranger recourent en tant que pratiques de routine et qui ont fait l’objet d’évaluations conduisant à considérer comme acceptable, parce que minimal, le risque encouru. »

L’article 19 du projet de loi s’inspire de la solution proposée par la mission d’information en prévoyant un dispositif d’autorisation reposant sur trois piliers.

Le premier est celui de la définition de l’AMP par le législateur, définition modifiée puisqu’elle inclurait désormais non seulement les pratiques de conception in vitro, de transfert d’embryons et d’insémination artificielle, mais également de conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons.

Le deuxième est celui de l’autorisation des procédés d’AMP inscrits sur une liste fixée par arrêté du ministre de la santé, pris après avis de l’ABM. Un décret en Conseil d’État fixera les critères d’inscription sur cette liste, critères qui auront trait à l’efficacité du procédé, à sa sécurité pour la femme et l’enfant à naître, ainsi qu’au respect des principes fondamentaux de la bioéthique. Notre commission a complété ces critères afin d’y ajouter celui de la reproductibilité, qui concerne la capacité du procédé à être mis en œuvre sur le plus grand nombre possible de patientes.

Le troisième concerne les techniques qui ne constituent que de simples déclinaisons des procédés autorisés : lorsque ces techniques auront pour objet d’améliorer l’efficacité et la sécurité d’un procédé, elles pourront bénéficier d’un régime d’autorisation simplifié par le directeur général de l’ABM, après avis du Conseil d’orientation.

D’après l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, « l’impact des nouvelles dispositions introduites par le projet de loi pourrait être considérable s’il s’avérait qu’un procédé de conservation des ovocytes réponde aux critères édictés dans le décret mentionné à l’article L. 2141-1. En effet, la mise en œuvre en routine d’un tel procédé pourrait notamment permettre d’éviter la constitution d’embryons surnuméraires qui sont actuellement conservés par les laboratoires pour un transfert in utero ultérieur. La recherche pour la mise en œuvre de nouveaux procédés dans le domaine de l’AMP devrait être favorisée. »

2. La mise en œuvre des techniques d’AMP

a) Le fonctionnement des centres d’AMP

Notre commission spéciale a adopté plusieurs dispositions afin de simplifier et d’améliorer le fonctionnement des centres d’AMP.

Elle a tout d’abord adopté un amendement de votre rapporteur supprimant l’agrément individuel des praticiens intervenant dans les centres d’AMP et de DPN, conformément aux conclusions de la mission d’information de notre assemblée.

La commission spéciale a donc supprimé cet agrément dans le domaine de l’AMP et du DPN, tout en le maintenant dans le domaine du DPI, compte tenu de ses spécificités. Elle a complété le dispositif actuel en prévoyant que les centres d’AMP et de DPN devront faire appel à des praticiens « en mesure de prouver leur compétence ». Cette condition serait vérifiée lors de la visite de conformité réalisée par les services déconcentrés dans les établissements autorisés.

La commission spéciale a également, sur l’initiative de votre rapporteur, autorisé les sages femmes à intervenir dans les centres d’AMP. Le code de la santé publique n’autorise pas les sages femmes à travailler dans les centres d’AMP. Pourtant, sur les 20 000 sages-femmes en exercice en France, une centaine (dont 80 dans des CHU) travaillerait actuellement dans les 110 centres cliniques d’AMP. Elles procèdent à des échographies de monitorage de l’ovulation ou à des échographies folliculaires ; elles font des consultations au moment du démarrage du traitement de stimulation, de l’information sur les dons d’ovocyte et des échographies de début de grossesse ; elles suivent l’évolution des courbes des hormones de grossesse ; elles assurent le suivi des « issues de grossesse », elles s’occupent aussi de l’informatisation, notamment pour les bilans statistiques et ministériels ; enfin, elles gèrent des réunions d’information des couples en vue d’une fécondation in vitro (FIV), et des receveuses en vue d’un protocole de don.

Cette situation semble à l’origine de difficultés en matière de codification des actes et de tarification à l’activité (T2A). En effet, selon l’ordre des sages femmes que notre mission d’information avait reçu, « les sages-femmes ne pouvant pas coter en acte externe les échographies et les consultations pré-FIV qu’elles réalisent, soit leurs actes ne sont pas cotés et ne rapportent pas d’argent à l’hôpital, ce qui pose problème, soit leurs actes sont cotés en actes de médecins, mais il s’agit alors en quelque sorte d’une fraude à l’assurance maladie, puisque les sages-femmes n’ont pas le droit de pratiquer ces actes »

Dès lors, afin de mettre en concordance le droit et les pratiques, la commission spéciale a autorisé les sages-femmes à exercer leurs activités dans des centres d’AMP, sous certaines conditions définies par voie réglementaire.

Enfin, la commission spéciale a complété les missions de l’Agence de la biomédecine, en reprenant deux propositions de la mission d’information de notre assemblée : l’Agence de la biomédecine devra ainsi assurer la publication régulière des résultats de chaque centre d’AMP, selon une méthodologie prenant notamment en compte les caractéristiques de leur patientèle et en particulier l’âge des femmes et est invitée, au vu de ces données, à diligenter des missions d’appui et de conseil dans certains centres, voire à proposer des recommandations d’indicateurs chiffrés à certains centres. Elle pourra en outre lancer des appels à projet dans le domaine de la recherche sur les causes de l’infertilité.

b) La constitution d’embryons surnuméraires et le champ du consentement des parents aux recherches sur ceux ne faisant plus l’objet d’un projet parental

Le code de la santé publique prévoit que « compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons ». Ainsi, quand le nombre d’embryons obtenus lors d’une FIV est supérieur au nombre d’embryons transférés in utero, les embryons restant dont le développement est satisfaisant, dits « surnuméraires », sont congelés. La loi n’impose aucune limite quant au nombre des ovocytes à féconder.

La constitution et la conservation de ces embryons surnuméraires peuvent être nécessaires compte tenu du faible taux de grossesse après fécondation in vitro et de la nécessité fréquente de refaire plusieurs tentatives: elles permettent d’éviter l’implantation de la totalité des embryons conçus et de réduire le risque de grossesses multiples pour les femmes ; elle permet également, tant que la vitrification ovocytaire ne sera pas devenue une procédure de routine autorisée, d’éviter la constitution d’un faible nombre d’embryons et, en cas d’échec, la multiplication des procédures de stimulation ovarienne et de ponction ovocytaire chez la femme.

Les couples sont consultés chaque année sur le maintien ou non de leur projet parental. Lorsque les embryons ne font plus l’objet d’un projet parental, le couple peut choisir de consentir à ce que ces embryons fassent l’objet d’une recherche, à ce qu’ils soient accueillis par un autre couple ou à ce qu’ils soient détruits. En cas de désaccord, ou lorsque l’un des deux membres du couple, consulté à plusieurs reprises, ne répond pas sur le point de savoir s’il maintient son projet parental, l’embryon est détruit s’il a été conservé pendant au moins cinq ans.

Selon l’Agence de la biomédecine, au 31 décembre 2008, 149 191 embryons seraient conservés, dont 66 % faisant l’objet d’un projet parental, 14,5 % ne faisant plus l’objet d’un projet parental et 19,5 % faisant l’objet d’un désaccord du couple sur le maintien du projet parental ou pour lesquels les couples n’ont pas fait connaître leurs intentions.

L’article 21 du projet de loi étend le champ du consentement des couples qui décident que les embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental peuvent faire l’objet de recherche. En effet, ce consentement ne concerne pour l’heure que les recherches menées dans le cadre des dérogations au principe d’interdiction des recherches sur l’embryon, et autorisées par l’ABM.

L’article 21 étend le champ du consentement du couple aux essais cliniques qui pourraient être menés en utilisant des préparations de thérapie cellulaire contenant des cellules spécialisées dérivées de cellules souches embryonnaires.

Votre commission spéciale, si elle partage l’objectif de permettre au couple de donner le consentement le plus éclairé possible sur la totalité des recherches qui peuvent être menées sur l’embryon, a toutefois estimé qu’une clarification du régime de ces recherches était sans doute nécessaire.

Les essais cliniques utilisant des préparations de thérapie cellulaire peuvent être menés, dans le droit commun, après autorisation de l’AFSSAPS, donnée avec l’avis de l’ABM. Mais s’agissant de préparations de thérapie cellulaire utilisant des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires, n’est-il pas légitime d’imaginer une procédure spécifique ? La commission spéciale a donc choisi d’ouvrir le débat en adoptant un amendement qui prévoit une autorisation systématique de l’ABM, préalable à l’autorisation de l’AFSSAPS, pour « tout protocole de soins impliquant le recours à des cellules souches embryonnaires arrivant à un stade de recherche clinique ».

Par ailleurs, la commission spéciale a souhaité souligner le problème éthique que soulève la constitution d’embryons surnuméraires, et que la mission d’information de notre assemblée avait résumé dans son rapport sous forme de question : « est-il éthique de permettre la conception en surnombre d’embryons humains pour des raisons techniques de rendement de la FIV » ?

La mission d’information avait souligné que cette pratique est très encadrée : le couple est informé des possibilités de devenir des embryons et son consentement à la constitution d’embryons surnuméraires doit être recueilli. Un couple ne peut bénéficier d’une nouvelle FIV avant le transfert in utero des embryons conservés.

Elle avait également rappelé qu’une interdiction ou une limitation de la conception et de la conservation des embryons surnuméraires soulèverait des difficultés, car la création et la conservation des embryons surnuméraires offrent aux couples une chance supplémentaire de réussite ; elles permettent également de différer le transfert in utero avant un traitement potentiellement stérilisant, dans le cadre de la préservation de la fertilité. Enfin, limiter la conservation des embryons aboutirait soit à leur destruction, soit à leur implantation, ce qui fait courir à la femme les risques lourds inhérents aux grossesses multiples.

La commission spéciale a donc adopté un amendement à l’article 19 disposant que la mise en œuvre de l’AMP privilégie les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés et chargeant l’ABM de rendre compte dans son rapport annuel des méthodes utilisées et des résultats obtenus. Elle a ainsi souligné les espoirs que soulève la vitrification ovocytaire, qui devrait permettre de limiter la conception d’embryons surnuméraires.

Elle a par ailleurs adopté un amendement limitant à trois le nombre d’ovocytes fécondés lorsqu’une AMP est mise en œuvre.

B. LES CAS PARTICULIERS DES AMP AVEC TIERS DONNEUR ET AVEC ACCUEIL D’EMBRYON

Outre l’AMP intraconjugale, les couples répondant aux conditions d’accès à l’AMP peuvent également bénéficier d’un don de gamètes ou d’un don d’embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental.

1. L’AMP avec tiers donneur : le problème du don d’ovocytes.

D’après les chiffres rappelés dans le bilan d’application de la loi de bioéthique établi par l’ABM, « l’activité d’AMP avec tiers donneur est peu importante au regard de l’AMP en intraconjugal » : le nombre d’enfants nés en 2006 à la suite d’un don de spermatozoïde est stable autour de 1122 enfants, soit 5,6 % des enfants issus d’une AMP. L’AMP avec don d’ovocytes progresse peu, et 0,56 % des enfants issus d’une AMP sont nés à la suite d’un don d’ovocyte.

Chargée par la loi d’assurer la promotion du don de gamète, l’ABM souligne toutefois que « la demande de don d’ovocytes en France n’est pas satisfaite. Une enquête nationale menée par l’ABM en 2005 a dénombré plus de 1300 couples en attente d’ovocytes. Environ 400 nouveaux couples ont besoin chaque année d’un don d’ovocytes ».

En dépit d’une légère augmentation du nombre de ponctions (247 en 2007, contre 228 en 2006 et 168 en 2005), ce nombre reste insuffisant dans la mesure où, à raison de 1,8 couple en moyenne pouvant bénéficier d’ovocytes issus d’une même donneuse, il aurait fallu 700 donneuses supplémentaires en 2007 pour résorber totalement la liste d’attente (23). Il en résulte que les couples peuvent attendre de deux à cinq ans un don d’ovocytes, alors même que les chances de succès s’amenuisent avec l’âge de la demandeuse. Or, comme l’avait indiqué à la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la révision des lois de bioéthique Mme Hortense de Beauchaine, membre de l’association Pauline et Adrien, « il ne faut pas oublier qu’un couple qui a recours à un don a souvent un parcours long derrière lui. L’homme et la femme ne sont souvent plus très jeunes. Un couple receveur pour un don d’ovocyte a cinq ans d’attente. Si une femme en fait la demande à 35 ans, elle aura 40 ans lorsqu’elle y aura droit. Leurs chances sont donc vraiment diminuées. »

La pénurie de spermatozoïdes existe également, mais pas dans des proportions aussi dramatiques.

La pénurie d’ovocytes explique que de nombreux couples se rendent à l’étranger, en particulier en Espagne, pour bénéficier d’un don de gamètes. Ainsi, Mme Hélène Letur-Konirsch, co-présidente du Groupe d’études des dons d’ovocytes (GEDO), avait-elle souligné devant la mission que « en 2006, l’Agence de la biomédecine notait l’inscription de 647 nouveaux couples demandeurs. Or, ce chiffre ne prend absolument pas en compte les couples qui choisissent de se rendre à l’étranger, soit après une première consultation dans les centres autorisés, soit après avoir été directement orientés vers un autre pays par leur praticien libéral ou leur association. Si l’on prend en compte les couples qui se sont inscrits en 2006 en Espagne, en Grèce et en République tchèque, la demande annuelle peut être estimée à 2 000 nouveaux couples. »

En outre, cette pénurie d’ovocytes explique l’apparition de pratiques contestables, comme le rapport n°2235 précité l’a mis en évidence : si l’article L. 1244-7 du code de la santé publique dispose que « le bénéfice d’un don de gamète ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d’une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d’un couple tiers anonyme », il semble bien que certains centres incitent des couples demandeurs à venir accompagnés d’une donneuse d’ovocytes, au profit d’un autre couple demandeur, en contrepartie d’un délai d’attente plus court.

Certes aucun centre ne rend la présentation d’une donneuse obligatoire ni ne refuse d’enregistrer la demande d’un couple qui ne satisferait pas cette demande. Mais lorsqu’une femme de 39 ans se présente dans un centre, compte tenu des délais d’attente, de la limite d’âge de 43 ans pour la prise en charge des traitements, la présentation d’une donneuse devient une condition sine qua non si ce n’est en droit sinon en fait, de l’accès à l’AMP. Dès lors, le risque est grand d’une rémunération occulte des donneuses, contraire au principe de non patrimonialité du corps humain.

Afin de favoriser le don d’ovocyte, la mission d’information de notre Assemblée avait identifié plusieurs des freins qui peuvent expliquer la pénurie actuelle, et avait formulé plusieurs propositions. Certaines ne revêtaient pas de caractère législatif : poursuite des actions d’information et de promotion du don de gamètes ; amélioration du remboursement des frais engagés par les donneuses et précision sur les modalités de prise en charge des frais médicaux ; accroissement du nombre de centres pratiquant le don d’ovocytes et réforme du financement des actes qui y sont réalisés.

D’autres relevaient de l’intervention du législateur : c’est le cas de l’ouverture aux donneuses d’ovocytes d’un droit à autorisation d’absence ou à un congé spécifique pour se rendre aux examens et consultations nécessaires pour le don.

En outre, deux autres modifications législatives avaient été évoquées afin de favoriser le don de gamètes.

La première concernait la possibilité d’instituer une rémunération du don de gamètes. Cette option a été écartée car elle mettrait en cause le principe de la non-commercialisation du corps humain, qui constitue l’un des piliers des lois de bioéthique et vise à protéger la dignité de la personne.

La seconde consistait à autoriser les donneuses n’ayant jamais procréé à consentir un don de gamètes.

Les dispositions de l’article L. 1244-2, en vertu desquelles le donneur doit avoir procréé, sont issues de la charte des CECOS ; elles concernaient à l’origine le don de spermatozoïdes et concernent désormais tous les dons de gamètes. D’après le bilan d’application de la loi de bioéthique réalisé par l’ABM, « elles protégent le donneur vis-à-vis de la possibilité de développer une stérilité ultérieure au don, évitent le recrutement de donneurs trop jeunes ou souhaitant tester leur fertilité ou se "donner"  un enfant en donnant leurs gamètes ».

Ces règles, qui constituent une spécificité française, ont cependant deux conséquences : elles restreignent le champ des donneurs potentiels et s’agissant plus particulièrement du don d’ovocytes, ont pour effet que les dons proviennent de femmes plus âgées dont les ovocytes sont de moins bonne qualité. L’Agence de la biomédecine a de ce fait proposé la levée de la condition de procréation antérieure, en soulignant que ces dispositions ont pour effet de diminuer l’efficacité du don.

Le principal argument objecté à la levée de cette condition tient au fait qu’un donneur devenant incapable de concevoir pourrait regretter amèrement son choix d’avoir donné ses gamètes.

En réalité, et indépendamment des aléas de la vie qui peuvent entraîner une stérilité chez les hommes comme chez les femmes, celles-ci encourent un risque spécifique lié à la procédure même du don d’ovocytes, aux traitements préalables de stimulation ovarienne et à la ponction d’ovocytes.

D’après la brochure éditée par l’ABM sur le don d’ovocytes, les donneuses, après avoir donné leur consentement et eu un entretien avec un psychologue ou un psychiatre, reçoivent pendant 10 à 12 jours des injections destinées à stimuler les ovaires. Pendant cette période, trois ou quatre prises de sang sont effectuées, ainsi que des échographies ovariennes. Le prélèvement a lieu à l’hôpital, 35 ou 36 heures après la dernière injection, par voie vaginale et sous analgésie ou anesthésie. La donneuse peut ressentir quelques effets indésirables dans les jours qui suivent l’intervention, et plus rarement ces symptômes peuvent persister ou s’intensifier en raison d’une réponse excessive des ovaires à la stimulation (syndrome d’hyperstimulation). Dans des cas très exceptionnels, l’hyperstimulation est plus sévère et se traduit par une prise de poids rapide, des troubles digestifs et parfois une gêne respiratoire. Ces signes doivent conduire la donneuse à contacter sans attendre le centre qui l’a suivie pour le don ou un service d’urgences. Elle sera immédiatement prise en charge. D’autres complications peuvent être liées au geste chirurgical de prélèvement (hémorragie, infection, problème anesthésique…), mais sont rarissimes.

Votre rapporteur entend ces objections, mais constate que le statu quo n’est pas satisfaisant et s’agissant du don d’ovocyte, porte en germe des dérives contraires aux principes fondamentaux de la bioéthique et notamment à la gratuité du don.

C’est pourquoi la proposition faite par le Professeur René Frydman au cours de son audition a éveillé son intérêt : afin de favoriser le don d’ovocyte, on pourrait imaginer « d’offrir à ces jeunes femmes l’assurance de pouvoir disposer pour elles-mêmes, en cas de nécessité, d’une partie de leurs ovocytes ainsi congelés. C’est une clause qui n’existe pas dans les pays voisins, et qui, je crois, vaut la peine d’être examinée. »

La commission spéciale a donc adopté un amendement permettant à une femme nullipare de donner ses gamètes même si elle n’a pas d’enfant, en lui offrant dans le même temps la possibilité de conserver ses gamètes en vue d’une éventuelle utilisation autologue dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation.

Votre rapporteur tient à souligner qu’il ne s’agit donc pas d’offrir la possibilité aux donneuses de conserver leurs ovocytes et de se les faire réimplanter à n’importe quel moment, à n’importe quel âge et dans n’importe quelle condition.

Ces ovocytes ne pourraient être utilisés que dans le cadre de l’AMP, c’est-à-dire en cas d’infertilité médicalement constatée, lorsque la femme est en couple et qu’elle est en âge de procréer.

En outre, cet amendement créé une autorisation d’absence en faveur des donneuses d’ovocytes, inspiré de celui dont bénéficient les femmes enceintes, afin qu’elles puissent s’absenter pour se rendre aux examens et se soumettre aux interventions nécessaires à la stimulation ovarienne et à la ponction ovocytaire.

2. L’accueil d’embryons

Lorsque des embryons ne font plus l’objet d’un projet parental, le couple peut consentir à ce que ces embryons fassent l’objet d’une recherche, à ce qu’ils soient accueillis par un autre couple, ou à ce qu’il soit mis fin à leur conservation.

L’article L. 2141-5 du code de la santé publique précise toutefois que ce n’est qu’à titre exceptionnel que les deux membres du couple peuvent consentir à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple.

L’article L. 2141-6 dispose également que « à titre exceptionnel, un couple répondant aux conditions prévues à l’article L. 2141-2 et pour lequel une assistance médicale à la procréation sans recours à un tiers donneur ne peut aboutir peut accueillir un embryon. Le couple accueillant l’embryon est préalablement informé des risques entraînés par la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation pour l’enfant à naître. » L’accueil d’embryon est subordonné à une décision de l’autorité judiciaire.

Dans le cas du couple donneur, la mention du caractère exceptionnel du don d’embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental semble faire des deux autres options offertes dans ce cas de figure, recherche ou destruction, les options de droit commun. La hiérarchie établie par cette mention paraît extrêmement problématique.

S’agissant du couple « receveur », la rédaction ambiguë de l’article définissant les conditions de recours à l’accueil d’embryon conduit à des difficultés d’interprétation, ainsi que l’a souligné l’Agence de la biomédecine.

La loi du 6 août 2004 avait en effet assoupli les conditions de recours à une AMP avec tiers donneur. Celle-ci peut être mise en œuvre si l’AMP intraconjugale ne peut aboutir ou si le couple, dûment informé, y renonce. De ce fait, il est difficile de déterminer si l’accueil d’embryon est subordonné à l’échec de l’AMP intraconjugale ou si le couple peut également demander un accueil d’embryon après avoir simplement renoncé à une AMP sans tiers donneur.

La commission spéciale a donc adopté un amendement de votre rapporteur qui supprime les dispositions relatives au caractère exceptionnel de l’accueil d’embryon et prévoit qu’il peut être mis en œuvre si l’AMP intraconjugale ne peut aboutir ou si le couple, dûment informé, y renonce.

C. LA FINALITÉ DE L’AMP

1. L’indication médicale de l’AMP : une nécessaire clarification

Le code de la santé publique affirme que l’AMP est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple.

Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

Comme le rappelle l’ABM dans son bilan d’application de la loi de bioéthique, « le législateur de 1994 et 2004 a voulu réserver le recours à l’AMP à certaines indications médicales. Le but est d’éviter le recours à l’AMP pour des raisons de convenance personnelle. […] En elle-même, cette disposition ne pose pas de difficultés pratiques, mais des questionnements sociétaux de ce fondement même de l’AMP posé par la loi émergent régulièrement : l’AMP pourrait être envisagée comme un nouveau mode de procréation, palliant les impossibilités de procréer au sens large, qu’elles soient physiologiques ou sociales (couples dont la femme est ménopausée, femmes célibataires, femmes homosexuelles, dans une logique d’aide à la parentalité de personnes seules ou en couple ».

Lors des états généraux de la bioéthique, les citoyens du panel de Rennes ont insisté sur la finalité strictement médicale de l’AMP, comme le montre le rapport final publié en juillet 2009 : « ils se [sont dits] défavorables à l’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires ainsi qu’aux couples homosexuels, rappelant que l’AMP est d’abord une réponse médicale à l’infertilité naturelle (prenant ainsi le contre-pied de la démarche désormais habituelle qui consiste à définir d’abord l’AMP comme une réponse à une demande parentale).[…] Les citoyens ont reconnu que « le désir d’enfant » était, bien entendu, une raison essentielle de recourir à l’AMP. Ils ont bien vu que la satisfaction de ce désir était un effet, une conséquence possible de l’AMP. Cependant, ils ne conçoivent pas la satisfaction de ce désir comme sa finalité première. L’expression d’une demande ne suffit pas selon eux à justifier l’usage de ces techniques. La fin ne justifie pas les moyens. »

Or il apparaît que la loi ne traduit qu’imparfaitement cette conception de l’AMP. En effet, cet article prévoit, dans son premier alinéa, que « l’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple », avant de préciser, à l’alinéa suivant, les raisons médicales justifiant le recours à ces techniques (remédier à une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité).

L’article 20 du projet de loi supprime donc toute référence à une demande parentale du couple, parachevant une clarification des finalités de l’AMP amorcée dès 2004, avec la substitution de la notion « d’assistance médicale à la procréation » à celle de « procréation médicalement assistée », ce qui traduisait la volonté du législateur de souligner que ces techniques devaient être employées non pour satisfaire une demande d’enfant érigée en véritable droit, mais bien pour pallier l’infertilité médicalement constatée d’un couple.

2. Les conditions d’accès à l’AMP

L’accès à ces techniques est réservé aux couples composés d’un homme et d’une femme vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.

L’opportunité d’élargir ces conditions d’accès a été discutée dans le cadre des travaux qui ont précédé le début de l’examen du présent projet de loi.

a) Les femmes célibataires et les couples de même sexe

Ces discussions ont d’abord concerné la possibilité d’ouvrir l’AMP aux femmes célibataires, les partisans de cette ouverture plaidant notamment le parallélisme des formes avec l’adoption. L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans son rapport n° 1325, La loi bioéthique de demain, préconisait en particulier l’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires infertiles.

Cette option a été écartée par la mission d’information de notre assemblée, qui a tout d’abord considéré que la possibilité pour toutes les femmes seules de bénéficier des techniques d’AMP conduirait à organiser la conception délibérée d’enfants privés de père, alors même que, depuis les premières lois de bioéthique, prévaut le principe « un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins », et qu’à ce titre, par exemple, toutes les garanties ont été apportées par la loi pour que l’enfant issu d’un don de gamètes ait deux parents et que sa filiation ne puisse être remise en cause. À cet égard, le parallélisme avec l’adoption ne paraît pas pertinent : dans un cas il s’agit de donner une famille à un enfant déjà conçu, dans l’autre de faire naître des enfants sans père.

En outre, permettre l’accès à ces techniques pour toutes les célibataires contredit le principe en vertu duquel la finalité de l’AMP est une finalité médicale, et ouvre la voie à des AMP « de convenance » visant à répondre à toute forme de désir d’enfant.

La restriction de l’accès à l’AMP aux seules femmes célibataires infertiles ne constitue d’ailleurs par une garantie convaincante contre les AMP de convenance, car il sera extrêmement difficile d’apprécier le caractère pathologique de l’infertilité. Toutes les stérilités ne sont pas liées à une cause précisément identifiable et on constate, au sein de couples ayant des rapports sexuels réguliers, des infertilités inexpliquées en dépit d’explorations complémentaires.

Les débats sur l’accès à l’AMP ont également porté sur les couples homosexuels. Cette option a été écartée pour plusieurs raisons : tout d’abord, cette question dépasse largement le cadre d’une loi de bioéthique. Comme l’indique le Conseil d’État dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, même si la demande d’une meilleure reconnaissance de l’homoparentalité s’accroît et si la question de l’accès des couples de femmes à l’AMP est posée, son émergence à l’occasion du réexamen des lois de bioéthique ne doit pas faire oublier que cette question relève fondamentalement du droit de la famille. Dès lors, « il ne serait pas de bonne législation de la traiter sans prendre en compte toutes ses implications, ni de légiférer sur l’homoparentalité dans le seul cas particulier des demandes d’AMP. Il est vrai qu’une meilleure reconnaissance de l’homoparentalité peut, à certaines conditions, répondre à l’intérêt des enfants élevés par deux adultes de même sexe formant un couple stable et constituant avec ces enfants une famille. Mais il serait peu compréhensible qu’une évolution sociale de cette importance soit initiée dans le domaine de l’AMP, qui relève d’une logique spécifique. »

En outre, directement (pour les couples d’hommes) ou indirectement, l’accès à l’AMP aux couples de même sexe serait susceptible d’entraîner la légalisation de la GPA. Or la possibilité de légaliser cette pratique a été unanimement récusée par la totalité des instances s’étant prononcé sur l’évolution des lois de bioéthique.

La gestation pour autrui

Selon la définition donnée par l’Académie nationale de médecine (24), « la gestation pour autrui caractérise le fait pour une femme de porter un enfant pour le compte d’un couple qui en a assuré le projet et la conception et à qui il sera remis après sa naissance ». On peut distinguer procréation pour autrui (la femme est à la fois gestatrice et donneuse d’ovocyte) de la gestation pour autrui (la femme porte un embryon conçu in vitro avec les gamètes du couple d’intention).

Après une première condamnation d’une convention de gestation pour autrui par la Cour de Cassation en 1991 (25), la loi n°94-653 du 29 juillet 1994 a défini plusieurs principes qui interdisent le recours à la GPA : non patrimonialité du corps humain, nullité des conventions conférant une valeur patrimoniale au corps humain et des conventions portant sur la GPA.

Des sanctions pénales sont également encourues par la gestatrice, le couple commanditaire et les éventuels intermédiaires, à condition qu’un des éléments constitutifs de l’infraction se soit déroulé sur le territoire français.

La filiation maternelle des enfants nés d’une GPA à l’étranger ne peut être établie.

Votre rapporteur reste opposé à la légalisation de la GPA et souligne qu’il convient de ne pas se laisser abuser par le caractère lénifiant de l’acronyme, qui tend à faire passer cette forme particulièrement grave d’aliénation du corps des femmes les plus fragiles pour un prêt d’utérus altruiste et désintéressé.

En outre, il considère comme irrecevable l’argument tiré du fait que cette pratique existe à l’étranger : maintenir cet interdit ne constitue en rien une forme d’hypocrisie, mais contribue au contraire à la nécessaire réaffirmation de nos principes et au refus de l’alignement sur le moins disant éthique. D’autant qu’une autorisation limitée de la GPA ne mettra pas fin au tourisme procréatif des couples qui se situeraient au-delà de cette limite. Comme l’ont montré les travaux de la mission d’information de notre assemblée, même dans des États comme le Royaume-Uni qui ont interdit la rémunération des gestatrices, tout en admettant qu’un dédommagement raisonnable leur soit versé, des couples continuent de se rendre à l’étranger, en raison notamment, de l’insuffisance du nombre de gestatrices mais aussi, semble-t-il, pour des raisons de coût moindre.

Ainsi, M. David Gomez, conseiller juridique de l’Autorité britannique de la fécondation et de l’embryologie humaines (HFEA), a évoqué le cas « de couples anglais qui vont à l’étranger conclure des contrats de GPA, peut-être pour des raisons de prix », en expliquant qu’« au Royaume-Uni, la publicité pour ce type de service est interdite. Il n’y a pas de liste de mères porteuses mais comme pour les donneurs de gamètes, il y a un nombre insuffisant de mères porteuses. Le paiement est illégal en théorie. Mais peu de femmes sont prêtes à porter le bébé de quelqu’un d’autre sans incitation financière. Dans certains pays, la gestation pour autrui peut être rémunérée. Et il y est moins cher d’obtenir une mère porteuse. Je crois que c’est la réalité de la nature humaine. »

Sur le fond, cette pratique comporte des risques : il s’agit bien sûr des risques physiques et psychologiques pour la gestatrice. Rappelons que des femmes peuvent perdre leur utérus lors d’une hémorragie de la délivrance, et qu’il y a un terrible cynisme à prétendre prendre en compte la souffrance des femmes qui n’ont pas d’utérus en demandant à d’autres femmes de prendre le risque de perdre le leur ! La GPA nie également les relations psychiques et affectives qui peuvent naître entre la gestatrice et l’enfant, sans parler de l’importance des échanges prénataux. On doit également évoquer les risques pour l’entourage de la gestatrice et pour le couple d’intention, qui peut être confronté au handicap d’un enfant ou au souhait de la gestatrice de garder l’enfant. Il faut également évoquer le risque psychologique pour l’enfant, qui pourrait vivre sa conception comme un abandon.

En outre, on ne peut pas se contenter de réfléchir à cette question en s’en tenant aux principes et en faisant abstraction de la réalité sociale : la GPA constitue une forme d’aliénation et de marchandisation du corps humain, susceptible d’affecter les femmes les plus fragiles.

Par ailleurs, il est impossible de fixer un encadrement susceptible de garantir l’absence de toute dérive : la rémunération de la gestatrice pourra intervenir hors de tout contrôle, même si cette rémunération est formellement interdite. La condition d’impossibilité de mener une grossesse à terme, qui pourrait être invoquée pour autoriser le recours à la GPA, est médicalement difficile à définir et risque de mener à des GPA « de convenance ». D’autres questions demeurent également sans réponse : que se passera-t-il en cas de malformation liée à un syndrome d’alcoolisation fœtale ? Si la gestatrice change d’avis ? Voire si les parents d’intention changent d’avis ?

Enfin, sur le plan des principes, la légalisation comporterait de graves conséquences sociales, juridiques et anthropologiques : elle met en cause les principes fondamentaux des lois de bioéthique (anonymat, gratuité, consentement libre et éclairé), encourage la survalorisation de la dimension génétique de la filiation, conduit à une précarisation et à une contractualisation de l’état des personnes et affaiblit l’interdiction de l’abandon d’enfant.

Le projet de loi qui nous est présenté a donc écarté les options consistant à ouvrir l’accès à l’AMP aux femmes célibataires et aux couples de même sexe, position confirmée par la commission spéciale.

b) L’égalité des couples dont l’infertilité pathologique est médicalement constatée, quel que soit le statut de leur union

Conformément aux préconisations du Conseil d’État et de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, l’article 20 aligne les conditions d’accès à l’AMP des partenaires d’un PACS sur celles applicables aux couples mariés.

En outre, la commission a adopté un amendement supprimant la nécessité pour les concubins de prouver qu’ils mènent une vie commune d’au moins deux ans. Cette condition est très pénalisante pour les concubins qui doivent attendre deux ans avant de pouvoir commencer un traitement, alors que l’âge de la femme est un facteur important du succès de l’AMP. Au demeurant, les médecins répugnent à l’appliquer, car ils estiment que ce n’est pas leur rôle.

La commission a donc en effet estimé que l’existence d’un critère d’infertilité pathologique médicalement constatée suffit à garantir que la suppression du délai de deux ans n’aboutisse pas à des AMP de confort. Les équipes médicales sont tout à fait capables d’apprécier lorsqu’un couple, quelle que soit la durée de leur vie commune, est confronté à une infertilité pathologique, comme elles le font déjà pour les couples mariés. Elle a donc supprimé toute référence au statut juridique du couple demandeur, pour ne maintenir que celle à une infertilité pathologique médicalement constatée au sein d’un couple formé d’un homme et d’une femme.

c) Le transfert d’embryon post mortem

Le code de la santé publique, en disposant que l’accès à l’AMP est réservée aux couples vivants, interdit le transfert d’embryons créés dans ce cadre après le décès du père.

La mission d’information de notre assemblée, si elle avait conclu au maintien de l’interdiction des inséminations post mortem, avait toutefois préconisé l’autorisation du transfert d’embryons post mortem.

La commission a donc autorisé le transfert d’embryons post mortem, selon un dispositif inspiré sur celui qui avait été adopté par l’Assemblée nationale lors de la première lecture de la loi bioéthique de 2004. Le transfert d’embryons sera autorisé par l’ABM, dès lors que le père y avait consenti. Ce transfert ne pourra avoir lieu qu’entre le sixième et le dix-huitième mois suivant le décès de ce dernier. Dans ces conditions, la filiation paternelle légitime ou naturelle, selon que le couple était marié ou non, sera établie et l’enfant sera appelé à la succession de son père.

On doit cependant remarquer qu’outre l’inconvénient de faire naître un enfant orphelin de père, cette procédure complexe pourrait ouvrir la voie à une dérive consistant à concevoir un embryon après que le père ait eu connaissance d’une pathologie incurable l’affectant.

VI.- TROUVER UN ÉQUILIBRE ENTRE LES ENJEUX ÉTHIQUES ET LES BESOINS DE LA RECHERCHE

L’article 23 du projet de loi modifie le régime juridique des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Tout en réaffirmant le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, il aménage, de façon désormais permanente, les possibilités dérogatoires de mener de telles recherches.

La recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires qui en sont dérivées est certainement un des sujets les plus sensibles en matière de bioéthique car il touche aux origines de la vie. Comme le souligne le rapport final des États généraux de la bioéthique en date du 1er juillet 2009, « se demander ce qu’il convient d’autoriser ou d’interdire conduit toujours, en dernier ressort, quels que soient l’opinion spontanée et les intérêts spécifiques de chacun, à réfléchir à la conception de l’humain dont la loi se veut l’expression ».

A. LA FIN DU MORATOIRE DÉCIDÉ EN 2004

Le régime dérogatoire instauré par la loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique est un régime transitoire qui expire le 6 février 2011.

1. La loi de 2004 réaffirme le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon humain mais ouvre la possibilité dérogatoire et temporaire de mener certaines recherches sur l’embryon humain in vitro

Alors que la première loi de bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994 autorisait à titre exceptionnel des études ne portant pas atteinte à l’embryon mais interdisait de façon absolue toute recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 a ouvert certaines possibilités de déroger, dans des conditions très strictes et pour une période limitée à cinq ans, à l’interdit posé en 1994.

a) La possibilité d’autoriser, à titre exceptionnel, des études ne portant pas atteinte à l’embryon est maintenue

Autorisée dès 1994, la possibilité de réaliser des « études ne portant pas atteinte à l’embryon » a été conservée par la loi de bioéthique de 2004.

Distinctes des recherches qui aboutissent systématiquement à la destruction de l’embryon, ces études sont des observations d’embryons destinés à être transférés in utero dans le cadre de projets parentaux de couples, sans manipulation portant atteinte à leur intégrité.

Permises « à titre exceptionnel », ces études ne peuvent pas, aux termes de l’article R. 2141-17 du code de la santé publique, être entreprises si elles ont pour objet ou risquent d’avoir pour effet de modifier le patrimoine génétique de l’embryon, ou si elles sont susceptibles d’altérer ses capacités de développement.

b) Le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon humain est réaffirmé mais une possibilité dérogatoire et temporaire de mener certaines recherches sur l’embryon humain in vitro dépourvu de projet parental est ouverte

Par exception au régime de liberté qui s’applique normalement à la recherche en France, la loi de 2004 pose comme principe que « la recherche sur l’embryon humain est interdite ».

Par dérogation, et pour une période limitée à cinq ans, la loi de 2004 permet néanmoins à l’Agence de la biomédecine d’autoriser certaines recherches sur l’embryon in vitro dépourvu de projet parental dans des conditions strictement encadrées qui exigent notamment que ces recherches soient susceptibles de permettre des « progrès thérapeutiques majeurs » et qu’elles ne puissent pas être poursuivies par « une méthode alternative d’efficacité comparable ».

Dans son bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 (octobre 2008), l’Agence de la biomédecine indique que ce régime dérogatoire à durée limitée reflétait « les incertitudes ressenties à l’époque des débats parlementaires, à la fois sur les conséquences qu’aurait pu avoir le passage direct à un régime d’autorisation, mais aussi sur le bénéfice que pouvait amener la conduite de ce type de recherche ».

2. L’expiration en février 2011 du moratoire sur les recherches sur l’embryon accentue l’urgence d’un réexamen de la loi

La loi du 6 août 2004 n’a autorisé à titre dérogatoire les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires que pour une période de cinq ans qui expire le 6 février 2011.

a) Aucune recherche sur l’embryon ne pourra plus être autorisée par l’Agence de la biomédecine au-delà du 6 février 2011

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique a autorisé, à titre dérogatoire et temporaire, les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires pendant un délai de cinq ans à compter de la publication du décret en Conseil d’État, prévu à l’article L. 2151-8 et fixant les conditions d’autorisation et de mise en œuvre des recherches menées sur des embryons humains.

Le décret d’application de la loi du 6 août 2004 n° 2006-121 du 6 février 2006 ayant été publié au Journal officiel le 7 février 2006, cette période de cinq ans s’étend donc jusqu’au 6 février 2011. Aucune recherche sur l’embryon ne pourra plus être autorisée par l’Agence de la biomédecine au-delà de cette date.

b) Les recherches déjà autorisées pourront néanmoins se poursuivre dans une limite de cinq ans

La rédaction actuelle de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que les recherches sur l’embryon dont les protocoles auront été autorisés dans ce délai de cinq ans, et qui n’auront pu être menées à leur terme, pourront toutefois être poursuivies dans le respect des conditions fixées par la loi, notamment en ce qui concerne leur régime d’autorisation.

L’article R. 2151-2 du code de la santé publique précise par ailleurs que l’Agence de la biomédecine peut autoriser un protocole de recherche sur l’embryon ou sur les cellules embryonnaires pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans.

Le Conseil d’État, dans son étude relative à la révision des lois de bioéthique, déduit de ces deux dispositions combinées que « les projets autorisés avant le 6 février 2011 pourront se poursuivre au-delà de cette date, dans la limite de la durée indiquée dans l’autorisation ».

B. LES ARGUMENTS EN FAVEUR D’UN RÉGIME D’AUTORISATION

Les potentialités des cellules souches embryonnaires ont conduit à s’interroger sur l’opportunité de passer d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisations encadrées.

1. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires ont progressé

a) Les potentialités des cellules souches embryonnaires se sont confirmées

Dérivées chez l’homme pour la première fois en 1998 aux États-Unis par James Thompson de l’université Wisconsin-Madison (26), les cellules souches embryonnaires semblent conserver aujourd’hui des potentialités prometteuses. Leur double propriété de prolifération indéfinie (auto-renouvellement) et de différenciation dans tous les types de tissus (pluripotence) assure un nombre illimité de cellules capables de multiples destins cellulaires.

Contrairement aux cellules souches adultes qui sont rares et difficilement localisables, la quantité et la disponibilité des cellules souches embryonnaires, du fait du grand nombre d’embryons surnuméraires et de la possibilité de dériver des lignées des cellules extraites de ces embryons, représentent un avantage indéniable.

Par ailleurs, alors que les cellules souches adultes sont pour la plupart d’entre elles seulement multipotentes (27), les cellules souches embryonnaires sont le plus fréquemment pluripotentes (28) où totipotentes (29), ce qui implique que leur capacité de différenciation est plus développée et permet l’obtention de tous les types de tissus et de cellules existant dans l’organisme.

Les cellules souches embryonnaires ont également une plus grande aptitude à la prolifération in vitro, ce qui permet d’obtenir des lignées plus facilement qu’avec des cellules souches adultes.

Enfin, les cellules souches embryonnaires sont beaucoup plus spontanément capables de survivre et de se multiplier in vitro que les cellules souches adultes.

b) Les perspectives d’essais cliniques avec des cellules souches embryonnaires se rapprochent

Le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement d’avril 2010 de l’Agence de la biomédecine indiquait que quatre essais cliniques étaient sur le point d’être autorisés aux États-Unis par la Food and Drug Administration (FDA), tous menés par des sociétés pharmaceutiques en collaboration avec des équipes académiques.

Essais cliniques envisagés avec les cellules souches embryonnaires dans les 5 ans

Agence de la biomédecine – Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement - avril 2010

Depuis, deux essais cliniques avec des cellules souches embryonnaires ont été récemment autorisés aux États-Unis. Le premier essai vise à réparer des traumatismes récents de la moelle épinière, la base du traitement étant constitué de cellules souches embryonnaires « pré-orientées » pour devenir des cellules médullaires. Le deuxième essai, qui vient d’être autorisé, concerne une forme particulière de dégénérescence maculaire frappant les sujets jeunes.

La France n’apparaît pas spécialement en retard dans le domaine des recherches sur les cellules souches embryonnaires dans la mesure où M. Philippe Menasché, professeur de médecine et directeur de recherches à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, a indiqué, lors de son audition en date du 1er décembre 2010, qu’il était également en train de préparer un essai clinique.

2. Plusieurs organismes ont proposé de mettre en place un régime d’autorisation des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

a) La différence entre un régime d’interdiction avec dérogations et un régime d’autorisation encadrée apparaît faible sur le plan technique en première analyse

L’étude du Conseil d’État relative à la révision des lois de bioéthique a souligné que la différence juridique entre un régime d’interdiction assorti de dérogations et un régime d’autorisation sous conditions n’est pas fondamentale et, qu’en définitive, « l’un ou l’autre de ces schémas peut être indifféremment employé pour encadrer la recherche par des conditions en réalité identiques ». Chacune des deux formules est ainsi susceptible, « à des degrés différents », de maintenir une certaine protection de l’embryon.

La principale différence, d’ordre juridique, porte sur la méthode d’interprétation des textes puisque « dans un régime d’interdiction assorti de dérogations, la possibilité de déroger à l’interdiction est interprétée strictement, alors que dans un régime d’autorisation soumise à conditions, ce sont les conditions qui peuvent donner lieu à une interprétation stricte ».

b) Plusieurs instances ont ainsi suggéré d’instaurer un régime d’autorisation permanente des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

Dès lors, pour ne pas afficher un principe d’interdiction qui semble s’opposer à la liberté de la recherche, cadre mal avec la réalité des pratiques de dérogations possibles et est souvent mal compris à l’étranger, certaines instances ont suggéré d’instaurer un régime d’autorisation permanente des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Estimant que l’opportunité d’un régime dérogatoire n’avait plus de sens, le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif aux « cellules souches et choix éthiques » (2006), a ainsi préconisé de passer à un régime d’autorisation des recherches sur l’embryon et les cellules souches.

De la même façon, l’Agence de la biomédecine, dans son bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 (octobre 2008), a estimé qu’un régime d’autorisation pérenne, à condition qu’il soit aussi encadré que le régime actuel issu de la loi de 2004, présenterait les mêmes garanties en ce qui concerne le sérieux des recherches, et permettrait d’éliminer les reproches adressés de l’étranger au système dérogatoire selon lesquels le cadre juridique actuel serait trop restrictif.

Dans son étude relative à « La révision des lois de bioéthique », adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, le Conseil d’État a également préconisé de mettre en place un régime d’autorisation des recherches sur l’embryon humain et les cellules embryonnaires, enserré dans des conditions strictes, précisant que cette possibilité serait une simple faculté et ne créerait donc pas un droit à autorisation.

Dans un rapport en date du 22 juin 2010, l’Académie de médecine a livré ses réflexions relatives au rapport d’information n° 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique qui proposait de pérenniser, tout en l’adaptant, le régime d’interdiction, assorti de dérogations, des recherches sur l’embryon. Selon l’Académie de médecine, « l’interdiction de principe de toute recherche sur l’embryon ne peut être justifiée par la protection d’embryons qui n’ont pas d’autre avenir que l’arrêt de leur vie. Elle ne serait pas dans l’intérêt des embryons susceptibles de se développer et de vivre. Une recherche peut être menée au bénéfice de l’embryon de manière similaire aux recherches de type clinique qui peuvent être menées à tous les âges de la vie. Dans tous les cas, les recherches sur l’embryon devraient faire l’objet d’un encadrement réglementaire rigoureux qui devrait distinguer 2 catégories de recherches, celles réalisées sur des embryons n’ayant pas d’autre avenir que l’arrêt de leur développement et celles réalisées sur des embryons destinés à vivre ». 

Enfin, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’est prononcé à deux reprises en faveur d’un régime d’autorisation des recherches sur l’embryon. Dans son rapport sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique (décembre 2008), il a ainsi estimé que « la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines doit être autorisée et encadrée ». Dans le rapport n° 2718 sur la recherche sur les cellules souches (8 juillet 2010), l’OPECST a de nouveau recommandé de passer d’un régime d’interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines à un régime d’autorisation strictement encadré.

C. UN RÉGIME DÉROGATOIRE PÉRENNE APPARAÎT NÉANMOINS LE PLUS ADAPTÉ AUX ENJEUX ÉTHIQUES ET AUX ATTENTES DES CHERCHEURS

1. L’impossible accord sur la définition de la nature de l’embryon exige le maintien d’un interdit symbolique fort

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires mettent en jeu le statut de l’embryon qui en est la source, sachant que le prélèvement des cellules de l’embryon implique automatiquement sa destruction. Or, comme l’a souligné (30) M. Bertrand Matthieu, Professeur à l’Université de Paris I, « l’embryon humain est pour le législateur et les juristes un sujet d’embarras ».

a) Un consensus minimal sur la nature de l’embryon semble pouvoir s’opérer autour de la notion de « personne humaine potentielle »

La conduite éthique à tenir à l’égard de l’embryon humain, et tout spécialement à l’égard de l’embryon humain in vitro, fait l’objet d’une très grande diversité de positions fondées sur des orientations philosophiques ou religieuses qui apparaissent difficilement conciliables.

Tout au plus peut-on mettre en évidence, comme le fait le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) dans son récent avis (31) n°112, « un point commun – trop rarement souligné – à toutes les manières radicalement différentes de considérer la conduite à l’égard de l’embryon humain in vitro : c’est le fait qu’il ne peut être porté atteinte à son intégrité aussi longtemps qu’il demeure inscrit dans le projet parental qui a été à l’origine de sa création ».

Au-delà de cet accord sur la nécessaire protection de l’intégrité de l’embryon in vitro destiné à naître, c’est-à-dire aussi longtemps qu’existe un projet humain au sein du couple qui a demandé sa création, les points de vue divergent lorsqu’il s’agit d’envisager le sort des embryons maintenus en cryopréservation qui cessent d’être inscrits dans le projet parental du couple qui a été à l’origine de leur création (embryons dits surnuméraires, non seulement dans le cadre de la réalisation d’une AMP, par rapport à l’implantation initiale qui a suivi la FIV, mais devenus surnuméraires – « en trop » – par rapport au projet parental qui a été à l’origine de leur création).

D’un point de vue juridique, le statut de l’embryon est souvent présenté comme une alternative entre les deux grandes catégories juridiques classiques que sont les choses, objets de droit, et les personnes, sujets de droits. Appliqués à l’embryon, ces critères traditionnels ne sont pourtant pas très éclairants. Un rapport du Sénat (32) sur l’état d’application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique relève ainsi que « dans le débat actuel, [l’embryon] n’est perçu ni comme une personne ni comme une chose, [...] mais comme un être vivant que le droit pourrait consacrer comme « une personne humaine potentielle ».

En effet, si les techniques de procréation médicalement assistée ont pu conduire à s’habituer à ce que l’embryon humain soit traité comme un objet qui est « congelé », « stocké » ou « décongelé », on perçoit bien également que le législateur refuse de le considérer purement et simplement comme une chose, même lorsqu’il n’est plus l’objet d’un projet parental au sein du couple qui est à l’origine de sa création, comme l’illustre la possibilité offerte par l’article L. 2141-6 du code de la santé publique d’un « accueil », et non d’un « don » (33), de l’embryon  surnuméraire par un autre couple.

Cette possibilité d’accueil d’un embryon surnuméraire qui n’est plus inscrit dans le projet parental qui a été à l’origine de sa création montre que la variation du projet parental ne modifie pas nécessairement l’être de l’embryon, contrairement aux positions exprimées par les États généraux de la bioéthique de 2009 qui exprimaient plutôt un avis contraire. Elle assure, au plan symbolique, que tout embryon surnuméraire n’est pas nécessairement voué soit à la destruction, soit à la recherche.

Par ailleurs, si le caractère d’être humain est majoritairement reconnu par la doctrine à l’embryon, ce dernier n’est pas pour autant une personne. En effet, la personnalité juridique s’acquiert à la naissance tandis que dans les premiers stades de son développement, les cellules totipotentes de l’embryon ne respectent pas une des caractéristiques de la personne humaine qui est d’être originale, une et indivisible.

Ces incertitudes sur la nature juridique de l’embryon ne sont pas sans poser de problèmes. En effet, si l’embryon n’est pas une personne, les conditions rigoureuses dans lesquelles la loi autorise la recherche sur l’embryon peuvent apparaître injustifiées et de nature à entraver excessivement les activités de recherche. À l’inverse, si l’embryon est une personne, ou s’il doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, toutes ces précautions, si exigeantes soient-elles, risquent de demeurer insuffisantes.

Appliqués à l’embryon in vitro, les droits fondamentaux, d’inspiration constitutionnelle ou conventionnelle, comme la dignité de la personne humaine ou le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, ne sont pas d’un plus grand secours pour définir la protection dont doit, ou non, bénéficier celui-ci.

La Constitution française du 4 octobre 1958 ne comporte ainsi pas de dispositions explicites relatives à des principes directeurs qui pourraient servir de guide en matière éthique. Dans son rapport d’octobre 2008 au Président de la République, le comité de réflexion sur le préambule de la Constitution n’a ainsi pas, à l’exception de l’« égale dignité de chacun », préconisé l’élévation, au niveau constitutionnel, de principes susceptibles de s’appliquer en matière de bioéthique. Il convient de souligner que dans son rapport de décembre 2008 sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques faisait remarquer qu’« inscrire le principe de dignité dans le Préambule, dans la mesure où il affirme la valeur inaliénable de la personne humaine, pourrait poser problème au regard de la loi de bioéthique. Si la notion de dignité renvoie à celle de la protection de la vie, comment fera-t-on pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires aujourd’hui autorisées en France ? ».

À l’occasion des premières lois bioéthiques, le Conseil constitutionnel (34) a certes déduit du Préambule de la Constitution de 1946 « que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle », estimant en l’espèce que les principes affirmés par ces lois, au nombre desquels figuraient la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine, tendaient à assurer le respect de ce principe.

Cependant, dans la même décision, le Conseil constitutionnel a considéré, au sujet de la conservation des embryons fécondés in vitro, que le législateur « a estimé que le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne leur était pas applicable » et qu’« il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne détient pas un pouvoir d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur ».

En matière de conventions internationales, l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule certes que « le droit de toute personne à la vie est protégée par la loi ». Toutefois, outre le fait que la Convention se réfère à la « personne », la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé (35) que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des États.

Dans ces conditions, il apparaît difficile de trancher entre les deux positions inconciliables qui oscillent entre une sacralisation de l’embryon in vitro dépourvu de projet parental et sa réification. Le Conseil d’État relève ainsi dans son étude sur « La révision des lois de bioéthiques » que « dire qui est l’embryon ou ce qu’il est, relève de l’impossibilité ».

C’est certainement la raison pour laquelle le législateur a toujours refusé de donner un statut juridique spécifique à l’embryon. Certains des plus fervents défenseurs de la dignité de l’embryon avancent l’idée qu’un statut de l’embryon ne serait d’ailleurs pas souhaitable dans le sens où il aboutirait de facto à un statut infra-humain qui ne serait qu’un pis-aller.

La législation française a toutefois entouré l’embryon d’un certain nombre de protections. Ainsi l’article 16 du code civil dispose que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Le code de la santé publique interdit également la conception in vitro d’embryon humain à des fins de recherche (article L. 2151-2), la conception, la constitution par clonage et l’utilisation d’un embryon humain à des fins commerciales ou industrielles (article L. 2151-3) et la constitution par clonage d’un embryon humain à des fins thérapeutiques (article L. 2151-4). Par ailleurs, les règles qui autorisent aujourd’hui d’une certaine façon à porter atteinte à l’embryon restent dérogatoires, comme en matière de recherches sur l’embryon (article L. 2151-5) ou d’interruption volontaire de grossesse, au sujet de laquelle l’article L. 2211-1 du code de la santé publique dispose qu’il ne saurait être porté atteinte au principe mentionné à l’article L. 2211-1, c’est-à-dire « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », qu’en cas de nécessité et selon des conditions strictement définies. D’après M. Jean-René Binet, maître de conférences à la faculté de droit de Besançon, la combinaison de ce corpus de règles « permet d’affirmer l’existence en droit français, d’un principe général de protection de la vie humaine prénatale, composante de la protection de la vie humaine » (36).

Il n’en demeure pas moins, comme l’indique le CCNE, qu’il est impossible dans une société pluraliste et démocratique de tracer une frontière qui se traduirait en termes de tout ou rien en matière de respect à l’égard de l’embryon. La question de la nature exacte de l’embryon in vitro dépourvu de projet parental apparaît plutôt comme une énigme : « Il serait tout aussi excessif de considérer l’embryon en phase pré-implantatoire comme un simple amas de cellules d’origine humaine que de le sacraliser en tant que personne humaine en puissance. La notion de "processus embryonnaire en cours" témoignerait peut-être de l’énigme qui entoure la nature exacte de l’embryon aux premiers stades de sa vie. Quoi qu’il en soit, et en raison même de cette énigme, le Comité affirme son attachement à l’idée selon laquelle l’embryon humain doit, dès sa formation, bénéficier du respect lié à sa qualité (37)».

Devant ces difficultés, le CCNE a réaffirmé à la fois un refus de la réification de l’embryon humain et la reconnaissance du respect qui lui est dû en tant que « personne potentielle ». Sa position de fond consiste en effet à reconnaître l’embryon « comme une personne potentielle dont le respect s’impose à tous » (38).

Dès lors, le CCNE estime que « les exigences éthiques ne peuvent pas toujours être formulées en termes "d’absolus" de caractère dogmatique. L’élaboration des règles et leur mise en œuvre impliquent des compromis que le principe éthique du moindre mal peut rendre tolérables. Ce moindre mal devrait être apprécié au regard des avantages et des risques immédiats, à moyen ou à long terme, qu’ils soient de nature scientifique ou médicale, psychologique ou sociale, culturelle ou philosophique ».

Dans son dernier avis n° 112 (39), le CCNE insiste à nouveau « sur l’importance d’une recherche de compromis, non comme une incapacité à choisir, mais au contraire comme le choix d’une conduite raisonnée, partageable, refusant les certitudes, mais prenant pleinement en compte la complexité de cette énigme de la « personne humaine potentielle » ».

Votre rapporteur est très sensible à cette nécessaire recherche de compromis qui l’a animé tout au long de ses réflexions sur la bioéthique.

b) La volonté d’affirmer que l’embryon ne peut être traité comme un simple matériau de laboratoire

Si l’autorisation des recherches sous conditions, comme l’interdiction avec dérogations, est susceptible de maintenir « la protection de l’embryon comme principe supérieur » au nom du respect dû à « un sujet en puissance, (…) une altérité dont on ne saurait disposer sans limite et dont la dignité assigne des bornes au pouvoir ou à la maîtrise d’autrui (40) », le Conseil d’État reconnaît toutefois que c’est « à des degrés différents ».

Il souligne en effet, avant de l’écarter, que « la solution consistant à conserver le principe actuel d’interdiction avec dérogation de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, tout en le pérennisant, présenterait l’avantage de maintenir l’affichage d’un interdit symbolique fort lié à la recherche sur l’embryon ».

Pour le Conseil d’État, « l’embryon étant une vie humaine potentielle et non une chose, il ne peut être traité comme un simple matériau de recherche. On ne peut par principe lui porter atteinte que pour des raisons majeures et dûment justifiées ».

Dans le même esprit, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dans son avis n° 105 du 9 octobre 2008, intitulé « Questionnements pour les États généraux de la bioéthique », a mis en garde contre le risque qu’une autorisation des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines conduise, sur un plan symbolique, à conférer à l’embryon un statut de chose.

C’était déjà le souci de conserver un interdit symbolique fort qui justifiait le choix de la mission d’information sur la révision des lois de la bioéthique de pérenniser le régime actuel d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires. La majorité des membres de la mission avait à l’époque en effet estimé « que la destruction d’embryons humains à des fins de recherche pose des questions éthiques trop complexes pour ne pas maintenir un régime d’interdiction avec dérogation, lequel est le seul à même de rappeler le caractère exceptionnel d’une telle recherche ».

L’article 23 du présent projet de loi, qui pérennise le régime actuel d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires, comme l’étude d’impact qui y est annexée, relèvent d’une analyse similaire puisqu’il y est indiqué qu’il est « important de conserver la portée symbolique de l’interdiction. L’obtention d’une autorisation de recherche entendue comme une dérogation à une interdiction de principe souligne en effet le caractère exceptionnel, du point de vue moral, de la procédure ».

La portée symbolique de l’interdiction des recherches, assortie de dérogations, présente l’avantage d’être cohérente avec les fondements de la loi civile et notamment avec le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie posé à l’article 16 du code civil.

On peut certes s’étonner que l’on donne plus d’importance à la recherche sur les embryons humains ou les cellules souches embryonnaires humaines, interdite par exception au régime de liberté qui s’applique à la recherche en France, qu’à la destruction des embryons surnuméraires. En effet, les embryons potentiellement visés par la recherche sont les embryons non implantés porteurs d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment d’un diagnostic préimplantatoire et les embryons dits « surnuméraires », conçus dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et initialement conservés par cryogénisation à des fins d’implantation utérine ultérieure. Or le sort de ces embryons est toujours, indépendamment de toute recherche, et à l’exception notable de la possibilité d’accueil d’embryon offerte par l’article L. 2141-6 du code de la santé publique, l’arrêt de leur conservation, c’est-à-dire leur destruction et l’avis n° 112 (41) du CCNE indique que cette dernière est bien la question éthique première.

Cependant, le fait que « ce n’est en aucun cas l’éventualité d’une recherche qui influe sur la décision de détruire l’embryon » ne signifie pas que l’utilisation d’embryons, même surnuméraires, ne pose pas des problèmes éthiques spécifiques. Le CCNE distingue ainsi, toujours dans le même avis n° 112, la recherche sur les cellules isolées d’un embryon humain déjà détruit de la recherche sur l’embryon humain avant sa destruction. D’après le CCNE, « en cas d’absence de transfert de l’embryon, la réalisation de recherches sur un embryon in vitro avant sa destruction ne pose pas les mêmes questions éthiques que la réalisation de recherches sur des cellules issues de cet embryon après sa destruction: dans le premier cas, la recherche s’effectuera sur un être vivant en train de se développer – en devenir, même si la décision d’interrompre plus tard ce devenir a déjà été prise – ; dans le second cas, la recherche s’effectuera sur des cellules vivantes issues d’un embryon détruit ».

En fait, il semble bien que ce soit en raison de la difficulté à s’accorder sur « le principe d’une interdiction de la création, de la conservation et de la destruction éventuelle des embryons humains surnuméraires, comme une affirmation du respect accordé à l’embryon humain, et d’une dérogation, dans des conditions précises, à l’interdiction, dérogation conçue comme une conduite de moindre mal » que l’interdiction, assortie de dérogations, porte sur la recherche.

Le CCNE souligne que d’aucuns avancent que c’est en raison même de la faiblesse symbolique concernant la destruction de l’embryon in vitro, qui est actuellement, et de façon paradoxale au regard de la transgression première qu’elle constitue, autorisée sous conditions et non interdite par la loi, que le législateur a été « conduit à faire peser, par une forme de compensation, une charge symbolique supplémentaire ailleurs, en l’occurrence sur la recherche ».

Si la loi autorisait à la fois la destruction et la recherche, même encadrée, sur l’embryon surnuméraire, sans affirmer parallèlement un principe de protection de l’embryon, on aboutirait à l’inscription d’une transgression dans la loi.

Or, s’il est exact que la médecine a souvent été le champ de transgressions bénéfiques qui l’ont fait progresser, le professeur Bertrand Matthieu, professeur à l’Université de Paris 1, a raison de souligner que « la transgression n’a cependant jamais été inscrite dans la loi. La loi peut se transgresser, elle ne peut transgresser » (42).

2. L’impossible distinction entre les recherches sur l’embryon et celles sur les lignées de cellules souches embryonnaires

a) Il a parfois été proposé de s’appuyer sur leur différence de nature pour mettre en place des régimes de recherche distincts sur l’embryon et sur les lignées de cellules souches embryonnaires

L’idée a parfois été avancée de mettre en place un régime d’autorisation encadrée pour la recherche sur les cellules embryonnaires, tout en maintenant une interdiction de principe de la recherche sur l’embryon.

M. Sadek Beloucif, président du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine a ainsi indiqué, lors de son audition par la commission spéciale en date du 1er décembre 2010, que « certains établissent entre l’embryon in toto et des cellules souches issus de cet embryon une différence, non pas seulement de degré, mais de nature, proposant que le principe d’interdiction assorti de dérogations soit maintenu pour le premier, alors que l’utilisation des secondes serait autorisée ».

M. Axel Kahn, généticien, médecin et président de l’Université Paris V René Descartes, a également indiqué, lors de son audition en date du 1er décembre 2010, qu’« une cellule souche embryonnaire n’est pas un embryon » et que « l’insertion d’une cellule souche embryonnaire dans un utérus féminin y conduira au développement d’une tumeur maligne, jamais à la naissance d’un enfant ».

Dans son étude de mai 2009, le Conseil d’État lui-même indique qu’« il pourrait être envisagé de différencier la recherche sur l’embryon de celles portant sur les cellules souches embryonnaires. Cette différenciation serait justifiée si on estime, au plan symbolique, que seul l’embryon peut prétendre à la protection particulière qu’impose le statut de personne humaine potentielle ; les cellules souches, surtout lorsqu’elles sont issues de lignées déjà développées, conservent leur qualité de cellules pluripotentes mais ne peuvent en elles-mêmes se développer sous une forme humaine viable. Il ne serait donc pas contraire à l’éthique de soumettre à un régime différencié la recherche sur l’embryon, plus strictement encadrée, et la recherche sur les cellules souches, soumise à un régime plus proche du droit commun mais qui prendrait en compte l’origine particulière de ces cellules ».

Votre rapporteur a été particulièrement sensible à cette piste de réflexion et a exploré en conséquence la possibilité de mettre en place un régime juridique différent selon que la recherche porte sur l’embryon ou sur les cellules d’origine embryonnaire humaine. Force est de constater que cette direction s’est révélée infructueuse.

b) L’introduction de régimes juridiques différenciés entre l’embryon et les cellules souches qui en sont dérivées nuirait à la lisibilité de la loi et ne supprimerait pas pour autant tout problème éthique

La perspective d’une distinction entre les recherches sur l’embryon, qui serait interdite, et celles sur les lignées de cellules souches embryonnaires, qui seraient autorisées, débouche néanmoins sur plusieurs difficultés.

Sous l’angle biologique, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) n’occulte pas, dans son récent avis n° 112 (43), la difficulté de traiter séparément la question de la recherche sur l’embryon de celle sur les cellules embryonnaires en faisant notamment remarquer « la nature particulière des propriétés de certaines cellules souches d’origine embryonnaire humaine, et notamment leur totipotence initiale, au stade le plus précoce de développement de l’embryon. En effet ces cellules totipotentes peuvent, si elles sont isolées de l’embryon, donner naissance à un embryon humain » et en soulignant que « l’embryon humain, apparaît tout d’abord sous la forme d’une seule cellule, né de la fusion de deux cellules (un ovocyte et un spermatozoïde). Cette première cellule est, à elle seule, l’embryon humain ».

Par ailleurs, la recherche sur les cellules souches embryonnaires pose éthiquement des problèmes de même nature que la recherche sur l’embryon puisque l’embryon dont sont issues les cellules est nécessairement détruit dans tous les cas (44). La distinction entre les recherches sur l’embryon et celles sur les lignées de cellules souches embryonnaires est ainsi loin de supprimer tout débat éthique. Si le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif aux « cellules souches et choix éthiques » (2006), partage l’idée que les cellules souches embryonnaires ne peuvent être assimilées à des embryons, il admet qu’« en revanche, le prélèvement de ces cellules sur l’embryon induit sa destruction » et le CCNE a insisté comme on l’a vu sur le fait que « la question éthique première est celle de la destruction de l’embryon humain ». Le Conseil d’État, dans son étude relative à la révision des lois de bioéthique, finit par écarter cette piste d’un régime juridique différencié selon l’embryon et les cellules souches embryonnaires, en indiquant que les recherches sur ces dernières « impliquent la destruction initiale d’un embryon tout comme la recherche sur l’embryon lui-même. Au bout du compte, aucun impératif éthique ne permet de justifier une différence de traitement entre ces deux types de recherche ».

Enfin, une telle distinction compliquerait considérablement le régime juridique des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires et nuirait à sa lisibilité. C’est la raison pour laquelle le législateur a, dès la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, soumis au même cadre juridique les recherches sur un embryon humain vivant et les recherches sur des cellules d’origine embryonnaire humaine, sous le titre V du code de la santé publique intitulé « Recherche sur l’embryon et les cellules souches d’origine embryonnaire ». Le projet de loi renforce d’ailleurs cette unité avec l’alinéa 2 de l’article 23 qui modifie l’article L. 2151-5 du code de la santé publique pour préciser que la recherche sur l’embryon humain « et les cellules souches embryonnaires » est interdite.

3. Les chercheurs ont en définitive été moins gênés par le système dérogatoire que par son caractère provisoire

a) Les chercheurs affirment unanimement n’avoir pas été gênés par le régime dérogatoire mis en place par la loi de 2004

Interrogé le 14 janvier 2009 dans le cadre de la mission d’information sur la révision de la bioéthique, M. Marc Peschanski, directeur de recherches à l’INSERM, avait déclaré : « Vous m’avez demandé si les dispositions de la loi de 2004 nous avaient gênés. Peut-être vous surprendrai-je en vous disant que non ».

De la même façon, pas un seul des chercheurs auditionnés par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique n’a fait valoir que la France aurait pris du retard en raison du régime d’interdiction avec dérogations mis en place par la loi de 2004.

M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, a ainsi confirmé, lors de son audition devant la commission spéciale en date du 1er décembre 2010 que « la loi de bioéthique de 2004 ne nous a pas empêchés de travailler. (…) Elle ne nous a pas pénalisés ».

b) Les revendications économiques de l’industrie pharmaceutique, parfois relayées par certains chercheurs, ne sauraient être un argument éthique

Outre les avancées thérapeutiques et médicales, les cellules souches embryonnaires offrent également à l’industrie des perspectives très intéressantes.

Comme le souligne le rapport (45) au Premier ministre de juillet 2006 de M. Pierre-Louis Fagniez, les enjeux de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires « dépassent les cadres scientifique, juridique et éthique : ils concernent aussi les domaines industriels et économiques. L’utilité des cellules souches ne se limite pas aux espoirs thérapeutiques. Par leur brevetabilité et l’ingéniosité de certaines start-up, les cellules souches peuvent devenir un marché fructueux ».

Au cours l’audition en date du 1er décembre 2010, M. Marc Peschanski, directeur de recherche à l’INSERM, a ainsi déclaré que tous les scientifiques qui travaillent sur les cellules souches « et les industriels qui les accompagnent » demandent qu’on passe d’un régime d’interdiction à un régime d’autorisation tandis que M. Philippe Menasché, professeur de médecine et directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, soulignait que « les cellules souches embryonnaires sont un moyen d’accès à tous les tissus humains dont l’industrie pharmaceutique a besoin pour tester l’efficacité ou la toxicité des médicaments ».

M. Jacques Testart, biologiste, directeur de recherches honoraire à l’INSERM, s’est étonné du fait que l’agence de biomédecine invoque des arguments thérapeutiques pour justifier une autorisation des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires alors que certains chercheurs font plutôt valoir « que cette autorisation serait nécessaire pour que les industriels réalisent en France les gros investissements qu’implique le criblage (screening) moléculaire et ne soient pas tentés de délocaliser leurs activités », pointant du doigt « une confusion entre des intérêts médico-scientifiques et des intérêts commerciaux ou promotionnels ».

Si elles ne doivent naturellement pas être ignorées, les considérations économiques de l’industrie pharmaceutique, la crainte de connaître une fuite des cerveaux à l’étranger ou de prendre du retard dans la compétition scientifique internationale, ne sauraient toutefois être un argument pour affaiblir des principes éthiques forts et légitimer tout type de recherche sur l’embryon.

c) Le caractère temporaire du régime des recherches sur l’embryon a fait en revanche l’objet de nombreuses critiques

La principale difficulté pour les chercheurs, comme pour les industriels, semble plutôt avoir été la limitation dans le temps du régime juridique de la recherche sur l’embryon résultant du moratoire, qui conduit à une absence de visibilité sur le long terme dans un domaine nécessitant bien souvent des investissements initiaux importants et qui limite également l’orientation des jeunes chercheurs sur des programmes de recherche.

Soulignant le très faible nombre de projets de recherches émanant de sociétés de biotechnologie ou de l’industrie privée, l’Agence de la biomédecine, dans son rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 », indique par exemple que « ceci s’explique principalement par le régime dérogatoire de la législation actuelle, qui introduit une incertitude incompatible avec des investissements privés, qu’ils soient humains ou financiers » alors que « la mise au point de thérapies basées sur l’exploitation des cellules souches embryonnaires ne pourra se faire sans l’existence d’un secteur pharmaceutique et biotechnologique à même de prendre en charge le développement clinique de ces thérapies ».

Dans le même esprit, le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) n° 2718 sur la recherche sur les cellules souches du 8 juillet 2010 indique que le retrait de la France par rapport aux pays anglo-saxons sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines « a été, semble-t-il, dicté par les incertitudes juridiques qu’implique le moratoire de cinq ans ».

Un accord quasi unanime s’est dès lors dessiné pour estimer que la dérogation à l’interdiction de la recherche ne devait plus être limitée dans le temps, son caractère temporaire nuisant à la continuité nécessaire aux projets de recherche.

4. Les cellules souches adultes et les cellules souches pluripotentes induites apparaissent encore plus prometteuses que les cellules souches embryonnaires

a) Les cellules souches embryonnaires sont déjà disponibles en grand nombre dans le monde

Plus de 500 lignées de cellules souches embryonnaires ont été dérivées et caractérisées dans le monde et se partagent entre les différents laboratoires. La quantité et la disponibilité de ces cellules pourraient donc laisser penser qu’on peut se dispenser de créer de nouvelles lignées.

M. Jacques Testart, biologiste, directeur de recherches honoraire à l’INSERM, a ainsi indiqué lors de son audition du 12 janvier 2011 que « les lignées de cellules souches embryonnaires existantes sont déjà bien assez nombreuses pour permettre de faire de la recherche. Il n’est pas besoin d’en créer d’autres … à moins que l’on ne veuille faire autre chose que de la science ».

Il convient toutefois de remarquer que les lignées de cellules souches embryonnaires ne sont pas toutes de pureté identique et qu’elles sont parfois issues d’embryons présentant des défauts qui altèrent génétiquement les lignées. De même, le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement d’avril 2010 de l’agence de la biomédecine souligne « la très grande variabilité des lignées de CSEh (46) : elles ne sont pas équivalentes en termes de conditions de culture, ni en termes de potentiel de différenciation, ce qui impose de tester un grand panel de lignées afin de sélectionner celle qui se différencie dans la voie choisie avec la plus grande efficacité et la meilleure reproductibilité ».

b) Les cellules souches embryonnaires présentent encore des limites

Les problèmes de rejet posés par l’utilisation de cellules souches embryonnaires sont encore loin d’avoir été résolus.

De plus, toutes les interrogations sur les risques de prolifération tumorale des cellules embryonnaires greffées n’ont pas encore été levées. Certains auteurs considèrent même que le risque cancérigène serait plus élevé lors de stratégies thérapeutiques faisant appel à des cellules souches embryonnaires qu’avec l’usage de cellules souches adultes.

Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) n° 2718 sur la recherche sur les cellules souches du 8 juillet 2010 souligne enfin que « trop d’espoirs ont sans doute été soulevés dans l’opinion publique pour des applications thérapeutiques à court terme utilisant des cellules souches embryonnaires humaines. Il est indispensable désormais d’informer la société civile sur les limites actuelles de l’utilisation thérapeutique des cellules souches, et sur la nécessité de progresser davantage dans les connaissances fondamentales avant de pouvoir envisager des applications cliniques encore trop peu maîtrisées ».

c) Du fait de leurs avantages incontestables, les seules utilisations cliniques en routine de cellules souches proviennent de cellules souches adultes

Outre le fait que l’utilisation à des fins thérapeutiques, scientifiques ou de recherche biomédicale des cellules souches adultes ne suscite pas en soi de réticences éthiques majeures, le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif aux « cellules souches et choix éthiques » (2006) fait valoir qu’elles présentent « des avantages incontestables ».

Celles-ci offrent en premier lieu « une meilleure tolérance immunitaire dans certains cas ». Les risques de rejet sont encore plus faibles, même en situation allogénique, dans le cas de la greffe de cellules issues de sang de cordon.

En second lieu, le risque de cancer en greffe autologue « semble moins élevé avec des cellules souches adultes plus différenciées qu’avec des cellules souches embryonnaires ».

Enfin, les cellules souches adultes présentent « une plus grande stabilité chromosomique », alors que si les cellules souches embryonnaires possèdent un fort potentiel régénérateur, leur instabilité chromosomique pose un problème pour l’efficacité thérapeutique.

Ces avantages expliquent sans doute, comme le souligne le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement d’avril 2010 de l’Agence de la biomédecine, que les deux seules thérapies utilisant des cellules souches, validées par des résultats indiscutables et pratiquées en routine dans les hôpitaux, utilisent des cellules souches provenant de cellules souches adultes et concernent la greffe de cellules souches hématopoïétiques (issues de la moelle osseuse ou du sang placentaire) dans des indications hémato-immunologiques (leucémies, drépanocytose, déficits immunitaires par exemple) et la greffe de cellules souches de l’épiderme chez les grands brûlés.

Même si quelques essais cliniques ont récemment été autorisés avec des cellules souches embryonnaires, celles-ci n’ont pas encore, à l’inverse des cellules souches adultes, fait la preuve de leur efficacité dans le champ thérapeutique.

d) Les cellules souches pluripotentes induites semblent ouvrir des horizons prometteurs de l’avis de beaucoup de scientifiques

Découvertes en 2006 par le professeur Shinya Yamanaka de l’Université de Kyoto (47) à la suite d’un constat d’échec sur les espoirs mis dans les cellules souches embryonnaires, les cellules souches pluripotentes induites ou iPS (48) ont représenté une véritable révolution scientifique dans le domaine des cellules souches.

Lors de son audition en date du 1er décembre 2010, M. Axel Kahn, généticien, médecin, président de l’Université Paris V René-Descartes, a indiqué que « la découverte des cellules adultes reprogrammées, dites iPS, mériterait assurément un Prix Nobel tant elle révolutionne l’embryologie, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan pratique ».

Leur production consiste à forcer une cellule adulte déjà différenciée à adopter de nouveau, comme si on lui faisait remonter le temps, la conformation d’un noyau de cellule souche embryonnaire pluripotente. Comme le souligne le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement d’avril 2010 de l’Agence de la biomédecine, « les iPS pourraient en théorie permettre une approche de greffe autologue ou patient-spécifique, évitant l’administration d’immunosuppresseurs que requiert l’utilisation thérapeutique de cellules dérivées de CSEh allogéniques ».

Avec cette découverte, il est désormais possible d’obtenir, relativement facilement et en grand nombre, des cellules quasi identiques à des cellules embryonnaires pluripotentes naturelles. Ces cellules iPS peuvent être mises en culture et subir un processus de différenciation.

Lors de son audition en date du 12 janvier 2011, M. Jacques Testart, biologiste, directeur de recherches honoraire à l’INSERM, a indiqué que la loi devrait « privilégier des voies de recherche présentant moins d’implications éthiques que les cellules souches embryonnaires, comme c’est le cas des recherches sur les cellules adultes reprogrammées, les iPS (induced pluripotent stem cells) qui constituent bien une méthode alternative d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques ». D’après lui, « ces iPS permettent d’obtenir un bien plus grand nombre de lignées beaucoup plus diverses que les cellules embryonnaires, ce qui devrait permettre de répondre aux enjeux économiques des tests de toxicité des molécules pharmaceutiques ».

Citant une équipe de l’université du Connecticut qui a pu, à partir de cellules prélevées chez des patients atteints du syndrome d’Angelman ou du syndrome de Prader-Willi, obtenir des cellules nerveuses différenciées et commencer à tester des stratégies thérapeutiques sur celles-ci, M. Alain Privat, biologiste, professeur en neurobiologie à l’Université de Bilbao, a indiqué lors de son audition du 12 janvier 2011 que les cellules iPS « sont supérieures aux cellules souches embryonnaires humaines dans la mesure où elles permettent de réaliser des recherches sur des cellules de patients atteints de pathologies spécifiques et de tester directement des molécules thérapeutiques ou des approches moléculaires ».

Par ailleurs, M. Axel Kahn, généticien, médecin et président de l’Université Paris V René Descartes, a fait valoir, lors de son audition en date du 1er décembre 2010, que « la méthode la plus prometteuse pour les besoins de la médecine régénératrice, à horizon plus lointain, est celle des cellules pluripotentes induites, les fameuses iPS ».

Allant encore plus loin, M. Arnold Munnich, pédiatre généticien et professeur de médecine a affirmé lors de son audition en date du 19 janvier 2011 que « l’essor des connaissances retirées des recherches sur les iPS va nous affranchir de la nécessité de travailler sur les cellules souches embryonnaires ».

Il convient de souligner, qu’analysant la baisse constatée ces trois dernières années dans les premières demandes d’autorisation de recherche sur l’embryon, l’Agence de la biomédecine, dans son rapport annuel d’activité de l’année 2009, suggère qu’« il ne faut pas négliger non plus les projets de recherche pour lesquels les cellules somatiques reprogrammées (iPS, induced Pluripotent Stem cells) ont représenté dans des cas bien particuliers une « alternative d’efficacité comparable » (selon les termes de la loi) à l’utilisation des CSEh et qui représentent donc autant de demandes en moins ».

À l’étranger, le chercheur Ian Wilmut, à l’origine de la création de la brebis clonée Dolly, a déjà renoncé à exploiter l’autorisation qu’il avait obtenue pour cloner des embryons humains et déclaré qu’il souhaitait désormais suivre la voie ouverte par la découverte du professeur Shinya Yamanaka qui lui semble plus prometteuse.

Malgré ces perspectives encourageantes, il est toutefois impossible d’anticiper l’avenir des cellules iPS en thérapie cellulaire. Le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement d’avril 2010 de l’agence de la biomédecine montre en effet que « toute cellule reprogrammée artificiellement diffère fondamentalement des cellules souches physiologiques, ce qui peut induire un risque ». De plus, ces cellules « une fois reprogrammées ont un comportement proche de celui des CSEh, mais elles ne sont pas embryonnaires ». Dès lors, « si la reprogrammation en cellules pluripotentes paraît la plus séduisante, il n’est pas sûr qu’elle soit la plus appropriée ni la plus réaliste d’un point de vue thérapeutique ».

De plus, ces cellules iPS risquent peut-être, à terme, de soulever de nouveaux problèmes éthiques, notamment si les chercheurs parvenaient à reprogrammer n’importe quelle cellule du corps pour devenir une cellule souche totipotente capable de produire un organisme entier ou un embryon.

D. LE PRINCIPE DE L’INTERDICTION AVEC DÉROGATION EST PÉRENNISÉ

1. La notion d’« études ne portant pas atteinte à l’embryon » est supprimée

Prenant acte des critiques adressées au régime juridique des études ne portant pas atteinte à l’intégrité de l’embryon, notamment par l’Agence de la biomédecine dans son bilan d’octobre 2008 d’application de la loi bioéthique du 6 août 2004, le projet de loi supprime du code de la santé publique toute référence à ces études.

En pratique, leur intérêt avait en effet disparu depuis la loi de bioéthique de 2004, du fait d’un renvoi inopportun au régime juridique des recherches sur l’embryon qui interdit explicitement tout transfert in utero après recherche.

On peut toutefois s’interroger sur le fait de savoir s’il n’y aurait pas un intérêt à rétablir un régime juridique des études ne portant pas atteinte à l’embryon, qui exprimerait à la fois le respect qui est dû à l’embryon et le devoir de chercher à le soigner en cas de pathologie.

2. L’interdiction de la recherche sur l’embryon humain est réaffirmée et étendue explicitement aux cellules souches embryonnaires

Comme l’avait proposé dès le 22 juin 2010 le rapport d’information n° 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, et à la différence des nombreuses instances qui avaient plaidé pour le passage à un régime d’autorisation sous conditions, l’article 23 du projet de loi réaffirme le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon.

Ce principe est même étendu aux protocoles de recherches portant sur l’étude et la manipulation des lignées de cellules souches embryonnaires, ce qui n’était jusqu’alors pas explicitement prévu par la loi, même si, en pratique, les cellules souches embryonnaires étaient déjà soumises au même régime juridique que l’embryon. Le projet de loi exclut ainsi catégoriquement l’idée de combiner un régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon avec un régime d’autorisation de la recherche sur les cellules souches qui en sont dérivées.

3. Le régime dérogatoire des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est maintenu sans limitation de durée

L’article 23 du projet de loi conserve la possibilité pour l’Agence de la biomédecine d’autoriser, de façon dérogatoire au principe général de l’interdiction, certaines recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires mais supprime le caractère temporaire, limité à cinq ans, de ce régime d’autorisation.

Présentée comme « l’un des enjeux majeurs de la révision de la loi » par le rapport de décembre 2008 de l’OPECST sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004 relative à la bioéthique, la levée du moratoire sur la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est de nature à favoriser les investissements de sociétés de biotechnologie ou de l’industrie qui réclament un minimum de visibilité sur le long terme et à permettre l’engagement des chercheurs dans des programmes de recherche.

Le projet de loi prend ainsi acte de la nécessité de continuer à développer de façon parallèle les recherches sur les différents types de cellules. Une majorité de chercheurs semblent en effet s’accorder à reconnaître que les recherches sur les différents types de cellules souches s’abordent plus en terme de complémentarité que d’opposition.

Votre rapporteur souscrit à cette nécessité de continuer, en l’état actuel des connaissances, à mener de front les recherches sur les divers types de cellules souches et de ne pas fermer la porte aux recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines qui présentent encore un intérêt, même si elles se révèlent moins prometteuses qu’initialement.

Il restera toujours loisible au législateur de modifier ce régime dérogatoire, si une évaluation de l’état de la recherche française sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires par rapport aux recherches effectuées dans le même domaine dans d’autres pays démontrait que le régime d’interdiction avec dérogations bride la recherche française ou si les avancées attendues des recherches sur l’embryon ne se concrétisaient pas ou paraissaient insuffisantes au regard des questions éthiques qu’elles impliquent.

4. Les conditions du régime dérogatoire permettant de mener des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires sont aménagées

Afin d’être autorisée à titre dérogatoire par l’Agence de la biomédecine, la recherche sur l’embryon in vitro doit respecter un certain nombre de conditions qui répondent aux exigences de l’article 18 de la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (49) qui stipule que « lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon ».

a) La notion de « progrès médicaux majeurs » se substitue à celle de « progrès thérapeutiques majeurs »

Alors même que la loi de 2004 ne posait pas comme condition impérative que la recherche apporte immédiatement des progrès thérapeutiques majeurs mais se bornait à ne légitimer que les recherches « susceptibles » de permettre des progrès thérapeutiques majeurs, le projet de loi substitue la notion de « progrès médicaux majeurs » à celle de « progrès thérapeutiques majeurs ».

Cette substitution, qui permet d’inclure désormais le diagnostic et la prévention, écarte tout risque, en réalité assez hypothétique du fait de la pratique de l’Agence de la biomédecine, que l’ancien critère, par sa précision, ne vienne à bloquer la soumission à l’Agence de la biomédecine de projets plus ou moins fondamentaux qui, à terme, ouvriraient pourtant la voie à des avancées thérapeutiques significatives.

En ce sens, la notion de « progrès médicaux » apparaît plus réaliste par rapport à la réalité de la pratique de la recherche, dans laquelle, comme l’ont souligné les grands témoins du forum de Marseille des États généraux de la bioéthique en citant le prix Nobel de médecine François Jacob, « la qualité d’une découverte se mesure au degré de surprise qu’elle provoque ». Elle atténue d’autre part le risque de faire naître des espoirs démesurés de thérapie cellulaires chez les patients.

La notion de progrès médicaux majeurs continue de prémunir contre un usage futile des cellules souches issues d’embryons surnuméraires, en matière cosmétique par exemple. Comme l’a souligné lors de son audition du 19 janvier 2010 le professeur de médecine M.  Arnold Munnich, pédiatre généticien, le terme « médical », plus large, inclut des finalités cognitives comme comprendre pourquoi l’implantation d’un embryon a échoué. En théorie, il ouvre également la possibilité de tester sur des cellules souches embryonnaires de nouvelles molécules par le criblage à haut débit dit « screening » (50) et de modéliser des pathologies, mais cette première condition doit s’apprécier de façon cumulative avec le deuxième critère d’impossibilité « en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons  ».

b) Le critère relatif à une « méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques » est remplacé par l’impossibilité « en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons »

Le maintien d’une deuxième condition restrictive à la possibilité de déroger à l’interdiction des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires traduit la volonté de maintenir un caractère exceptionnel à l’utilisation de l’embryon à des fins de recherche.

Dès lors que ce deuxième nouveau critère ne se focalise plus sur le résultat de la recherche, (« méthode alternative d’efficacité comparable ») qui ne peut effectivement être connu qu’une fois que la recherche a été menée, mais sur son objectif (« recherche similaire »), ce nouveau critère semble plus restrictif. Une recherche ne pourrait en effet être menée à partir d’embryons ou de cellules souches embryonnaires que s’il est impossible de recourir à une méthode alternative (« une recherche similaire »), quels que soient les résultats et l’efficacité attendus de cette méthode par rapport à ceux espérés en recourant à des embryons. Dans cette hypothèse, les recherches liées au screening à visée pharmaceutique où à la modélisation des pathologies (51) pourraient se heurter à cette deuxième condition, puisqu’elles peuvent désormais également être menées à partir de cellules iPS.

5. Les conditions de révocation du consentement du couple dont les embryons sont issus à la recherche sont modifiées

Actuellement, le consentement d’un couple à ce qu’une recherche puisse être menée sur un de ses embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental est révocable « à tout moment et sans motif ».

Cette disposition n’est pas sans risquer de poser des problèmes pratiques. Le Conseil d’État, dans son étude « La révision des lois de bioéthique » adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, a ainsi fait valoir que la règle actuelle « peut créer des situations inextricables lorsque l’embryon a donné lieu à une dérivation de lignées de cellules souches, dont ont été prélevées des cellules qu’il n’est plus possible de distinguer au sein d’un matériau de recherche ».

Tirant les conséquences de cette analyse, l’article 23 du projet de loi dispose désormais que le consentement des deux membres du couple n’est révocable que « tant que les recherches n’ont pas débuté ».

6. Le régime juridique des exportations de cellules souches embryonnaires est allégé dans un sens favorable à la recherche

Actuellement, les organismes de recherche français sont obligés de participer au programme de recherche international pour être autorisés à exporter des cellules souches embryonnaires.

Cette disposition a fait l’objet de critiques, notamment dans le rapport de l’OPECST de juillet 2010 sur « la recherche sur les cellules souches » qui indiquait que « cette disposition peu claire ignore totalement la pratique scientifique et peut conduire à limiter de façon significative la diffusion des travaux de recherche français (distribution de lignée, mais aussi publication). En 2004, quand la France a dû importer des lignées de cellules souches embryonnaires, les instituts de recherche étrangers qui les lui ont procurées n’ont pas demandé une collaboration avec les laboratoires français, ni le partage des résultats des recherches ».

L’article 23 supprime en conséquence l’obligation faite aux organismes de recherche français de participer au programme de recherche international pour être autorisés à exporter des cellules souches embryonnaires.

E. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION ONT PERMIS D’ENRICHIR LE TEXTE

1. Le contrôle démocratique sur l’Agence de la biomédecine a été renforcé

La suppression de la clause de révision périodique des lois de bioéthiques rend d’autant plus nécessaire un suivi régulier des questions de bioéthique et un renforcement du contrôle du Parlement sur les activités de l’Agence de biomédecine. Il importe en effet que le législateur continue d’exercer sa vigilance sur un sujet qui touche « au plus profond de la définition de l’être humain » comme l’a déclaré le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, à l’occasion de son discours de vœux aux parlementaires le 12 janvier 2011.

Dans cet objectif, votre rapporteur a fait adopter par la commission un amendement qui renforce le contrôle démocratique sur des activités qui ne peuvent être laissées à la seule appréciation des experts.

Cet amendement dispose que le contenu du rapport annuel d’activité de l’Agence de la biomédecine soit étoffé et comporte désormais :

– une évaluation des résultats respectifs des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires d’une part, et sur les autres cellules souches adultes ou reprogrammées, d’autre part, de façon à permettre l’appréciation des progrès réalisés selon le type de cellules utilisé ;

– une évaluation de l’état de la recherche française sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires par rapport aux recherches effectuées dans le même domaine dans d’autres pays, de façon à s’assurer que le régime juridique français d’interdiction avec dérogations des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires continue à ne pas brider la recherche française.

Reprenant la recommandation n° 6 du rapport de l’OPECST de juillet 2010 sur la recherche sur les cellules souches, l’OPECST, délégation interparlementaire chargée d’éclairer l’action du Parlement en matière scientifique et technologique, devra être saisi par le Parlement du rapport annuel d’activité de l’Agence de la biomédecine.

Éclairé par l’expertise de l’OPECST, ce rapport fera l’objet d’un débat annuel devant chaque assemblée dans le cadre des semaines de séance réservées au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, de manière à renforcer le contrôle démocratique du Parlement sur les activités de l’Agence de la biomédecine.

2. Un objectif de limitation du stock d’embryons surnuméraires a été fixé

De façon à éviter la constitution d’un trop grand nombre d’embryons surnuméraires, la commission a adopté deux amendements visant, dans la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation, à privilégier les pratiques et procédés qui permettent de limiter la conservation des embryons et à limiter à trois le nombre d’ovocytes fécondés (pour plus de détails, se référer aux paragraphes sur l’autorisation et la mise en œuvre des techniques d’AMP du V).

VII.- L’ENCADREMENT DES APPLICATIONS DES NEUROSCIENCES ET L’ADAPTATION DE L’ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE,
DEUX APPORTS DU DÉBAT EN COMMISSION

Le projet de loi tel qu’il a été déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale ne comporte aucune disposition relative aux neurosciences ou aux missions des institutions chargées d’assurer l’application et l’évaluation de la loi de bioéthique. Ces deux domaines avaient pourtant fait l’objet de propositions de la part de la mission d’information de l’Assemblée nationale (52). À l’initiative de votre rapporteur, la plupart d’entre elles ont été inscrites dans le projet de loi.

A. LE NÉCESSAIRE ENCADREMENT DES APPLICATIONS DES NEUROSCIENCES

Les neurosciences et leurs applications se sont considérablement développées au cours de ces dernières années, ce qui explique qu’elles engendrent des questionnements éthiques nouveaux, alors même qu’elles étaient absentes des débats sur les précédentes lois de bioéthique.

1. Ces techniques, bien qu’absentes des précédentes lois de bioéthique, posent des problèmes éthiques croissants

La très grande majorité des travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique ont pointé l’existence de difficultés éthiques en matière de neurosciences et d’usage des techniques d’imagerie cérébrale.

Un bilan documenté des enjeux éthiques des neurosciences a notamment été dressé par le Centre d’analyse stratégique en mars 2009 (53). Cette problématique a également été abordée en tant que telle dans les rapports de l’OPECST (54) et de la mission d’information (55).

C’est que, comme le souligne le rapport de l’ABM consacré au bilan d’application de la loi, « le développement des neurosciences fait émerger de nouvelles questions éthiques au moins aussi importantes que celles traitées jusqu’à présent par le législateur » (56).

Plusieurs exemples peuvent être donnés d’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale qui sont susceptibles de soulever des questions éthiques :

– aux États-Unis, des entreprises spécialisées dans les techniques d’imagerie cérébrale se disent capables de « détecter le mensonge » à l’aide des techniques d’imagerie par résonance magnétique. Elles interviennent légalement dans le cadre de litiges avec des assurances ou d’entretiens d’embauche afin de départager « scientifiquement » le vrai du faux ;

– en Inde, un examen d’imagerie cérébrale a été utilisé pour la première fois comme preuve à charge lors d’un procès pénal en 2008, aboutissant à la condamnation de la personne accusée (57).

Or, tous les scientifiques rencontrés par la mission d’information parlementaire ont attiré l’attention des députés sur le fait que l’on ne pouvait pas, en l’état actuel de la recherche, déduire une pensée ou une intention d’une image cérébrale.

2. Il est nécessaire de poser les bases d’un encadrement éthique en matière de neurosciences et d’utilisation de l’imagerie cérébrale

Plusieurs amendements de votre rapporteur votés en commission permettent de poser les premiers principes éthiques en matière d’utilisation des techniques issues des neurosciences et notamment de l’imagerie cérébrale. À cette fin, un nouveau titre a été inséré dans le projet de loi, pour traiter spécifiquement de ces problématiques.

a) L’inscription de grands principes dans le code civil

S’il est encore trop tôt pour savoir s’il est nécessaire de réglementer précisément l’usage des techniques issues des neurosciences, le législateur se doit de les encadrer par de grands principes inscrits dans le code civil, à l’image de ceux qui ont été élaborés dans le domaine de la génétique. Ainsi deux articles 16-14 et 16-15 seraient créés dans le code civil.

Le premier réserve l’usage des techniques d’imagerie cérébrale à des finalités médicales et scientifiques. Une exception est néanmoins prévue en matière judiciaire puisque ce nouvel article autorise l’utilisation de l’imagerie cérébrale en justice mais uniquement afin d’objectiver l’existence soit d’un préjudice (par exemple dans le cadre d’un contentieux en responsabilité), soit d’un trouble psychique ou neuropsychique, sur le fondement de l’article 122-1, qui fait de ce trouble un élément d’atténuation de la responsabilité. Il ne serait donc possible d’utiliser ces techniques en justice que pour analyser le fonctionnement du cerveau d’une personne et en aucun cas pour en inférer sa pensée.

Enfin, un article 16-15 précise que, de la même manière que pour les examens des caractéristiques génétiques, nul ne peut faire l’objet de discriminations sur le fondement des techniques d’imagerie cérébrale.

Il va de soi que, comme l’indiquait la mission d’information, une telle régulation n’est pas suffisante. Elle doit être accompagnée, de même qu’en matière de tests génétiques, d’une information sur ce qu’il est aujourd’hui possible de connaître du fonctionnement du cerveau et sur les limites actuelles des neurosciences.

Ces dispositions, adoptées par la commission spéciale, visent donc à créer un premier cadre protecteur des droits de la personne en matière d’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale.

b) Une attention accrue portée à l’évolution des neurosciences

Devant des techniques qui évoluent très rapidement, le législateur ne peut se contenter de poser, une fois pour toutes, de grands principes. Il doit rester attentif à l’évolution de la recherche, tout particulièrement dans un domaine lié à l’identité personnelle.

C’est pourquoi la commission spéciale a prévu, sur proposition de votre rapporteur, de confier à l’Agence de la biomédecine la mission d’assurer une information permanente du Parlement et du Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques dans le domaine des neurosciences, de même qu’elle doit le faire dans ses domaines de compétence.

De surcroît, des éléments d’information et d’évaluation portant sur les neurosciences devraient figurer respectivement dans le rapport annuel d’activité de l’ABM ainsi que dans le rapport que le CCNE consacrerait tous les deux ans à la loi de bioéthique et aux problèmes éthiques qu’elle soulève. De la sorte, le législateur serait en mesure d’adapter l’encadrement portant sur les neurosciences et leurs applications en fonction des avancées de la recherche, à l’image de ce qui est prévu dans les autres domaines de la loi de bioéthique.

B. L’ADAPTATION DE L’ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE À L’ABSENCE DE CLAUSE DE RÉVISION

Le projet de loi, ainsi que l’avait recommandé la mission d’information parlementaire, ne comporte pas de clause de révision (58), à l’inverse des lois de 1994 et de 2004, qui prévoyaient leur révision à échéance de cinq ans. Par ailleurs, le projet de loi écarte également l’idée d’une loi-cadre, qui avait été avancée par plusieurs rapports préparatoires à la révision de la loi (59). Dans cette conception, le législateur se contenterait de définir de grands principes, dont l’application serait laissée aux soins de l’Agence de la biomédecine.

Les débats en commission ont confirmé ce double refus, qui aboutirait soit à remettre en cause périodiquement des principes qui n’ont pourtant pas été modifiés depuis 1994, soit à priver le législateur d’une partie de ses compétences au profit d’un organe dépendant du pouvoir exécutif.

Dès lors, il était nécessaire d’adapter les missions de chacune des institutions chargées d’appliquer et d’évaluer la loi, afin de prévoir les procédures nécessaires à la prise en compte, par le législateur, d’éventuels progrès scientifiques ou de l’émergence de nouvelles problématiques bioéthiques. Par voie d’amendement, votre rapporteur a donc entrepris de préciser le rôle de chacune des institutions en cause.

1. Une information permanente du Parlement

Les amendements de votre rapporteur qui ont été adoptés par la commission spéciale prévoient une information permanente du Parlement sur l’application de la loi de bioéthique. Outre le rapport sur les enjeux éthiques de la convergence des technologies que le Gouvernement devra remettre au Parlement dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, trois grands mécanismes d’information du Parlement devraient être instaurés ou renforcés.

a) Un droit d’alerte reconnu à l’Agence de la biomédecine

L’Agence de la biomédecine se verrait reconnaître (60), à la fin de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique, un pouvoir d’alerte auprès du Parlement, dans les cas où des progrès scientifiques seraient susceptibles de poser des problèmes éthiques nouveaux. Les domaines concernés seraient les domaines de compétence de l’Agence (greffe, reproduction, embryologie et génétique humaine), ainsi que celui des neurosciences.

Ce pouvoir d’alerte se traduirait par une demande du directeur général et du président du conseil d’orientation à être auditionnés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ainsi, la représentation nationale pourrait-elle être immédiatement informée de ces nouveaux enjeux bioéthiques et, le cas échéant, mener des travaux d’information plus approfondis en la matière.

b) Un renforcement du contenu du rapport annuel de l’Agence de la biomédecine

Grâce à sa fonction dans la mise en œuvre de la loi de bioéthique, l’Agence de la biomédecine possède une expertise certaine dans ce champ d’activité. C’est donc naturellement qu’elle est amenée à prendre connaissance des enjeux voire des difficultés liées à l’application de la loi.

En conséquence, la loi du 6 août 2004 avait prévu qu’elle élabore chaque année un rapport d’activité rendu public et remis au Parlement, au Gouvernement et au CCNE. Conformément au dernier alinéa de l’article L. 1418-1 du code de la santé public, ce rapport comporte un certain nombre d’éléments obligatoires mais qui n’en épuisent pas le contenu.

Le texte adopté par la commission spéciale prévoit un renforcement des éléments contenus dans ce rapport ainsi qu’une actualisation de leur contenu, afin de faire de ce dernier un document annuel de référence en matière d’application de la loi de bioéthique. Il comportera notamment :

– les principaux développements des connaissances et des techniques pour les activités relevant de sa compétence ainsi que dans le domaine des neurosciences ;

– une évaluation des résultats respectifs des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, d’une part, et sur les autres cellules souches adultes ou reprogrammées, d’autre part, de façon à permettre d’apprécier les progrès réalisés selon le type de cellules utilisé ;

– une évaluation de l’état de la recherche française sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires par rapport aux recherches effectuées dans le même domaine dans d’autres pays, de façon à s’assurer que le régime juridique français d’interdiction avec dérogations des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires continue à ne pas brider la recherche française ;

– un bilan sur la mise en œuvre des diagnostics préimplantatoire et prénatal.

c) Une évaluation, tous les deux ans, par le CCNE, des principaux enjeux bioéthiques

Dans un domaine comme celui de la bioéthique, il est également important que l’évaluation de l’application de la loi ne soit pas uniquement le fait de l’instance qui est chargée de l’appliquer, à savoir l’Agence de la biomédecine.

C’est pourquoi un amendement de votre rapporteur adopté par la commission spéciale prévoit que le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé établisse, tous les deux ans, un rapport sur les principaux problèmes éthiques soulevés dans les domaines de compétence de l’Agence de la biomédecine ainsi que dans celui des neurosciences. Ce rapport serait notamment réalisé à partir des rapports annuels de l’Agence, dont le Comité est destinataire, et viserait à en analyser les enjeux éthiques.

La publication tous les deux ans de ce rapport, qui sera remis au Président de la République et au Parlement, ne fera pas obstacle à la faculté dont dispose notamment le Président de l’Assemblée nationale, sur le fondement de l’article R. 1412-4 du code de la santé publique, de saisir le CCNE.

2. Un débat régulier au Parlement

Le Parlement sera amené périodiquement à analyser l’état d’application de la loi, que ce soit par l’intermédiaire de l’OPECST ou en séance publique.

a) Le rôle renforcé de l’OPECST

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques joue, du fait de la nature de ses missions, un rôle essentiel dans le travail parlementaire en matière de bioéthique. Nombre de ses rapports portent en effet sur ces enjeux, qu’ils les traitent dans leur ensemble ou qu’ils soient consacrés à l’un d’entre eux en particulier.

C’est pourquoi l’OPECST est destiné à jouer un rôle pivot dans la future évaluation de la loi. Les amendements de votre rapporteur en matière institutionnelle, qui ont été adoptés par la commission spéciale, ont ainsi prévu que l’Office soit automatiquement saisi du rapport annuel de l’Agence de la biomédecine et du rapport que le CCNE rendra tous les deux ans. De même, c’est l’Office qui sera sollicité par le directeur général et le président du conseil d’orientation de l’ABM en cas d’activation de la procédure d’alerte.

b) Un débat annuel en séance publique

De surcroît, un débat serait organisé chaque année en séance publique sur le fondement du rapport annuel d’activité de l’ABM. Ce rendez-vous annuel devrait être l’occasion non pas de réviser la loi dans son ensemble, mais de pointer les domaines dans lesquels elle gagnerait à être adaptée ou précisée et de vérifier que l’application qui en est faite par les instances chargées de l’appliquer est bien conforme aux intentions du législateur.

3. Un débat public en cas de modification législative majeure

Les États généraux de la bioéthique ont connu un succès incontestable. Ces derniers étaient organisés autour de trois axes principaux. Il s’agit tout d’abord d’organiser trois conférences de citoyens thématiques, qui ont chacune donné lieu à la rédaction d’un avis portant sur les principaux enjeux bioéthiques. Un site Internet a également été créé. Il a été visité par plus de 70 000 personnes et a recueilli plus de 1 500 contributions. Enfin, des évènements locaux ont été organisés en région.

Prenant en compte le succès de cet évènement et la qualité des contributions qui en sont issues, votre rapporteur a déposé une proposition de loi relative à l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société, qui été votée en première lecture par notre assemblée le 16 février 2010. Elle confie au CCNE la possibilité d’organiser un débat public sur tout projet de réforme portant sur les problèmes éthiques et les questions de société. Cette consultation prendrait la forme d’états généraux, qui seraient en particulier l’occasion de réunir des conférences de citoyens.

Face à l’absence d’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi, il serait souhaitable d’en introduire le contenu dans le projet de loi relatif à la bioéthique. Ceci est d’autant plus justifié que ce dispositif faisait l’objet des propositions n° 90 et 91 de la mission d’information parlementaire.

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* *

La bioéthique s’entend comme le champ des questions éthiques et sociétales liées aux innovations médicales impliquant une manipulation du vivant.

Ces questions accompagnent depuis longtemps les avancées de la médecine. Ainsi, dans un cours de 1934, Charles Nicolle, médecin et spécialiste des maladies infectieuses, évoquait les expériences de Pasteur : « Pasteur a injecté sa préparation de virus rabique vivant à des personnes qui avaient été mordues par des chiens, et dont il ignorait si elles avaient été contaminées ; si j’avais été à sa place, je ne l’aurais pas fait ; j’aurais été arrêté par l’effroyable pensée d’une rage d’origine expérimentale ». Il concluait en disant : « aux expérimentateurs, je demande d’être humains ».

Face à l’accélération des mutations de la science et des techniques dans des champs tels que la recherche sur l’embryon, la procréation médicale assistée ou la génétique, le questionnement bioéthique revêt un caractère de plus en plus impérieux.

Cette réflexion, il appartient au Parlement de la mener en dégageant des principes et en affirmant des valeurs communes fondant la légitimité d’un encadrement juridique des innovations médicales.

Dans un domaine où ne prévaut pas de consensus international, la législation française n’est pas contrainte de s’aligner sur des options retenues par certains pays, inspirées par une approche de l’éthique moins exigeante et moins régulatrice. Cette liberté ne relève en rien d’une quelconque forme d’hypocrisie, mais contribue au contraire au refus de l’alignement sur le moins disant éthique et à la nécessaire réaffirmation de nos valeurs : dignité de l’être humain, respect dû au corps, protection de l’embryon humain et intérêt de l’enfant.

Au coeur de nos débats, nous avons constamment veillé au respect de ces principes. Notre ligne de conduite a également été inspirée par la conviction que les innovations médicales doivent avoir pour objet de remédier à une anomalie ou à une pathologie, et non de satisfaire toutes les demandes sociales et répondre à toutes les insatisfactions.

Il apparaît en particulier que si le désir d’enfant peut entraîner une intervention médicale afin de suppléer un processus naturel déficient, il ne doit en revanche en aucune façon constituer une fin en soi enjoignant à la médecine de remédier à des infertilités sociales.

Notre rôle de législateur ne nous interdit pas bien sûr d’être sensible à telle ou telle situation particulière, mais nous devons formuler des valeurs communes et en déduire des normes généralisables, et non nous contenter de concilier plus ou moins harmonieusement des revendications individuelles.

Nous partageons également la conviction que l’homme est irréductible à sa seule composante génétique. La vision d’un homme surdéterminé par ses gènes constitue un piège qui porte en germe le fantasme de l’enfant parfait et des risques de dérives eugéniques.

Nous partageons ce mot de Romain Gary, pour qui « il ne suffit pas de venir au monde pour être né ». Un être ne se résume pas à ses gènes. Que serait un « petit d’homme » livré au seul caprice de sa physiologie, sans l’amour, l’affection, l’éducation ? Le film de François Truffaut, L’enfant sauvage, illustre avec sensibilité l’importance de l’éducatif et de l’affectif dans la construction d’un individu.

Arrivant au terme de nos débats en commission, votre rapporteur souhaite rappeler le mot de Hans Jonas, dans Le principe responsabilité : « l’aventure de la technologie, avec ses risques extrêmes, exige ce risque de la réflexion extrême ». Nous nous y sommes efforcés, sans dogmatisme, et tâcherons de continuer à appliquer cette maxime dans la suite de nos débats.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- AUDITIONS ET TABLES RONDES

–  Audition de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l’Agence de la biomédecine et du Professeur Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation 101

–  Audition du Docteur Axel Kahn, généticien, médecin, président de l’Université Paris V Descartes 113

–  Audition de M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherches sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou, et M. Marc Peschanski, directeur de recherches à l’INSERM, docteur en neurosciences 127

–  Table ronde sur la gestation pour autrui : Audition de Mme Sylviane Agacinski, philosophe, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Mme Gisèle Halimi, avocate, présidente de l’association Choisir la cause des femmes, Mme Dominique Mehl, sociologue, directrice de recherches au CNRS et M. Israël Nisand, gynécologue-obstétricien 140

–  Table ronde consacrée à l’anonymat du don de gamète : M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération nationale des CECOS (centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains), praticien hospitalier à l’hôpital Cochin, M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre, M. Arthur Kermalvezen-Fournis, porte-parole de l’Association Procréation médicalement anonyme (PMA) et Mme Audrey Gauvin, avocate et spécialisée dans le droit de la bioéthique, membre de l’association PMA, M. Christophe Masle et Mme Anne-Catherine Le Roux, respectivement président et membre de l’Association Enfants du don (ADEDD) et Mme Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales 166

–  Audition de M. René Frydman, professeur des universités, gynécologue, chef de service à la maternité Antoine Béclère, membre de la Commission nationale de la naissance 188

–  Audition de M. Jacques Testart, biologiste, directeur de recherche honoraire à l’INSERM 202

–  Audition de M. Alain Privat, biologiste, professeur en neurobiologie à l’Université de Bilbao 216

–  Audition de M. Jean-Paul Moisan, professeur de génétique médicale, président-directeur général de l’Institut génétique Nantes-Atlantique 224

–  Audition de M. Pierre Jouannet, professeur de médecine, biologiste de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine 229

–  Audition de M. Arnold Munnich, pédiatre généticien, professeur de médecine, conseiller à la Présidence de la République 240

–  Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé 248

Audition de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l’Agence de la biomédecine et du Professeur Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation

Séance du mercredi 1er décembre 2010

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous commençons aujourd’hui nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Je rappelle que ce rendez-vous législatif était inscrit dans la loi du 6 août 2004, celle-ci prévoyant son réexamen dans un délai de cinq ans, délai qui expire en février prochain. Il faut souligner à ce propos que l’Agence de la biomédecine, dont nous devons entendre aujourd’hui Mme la directrice générale, ne pourra pas instruire les dossiers de demande d’autorisation de projets de recherches sur l’embryon au-delà du 11 février 2011. Il faudra trouver un moyen pour que l’Agence puisse poursuivre son activité en ce domaine entre cette date et le vote définitif de la loi.

Il s’agit aujourd’hui, avec le recul que nous donnent les seize années écoulées depuis les premières lois de bioéthique de 1994, de remettre l’ouvrage sur le métier, en nous demandant si les équilibres prévalant depuis 2004 sont toujours d’actualité, compte tenu des évolutions scientifiques, médicales et juridiques intervenues depuis lors et des revendications qui sont apparues depuis, dont certaines ont reçu un écho médiatique important. Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) n’avaient quasiment pas fait l’objet de débat en 2004 alors qu’aujourd’hui la gestation pour autrui par exemple est devenue un sujet d’actualité.

Notre travail sera éclairé par les nombreux rapports élaborés depuis 2004 : celui de notre ancien collègue Pierre-Louis Fagniez, « Cellules souches et choix éthiques », paru en 2006 ; l’avis rendu en 2008 par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ; le rapport consacré en octobre 2008 par l’Agence de la biomédecine à l’application de la loi de 2004 ; l’étude du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, d’avril 2009 : le rapport final des États généraux de la bioéthique, en juillet 2009 ; le rapport de la mission d’information parlementaire que j’ai eu l’honneur de présider et dont Jean Leonetti était le rapporteur, publié en janvier 2010 ; le rapport de l’Académie de médecine en juin 2010 ; et enfin ceux consacrés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), d’une part à l’évaluation de la loi de 2004, d’autre part à la recherche sur les cellules souches.

Compte tenu de ces travaux, il nous est apparu, au rapporteur et à moi-même, qu’une fois posé le cadre général du débat, trois grands thèmes devaient retenir particulièrement notre attention et faire l’objet de tables rondes au sein desquelles les différentes opinions devaient être représentées : la recherche sur l’embryon, la gestation pour autrui et l’anonymat des dons de gamètes.

Le projet de loi doit en principe être examiné en séance publique au cours de la première quinzaine de février ; son examen en commission devrait donc avoir lieu durant la deuxième quinzaine de janvier. Nous entamons aujourd’hui notre série d’auditions par les représentants de l’Agence de la biomédecine, créée par la loi de bioéthique de 2004, et qui joue un rôle clé dans l’application de ses dispositions.

Je suis heureux d’accueillir Mme Prada-Bordenave, directrice générale, et M. Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation de l’Agence, que je remercie à la fois de la qualité de leur travail et de leur grande disponibilité car nous les avons souvent sollicités. Pouvez-vous, madame, monsieur, nous rappeler en quelques mots ce qui a conduit à la création de l’Agence de la biomédecine et nous dire quel regard vous portez sur l’application de la loi de 2004 ? Souhaiteriez-vous que le législateur la modifie sur certains points ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. C’est un honneur pour moi de me retrouver aujourd’hui devant vous. C’est toujours avec grand plaisir que les personnels de l’Agence de la biomédecine éclairent la représentation nationale sur l’activité de l’Agence. Le législateur a d’ailleurs prévu la présence de deux parlementaires au sein du conseil d’orientation, l’instance éthique de l’Agence.

L’histoire de l’Agence est intimement liée à celle des lois de bioéthique. Concilier l’éthique et l’efficacité, tel était déjà l’objectif de l’Établissement français des greffes, créé par la première loi de bioéthique, et dont l’Agence a repris les missions dans le domaine des greffes, notamment la centralisation des offres et des demandes d’organes, de tissus et de cellules sur l’ensemble du territoire national, auparavant assurée par des associations comme France Transplant.

L’Agence de la biomédecine est née de la volonté du législateur, d’ailleurs apparue au cours du débat parlementaire, de fusionner l’Établissement français des greffes et l’Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines, l’APEGH, dont la création avait initialement été envisagée. Mise en place en 2005, et ne comptant à l’origine que 140 agents, elle reste une toute petite agence d’État, même si son importance s’est accrue au fur et à mesure des décrets lui attribuant de nouvelles missions. Ses 280 collaborateurs actuels présentent des profils variés : médecins, biostatisticiens, qui nous aident dans notre mission d’évaluation de la qualité des activités de santé, informaticiens – l’informatique étant un outil indispensable pour l’attribution des greffons mais aussi d’autres secteurs de notre activité –enfin des spécialistes de la communication, la promotion du don d’organes étant une des missions importantes de l’Agence.

Avec quelque soixante-dix millions d’euros en 2010, le budget de l’Agence n’est pas considérable – et il sera encore réduit de 5 % en 2011, comme celui de toutes les agences d’État – d’autant qu’il convient d’en retrancher une vingtaine de millions d’euros mobilisés par la gestion des greffes de cellules souches hématopoïétiques pour traiter des pathologies hématologiques, où l’Agence ne joue qu’un rôle d’intermédiaire.

Les missions de l’Agence sont de quatre ordres : évaluer les activités de santé ; accompagner les professionnels ; encadrer les activités de santé et communiquer.

Au nom de la puissance publique, nous évaluons l’activité des praticiens exerçant dans les domaines relevant de la compétence de l’Agence – greffes, procréation assistée, embryologie et génétique humaines – à partir des rapports d’activité que ceux-ci doivent nous adresser. Nos évaluations sont publiées sur le site de l’Agence. Alors que nous évaluons depuis longtemps la greffe d’organes, ce n’est que depuis cette année que nous évaluons celle de cellules. Dans le domaine de la procréation, nous avons mis en place cette année un registre national recensant toutes les tentatives de fécondation in vitro afin de pouvoir, partiellement à compter de l’année prochaine et de façon exhaustive en 2012, évaluer réellement l’activité de tous les centres d’AMP. Cette mission d’évaluation vise à garantir aux Français la qualité des soins dont ils bénéficient et une bonne utilisation des moyens.

Accompagner les professionnels de santé est notre tâche au quotidien. L’Agence est très proche d’eux, puisqu’un millier de praticiens se réunissent régulièrement au sein de l’Agence, dans le cadre de groupes de travail organisés par spécialités, pour réfléchir à leurs pratiques et à l’organisation de leur travail.

L’encadrement des activités thérapeutiques n’est que partiellement assuré par l’Agence de la biomédecine. Celle-ci n’est pas une autorité administrative indépendante mais un établissement administratif relevant de la tutelle du ministre de la santé, auquel il revient, aux termes de la loi, d’assurer par arrêtés l’encadrement réglementaire des activités de santé. En revanche, c’est l’Agence qui, au nom de l’État, garantit l’équité de la répartition des greffons et de la transparence de la liste nationale des patients en attente de greffe d’organe. C’est à l’Agence que doivent être déclarés les donneurs potentiels ; c’est elle qui, à chaque prélèvement, sélectionne parmi les receveurs inscrits en liste d’attente, où ils sont classés selon un ordre impératif, celui qui présente la plus grande histocompatibilité avec le donneur. Chaque équipe est appelée selon son rang et si elle ne prend pas un organe, elle doit en donner les raisons. L’Agence tient également le registre des donneurs de moelle osseuse ainsi que celui des unités de sang placentaire conservées en France, ces registres étant interconnectés avec ceux du monde entier.

Nous encadrons également les activités de recherche utilisant des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines, par exception au régime de liberté qui s’applique à la recherche en France. Les recherches sur l’embryon sont en effet interdites dans notre pays, certaines pouvant être autorisées à titre dérogatoire et pendant une durée limitée, qui expirera en février prochain par l’Agence à qui il revient d’instruire les demandes.

À côté de l’évaluation, de l’accompagnement des professionnels et de l’encadrement des activités thérapeutiques, notre dernière mission a trait à la communication. Nous assurons ainsi la promotion du don d’organes auprès du grand public et des professionnels de santé. La loi nous fait par ailleurs obligation d’adresser au Parlement et au Gouvernement un rapport annuel qui dresse un état des lieux des activités des professionnels relevant de l’Agence. Nous avons également dressé le bilan de quatre ans d’application de la loi de bioéthique de 2004, actualisé récemment par une étude comparative du contexte juridique international. La loi nous impose par ailleurs d’informer le Parlement et le Gouvernement des perspectives de recherche à court et moyen terme dans ces disciplines, afin d’éviter que les pouvoirs publics ne s’engagent dans des voies sans issue, ou, à l’inverse, ne ferment la porte à des protocoles de recherche prometteurs.

Vous connaissez sans doute les campagnes de sensibilisation au don d’organes lancées par l’Agence, notamment la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes, qui a lieu habituellement en juin, ou la semaine nationale de mobilisation en faveur du don de moelle osseuse, en mars. Nous avons également commencé à informer le grand public sur l’AMP, en soulignant que celle-ci n’est pas affaire d’éprouvettes et de tubes à essai, mais un moyen pour la médecine de remédier aux souffrances physiologiques et psychologiques d’un couple infertile.

Notre mission d’information nous impose également d’assurer la pédagogie de ces disciplines complexes auprès des professionnels de santé, généralistes ou gynécologues libéraux, qui parfois connaissent mal l’AMP.

Nous entretenons enfin des relations extrêmement suivies avec la presse depuis que nous avons pris conscience, notamment lors des États généraux de la bioéthique, du rôle-clé de relais des médias pour expliquer ces techniques complexes et lever les inquiétudes suscitées par ces innovations. En effet, du fait de l’élévation du niveau général de la culture scientifique, nos concitoyens sont accessibles à l’information dans ces domaines et manifestent un très grand intérêt pour des sujets aussi complexes que l’AMP, la greffe de cellules souches hématopoïétiques, …

En juin prochain sonnera l’heure du bilan pour l’Agence, qui aura alors connu deux cycles et deux directeurs généraux, nommés pour trois ans chacun. C’est à cette date également que s’achèvera le mandat des différentes instances de l’Agence, conseil d’administration, conseil d’orientation, l’instance éthique, et comité médical et scientifique, dont l’organisation et la composition ont été définies par le législateur. Pour les professionnels de santé, la loi de 2004 aura été un cadre législatif propice au développement de leurs activités. Certes celui-ci s’est heurté à une réglementation pointilleuse, parfois inutilement précise, à l’origine de blocages que le futur projet de loi cherche à réduire. Il vise notamment à lever des verrous qui se justifiaient par l’ignorance où on se trouvait alors. Je pense par exemple au dispositif d’information de la parentèle que le législateur avait souhaité mettre en place en cas de diagnostic d’une grave anomalie génétique, dispositif qui n’a jamais fonctionné. Nous souhaiterions que certaines modifications soient apportées à la loi actuelle pour faciliter les greffes d’organes avec donneurs vivants.

La recherche sur les cellules souches, embryonnaires ou adultes, est en pleine mutation. Les découvertes s’y succèdent à une vitesse stupéfiante. Parallèlement notre pays est menacé par un véritable charlatanisme, qui sévit déjà dans d’autres pays. Face à la menace d’équipes sans foi ni loi, avides de profits rapides et qui n’hésitent pas à vendre de l’illusion, nos chercheurs, qui travaillent au sein d’équipes académiques triées sur le volet, ont besoin du soutien des pouvoirs publics et d’une reconnaissance officielle de l’excellence et de la rigueur de leurs travaux. Si ces chercheurs revendiquent la possibilité de mener des recherches dont ils sont conscients qu’elles peuvent apparaître transgressives, c’est parce qu’ils les pensent porteuses d’un progrès majeur pour l’humanité. Tel est le message que nous voudrions transmettre de leur part au législateur, à qui il revient de décider en ces matières.

M. Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation de l’Agence. C’est à la fois avec fierté et humilité que nous nous présentons devant vous, la fierté, née du travail accompli, et partagée par tous les collaborateurs de l’Agence s’accompagnant de la conscience de devoir rendre des comptes. Ce sont là les deux faces de la responsabilité.

Le conseil d’orientation de l’Agence est l’instance chargée, sur le plan éthique, d’éclairer le conseil d’administration ou de lui faire des propositions, et Mme Prada-Bordenave a souligné l’importance de la présence en son sein de parlementaires. D’une façon générale, la composition du conseil assure la représentation équilibrée d’institutions telles que l’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), le Conseil d’État, la Cour de cassation, d’experts scientifiques dans le domaine de la médecine de la reproduction et de la greffe d’organes, de représentants d’associations de patients et de personnalités qualifiées dans le domaine des sciences humaines, sociales, morales et politiques. Ces quatre collèges, à la fois collaborent et se contrôlent les uns les autres. Les membres du conseil ont su dépasser leur appartenance à tel ou tel groupe pour inscrire leur travail dans une logique commune.

Le conseil d’orientation est obligatoirement consulté par le directeur général de l’Agence sur les demandes d’autorisation de recherches ainsi que sur les questions de nature médicale, scientifique, technique ou éthique relevant de la compétence de l’Agence. Il formule des avis sur les protocoles de recherche et la composition du comité médical et scientifique ainsi que sur l’élaboration de règles de bonnes pratiques.

Cette distinction entre deux instances traduit sur le plan éthique la tension opposant usuellement les principes et les pratiques, et sur le plan organisationnel la séparation des pouvoirs entre une instance d’instruction et une instance de décision. S’agissant par exemple de la délivrance des autorisations de recherche, ce sont le comité médical et scientifique et les experts désignés qui instruisent les demandes, et il revient au conseil d’orientation de trancher. Nous évaluons les protocoles de recherche et nous assurons le suivi des autorisations qui ont été délivrées, contribuant par là même à l’élaboration de règles de bonnes pratiques, pertinentes sur le plan scientifique et respectueuses des principes consacrés par la loi, notamment celui d’équité, auquel nous attachons une importance toute particulière.

Nos décisions sont prises à l’issue d’une délibération éthique classique : nous évaluons par exemple la nécessité et la validité scientifique du protocole de recherche qui nous est soumis, l’expérience et la compétence de l’équipe dans le domaine concerné, ainsi que la pertinence du projet, à la fois sur le plan éthique et sur le plan médical. Nos décisions relèvent d’une forme d’éthique appliquée qui est peut-être ce qui distingue l’Agence d’une autorité administrative indépendante telle que le CCNE : nous ne sommes pas là pour produire de la norme, simplement pour appliquer la loi.

Parvenir à un consensus sur des sujets difficiles tout en tenant compte de la diversité de la société nécessite de concilier trois impératifs distincts et pourtant complémentaires : respecter les valeurs morales de la société et la représentation qu’elle se fait de la nature et de la vie ; assumer la responsabilité de prendre en charge des questions incertaines et sensibles sur le plan moral ; garantir l’équité et la justice distributive. Nous essayons de cheminer pas à pas vers la solution, sinon la meilleure, du moins la moins mauvaise.

M. le président Alain Claeys. Dans son rapport dressant le bilan d’application de la loi de 2004, l’Agence de biomédecine revendique une plus grande autonomie et la possibilité de disposer d’un pouvoir normatif. Pourquoi cette demande ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. L’obligation dans laquelle nous sommes d’attendre la publication d’un texte aussi élevé dans la hiérarchie normative qu’un arrêté ministériel pour régler de simples questions de pratiques médicales, dans des domaines où celles-ci sont en constante évolution, nous fait tout simplement perdre du temps. Prenons l’exemple du don de sang placentaire. Beaucoup de mères sont volontaires dans les maternités pour donner ce sang, susceptible de sauver la vie de malades très gravement atteints. Pour assurer le caractère irréprochable du greffon, un arrêté ministériel de 1998 impose de confirmer, deux mois après l’accouchement, les tests sérologiques effectués sur le prélèvement lors de l’accouchement. Cela exige de faire revenir la donneuse et provoque de ce seul fait une perte de 20 % à 30 % des dons. Le recours à une technique nouvelle, le dépistage génomique viral qui donne un résultat instantané et permettrait de faire l’économie de cette deuxième convocation de la donneuse, exige que l’arrêté de 1998 soit modifié, procédure longue et compliquée.

Toute la difficulté est de distinguer entre les questions importantes et les questions mineures et de ce point de vue mon exemple était, à dessein, quelque peu provocateur, la définition des critères de sélection des donneurs relevant bien, par son importance, de l’arrêté. Il n’en reste pas moins que les professionnels ont besoin d’une plus grande souplesse pour pouvoir s’adapter aux évolutions de la technologie médicale. Notre propos n’est pas de revendiquer un pouvoir normatif similaire à celui de l’AFSSAPS. Mais la procédure de l’arrêté ministériel semble d’une lourdeur excessive s’agissant de modifier certaines règles, extrêmement techniques, par exemple de prélèvement ou de répartition des greffons.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Je voudrais d’abord vous remercier pour votre disponibilité constante et l’intérêt de vos réponses.

Certains membres de la mission d’information sur la révision des lois bioéthiques s’interrogent sur la possibilité de soumettre la recherche sur l’embryon à un régime d’autorisation, tout en maintenant son interdiction dans certains cas, comme bien entendu celui de l’embryon destiné à naître. D’autres pensent qu’on doit maintenir le principe actuel d’interdiction, assorti de dérogations. Mais presque tous sont d’accord pour juger que la dérogation doit être définitive, son caractère temporaire nuisant à la continuité nécessaire aux projets de recherche.

On pourrait aussi envisager un régime d’autorisation encadrée pour la recherche sur les cellules embryonnaires tout en maintenant une interdiction de principe de la recherche sur l’embryon. S’il y a transgression, en effet, elle réside bien davantage dans la destruction, à laquelle les embryons surnuméraires sont de toute façon voués, plutôt que dans le prélèvement de cellules embryonnaires à des fins de recherche.

La simple cryoconservation d’un très grand nombre d’embryons peut à elle seule soulever des problèmes éthiques. Le professeur Frydman défend son essai de vitrification des ovocytes en le jugeant plus conforme à l’éthique. En effet, cette technique, améliorant les résultats de l’AMP, permettrait de limiter le nombre d’embryons surnuméraires. Mais elle aboutit indirectement à autoriser la recherche sur l’embryon destiné à naître.

Nous avions souligné un autre paradoxe : s’il n’est sans doute pas utile de procéder tous les cinq ans à une révision générale des lois de bioéthique, il est en revanche indispensable d’assurer un suivi annuel, au travers notamment d’un rapport encore plus étoffé de l’Agence de la biomédecine et des travaux de l’OPECST, et d’adapter si nécessaire le cadre législatif par de petites modifications. Ainsi, nous sommes tous d’accord pour autoriser les dons croisés d’organes entre vifs, dans le respect des principes d’anonymat et de gratuité. Cela permettrait d’augmenter sensiblement le nombre de greffes de rein par exemple.

M. le président Alain Claeys. Il ne serait peut-être pas inutile de rappeler les différents régimes juridiques de la recherche sur l’embryon qui se sont succédé depuis 1994.

M. le rapporteur. L’exercice de cette recherche a d’abord été interdit par la loi de 1994, puis l’interdiction a été assortie en 2004 de la possibilité de dérogations pour une période limitée. Il y a aujourd’hui consensus pour ne plus limiter dans le temps ces dérogations s’agissant de la recherche sur les cellules souches et les embryons destinés à être détruits, tout en maintenant l’interdiction de recherche sur les embryons destinés à naître. Nous nous interrogeons en revanche quant à la possibilité d’autoriser la recherche sur l’embryon dans la perspective d’améliorer l’AMP.

Mme Martine Aurillac. Pouvez-vous nous donner une idée des protocoles de recherche que vous avez autorisés et de ceux que vous avez refusés dans l’année écoulée ? Deuxièmement, seriez-vous favorables à une autorisation encadrée du transfert d’embryons post mortem, interdit par le législateur de 2004 ?

M. Philippe Nauche. Vous avez parlé, monsieur Beloucif, d’éthique appliquée. L’application de la loi conduit-elle fréquemment le conseil d’orientation à devoir se prononcer contre des projets de recherche auxquels il aurait pu être favorable ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ne pensez-vous pas que la recherche sur l’embryon présente un intérêt majeur pour améliorer l’efficacité, aujourd’hui relativement faible, de la procréation médicalement assistée ? Beaucoup de chercheurs auraient besoin de travailler sur les premiers stades du développement de l’embryon pour améliorer sa réimplantation.

Par ailleurs, la loi de bioéthique de 2004 ne pouvait parler des cellules souches pluripotentes induites, dites iPS (induced pluripotent stem cells), obtenues par dédifférenciation puis reprogrammation d’une cellule somatique adulte, qui n’ont été découvertes qu’en 2006. Or, on sait aujourd’hui reprogrammer les iPS en cellules germinales – ovules ou spermatozoïdes. Ces cellules ne risquent-elles pas de poser à terme les mêmes problèmes éthiques que les cellules souches embryonnaires ?

Ma dernière question concerne le fonctionnement de l’Agence de la biomédecine. Sachant que les demandes d’autorisation ne peuvent être déposées qu’à l’intérieur de fenêtres de dépôt déterminées par l’Agence, les chercheurs et l’Agence elle-même ont-ils anticipé l’expiration du moratoire en 2011 ?

M. Paul Jeanneteau. Le rapport de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique préconise le maintien de l’interdiction, assortie de dérogations, de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, pourvu que cette recherche ait une finalité « médicale », et non plus « thérapeutique », terme retenu par la loi de 2004. Que pensez-vous, madame, de cette distinction ? Ne jugez-vous pas ce terme trop large et gros d’autres problèmes éthiques ?

M. Sadek Beloucif. En ce qui concerne le transfert d’embryons port mortem, il est difficile de se prononcer car il ne s’agit pas de choisir entre le bien et le mal, mais entre deux biens. À titre personnel, j’aurais tendance à partager l’avis du CCNE, qui recommandait de prendre en compte les circonstances particulières entourant la demande des femmes qui souhaitaient ce transfert après le décès de leur conjoint et de fixer un délai raisonnable pour qu’elles mènent à bien leur projet de grossesse. Il serait en effet incompréhensible que la loi autorise à détruire cet embryon, à le donner à un autre couple ou à en faire un objet de recherche, et interdise de le réimplanter chez la veuve. Mais je suis incapable de dire ce qui serait le mieux pour elle.

Plus généralement, l’éthique appliquée naît, à chaque fois, d’un conflit entre les principes et les pratiques. Notre pays, où ce qui est moral tend à se confondre avec ce qui est légal, aime à inscrire dans la loi de grands principes, dont les pratiques découlent, à la différence des pays anglo-saxons, où la jurisprudence a plus de force que le droit écrit.

Un des premiers dossiers de demande d’autorisation d’un protocole de recherche sur l’embryon sur laquelle le conseil d’orientation a été appelé à se prononcer avait été déposé par une grande société française de cosmétiques. Celle-ci demandait l’autorisation d’étudier les cellules souches embryonnaires de peau pour améliorer l’efficacité de ses crèmes antirides. L’autorisation a été évidemment refusée, mais on peut imaginer qu’un projet de ce type nous soit présenté de façon plus insidieuse en faisant valoir que cette recherche peut aussi, à terme, aider à traiter les brûlures graves ou éviter l’apparition de cancers cutanés.

Autre exemple, quoique moins grave, d’éthique appliquée : la question de la gestation pour autrui a divisé le conseil d’orientation, même si ceux qui y sont opposés ont été finalement les plus nombreux, en raison du risque d’instrumentalisation des mères porteuses. Le conseil d’orientation s’est également demandé si les pouvoirs publics pouvaient développer l’information sur le thème de la baisse de la fertilité avec l’âge sans empiéter sur le domaine de la vie privée.

Dans le domaine de la recherche sur les embryons, la loi de 2004, qui pose un interdit fondateur et prévoit que celui-ci puisse être transgressé dans certains cas précis, procède de la même démarche que celle de la loi de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse. Si poser un interdit tout en l’assortissant de dérogations et autoriser dans certaines conditions revient au même dans la pratique, ce n’est pas la même chose sur le plan symbolique. De même, certains établissent entre l’embryon in toto et des cellules souches issus de cet embryon une différence, non pas seulement de degré, mais de nature, proposant que le principe d’interdiction assorti de dérogations soit maintenu pour le premier, alors que l’utilisation des secondes serait autorisée. Ce n’est pas à nous, mais à vous, législateurs, de trancher sur ce point, mais nul doute que ces points seront au centre des débats, comme ils l’ont été lors des États généraux de la bioéthique.

Une simple logique d’harmonisation avec les autres dispositions du code de santé publique devrait commander le choix entre le terme « médical » et le terme « thérapeutique ».

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Sur la centaine d’autorisations délivrées par l’Agence de biomédecine, madame Aurillac, il faut distinguer entre les protocoles de recherche et les demandes de conservation et d’importation. Un projet donné pouvant faire l’objet de trois demandes, et donc de trois décisions, le nombre d’autorisations est supérieur à celui des projets de recherche. La France compte une trentaine d’équipes dont le projet a été autorisé et une petite quarantaine de projets en cours. Lorsqu’il se heurte au refus d’autorisation de l’Agence, un projet de recherche arrête là son parcours. À l’inverse, il nous est arrivé de retirer des autorisations à des équipes qui avaient abandonné leur projet initial, afin d’assurer la traçabilité des cellules souches embryonnaires.

Plus généralement, l’Agence a mis en place un dispositif permettant d’assurer le suivi et la traçabilité des cellules différenciées et des cellules souches embryonnaires humaines. Une mission d’inspection de l’Agence se rend dans les laboratoires un an après la délivrance de l’autorisation, et les équipes de recherche doivent nous adresser chaque année un bilan de leurs travaux.

Je n’ai pas, en tant que fonctionnaire de la République, à avoir de position personnelle sur la question du transfert d’embryon post mortem.

Il est rare qu’un projet qui nous semble trop « en dehors des clous » parvienne jusqu’au conseil d’orientation. Grâce au conseil, l’Agence est parvenue à donner de cette loi une interprétation conforme à l’intention du législateur de 2004 telle qu’elle se dégage des débats législatifs. Ceux-ci attestaient notamment de sa volonté qu’il y ait en France des recherches sur les cellules souches embryonnaires et indiquaient lesquelles : c’est ce qui nous a guidés au moment d’accorder ou de refuser des autorisations.

Que la recherche porte sur des cellules embryonnaires ou sur l’embryon in toto, il faut savoir que l’embryon est toujours détruit – « lysé », comme disent les chercheurs. On ne peut faire autrement pour dériver une lignée de cellules souches embryonnaires. Beaucoup des lignées sur lesquels nos chercheurs travaillent sont anciennes, certaines datant de 1998. Elles sont utilisées dans le monde entier, ce qui permet de comparer les résultats. Quant aux recherches sur l’embryon in toto, elles entraînent aussi sa destruction. Ces dernières devraient nous éclairer sur les premières phases de développement de l’embryon, ce qui pourrait permettre d’améliorer les résultats de la PMA – aujourd’hui de 30 %, ce qui est plutôt un bon résultat, sachant que la fertilité naturelle ne dépasse pas 25 %. Elles présentent aussi l’intérêt, d’aider à comprendre les mutations génétiques ou chromosomiques qui interviennent sans raison apparente au tout début du développement embryonnaire, et même des mécanismes normaux, comme celui qui préside à l’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez la fille. La compréhension de l’activation ou non de certains gènes et chromosomes permettra peut-être de parvenir un jour à inactiver un chromosome en trop, comme dans le cas de la trisomie 21.

L’Agence assure la traçabilité de ces embryons en délivrant aux laboratoires un code pour chacun d’eux.

J’ai retenu de mes cours de libertés publiques qu’une activité relève d’un régime restrictif de liberté dès lors que son exercice doit être autorisé. La façon dont l’Agence mettra en œuvre un nouveau régime juridique de la recherche sur l’embryon dépendra, non seulement du texte de loi, mais aussi de l’intention du législateur : veut-il ou non que ces recherches se poursuivent en France à un très haut niveau ?

En ce qui concerne le critère de la finalité de ces recherches, notre interprétation est stricte : nous vérifions qu’elles visent à soigner des maladies très graves. C’est le sens des « perspectives thérapeutiques » évoquées par le législateur. Si celui-ci exprime sa volonté de persister dans cette voie, substituer « médical » à « thérapeutique » ne changera rien. En revanche, si l’emploi du terme « médical » traduit votre volonté d’autoriser ce type de recherche pour le traitement de pathologies plus courantes, y compris bénignes, c’est une autre affaire. Pourquoi pas ? Quoi qu’il en soit, l’Agence restera à l’écoute du signal que vous donnerez.

M. Hervé Mariton. Précisément, où percevoir ce signal ? Dans la lettre de la loi ou au travers des débats parlementaires, dont on connaît les difficultés d’interprétation, le risque étant toujours de privilégier le point de vue de tel ou tel ? Qu’il ne soit plus proposé de réviser périodiquement la loi est-il susceptible de modifier la politique de l’Agence de la biomédecine au point qu’il lui serait nécessaire de requérir à un moment donné la définition d’un nouveau cadre juridique ? À quoi vous référerez-vous sans nouvelle loi dans le futur ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Jusqu’ici, nous nous sommes fondés sur la volonté du législateur en tenant compte de l’éclairage des débats parlementaires. Nous avons reçu des demandes d’autorisation de recherches concernant des maladies très compliquées qu’on ne comprend pas – je songe, par exemple, à certaines myopathies. Si l’utilisation du terme de « thérapeutique » aurait été en l’occurrence impropre puisqu’il n’était pas alors question de soigner, nous l’avons néanmoins retenu dans une acception singulière, celle de « parvenir à soigner un jour » - même si l’on ne devait jamais y parvenir –, par analogie d’ailleurs à ce qui se faisait dans certains pays étrangers. Si, demain, c’est le terme « médical » qui est employé, nous considérerons que le législateur a voulu mettre en cohérence diverses dispositions du code de la santé publique de manière à englober ce qui relève du diagnostic, du soin et, plus globalement, de l’ensemble de la clinique. Cela ne devrait pas changer grand-chose, les restrictions légitimes portées à l’atteinte à l’intégrité du corps humain constituant d’ores et déjà une borne juridique solide.

J’ajoute que nous avons des rendez-vous réguliers avec l’OPECST. En janvier dernier, nous avons été entendus sur la question des cellules souches. Plus récemment, en octobre, j’ai eu l’occasion, à la demande du président Birraux, de présenter à l’Office le rapport annuel de l’Agence. J’espère que nous aurons l’occasion de définir les modalités de ces rencontres de manière à les pérenniser.

S’agissant de l’information du Parlement, nous avons fusionné les exigences posées par le dernier alinéa de l’article L 1418-1 du code de la santé publique et l’article 26 non codifié de la loi, et avons rédigé un rapport comprenant notamment un état des lieux de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes, auxquelles nous avons ajouté les cellules reprogrammées iPS, que la loi de 2004 ne pouvait évoquer puisqu’elles n’ont été découvertes qu’en 2006 au Japon par le Pr Yamanaka.

M. le rapporteur. Je tiens à préciser qu’un embryon n’est pas lysé parce qu’il a fait l’objet d’expérimentations mais que celles-ci ont précisément pu avoir lieu parce qu’il était destiné à être détruit. L’interdiction de créer des embryons à des fins d’expérimentations doit bien entendu être maintenue.

Par ailleurs, outre que la proposition du terme « médical » a été formulée afin de ne pas contraindre les chercheurs à définir, au commencement même de leurs recherches, un objectif « thérapeutique » qu’ils ne sont jamais certains d’atteindre, ce terme nous a également semblé psychologiquement mieux adapté que celui de « scientifique ». Il est de surcroît plus conforme à l’esprit et à la réalité des protocoles de recherche aujourd’hui autorisés par l’Agence de la biomédecine.

M. Sadek Beloucif. J’ai été frappé, lors des États généraux de la bioéthique, que les panels citoyens aient considéré que faire des recherches sur un embryon cryoconservé constituait une transgression supplémentaire, alors même que celui-ci est voué à être détruit au bout d’un certain temps s’il n’a plus de projet parental et n’a pas été donné à un autre couple infertile. Ces panels opéraient également une distinction entre un régime d’autorisation sous conditions pour les recherches sur les cellules embryonnaires et un régime d’interdiction assorti de dérogations pour celles sur l’embryon.

M. le président Alain Claeys. Madame, Monsieur, nous vous remercions.

Audition du Docteur Axel Kahn, généticien, médecin, président de l’Université Paris V Descartes

Séance du mercredi 1er décembre 2010

M. le président Alain Claeys. Merci beaucoup, professeur Kahn, d’avoir une nouvelle fois accepté de nous éclairer sur les questions de bioéthique. Vous m’avez fait savoir que vous ne souhaitiez pas faire de présentation liminaire mais directement répondre à nos questions.

Pour ma part, j’en ai trois. Les potentialités de recherche qu’offrent les cellules souches adultes et surtout les cellules iPS dispensent-elles de travailler parallèlement sur les cellules souches embryonnaires ? Que pensez-vous des critères aujourd’hui retenus pour autoriser des protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Enfin, le maintien dans la loi française de l’interdiction des recherches sur l’embryon, même assortie de dérogations qui permettent dans les faits aux chercheurs de travailler, ne risque-t-il pas de laisser croire à l’étranger que la France interdit ces recherches ?

M. Axel Kahn, généticien, médecin, président de l’Université Paris V René-Descartes. La découverte des cellules adultes reprogrammées, dites iPS, mériterait assurément un Prix Nobel tant elle révolutionne l’embryologie, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan pratique. Néanmoins, s’il est désormais relativement facile de restituer une pluripotence à des cellules différenciées, comme celles de la peau, les cellules iPS ainsi obtenues par l’intégration de trois ou quatre gènes – lesquels peuvent être aujourd’hui remplacés par des rétrovirus codant pour leurs protéines – présentent beaucoup des caractéristiques des cellules souches embryonnaires mais ne leur sont pas totalement identiques. Peut-être permettront-elles, à l’avenir, de réaliser l’essentiel de ce qu’il est possible de faire avec ces dernières et tiendront-elles les promesses de ce qu’il était à la fois téméraire et mensonger d’attendre du clonage dit thérapeutique qui était totalement irréaliste et dont de multiples obstacles, éthiques et techniques d’ailleurs, ont heureusement empêché le développement. La méthode, qui n’est pas encore maîtrisée mais que l’on envisage de développer avec les cellules iPS, consiste à prélever, par exemple, des cellules de peau sur un patient, à leur restituer une pluripotence puis à les faire se spécialiser de nouveau en cellules du tissu ou de l’organe dont on souhaite pallier la déficience. Issues d’une cellule du patient lui-même, possédant donc le même génome et présentant les mêmes caractéristiques d’histocompatibilité, elles seront parfaitement tolérées sur le plan immunologique.

J’ajoute que les recherches sur des processus pathologiques, mais aussi sur les processus physiologiques normaux, se déroulant aux tout premiers stades du développement embryonnaire exigent de travailler sur les véritables cellules concernées. Un ersatz ne remplace jamais exactement ce dont il est l’ersatz ! En d’autres termes, si les cellules iPS disposent d’un potentiel thérapeutique considérable et si ce qu’on attendait du clonage thérapeutique pourra sans doute être obtenu par leur biais, elles ne dispensent pas d’utiliser les cellules souches embryonnaires et même, pour certaines recherches spécifiques, les embryons eux-mêmes.

Je le redis, une cellule souche embryonnaire n’est pas un embryon. Sa particularité est que son prélèvement sur l’embryon entraîne nécessairement la destruction de ce dernier, lequel est défini, chez l’homme, comme un stade du développement qui, dans des conditions favorables, peut aboutir à la naissance d’un enfant. Je veux pour preuve de cette différence essentielle que l’insertion d’une cellule souche embryonnaire dans un utérus féminin y conduira au développement d’une tumeur maligne, jamais à la naissance d’un enfant.

Je parlerai néanmoins indistinctement de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires. La position de votre mission d’information me semble de bon sens : un chercheur ne se soucie guère de la distinction sémantique entre finalités « médicales » ou « thérapeutiques », qui recoupe d’ailleurs celle entre recherche appliquée et recherche-développement. La découverte de thérapeutiques nouvelles – au-delà de simple amélioration de celles qui existent déjà – est subordonnée à l’existence en amont d’une recherche biomédicale. Si le législateur se situe bien dans cette perspective, le terme le plus pertinent est bien « médical ». « Thérapeutique » est trop restrictif.

Votre troisième question, monsieur le président, est la plus importante et je l’aborderai d’un point de vue juridique et philosophique. Depuis 1992, alors que j’étais commissaire du Gouvernement lors de la discussion de la première loi de bioéthique, j’ai eu maintes fois l’occasion de m’exprimer devant la représentation nationale sur ces sujets. Or, dès cette époque, les arguments avancés par les personnes croyantes pour interdire toute recherche sur l’embryon ne me semblaient pas, y compris de leur propre point de vue, fondés en raison. Ainsi, les catholiques considèrent-ils que la nature de l’embryon étant difficile à définir, le doute sur son statut doit lui bénéficier et qu’il est plus prudent de le tenir d’emblée pour une personne. Les orthodoxes, à la suite des Pères cappadociens tels Grégoire de Nysse, Basile de Césarée ou Maxime le Confesseur, vont plus loin. Ils pensent que la personne existe dès ce que nous savons être aujourd’hui la fécondation de l’ovocyte par le spermatozoïde, voyant même dans l’orgasme masculin la manifestation de l’insufflation de son âme à l’embryon. Or, compte tenu de ce qu’est naturellement la fécondité humaine, deux embryons sur trois n’atteindront jamais le stade de nouveau né - il est d’ailleurs notable que la proportion ne soit pas très différente dans l’étreinte amoureuse et dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Dès lors, comment considérer l’embryon ? À titre personnel, j’estime qu’en tant que manifestation de l’éventuel commencement de cet admirable processus qui aboutit à la naissance d’un être humain, il ne doit jamais être considéré comme un matériau expérimental banal. Il me paraît donc justifié que le législateur transpose dans les textes la considération que nous éprouvons pour ce début d’une vie humaine – je ne dis pas d’une personne humaine. Quelles que soient les perspectives scientifiques, philosophiques ou religieuses, nous sommes incontestablement en présence d’un phénomène singulier.

Vous avez donc raison, mesdames et messieurs les députés, de souhaiter maintenir dans la loi une disposition interdisant la création d’embryons humains dans un autre dessein – notamment à des fins expérimentales – que de faire advenir, le cas échéant, une nouvelle vie. Encore qu’il y ait toujours des cas particuliers dont nous pourrons parler. Pour autant, sachant que, dans leur grande majorité, ces potentialités de vie humaine ne parviendront jamais au stade de nouveau-né et que ces embryons seront détruits, il faut faire preuve d’une imagination extraordinaire pour considérer que leur conservation indéfinie – laquelle est d’ailleurs matériellement impossible - dans de l’azote liquide serait plus respectueuse de leur singularité que leur utilisation dans le cadre d’une recherche à visée médicale, dans le cadre de protocoles strictement encadrés par une instance idoine.

M. Hervé Mariton. Ne devrait-on pas définir des délais très stricts ?

M. Axel Kahn. Je suis d’avis que la loi précise à partir de quel moment un embryon conçu dans le cadre d’une AMP, qui n’a pas été utilisé ou donné à un autre couple, et ne pourra donc jamais se développer puisque de toute façon, après un certain temps de cryoconservation, l’embryon perd la propriété de pouvoir reprendre son développement, peut être utilisé dans une recherche à visée médicale, bien entendu très contrôlée.

Le cardinal Lustiger, grand intellectuel qui se trouvait être un ami, considérait que ma manière de voir, alors que je suis plutôt agnostique, méritait tout autant d’être prise en considération que celle des Églises. Je le répète, j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant l’Assemblée épiscopale de France ou des spécialistes de ces questions au Vatican qui ne m’ont jamais expliqué en quoi la conservation ad aeternam de l’embryon témoignerait d’un plus grand respect de sa singularité que la possibilité de son utilisation à des fins médicales.

Une fois réaffirmé qu’aucun embryon ne peut être créé à des fins expérimentales, il me paraîtrait préférable que les recherches sur des embryons cryoconservés, voués à n’être rien, soient autorisées avec l’encadrement et les restrictions nécessaires, plutôt que de continuer d’être interdites, avec dérogations sous moratoire. L’inventivité de l’idée de moratoire à une interdiction m’a d’ailleurs toujours amusé. En effet, la loi de bioéthique votée en première lecture en 2002 – souvenons-nous qu’on avait alors été près d’accepter le clonage thérapeutique, ce à quoi je m’étais vigoureusement opposé – autorisait la recherche sur l’embryon, dans les conditions que je viens d’indiquer. En 2004, lorsqu’après le changement de majorité, Jean-François Mattei, catholique fervent et scientifique de talent, est devenu ministre de la santé, il s’est trouvé dans une position inconfortable dont il s’est sorti par l’ingénieuse proposition de maintenir l’interdiction tout en l’assortissant d’un moratoire pendant cinq ans. Je comprends comment on a pu en arriver à cette construction dans ce cas particulier mais il me semble préférable, aujourd’hui, de sortir de l’ambiguïté.

M. le rapporteur. Une pensée aussi profonde et une expression aussi claires que les vôtres, monsieur le professeur, sont assez exceptionnelles pour être saluées – le silence non moins exceptionnel de nos collègues durant votre exposé en est du reste un signe éloquent.

L’embryon destiné à naître doit être respecté et aucun embryon ne doit être créé à des fins d’expérimentation. Mais comment tenter de comprendre certains mécanismes de l’infertilité sans expérimenter dans des conditions diverses la pénétration de l’ovocyte par un spermatozoïde, c’est-à-dire finalement sans créer artificiellement d’embryons ? Ce travail ne devrait-il pas être un cas dérogatoire à l’interdiction de recherche sur l’embryon ?

M. Axel Kahn. Cette situation, qui fait depuis longtemps l’objet de débats, est précisément l’un des « cas limites » que j’évoquais tout à l’heure en rappelant la règle de non-création d’un embryon à des fins de recherche. Plusieurs pistes méritent d’être explorées.

La première pourrait être d’utiliser pour l’étude du processus de la fécondation – c’est-à-dire de l’adhérence, puis de la pénétration du pronucléus mâle dans le pronucléus femelle, ou de la modification de la membrane pellucide – des gamètes présentant des anomalies constitutionnelles ne permettant pas un développement embryonnaire normal.

Une deuxième piste consisterait à coupler l’étude du pourcentage de fécondations obtenues, par exemple, dans des milieux différents ou avec précentrifugation des gamètes avec une activité d’AMP, en considérant les embryons ainsi produits comme des embryons obtenus in vitro dans le cadre d’un projet parental classique.

En tant que législateur, vous savez bien que, si la loi a pour rôle d’énoncer un principe fort, il n’en faut pas moins étudier aussi les cas limites. La difficulté à régler ces cas ne doit pas faire renoncer à ce que la loi dise la vision que notre société a d’elle-même. Que la loi dise que l’embryon, du fait de sa singularité, ne peut être créé comme un matériel expérimental me semble porteur d’un message très important pour notre société. La majorité de nos concitoyens, croyants ou non-croyants, peut, pour l’essentiel, adhérer à cette notion. Restera comme souvent à régler le problème de l’interface, de la « zone grise », à propos de laquelle je viens de proposer deux pistes et pour laquelle des solutions existent.

M. le rapporteur. Ma deuxième question, plus large et plus complexe, dépasse le cadre strictement scientifique. L’idée est assez largement répandue dans la société, notamment dans le grand public, que les données génétiques valent déterminisme. À titre personnel, je souhaiterais que, dans la loi de bioéthique, l’éducatif et l’affectif priment sur le biologique et le génétique. De fait, certaines recherches génétiques, notamment les recherches en paternité, laissent supposer, comme le montrent les catalogues qui ont cours au Danemark, que la taille, le poids, la couleur de peau, voire les opinions religieuses, le niveau socio-éducatif et les revenus mensuels d’un donneur de sperme sont des informations contenues dans les chromosomes de ses gamètes. Je suis opposé à la levée de l’anonymat du don de gamètes, car l’enfant élevé dans un couple est, selon moi, l’enfant de ce couple parce que le père l’a reconnu, non parce qu’il en est le géniteur. Quelle est votre position sur la prégnance du « tout-génétique » et la levée, partielle ou totale, de l’anonymat du don de gamètes ?

M. Axel Kahn. Bien que je me sois promis de ne pas le faire, il me semble utile de présenter ici, à titre liminaire, mon analyse du cadre de la loi de bioéthique. Je suis opposé depuis toujours à l’obligation de révision de cette loi tous les cinq ans. En effet, si une révision est urgente, pourquoi attendre cinq ans ? Dans le cas contraire, serait-ce à dire que la pensée morale, qui pour l’essentiel fonde les règles de bioéthique, serait soluble dans la science ? Je me refuse à le croire.

Une loi de bioéthique doit avant tout indiquer, dans une perspective éducative, ce que les parlementaires considèrent comme essentiel dans l’identité de l’homme et qui, menacé par l’évolution des connaissances et des techniques, doit être protégé au nom de valeurs partagées au sein de notre société. Telle est la question qui, selon moi, doit profondément habiter le parlementaire lors du vote d’un tel texte.

En matière de déterminisme génétique, il faut rappeler quelques points très importants. Ayant eu la chance d’être impliqué, depuis le rapport Braibant, dans tous les grands débats éthiques qui ont abouti aux lois de bioéthique, je me souviens notamment que l’obligation d’une saisine judiciaire qu’impose la loi en cas de recherche de filiation génétique procède de la profonde conviction que la filiation humaine se caractérise par la dualité entre une filiation par le sang et une filiation par le cœur. Le plus souvent, les deux sont conjointes, mais elles peuvent être disjointes et une filiation qui ne se définit pas par le sang – on dit aujourd’hui « par les gènes » – peut n’en être pas moins une filiation à part entière. Le législateur de 1994 était conscient qu’il ne fallait pas réduire la famille humaine à sa dimension biologique. En langage d’aujourd’hui, on dirait qu’une des définitions acceptables de la famille humaine consiste à la décrire comme un ensemble composé d’adultes que des enfants aiment comme tels et appellent, dans le cas habituel, « papa » et « maman » – à titre personnel, je ne serais pas opposé à ce que ce fût aussi « maman-maman » ou « papa-papa » – et d’enfants regardés par ces adultes comme leurs enfants et aimés comme tels, indépendamment des liens du sang. L’important, c’est la qualité de cette filiation par le cœur, par l’esprit, par l’affection, par le désir d’avoir et d’élever des enfants ensemble. C’est là ce qu’il y a de plus spécifiquement humain dans la filiation. De fait, la filiation par les gènes nous est commune avec les plantes à fleurs et l’ensemble du monde animal – elle n’est certes pas négligeable, mais n’est pas caractéristique de l’homme. L’humanité de l’homme et son entendement l’amènent parfois à fonder une filiation à part entière sur l’investissement affectif, comme dans le cas de l’adoption ou de la fécondation avec recours à un tiers.

Ce que déterminent les gènes fait l’objet d’une gigantesque illusion. Depuis la nuit des temps, nombre d’hommes et de femmes pensent que le destin est écrit quelque part et qu’on peut le connaître en consultant les pythies, les oracles, les cartomanciennes ou les astres. L’espoir fou a traversé le monde que les généticiens avaient enfin découvert où était écrit ce grand livre de l’homme – dans son ADN –, qu’on en avait compris le langage et que les gènes nous permettraient de connaître notre destin. Cette illusion totale est typique d’une idéologie, qui mobilise une science nouvelle pour conforter une croyance ancienne. Les gènes ne codent jamais un destin : ils déterminent seulement les propriétés de protéines ou de cellules, soit plus généralement d’organismes. À ce titre, il est vrai qu’ils influent sur la réaction des organismes à différentes conditions du milieu extérieur. Ainsi la sensibilité aux maladies infectieuses diffère-t-elle fortement d’une personne à l’autre et certains d’entre nous sont incroyablement résistants au stress de la vie moderne, tandis que d’autres y sont extrêmement sensibles sans qu’aucun gène ne code cette résistance ou cette fragilité. Je le répète : l’idée qu’un génome coderait un destin est absurde et profondément fausse.

Cette observation s’applique à la famille humaine : si l’on est persuadé que le destin des enfants est, pour l’essentiel, déterminé par leurs gènes, on sera enclin à sous-estimer l’importance de la filiation par le cœur. Des parents qui aiment leurs enfants et ont le désir de les élever espèrent que la communication fondée sur l’affection réciproque contribuera à les modeler. À l’inverse, la certitude que les enfants seront ce à quoi les destinent leurs gènes réduit la filiation humaine à celle des animaux ou des plantes à fleurs, c’est-à-dire à la filiation génétique. Je ne le crois pas et la science ne le dit pas. Il faut être très clair là-dessus.

Pour ce qui est de l’anonymat du don de gamètes, ma position est très pragmatique et aboutit d’ailleurs à des propositions assez proches de ce que vous envisagez. Il est dans l’air du temps de dire qu’hors de la réalité des origines biologiques, il n’y aurait point de salut. Si on pousse ce raisonnement à son terme, toutes les femmes qui savent qu’elles ont eu un enfant avec un homme particulièrement séduisant, au charme duquel elles ont succombé une nuit de pleine lune, devraient avouer à leur mari, des années plus tard, qu’il n’est pas le père de l’enfant. Cette idée est absurde et répugnante. Pourquoi, alors que l’on sourit lorsqu’un homme succombe au charme de belles femmes – car, dit-on, cela arrive aussi – faudrait-il que cela soit épouvantable lorsqu’il s’agit d’une femme ? Avant la contraception, dans ma jeunesse, 10 % des enfants n’étaient pas les enfants de leur père. Aujourd’hui, ce chiffre a été ramené, à l’échelle mondiale, à 3 % ou 4 % – non parce que les femmes sont plus vertueuses, mais grâce à la contraception. Cela n’en fait pas moins d’excellentes familles. Faut-il les déstabiliser et créer du malheur pour les pères et pour les enfants ? Ce serait absurde.

Ainsi, dans les cas de fécondation avec recours à un tiers, deux situations sont possibles. La première : un couple dont l’homme est stérile recourt au sperme d’un donneur en considérant qu’il s’agit d’une assistance médicale banale et sans faire la moindre différence entre l’enfant ainsi conçu et celui qui aurait pu l’être dans l’étreinte amoureuse. On revient alors à la situation antérieure : si les parents ne disent rien, oubliant presque eux-mêmes les circonstances de la conception, la sagesse est d’en rester là. La deuxième situation est celle que rencontrent des parents, de plus en plus nombreux, qui vivent aujourd’hui la procréation médicale comme une telle épreuve que l’enfant ne peut manquer de le savoir un jour, qu’il l’apprenne par hasard ou qu’ils le lui disent. L’enfant peut alors se mettre en quête d’informations sur ses origines. Si cette quête est douloureuse, il faut aider l’enfant en difficulté. Je suis favorable à ce que, dans ces circonstances, l’enfant puisse obtenir des informations non identifiantes sur son géniteur et que, s’il persiste, on puisse demander à ce dernier s’il accepte de le rencontrer.

M. Hervé Mariton. Le nœud de votre affaire n’est ni le géniteur, ni l’enfant, mais le couple receveur.

M. Axel Kahn. Les quatre personnes concernées sont importantes. La quête de l’enfant dépend de l’information qu’il reçoit de ses parents sur les conditions de sa conception. Les parents sont donc évidemment impliqués. Certains enfants, par ailleurs, ne veulent parfois rien savoir. Quant au géniteur, il a accepté qu’on donne des informations non identifiantes sur son compte. L’idée que, comme dans le cas de l’accouchement sous X – dont la mesure que vous proposez est en quelque sorte une transposition –, on puisse lui demander, dans des conditions particulières, s’il accepte de rencontrer un enfant ne m’est pas très sympathique, mais je pourrais m’y résoudre.

Mme Edwige Antier. Dans les maternités, les jeunes mères sont toujours très étonnées que, parmi les nombreux tests de dépistage de diverses maladies génétiques auxquels on procède en prélevant une goutte de sang au talon de l’enfant, on ne détermine pas le groupe sanguin de celui-ci. Il s’agit pourtant, lorsqu’aucune raison médicale n’impose cette analyse et sauf demande expresse de la mère, dûment invitée à réfléchir, d’une règle éthique à laquelle se conforment tous les médecins par crainte du désordre que le résultat pourrait provoquer dans les familles. Cette pratique est sage, mais on assiste aujourd’hui à la multiplication des recherches en paternité – il suffit désormais d’envoyer un cheveu à un laboratoire à l’étranger pour savoir par Internet si le père de l’enfant est bien son père.

Une autre question que vous évoquez est celle de savoir si l’embryon est une personne. En tant qu’héritière de Françoise Dolto, je suis convaincue que le bébé en est une. Mais pour avoir longtemps travaillé dans des services de prématurés et vu bien des bébés de 500 grammes qui n’étaient pas viables, j’ai constaté lors de la vérification anatomique que, selon que la famille était venue et que le père s’était ou non penché sur l’incubateur, je n’avais pas la même émotion devant le petit corps. Dans presque toutes les religions, le baptême a lieu au bout de huit jours ; chez les Mélanésiens, le souffle de vie est censé être apporté par le père qui souffle dans l’oreille de l’enfant à sa naissance. Je souscris donc à la distinction que vous faites entre des cellules pouvant donner un être humain et un enfant porté par le désir de ses parents, par un projet parental.

Nous aurons, enfin, à statuer sur les cellules du cordon. Ayant beaucoup travaillé en maternité, j’ai toujours été surprise de voir jeter les placentas et les cordons, qui ont nourri un bébé et permis que la mère et l’enfant ne se rejettent pas. Il est étonnant qu’on n’utilise pas davantage ces cellules, dont des banques à but commercial proposent aujourd’hui aux parturientes d’organiser la conservation. Le sang de cordon ne pourrait-il pas être une source de cellules souches ?

M. Jacques Domergue. Les maladies chroniques sont l’un des fléaux de nos sociétés modernes et les cellules souches, embryonnaires ou adultes, sont l’une des perspectives de développement potentiel, encore sous-estimé, pour leur traitement. Qu’adviendrait-il si, dans les dix à vingt prochaines années, on parvenait à démontrer que ces cellules permettent de traiter la plupart de ces maladies ? Que resterait-il de nos dogmes, aujourd’hui très protecteurs pour l’embryon, et de nos croyances ? N’existerait-il pas un risque de dérive – ou d’évolution de la société ? Le respect de l’embryon comme personne humaine potentielle ne viendrait-il pas en balance avec la nécessité ou la possibilité d’utiliser ces embryons à des fins thérapeutiques ?

M. Hervé Mariton. J’évoquerai trois points. Pour ce qui est tout d’abord de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, il me semble que le projet de loi devrait évoquer l’accord du parent de l’enfant souhaitant demander des informations sur son géniteur. Il n’en dit mot pour l’instant.

En deuxième lieu, vous avez, à juste titre, souligné le caractère historique et anthropologique de la filiation de cœur et avez exprimé votre conviction personnelle quant aux familles « papa-maman », « papa-papa » et « maman-maman ». On pourrait vous objecter que, d’un point de vue également anthropologique et historique, la filiation de cœur, n’en repose pas moins d’abord sur la différenciation des sexes.

Pouvez-vous, enfin, préciser – car je ne suis pas certain d’avoir bien compris votre propos sur ce point – s’il existe des raisons techniques permettant d’affirmer avec certitude qu’un embryon ne sera jamais destiné à devenir un bébé – auquel cas on pourrait sans doute considérer qu’il n’a plus le même statut ? Si l’avis de ses parents sur un éventuel projet parental ou le don de cet embryon à un autre couple infertile étant susceptibles d’évoluer avec le temps, il restait la moindre probabilité qu’il puisse devenir un bébé, il faudrait en tenir compte.

M. Serge Blisko. Vous avez exprimé votre étonnement devant le moratoire à l’interdiction qui a été appliqué. Notre mission d’information a fait apparaître qu’une majorité se dessinait pour conserver le régime d’interdiction assorti de dérogations validées par l’Agence de biomédecine et c’est le régime que propose de conserver le futur projet de loi. Pouvez-vous nous indiquer, en tant que président de l’université de Paris V, s’il existe en France des équipes de chercheurs qui souffrent de l’ambiguïté du dispositif législatif actuel et si cette incongruité juridique fait obstacle à la recherche scientifique ?

M. Michel Vaxès. À titre personnel, je considère que la filiation est moins de nature biologique que de relation, d’esprit et de cœur. Que sa famille soit, pour l’enfant, composée de « papa-papa » ou « maman-maman » ne me pose pas de problème, du moins dans le cas de l’adoption. En revanche, le cas de l’assistance médicale à la procréation introduit une dissymétrie entre « maman-maman » et « papa-papa », car l’ouverture de l’accès à ces techniques à tous les couples homosexuels supposerait pour les couples masculins le recours à une gestation pour autrui.

Par ailleurs, ouvrir si peu que ce soit la possibilité de lever l’anonymat des donneurs de gamètes donnerait lieu à des difficultés majeures. Cela reviendrait, même si c’est une question incidente, à introduire dans le droit une inégalité entre l’enfant devenu adulte dont le géniteur accepte de se faire connaître et celui dont le géniteur le refuse. Il convient surtout selon moi d’affirmer que la filiation qui prévaut est la filiation de cœur et d’esprit.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Au cours de nos auditions, nous avons observé que la famille peut être plus complexe que le schéma « papa-maman », « papa-papa » ou « maman-maman » que vous évoquez, avec un groupe d’adultes qui se partage l’éducation d’un groupe d’enfants.

M. le rapporteur. Cela existe dans certaines sociétés.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Certes, mais ne nous engageons-nous pas sur une pente glissante ? Toute la difficulté des textes que nous rédigeons tient à ce que nous risquons, en ouvrant des fenêtres, de laisser s’engouffrer un grand courant d’air que nous ne maîtriserions plus. C’est le cas pour la famille comme pour la levée de l’anonymat : pouvez-vous nous assurer que le donneur de sperme est à tout coup le père de l’enfant qui va naître ?

M. Noël Mamère. Monsieur Vialatte, si on n’ouvre jamais aucune fenêtre, il ne se passe jamais rien. Il ne faut pas concevoir les sociétés de manière essentialiste. C’est la question de la part d’humanité face au progrès technique, qu’a très bien posée le Pr Kahn. C’est aussi ce qu’avait très bien exposé Günther Anders en 1945 en parlant de « honte prométhéenne ». Les enfants sont tout à fait capables, comme l’ont démontré les psychiatres et les psychanalystes, de construire leur altérité dans un couple homosexuel – nous disposons pour le voir du recul nécessaire, avec quelque 120 000 familles concernées. Dans le cadre des auditions de la mission d’information, Mme Françoise Héritier nous a également expliqué que, dans certaines sociétés d’Afrique et d’Océanie, la gestation pour autrui était inscrite dans la culture. La famille est une construction sociale et on peut utiliser les progrès que la médecine met à notre disposition pour assumer dans de bonnes conditions la « famille sociale ».

Je souscris également au point de vue du Pr Kahn sur l’anonymat des donneurs. Depuis 48 heures, les grands journaux internationaux qui se font le support de légitimité de Wikileaks manifestent que nous sommes entrés dans une période que je qualifierais de totalitarisme de la transparence. Souvenons-nous des périodes de l’histoire où certains dictateurs prétendaient que l’intérieur et l’extérieur de l’individu devaient se confondre. Appliqué à la famille et à la recherche de ses origines, ce principe peut être destructeur pour l’enfant né par procréation assistée comme pour ses parents, qui ne sont pas forcément ses parents biologiques.

J’ai également été très intéressé, monsieur le professeur, par vos explications sur les mirages de la génétique et sur ceux qui nous ont vendu l’idée que nous aurions la capacité de nous transformer en dieux, connaissant notre destin à la seule lecture de nos gènes. Voilà encore un rêve prométhéen qu’il fallait battre en brèche et vous avez eu raison de le faire.

M. Axel Kahn. Je ne suis pas demandeur de la levée de l’anonymat, mais je ne suis pas non plus autiste face aux conséquences pour les enfants d’une évolution de notre société. J’ai observé que certains couples ayant eu recours au sperme d’un donneur se sont laissés convaincre que la réalité des origines était à ce point essentielle que leur devoir était de ne rien celer à l’enfant des conditions de sa conception. Le nombre d’enfants conçus de cette manière et le sachant est donc appelé à augmenter. Or, je l’admets, cette situation peut créer chez eux une souffrance, voire une détresse, à laquelle il faut répondre. La Charte des droits de l’enfant et l’évolution mondiale en ce domaine ne nous permettent pas de proposer une norme qui consisterait à masquer les conditions de l’engendrement. Ma position a donc évolué et je considère que quelques indications pourraient apporter aux enfants qui le souhaitent l’information dont ils ont besoin.

Celle-ci ne saurait cependant en aucun cas avoir un effet rétroactif. Certains hommes très généreux qui ont donné leur sperme et ainsi permis la naissance de plusieurs enfants ne s’attendent pas à voir frapper à leur porte une dizaine de personnes qui voudraient rencontrer leur papa ! Ce serait indigne pour ces hommes qui n’auraient pas été prévenus.

La levée de l’anonymat pourrait en outre dissuader de nombreux donneurs. Dès lors qu’on les informerait qu’il serait possible, à la demande d’enfants souffrant d’une absence de réponse à la question de leur origine, de donner quelques indications sur leur compte sans dévoiler leur identité, voire leur demander s’ils accepteraient de rencontrer cet enfant, la situation concernerait deux personnes humaines, l’une et l’autre investies de droits et de devoirs. On peut comprendre la quête d’un enfant qui demande à remonter à l’origine paternelle, mais cela ne saurait être une injonction absolue pour un donneur de sperme qui n’aurait pas consenti à révéler son identité. C’est là une situation classique où les intérêts de deux agents moraux sont en contradiction. Il convient donc de préciser qu’une éventuelle rencontre nécessite l’accord des deux parties.

M. Hervé Mariton. Et les parents ?

M. Axel Kahn. Si les parents légaux ont informé l’enfant qu’il était né d’un sperme de donneur, cela signifie qu’ils sont convaincus que la vérité des origines est fondamentale. Pour avoir participé à de nombreux débats sur ce sujet, je suis convaincu que ces parents considèrent qu’il faut apporter une réponse à la quête de l’enfant.

M. Hervé Mariton. Les parents qui ne le pensent pas sont-ils, eux, en faute ?

M. Axel Kahn. Vous ne m’avez pas compris, monsieur Mariton : j’ai dit l’inverse. Je refuse absolument qu’un texte fixe pour norme que les parents recourant à un sperme de donneur soient obligés d’indiquer à l’enfant les conditions de sa conception. J’ai autant de compréhension pour des parents qui ne disent rien que pour des parents qui le disent. Du reste, personnellement, je n’aurais rien dit et je me sens plus proche de parents qui se taisent. Je le répète : toute injonction à dire la vérité des origines me semble absurde. Quant aux parents qui disent cette vérité, ils sont prêts à en assumer les conséquences.

Pour résumer mon point de vue, je n’ai aucune appétence à la levée de l’anonymat, mais des enfants de plus en plus nombreux savent qu’ils sont nés d’un sperme de donneur, car une injonction de la société, consacrée notamment par la Charte des droits de l’enfant, pousse en ce sens et beaucoup de parents considèrent qu’il est de leur devoir d’indiquer à l’enfant la vérité de ses origines. Si regrettable que soit cette injonction, il est légitime de se préparer à répondre aux interrogations de ces enfants.

J’en viens au sang de cordon. Son principal intérêt aujourd’hui, c’est la possibilité de l’utiliser à des fins de greffes. En effet, les cellules souches hématopoïétiques de cordon présentent un intérêt très supérieur aux cellules adultes de même type pour le traitement des leucémies et de nombreuses autres maladies hématologiques. J’appelle donc de tous mes vœux une organisation publique qui permettrait, grâce à une collecte généralisée du sang placentaire, la constitution de banques publiques de sang de cordon.

Faut-il en revanche autoriser la création de banques privées faisant miroiter aux parents de nouveau-nés que conserver, moyennant rémunération, le sang de cordon de leur enfant permettrait à coup sûr de le guérir en cas de maladie ultérieure, notamment neuro-dégénérative ? On manque d’arguments pour s’y opposer sur le plan légal. Il reste qu’on pourrait appliquer la législation réprimant la publicité mensongère. En effet, aucune expérimentation n’a démontré ni même fait apparaître comme très probable que le sang de cordon puisse servir dans l’avenir à guérir ces maladies. Il faudrait, à tout le moins, empêcher tout commerce sur la base de telles allégations mensongères.

La question de savoir si dans le cas où la médecine régénératrice tiendrait toutes ses promesses, le besoin de recourir à du matériel embryonnaire pour traiter les très nombreuses maladies neuro-dégénératives ne conduirait pas fatalement à accorder une moindre valeur à l’embryon ne se pose pas parce que l’existence de centaines de milliers d’embryons congelés qui, à l’évidence, ne deviendront pas des enfants rendrait inutile la création spécifique d’embryons dans un objectif de soins. Sans compter que la méthode la plus prometteuse pour les besoins de la médecine régénératrice, à horizon plus lointain, est celle des cellules pluripotentes induites, les fameuses iPS. Aucune recherche sur l’embryon n’est donc nécessaire dans cette perspective.

M. Mariton, tout en reconnaissant qu’un embryon destiné à ne jamais devenir un bébé pourrait en définitive faire l’objet d’une plus grande considération en étant utilisé dans un protocole expérimental à visée humaniste qu’en étant abandonné au triste sort de ne jamais se développer, demande à quel moment on peut être absolument certain que la décision à son sujet est irrévocable et si ne demeure pas toujours une incertitude. En 1994, il avait été suggéré que si, après cinq ans de conservation, les couples ne se manifestaient pas, les embryons soient détruits. Les difficultés, notamment philosophiques, se sont révélées telles que cette piste a été abandonnée – en tout cas, cela n’a pas été inscrit dans la loi.

C’est au législateur qu’il revient de décider si les recherches sur l’embryon peuvent ou non être autorisées. Si les débats arrivaient jusque là, la loi devrait fixer plusieurs conditions préalables pour qu’un protocole de recherche sur l’embryon puisse être soumis à l’Agence de la biomédecine. Il faudrait que les embryons aient été créés dans le cadre d’une AMP, ne fassent plus l’objet d’un projet parental, que leurs géniteurs n’aient pas souhaité les donner à un autre couple infertile et les aient abandonnés, enfin que ces embryons aient été conservés depuis plus de cinq ans – il faut savoir que de toute façon, après une certaine durée de conservation, le développement embryonnaire ne peut plus reprendre. Si l’ensemble de ces critères était respecté, presque toutes vos objections, monsieur Mariton, seraient levées.

Je voudrais maintenant dire un mot de l’homoparentalité – sans imaginer que la future loi aille jusqu’à en traiter – et de la gestation pour autrui.

Monsieur Mariton, vous avez tout à fait raison de rappeler le caractère anthropologique du couple hétérosexuel et la complémentarité du masculin et du féminin. La psychanalyse est très attachée à cette dernière notion sur laquelle elle s’est même fondée.

La création de la famille et du mariage a eu pour origine moins la volonté de marquer la complémentarité psychologique du masculin et du féminin que celle de créer un cadre légal stable pour asseoir une descendance. Pour autant, il ne vous a pas échappé que voilà un certain temps qu’on accepte que des couples se marient dont les membres ne sont plus en âge de procréer, sans que cela amène à considérer que ces mariages remettent en question les fondements de la famille. On semble s’être fait une raison. Autrement dit, voilà des décennies que le mariage et la fondation d’une famille ont été déconnectés, sans que personne n’y trouve à redire.

Si je trouve personnellement étrange que des couples homosexuels souhaitent se marier, je suis à court d’arguments moraux et rationnels pour disqualifier leur demande.

L’homoparentalité pose des problèmes beaucoup plus difficiles. J’ai longtemps hésité sur cette question, ce qui m’a valu de vives attaques de la part des communautés homosexuelles qui me jugeaient conservateur, à tout le moins frileux. Il ne s’agit pas de mettre en question la légitimité de l’amour des deux membres d’un couple homosexuel ni la profondeur de leur désir éventuel d’avoir un enfant. Il n’empêche que la réalisation de ce désir suppose l’intervention d’un tiers, biologiste ou législateur, ce qui pose la question de l’intérêt de l’enfant.

J’ai longtemps hésité sur le sujet compte tenu de la façon dont était considérée l’homosexualité. L’enfant de deux papas ou de deux mamans ne risquait-il pas d’être stigmatisé, à l’école notamment ? Son équilibre ne risquait-il pas d’être perturbé ? Aujourd’hui, j’observe – et je m’en réjouis – que la reconnaissance de l’autonomie du désir des adultes consentants sur leur type de relation conduit à ce que les couples homosexuels, devenus en quelque sorte banals, soient de mieux en mieux acceptés, y compris dans les campagnes.

D’autre part, j’ai, comme vous tous sans doute, rencontré beaucoup d’enfants de couples hétérosexuels ou de familles monoparentales vivant dans des conditions épouvantables. Il m’est, dès lors, devenu impossible de soutenir qu’il serait plus difficile pour un enfant d’être heureux et de s’épanouir dans un couple homosexuel.

Toute la question est celle du moyen pour ces couples d’avoir un enfant. L’adoption ou, pour les femmes, l’assistance médicale à la procréation ne me semblent pas poser de difficulté.

Il n’en va pas de même de la gestation pour autrui. Monsieur Mamère, je ne suis pas d’accord avec vous. Il ne s’impose pas d’évidence qu’il faille légiférer pour permettre à quelques femmes, particulièrement généreuses, de porter un enfant pour une autre qui, elle, ne le peut pas. La réalité n’est pas celle-là.

Tout d’abord, 95 % des recours à une mère porteuse de par le monde reposent sur un contrat et font l’objet d’une transaction commerciale. En Ukraine notamment, il existe des cliniques spécialisées dans la fourniture de mères porteuses pour les Français. Il en existe aussi en Inde, pour des demandeurs d’autres pays.

Ensuite, il me semble impossible qu’un contrat prévoie que s’éprendre de l’enfant qu’elle porte place une mère porteuse en tort et fasse d’elle une délinquante si elle refuse de le donner aux parents d’intention après l’avoir mis au monde. Plusieurs femmes, notamment l’une de mes filles, m’ont expliqué qu’il arrive qu’une femme enceinte tombe littéralement amoureuse de l’enfant qui croît en elle. C’est d’ailleurs sans doute cette expérience singulière de la grossesse qui motive des femmes ménopausées à demander une AMP car ces femmes sont, de fait, des mères porteuses. Comment notre législation pourrait-elle à la fois ne voir aucune difficulté à ce qu’une femme ménopausée soit la mère de l’enfant qu’elle porte et autoriser des contrats privant la mère porteuse « commerciale » de la possibilité de reconnaître et garder son enfant ? Comment la qualité des sentiments d’une femme pour l’enfant qu’elle porte pourrait-elle être disqualifiée par un contrat ? Tout cela est inconcevable. Pour moi, il faut en rester au principe, hérité du droit romain, selon laquelle la mère d’un enfant est la femme qui en accouche. On peut néanmoins concevoir que, comme cela arrive parfois, un enfant soit abandonné à la naissance et puisse être aussitôt adopté par le couple géniteur.

Autant il ne me paraît pas illégitime de rechercher un cadre juridique satisfaisant pour les 5 % de mères porteuses par authentique altruisme, autant, qu’il puisse être enjoint par contrat à des femmes de n’être que des matrices le temps d’une grossesse et de renoncer, après leur accouchement, à tout contact avec l’enfant qu’elles ont porté, est absolument incompatible avec l’idée que vous et moi avons, je l’espère, de la femme.

M. le président Alain Claeys. Merci beaucoup, Monsieur Kahn.

Audition de M. Philippe Menasché, professeur de médecine,
directeur de recherches sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou, et M. Marc Peschanski,
directeur de recherches à l’INSERM, docteur en neurosciences

Séance du mercredi 1er décembre 2010

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, et M. Marc Peschanski, directeur scientifique de l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques (INSERM). M. Alain Grimfeld, président du Comité consultatif national d’éthique, qui devait être parmi nous, s’est excusé ce matin.

J’aurai, pour ma part, trois questions.

Pourriez-vous nous faire un point sur l’état de la recherche sur les cellules souches adultes, les cellules souches embryonnaires, et les cellules souches pluripotentes induites, les iPS ? Les progrès scientifiques sont extrêmement rapides. Lorsqu’il avait été demandé à l’OPECST d’établir un rapport sur l’état des recherches sur les cellules souches, les cellules iPS n’avaient pas encore été découvertes. Peuvent-elles dispenser de travailler sur les cellules souches embryonnaires ?

Ensuite, quel regard portez-vous sur la loi de bioéthique du 6 août 2004 et son application ? L’Agence de la biomédecine a-t-elle été un facilitateur ? Un frein ? Comment avez-vous perçu son fonctionnement ? Sous l’empire de cette loi, la France a-t-elle pris du retard ? Est-il difficile de faire revenir en France de jeunes chercheurs qui se sont expatriés ou d’attirer des « post-doc » ?

Enfin, comment faire évoluer la loi, aujourd’hui fondée sur le principe de l’interdiction assorti de dérogations ? Dans quel sens faudrait-il amender le projet de loi qui a été déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale et dont vous avez eu connaissance ?

M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire. Vous le savez tous, notre domaine de travail est extrêmement évolutif. Les recherches, tant fondamentales que cliniques, ont évolué de manière parallèle sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires. Il serait absurde de les opposer.

Les chercheurs en sont tous d’accord, la recherche sur les iPS ne peut en aucune façon dispenser de celle sur les cellules souches embryonnaires. Il n’est pas une seule équipe compétente sur les premières qui ne le soit aussi sur les secondes.

Permettez-moi de vous donner le point de vue du chirurgien cardiaque que je suis, c’est-à-dire d’abord un clinicien, un soignant, pour qui l’enjeu n’est pas la recherche sur les cellules mais bien le traitement des malades. Il faut développer parallèlement les recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires. En effet, si aujourd’hui, certaines maladies peuvent être sinon guéries, du moins contrôlées grâce à des greffes de cellules souches adultes, tel n’est pas le cas pour d’autres, comme nous en avons fait l’expérience avec l’insuffisance cardiaque. L’échec du recours aux cellules adultes nous a amenés à utiliser les cellules embryonnaires.

Deux essais cliniques avec des cellules souches embryonnaires ont été autorisés aux États-Unis. Le premier vise à réparer des traumatismes récents de la moelle épinière. La base du traitement est constituée de cellules souches embryonnaires « pré-orientées » pour devenir des cellules médullaires. Un premier patient a été traité il y a à peu près un mois.

Le deuxième essai, qui vient tout juste d’être autorisé, aura pour cible une forme particulière de dégénérescence maculaire frappant les sujets jeunes. Une extension d’indication à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) va être sollicitée auprès de la Food and Drug Administration (FDA) dans les semaines qui viennent. Vous imaginez aisément le nombre de malades potentiellement concernés dans cette nouvelle indication.

Lors des premières auditions de votre mission d’information, l’utilisation clinique des cellules souches embryonnaires était encore une perspective lointaine. C’est dire la vitesse de l’évolution ! La FDA a donné très rapidement son accord à l’essai ophtalmologique, un peu moins vite à celui qui vise la paraplégie. Les essais cliniques sont devenus réalité.

La loi de bioéthique de 2004 ne nous a pas empêchés de travailler. Son économie s’explique facilement par le contexte de l’époque. Les lourdeurs bureaucratiques qu’elle entraîne ne sont finalement pas pires qu’ailleurs. Elle ne nous a pas pénalisés. En 2000, mon équipe procédait aux premières greffes de cellules souches adultes de muscle dans le cœur humain. Au vu des limites de cette technique, nous avons obliqué vers les cellules souches embryonnaires et la loi de 2004 n’a pas entravé nos travaux.

Je n’ai rien à redire au rôle joué par l’Agence de la biomédecine. Chargée d’appliquer une loi qui n’était pas simple à décoder, elle en a respecté les termes, sans multiplier les freins. À mon sens, elle a trouvé un compromis acceptable. Dans le respect des exigences législatives et réglementaires, elle a permis aux équipes de chercheurs et de cliniciens de travailler.

Je suis en revanche très déçu – je ne suis pas le seul – que notre pays persiste dans la voie d’un régime dérogatoire. Si cela pouvait se justifier en 2004, ce n’est plus possible aujourd’hui. Non que cela entrave nos recherches, nous les avons conduites sous ce régime et pourrions donc continuer de le faire. En revanche, ce dispositif, que nul ne comprend hors de l’Hexagone, nuit gravement à l’image de notre pays et le rend moins attractif auprès des industriels, qui commencent maintenant à réfléchir en termes d’indications élargies.

Dans les réunions internationales, il nous est impossible de faire comprendre à nos collègues étrangers que la loi française autorise la recherche sur les cellules souches embryonnaires alors que littéralement, elle les interdit ! L’approche de la France est désormais singulière en Europe. La Belgique, la Grande-Bretagne, la Suisse se sont dotées d’une législation claire.

Ambiguë, apparaissant comme brouillée, la loi de 2004 dissuade nos chercheurs expatriés de revenir et les industriels de développer leurs activités en France. Si, à titre personnel, cette situation ne m’empêchera pas de continuer à travailler – nous sommes mêmes en train de préparer un essai clinique –, cette ambiguïté va faire prendre à notre pays un retard considérable qu’on ne rattrapera pas. On s’exclut de facto de la compétition internationale. Le choix qui sera fait sur ce point est bien entendu de nature éminemment politique.

M. Marc Peschanski, directeur de recherche à l’INSERM. Je partage les propos de Philippe Menasché sur le rôle positif qu’a joué l’Agence de la bioéthique pour nos travaux de thérapie cellulaire ainsi que sur les dangers auxquels nous expose le maintien du cadre législatif actuel.

Pourquoi Philippe Menasché et moi-même, mais aussi tous les scientifiques qui travaillent sur les cellules souches et les industriels qui les accompagnent, demandent-ils qu’on passe d’un régime d’interdiction à un régime d’autorisation ?

Depuis l’identification des propriétés des cellules souches embryonnaires aux États-Unis, en 1998, jusqu’à il y a peu encore, on en était resté, pour l’essentiel, à des recherches fondamentales. En 2004, les cellules souches embryonnaires n’étaient qu’un espoir d’espoir. Les chercheurs ne faisaient qu’espérer maîtriser un jour leurs deux propriétés spécifiques.

La première est leur capacité de prolifération, dont l’intérêt est de permettre d’obtenir en laboratoire, la quantité de cellules voulue au moment voulu. C’est là une différence considérable avec les cellules souches adultes, pour lesquelles il faut chaque fois trouver un donneur et qu’il est très difficile d’amplifier pour en obtenir une quantité suffisante à un patient, a fortiori à des centaines de milliers ou des millions.

La seconde est que ces cellules, comme c’est d’ailleurs leur vocation naturelle chez l’embryon, permettent d’obtenir tous les types de cellules de l’organisme.

S’il y a six ou sept ans, les cellules embryonnaires constituaient encore un Saint Graal pour la thérapie cellulaire, le progrès scientifique a bouleversé notre réflexion. Aujourd’hui, nous maîtrisons en laboratoire la prolifération de ces cellules, non pas seulement dans quelques boîtes de Pétri mais d’énormes bioréacteurs, avec des possibilités de production de dizaines de milliards de cellules lorsque nous en avons besoin. Autrement dit, nous avons transformé un rêve en capacité de production industrielle.

C’est parce que nous avons apporté aux firmes la preuve que ces cellules pouvaient être fabriquées de manière industrielle et utilisées à grande échelle qu’elles s’y sont intéressées.

C’est en 2004 exactement, c’est-à-dire au moment même de la précédente révision de la loi de bioéthique, que de premiers travaux avaient montré qu’il était possible d’obtenir à partir de cellules souches embryonnaires des cardiomyocytes – cellules cardiaques – ou des neurones, à l’époque des neurones dopaminergiques. C’était un premier pas vers l’obtention de cellules spécialisées susceptibles d’être utilisées un jour en thérapie cellulaire. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de types cellulaires que nous pouvons produire à la demande, à diverses fins. Je ne peux tous les énumérer ici.

La situation a donc radicalement changé. Ce que nous vous demandons aujourd’hui, ce n’est pas, comme en 2004, de pouvoir conduire des recherches, mais de disposer d’un cadre législatif permettant les investissements considérables qui sont nécessaires pour passer aux applications cliniques. Cela suppose, dans les hôpitaux, des changements d’importance, avec notamment la création de services ad hoc et la constitution d’équipes capables de pratiquer la thérapie cellulaire non plus de façon expérimentale sur quelques dizaines de patients, mais, dans un pays comme le nôtre, sur des centaines de milliers, voire des millions de patients.

Ainsi, en France, deux millions de patients atteints de DMLA pourraient demain bénéficier d’une transplantation d’épithélium pigmentaire rétinien si les résultats de l’essai clinique d’ACT demandé pour le traitement de la maladie de Stargard, maladie ophtalmologique très rare, sont concluants. Ce sont exactement les mêmes cellules qu’il faudra produire pour traiter la DMLA. Ce qui nous manque aujourd’hui, ce sont les outils industriels de production et les dispositifs hospitaliers nécessaires à leur distribution à cette échelle.

Nous ne pouvons pas demander aux hôpitaux d’engager des investissements aussi lourds dans le cadre d’une loi qui pose le principe de l’interdiction de ces recherches. Contrairement à ce que vous pourriez penser, octroyer des dérogations à une interdiction ne revient pas au même qu’autoriser. Il nous faut en effet compter avec les associations ou fondations hostiles aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. La Fondation Jérôme Lejeune a attaqué en justice l’Agence de la biomédecine au sujet d’une autorisation que celle-ci avait accordée. Le travail que mon laboratoire voulait entreprendre sur une lignée cellulaire en a été bloqué. Les hôpitaux ne souhaitent pas s’exposer à des litiges après avoir investi plusieurs millions d’euros pour pouvoir pratiquer la thérapie cellulaire.

Pour autant, les applications industrielles vont être très prochainement opérationnelles. Pour travailler à l’échelle industrielle sur les cellules souches embryonnaires, Pfizer s’est établi à Cambridge, où il a investi trente millions de livres, Roche à Bâle – en étant d’ailleurs venu chercher les compétences de mon laboratoire –, GlaxoSmithKline à Shanghaï, et le Français Sanofi à San Diego !

Les cellules souches embryonnaires sont un moyen d’accès à tous les tissus humains dont l’industrie pharmaceutique a besoin pour tester l’efficacité ou la toxicité des médicaments, deux opérations indispensables à la mise au point de nouvelles molécules. Ce criblage moléculaire requiert des dizaines de millions d’euros d’investissements ; les industriels n’y procéderont pas en France s’ils doivent en parallèle financer des bataillons d’avocats pour faire face à la Fondation Jérôme Lejeune – ou d’autres. Si la loi ne leur permet pas de travailler correctement dans notre pays, ils continueront à s’installer outre-Manche ou outre-Quiévrain comme ils le font déjà et y travailleront avec nos compétences qu’ils nous auront achetées.

Les cellules iPS offrent-elles les mêmes possibilités que les cellules souches embryonnaires ? Non, en tout cas aujourd’hui. Pour l’instant, les iPS ne sont que des artefacts de laboratoire. Je ne dis pas que cela ne sera jamais possible mais aujourd’hui on ne maîtrise pas totalement ce qui advient dans ces cellules. Il faudra au moins plusieurs années de travail pour identifier les mécanismes moléculaires qui les font ne pas se comporter tout à fait exactement comme les cellules souches embryonnaires, qu’elles devraient reproduire à l’identique. Pour cette raison, elles ne peuvent encore s’y substituer. Or, c’est aujourd’hui que les investissements se décident.

Les protéines, parmi lesquelles les anticorps monoclonaux, sont désormais très largement utilisées dans le traitement de nombreuses pathologies. Or, il y a quinze ans, l’industrie pharmaceutique française a raté ce tournant majeur. Ses cadres étaient arc-boutés sur la pharmacologie traditionnelle. Les industriels ont refusé de faire le pas en avant nécessaire et d’investir comme il l’aurait fallu. C’est ce qui explique que l’industrie pharmaceutique française est aujourd’hui menacée : la moitié des produits nouveaux qui seront mis sur le marché dans les cinq prochaines années sont des protéines thérapeutiques, et aucune n’est produite en France. On est aujourd’hui face à la même situation pour les cellules souches.

M. le rapporteur. Permettez-moi de n’être pas totalement certain, monsieur Peschanski, que les groupes pharmaceutiques français aient délocalisé certaines de leurs activités uniquement en raison du caractère restrictif de notre législation en matière de bioéthique. Je suis même certain du contraire pour ce qui est du développement des anticorps monoclonaux. Il est rare qu’un phénomène n’ait qu’une seule cause !

Le rapport de notre mission d’information s’intitule : « Favoriser le progrès médical – Respecter la dignité humaine ». Pour votre part, messieurs, vous demandez que soient autorisées les recherches sur les cellules souches embryonnaires, dont il est avéré que les cellules souches adultes ne peuvent les remplacer à l’identique. Vous ne demandez pas que le soient des recherches sur l’embryon à naître, ni même in toto. En réalité, vous cherchez seulement à pouvoir travailler sur des cellules ayant encore la capacité de se spécialiser en cellules des différents tissus et organes, notamment afin de les utiliser en médecine régénérative. Une solution pourrait être de continuer d’interdire les recherches sur l’embryon – assorties de dérogations car il est des cas où il est indispensable de travailler sur l’embryon entier – tout en autorisant celles sur les cellules souches embryonnaires, assorties des restrictions nécessaires Ce ne serait pas contradictoire car la recherche sur une cellule embryonnaire et la recherche sur un embryon n’ont pas plus à voir qu’un prélèvement sanguin chez un individu avec une recherche scientifique sur cet individu. Une telle évolution, qui ne froisserait pas les éthiciens, donnerait-elle satisfaction aux chercheurs ?

M. le président Alain Claeys. Je souligne que ce n’est pas là ce que prévoit le projet de loi en l’état. Je serais tout à fait favorable à une telle évolution.

M. Marc Peschanski. Cela conviendrait parfaitement à des chercheurs comme Philippe Menasché et moi-même. Il faudrait demander leur avis à Pierre Jouannet et autres spécialistes de la fécondation in vitro. En effet, l’interdiction des recherches sur l’embryon explique sans doute, pour partie, que les résultats de la FIV stagnent depuis si longtemps dans notre pays.

M. le rapporteur. Aucun pays occidental n’autorise les recherches sur l’embryon sans restriction. Certaines possibilités pourraient sans doute être ouvertes en matière de fécondation in vitro, à la condition toujours d’être strictement encadrées. On pourrait autoriser par exemple la vitrification des ovocytes mais il ne saurait être question de procéder à des expérimentations sur un embryon destiné à naître.

M. Philippe Menasché. L’évolution que vous proposez pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires, cohérente sur le plan scientifique et satisfaisante sur le plan éthique, serait tout à fait positive. Les dérogations concernant les recherches sur l’embryon devraient, quant à elles, être discutées avec les personnes compétentes – dont je ne suis pas.

M. le rapporteur. La création d’embryons à des fins de recherche, y compris dans le but de fournir des cellules souches embryonnaires, demeurerait bien entendu interdite.

M. Philippe Menasché. Personne ne réclame d’ailleurs que cette interdiction soit levée. Il y a suffisamment d’embryons surnuméraires congelés sur lesquels travailler.

M. Hervé Mariton. Tout cela ne suffit pas à me rassurer totalement.

Quel type d’encadrement vous paraîtrait, messieurs, légitime ? Qu’est-ce qui permettrait, selon vous, que notre pays ne se laisse distancer dans le domaine ni de la recherche ni de l’industrie pharmaceutique ? Le mieux serait-il nécessairement d’aligner notre droit sur celui des pays les plus permissifs ?

Le principe d’une interdiction avec dérogation me paraît présenter les mêmes vertus que la procédure de rescrit, que chacun connaît en matière fiscale par exemple. En obligeant l’administration à prendre position, le régime de dérogation apporte, me semble-t-il, une forme de garantie juridique. Cela n’empêchera jamais les contentieux, mais peut-on jamais s’en prémunir totalement dans une démocratie ? Le régime d’autorisation encadrée, qui laisse davantage d’incertitudes, y expose, me semble-t-il, davantage. Je ne comprends donc pas bien votre objection.

Pourriez-vous nous citer des exemples de demandes de firmes qu’il n’a pas été possible de satisfaire du fait du cadre législatif et réglementaire actuel ?

M. Jacques Domergue. Les cellules souches embryonnaires sont utilisées en médecine régénératrice mais aussi pour tester la toxicité des molécules médicamenteuses. L’industrie pharmaceutique est-elle demandeuse sur ce dernier point ? Y a-t-il là des possibilités de développement importantes ?

M. Gaëtan Gorce. La question que j’avais prévu de vous poser l’a été excellemment par le rapporteur.

M. Paul Jeanneteau. Autorisation avec encadrement ou interdiction avec dérogation : c’est bien sur ce point, très sensible, que le législateur devra parvenir à une formulation susceptible de faire consensus dans notre société. Nos concitoyens s’interrogent, parfois non sans émotion, sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires.

Vous dites, messieurs, que les laboratoires pharmaceutiques ne développeront pas leur activité en France notamment par crainte des contentieux que pourraient leur intenter les membres d’associations comme la Fondation Jérôme Lejeune. Le risque de contentieux serait, selon moi, beaucoup plus élevé avec un régime d’autorisation encadrée.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous semblez très optimistes, messieurs, pour ce qui est de l’utilisation clinique des cellules souches embryonnaires. Les deux essais cliniques de thérapie cellulaire qui ont été autorisés ne sont pas sans poser de problèmes. Le premier, qui concerne la réparation des traumatismes de la moelle épinière, après avoir été autorisé une première fois par la FDA, a été suspendu et vient juste de reprendre. J’y vois une preuve que des difficultés subsistent. Le second, qui vise au traitement de la dégénérescence maculaire, concerne, et ce n’est pas un hasard, l’œil, organe peu immunogène, situé dans un milieu clos et facile à surveiller. C’est que n’ont pas été encore levées toutes les interrogations sur les risques de prolifération tumorale des cellules embryonnaires greffées ou les éventuels problèmes de rejet. Souvenons-nous que la thérapie génique, un temps tenue pour la panacée dans le futur, est loin d’avoir tenu ses promesses. Êtes-vous vraiment aussi optimistes que vous le semblez ?

Si l’industrie pharmaceutique est intéressée par les cellules souches embryonnaires pour cribler les molécules et en tester la toxicité, je ne suis pas sûr qu’elle le soit autant que vous le dites par la thérapie cellulaire – en tout cas, je ne l’ai pas senti chez les industriels. En effet, le modèle économique de ces nouvelles thérapies, individualisées, est aux antipodes de celui qui est le sien actuellement. Alors que les laboratoires fabriquent aujourd’hui des quantités énormes d’un même produit, ce qui leur permet de rentabiliser sa mise au point, ils devraient demain concevoir un médicament quasiment pour chaque malade.

M. Philippe Nauche. S’il était avéré que l’utilisation de cellules souches embryonnaires permet de traiter une pathologie comme la DMLA, on changerait totalement d’échelle. Des millions de personnes pourraient bénéficier du traitement, quand jusqu’à présent les applications envisagées ne concernaient qu’un très petit nombre de cas. Les enjeux thérapeutiques et économiques en découlant seraient tout autres.

Qu’est-ce qui est, selon vous, source de la plus grande insécurité juridique et de nature à décourager les investisseurs potentiels de s’installer en France ? Notre régime actuel d’interdiction avec dérogation ou la prescription d’une révision périodique de nos lois de bioéthique ?

M. Jean-Louis Touraine. Un régime d’autorisation encouragerait le développement des recherches sur les applications thérapeutiques, et non plus seulement dans le domaine scientifique. Un régime d’interdiction avec dérogation accordée seulement au cas par cas, le dissuaderait. Aucun jeune chercheur ne voudra s’engager dans cette voie non plus qu’aucun industriel ou aucun hôpital ne voudra investir dans un contexte aussi incertain quant à la possibilité de poursuivre ultérieurement leurs recherches. Il faut bien mesurer les conséquences de la décision que nous prendrons.

Je peux comprendre qu’en 2004, devant l’insuffisance des connaissances et les incertitudes qui demeuraient, la prudence ait été de mise et qu’on ait disposé que ces recherches étaient interdites, sauf dérogation accordée dans des cas précis et selon des protocoles bien définis. Le contexte a changé depuis et le cadre qui pouvait se justifier alors, de façon transitoire, ne me semble plus pouvoir l’être aujourd’hui. D’une part, on peut s’appuyer sur le retour d’expérience des pays qui ont autorisé ces recherches, ainsi que sur les connaissances accumulées depuis lors. D’autre part, on n’a observé aucune déviance et on sait désormais que ces recherches peuvent être bien encadrées. Il nous serait très difficile vis-à-vis tant des chercheurs, que du corps médical, des malades et des industriels, de justifier que soit pérennisé le cadre adopté il y a six ans. Ils n’auraient pas tort de nous juger frileux, voire hypocrites, si nous maintenions l’ambiguïté du texte d’alors. Je pense le moment venu d’autoriser purement et simplement les recherches sur les cellules souches embryonnaires, preuve ayant été apportée qu’on sait les encadrer de façon efficace.

Il est difficile de dire lequel des deux régimes d’autorisation ou d’interdiction avec dérogation limiterait le plus le risque de contentieux de la part d’associations comme la Fondation Jérôme Lejeune. Dans tous les cas, certains s’opposeront à ces recherches. Il n’est pas nouveau que des obscurantistes cherchent à empêcher le progrès mais, comme cela s’est toujours produit par le passé, ils finiront de guerre lasse par abandonner leur combat ! Un régime d’autorisation donnerait plus de sérénité aux chercheurs, aux hôpitaux et aux industriels, réticents à s’engager dans des recherches dont ils ne savent pas jusqu’où ils pourront les mener, ni même jusqu’à quand.

M. le rapporteur. Le plus important est bien l’hypothèque que faisait peser l’expiration du moratoire. Elle sera levée, les dérogations n’étant plus encadrées par des délais.

M. le président Alain Claeys. Chacun, qu’il soit, comme moi, favorable à un régime d’autorisation ou, comme d’autres, au maintien de l’interdiction avec dérogation, juge satisfaisant l’encadrement actuel. Ce sujet-là n’a pas fait débat au sein de la mission d’information.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les comparaisons internationales ne sont pas inutiles. En Grande-Bretagne, pays considéré comme très permissif, le processus d’obtention des autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires est au moins aussi compliqué qu’en France.

Mme Catherine Génisson. Un régime d’interdiction avec dérogation facilite, me semble-t-il, l’expression des opposants aux recherches car le cadre général fixé par la loi demeure l’interdiction. Je suis, pour ma part, favorable, à un régime d’autorisation avec encadrement. Pourriez-vous, messieurs, nous donner quelques arguments éthiques concernant l’encadrement ? Nous les reprendrions volontiers pour étayer notre souhait qu’on s’oriente vers un régime d’autorisation encadrée.

M. Marc Peschanski. Je laisserai Philippe Menasché vous répondre pour ce qui concerne l’encadrement et la thérapie cellulaire. J’évoquerai, pour ma part, la situation des industriels de la pharmacie. Sollicités l’an dernier par le Gouvernement dans le cadre des États généraux de l’industrie, ils ont clairement cité, dans le rapport élaboré sous la direction de Jean-Luc Bélingard, alors président du groupe IPSEN, la médecine régénératrice comme l’un des trois axes envisageables de réindustrialisation dans un secteur industriel en pleine révolution. L’industrie pharmaceutique ne se fonde plus aussi largement sur la chimie que par le passé, d’autres méthodes étant utilisées pour mettre au point les molécules. La possibilité de produire aujourd’hui en quantité illimitée des cellules souches embryonnaires capables de se différencier en tous les tissus du corps humain ouvre des perspectives tout à fait nouvelles à cette industrie. Les indications de la thérapie cellulaire vont s’élargir considérablement alors que jusqu’à présent, elle n’a été expérimentée que dans quelques cas – quinze greffes de cellules souches, pas davantage, ont ainsi eu lieu en France sur des malades atteints de la maladie de Parkinson et quelques autres sur des malades atteints de la chorée de Huntington. On n’imaginait pas alors que cette thérapie pourrait un jour concerner des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. De toute façon, l’accès aux cellules souches embryonnaires était si limité que cela empêchait tout développement à grande échelle. Aujourd’hui, il n’est plus utopique de penser traiter par thérapie cellulaire des maladies aussi différentes que la dégénérescence maculaire, les complications cutanées des patients atteints de diabète ou de drépanocytose, et même les simples ulcères veineux. Ces développements thérapeutiques ne seront toutefois possibles que si les industriels investissent dans ce domaine car les laboratoires académiques ne pourront jamais fournir assez de cellules pour traiter tous les patients potentiellement concernés.

Les industriels de la pharmacie voient dans la thérapie cellulaire un axe important de développement, ils l’ont dit lors des États généraux de l’industrie. Ils sont également intéressés par les cellules souches embryonnaires pour les études de toxicologie prédictive.

Ces études se heurtent aujourd’hui à deux difficultés. La première est que la toxicité d’une substance diffère beaucoup d’un tissu et d’un organe à l’autre. Or, nous ne disposons pas en laboratoire d’un échantillon de l’intégralité des tissus et organes humains, Ainsi, un laboratoire qui souhaite tester la toxicité hépatique d’une molécule sur un hépatocyte humain en est-il réduit à travailler sur des lignées de cellules tumorales, dont le comportement représente nécessairement mal celui des hépatocytes de l’individu sain. Les cellules souches embryonnaires permettraient précisément de fabriquer en quantité illimitée des cellules spécialisées – de foie, de rein, de cœur, de muscle, neurones… – utilisables pour tester la toxicité des médicaments. Cela révolutionnerait les méthodes de travail de l’industrie pharmaceutique.

L’autre difficulté pour évaluer la toxicité d’un produit chez l’homme tient à l’insuffisance du modèle animal. L’exemple à la fois le plus connu et le plus tragique est celui de la thalidomide. Bien que cette substance ait été parfaitement testée chez tous les animaux nécessaires avant d’obtenir son autorisation de mise sur le marché, son utilisation chez l’homme n’en a pas moins été à l’origine de très graves malformations. Je cite cet exemple, mais il y en a d’autres.

M. Philippe Menasché. Si je vous ai donné le sentiment d’être optimiste en matière d’essais cliniques de thérapie cellulaire, c’est que je me suis mal exprimé. Je constate simplement que ce qui était une curiosité de laboratoire il n’y a pas si longtemps est devenu, même à échelle encore limitée, un produit thérapeutique susceptible d’être administré à des patients. Une étape importante a incontestablement été franchie compte tenu des difficultés techniques d’utilisation des cellules souches embryonnaires : multiplication, différenciation puis tri afin de s’assurer de l’absence dans celles qui seront injectées de toute contamination par des cellules encore pluripotentes, potentiellement tumorales. Le chemin sera encore long, les essais cliniques n’en sont pas moins devenus réalité.

Un régime d’autorisation serait-il source de davantage de contentieux ? Le vrai problème me paraît plutôt tenir à l’ambiguïté de la position française, incomprise à l’étranger. Certains pays d’Europe, comme l’Irlande ou l’Italie, interdisent toute recherche sur les cellules souches embryonnaires. D’autres, on sait lesquels, les autorisent. La législation française ne fait ni l’un ni l’autre, tout en faisant un peu les deux, ce qui en définitive mécontente tout le monde. Quel que soit le régime finalement retenu dans la nouvelle loi, nous souhaitons d’abord que la France adopte une position claire.

Certaines firmes auraient-elles refusé de s’implanter en France du fait de notre cadre législatif ? Le problème ne s’est pas encore rencontré car les essais cliniques ne font que démarrer. Mais la société américaine ACT, à l’origine du projet de traitement de la dégénérescence maculaire par des progéniteurs rétiniens, qui commence à prospecter pour s’implanter en Europe, n’hésitera pas longtemps entre un pays où la législation est claire et un autre où celle-ci est ambiguë. Si on maintient le cadre législatif actuel, trop subtil, l’une des premières firmes potentiellement intéressées par notre pays risque bel et bien de s’installer ailleurs !

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires susciteraient l’émotion chez nos concitoyens, avez-vous dit. Pour ma part, j’ai pu constater lors des États généraux de la bioéthique que si on leur expliquait de manière simple la situation, ils comprenaient parfaitement que des embryons surnuméraires congelés, issus de techniques d’AMP – que je n’ai entendu personne remettre en question – et voués à être détruits au bout d’un certain temps s’ils ne font plus l’objet d’un projet parental puissent, si le couple en est d’accord, être donnés à un autre couple infertile mais aussi servir à des recherches à visée thérapeutique. Nos concitoyens n’en étaient en tout cas pas choqués.

Je ne reviens pas sur le sujet de l’industrie pharmaceutique. Je confirme seulement que jusqu’à un passé récent, le domaine des cellules souches, embryonnaires ou adultes d’ailleurs, n’intéressait que les petites biothèques alors que depuis peu, les grandes firmes pharmaceutiques s’y impliquent davantage, ne voulant pas rater le coche de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Je ne suis pas vraiment compétent pour répondre sur la question de l’encadrement éthique. Les projets soumis à l’Agence de la biomédecine sont évalués en fonction de deux critères : la pertinence scientifique et la pertinence clinique. Le respect de ces deux critères permet d’éviter les dérives. Il y a quelques années, une toute nouvelle équipe française qui souhaitait différencier des cellules souches embryonnaires en hépatocytes, avait demandé à importer quinze lignées. Cela lui a été refusé au motif que, comme elle n’avait pas encore apporté la preuve de sa maîtrise de la technique, rien ne justifiait sur le plan scientifique qu’elle travaille sur quinze lignées. Elle n’a été autorisée dans un premier temps à en importer qu’une seule. Après évaluation de ses capacités et de ses résultats, ses demandes ultérieures d’importation de lignées supplémentaires ont été considérées de manière différente.

Je voudrais insister sur le fait qu’au stade de très grande ignorance où on est encore, il ne faudrait pas, dans l’application de ces deux critères, pénaliser les projets de recherche à visée plus cognitive au profit de ceux visant d’emblée des applications cliniques. La recherche fondamentale demeure essentielle.

M. Hervé Mariton. J’observe qu’on passe insidieusement de « visée thérapeutique » à « visée médicale » et maintenant, « scientifique ».

M. Philippe Menasché. Pertinence scientifique et pertinence clinique, tels sont les deux critères. « Clinique », c’est pour moi synonyme de « médical ».

M. le rapporteur. La principale difficulté pour les chercheurs comme pour les industriels était la limitation du moratoire dans le temps. Comment se lancer dans des projets de recherche aussi importants sans être sûr que l’autorisation obtenue sera renouvelée cinq ans plus tard ? Cette hypothèque va être levée.

Si nous souhaitons bien sûr que notre pays accueille des investissements industriels en nombre et fasse tout pour favoriser la recherche et le progrès médical, n’oublions pas qu’il est ici question de bioéthique et que jamais ne pourra être levé ce que vous tiendriez certainement, messieurs, pour des ambiguïtés. Jamais ne sera par exemple autorisée la fabrication d’hépatocytes pour tester la toxicité hépatique d’un produit qui aurait pour simple objectif d’embellir le teint d’une personne. Une telle recherche aurait peut-être un but « scientifique », mais non « médical », sans visée universelle et altruiste de soin.

Enfin, il n’est pas dans la tradition culturelle française de ne jamais autoriser ou interdire totalement. Le souci de l’équilibre et de la nuance, source de subtilités parfois difficiles à comprendre à l’étranger, je le reconnais, est consubstantiel à notre cadre même de pensée. Jamais ne prévaudra en France l’approche anglo-saxonne du contrat ou de la considération du profit. Il est emblématique à cet égard que les pays anglo-saxons n’aient pas de lois de bioéthique, mais seulement un corpus de recommandations, sachant que tout ce qui n’y est pas interdit est autorisé. J’insiste sur ces points pour ne pas faire naître d’espoirs démesurés quant à la position que pourrait adopter notre pays.

Je remercie le Pr Menasché d’avoir souligné que si une étape a été franchie dans l’utilisation thérapeutique des cellules souches embryonnaires à beaucoup plus large échelle, on est loin encore de guérir toutes les cécités ou de redonner leur motricité à tous les paraplégiques. Nous avons intérêt à suivre au plus près les évolutions de la recherche, tous les ans, et non pas seulement tous les cinq ans au risque soit d’être en retard, soit de revisiter des sujets qui n’ont pas lieu de l’être – je pense par exemple au consentement présumé pour les dons d’organes.

À titre personnel, je ne me verrais pas voter une loi autorisant les recherches sur l’embryon car celui-ci, comme l’a bien dit Axel Kahn, n’est pas une chose mais une potentialité de personne humaine, même s’il n’est pas dans notre droit une personne humaine. Une solution pourrait être de distinguer entre cette potentialité de personne humaine et la cellule éventuellement prélevée sur elle.

M. le président Alain Claeys. Sans prétendre conclure car le débat est loin d’être clos, trois premiers enseignements me paraissent pouvoir être tirés de nos travaux de l’après-midi. Tout d’abord, l’Agence de biomédecine fonctionne de façon satisfaisante. Ensuite, malgré le formidable progrès que représentent les iPS, chacun s’accorde sur l’utilité de poursuivre les recherches sur les cellules souches, embryonnaires et adultes. Enfin, il nous reste à choisir entre continuer d’interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires tout en en autorisant certaines à titre dérogatoire, définitif cette fois, – cela a été la position majoritaire au sein de la mission d’information – ou les autoriser, de manière très encadrée, à partir d’embryons surnuméraires uniquement.

M. le rapporteur. Nous n’étions majoritaires que de peu au sein de la mission. Certains prônaient une autorisation totale. Dès lors, peut-être gagnerions-nous à nous retrouver sur une voie médiane.

M. le président Alain Claeys. Il me reste, messieurs, à vous remercier pour l’éclairage précieux que vous avez encore apporté à nos travaux.

Table ronde sur la gestation pour autrui

Lors de sa séance du mercredi 1er décembre 2010, la commission spéciale entend Mme Sylviane Agacinski, philosophe, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales, Mme Gisèle Halimi, avocate, présidente de l’association Choisir la cause des femmes, Mme Dominique Mehl, sociologue, directrice de recherches au CNRS et M. Israël Nisand, gynécologue-obstétricien

M. le président Alain Claeys. Notre première table ronde de l’après-midi sera consacrée à la gestation pour autrui. Cette pratique est interdite en France. Le projet de loi de révision des lois de bioéthique ne revient pas sur cette interdiction et ne comporte aucune disposition sur le sujet. La question fait cependant débat dans notre société. Nous l’avons abordée au cours des travaux de la mission d’information et ce thème a été l’un de ceux qui a suscité le plus de contributions de la part des internautes lors des États généraux de la bioéthique. Il nous a donc paru opportun, au rapporteur et à moi-même, de réunir, dans le cadre d’une table ronde, des défenseurs du maintien de l’interdiction et des partisans de la légalisation et de l’encadrement de cette pratique dans notre pays.

Nous avons ainsi le plaisir d’accueillir Mme Sylviane Agacinski, philosophe, et Mme Gisèle Halimi, avocate et féministe, qui ont toutes deux pris position contre la gestation pour autrui, Mme Dominique Mehl, sociologue, auteur de l’ouvrage Enfants du don, et M. Israël Nisand, gynécologue-obstétricien, tous deux membres de l’association CLARA, comité de soutien pour la légalisation de la gestation pour autrui et l’aide à la reproduction assistée.

Mme Dominique Mehl, sociologue, directrice de recherches au CNRS. Je souhaiterais vous présenter les résultats de quelques enquêtes réalisées auprès de couples ayant recouru ou souhaitant recourir à une mère porteuse et de mères porteuses elles-mêmes. J’ai moi-même réalisé l’une de ces enquêtes dans notre pays, sur six couples ayant fait appel à une mère porteuse, l’un de manière illégale en France, les autres à l’étranger. Leurs témoignages sont publiés dans mon ouvrage Enfants du don. Les autres enquêtes portent sur le vécu de la gestation pour autrui dans les pays où cette pratique est légalisée, autorisée ou tolérée, notamment aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et en Israël.

Ces enquêtes nous apprennent que les demandes de gestation pour autrui proviennent de femmes privées d’utérus ou dont l’utérus, déficient, empêche la conduite d’une grossesse. Il n’a pas été constaté de demandes de convenance, comme certains magazines ont pu s’en faire l’écho, de la part de femmes qui auraient par exemple souhaité qu’une grossesse ne nuise pas à leur carrière. Dans tous les cas, les demandeuses souffraient d’une pathologie grave, attestée médicalement.

Les progrès de la médecine procréative ont conduit à une situation tout à fait nouvelle en permettant de dissocier la fertilité féminine en ses deux dimensions procréatrice et gestatrice, autrement dit la production des ovocytes et la capacité de l’utérus à accueillir une grossesse. C’est grâce à toutes ces nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) que l’ovocyte peut être extrait du corps féminin et faire l’objet d’un don, ou qu’un embryon conçu hors du corps féminin, voire avec un ovocyte tiers, peut être implanté dans un utérus pour s’y développer. Le don d’ovocytes et la gestation pour autrui organisée avec transfert d’embryon – car le recours aux mères porteuses est, sinon, vieux comme le monde –sont des pratiques plus nouvelles que le don de sperme, duquel on a dit que la pipette ne faisait qu’y remplacer un acte sexuel adultérin et qui permet depuis longtemps de contourner l’obstacle d’une stérilité masculine.

Comment les femmes qui souhaitent recourir à une mère porteuse vivent-elles leur situation ? Celles que j’ai rencontrées ne se considèrent pas stériles mais infertiles, encore en possession de leur fécondité ovarienne mais ne pouvant mener à bien une grossesse. De manière imagée, les femmes privées d’utérus disent « j’ai la graine, mais pas la terre », tandis que celles à la fonction ovocytaire défaillante disent « j’ai la terre, mais pas la graine. » Or, pour faire un bébé, il faut « et la graine et la terre ».

La demande des femmes privées d’utérus ne disparaîtra pas. Elles éprouvent en effet un très fort sentiment d’injustice devant les progrès de l’AMP qui permet aujourd’hui de traiter l’infertilité masculine et l’infertilité féminine ovocytaire. Seule l’infertilité utérine, la leur, n’a pas de réponse médicale. En outre, beaucoup de ces femmes en France ont appris leur handicap avant que la loi de bioéthique de 1994 n’interdise les mères porteuses. Je pense notamment à celles atteintes du syndrome de Mayer-Rokitansky-Kuster-Hauser – MRKH –, affection à l’origine d’aménorrhée, d’absence ou de déformation du vagin et de non-fonctionnement de l’utérus. Leur vagin a pu être reconstruit chirurgicalement à leur adolescence et elles ont pu mener par la suite une vie sexuelle normale. Mais leur utérus, lui, n’est pas réparable et cet organe ne peut, pour l’instant, faire l’objet d’une greffe. Leurs chirurgiens les avaient à l’époque rassurées, leur expliquant qu’elles pourraient quand même avoir un enfant d’elles en ayant recours à une mère porteuse. Elles ont réussi, après un travail long et difficile, à faire le deuil de la grossesse mais non celui d’un enfantement auquel elles participeraient. Quant aux plus jeunes, qui ont appris leur handicap après l’interdiction des mères porteuses en France, elles savent que la pratique est autorisée dans certains pays étrangers, d’autant qu’Internet a facilité l’accès à l’information, et que des Françaises s’y rendent pour contourner l’interdiction.

D’après les enquêtes réalisées notamment aux États-Unis, au Canada et en Israël, les considérations financières ne sont pas la première des motivations des mères porteuses. Lorsqu’elles en parlent, elles l’évoquent toujours en second, comme une « compensation », « la rémunération d’un travail », « un contre-don » pour le don qu’elles font un temps de leur corps. Leur profil, pour ce qui a pu en être étudié aux États-Unis, n’est pas, comme certains pourraient le croire, celui de femmes de couleur issues de milieux particulièrement défavorisés. Au contraire, elles sont en majorité blanches, ont environ trente ans, sont mariées ou concubines, ont déjà au moins un enfant et surtout sont, pour la plupart d’entre elles, profondément chrétiennes. Les motivations des mères porteuses sont assez semblables à celles des donneurs de sperme ou des donneuses d’ovocytes. Elles ont souvent dans leur entourage, plus ou moins proche, des personnes ayant connu la blessure que représente la stérilité et souhaitent, dans un élan compassionnel, rendre service. Surtout, cela se retrouve dans tous les témoignages, ce sont des femmes qui ne veulent pas plus d’enfants qu’elles n’en ont déjà, le plus souvent un ou deux seulement, – certaines se sont même fait ligaturer les trompes – mais qui, aimant être enceintes, souhaitent pouvoir en faire profiter d’autres. Comme chez tous les donneurs d’éléments du corps, leur don renforce leur estime d’elle-même et participe d’une valorisation narcissique.

J’en viens au vécu de la gestation pour autrui elle-même. Chez tous ceux qui y ont recours, on retrouve le désir d’avoir un enfant « un peu de soi », comme chez ceux qui ont recours à une assistance médicale à la procréation, qu’il s’agisse d’une fécondation in vitro (FIV), par laquelle un couple conçoit un enfant qu’il n’arrive pas à concevoir par rapport sexuel, d’un don de sperme où le couple se dit « l’enfant sera au moins de ma femme » ou d’un don d’ovocytes où le couple se dit « l’enfant sera au moins de mon mari ». Dans la GPA où la mère d’intention donne ses ovocytes, le couple se dit que l’enfant sera biologiquement de ses deux parents et n’aura finalement été « hébergé » chez une autre que le temps de la gestation. Lorsque ces femmes disent « je veux un enfant de moi », elles expriment davantage le souhait de s’investir corporellement dans l’enfantement, auquel elles veulent participer au moins par un élément venant d’elles, qu’elles ne donnent le primat à la transmission génétique. Ces couples pensent aussi que l’enfant à venir étant génétiquement issu de l’un d’eux ou des deux, ils pourront mieux l’investir dans leur chair qu’ils ne le feraient d’un enfant adopté.

Toutes les enquêtes attestent d’une réelle capacité de dédoublement chez les mères porteuses. Cet enfant qu’elles portent pour une autre, elles ne le portent jamais comme le leur : elles ne lui cherchent pas de prénom, ne lui préparent pas de chambre, même mentalement, ne préparent pas leurs enfants à la naissance d’un frère ou d’une sœur. Et elles réalisent un travail sur elles-mêmes pour se tenir affectivement à distance de lui. Le rapport de complicité de femme à femme qui s’établit entre la mère porteuse et la mère d’intention compte davantage que l’échange avec le fœtus. Si la séparation d’avec l’enfant à la naissance n’est pas facile, celle d’avec la mère d’intention est encore plus redoutée, des liens étroits s’étant la plupart du temps noués durant la grossesse, au moment de l’accouchement et juste après la naissance.

Je dois ici préciser que toutes les études dont je fais état, qui ne portent que sur de très petits échantillons, ne sont pas représentatives au sens statistique. Elles sont quasiment impossibles à réaliser en France puisque les personnes concernées, se trouvant dans l’illégalité, n’acceptent de témoigner que de façon anonyme. Beaucoup m’ont parlé en refusant que leur témoignage soit publié. Nous, sociologues, qualifions ce type de témoignages « d’emblématiques ». Nous en tirons des conclusions parce qu’ils font apparaître des similitudes et un discours partagé par tous ceux pour qui l’expérience a été positive. Nous avons bien conscience que ceux pour qui l’expérience a été différente, qu’elle ait été source de déceptions ou de difficultés, notamment en cas de rupture avec la mère d’intention, ne témoignent pas auprès des sociologues. On a plus de chances de les retrouver dans les tribunaux… De ces témoignages, j’ai retiré la conviction qu’il y avait là un scénario possible de gestation pour autrui, envisageable seulement si cette pratique est légalisée et encadrée.

Mme Gisèle Halimi, avocate, présidente de l’association Choisir la cause des femmes. Certains débats, dont celui qui nous occupe, sont-ils donc voués à recommencer éternellement ? Je me souviens de ceux que nous avions eu ici même à l’Assemblée nationale, en novembre 1983, alors que j’étais députée, sur la question très circonscrite, mais qui soulevait les mêmes problèmes de principe qu’aujourd’hui, des mères porteuses. En effet, des officines commençaient de se créer et de réaliser des profits substantiels avec ce que nous appelions alors la location de ventres. J’avais fait part de mon émoi au secrétaire d’État chargé de la santé à l’époque, M. Edmond Hervé, ainsi qu’au groupe socialiste auquel j’étais apparentée. J’avais posé une question d’actualité sur le sujet afin d’ouvrir le débat. L’Assemblée avait alors été unanime à considérer que cette pratique devait être bannie dans notre pays.

Pourquoi ce débat revient-il aujourd’hui, alors même que la médecine a beaucoup progressé dans le traitement des stérilités ? Faudrait-il être « moderne » ? Je me méfie beaucoup de cette exigence de modernité, comme si celle-ci était en soi une valeur positive. Il est des choses « modernes » qu’il faut proscrire et d’autres « ringardes » qu’il faut défendre – ce qui n’interdit pas de les rajeunir. Cet argument de modernité n’est pas recevable.

Une autre raison parfois avancée est que cette pratique est autorisée dans d’autres pays, notamment européens. Ce n’est pas non plus un argument. Ne devons-nous pas plutôt chercher à préserver la spécificité de notre approche et à convaincre nos voisins de son bien-fondé, au lieu de leur emboîter avec empressement le pas ?

Je ne sais donc pas très bien pourquoi cette question refait surface. Y a-t-il une nouvelle offensive des mères porteuses, comme il y en eut une en 1982-1983, avec un intense lobbying pour que ce commerce soit autorisé ? J’emploie le mot « commerce » à dessein. Et je le dis d’emblée, qu’on ne cherche pas à me convaincre, ce serait peine perdue, que des femmes accepteraient de porter l’enfant d’une autre qu’elles ne connaissent pas uniquement par amitié, compassion ou solidarité féminine. Je sais ce qu’est la solidarité féminine. Je puis vous assurer qu’elle ne va pas jusque là. Il est évident, même si on ne l’avoue pas, qu’il y a et qu’il y aura toujours un échange marchand. À soi seul, cela justifierait l’interdiction de la gestation pour autrui.

On argue aussi du désir d’enfant. Je le comprends, je le connais, je l’ai vu éprouver et occasionner des souffrances autour de moi. Mais devenir adulte, n’est-ce pas précisément accepter de renoncer à ce que tous nos désirs puissent être satisfaits ? Ce désir d’enfant dérive dangereusement vers un droit à l’enfant, lequel, pour moi, n’existe pas. S’il faut faire preuve de la plus grande compréhension pour les femmes stériles en désir d’enfant – encore faut-il que cette obsession ne se transforme pas en névrose, traduisant chez elles une difficulté à accepter la réalité, à laquelle elle préfère la projection dans un avenir inconnu –, la compassion ne peut aller jusqu’à satisfaire ce désir.

La vraie question est aussi de savoir quels enfants nous voulons mettre au monde, pour quel monde. Si nous acceptions la gestation pour autrui, nous irions vraiment vers un autre monde. La question, on le voit, va bien au-delà de l’objet en instance.

J’invite les femmes stériles et les couples qui souffrent de cet état de fait à ouvrir les yeux autour d’eux et à se demander s’ils ne pourraient pas eux aussi faire preuve de compassion plutôt que de la solliciter à leur égard. Combien y a-t-il d’enfants abandonnés, sans famille ni la moindre chance de s’épanouir et d’être heureux ? Pourquoi n’adopteraient-ils pas ? En 1983, nous avions convenu, je ne sais pas si cela a été fait, de revoir toute la législation relative à l’adoption pour la faciliter. Voilà la vraie solution au désir d’enfant.

Le législateur doit avoir conscience, je ne doute pas qu’il l’ait, que traitant de ce sujet, il n’élabore pas seulement un pan de notre droit mais touche à des principes fondamentaux qui engagent le monde futur dans lequel nous vivrons.

M. Israël Nisand, gynécologue-obstétricien. Je vous remercie de votre invitation à évoquer devant vous les enjeux difficiles de la gestation pour autrui.

Médecin, je dois vous parler des cas que je rencontre. J’ai vu la semaine dernière en consultation une jeune femme qui, lors d’une intervention chirurgicale durant sa première grossesse, a subi une rupture utérine alors que son enfant n’était pas encore viable. Un chirurgien présent a pu lui réparer son utérus mais lui a demandé de ne surtout pas être de nouveau enceinte avant trois ans. Elle a attendu puis a engagé une deuxième grossesse, durant laquelle elle a dû rester allongée dès le tout début, ce qui n’a pas empêché une nouvelle rupture utérine au sixième mois, de laquelle elle a failli mourir. Une troisième grossesse ne pourrait qu’aboutir chez elle à une nouvelle rupture utérine aux conséquences potentiellement fatales. Cette jeune femme est venue me voir avec son mari et une amie qui se proposait de porter leur enfant pour elle. Devant de tels cas, je me demande quelles valeurs nous protégeons en interdisant à trois adultes libres, responsables et consentants, d’élaborer un projet de gestation pour autrui.

L’histoire personnelle de chacun nous rappelle que la fonction maternelle est plus délicate que la fonction paternelle. Celle-ci a d’ailleurs été si profondément malmenée depuis quelques décennies qu’on comprend le réflexe de vouloir protéger la maternité, elle, des coups de boutoir de la modernité. Ce qui se réalisait parfois dans le secret des familles, la cession d’enfant, ne peut trouver place dans notre système anthropologique de parenté.

Notre législation nous donne un certain confort en prohibant purement et simplement la gestation pour autrui. Cette position, qui a le mérite de la clarté, ne dispense pas de dire ce que le droit français protège par cet interdit, d’en expliciter la philosophie, et surtout de régler les problèmes de filiation qui se posent pour les enfants nés d’une GPA à l’étranger. Cette prohibition n’a-t-elle pas finalement plus d’effets pervers, y compris sur le plan éthique, que d’avantages ? Peut-on fermer les yeux sur ce qui se passe ailleurs en conséquence des interdits que nous édictons ici ?

La Bible déjà nous apprend les écueils de la gestation pour autrui. Agar fut la première mère porteuse du monde occidental. Elle était l’esclave de Sarah qui, stérile, lui avait demandé d’avoir des relations sexuelles avec son mari, Abraham, pour lui donner un enfant. Mais aussitôt Ismaël né de cette union, Sarah bannit Agar qu’elle renvoya dans le désert avec l’enfant. Peut-être le poids de ce mythe continue-t-il de peser et redoutons-nous de créer de nouvelles figures d’Agar et Ismaël…

Au centre du débat éthique sur la gestation pour autrui se trouve donc le risque de subordination d’une femme à une autre et d’instrumentalisation. La question la plus délicate est sans doute celle de l’indisponibilité du corps humain, dont nous éprouvons de la répulsion à ce qu’il entre dans le champ des biens et des contrats. Au centre du débat se trouve également le sort de l’enfant ainsi conçu, lequel peut voir jusqu’à ses droits remis en cause, alors qu’il n’est responsable de rien. L’incertitude juridique résultant du recours à une GPA à l’étranger confine au drame lorsque l’enfant n’a toujours pas d’état-civil validé après plusieurs années et que l’absence de filiation maternelle établie lui fait courir des risques juridiques, en cas de disparition de son père notamment.

Pour rendre le débat plus complexe encore, les demandes de GPA sont extrêmement diverses. Il y a loin, aux deux extrémités du spectre, entre la femme qui a perdu en même temps son enfant et son utérus en raison d’une complication obstétricale et celle qui souhaiterait une GPA pour « convenance personnelle ».

Tous ces problèmes éthiques ne sont pas sans rappeler ceux qu’on a rencontrés lors de l’autorisation du diagnostic prénatal (DPN). En cas de malformation d’une particulière gravité du fœtus, un couple peut demander, quel que soit l’âge gestationnel, une interruption médicale de grossesse (IMG), après avis d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal qui examine les situations au cas par cas. Quelque dix mille dossiers sont ainsi traités chaque année, dont six mille conduisent à une IMG. L’Agence de la biomédecine, qui en assure le suivi, n’a constaté aucun dérapage. L’expérimentation humaine sur volontaires sains est un autre exemple de « cas par cas » qui n’a donné lieu à aucune dérive : les comités de protection des personnes fonctionnent de manière exemplaire et décident, avec une grande compétence et un grand professionnalisme, ce qui est licite et ce qui doit être prohibé. Un projet d’expérimentation refusé dans une région n’a aucune chance d’être accepté dans une autre, preuve de l’objectivité des critères retenus.

Je pense à une organisation de même type pour la GPA. On pourrait mettre en place des comités régionaux de la parentalité, chargés d’analyser de manière approfondie les demandes au cas par cas et de consulter tous spécialistes de la psyché pour analyser les motivations des couples demandeurs comme des mères porteuses et les liens les unissant. Au terme de leur instruction, ces comités, qui pourraient également travailler dans le cadre de l’adoption, transmettraient leur avis à un comité national, lequel in fine donnerait ou non son autorisation. N’y aurait-il qu’une seule demande autorisée par an sur deux cents, cela ne me gênerait pas. Ce qui me gêne, c’est l’interdiction totale qui nous prive de pouvoir exercer notre intelligence dans le traitement de ces cas.

C’est à partir de l’expérience de ce que vous avez, madame Halimi, qualifié d’une « officine », Les Cigognes, à Strasbourg – qui a fermé lorsque la loi a interdit les mères porteuses – que j’ai pu analyser les motivations des femmes qui souhaitaient porter des enfants pour d’autres. J’y avais constaté que la moitié environ de ces femmes avait pour motivation l’argent, ce qui n’avait pas laissé de m’inquiéter. L’autre moitié disait en revanche ceci : « J’ai la chance d’avoir un corps intègre et de pouvoir donner le jour à des enfants. Le propre des humains, c’est de savoir s’entraider. Je suis d’ailleurs donneuse de sang et de moelle. J’aime être enceinte et accoucher. Ma famille est d’ores et déjà constituée. Ce serait une grande chance pour moi de pouvoir me sentir utile en rendant un service aussi important à une autre femme dépourvue d’utérus. » Cette générosité-là existe, je l’ai rencontrée. Un entretien approfondi avec ces femmes, complété au besoin d’une rencontre avec des psychologues, permettrait, quasiment sans risque de se tromper, d’identifier ce qui les motive et de s’assurer de la totale liberté de leur décision, notamment qu’elles n’y sont pas contraintes par des raisons financières. Les associations de femmes disposées à rendre ce service pourraient d’ailleurs constituer un filtre efficace.

Je suis en revanche très réticent à ce qu’on fasse appel à une mère porteuse dans le cadre intra-familial. Ce n’est certainement pas à la mère d’une femme qui souhaite un enfant de le lui porter ! Quant à une sœur, il faudrait être certain qu’elle n’a subi aucune pression familiale d’aucune sorte.

Sur le principe d’indisponibilité du corps humain, argument mis en avant par les opposants à la GPA, il y aurait beaucoup à dire. Un soldat français en Afghanistan, qui y risque sa vie davantage qu’ailleurs, y est payé plus cher. Et que dire des mineurs de fond, exposés à la silicose et aux coups de grisou, ou des sous-mariniers, dont le métier comporte les risques que l’on sait ? Que dire aussi du don d’organes entre vivants ? Un premier décès de donneur d’un lobe hépatique a eu lieu l’été dernier. Le consentement d’un adulte non vulnérable et correctement informé pourrait constituer un principe raisonnable. Interdire pour protéger nos concitoyens contre eux-mêmes, parce qu’ils ne seraient pas à même de savoir ce qui est bon pour eux, relève d’un autoritarisme et d’un paternalisme inacceptables.

Quant aux dérives marchandes que l’on observe de par le monde, loin de constituer un argument contre l’autorisation de la GPA en France, elles militent au contraire pour que notre pays se dote d’une loi exemplaire. Il en a le devoir plutôt que de refouler hors de ses frontières ces cas difficiles. Les odieux trafics d’organes qui peuvent exister ici ou là n’ont pas, que je sache, conduit à interdire les greffes en France.

Pour ce qui est des échanges entre la mère et le fœtus, dont nous pressentons tous qu’ils existent, sans être capables d’en déterminer l’ampleur ni la teneur, il ne s’agit pas de minimiser leur importance. Une femme peut s’attacher à l’enfant qu’elle porte, comme une nourrice à l’enfant qui lui est confié tous les jours. Mais une mère porteuse sait que l’enfant qu’elle porte n’est pas le sien et que sa relation avec lui n’est que transitoire, additionnelle à celle qu’il développe avec ses parents. Des échanges complexes existent également du fœtus vers la mère, bien que personne n’ait été capable de les démontrer. Le nouveau-né de même tisse des liens avec d’autres adultes que ses parents dès sa naissance. La parentalité ne consiste pas à rechercher l’exclusivité des liens avec un enfant. Cette utopie, d’ailleurs d’ordre fantasmatique, ne peut être atteinte, et c’est bien ainsi.

Qui est la vraie mère, la mère qui porte ou la mère génétique ? Ni l’une ni l’autre, serais-je tenté de répondre. En effet, nous rencontrons dans notre pratique des femmes enceintes de leur propre enfant qui ont, hélas, si peu d’une « mère » qu’elles effacent psychiquement la vie naissante. Cette pathologie, connue sous le nom de déni de grossesse, nous aide à comprendre que la vraie mère, c’est celle qui adopte l’enfant. Ce processus d’adoption qui, pour la plupart des femmes, a lieu durant la grossesse, souvent très tôt, peut aussi ne pas se produire. Il ne suffit pas d’être enceinte pour attendre un enfant. Même l’accouchement parfois est insuffisant pour construire une mère. La mère n’est pas définie par l’utérus dans lequel on s’est développé, ni même par l’ovocyte dont on est issu, mais bien par l’adoption dont on a fait l’objet. Ce processus, qu’on connaissait pour la paternité, est plus difficile à admettre pour la maternité. Mais l’exemple de mères défaillantes, dont regorgent les rubriques « faits divers » des journaux, en est une preuve. Trois phénomènes s’intriquent profondément dans la maternité : la transmission génétique, la grossesse physiologique et l’accouchement, l’adoption de l’enfant au terme de la grossesse psychique. Il n’y a aucune raison de survaloriser la grossesse physiologique et l’accouchement alors que c’est l’adoption psychique qui est la part la plus indispensable de la constitution de la famille. Réciproque et en constante élaboration, le contrat entre l’enfant et ses parents se dispense de la génétique et même de la fugace passade obstétricale.

L’enfant né d’une gestation pour autrui commence-t-il sa vie par un abandon ? Non, car il est déjà adopté avant sa naissance par ses parents d’intention, sans le projet desquels il n’existerait pas. Sa mère porteuse a joué le rôle d’une « nounou prénatale ». Serait-il donc plus scandaleux d’être une nounou d’avant la naissance que d’après ? Un contact ultérieur de l’enfant avec cette femme est d’ailleurs souhaitable, vu l’éminent service qu’elle lui a rendu. Un enfant né de la sorte, à qui les choses sont expliquées sainement, est parfaitement à même de comprendre. De même, tout est explicable aux enfants de la mère porteuse. Le caractère exceptionnel du geste de leur mère qui, par son dévouement, a permis à un autre couple de constituer une famille, peut même avoir valeur exemplaire pour eux.

Enfin, fait-on fi de l’intérêt de l’enfant ? Vaut-il mieux ne pas être né ou avoir pu naître grâce à une gestation pour autrui ? Peut-on nuire à un enfant en lui donnant le jour ? La situation juridique actuelle dans laquelle le père d’intention a le droit, lui, de faire reconnaître sa paternité par anticipation, alors que la mère d’intention ne peut, elle, voir reconnue sa maternité, est absurde et dramatique. L’acte de naissance devrait comporter le nom de la mère d’intention, pas celui de la femme qui a accouché. Pourquoi les enfants paieraient-ils ce qui est tenu pour des errements de leurs parents en se voyant refuser leur filiation maternelle, quand bien même celle-ci est établie sur le plan génétique ? Cet argument de l’intérêt de l’enfant est invoqué de fort mauvaise foi car qui peut dire quoi que ce soit sur le sort d’un enfant, quand certains qui ont tout pour être heureux ne le deviennent pas et que d’autres, qui naissent dans des contextes effroyables, s’en sortent plus que bien ? Si l’on avait vraiment le souci de l’intérêt de l’enfant, on établirait sans hésitation sa filiation maternelle plutôt que de proposer que sa mère devienne une vague tutrice.

Aujourd’hui, les couples qui souhaitent faire appel à une mère porteuse recrutent sur internet une femme, plus ou moins loin, qu’ils payent préalablement – autour de 15 000 euros – dans le cadre d’un contrat qui prévoit qu’après la naissance, tous les ponts pourront être coupés, tout le monde étant quitte. Cette transaction commerciale, le plus souvent déshumanisée, s’apparente à une forme d’esclavage moderne. Est-ce cela que nous voulons pour notre pays ?

Il est tout à fait possible d’imaginer qu’une gestation pour autrui se déroule autrement, entre des personnes qui se connaissent et se lient, avec la possibilité pour l’enfant et la mère qui l’a porté de nouer ultérieurement des relations de type filleul-marraine. Cette seconde option, bien plus humaine, qui passe par le langage et où on explique à l’enfant les conditions de sa venue au monde, ne met en rien en péril la nouvelle famille. La contribution de la mère porteuse à l’avènement de l’enfant est, d’une certaine manière, comparable à celle d’un donneur de gamète, d’embryon ou de vie pour les enfants nés sous X, à la seule différence près de l’anonymat – principe dont il faudra bien que nous nous débarrassions un jour, au nom même des droits de l’homme. Mais c’est là un autre débat.

La législation française actuelle interdit toute gestation pour autrui, si bien que les couples demandeurs ne viennent même pas consulter et passent directement par Internet. Cela empêche toute analyse au cas par cas des demandes, pourtant toutes singulières. S’autoriser à dire parfois oui, après s’être assuré que la mère porteuse n’est pas une Agar et que l’enfant sera bien traité, c’est prendre un risque, mais pas davantage qu’en continuant de tout interdire, au détriment des enfants qui vont naître après des montages, parfois sordides, à l’étranger. Persister dans l’interdiction totale, c’est conforter le recours au marché procréatif international, dans des conditions acceptables pour les plus riches, mais dangereuses, voire honteuses, pour ceux qui ne peuvent « se payer » que l’Ukraine ou l’Inde. Or, le principe d’indisponibilité du corps humain vaut aussi pour les femmes qui n’ont pas la chance d’être françaises et seront sollicitées par des couples français sans autre choix.

Une défense résolue de tout ce qu’il y a d’humain en l’homme pourrait constituer le fil directeur de l’écriture d’une nouvelle morale laïque, qui devrait trouver un équilibre, un « juste milieu » entre l’interdit absolu et le laisser-faire indécent. Il est des valeurs et des principes que nul ne remet en question dans notre société – non-exploitation des êtres humains les uns par les autres, droit de l’enfant à naître dans un milieu familial adapté comportant un père et une mère en âge de procréer, garantie d’une origine claire des gamètes en cas de recours à un don, gratuité de ce don et égalité d’accès aux soins. Ces valeurs essentielles, auxquelles nous sommes tous attachés, ne seraient pas remises en question par la légalisation de la pratique, strictement encadrée, de la gestation pour autrui.

Mme Sylviane Agacinski, philosophe, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales. Je n’ai au fond rien à objecter au Professeur Nisand qui invoque toujours des cas particuliers et présente, à l’appui de son argumentation, le cas d’arrangements personnels qui ont pu bien se passer. Car il ne revient pas à la loi d’encadrer des arrangements entre individus mais d’établir a priori les principes généraux de relations justes entre les personnes.

Comme Gisèle Halimi, avec laquelle je suis totalement d’accord, je me suis demandée pourquoi ce débat refaisait surface aujourd’hui. Pour avoir rencontré dans diverses réunions, des femmes dépourvues d’utérus, notamment atteintes du syndrome MRKH, je sais que ce n’est pas elles qui sont à la pointe du combat actuel. Fait en revanche son chemin l’idée dangereuse d’un droit à l’enfant et du devoir pour la société de répondre, par tous moyens, à cette demande.

Philosophe, j’interviendrai essentiellement sur des questions de principe. La question principale porte sur le statut de la femme et de l’enfant en tant qu’êtres humains. Leur statut de personne, sujet de droit, ne saurait être remis en question par l’arbitraire d’intérêts ou de motifs subjectifs, aussi nobles et légitimes soient-ils, comme le désir d’enfant. On ne peut non plus arguer du consentement dès lors que celui-ci est susceptible d’entrer en contradiction avec le droit des personnes, notamment des femmes, que certaines mentalités archaïques conduisent encore parfois à considérer comme de simples corps disponibles. Je ne rappellerai pas comment le concept de personne, sujet de droit, est né d’un long processus de civilisation qu’on peut légitimement ne pas souhaiter voir d’un coup effacé.

La personne humaine est inaliénable et aujourd’hui tout être humain, quel que soit son âge ou son état, est reconnu comme personne humaine ayant une dignité propre et une valeur intrinsèque.

Le respect de la personne, corrélatif à cette valeur et cette dignité, porte également sur son corps, en tant que celui-ci lui est propre, sans qu’il soit sa propriété – au sens d’un bien qu’elle pourrait aliéner ou utiliser à son gré. L’émergence d’une sphère privée dans la vie des individus, ce qu’on appelle leur vie personnelle, n’a été possible qu’après la suppression de formes anciennes d’aliénation de la personne comme l’esclavage, le servage ou la domesticité. Une personne ne peut plus aujourd’hui qu’aliéner sa force de travail, en aucun cas sa personne, son corps ou ses organes.

Je ne reviendrai pas sur la distinction entre le prix et la valeur des choses ni sur la manière dont Kant considérait que ce qui avait une valeur absolue, comme la personne humaine, ne pouvait donc avoir de prix. Les questions de bioéthique qui nous occupent ne concernent pas la morale subjective, la sphère des devoirs des hommes les uns envers les autres, mais celle des droits humains fondamentaux.

Note code civil, qui reconnaît aux personnes le droit au respect de leur corps, le garantit en interdisant qu’on y porte atteinte par la violence mais aussi par la corruption active que représente l’incitation à faire de son corps charnel l’objet d’un échange. On le sait bien, un intérêt financier, même modeste, peut inciter la personne à se vendre. Jean Bernard ne disait-il pas que l’éthique n’a pire ennemi que l’argent ? Il serait contradictoire que soit d’un côté posé le droit de chacun au respect de son corps, et d’un autre autorisés des contrats faisant du corps un objet d’échange. La seule façon de garantir aux plus vulnérables le respect de leurs droits en ce domaine est de prohiber toute valeur patrimoniale du corps humain. L’article 16-1 de notre code civil dispose ainsi : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits, ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. » Il faut continuer de tirer toutes les conséquences de cet article pour éviter que ne se créent des marchés du corps et de ses éléments, comme il en existe, hélas, dans quelques pays.

La nature profondément aliénante de la maternité de substitution empêche qu’elle puisse être assimilée à un don. Je récuse la dénomination aseptisée de « gestation pour autrui » qui occulte complètement l’accouchement, moment pourtant difficile et risqué de l’enfantement. De plus, la grossesse n’est pas, chez l’être humain en tout cas, une simple fonction biologique, localisée dans un organe particulier, mais bouleverse l’ensemble de l’existence d’une femme, sur le plan physiologique, mais aussi psychique et moral.

Certains, que je ne soupçonne d’ailleurs pas de cynisme, pensent que la maternité de substitution pourrait s’exercer dans le cadre d’un acte de pure générosité. Rien de tel n’existe pourtant dans la réalité, hormis le cas de rarissimes arrangements familiaux dont chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître la nocivité et qu’il convient donc d’exclure.

Des dons d’organes sont possibles entre vivants qui exigent qu’il soit porté atteinte à l’intégrité du corps des donneurs. Le don de certains éléments du corps peut lui aussi poser des problèmes.. Les ponctions d’ovocytes, qui exigent des stimulations ovariennes et une effraction du corps, sont loin d’être anodines quand un don de sang ou de sperme, produits que le corps renouvelle plus vite et plus spontanément, est plus banal. Notre code civil dispose « qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou, à titre exceptionnel, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ».

Aucune de ces conditions n’est réunie dans le cas de la maternité pour autrui. La mère porteuse ne donne rien, ni son utérus, ni ses gamètes. Elle ne donne de fait qu’un enfant au terme de sa grossesse mais comme l’enfant est une personne, il ne peut être donné. Dira-t-on alors que c’est la gestation qui constitue un don ? Mais la grossesse n’est pas séparable de l’ensemble de la vie, organique et psychique, d’une femme. C’est même si vrai que les contrats d’engagement de mère porteuse, comme ceux conclus en Californie, comportent des clauses mettant littéralement sous tutelle la vie privée de la femme – alimentation, mode de vie, sexualité, obligation d’avorter dans certains cas…

La maternité pour autrui n’est pas un don. C’est une substitution de personnes
– comme l’exprime bien le terme anglais de surrogate mothers. Une personne met son corps à disposition d’une autre, au mépris du principe d’inaliénabilité de la personne humaine. Cette pratique ne peut en rien être comparée à un don de cellules, ni même d’organes.

De surcroît, elle donne lieu, partout et dans tous les cas, à un dédommagement, au minimum un « salaire » forfaitaire qui va au-delà de la stricte couverture des frais médicaux exposés. Même dans les pays où cette pratique est très strictement encadrée, comme au Royaume-Uni, les mères de substitution perçoivent une rémunération, si bien que la grossesse, l’accouchement, l’enfantement et au final l’enfant lui-même entrent dans un échange marchand.

La maternité de substitution constitue bien une aliénation de la personne, doublée d’une valeur d’échange accordée à sa vie, même pendant un temps limité. Les considérations psychologiques concernant la femme et l’enfant, les risques de conflit, nombreux, entre les parties au contrat ne sont pas négligeables, mais ils sont accessoires par rapport à la question des droits fondamentaux de la personne. On n’a pas aboli l’esclavage en raison de ses effets néfastes sur les esclaves – il était des esclaves qui avaient de bonnes relations avec leur maître – mais parce qu’il était contraire à la dignité humaine et attentatoire aux droits des personnes.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Je prie par avance les participants de la table ronde, qui sont tous intervenus excellemment et de façon engagée, de me pardonner de ne pas leur poser de questions. D’une part, j’ai eu l’occasion de le faire lors de l’audition de chacun d’eux par la mission d’information. D’autre part, s’il est des sujets sur lesquels j’hésite toujours, ce n’est pas le cas pour les mères porteuses. Cette pratique exigerait de fouler aux pieds tant des principes et des valeurs au fondement même de notre République et de notre société qu’elle est inacceptable.

J’ai bien entendu l’argument selon lequel il serait difficile de s’opposer au choix d’adultes libres, informés et consentants. Pourquoi n’auraient-ils pas le droit de conclure un tel contrat ? Je ne peux rien répondre d’autre qu’ils n’en ont pas le droit, un point c’est tout. Si on propose à quelqu’un de lui acheter son rein, à quelque prix que ce soit, il n’a pas le droit de le vendre car cela aliénerait sa personne et, partant, son humanité.

On entend souvent objecter que « cela se fait ailleurs ». Si nous cédions à cet argument, autant renoncer à toute loi de bioéthique en France. Sur ce point, je ne peux oublier la réponse du directeur de la HFEA (human fertilisation embryology Authority), homologue britannique de l’Agence de la biomédecine, à ceux qui faisaient valoir que la législation en vigueur en Grande-Bretagne permettrait au moins d’éradiquer le tourisme procréatif pour les couples britanniques. « L’utérus ukrainien coûtera toujours moins cher que l’utérus anglais », avait-il dit. Le tourisme procréatif a, hélas, encore de beaux jours devant lui dans un monde totalement ouvert où prévalent les échanges marchands, où le corps peut se vendre sur Internet et où il sera toujours moins coûteux et plus facile de louer un utérus à Kiev qu’à Londres.

Autoriser les mères porteuses, ce serait renoncer aux principes d’inaliénabilité et d’indisponibilité du corps humain, ainsi qu’aux principes d’anonymat et de gratuité au fondement de nos lois de bioéthique.

À ceux qui invoquent l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger pour justifier la légalisation de cette pratique, je réponds que, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, cet enfant a bien un état-civil. Je trouve par ailleurs curieux d’invoquer le « résultat », si je puis m’exprimer ainsi s’agissant d’un enfant, d’une infraction commise hors de notre territoire pour demander sa dépénalisation dans notre pays.

Je le dis sans hésitation, et cela étonnera peut-être ceux qui me connaissent et savent combien d’ordinaire je suis prudent et je doute sur toutes les questions de bioéthique : si notre pays autorisait les mères porteuses, autant renoncer d’emblée à légiférer en matière de bioéthique et, faisant fi de notre histoire et de notre droit, nous aligner sur les pays à la législation plus permissive.

M. le président Alain Claeys. Nous n’en allons pas moins poursuivre notre débat.

M. le rapporteur. Je n’ai pas voulu le clore. J’ai simplement donné mon opinion.

M. Hervé Mariton. Je remercie les quatre intervenants de leurs exposés parfaitement clairs, cohérents et passionnés. Je regrette toutefois qu’ils ne se soient pas suffisamment répondu les uns les autres.

S’il était légitime et même souhaitable que nous abordions la question des mères porteuses, je tiens à rappeler que le projet de loi gouvernemental ne comporte aucune disposition en la matière. Il ne faudrait pas que, lors de l’examen du texte, parce que nous aurions été très fermes sur ce sujet-là, nous nous laissions entraîner pour d’autres là où d’aucuns souhaiteraient que nous allions, au risque de franchir des étapes que nous devons, selon moi, refuser.

Si je ne suis bien sûr pas favorable aux mères porteuses, on ne peut pas, me semble-t-il, balayer d’un revers de main l’argument selon lequel il est possible de trouver des mères porteuses dans des pays proches, à quelques heures de Paris seulement. Je suis tout à fait disposé, j’en serais même fier, à revendiquer une exception française et à ériger notre pays en rempart contre l’utilitarisme. J’aimerais toutefois que Mme Agacinski et Mme Halimi, qui se sont toutes deux placées au niveau des droits fondamentaux de la personne humaine et d’une conception de la société nous en disent davantage sur les moyens de défendre efficacement nos grands principes quand il est aussi facile d’aller à l’étranger pour contourner la loi française.

M. Nisand, pour sa part, se demande si une « nounou prénatale » – la formule est, je le pense, à dessein provocatrice – diffère tant que cela d’une nounou ordinaire, « d’après ». Il y a quand même une différence fondamentale. Quid en cas de conflit d’intérêts entre la mère porteuse et l’enfant à naître ?

Il se demande aussi au nom de quoi opposer un refus au projet de trois adultes libres et consentants. Tout simplement, lui répondrais-je, parce que l’enfantement ne se fait pas à trois, mais à deux – et, ajouterais-je, entre deux personnes de sexe différent. Cette question rejoint un autre thème de nos travaux, celui de l’anonymat du don de gamètes. En effet, en cas de levée de l’anonymat, on se retrouve non plus à deux, mais à trois. Vous paraît-il raisonnable, monsieur Nisand, de s’engager sur la voie d’un enfantement à trois ? En effet, pourquoi se limiter à trois ? Dès lors que l’enfant n’est plus l’enfant d’un projet parental formulé à deux, n’est-il pas l’enfant de la société ?

M. Serge Blisko. Avec la « procréatique », on peut en effet être l’enfant d’un seul, de deux, de trois, de plus encore… Le législateur ne peut faire l’impasse sur cette réalité.

J’en suis venu, pour ma part, à soutenir la gestation pour autrui en raison de ce que j’ai constaté dans mon expérience professionnelle concernant la procréation médicalement assistée et l’adoption. Qu’on le veuille ou non, madame Halimi, le droit à l’enfant est reconnu depuis 1982 et la naissance du premier « bébé-éprouvette », comme on disait alors. L’assistance médicale à la procréation est aujourd’hui organisée, réglementée, sécurisée grâce à l’Agence de la biomédecine, et remboursée par la Sécurité sociale – trois tentatives de FIV, nombre moyen constaté avant qu’une naissance ait lieu, coûtent pas loin de 50 000 euros ! C’est d’ailleurs parce que nous avons depuis longtemps considéré que la stérilité était une pathologie dont le traitement méritait d’être pris en charge par l’assurance maladie, que le dédommagement d’une mère porteuse ne me choquerait pas.

Mme Halimi se trompe, me semble-t-il, mais cette erreur est fréquente, lorsqu’elle invite les couples concernés à adopter. La France est un pays où l’adoption est particulièrement favorisée. Elle est d’ailleurs, après les États-Unis, celui où on adopte le plus. Aujourd’hui, huit mille couples et personnes seules reçoivent chaque année l’agrément nécessaire pour adopter. Le « stock » de familles agréées est donc considérable. Ce n’est pas pour autant, hélas, qu’un enfant leur est proposé. Il n’y a pas plus de huit cents enfants adoptables par an dans notre pays. Pour qu’il y en ait davantage, il faudrait que tout enfant qui ne bénéficie pas de bonnes conditions d’éducation puisse être retiré à sa famille et que les liens avec celle-ci soient définitivement coupés, pour le rendre adoptable. Cela se pratiquait beaucoup plus couramment avant-guerre avec ce qu’on appelait les enfants « de l’Assistance », lesquels n’étaient pas, que je sache, parmi les plus heureux. On a ensuite plutôt cherché à ce que les enfants puissent rester le plus souvent possible dans leur famille, en tout cas maintenir des liens avec elle, ce qui interdit leur adoption, telle que celle-ci se pratique dans notre pays. Devant les difficultés à adopter un enfant français, les couples se tournent vers l’étranger et la France est le deuxième pays au monde par le nombre d’enfants qui y sont adoptés venant de l’étranger. Pensez-vous que l’adoption internationale est beaucoup plus morale que la gestation pour autrui et exempte de toutes dérives financières ? Il n’y a pas d’un côté la répugnante GPA qui aurait fatalement pour corollaire la marchandisation du corps des femmes – c’est là le principal écueil, j’en suis d’accord avec Sylviane Agacinski – et de l’autre, la magnifique adoption, pur geste d’amour qui ne donnerait lieu à aucun trafic ni aucune transaction financière.

Mme Michèle Delaunay. Je me limiterai à deux points. Le premier est d’ordre médical. Nous le savons tous, certaines viroses ou certains comportements, comme la consommation d’alcool, peuvent interférer avec la grossesse, nuire à la santé de la mère mais aussi de l’enfant qu’elle porte. A-t-on réfléchi aux problèmes qui pourraient en résulter dans le cas d’une gestation pour autrui, que la mère porteuse coure un grave risque pour sa santé ou que l’enfant ait subi un dommage ?

Ma seconde observation est plus générale. Je suis frappée que beaucoup de femmes qui se revendiquent féministes soient hostiles aux mères porteuses.

M. Patrick Bloche. C’est faux.

Mme Michèle Delaunay. Disons une part notable des féministes…

Compte tenu de l’espérance de vie actuelle, une femme est aujourd’hui plus longtemps infertile que fertile. Alors même que le recours à une mère porteuse permettrait de remédier à la plus grande des injustices, sinon la seule, entre les femmes et les hommes, à savoir l’impossibilité physiologique pour les femmes d’avoir des enfants après 45 ans, peu de femmes sont en définitive favorables aux mères porteuses. Bien que renonçant par là même à la possibilité de réparer cette injustice fondamentale entre les sexes, elles s’opposent dans leur grande majorité à cette pratique.

M. Xavier Breton. Je remercie les invités de cette table ronde de leurs interventions engagées. J’ai particulièrement apprécié celles de Mme Agacinski et de Mme Halimi qui nous ont invités à dépasser les cas particuliers et à nous demander quelle société nous souhaitions pour le futur.

Madame Mehl, vous n’avez quasiment rien dit des liens entre l’enfant et la femme qui le porte. Ne sont-ce pour vous que des liens physiologiques ? Les pensez-vous fondateurs ou accessoires ?

Monsieur Nisand, dès lors que vous ne voyez aucune raison que la société s’oppose au projet d’adultes libres et consentants, qu’est-ce qui pourrait empêcher qu’un homme recoure à une gestation pour autrui pour avoir un enfant ?

Mme Laurence Dumont. Alors que je doute sur beaucoup de sujets de bioéthique, je dois avouer que comme vous, monsieur le rapporteur, je n’ai aucune hésitation sur celui des mères porteuses.

Personne ne sous-estime la souffrance des couples dont la femme ne peut porter un enfant. Chacun comprend la force du désir d’enfant, mais il me paraît impensable d’en inférer ni un quelconque droit à l’enfant ni un droit à louer temporairement son corps.

Les partisans de la légalisation de la gestation pour autrui font abstraction de quatre points. Premièrement, tous les liens qui se tissent entre la mère et l’enfant durant les neuf mois de la grossesse. La grossesse pour autrui ne peut absolument pas être assimilée à un don d’organes –mon point de vue sur le sujet pourrait évoluer, je le dis à dessein de manière provocatrice, si des utérus artificiels pouvaient être mis au point. Deuxièmement, l’impact psychologique de l’abandon de l’enfant à sa naissance sur la mère porteuse mais aussi ses propres enfants. Peut-on nuire à un enfant en lui donnant le jour, demandiez-vous, monsieur Nisand ? Je ne sais. Il me semble en tout cas qu’en autorisant la gestation pour autrui, on pourrait nuire à ceux déjà nés, de la mère porteuse. Troisièmement, la marchandisation, inévitable, du corps des mères porteuses – je n’y reviens pas. Quatrièmement, les problèmes susceptibles de se poser si la mère porteuse voulait garder l’enfant après l’accouchement ou si personne au contraire n’en voulait plus.

Enfin, le recours à une gestation pour autrui survalorise les aspects biologiques et génétiques de la filiation, approche dans laquelle je ne me reconnais pas.

Vous l’aurez compris, je suis résolument opposée à la maternité pour autrui. Cela représente pour moi la plus parfaite illustration de l’aliénation physique, juridique et symbolique d’une personne. Enfin, il n’est pas de notre rôle de législateurs de légaliser a posteriori les infractions et, partant, d’entériner le fait accompli. Nous nous honorerions même à lancer une grande campagne en faveur de l’abolition de cette pratique-là où elle existe.

Mme Gisèle Halimi. Il est vrai que des utérus se vendent ou se louent dans certains pays étrangers. Peut-on en arguer pour justifier la gestation pour autrui chez nous ? On nous avait de même objecté les pratiques dans certains pays voisins quand nous avions souhaité légiférer sur la prostitution ou la drogue. Ou bien nous pensons que nos valeurs sont universelles, et non seulement nous les défendons avec force mais cherchons même à les exporter auprès de ceux qui s’en sont écartés, ou bien nous renonçons. Or, de cela, il n’est pas question. Nous devons au contraire lutter contre tout ce qui amoindrit la dignité humaine, porte atteinte au principe d’indisponibilité du corps et ruine les valeurs qui en définitive définissent l’humain de l’homme. Inspirons-nous des exemples étrangers lorsqu’ils confortent ces valeurs mais quand ils les menacent, gardons-nous de les suivre. Vous avez cité l’Ukraine, où ont en effet cours de sordides pratiques. Battons-nous pour que cela ne soit plus possible : la défense de valeurs universelles ne saurait s’arrêter à nos frontières.

M. Israël Nisand. Permettez-moi de vous rapporter un cas que j’ai rencontré dans ma pratique. En 2007, une jeune femme de 28 ans perd en accouchant à la fois son enfant et son utérus. Elle souhaite avoir recours à une mère porteuse mais elle ne gagne, comme son mari, que le SMIC. Sa patronne me demande par téléphone de bien vouloir accepter qu’elle porte l’enfant de sa salariée…

M. le rapporteur. Appelez de suite un psychiatre !

M. Israël Nisand. Je ne suis pas certain qu’on puisse être aussi méprisant face à la souffrance d’un couple.

M. le rapporteur. Ce n’est nullement du mépris. Il y a simplement des limites.

M. Israël Nisand. Une équipe londonienne a maintenant une expérience de plus de vingt ans de la gestation pour autrui, traitant par ce biais environ 300 cas de pathologies utérines par an. On ne peut ignorer les analyses à la fois sociologiques et psychologiques qu’elle a menées ni les résultats de ses études tant sur les mères porteuses elles-mêmes que sur leur propre famille.

Lorsqu’on a créé les premières banques de sperme dans les années soixante-dix, on s’est contenté de copier le modèle des banques de sang. Or, dans le cas d’un don de sang, il n’y a qu’un donneur et un receveur. Dans le cas d’un don de sperme, il y a aussi un enfant. C’est bien là toute la différence.

La conception de la famille a beaucoup évolué depuis ces années-là. Les réalités vécues dans les familles aussi ont changé. Les familles recomposées ne sont plus une exception, au contraire, et un nombre beaucoup plus grand d’adultes intervient auprès d’un enfant, y compris dans son éducation à la maison. Prélever des gamètes d’un donneur anonyme et s’en servir comme s’il s’agissait d’un vulgaire matériau, voilà ce qui me choque. Si je pense qu’il faut impérativement que le don de gamètes continue de n’être pas rémunéré, je suis en revanche très défavorable au maintien de l’anonymat. Je ne crois pas bon que ce donneur de vie demeure un « passager clandestin », sans nom ni visage, réduit au rang de simple fournisseur de matériau. S’agissant de la gestation pour autrui, je serais favorable à une forme de coparentalité, où l’enfant puisse entrer en relation avec la femme dans le ventre de laquelle il s’est développé et la considérer comme une « nounou », sans que cela ne remette en rien en question les droits parentaux, pleins et entiers, de ses parents d’intention.

Je ne prétends pas que cela soit possible dans tous les cas ni que je n’aie pas de doutes sur ma position. Mais je dois vous dire que j’assiste parfois à des scènes incroyables de femmes me disant lors d’une échographie « J’espère qu’il va bien, docteur, car ce n’est pas le mien », alors qu’à côté d’elles, des mères d’intention, debout et en pleurs, caressent doucement le ventre arrondi. Je ne vois décidément pas en quoi autoriser cela altérerait nos valeurs.

Mme Dominique Mehl. S’agissant du lien qui se crée entre la mère et l’enfant qu’elle porte, il est, comme le vécu général de la grossesse, extrêmement subjectif et variable d’une femme à l’autre. Parmi les opposants à la gestation pour autrui, beaucoup ont une vision stéréotypée de la grossesse comme moment d’épanouissement et de lien fusionnel entre la mère et le fœtus. Or, il est des grossesses très difficiles où les enfants ne sont pas reconnus comme tels avant l’accouchement, parfois plus tard encore. Il existe des dénis de grossesse, dont désormais chacun a entendu parler.

C’est d’ailleurs pourquoi il est aussi difficile de légiférer sur le sujet. Lorsqu’il n’y a pas besoin de la médecine, chacun peut procréer comme il l’entend et nul ne lui demandera de compte. L’autorisation de recourir à l’AMP est, elle, subordonnée au respect de certains critères fondés sur une vision stéréotypée de la famille et de la parentalité. Or, il me semble difficile de penser l’AMP de la même façon qu’il y a vingt-cinq ans. La famille contemporaine a beaucoup évolué. La pluriparentalité de fait, avec plusieurs figures parentales dans l’entourage de l’enfant, sans que celui-ci n’ait pour autant jamais plus d’un ou deux parents légaux, est plus répandue. Ces évolutions sociologiques rendent plus facile d’accepter l’idée que deux femmes puissent collaborer pour enfanter, l’une étant la mère légale d’intention, l’autre une tierce personne participant au processus.

On a beaucoup parlé d’indisponibilité du corps humain et d’interdit. Je défendrais plutôt, pour ma part, la liberté de procréer et de disposer librement de son corps, étant entendu que la loi doit encadrer les pratiques afin qu’il soit interdit de nuire à quiconque.

Enfin, autant je suis d’accord sur le fait que les mères porteuses doivent être éclairées sur leur décision et pleinement informées des risques qu’elles prennent, y compris pour leur vie, autant il me choque que l’on puisse mettre en doute leur consentement. En douter, c’est mettre à bas tout l’édifice de la relation patient-médecin dans le cadre de la procréation médicalement assistée.

Mme Sylviane Agacinski. C’est la validité du consentement de ces femmes qui pose problème. Comment consentir valablement à une situation que par ailleurs la loi interdit ? Beaucoup consentiraient aujourd’hui à travailler quinze heures par jour dans des conditions dangereuses pour leur santé si le droit du travail ne l’interdisait pas. C’est bien à la loi, qui l’emporte sur les consentements individuels éventuels, de fixer les limites !

La possibilité de recourir à la maternité pour autrui correspond non pas à l’exercice d’un « droit-liberté », droit individuel, défini en creux comme la possibilité de faire tout ce qui n’est pas interdit et qui n’exige pas d’action positive de la part de l’État –c’est l’approche privilégiée dans le monde anglo-saxon –, mais d’un « droit-créance », droit positif, impliquant en l’espèce une action effective de l’État, auquel incomberait la responsabilité de définir les moyens de garantir le droit à l’enfant. Or, la société doit-elle garantir à chacun un enfant s’il le souhaite, quel que soit le moyen utilisé pour le fabriquer ? C’est possible si cela passe par le don de cellules sexuelles, pas si cela exige, comme dans la gestation pour autrui, l’aliénation totale du corps d’une personne.

Le professeur Nisand évoque le cas douloureux de jeunes femmes qui, ayant perdu leur utérus suite à une complication de leur grossesse, souhaitent faire appel à une mère porteuse. Mais la dernière mère porteuse à s’être exprimée en France a précisément perdu le sien suite à une hémorragie utérine ! Le risque existe lors de toute grossesse et chaque femme l’assume pour elle mais n’est-ce pas une tout autre affaire si c’est l’enfant d’une autre qu’elle porte ? Gardons-nous d’exciper de cas individuels dramatiques qui suscitent l’émotion, appellent la compassion, bref poussent à mettre en avant les sentiments. Il y a eu des rapports sentimentaux étroits entre certains maîtres et certains esclaves, certains patrons et certains domestiques, certains parents et certaines nourrices. Alors que les rapports à la nourrice au 19ème siècle ont souvent été dépeints de manière idyllique, on sait quelle réalité sociale se cachait derrière cette sentimentalité de façade.

Si l’on considère que la maternité pour autrui constitue bien une servitude qui porte atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, la seule solution est de lutter pour qu’elle ne soit jamais autorisée en France et qu’elle soit abolie là où elle se pratique. L’honnêteté exige d’ailleurs de dire que très peu de pays autorisent expressément la gestation pour autrui – j’emploie cette expression, que je récuse, car c’est ainsi qu’on appelle cette pratique dans ces pays.

Mme Gisèle Halimi. Je suis frappée que M. Nisand ait étayé son argumentation sur autant de cas particuliers et que Mme Mehl ait cité des études portant sur un si petit nombre de personnes. Ce n’est jamais inintéressant mais ce n’est que dans des cas tout à fait exceptionnels qu’on peut inférer une loi d’une série d’histoires personnelles. Le législateur doit savoir s’élever au-dessus des cas particuliers pour aller à l’universel.

Enfin, je tiens à signaler un contre-sens fréquent sur la revendication féministe : « mon corps m’appartient », qui peut aller jusqu’à justifier la prostitution. Or, les féministes sont viscéralement hostiles à toute marchandisation du corps, quelque forme qu’elle prenne. Je m’appartiens, donc mon corps m’appartient. Pour autant, je ne peux pas le vendre. C’est une question de conscience et de dignité humaine.

M. Noël Mamère. Chacun perçoit bien que dans ce débat, éminemment philosophique, chacun d’entre nous votera en conscience et non en fonction de sa famille politique, les clivages traversant les partis.

Que Mme Halimi, pour laquelle j’ai infiniment de respect, me permette de lui dire que la somme des cas individuels fait parfois l’universel. Signataire en son temps du « Manifeste  des 343 salopes » en faveur de l’interruption volontaire de grossesse, elle est mieux placée que quiconque pour savoir que c’est bien une prise de conscience à partir de cas individuels qui a conduit à la reconnaissance du droit des femmes à interrompre leur grossesse.

Madame Agacinski, j’ai lu avec intérêt l’article que vous avez publié dans Le Monde sur la gestation pour autrui où vous abordiez un thème qui ne l’a pas été ici jusqu’à présent, celui du progrès technique qui peut se retourner contre le progrès humain s’il n’est pas contrôlé démocratiquement – Jacques Ellul, en 1963 déjà, relevait cette ambivalence. Conscients que progrès technique et progrès humain ne vont pas nécessairement de pair et que la technique peut aliéner l’homme, devons-nous pratiquer ce qu’il appelait « l’auto-limitation ». Je ne partage pas en revanche votre point de vue, madame, selon lequel la gestation pour autrui constituerait une servitude.

Nous dénonçons bien sûr tous la prostitution et souhaiterions qu’elle fût éradiquée. Cela étant, elle existe. Peut-on dès lors se voiler la face et faire l’impasse sur la question de savoir comment traiter ceux qui en vivent. De même, faut-il pénaliser la consommation de drogues ou considérer que leurs usagers sont d’abord des malades dépendants ?

Dans le contexte actuel de mondialisation galopante, la France peut-elle continuer d’interdire une pratique autorisée dans des pays voisins ? Prohiber, c’est aussi, comme l’a dit le professeur Nisand, « s’interdire l’intelligence ».

Si nous révisons les lois de bioéthique, ce n’est pas pour maintenir, au nom de je ne sais quel essentialisme, l’édifice existant absolument inchangé, et surtout ne rien ajouter, comme le voudrait M. Mariton, mais bien pour faire bouger les choses parce que notre société, notamment ses structures familiales, ont évolué. Il n’existe certes pas de risque zéro et les progrès de la médecine peuvent en effet ouvrir la voie à un droit à l’enfant. C’est d’ailleurs un sujet intéressant dont il faudrait débattre.

Le législateur a le devoir de trouver le moyen d’encadrer au mieux des pratiques qui, de toute façon, existent. Continuer de prohiber la gestation pour autrui, au nom d’ailleurs d’arguments bien plus idéologiques que philosophiques, en tout cas aussi subjectifs que ceux des partisans de cette pratique, ne ferait progresser ni le droit ni la morale ni les libertés. Mieux vaudrait donc s’orienter vers un encadrement de cette pratique.

M. Patrick Bloche. Je ne peux m’empêcher de trouver paradoxal que des personnes, pour lesquelles j’éprouve un immense respect, qui se sont par le passé battues pour que des parents n’aient plus à subir la naissance d’enfants non désirés, se mobilisent aujourd’hui pour qu’on continue d’interdire à certains parents d’avoir des enfants infiniment désirés.

Je suis choqué qu’on puisse assimiler la gestation pour autrui à la prostitution ou faire des comparaisons, hasardeuses, avec l’usage de drogues. Pour ma part, je la rapprocherais plutôt de l’adoption, les deux démarches traduisant un désir d’enfant. Elle me paraîtrait aussi plus proche du don d’organes : porter un enfant pour une autre, c’est bien faire don de son corps temporairement. J’aimerais que nous soyons plus optimistes. Oui, il peut exister une éthique du don et certains de nos concitoyens peuvent faire preuve d’un authentique altruisme.

Vous l’aurez compris, je suis favorable à la légalisation et à l’encadrement de la gestation pour autrui en France. Mais il me choque de pouvoir être tenu de ce seul fait pour quelqu’un qui ne réprouverait pas la marchandisation et l’instrumentalisation du corps féminin. J’ai le plus grand souci, comme nous tous ici et tous nos invités, que ces risques soient prévenus. Certains pensent que le seul moyen d’y parvenir est de prohiber la pratique
– je respecte leur position – quand d’autres, dont je suis, pensent qu’à l’ère de la mondialisation, seule une légalisation encadrée le permettra.

Pour ce qui est des dérives financières, pourquoi stigmatiser ainsi la gestation pour autrui quand d’autres pratiques aussi généreuses que l’adoption ou le don d’organes, n’en sont, hélas, pas toujours exemptes ? Il semble simplement que l’on soit plus enclin à fermer les yeux.

La législation varie beaucoup d’un pays européen à l’autre. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Portugal interdisent la gestation pour autrui. La Belgique, le Danemark, les Pays-Bas la tolèrent sans avoir légiféré sur le sujet. La Grande-Bretagne et la Grèce l’autorisent en l’encadrant. Je pense que nous devrions légiférer en ne pointant pas du doigt les « mauvais » pays où cette pratique est autorisée, quand c’est le cas de tant de pays voisins, aux sociétés et aux cultures très proches de la nôtre.

Lors des travaux de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, que j’ai eu l’honneur de présider et dont Valérie Pécresse était la rapporteure, nous avons largement traité de l’intérêt supérieur de l’enfant. Où plaçons-nous cet intérêt quand dans notre pays, les enfants nés à l’étranger d’une maternité pour autrui n’ont jamais qu’une filiation paternelle, seul leur père pouvant les reconnaître ? La question vaut d’être posée alors que nous avons fêté l’an passé le vingtième anniversaire de la signature par la France de la convention internationale des droits de l’enfant.

M. Gaëtan Gorce. Je fais partie de ceux dont l’opinion n’est pas arrêtée sur la gestation pour autrui. Mais les seuls arguments d’autorité ne peuvent me convaincre. Nous convenons quasiment tous qu’il ne peut exister de droit à l’enfant, dont on entrevoit ce qui pourrait en résulter. Mais avec l’aide médicale à la procréation par les fécondations in vitro, le don de gamètes et le don d’embryon, nous avons admis qu’il était légitime que notre société aide à lutter contre la stérilité. Ce n’est certes pas reconnaître un droit à l’enfant, mais cela atténue la portée du refus de cette reconnaissance. La question se pose d’ailleurs maintenant de savoir si le recours à l’AMP ne devrait pas être accessible aussi à un parent isolé. Elle ne peut être écartée.

Nous retrouvons dans ce débat plusieurs des éléments de celui que nous avons eu sur la fin de vie et les droits des malades. À un principe aussi fondamental que celui de l’indisponibilité du corps et au fait que la société ne peut pas, à juste titre, reconnaître un droit à mourir, s’opposaient des demandes individuelles de liberté de choix dans des situations de très grave souffrance. La société doit trancher, et tout en fixant un cadre général, elle est bien obligée de tenir compte des cas particuliers.

Dès lors qu’il peut exister une assistance médicale à la procréation qui ne serait plus strictement motivée par des raisons médicales, mais sociétales, il est normal qu’on débatte de la gestation pour autrui. Si son seul but est de remédier à une infertilité, elle s’inscrit dans le droit fil de ce qui existe jusqu’à présent. Demeure le risque d’une marchandisation – peut-être d’ailleurs exagéré. Il faut réfléchir aux moyens d’y parer. Il faut de même savoir s’il est possible, sur le plan juridique et sur le plan psychologique, que la mère porteuse demeure libre de choisir au dernier moment de conserver l’enfant qu’elle a porté. Les questions sont multiples et ce débat mérite, je le crois, d’être ouvert. Je regrette que le rapporteur ait réagi tout à l’heure avec autant de vigueur et donné un avis aussi tranché.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je voudrais insister sur les risques médicaux encourus par les mères porteuses. Une grossesse et un accouchement ne sont jamais dénués de risques. Israël Nisand a d’ailleurs cité le cas de femmes devenues stériles après avoir perdu leur utérus lors d’une grossesse. Il a fait un parallèle entre la gestation pour autrui et le don d’organes entre vivants, tout en rappelant qu’un donneur de lobe hépatique était il n’y a pas si longtemps décédé dans notre pays après son don. Quasiment toutes les équipes chirurgicales françaises ont arrêté la greffe de foie à partir de donneur vivant après ce décès. Faudra-t-il qu’une mère porteuse perde son utérus ou décède pour qu’on se convainque qu’il faut renoncer à la gestation pour autrui ?

Pour ce qui est des aspects financiers, on a évoqué la rémunération de la mère porteuse, mais rien n’a été dit de celle des intermédiaires, pourtant nombreux. En Californie par exemple, les officines qui mettent en relation parents d’intention et mères porteuses et les hommes de loi qui rédigent les contrats gagnent beaucoup plus que les mères porteuses. L’addition finale est d’ailleurs si élevée que les femmes californiennes qui le souhaitent vont chercher une mère porteuse en Inde ou en Ukraine.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je ne suis pas favorable à la gestation pour autrui. Madame Mehl, monsieur Nisand, ne pensez-vous pas qu’on s’oriente vers un dangereux droit « à la carte » quand on légifère, éventuellement sous le coup de l’émotion, pour répondre à des cas particuliers ?

Devrait-on autoriser la gestation pour autrui simplement pour réparer le très fort sentiment d’injustice que ressentent les femmes dépourvues d’utérus par rapport à celles dont la stérilité peut être traitée par d’autres techniques ? Il me semble qu’il existe une différence fondamentale entre les techniques traditionnelles d’AMP et la gestation pour autrui. Les premières traitent la stérilité au moyen d’un don d’éléments du corps humain, alors que la seconde exige le recours au corps entier d’une personne.

L’argument selon lequel cette pratique devrait être autorisé en France car elle l’est dans certains pays étrangers ne me convainc pas. Pourquoi vouloir systématiquement s’aligner ? Dans beaucoup de domaines, notre législation diffère de celle de pays voisins – je pense au traitement réservé au cannabis, à l’accès aux tests génétiques ou encore aux OGM. Vous paraîtrait-il possible de trouver un « juste milieu » entre l’interdiction totale et la libéralisation totale ? Où placeriez-vous le curseur ? Enfin, comment garantir absolument la liberté de décision de la mère porteuse ?

M. Philippe Vuilque. On parle beaucoup du droit à l’enfant et trop peu, me semble-t-il, des droits de l’enfant. Tout d’abord, ceux de l’enfant né d’une gestation pour autrui, confronté à des problèmes juridiques mais aussi psychologiques, car si cela peut bien se passer, cela peut aussi mal se passer. Ensuite, ceux des propres enfants de la mère porteuse. Je m’inquiète des conséquences que peut provoquer chez eux la disparition soudaine de l’enfant qu’ils ont vu leur mère porter durant neuf mois. Vous l’aurez compris, je ne suis guère favorable à la gestation pour autrui.

M. Michel Vaxès. L’un des écueils me paraît être l’instrumentalisation de la souffrance. Face à une situation source de souffrance, il n’est que deux attitudes possibles : la faire disparaître, fût-ce par un subterfuge, ou l’affronter. Je prendrai l’exemple de l’anonymat du don de gamètes – il n’est pas indifférent que les partisans de la GPA rejoignent, pour une large part, ceux de la levée de l’anonymat. Un enfant conçu avec don peut en souffrir. Il n’est pas question de nier cette souffrance. Elle doit être reconnue. Mais il est deux façons d’y répondre : soit penser l’atténuer en levant l’anonymat, soit aider l’enfant à l’affronter en ne « biologisant » pas la filiation. La biologie assure la reproduction de l’espèce, elle ne fait pas l’homme.

Dans le cas d’une GPA, sans même que l’on tombe dans les excès indécents que chacun réprouve mais qui servent parfois d’écran de fumée, n’oublions pas que s’instaure nécessairement une relation marchande. Dès le départ, une gestatrice accepte par contrat de laisser après l’accouchement l’enfant qu’elle a porté à la mère qui en a souhaité la naissance. Il est inconcevable pour moi qu’un enfant puisse faire l’objet d’un contrat.

Il me semble qu’on glisse insidieusement de l’idée « mon corps est moi » à l’idée « mon corps est à moi ». Il serait dramatique que chacun puisse considérer son corps comme sa propriété. En effet, son corps n’appartient pas à l’individu pour la raison simple que l’homme, c’est le monde de l’homme. L’homme n’existe pas en soi, mais seulement parce qu’il est lié à d’autres individus. Ce sont ces liens qui font l’humanité.

M. Olivier Dussopt. Je signale à notre collègue Michèle Delaunay que j’ai cosigné une tribune en faveur de la GPA avec notamment Dominique Mehl, Caroline Fourest, Elisabeth Badinter et Antoinette Fouque. Il y a donc aussi des féministes favorables à la GPA…

Je regrette, madame Halimi, que vous ayez d’emblée fermé le débat en indiquant qu’il avait déjà eu lieu au Parlement en 1982-1983. Il ne me paraît pas illégitime qu’il soit rouvert aujourd’hui, sans que cela résulte d’une offensive de lobbies.

Une règle, adoptée pour traiter un petit nombre de cas, peut n’en avoir pas moins un caractère universel.

L’argument principal des opposants à la légalisation de la GPA est le risque de marchandisation du corps féminin et de subordination de la gestatrice à la mère d’intention. Mais en quoi le statu quo, où n’existe aucune règle, protégerait-il mieux contre ces risques qu’un encadrement législatif qui précisément interdirait toute contrepartie financière et organiserait la relation entre celle qui porte l’enfant et celle qui veut l’élever ?

Mme Sylviane Agacinski. À ce stade du débat, je souhaite appeler votre attention sur l’américanisation totale de notre vocabulaire sur le sujet. C’est un tribunal californien qui, à l’occasion d’un conflit entre une mère porteuse et les parents qui avaient souhaité l’enfant, a forgé l’expression de « parents d’intention ». Celle-ci a depuis été reprise partout, comme si on savait ce qu’elle désigne, alors qu’elle est née a posteriori de la pratique même des mères porteuses. Qu’est-ce qu’un parent d’intention ? Qu’est-ce qu’un parent biologique, qu’on y oppose désormais ?

Ce n’est pas son enfant que porte la mère porteuse, entend-on dire parfois. C’est méconnaître totalement ce qui se passe au cours d’une grossesse. Henri Atlan a bien montré qu’une certaine idéologie du tout-génétique poussait à croire que l’enfant n’était que le produit de ses gènes. Mais l’embryon n’est pas un enfant dès le départ. Ce n’est qu’après une longue et complexe interaction entre lui et le corps entier de la femme qui le porte – des hormones jouent un rôle-clé dans le développement du cerveau du fœtus, on sait que le fœtus entend bien avant sa naissance et il a été démontré qu’il pouvait rêver en même temps que la mère – qu’il devient un enfant, un enfant de la femme qui le porte. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à René Frydman qu’on est loin de pouvoir un jour fabriquer des utérus artificiels. Il faut être mal informé pour prétendre que la femme qui a porté un enfant et en a accouché peut ne pas en être la mère.

J’entends parler aussi de dérives financières. Mais ce ne sont pas des dérives. La maternité pour autrui implique en soi un dédommagement : elle est toujours et partout un échange marchand. L’encadrer, ce qui reviendrait à la légitimer, ne pourrait qu’asseoir le développement de cette pratique sans interdire en rien les rémunérations ni les « dessous de table ».

Il m’étonne que des parlementaires de gauche qui n’ont souvent pas de mots assez durs pour critiquer le marché et appeler à sa régulation acceptent de laisser s’instaurer un libre marché du corps des femmes. Un rapprochement a été fait avec la prostitution qui est tout à fait éclairant. L’exemple des Pays-Bas et de l’Allemagne le montre : là où elle est encadrée et réglementée, au motif, a-t-on dit, d’éviter les dérives, la prostitution s’en trouve de fait légitimée. Elle devient un « job » comme un autre, exercé par des ouvrières du sexe. Les Eros Centers allemands ou le Quartier rouge d’Amsterdam constituent des pôles d’attraction considérables pour les proxénètes du monde entier. La prostitution s’y pratique dans des conditions abominables, avec notamment de jeunes filles venues d’Afrique sous la contrainte économique.

Il est significatif qu’aux États-Unis, les mères porteuses soient le plus souvent des femmes de couleur, sans diplôme ni formation et sans travail, tandis que celles auxquelles on achète leurs ovocytes sont dans leur très grande majorité blanches et hautement diplômées. Que la mère porteuse soit noire par exemple fait qu’elle apparaît d’autant moins aux parents commanditaires comme la mère de l’enfant à naître.

M. Guy Malherbe. L’humanité n’a cessé depuis des millénaires d’inventer des systèmes de parenté qui ont évolué mais ont toujours imposé des normes aux individus. Elle n’a jamais confié son avenir à l’amour et au seul désir des individus, comme on semblerait vouloir le faire aujourd’hui en laissant les acteurs totalement libres. Est-ce là une évolution inéluctable ? Pensez-vous que tous les systèmes de parenté possibles aient été inventés ? Les bouleversements actuels ne risquent-ils pas de remettre en question la notion même de parenté et, partant, de saper les fondements de notre société – si tant est que ceux-ci résident dans les liens de parenté ?

M. Israël Nisand. L’anthropologue Maurice Godelier, éminent spécialiste des systèmes de parenté, n’est pas défavorable aux mères porteuses.

Vous ne l’avez peut-être pas perçu dans mon propos, mais je suis moi aussi traversé de doutes et conscient des risques. Simplement je pense qu’il y a plus de risques à interdire totalement qu’à s’autoriser à examiner les demandes et à en accepter certaines, ne fût-ce que très rarement. À nous réfugier derrière la posture, au final commode, qui consiste à prohiber, nous acceptons en réalité qu’en cachette tout soit permis – notamment hors de nos frontières. Pourquoi refuser a priori une réflexion difficile pour déterminer précisément ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas ? Nous nous honorerions à avoir le courage de l’engager.

J’ai longtemps été de ceux que la simple idée de l’importance de la transmission génétique choquait. Mais j’ai la chance de connaître mes parents et mes enfants. Je ne me vois pas aujourd’hui dire à mes patients : « Mais pourquoi vous intéressez-vous donc tant à la génétique ? » et mépriser ceux qui veulent un enfant de leur chair. Je me suis rendu compte que cela mobilisait des éléments psychiques très complexes chez les couples et qu’il était important pour beaucoup de s’inscrire dans une lignée, de transmettre à leur tour, maillons d’une longue chaîne, l’héritage biologique qu’ils avaient reçu. En tout cas, je ne m’autorise pas à balayer d’un revers de main la demande des personnes qui souhaitent pouvoir transmettre leurs gènes.

Vous avez dit, madame, que l’encadrement n’empêcherait pas les « dessous de table ». Je pense que c’est faux. Pour le reste, il est injurieux, voire imprécatoire, de comparer la prostitution et la gestation pour autrui. L’imprécation en ce domaine me paraît contraire même à la raison. Les mères porteuses savent qu’on les compare à des prostituées et elles en sont humiliées. Je vous en supplie, arrêtez cette comparaison.

Je suis convaincu que notre pays, s’il le souhaitait, pourrait parfaitement encadrer la GPA. En tant que citoyen, je me demande quelles valeurs justifient cet interdit – interdit que l’on défend avec force, en ayant par exemple prévu des peines extrêmement lourdes pour ceux qui le transgressent. Si on me dit quelles sont ces valeurs, je me rangerai à cet interdit. Pour l’instant, je ne les ai pas trouvées.

M. le président Alain Claeys. Permettez-moi seulement de vous faire remarquer, professeur, que vous étiez beaucoup moins affirmatif lors de votre audition par la mission d’information.

Mme Gisèle Halimi. Je ne voudrais surtout pas être accusée de vouloir empêcher le débat. J’ai, je crois, prouvé l’importance que j’accordais, d’une manière générale, à la confrontation des idées. J’ai seulement fait un rappel historique que je jugeais intéressant. Lorsque la question s’était posée, avec acuité, à l’Assemblée nationale en 1983, nous nous étions alors prononcés à l’unanimité contre les mères porteuses. Personne n’était intervenu pour défendre cette pratique ou prétendre que notre société moderne pourrait s’en accommoder.

J’ai dit aussi que si on acceptait le principe même de la gestation pour autrui, il faudrait alors aller beaucoup plus loin dans la réflexion, car ce serait ouvrir la perspective de la fabrication d’un autre monde même.

Comment combattre la commercialisation ? Il n’est qu’une façon, toujours la même, interdire, pénaliser et condamner en cas de transgression. Que l’interdit puisse être transgressé ne saurait être une objection. Le législateur a le devoir d’édicter les règles de la société dans laquelle nous souhaitons vivre sans se préoccuper de ce qui arriverait si elles n’étaient pas respectées – ou plus exactement, c’est un autre pan de son action que de prévoir les incriminations et les condamnations nécessaires.

Mme Dominique Mehl. Faut-il légiférer sur la gestation pour autrui, se demandent certains ? Mais il existe déjà une loi, qui prohibe cette pratique et place de fait dans l’illégalité un tout petit nombre de personnes. N’est-il pas aussi du rôle de la loi de protéger les minorités ? Pour l’heure, que proposez-vous à cette minorité ?

Je suis convaincue que l’argument de la rémunération et de la commercialisation n’est qu’accessoire chez les opposants aux mères porteuses. C’est vraisemblablement sur un autre plan que leur conscience est heurtée. En effet, ils refusent tout autant un système comme celui du Canada où la gestation pour autrui est entièrement gratuite. Le principe de gratuité, si profondément ancré dans la culture médicale française, pourrait pourtant permettre d’avancer dans notre pays. Ce qui pose problème, c’est bien la définition de la maternité.

M. le rapporteur. Ces échanges très riches nous confirment au président Alain Claeys et à moi-même que avons eu raison d’organiser cette table ronde, même si le futur projet de loi ne comporte pas de disposition sur le sujet.

Je prie le professeur Nisand, que je connais bien et pour lequel j’ai beaucoup d’estime, de bien vouloir excuser ma réaction emportée, tout à l’heure. Mais il y a si longtemps que je l’entends dire qu’il a reçu en consultation la semaine précédente une jeune femme qui a perdu son utérus en couches ! Voilà plus d’un an et demi que nous réfléchissons à toutes ces questions : il n’est pas anormal, monsieur Gorce, à un moment de prendre une position tranchée.

Un mot de la démarche intellectuelle qui a conduit la mission d’information à ses conclusions sur le sujet. Il nous a paru impossible qu’il n’y ait pas de commercialisation dans le cas de personnes totalement étrangères les unes aux autres. Comment une femme pourrait-elle accepter de mettre durant neuf mois son utérus à disposition d’une femme qu’elle ne connaît pas, sans aucune contrepartie financière ? De là, nous nous sommes demandé s’il était imaginable de procéder dans le cadre intra-familial, où pourrait s’envisager un acte de pure générosité. Mais les psychiatres nous ont dit tous les dangers psychiques des brouillages de parenté qui s’ensuivraient et des pressions qui pourraient s’exercer sur les personnes

M. le président Alain Claeys. Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre contribution à nos travaux et de l’écoute dont vous avez fait preuve.

Il est de l’honneur de la représentation nationale de se saisir des sujets qui font débat dans la société, même s’ils ne donnent pas lieu à traduction législative. Cela permet qu’on en débatte ailleurs que dans les médias, de manière plus sereine et plus approfondie.

Table ronde sur l’anonymat du don de gamète

Lors de sa séance du mercredi 1er décembre 2010, la commission spéciale entend M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération nationale des CECOS (centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains), praticien hospitalier à l’hôpital Cochin, M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre, M. Arthur Kermalvezen-Fournis, porte-parole de l’Association Procréation médicalement anonyme (PMA) et Mme Audrey Gauvin, avocate et spécialisée dans le droit de la bioéthique, membre de l’association PMA, M. Christophe Masle et Mme Anne-Catherine Le Roux, respectivement président et membre de l’Association Enfants du don (ADEDD) et Mme Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales

M. le président Alain Claeys. Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Le rapporteur de notre commission spéciale et moi-même avons tous deux estimé important de consacrer une table ronde à l’anonymat du don de gamètes, sujet abordé dans le titre V du projet de loi relatif à la bioéthique qui sera examiné en février prochain. Le texte dispose, ce qui constitue une nouveauté, que l’enfant conçu avec don de gamète peut accéder, à sa majorité, à des données non identifiantes sur son donneur et à son identité, si celui-ci a donné son consentement exprès. Il prévoit qu’une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur sera mise en place auprès du ministre chargé de la santé. Je vous laisse sans plus attendre la parole.

M. Christophe Masle, président de l’Association des Enfants du Don (ADEDD). C’est un grand honneur pour moi que de pouvoir débattre aujourd’hui avec vous d’un sujet sensible, si profondément humain. Je n’ai pas la prétention de m’exprimer au nom de tous les membres de l’association que je préside. Je souhaiterais seulement vous apporter un éclairage retiré de mon vécu de personne conçue grâce à un don de spermatozoïdes ainsi que des données que j’ai pu collecter au sein de l’association.

L’ADEDD, créée il y a bientôt trois ans, a pour mission d’informer, d’accompagner et d’orienter les enfants conçus grâce à des techniques d’assistance médicale à la procréation. Elle s’adresse également aux parents qui se demandent par exemple comment annoncer à leur enfant son mode de conception, aux futurs parents qui s’interrogent sur le vécu des enfants ainsi conçus, aux donneuses et donneurs potentiels de gamètes ou d’embryons. Indépendante et non militante, elle travaille en collaboration avec des professionnels de santé du secteur public et bénéficie de financements du ministère de la santé et de la ville de Lyon, où elle est implantée.

S’agissant de l’anonymat des dons de gamètes, la question se résume trop souvent à « Êtes-vous pour ou contre ? ». Beaucoup s’imaginent que les enfants concernés ont une position nette et définitive sur le sujet. La réalité est beaucoup plus complexe. Tout d’abord, elle ne se pose qu’à ceux qui ont été informés de leur mode de conception – aujourd’hui moins d’un tiers. Ensuite, la question de l’anonymat n’en est qu’une parmi d’autres que certains d’entre eux se posent. Enfin, leur position peut évoluer.

Quelques remarques maintenant sur la manière d’aborder le sujet. En premier lieu, les débats sont plus ou moins confisqués par les experts, tentés pour certains de parler au nom des personnes issues de don, pourtant les premières concernées, et d’imposer leur point de vue. Or, il n’existe pas de vérité absolue en ce domaine. Il serait à mon sens plus fructueux de ne pas nier la singularité des histoires personnelles. Alors que certains souffrent, d’autres vivent parfaitement heureux, sans que leur mode de conception ni l’anonymat de leur donneur ne les préoccupent. Je le constate quotidiennement avec mon petit frère, plus jeune que moi de deux ans et conçu grâce au sperme d’un autre donneur : il ne s’est jamais interrogé sur le sujet. On peut donc, heureusement, a priori pleinement s’épanouir sans s’interroger sur les éventuels bienfaits ou méfaits du principe d’anonymat. Or, on ne parle pas de ces enfants-là, qui ont certes peu à dire, se contentant d’être heureux. Mais c’est comme si, pour les enfants issus d’un don, la norme devait être d’éprouver des difficultés et l’exception de vivre sereinement, à tel point que ceux qui vivent heureux et ne se questionnent pas autant finissent par se demander s’il sont « normaux ».

En second lieu, le vécu des enfants conçus par don – comme les fantasmes relatifs à leur donneur – est intimement propre à chacun, en aucun cas généralisable. Chacun d’entre nous est aussi le produit de son environnement, notamment familial. En ce qui me concerne, mes parents m’ont informé très tôt de mon mode de conception, sur les conseils d’un psychologue des CECOS même si à l’époque, il n’y avait pas de consensus à ce sujet. Et j’ai réussi à me construire dans le cadre de ce principe d’anonymat absolu. À l’annonce de mon mode de conception, qui ne m’a naturellement pas laissé indifférent, je me suis interrogé : Sommes nous nombreux dans cette situation ? Cela fait-il de moi un être différent et si oui, en quoi ? Éprouverai-je plus de difficultés que les enfants conçus naturellement ? Mais s’il est une question sur laquelle je ne me suis pas appesanti, c’est bien celle de l’identité du donneur. N’ayant jamais souhaité le rencontrer ni connaître son identité, ce qui n’était d’ailleurs pas possible, je n’ai pas cherché à combattre le principe d’anonymat. J’ai intégré cette réalité et cherché mes propres réponses. Je suis parvenu à la conclusion qu’il n’y avait pas de réponse préétablie susceptible de convenir à l’ensemble des enfants conçus par don et que chacun devait rechercher son équilibre propre pour espérer atteindre la sérénité.

Enfin, la vie contraint souvent à se construire avec ce qui est – séparation, deuil, handicap ou maladie… –, et non avec ce qui pourrait être ou nous semblerait plus juste. Quel qu’ait été notre mode de conception, nous devons tous nous y adapter. On pense trop souvent, à tort, que les difficultés rencontrées par les personnes issues d’un don proviennent de leur mode de conception. Or, elles sont sensiblement les mêmes que celles des personnes conçues naturellement. Que nous connaissions ou non nos géniteurs, nous avons tous, à un moment donné, éprouvé des doutes quant à notre avenir, rencontré des difficultés relationnelles avec nos parents, nos amis ou la personne qui partage notre vie, pensé que notre vie aurait pu être différente. La part d’inconnu qui nous est propre à nous, enfants issus de don, peut se révéler une richesse. Nous poussant à nous interroger sur nous-mêmes, elle peut nous amener à être au final davantage nous-mêmes – le questionnement n’est pas nécessairement synonyme de difficultés. Elle peut aussi être source de mystère, amenant à penser qu’on ne parviendra à se construire pleinement qu’une fois connue l’identité de son géniteur.

La levée de l’anonymat ne saurait résoudre toutes les difficultés car, conçus ou non par don, les enfants se questionneront toujours sur leurs origines, mais n’est-ce pas là le propre de l’être humain ? On sait aujourd’hui que l’annonce du mode de conception est déterminante sur la façon dont les enfants le vivent. Plusieurs facteurs interviennent. L’âge auquel l’enfant est informé : le plus tôt semble le mieux dans la mesure où cela prévient le sentiment d’avoir été trompé par ses parents. Ensuite, une concertation entre les parents vaut bien entendu mieux qu’une annonce unilatérale. L’entente entre les parents aussi est capitale, de même que le fait qu’ils vivent ou non toujours ensemble. Le poids du contexte familial est parfois beaucoup plus lourd que celui du mode de conception. Joue enfin la façon dont la stérilité a été vécue au sein du couple, notamment par celui de ses membres qui était stérile. Dans mon cas, mon père a pleinement endossé et assumé le rôle paternel, si bien que je n’ai pas eu besoin de chercher ailleurs, notamment en la personne du donneur, ce que j’avais déjà. En tout état de cause, le dialogue est essentiel.

Quelques remarques sur le projet de loi. La première est que notre génération ne sera pas directement concernée puisque la loi ne sera pas rétroactive. Les personnes qui souffrent aujourd’hui de l’anonymat devront « faire avec ». Il ne faut pas les oublier. Si on considère que le dispositif actuel peut créer un mal-être, il faut prévoir un accompagnement.

Ma seconde observation concerne les données non identifiantes. Il ne faut pas se leurrer : leur communication pourra éventuellement en aider certains, jamais elle n’apportera toutes les réponses attendues. Personnellement, hormis l’état de santé du donneur, je ne vois pas la pertinence de données comme l’âge, la catégorie socioprofessionnelle ou la nationalité. Toutes les questions qu’il est normal de se poser après l’annonce de son mode de conception n’appellent pas nécessairement de réponses. Croire que ces réponses se trouvent hors de l’individu, c’est nier sa capacité à en trouver aussi à l’intérieur de lui. Que ces données soient désormais accessibles risque de faire croire aux enfants qu’ils en ont besoin pour se construire alors qu’il existe bien d’autres façons d’y parvenir.

On a trop tendance à présenter la levée de l’anonymat comme LA solution, LE remède à la souffrance de certains enfants. On érige l’anonymat en obstacle non pas à contourner mais à supprimer, alors qu’au fond, plus que le droit à connaître son géniteur, c’est le droit à connaître la vérité sur son mode de conception qui importe. C’est en sensibilisant davantage les parents et futurs parents et en préservant, du moins en partie, le principe d’anonymat, que l’on garantira le mieux ce droit.

Je me veux donc plutôt rassurant : nous ne sommes pas, nous, enfants du don, plus malheureux que les autres. Cessons de nous stigmatiser. Notre seule spécificité réside dans un mode de conception différent – sans lequel, rappelons-le, nous n’aurions pas pu venir au monde.

Mme Anne-Catherine Le Roux, institutrice, membre de l’Association des enfants du don (ADEDD). J’ai été moi aussi conçue par don de sperme. Mes parents me l’ont dit dès mon plus jeune âge et cela n’a jamais posé le moindre problème dans notre famille. Pour moi, mes parents, qui me désiraient très fortement et ne pouvaient avoir d’enfant naturellement, ont fait appel à la science. Ils m’ont toujours expliqué qu’ils ont eu recours à un don de gamètes, pas à une troisième personne.

Il est très important d’accompagner les familles. On observe en effet que les enfants conçus par don et qui en souffrent l’ont souvent appris tardivement.

Certains s’interrogent sur les motivations de leur donneur. Pour moi, elles sont évidentes : c’était une personne sensibilisée au problème de la stérilité, qui a souhaité aider un couple à avoir des enfants. La garantie de l’anonymat est certainement l’une des raisons pour lesquelles il a accepté de faire ce geste généreux et désintéressé.

Je pense qu’il est très difficile pour un père d’accepter sa stérilité. Ma famille a néanmoins réussi à s’épanouir parce que mon père a été rassuré de savoir qu’il serait mon père à part entière sans risque qu’un jour une tierce personne s’immisce dans notre vie. Désormais mère de famille, je me mets à la place de mes parents. Si mes enfants me disaient un jour qu’ils ont besoin d’un tiers pour se construire, j’aurais vraiment le sentiment d’avoir raté quelque chose dans leur éducation pour qu’on en arrive là.

Si l’anonymat est levé, je crains que les enfants ne saisissent le premier prétexte en cas de difficultés avec leurs parents, notamment à l’adolescence, pour faire appel au donneur perçu comme un tiers. Et si celui-ci, sollicité, refuse de révéler son identité, n’est-ce pas pire que de ne pas pouvoir la connaître ? Enfin, si la rencontre se passe mal ou si on ne se découvre aucune affinité avec lui, les effets ne peuvent-ils pas en être aussi très négatifs ?

Je crains aussi que la levée de l’anonymat ne fasse diminuer les dons. Pour ce qui me concerne, je suis disposée à donner des ovocytes seulement si l’anonymat est garanti. Je ne veux pas me sentir coupable de refuser de rencontrer un enfant qui me rechercherait.

Il peut être dangereux aussi pour la famille du donneur que des enfants s’immiscent soudain dans sa vie – sachant qu’il peut y en avoir jusqu’à huit.

Pour moi, un donneur agit par pure générosité et n’attend aucun retour.

Si l’anonymat du donneur n’avait pas été garanti, mes parents m’auraient probablement caché mon mode de conception. Ma mère se sent coupable de penser cela car elle sait combien les secrets de famille sont dévastateurs. Mais elle aurait quand même préféré se taire plutôt que de savoir qu’à ma majorité, j’aurais pu rechercher mon donneur.

M. Arthur Kermalvezen-Fournis, porte-parole de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA). Nous vous remercions de nous avoir conviés à cette table ronde. L’association Procréation Médicalement Anonyme regroupe des personnes issues d’un don mais également des parents receveurs et des donneurs. Leur objectif commun est de parvenir à ce que les personnes conçues par don soient libres de connaître ou non, selon leur souhait, la personne qui leur a permis de voir le jour ou, à tout le moins, de disposer d’informations sur elle. Aujourd’hui, cette liberté n’existe pas car le choix n’est pas possible.

Certaines personnes issues d’un donneur anonyme ne souhaitent pas obtenir d’informations sur leur donneur d’hérédité. C’est leur choix. Le futur projet de loi ne changera rien pour elles. Leur liberté de choix sera respectée.

Il nous semble important de préciser ici, notamment puisque nous sommes en présence d’un pédopsychiatre, d’une part que le projet de loi s’adresse non pas à des enfants, mais à des personnes majeures, demandeuses d’informations, d’autre part que nous ne sommes ni malades, ni patients – n’oublions pas que patient vient du verbe latin patire, signifiant subir/souffrir. Nous sommes grands et nous pensons – nous aussi.

La question n’est pas de savoir s’il y a beaucoup ou peu de personnes qui souffrent de cette situation, si elles souffrent parce qu’elles l’ont appris tardivement ou dans telle ou telle circonstance. Ces tentatives d’explication demeureraient, en tout état de cause, des hypothèses, dans la mesure où il n’existe aucune étude sur ces questions. Le véritable problème est que des pratiques déjà anciennes comme l’insémination artificielle avec donneur (IAD) devraient, comme tout progrès scientifique, être sérieusement évaluées, en particulier parce qu’elles concernent des êtres humains, avant qu’on envisage par exemple de légaliser la gestation pour autrui.

Au moment où la science peut être avide de nouveaux essais, dont certains sont prometteurs, le droit ne doit pas oublier qu’il y a des êtres humains à la clé. S’il est louable de vouloir pallier l’infertilité, est-il nécessaire d’anonymiser les cellules reproductrices, et cela bientôt à plus grande échelle encore, avec la possibilité de vitrifier les ovocytes et ainsi de brouiller toutes les cartes dans une indifférenciation la plus totale ? Cela nous paraît totalement irresponsable. Certains peuvent y trouver un intérêt financier puisque ce qui n’est à personne appartient à tous. Nous, nous revendiquons notre humanité. Nous ne sommes pas issus d’une cellule qui ne vient de personne ni de gamètes interchangeables. Nous pensons, et notre réalité à nous, c’est, selon les termes du psychanalyste Serge Tisseron, d’être "à la fois et à la fois", à la fois le fils ou la fille de nos parents, lesquels nous soutiennent, et le produit d’une autre part d’origine que nous souhaitons connaître. Nommer le don, c’est nous permettre de porter notre prénom et notre nom en toute sérénité. Notre nom, celui de personne d’autre.

Le projet de loi va dans le bon sens. D’une part, il marque un premier pas dans la reconnaissance de la spécificité du don de gamètes et d’embryons par rapport au don de sang par exemple. D’autre part, il propose de laisser le choix à chacun, si bien qu’il ne pourra y avoir de conflits d’intérêts.

La règle de l’anonymat qui avait été adoptée pour préserver l’intérêt des donneurs et des couples receveurs, renforcée par une pratique de l’appariement qui permettait de « faire croire que », ne correspond plus aux souhaits actuels de tous les parents et de tous les donneurs. Dans certains courriers, des donneurs m’avouent n’avoir jamais depuis le jour de leur don cessé de s’interroger sur ce qu’il en était advenu.

En dépit d’avancées, le projet de loi ne mettra pas un terme à nos préjudices. Il crée une grave rupture d’égalité entre les personnes, selon qu’elles seront issues d’un don avant ou après le vote de la loi, que rien ne peut justifier. Seuls les futurs donneurs seront consultés sur leur souhait de demeurer ou non anonymes, et encore pas au moment de leur don mais dix-huit ou vingt-cinq ans plus tard, si l’enfant issu de leur don, devenu majeur, formule une demande. Il n’est pas prévu d’interroger les anciens donneurs, les nôtres. Rien n’est donc prévu pour nous qui demandons pourtant qu’on prenne en compte notre situation.

La souffrance que certaines personnes issues d’un don éprouvent est incontestable : de nombreux psychiatres et psychanalystes l’ont décrite et le Conseil d’Etat lui-même l’a reconnue dans une étude de mai 2009. La CADA, la commission d’accès aux documents administratifs, que certains d’entre nous ont saisie ou s’apprêtent à saisir, a elle aussi souligné la frustration que nous vivons. Le professeur Axel Kahn, plutôt réticent en soi à la levée de l’anonymat, reconnaît toutefois qu’une fois les enfants informés de leur mode de conception, on ne peut rester sourd à leur souffrance.

Interroger aujourd’hui un ancien donneur sur son souhait de demeurer ou non anonyme n’aurait rien de rétroactif. C’est ce qui se pratique pour les femmes ayant accouché sous X. Or, on peut légitimement imaginer que ce faisant, on risque de réveiller chez elles un souvenir douloureux. Tel ne serait pas le cas pour nos donneurs qui n’ont pas été contraints à leur geste mais ont agi par générosité. Par ailleurs, à l’époque où nous avons été conçus, rien ne leur garantissait que leur anonymat serait préservé puisqu’il n’existait aucune loi le consacrant. Il serait facile de les consulter. Il faut toutefois se garder de la fausse bonne idée qui consisterait à leur adresser une lettre-type avec une case à cocher : oui ou non. On ne peut pas leur demander un blanc-seing.

Si aucun d’entre nous n’est en recherche d’un père, nos attentes sont diverses. Certains souhaitent rencontrer leur donneur, d’autres pas. Nos parents, qui nous ont transmis leurs valeurs, ont eu un projet parental décisif pour notre venue au monde, mais nous sommes aussi nés d’un donneur. Il est vain de chercher à opposer ces deux faces de notre origine ou à les hiérarchiser.

Les personnes issues d’un don de sperme peuvent souhaiter plus d’informations sur leur père biologique sans que cela remette nullement en cause les liens qu’elles ont avec leur père social ni leur amour pour lui. Nous ne demandons pas que soit modifié l’article L 311-19 du code civil selon lequel « En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation. »

Chaque personne issue d’un don devrait pouvoir exposer ses motivations, pourquoi pas au travers d’un formulaire Cerfa, et chaque donneur les raisons de son éventuel refus de communiquer son identité.

Par delà notre combat, nous invitons les citoyens et le législateur à défendre une éthique de responsabilité. La société assume-t-elle ce qu’elle a permis de faire ? Le professeur David écrivait en 1984 : « La procréation demeure le refuge de l’intimité et du naturel. L’irruption, dans ce domaine, de la médecine posera peut-être plus encore qu’ailleurs des problèmes difficiles d’interférence du social et du médical. »

Mme Audrey Gauvin, avocate et spécialisée en droit de la bioéthique, membre de l’association Procréation médicalement anonyme. Certaines personnes sont mal à l’aise vis-à-vis de l’AMP avec tiers. C’est leur droit. Mais nous, nous sommes là, bien en vie. Il est grand temps que les médecins et la société assument leurs actes. Nous subissons une situation que la société seule a créée et nous revendiquons la possibilité, comme chacun d’entre vous, de pouvoir simplement nous inscrire dans une histoire. Car nous sommes, comme vous, issus d’une histoire humaine, pas d’une paillette !

Le législateur doit assumer le fait que nous ne sommes pas nés de nulle part: Les CECOS ont mis au point des techniques, des donneurs ont donné des gamètes, cela convenait à des couples infertiles… La directrice générale de l’Agence de la biomédecine m’a dit que nous avions «essuyé les plâtres». Une avancée législative va-t-elle enfin asseoir notre légitimité ou continuera-t-on à nous dénier une part de notre existence ?

Il faut interroger les anciens donneurs. C’est en effet le seul moyen de disposer d’informations médicales actualisées, et donc utiles. Le législateur lui-même a reconnu l’importance de l’information médicale sur nos ascendants biologiques afin de nous garantir une prise en charge médicale appropriée. L’article L 1244-6 du code de la santé publique dispose qu’en cas de nécessité thérapeutique, notre médecin peut accéder au dossier médical du donneur. Pour autant, que vaut ce dossier, dont les données n’ont pas été actualisées depuis le moment du don – plus de trente ans dans notre cas ? Le titre IV du projet de loi qualifie pourtant l’information génétique d’« élément essentiel du soin et de la prévention. » Il serait tout à fait possible d’interroger les donneurs par pli confidentiel sur leurs antécédents médicaux, par exemple tous les cinq ans. Cela pourrait être organisé par la commission d’accès aux données non identifiantes, qui comprendra des médecins.

Le texte prévoit que nous pourrons avoir accès aux données sur l’état de santé du donneur au moment du don. Mais c’est déjà possible. En effet, à ce jour, seule est interdite la communication d’informations qui permettraient d’identifier le donneur. Que le projet de loi organise le recueil et l’accès des données non identifiantes est une bonne chose, surtout vu la disparité des pratiques des CECOS sur l’ensemble du territoire, que la CADA elle-même a soulignée. Il est en revanche intolérable qu’il verrouille cet accès en dressant une liste limitative des données accessibles. Si le texte est voté en l’état, il ne nous sera par exemple jamais possible de savoir si notre frère ou notre sœur ont été conçus avec le même donneur que nous. Trouvez-vous cela normal ? Qui oserait me répéter ici, comme on me l’a dit au CECOS, que cette information ne me concernait pas ? Le projet de loi prévoit également un droit de censure des médecins qui pourront refuser, en conscience, de recueillir certaines données s’ils estiment qu’elles ont un caractère manifestement identifiant. Au nom de quoi les médecins seraient-ils meilleurs juges que nous et le donneur de ce qu’il convient de savoir ou pas ? Nos parents ont certes fait appel au corps médical pour avoir des enfants « d’une autre manière », mais nous ne sommes pas, nous dans une démarche de soins et n’avons pas besoin d’assistance médicale.

Nous proposons un dispositif qui ne ferait pas peser sur les médecins la responsabilité d’éléments qui relèvent de l’intimité des intéressés. Il est regrettable à cet égard que la future commission d’accès aux données non identifiantes ne comporte aucun représentant des donneurs, des couples receveurs ni des personnes conçues par don, qui sont pourtant les intéressés au premier chef.

Enfin, le projet de loi n’aborde pas certains points essentiels, comme celui de la conservation des données. Tous les CECOS détiennent des fichiers de données à caractère personnel sur les donneurs et les couples receveurs, sans que ces fichiers n’aient jamais été déclarés auprès de la CNIL – celle-ci me l’a confirmé dans un courrier du 10 juin 2010. Il faudrait remédier d’urgence à ce grave dysfonctionnement. Ce non-respect de la loi Informatique et libertés n’est pas nouveau. La CNIL en a même connaissance de longue date. En effet, en 1992, des chercheurs du CNRS avaient mené une étude qui, à l’époque avait fait scandale, après s’être procurés auprès d’une banque de sperme de Marseille le nom de 120 enfants conçus par IAD. Ils avaient fait croire aux chefs d’établissement et aux parents d’élèves des écoles où ils s’étaient rendus qu’ils réalisaient de simples tests scolaires. Or, ils l’ont finalement reconnu, ils menaient une recherche destinée à évaluer l’incidence de la congélation du sperme sur le développement mental des personnes issues de don. Le journaliste de L’Express, Charles Gilbert, qui a relaté cette affaire, estimait, quant à lui, qu’il s’agissait d’une étude génétique visant à évaluer l’importance de l’apport génétique masculin en comparant plusieurs enfants issus du même père biologique mais de mère différente. Le magazine indiquait que la CNIL, alertée de cet abus, enquêterait sur la conservation des données personnelles par les banques de sperme. Il est très grave que dix-huit ans plus tard, rien n’ait été fait.

Dans le même registre, nous ne comprenons pas que le projet de loi ne prévoie pas la transmission sans délai – et non pas vingt ou trente ans plus tard, sans aucun contrôle – des données recueillies sur les donneurs à la commission d’accès aux données non identifiantes, au fur et à mesure de leur recueil, étant entendu que cette commission devrait être contrôlée par la CNIL.

Nous nous étonnons enfin qu’aucune limite dans le temps n’ait été fixée pour la conservation des paillettes de sperme ce qui, d’une part, pourrait à terme poser des problèmes générationnels, d’autre part est contradictoire avec l’interdiction du transfert d’embryons post mortem. Nul ne sait ce que deviennent ces paillettes ni à qui profitent les 56 000 conservées à ce jour dans les CECOS, alors que les couples demandeurs, auxquels on fait croire qu’il y a pénurie de donneurs, doivent patienter d’un an et demi à deux ans avant une IAD.

Mesdames, messieurs les députés, les choses doivent changer, les choses peuvent changer, dans le respect des droits et des intérêts à la fois des parents, des donneurs et des personnes issues d’un don. De nombreux pays ont levé l’anonymat. Nous devrions nous inspirer de leur expérience. Il est grand temps que la société assume ses actes et que l’on rende aux personnes issues d’une AMP avec donneur leur humanité.

Nous avons adressé à chacun des membres de votre commission spéciale des propositions d’amendement dont vous nous remercions par avance de prendre connaissance attentivement.

M. le président Alain Claeys. Monsieur le vice-président de la fédération nationale des CECOS, avant de vous donner la parole, je souhaiterais vous poser deux questions. Quelles sont les données en possession des CECOS ? Leur gestion vous paraît-elle satisfaisante ?

M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération des CECOS, praticien hospitalier à l’hôpital Cochin. Lorsqu’un donneur s’adresse à un CECOS, on lui ouvre un dossier contenant son nom et son adresse. Au cours d’un entretien, nous essayons tout d’abord de comprendre comment il a été sensibilisé au problème de la stérilité et quelles sont les motivations de son don. S’ouvre ensuite une phase de recueil de données médicales : nous vérifions les sérologies classiques et effectuons une enquête généalogique. Nous recherchons si dans la famille élargie, incluant les collatéraux et remontant jusqu’à la génération des grands-parents, il n’existe pas de facteurs de risque particuliers. Si une pathologie à risque de transmission génétique est découverte, le donneur est écarté : il en est souvent le premier étonné, quand ni lui ni ses enfants ne sont atteints et qu’il n’était lui-même pas au courant de ce risque. Mais une fois cette information connue, nous ne pouvons pas l’ignorer ni prendre la responsabilité d’attribuer à des couples des paillettes qui ne seraient pas parfaitement sûres. Nous recueillons enfin des données comme l’âge, le nombre d’enfants et leur sexe, la profession, et bien sûr le consentement de la compagne. Ces données-là, d’ordre sociologique, ne sont pas prises en compte lors de l’attribution d’un donneur à un couple.

Dans la mesure où aujourd’hui, deux tiers environ des couples envisagent d’informer l’enfant de son mode de conception, le respect de critères d’appariement donneur-receveur, ce que nous appelions le matching, ne revêt plus la même importance. Au début, nous essayions de faire en sorte que le phénotype du donneur ne soit pas trop différent de celui du père. Nous faisions attention aussi au groupe sanguin, car c’est un moyen très simple de s’apercevoir qu’on n’est pas l’enfant de ses parents sociaux.

Nous pensons, pour notre part, que les données non identifiantes autres que médicales n’ont pas grand intérêt pour ceux qui revendiquent d’y avoir accès.

M. le président Alain Claeys. Comment sont conservées ces données ?

M. Jean-Marie Kunstmann. Après le don, le dossier est anonymisé. Jusqu’à présent, nous avons conservé un lien qui permettrait de retrouver l’identité du donneur. Mais dans la pratique, nous travaillons avec des dossiers qui portent seulement un numéro.

M. le président Alain Claeys. Il n’y a aucun contrôle d’une organisation indépendante sur la conservation de ces données ?

M. Jean-Marie Kunstmann. Non, il faut garder en tête que l’IAD s’est développée au début dans une quasi-clandestinité. Nous avons essayé ensuite de l’en sortir, notamment pour rassurer les couples receveurs. Les attitudes ont beaucoup évolué, en particulier pour ce qui est de l’information des enfants sur leur mode de conception. On pourrait communiquer ces données, mais aussi effacer tout moyen de traçabilité, puisque les seules informations dont la conservation présente un intérêt sont celles d’ordre médical. On pourrait, comme le demandent certains, conserver un contact avec le donneur, afin de permettre une actualisation des données médicales, mais cela n’exige pas de lever l’anonymat. On pourrait conserver de l’ADN, encore que je n’en voie pas l’intérêt. Tout cela relève largement du fantasme car, quel que soit l’intérêt de connaître d’éventuelles prédispositions génétiques et les antécédents familiaux pour orienter une approche médicale, tout diagnostic au final n’est jamais porté que sur l’individu. Le premier réflexe d’un pédiatre devant un nourrisson qui fait une bronchiolite est de demander à ses parents s’ils ne sont pas asthmatiques. Mais quelle que soit leur réponse, c’est sur l’enfant qu’il devra vérifier si l’infection ne provient pas d’un asthme.

Mme Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. J’ai déjà eu l’honneur d’être entendue sur ces sujets par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques puis par le Conseil d’État. Et bien que je n’ai pas été auditionnée par la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, mes travaux sont largement cités dans son rapport.

Sociologue, spécialiste de la famille et de la parenté, j’ai souhaité dresser un bilan de la réflexion sur tous ces sujets. C’est l’objet de mon ouvrage Des humains comme les autres: Bioéthique, anonymat et genre du don, qui vient de paraître.

J’y invite à deux évolutions. La première est de mieux prendre en compte l’évolution de la législation dans les autres pays, non que la France ait, en ce domaine pas plus qu’en aucun autre, à s’aligner aveuglément sur les choix faits par d’autres mais il importe de comprendre pourquoi de grandes démocraties comme la Suède, la Suisse, l’Autriche, l’Islande, la Norvège, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la Finlande qui, comme la France, avaient à l’origine adopté le principe de l’anonymat des dons dans le cadre de l’IAD sont revenus sur ce choix. Ces pays se sont aperçus qu’on avait calqué pour l’essentiel le don de gamètes sur celui du don de sang ou d’organes, sans tenir compte de la particularité de ce don, qui engage en la personne de l’enfant un troisième protagoniste, en sus du donneur et du receveur. Ce ne sont pas des considérations psychologiques sur le vécu des enfants ainsi conçus qui ont amené ces pays à revoir leur législation, mais un souci de respect des droits fondamentaux de la personne. L’anonymisation des dons avait conduit à créer une catégorie d’enfants à part, la seule qui, de par la loi, se voyait privée du droit de connaître à qui ils devaient d’être nés.

Qu’une administration ou une institution médicale détiennent une information sur des personnes, dans des dossiers secrets et inaccessibles aux intéressés, constitue une atteinte grave aux droits de la personne. Depuis une dizaine d’années, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a beaucoup évolué. Dans un remarquable ouvrage auquel M. Kunstmann a d’ailleurs participé, la juriste Laurence Brunet relève que les deux questions de l’état des personnes et de la filiation ont longtemps été confondues. L’une des conséquences en a été qu’aux premières revendications de certains enfants conçus avec don à connaître leurs origines – qui se sont fait jour, cela mérite d’être souligné, dans toutes les démocraties –, on a répondu qu’ils cherchaient à biologiser la filiation. Or, les intéressés eux-mêmes, nous venons de les entendre, le répètent : il ne s’agit en aucun cas pour eux de remettre en cause leur filiation. Aucun des pays qui a levé l’anonymat n’a si peu que ce soit bouleversé les principes de la filiation. Ils ont même conforté la place des parents comme seuls et uniques parents de l’enfant.

La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu qu’il existait diverses situations dans lesquelles plus d’un homme et une femme avaient pu contribuer à la conception, la naissance, l’éducation et, partant, la biographie d’un enfant. Ce sont les situations que nous, sociologues, qualifions de pluriparentalité. Pendant très longtemps, nos sociétés ont choisi de gommer la particularité de l’histoire de ces familles pour en faire des familles « comme les autres ». On cachait aux enfants qu’ils avaient été adoptés dans l’idée de conforter les parents adoptifs dans leur statut. Puis il a été possible aux enfants adoptés d’accéder à leur dossier. On s’est alors aperçu que lever le secret, loin de remettre en cause les parents adoptifs, pouvait magnifier leur geste altruiste.

La Cour européenne des droits de l’homme a peu à peu consacré un droit à la connaissance des origines personnelles, indépendamment de la question de la filiation. Je n’énumérerai pas ici la longue liste de ses arrêts consacrant ce droit. Si notre pays ne modifie pas sa législation sur ce point, il risque une condamnation au niveau européen.

Cette question essentielle de l’anonymat, dont des malentendus faussent depuis des années l’approche, ne peut plus aujourd’hui être laissée de côté. D’autant que dans les pays qui ont abordé le sujet sous l’angle des droits fondamentaux de la personne, derrière cette question a surgi celle de savoir si nos sociétés assument ou non d’avoir su répondre à la tragédie de la stérilité en permettant que des enfants viennent au monde autrement que par un acte sexuel. Nos sociétés doivent assumer cette innovation majeure, plutôt que de continuer à la cacher et à maquiller les conceptions avec donneur en pseudo-procréations charnelles. L’attitude des CECOS a évolué. Du « ni vu ni connu » conseillé au tout début, on est passé, M. Kunstmann l’a dit, à une attitude plus responsable en incitant les parents à informer l’enfant de son mode de conception. Mais notre droit, issu de la loi de bioéthique de 1994, continue, lui, de faire comme s’il s’agissait de procréations charnelles et à créer donc une exception au droit général de la filiation.

M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre. Je vous remercie de m’avoir invité à vous apporter un éclairage de clinicien. Je retire mon expérience des entretiens que j’ai avec les couples consultant dans le cas d’une IAD mais aussi ceux que j’ai avec des couples souhaitant adopter, puisque je dirige une des plus anciennes consultations spécialisées dans ce domaine à Paris.

S’il y a de profondes différences entre l’adoption et la conception avec donneur, il existe aussi des similitudes. La première réside dans la dissociation des paramètres de la filiation : désir, intimité, homme, femme, couple, acte sexuel, fécondation, rencontre des gamètes, embryon, enfant. Cette atomisation ne peut qu’interférer dans la construction de la filiation. Comment un enfant, issu d’un accouplement extérieur dans le cas de l’adoption, d’une rencontre médicalement organisée entre ovule et spermatozoïde dans le cas d’une procréation médicalement assistée, construit-il sa filiation, ce double processus psychique de transformation en père et mère d’un côté, en fils ou fille de l’autre ? Cette transformation ne va pas de soi. Il ne suffit pas d’avoir des enfants pour être parent. Il ne suffit pas de vivre comme enfant dans une famille pour avoir le sentiment d’avoir un père et une mère. La filiation psychique relève d’une construction subjective, et comme toute construction psychique, elle peut ne pas se faire. Elle n’a que peu à voir avec la filiation biologique et la filiation juridique. On comprend mieux, à partir des échecs d’adoption, comme je le montre dans mon ouvrage Destins d’adoptions, ce qui lui permet de s’établir ou non.

Certaines lois, hélas, désorganisent le champ parental. Ainsi en est-il pour l’adoption, de la loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État ayant créé le CNAOP, le conseil national d’accès aux origines personnelles. Revendiquée par les personnes concernées devenues adultes, elle partait d’une bonne intention. Le discours militant que nous venons d’entendre de la part de deux des intervenants précédents n’est pas sans rappeler celui qui était tenu à l’époque. Souvenons-nous qu’on jugeait alors intolérable de laisser 400 000 personnes en souffrance de leurs origines, cri que la presse relayait à l’envi. Or, depuis huit ans, seules 3 600 se sont adressées au CNAOP. L’émotion et la compassion l’avaient emporté, sans que cela corresponde vraiment à la réalité des enjeux. En revanche, ces dispositions ont eu un impact considérable sur les familles adoptives qui se sont vu confisquer par cette loi la possibilité de se présenter comme originaire pour leur enfant et d’assurer la narration de cette origine. L’important est pourtant que les parents portent l’origine de l’enfant : la naissance d’un enfant dans une famille, adoptive ou procréative, n’est possible que par le désir parental. Ce n’est pas d’informatif dont l’enfant a besoin, mais de narratif. Certaines familles adoptives ont été fragilisées par le nouveau cadre législatif, qui a même fait échouer certaines adoptions. Si les couples, qu’ils adoptent ou qu’ils recourent à une assistance médicale à la procréation, sont obsédés par la réalité matérielle, ils ne peuvent plus métaphoriser la présence de l’enfant, élaborer la fiction permettant de faire comme si l’enfant venait d’eux. C’est pourtant ainsi seulement que la filiation peut s’établir, dans les deux sens d’ailleurs. Adoptés ou conçus avec don, les enfants savent qu’une scène originaire a eu lieu ailleurs, de nature différente dans le cas de l’adoption et de l’IAD. Si celle-ci a pu se rejouer dans la famille, alors leurs parents sont bien leurs parents.

M. Hervé Mariton. Le projet de loi prévoit que l’anonymat du donneur pourra être levé si l’enfant en formule la demande et si le donneur a donné son consentement exprès. Il ne dit rien en revanche des parents de l’enfant. Trouvez-vous normal qu’ils soient totalement occultés?

M. Kermalvezen-Fournis a évoqué des donneurs qui s’interrogeaient sur le destin de leur don. Mais n’est-ce pas le propre d’un don que son donneur ne se soucie pas de son devenir ? Sinon est-ce vraiment un don ?

M. Kunstmann a indiqué que l’appariement des phénotypes était moins systématiquement recherché. Est-on vraiment indifférent aux couleurs de peau par exemple ? Pose-t-on la question aux parents ?

Enfin, n’y a-t-il pas toujours une incertitude dans la quête de ses origines ? L’un de nos collègues avait posé cette question lors d’une précédente table ronde : est-on toujours absolument certain que le donneur de sperme est bien le père de l’enfant ?

Mme Marietta Karamanli. Quelles ont été les conséquences de la levée de l’anonymat décidée dans d’autres pays ? Des études font état d’un recul du nombre de donneurs.

M. Guy Lefrand. J’ai du mal à prendre position sur le maintien ou la levée de l’anonymat du don de gamètes, et cette table ronde ne fait que renforcer mon hésitation.

Mme Le Roux nous a dit : « Mes parents ont fait appel à un don de gamètes, pas à une troisième personne. » C’est bien là la question essentielle. S’agit-il seulement d’un don de cellules, aussi importantes soient-elles, ou d’un processus de procréation avec une troisième personne ? Une fois cela tranché, tout le reste devrait logiquement en découler.

La levée de l’anonymat dans les pays étrangers a-t-elle entraîné une diminution des dons ?

N’existe-t-il pas un risque réel d’inceste si le recours à ces techniques se développe ?

Si la loi prévoit que l’anonymat peut être levé avec l’accord du donneur, la jurisprudence ne risque-t-elle pas, au nom du droit à la connaissance des origines personnelles, de conduire à une obligation de connaître cette identité ? Comment éviter cette dérive ?

M. Jean-Marie Kunstmann. Certains privilégient une approche philosophique, d’autres une approche juridique. Je voudrais partir, moi, de l’humain. Nous n’avons pas voulu dans les CECOS révolutionner la société ni proposer je ne sais quelle utopie, mais simplement aider des couples en difficulté à concevoir des enfants « autrement ». Que nous disent ces couples ? « Transmettre la vie, est-ce seulement transmettre de l’ADN ? », « Notre constitution génétique n’est-elle pas le résultat d’une loterie, où des milliards de combinaisons étaient possibles mais où au final, nous sommes tous différents, uniques, imprévisibles et inprogrammables ? », « Transmettre la vie, n’est-ce pas d’abord désirer un enfant, exercer une paternité au quotidien, construire une relation affective, transmettre des valeurs, des repères ? » Ces couples aujourd’hui ne cherchent plus à « faire comme si » mais s’inscrivent dès le départ dans la perspective d’une paternité différente, qui sera révélée à l’enfant.

Les donneurs de sperme, qui sont souvent par ailleurs donneurs de sang ou de moelle, ont une conscience particulière de la chance d’avoir pu procréer et se disent que s’ils s’étaient trouvés dans l’incapacité de le faire, ils auraient apprécié de pouvoir bénéficier d’un don. Ils considèrent leur don comme un contre-don de celui que la nature leur a fait. Ils relativisent aussi la part de la génétique : « J’ai plusieurs enfants, tous différents, bien que, je pense, tous issus de mes spermatozoïdes », nous disent-ils, ou bien encore « La paternité, c’est l’investissement au quotidien dans la relation avec ses enfants. », « Je ne donne que des cellules, je n’ai pas de projet d’enfant. », « Je ne suis rien dans l’histoire de ces enfants qui est celle du couple qui les désire. » « Si je donne par altruisme, ce ne peut être que de façon anonyme. Sans anonymat, j’entrerais en responsabilité, et cela je ne le veux pas. » L’anonymat permet de dépersonnaliser les gamètes, ce qui facilite leur réinvestissement et leur humanisation par le couple receveur.

Pourquoi la question de l’anonymat se pose-t-elle aujourd’hui ? D’une part, quelques enfants demandent qu’il soit levé, au nom du droit à la connaissance de ses origines personnelles – position que je respecte. D’autre part, la législation ayant évolué en ce sens dans plusieurs pays, notamment d’Europe du Nord, il semble inéluctable qu’il en aille de même chez nous. Tout cela sous un diktat sociétal de transparence et avec l’idée d’une parfaite traçabilité génétique, désormais possible grâce à des tests. La question de la connaissance de ses origines s’est d’abord posée pour les enfants nés de mères ayant accouché sous X ou adoptés dans d’autres conditions. Mais ces situations sont très différentes de celles des enfants conçus avec donneur. En effet, pour les enfants adoptés, il existe une première histoire qu’on ne peut gommer, alors que le donneur de gamètes, lui, n’a jamais eu de projet d’enfant.

Depuis leur création, les CECOS ont permis la naissance de 50 000 enfants. Moins d’une centaine d’entre eux demandent aujourd’hui la levée de l’anonymat. Le faible nombre de ces demandes n’est certes pas une raison de les ignorer. Mais il faut chercher à comprendre ce qui est en jeu. Il n’est pas besoin d’avoir été conçu avec don de sperme pour être confronté à de difficiles questions concernant ses origines.

La majorité des couples qui se sont lancés dans un projet d’IAD dans les années 70-80 souhaitaient « faire comme si » et garder le secret. Il était presque inimaginable à cette époque d’informer son entourage, même proche, de sa stérilité et de son intention de recourir à un don de sperme. Des hommes craignaient qu’avouant leur situation à leur père, celui-ci ne refuse de reconnaître l’enfant à naître comme son petit-fils ou sa petite-fille !

Les CECOS ont vite compris les risques liés au secret. Nous avons alors fait un travail considérable pour expliquer aux couples que c’était une très belle aventure, digne d’être racontée et autour de laquelle ils pourraient construire. La loi de 1994 nous a beaucoup aidés car elle marquait la reconnaissance par la société de la possibilité de fonder une famille « autrement », sur un autre modèle de paternité.

Les enfants qui revendiquent aujourd’hui de connaître leurs origines ont été conçus à cette époque révolue. Nous ne pouvons pas reprendre chacune des histoires, mais nous connaissons la majorité d’entre elles. La plupart du temps, le secret a été révélé dans un contexte de tensions au sein du couple ou de séparation. On comprend que, dans ces conditions, où la révélation a pu être utilisée pour dévaloriser le père, cela n’ait pu qu’être mal vécu.

Les donneurs aujourd’hui s’inquiètent de pouvoir être confrontés à des enfants en souffrance de représentation paternelle. Ils craignent que ceux-ci du coup ne surinvestissent leur personne de donneur et cela, ils ne le veulent pas.

Les enfants qui vont bien et ne sont pas en manque de représentation de leurs origines, ils l’ont dit, ne souhaitent pas rencontrer leur donneur. Ils refusent notamment de confronter l’image d’un père reconnu et valorisé à celle du donneur, conscients d’ailleurs que cette confrontation serait sans doute source de davantage d’ambiguïtés qu’elle n’apporterait d’éclairages.

Les CECOS ont pris conscience de la nécessité d’accompagner les couples au-delà de la conception et de la naissance de l’enfant. Nous les incitons désormais à nous revoir pour que nous puissions les aider au mieux, notamment dans l’annonce aux enfants de leur mode de conception.

Mme Audrey Gauvin. Puisque vous avez dit connaître nos histoires, Monsieur Kunstmann, pouvez-vous me raconter la mienne et celle de mes parents ?

M. Jean-Marie Kunstmann. Nous ne sommes pas ici pour traiter de cas individuels.

Mme Audrey Gauvin. Vous ne connaissez pas notre histoire.

Vous classez les enfants conçus avec don en deux catégories, ceux qui vont bien et ceux qui iraient mal. J’imagine que vous nous classez dans la seconde. Vous préférez attaquer nos parents plutôt que de reconnaître votre responsabilité car c’est bien vous qui avez créé les conditions du secret. Lorsque mes parents se sont adressés dans un CECOS au professeur Albert Netter, on leur a accordé un rendez-vous d’une demi-heure où on leur a dit de ne pas avoir peur, qu’on ferait en sorte que le donneur ait les mêmes caractéristiques physiques que le père, comme si l’acte qu’on leur proposait pouvait susciter une réprobation morale. Dès lors que l’institution médicale proposait un appariement, alors même que nos parents ne le demandaient pas, elle créait les conditions du secret.

Chacun s’accorde maintenant à considérer qu’il ne faut pas garder le secret. Mais il est difficile et frustrant pour les parents de révéler à un enfant son mode de conception sans pouvoir lui en dire plus. Dès lors que nous savons que nous avons été conçus par don, nous ne pouvons que nous interroger par exemple sur d’éventuels demi-frères ou demi-sœurs.

Nous aimons nos parents. Ils en sont si sûrs qu’ils soutiennent notre combat. Nous ne sommes pas en recherche d’un père. Que le donneur n’ait pas eu un projet d’enfant, tant mieux ! Car pour ce qui me concerne, je n’ai pas le projet d’avoir un nouveau père. Le mien me convient et je l’aime.

La levée de l’anonymat pourrait-elle faire baisser les dons ? Ce n’est pas ce que l’on a constaté en Grande-Bretagne ni dans d’autres pays. En Grande-Bretagne, le nombre de donneurs de sperme était de 346 en 1992. Il n’était plus que de 251 en 2005, année de levée de l’anonymat, mais il était déjà tombé à 224 l’année précédente. Et en 2008, il était remonté à 396, supérieur donc à ce qu’il était en 1992.

Si la levée de l’anonymat n’a pas diminué les dons, elle a en revanche modifié le profil psychologique des donneurs. Ils sont en général plus âgés, ont des enfants eux-mêmes plus âgés, et disent effectuer par leur don un geste solidaire, citoyen et responsable.

M. Philippe Vuilque. Ne serait-il pas bon d’attendre le retour d’expérience des pays étrangers, pour l’analyser avec tout le recul nécessaire ?

M. Noël Mamère. Si autant de pays, notamment européens, ont décidé de lever l’anonymat, c’est vraisemblablement qu’on y avait relevé des effets néfastes, à tout le moins contre-productifs, de cet anonymat. Ces pays ont sans doute aussi pris en compte l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit à la connaissance de ses origines personnelles. Tout cela doit nous inciter à réfléchir.

Mme Irène Théry. Il est intéressant de regarder ce qui s’est passé en Grande-Bretagne, où l’anonymat a été levé en 2005, et où s’étaient alors exprimées les mêmes craintes qu’en France aujourd’hui, notamment quant à une possible diminution du nombre de donneurs. Outre que ces craintes se sont révélées infondées, ce pays a considéré en octobre 2009 qu’il n’était pas allé assez loin dans la reconnaissance des droits des personnes et a permis que non seulement les enfants, s’ils le souhaitent, puissent connaître à leur majorité l’identité de leur donneur, mais que celui-ci aussi puisse obtenir des informations sur ce qu’il est advenu de son don : combien d’enfants en sont nés ? Quand ? De quel sexe ? Ainsi le donneur n’est-il plus considéré comme un simple fournisseur de matériau biologique de reproduction. Dès la page d’accueil du site de la HFEA (Human Fertilization and Embryology Authority), ce changement d’approche est perceptible. On s’y adresse en effet à la fois aux couples receveurs, aux enfants et aux donneurs, ce qui est une reconnaissance du rôle de chacun dans cette collaboration à trois pour aboutir à une naissance.

La question aujourd’hui en France est de savoir si, près de quarante ans après la création des CECOS, on continue de faire des parents qui y ont eu recours et des enfants qui en sont nés des « semi-clandestins » de notre système de parenté. L’écart est d’ailleurs grandissant entre les pratiques des CECOS et les prescriptions de la loi de 1994. Alors que les CECOS incitent désormais les couples à ne pas cacher à leur enfant comment il a été conçu, la loi en reste, elle, au « ni vu ni connu ».

La levée de l’anonymat, aussi bien en Grande-Bretagne qu’en Suisse, n’a pas fait diminuer les dons, au contraire. On l’avait craint, à la lumière de ce qui s’était passé en Suède où les dons avaient chuté, faute sans doute de l’accompagnement nécessaire. Il faut dire que la Suède avait été pionnière, levant l’anonymat dès 1985.

Mme Anne-Catherine Le Roux. L’une des conséquences de la levée de l’anonymat dans ce pays a été que les parents n’informent plus les enfants de leur mode de conception. Personne ne vient consulter les registres de donneurs.

M. Arthur Kermalvezen-Fournis. Chercher à connaître son donneur est une démarche intime, très personnelle. Si je rencontre mon donneur, je n’irai pas le crier sur les toits. Les statistiques ne devraient même jamais en avoir connaissance. Je ne vois pas pourquoi on tiendrait des registres de ceux qui ont formulé la demande, de ceux qui ont rencontré leur donneur, de ceux qui se sont arrêtés en chemin dans la démarche. Cette rencontre ne regarde que moi, mais elle est nécessaire pour construire la fiction qu’évoquait M. Lévy-Soussan. Mieux vaut que dans cette fiction, tous les personnages soient présents !

Un point commun de toutes les personnes conçues par don membres de notre association est que leurs pères ne sont jamais pris pour leurs géniteurs. L’histoire de nos parents est celle de personnes qui ont eu recours à un tiers pour avoir des enfants. Sur le plan symbolique, le garçon que je suis ne peut qu’être ravi que son père n’ait pas eu à faire l’amour avec sa mère pour le concevoir… Ce qui est invraisemblable est que dans une technique visant à concevoir des enfants, ceux-ci aient été oubliés. Beaucoup prétendent avoir des réponses pour nous, souvent mauvaises, notamment lorsqu’on prétend vouloir nous protéger. Pour notre part, nous avons une infinité de questions et nous continuerons de les poser inlassablement. Nous savons que cela dérange et que nous sommes devenus un poil à gratter, mais nous ne cesserons pas de l’être.

Mme Edwige Antier. Pédiatre ayant longtemps travaillé en maternité, je comprends parfaitement que certains souhaitent connaître leurs origines, d’autres non. Cela étant, il faut savoir que, vu le nombre de personnes réunies dans cette salle aujourd’hui, statistiquement il y en a au moins une qui n’est pas le fils ou la fille de son père et ne le sait pas. Comme nous l’a rappelé Axel Kahn lors de sa dernière audition, par le passé, environ 10 % des enfants n’étaient pas de leur père. Avec les progrès de la contraception, ce pourcentage est tombé à 3 %. Mais dans les maternités, alors qu’on procède à des tests de dépistage de nombreuses maladies génétiques en prélevant une goutte de sang au talon de l’enfant, on continue de ne pas déterminer son groupe sanguin. Il s’agit, d’une règle éthique à laquelle se conforment tous les médecins par crainte du désordre que le résultat pourrait provoquer dans les familles.

Une fois franchie cette étape dans la communication de leurs origines aux personnes conçues par don qui le souhaitent, et je peux comprendre ce souhait, je crains que l’étape suivante ne soit d’autoriser la recherche de paternité pour tous. En France, celle-ci n’est aujourd’hui possible que sur décision judiciaire, alors que dans beaucoup de pays, les tests génétiques de paternité sont autorisés librement. Si on a des doutes sur sa paternité ou sa filiation, il est très facile aujourd’hui de prendre un cheveu et de l’envoyer, en Suisse par exemple, à un laboratoire dont on aura trouvé les coordonnées sur internet et qui en examinera l’ADN.

M. Michel Vaxès. Je suis choqué d’entendre certains dire « nos pères ». On ne cesse d’affirmer qu’il n’y en a qu’un, tout en disant qu’il y en a un second. Pour ma part, je pense qu’il n’y en a qu’un et il ne m’intéresse pas de savoir s’il est ou non le père biologique. Quel ressort psychologique peut expliquer cette quête biologique chez certains ? Ce qui m’inquiète en cette affaire, c’est la biologisation de la filiation, et cela n’importe pas seulement pour la question en objet, mais toutes celles que nous aurons à aborder lors de cette révision des lois de bioéthique.

M. Arthur Kermalvezen-Fournis. Je ne sais pas, madame Antier, si vous auriez tenu les mêmes propos si ma mère s’était trouvée en face de vous. Je les trouve insultants. Peut-être certaines femmes couchent-elles avec n’importe qui. Mais ma mère n’a pas couché avec un donneur. Nous sommes dans un cas de figure très différent. La loi m’interdit pour l’instant d’avoir accès à mes origines. Elle ne dit rien des adultères et des enfants qui ont pu en naître.

Mon père m’a dit en avoir assez qu’on parle toujours du donneur, comme s’il avait tout fait, alors que c’est lui qui s’est investi au quotidien dans mon éducation. Le vrai père, c’est celui qui est présent auprès de l’enfant. Il n’y a pas de doute là-dessus. Simplement, nous cherchons à connaître l’homme qui a rempli la fonction biologique de reproduction que notre père n’a pu remplir. Il ne s’agit pas de « biologiser » la filiation ni la paternité. C’est tout de même un comble que l’on nous suspecte de « biologiser » quoi que ce soit, car si des personnes ont bien été « biologisées », c’est nous, puisque sans les biologistes, nous ne serions pas là.

M. Christophe Masle. Nos parents ont seulement eu recours à une technique médicale. Cela n’a rien à voir avec une quelconque « biologisation ».

Je ne me pose pas la question du risque d’inceste. Je sais qu’elle en taraude d’autres, comme l’idée de croiser son donneur dans la rue. C’est quelque chose à quoi je n’ai jamais pensé. Il y a plus d’enfants conçus naturellement au cours d’une relation adultère que d’enfants conçus par don ! Il y a derrière tout cela beaucoup de fantasmes.

L’important, c’est de prendre le temps du dialogue avec les parents et de les accompagner. L’annonce à un enfant de son mode de conception n’est jamais évidente. Je dois avouer que même pour moi qui aujourd’hui le vis sereinement, cela n’a pas été facile. J’ai eu divers fantasmes comme celui que mes parents n’avaient jamais eu de relations sexuelles. Chaque cas est unique et on ne pourra jamais faire que du « cas par cas ».

Nous qui sommes invités ici sommes privilégiés car nous avons été informés de notre mode de conception. Quid de tous ceux qui l’ignorent ? Quid aussi de tous ceux qui en ont été informés mais se moquent de cette question de l’anonymat ou non du don – c’est le cas, je l’ai dit, de mon petit frère ? Le plus important est de parvenir à vivre sereinement sans demeurer prisonnier de notre mode de conception. Je voudrais témoigner que c’est possible.

M. Jean-Marie Kunstmann. Je reviens un instant sur les expériences étrangères. En Suède, premier pays à avoir levé l’anonymat, on a observé dans les années qui ont suivi, une baisse drastique du nombre des donneurs, mais surtout une modification des pratiques. Beaucoup de couples suédois se sont adressés au Danemark où l’anonymat était toujours préservé et les demandes sur le sol suédois ont diminué – elles sont aujourd’hui trois fois moindres qu’en France. Et, comme cela a été dit, les couples sont désormais moins nombreux à informer leurs enfants. Aucune demande d’accès à l’identité du donneur n’a encore été enregistrée. Alors que le souci était celui d’une plus grande transparence, on en arrive à des pratiques plus occultes. C’est la preuve que pour légiférer efficacement, il faut aussi tenir compte des comportements et des aspirations des acteurs concernés.

En Grande-Bretagne, il y a eu une forte baisse des dons dans un premier temps, puis après d’intenses campagnes d’information, leur nombre est remonté. Mais là aussi, les comportements ont changé. D’après une récente enquête du Guardian, les donneurs souhaitent désormais que leur don ne serve pas à donner naissance à plus d’un ou deux enfants, par crainte d’être confrontés un jour à une tribu s’immisçant dans leur vie. La HFEA relève qu’en dépit d’un nombre de donneurs en augmentation, les délais d’attente s’allongent et que des couples se rendent à l’étranger, non seulement du fait de ces délais plus longs mais aussi pour bénéficier d’un don anonyme. L’autorisation d’accès à l’AMP pour les femmes seules ou homosexuelles change aussi la donne.

En France, selon notre enquête, 80 % des donneurs et 92 % des demandeurs approuvent le principe de l’anonymat. Si celui-ci était levé, 60,6 % des donneurs renonceraient à leur don et 25% des demandeurs à leur projet de recourir à un don de gamètes. On ne sait pas ce qu’ils feraient s’agissant de l’information des enfants sur leur mode de conception, mais il est probable que, comme à l’étranger, ils seraient plus enclins à garder le secret.

Soit notre société est capable d’accepter une parentalité qui ne soit pas fondée sur le lien biologique, comme les donneurs et les couples receveurs sont prêts à le faire, auquel cas il faut maintenir le principe de l’anonymat. Soit elle considère qu’on ne peut pas gommer le lien biologique, et il faut alors lever l’anonymat pour tous. Le projet de loi fait une proposition intermédiaire cherchant à concilier les intérêts et les aspirations de tous. La société ne fixe plus la règle, les acteurs se débrouillent comme ils peuvent. Les enfants peuvent demander, s’ils le souhaitent, à connaître leur donneur, et celui-ci accepter ou non de révéler son identité.

Les donneurs sont inquiets. Nous avons beau les assurer que la loi ne sera pas rétroactive et que de toute façon, ils ne pourront pas être identifiés s’ils ne donnent pas leur accord exprès, ils ne souhaitent pas même se trouver dans la situation, qu’ils jugent culpabilisante, d’avoir à dire oui ou non. En effet, nous disent-ils, si on nous pose la question, c’est qu’une personne derrière attend. Et ils n’ont pas envie de vivre cela. Voilà aussi un vécu humain et psychologique à prendre en compte avant de légiférer.

Quelle que soit la façon dont il a été conçu, chaque individu est confronté à la question de ses origines. Il doit faire avec l’histoire de ses parents et de leur rencontre, beaucoup dépendant aussi du récit qui en est fait.

M. Pierre Lévy-Soussan. Sur le plan juridique, on a toujours recherché un équilibre entre liens du sang et liens sociaux et psychiques. Il y a une grande ambivalence : certaines jurisprudences privilégient les premiers, d’autres les seconds.

À ceux qui prétendent que la levée de l’anonymat du don de gamètes n’aurait pas de conséquences juridiques, je ferai observer que la loi de 2002 instituant le CNAOP a eu des incidences importantes en matière de filiation adoptive. Plusieurs jugements d’adoption ont été cassés après le vote de cette loi, comme dans la désormais célèbre affaire Peter. La personnification du gamète ne serait pas non plus sans conséquences. Tout d’abord, elle pourrait donner un statut au donneur. Le Québec a ainsi décidé que le nom du donneur figurerait sur le livret de famille dans le cas de couples de même sexe s’engageant dans une procréation. Cela ouvre la voie à une pluriparentalité, laquelle peut être multiple avec un donneur de sperme, une donneuse d’ovocyte, une prêteuse d’utérus… Jusqu’à présent, la référence dans l’AMP a toujours été un couple hétérosexuel, infertile, dont les deux membres sont vivants et en âge de procréer. Il suffit de changer un seul de ces paramètres pour que l’édifice s’effondre et que la construction de la filiation ne soit plus possible. La personnification du gamète saperait la construction psychique du parent. Même anonyme, certains parents ont déjà du mal à se l’approprier. Quand des pères stériles nous disent en consultation qu’ils ne pourront jamais être « tout à fait le père » de cet enfant, nous essayons de les aider à dépasser ce fantasme du biologique, hélas extrêmement prégnant dans la société. Ce ne pourrait qu’être encore plus difficile si le gamète était personnifié. L’anonymat dans les IAD est un rouage essentiel de la réappropriation indispensable par le couple.

Ne faisons pas croire à une catégorie d’enfants que leurs origines sont extérieures à leur famille car l’origine de l’enfant est toujours portée par son père et sa mère. Tous les enfants, conçus naturellement, avec don ou adoptés, sont un jour confrontés à la question de leurs origines. L’important en l’espèce n’est pas l’information, mais bien la mise en parole de leur histoire. Et si la filiation a pu s’établir comme il faut, la réponse est que c’est à leur père et à leur mère, et à eux seuls, qu’ils doivent d’être nés.

M. le président Alain Claeys. Mesdames, messieurs, je vous remercie. Votre éclairage sera précieux à nos débats sur le titre V du projet de loi.

Audition de M. René Frydman, professeur des universités, gynécologue, chef de service à la maternité Antoine Béclère, membre de la Commission nationale de la naissance

Séance du jeudi 16 décembre 2010

M. le président Alain Claeys. Comme l’a fait avant elle la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, cette commission spéciale accueille aujourd’hui le professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique et du pôle « Femme Couple Embryon Enfant » à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, professeur des universités, responsable de l’équipe « qualité des gamètes et implantation » à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et auteur de nombreux ouvrages. Il a également été membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) entre 1986 et 1990.

Monsieur le professeur, nous souhaiterions connaître votre position sur les trois questions qui retiennent plus particulièrement l’attention de la commission spéciale : la recherche sur l’embryon, pour laquelle le projet de loi maintient le principe de l’interdiction assortie de dérogations ; l’anonymat du don de gamètes, dont traite le titre V ; et la gestation pour autrui (GPA), sujet que n’aborde pas ce projet mais sur lequel nous avons néanmoins jugé utile de nous pencher. Il serait intéressant également que vous nous disiez quelles seraient les conséquences de l’autorisation de la vitrification d’ovocytes, un thème qui vous tient particulièrement à coeur.

M. René Frydman, professeur des universités, gynécologue. La question la plus importante pour les médecins et les chercheurs demeure celle de la recherche sur l’embryon, dont il faut redéfinir le cadre général. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut distinguer la recherche de l’innovation clinique et thérapeutique, et l’exemple de la vitrification des ovocytes est précisément l’un de ceux qui peuvent le mieux illustrer mon propos.

Les premières congélations d’ovocytes ont été réalisées, grâce à la méthode dite de congélation lente, pour préserver la fertilité de femmes soumises à des traitements anti-cancéreux et leur conserver l’espoir d’enfanter un jour. À partir de 1985, est apparue dans les publications étrangères une nouvelle technique, pratiquée notamment par des équipes japonaises, la vitrification, qui semblait donner de meilleurs résultats. Souhaitant la tester, nous avons déposé des projets de recherche comparative auprès des instances habituelles, l’Agence de la biomédecine (ABM), l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le ministère. Ces trois projets en sont restés au stade de l’étude juridique. En effet, l’interprétation faite des textes aboutit à assimiler nouvelle méthode de conservation et création d’embryons pour la recherche.

Aujourd’hui donc, en France, et contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins, la vitrification d’ovocytes n’est toujours pas pratiquée. Cet exemple montre que l’innovation est impossible : dès que l’on souhaite apporter des modifications en amont, aux milieux de culture ou aux techniques de conservation, c’est assimilé à de la recherche, donc interdit. Et, en l’occurrence, il y a paradoxe puisque la méthode n’est pas condamnée : en juin, l’ABM, qui ne s’est jamais prononcée sur la vitrification des ovocytes, a autorisé cette même technique pour les embryons déjà constitués, dans le cadre d’un projet parental !

Il faut donc distinguer la recherche de l’innovation. La recherche, dont les visées sont cognitives, ne s’inscrit pas dans un projet parental. Elle doit satisfaire à un certain nombre de conditions, en termes d’objectifs, de recueil du consentement, etc., pour être approuvée. L’innovation consiste à apporter des modifications pour améliorer un résultat. Elle s’appuie sur des recherches, déjà effectuées en France ou ailleurs, sur des données cliniques ou sur l’expérimentation animale, tous pré-requis pour passer à l’application chez l’homme. Elle pourrait faire l’objet de démarches particulières, de demandes d’autorisation spécifiques, dans le cadre d’une procédure transparente. Mais elle serait identifiée comme telle, distincte de la recherche, dont les objectifs sont différents. Cela permettrait d’éviter des blocages tels que ceux que nous connaissons aujourd’hui.

En quoi cette nouvelle technique de vitrification est-elle intéressante ? Vous savez que la France connaît une pénurie de dons d’ovocytes, avec 4 000 demandes annuelles pour 250 recueils d’ovocytes en 2008. Les demandes augmentent à mesure que s’élève l’âge de la procréation et que se multiplient les familles recomposées : nombre d’entre elles proviennent désormais de femmes dans la quarantaine. Or plusieurs mesures permettraient de faciliter ces dons. La première consisterait à mener de larges campagnes d’information. La deuxième serait d’accorder une véritable reconnaissance aux donneuses et de faire en sorte qu’elles soient mieux indemnisées – elles ont souvent à faire l’avance de leurs frais de médication et de transport – sans entrer pour autant dans un système de rémunération dont je pense, après réflexion, qu’il serait délétère.

La congélation des ovocytes, dont l’efficacité a été démontrée par une publication espagnole établissant que, sur 300 ovocytes vitrifiés, les résultats en termes de fécondation et d’implantation étaient identiques à ceux obtenus grâce à des ovocytes « frais », serait un autre élément facilitant les dons. Elle permettrait de préparer et d’effectuer le transfert d’ovocytes dans le calme, en le déconnectant du don. Dans la pratique, la concomitance des deux actes crée une tension difficile à gérer pour les receveuses comme pour les équipes médicales. L’avenir sera sûrement à la création de banques publiques d’ovocytes, soumises aux règles habituelles d’anonymat – si celui-ci est maintenu – et de non-commercialisation. L’évolution serait identique à celle que nous avons connue pour le don de sperme : avant la création des Centres d’études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), l’insémination artificielle se pratiquait dans le cabinet du médecin, immédiatement après le passage d’un donneur « furtif ».

Par ailleurs, il faudrait mener une réflexion sur l’âge et la maturité exigés des donneuses. La loi de 1994 impose qu’elles soient déjà mères, le dispositif ayant été calqué sur celui des CECOS dans lequel l’homme, pour donner son sperme, doit être père et avoir obtenu l’accord de sa compagne. L’un des arguments avancés pour justifier ce choix était qu’une jeune femme pourrait se trouver dans une situation difficile si, après avoir donné ses ovocytes, elle devenait stérile sans jamais avoir enfanté. Ce point, à ma connaissance, n’a pas été réexaminé lors des débats sur la révision de la loi. Abaisser l’âge du don permettrait de disposer de davantage d’ovocytes et aurait un autre avantage : plus la donneuse est jeune, plus le transfert a de chances de succès. Mais cela supposerait de lever la crainte qui a inspiré le choix de 1994 et je pense qu’une des façons d’y parvenir – en même temps d’ailleurs que d’inciter au don – serait d’offrir à ces jeunes femmes l’assurance de pouvoir disposer pour elles-mêmes, en cas de nécessité, d’une partie de leurs ovocytes ainsi congelés. C’est une clause qui n’existe pas dans les pays voisins, et qui, je crois, vaut la peine d’être examinée.

Pour en revenir à la question de la recherche sur l’embryon, je pense que le régime actuel est très préjudiciable. Dans la pratique, il aboutit à ce que les jeunes chercheurs se montrent réticents à s’engager sur un terrain considéré comme « sulfureux » et où, de surcroît, ils risquent de se heurter à un butoir, le moratoire expirant en février 2011.

Il peut être nécessaire de regarder ce qui se passe au niveau de l’embryon, voire d’analyser un certain nombre de ses composantes, avant de le transférer chez la femme et d’obtenir une naissance. Ainsi, les débuts de la fécondation in vitro (FIV) en France ont nécessité que l’on observe la façon dont se développaient les embryons dans les trois premiers jours suivant la fécondation. Il y a donc eu des études sur des embryons hors projet parental. Le paradoxe, aujourd’hui, est que l’on interdit la recherche sur l’embryon, mais que l’on autorise la recherche sur l’enfant né. C’est ainsi que des recherches ont été menées sur les enfants issus d’une injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), méthode développée dans le doute, faute d’avoir pu en analyser toutes les étapes.

Les innovations, en particulier pharmaceutiques, supposent que l’on effectue d’abord des recherches sur l’animal mais, même si les résultats de celles-ci se révèlent positifs, le passage à l’homme comporte toujours un risque. Nombre de médicaments ont ainsi dû être retirés du marché en raison de leurs effets constatés, comme le Distilbène. Il peut donc être nécessaire, je le répète, de réaliser des études sur les embryons, et sur des embryons qui ont tous les attributs de la vitalité embryonnaire – étant bien entendu qu’elles en requièrent un très petit nombre et qu’elles doivent, à chaque fois, être justifiées.

Les règles actuelles créent surtout un climat de méfiance, dont les conséquences sur le dynamisme de la recherche, sur le progrès scientifique et sur le développement de brevets n’ont pas été bien mesurées.

J’en viens à la question des mères porteuses, qui renvoie à l’éternel débat sur les rapports entre science et éthique : toute découverte scientifique ne doit pas forcément être exploitée, toute nouvelle technique ne doit pas forcément être appliquée. Cela fait dix ans que l’on sait reconnaître le sexe du foetus dès la septième semaine, sans geste invasif, par une prise de sang maternel. Pour autant, comme le veut la loi, il n’est fait usage de cette possibilité que dans le cas de pathologies. Aucune dérive n’a été constatée. Cela montre que, même si c’est une gageure, les applications peuvent toujours être contrôlées.

Qui sont les personnes fragiles dans cette affaire de gestation pour autrui ? Même si je suis bien placé pour mesurer leur souffrance – je rappelle que 50 % des couples engagés dans un essai de FIV n’auront pas d’enfant –, je ne pense pas que ce soient les femmes stériles. Les personnes fragiles, ce sont celles qui entreront dans un système d’exploitation.

Ce sera peut-être de leur propre gré. Mais, que je sache, elles n’assiègent pas le Parlement en clamant : « Je veux porter un enfant ! ». Accepterait-on que des personnes vendent, parce qu’elles le veulent, un œil ou un rein, fût-ce « dans de bonnes conditions » ? Les bonnes conditions n’existent pas. Une grossesse, une naissance n’ont rien d’anodin. Quant à autoriser une GPA soft pour une cinquantaine de femmes par an, cela ne résoudrait absolument pas le problème de la stérilité, et affaiblirait extraordinairement notre position sur le plan des principes.

La GPA n’aboutit à rien d’autre qu’à l’aliénation de la femme, à son exploitation, à son utilisation au profit d’une autre. Je suis résolument pour le maintien de son interdiction sur notre territoire. La France devrait même prendre l’initiative d’une campagne internationale pour l’élimination de cette pratique.

S’agissant de l’anonymat du don de gamètes, je pense qu’offrir la possibilité à l’enfant majeur d’avoir accès à des informations sur le donneur, si celui-ci y a consenti, respecte la liberté des deux. Cela suppose bien entendu que les parents informent l’enfant des conditions de sa conception, ce qui demeurerait de leur entière responsabilité.

L’un des arguments opposés par l’Académie de médecine à la levée de l’anonymat est qu’elle inciterait les parents à « ne pas dire », qu’elle renforcerait paradoxalement le secret, comme on le constate en Suède où peu d’enfants demandent à connaître leur père génétique. D’un autre côté, tout se passe comme si l’on souhaitait que les parents ne cachent pas à leur enfant qu’il est né d’un don mais sans aller plus loin. Si l’on incite les parents à informer l’enfant des conditions de sa conception, la cohérence voudrait qu’alors on lève l’anonymat. Or beaucoup de parents vivent bien le secret, ce qui se comprend quand on connaît le parcours d’un couple confronté à la stérilité et à l’attente.

Une autre objection consiste à dire que la disposition proposée aboutira à créer deux catégories d’enfants, les uns ayant droit à connaître leurs origines, les autres non. Mais que se passe-t-il dans la « vraie vie » ? Tant que l’on ne demandera pas un pedigree à chaque naissance, beaucoup d’enfants demeureront dans l’ignorance de leurs origines génétiques. Il ne s’agit pas de traquer le père biologique !

En définitive, la disposition inscrite dans le projet de loi me semble à la fois respecter la liberté des parents, dont la position sur cette question des origines sera déterminante pour la suite, celle de l’enfant, qui souhaitera ou non accéder à la connaissance de ses origines, et du donneur, qui aura ou non accepté de donner son identité. Pour qu’une procédure aboutisse, il faudra que ces quatre volontés, ces quatre libertés se conjuguent. Je n’ai pas d’opposition à cette proposition, que je trouve intéressante.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Sur la GPA, votre position est claire. Je ne crois pas, d’ailleurs, que les voix en faveur de la légalisation de cette pratique seront très nombreuses dans notre commission. Approfondissons plutôt le débat sur la recherche sur l’embryon et sur l’anonymat du don de gamètes.

Selon vous, il faut sortir de l’hypocrisie qui consisterait à dire que ce n’est pas une expérimentation sur l’embryon que de le congeler : le premier chercheur qui a tenté cette technique de conservation sur un embryon a, de fait, pratiqué une recherche sur un embryon destiné à naître. Sauf à figer définitivement toute recherche en vue d’améliorer la procréation médicalement assistée, il faudra cesser d’interdire de toucher à ce qui est destiné à naître. C’est davantage un principe de précaution scientifique qu’une opposition éthique qui motive la vitrification de l’ovocyte. D’ailleurs, il existe un paradoxe que vous avez souligné : la vitrification de l’embryon est, elle, admise.

La mission d’information sur la révision des lois de bioéthique a proposé, pour sa part, que toutes les expérimentations puissent être menées dans ce domaine, de façon très encadrée, sous des conditions de fiabilité, de reproductibilité et de qualité.

Vous avez fait, sur le don d’ovocytes, une proposition inédite et fort intéressante. Ce don n’est en rien comparable au don de sperme, puisqu’il nécessite une stimulation ovarienne et une ponction, et comporte un risque médical. S’il ne s’agit pas de le rémunérer – sauf à entrer dans un engrenage à l’espagnole, où les ovocytes proviennent de femmes pauvres –, il faut l’indemniser et le reconnaître. Nous avons passé en revue toutes les solutions – diplôme, lettre de reconnaissance du Président de la République, médaille, avance des frais–, mais celle que vous nous proposez mérite que l’on s’y arrête. Offrir à une femme jeune qui n’a pas encore procrée la possibilité de conserver une partie de ses ovocytes et lui garantir ainsi une absence de stérilité ultérieure peut constituer une motivation très forte pour la donneuse potentielle, surtout lorsque l’on sait que le désir de maternité survient de plus en plus tard, à des âges de moindre fertilité. Cette proposition a aussi le mérite de réserver cette possibilité aux donneuses d’ovocytes, et non pas de l’ouvrir à toutes les femmes, ce qui reviendrait à utiliser la médecine à des fins de confort psychologique.

Je continue à penser que l’embryon destiné à naître peut aussi, dans certains cas, faire l’objet de recherches. Mais il ne peut s’agir de recherche purement fondamentale. Elle doit être ciblée, et viser à améliorer la qualité de l’embryon. Il faudra voir comment distinguer cette recherche, qui devrait faire l’objet d’un encadrement très strict, de la recherche sur la cellule souche embryonnaire, qui devrait être plus largement autorisée. Pensez-vous aussi que la cellule souche n’est pas de même nature que l’embryon, dans la mesure où elle en est seulement une partie et qu’à partir d’un certain stade, elle n’est plus totipotente ?

M. le président Alain Claeys. Concrètement, cela signifie-t-il que les recherches sur des lignées de cellules souches embryonnaires importées devraient être autorisées ?

M. le rapporteur. Je pose la question sans donner la réponse : je tâtonne. Mais, comme l’a dit Axel Kahn, un embryon et une cellule souche ne sont pas de même nature, tout comme un embryon destiné à naître n’est pas de même nature qu’un embryon destiné à ne pas naître.

M. le président Alain Claeys. Il ne faudrait pas nous trouver dans une situation délicate, où l’importation de lignées de cellules souches embryonnaires serait autorisée quand la recherche sur des cellules souches embryonnaires obtenues à partir d’embryons surnuméraires resterait soumise à une procédure dérogatoire.

M. le rapporteur. Au dire des chercheurs, le système interdiction/dérogation entrave la recherche sur les cellules souches. D’un autre côté, personne ne souhaite que la recherche sur l’embryon aboutisse à des « essais d’homme », comme disait le professeur Mattei, à manipuler le devenir d’un être humain. Comment donc trouver un système qui maintiendrait nos valeurs – la recherche ne doit pas mener à la modification d’une destinée humaine – tout en autorisant la recherche sur les cellules souches embryonnaires ?

Permettez-moi de poser une question simple et manichéenne au professeur Frydman, avec lequel je crois être, sur ce point, quelque peu en désaccord : qu’est-ce qu’un don de gamètes ? Si l’on estime que l’affectif et l’éducatif l’emportent sur le génétique, que c’est son environnement familial, social et culturel, et non son génome, qui fait l’homme, il faut considérer le don de gamètes simplement comme un don biologique, destiné à favoriser la naissance d’un enfant chez un couple stérile. Dans ce cas, je suis favorable au maintien de l’anonymat : l’histoire de l’enfant, c’est celle qu’on lui crée.

Mais on peut aussi accorder au génétique une grande importance, en considérant que les gamètes prédestinent l’enfant, que la transmission des gènes emporte plus que celle des critères phénotypiques, qu’elle inclut celle des talents et du caractère. Dans cette hypothèse – que je ne fais pas mienne –, j’estime qu’il faudrait, sauf à accepter de se défaire d’une part intime de soi, se refuser même au don.

Tout dépend de ce que les parents choisissent de dire à l’enfant né d’un don de gamètes. Ils peuvent lui expliquer que la science est simplement venue les aider dans leur projet, injectant des gamètes comme elle injecterait des molécules – la parentalité est alors claire et établie. Mais si l’enfant comprend, dans une vision déterministe, que quelqu’un lui a transmis, avec ses gènes, un peu de sa destinée, il n’aura de cesse d’accéder à ses origines et se sentira obligé de connaître cette part de son histoire.

Sur le papier, la solution prônée par le projet de loi est satisfaisante : elle procède d’une conjonction de libertés. Mais la GPA nous a appris que la liberté d’adultes consentants peut n’être qu’apparente, et contraire à l’éthique.

M. Gaëtan Gorce. De quel point de vue doit-on se placer pour aborder la question de l’anonymat ? Si le don a été effectué dans le but de permettre à un couple stérile d’avoir un enfant, il me semble que c’est cet enfant qui doit être au centre de nos préoccupations. Or il a droit, comme n’importe quel autre enfant, à connaître ses origines.

Doit-on considérer que son origine génétique « existe » juridiquement et qu’elle fait partie de son histoire ? Il est difficile de répondre par la négative : l’enfant ne serait pas là si le don n’avait pas été effectué. Cela perturbe-t-il la relation de parentalité ? Dès lors que l’enfant a été informé du mode de sa conception, on peut considérer que l’entourage familial a pris ses responsabilités et fait son choix. Cela remet-il en cause le statut des parents ? Je pense plutôt que ce sont le secret et l’anonymat qui pourraient induire un doute sur la réalité du rapport établi entre parents et enfant. Si le don n’est pas considéré comme un acte purement « technique », mais reconnu comme ayant une valeur juridique et humaine – la décision prise par un individu de contribuer à la naissance d’un enfant –, il est alors normal de conférer au donneur un statut et de permettre à l’enfant de le connaître, pour autant que la société ait clairement précisé le rôle de chacun.

Je ne peux que récuser l’idée selon laquelle le droit à connaître ses origines perturberait l’histoire familiale ou l’éducation de l’enfant, et qu’il faudrait, par conséquent, le nier. Au contraire, il s’agit d’un élément de cette histoire, qu’il faut pouvoir intégrer.

La seule question qui reste alors est de savoir si la levée de l’anonymat peut être un élément de nature à freiner les donneurs, comme cela a pu être observé ailleurs. Pensez-vous qu’elle pourrait aboutir à un tarissement des dons ?

D’autre part, novice sur ces sujets, j’ai découvert, en écoutant les représentants des CECOS, que ces centres travaillaient à des appariements, afin de garantir une ressemblance entre le donneur et le futur père, entretenant, en quelque sorte, la fiction selon laquelle l’enfant serait bien issu biologiquement de son père. Cette pratique vous semble-t-elle acceptable ? J’avoue avoir été perturbé, pour ne pas dire choqué, par cette information.

Enfin, dès lors que l’on a accepté l’idée que des tiers puissent intervenir dans la conception d’un enfant, on a ouvert la porte à un certain nombre de questions et d’interrogations. Diverses techniques de procréation médicalement assistée ont été mises en œuvre pour les femmes stériles. Pourquoi la GPA, dans la mesure où elle est le seul recours permettant à des femmes privées d’utérus d’avoir un enfant, ne serait-elle pas admise ? La seule raison qui pourrait conduire à écarter cette pratique serait l’impossibilité démontrée de garantir l’indépendance de la femme qui prête son utérus. Une ouverture extrêmement limitée, sous contrôle et sous des conditions thérapeutiques très particulières, ne pourrait-elle protéger le corps de la femme de toute instrumentalisation ? J’avoue me poser beaucoup de questions…

M. Michel Vaxès. N’y a-t-il pas lieu de clarifier le concept d’origines ? Si l’on se place du point de vue de l’homme comme espèce animale, la notion est purement biologique. Si l’on parle des origines d’un être en tant que personne humaine, c’est une valeur historico-sociale qui est en jeu. Or, selon qu’on adopte l’une ou l’autre définition, nos réponses à la question de l’anonymat ne seront pas les mêmes. Quelle est l’opinion du professeur Frydman sur ce point ?

Mme Martine Aurillac. J’avoue être séduite par l’idée que des libertés puissent se conjuguer. Mais si l’on considère l’intérêt de l’enfant, le seul qui vaille en définitive, ne doit-on pas craindre que le jeune homme ou la jeune fille né d’un don de gamètes soit considérablement perturbé en apprenant que le donneur refuse de le rencontrer ?

M. René Frydman. L’embryon est-il, ou non, destiné à donner naissance à un enfant ? Là est pour moi la distinction fondamentale. Dans les deux cas, il peut y avoir étude et expérimentation, mais dans des cadres différents. L’embryon qui n’est pas destiné à naître sera détruit et c’est dans ce seul cas qu’il peut y avoir aujourd’hui prélèvement de cellules souches embryonnaires et production de lignées, à ma connaissance...

M. le rapporteur. C’est parce que l’embryon va être détruit qu’on peut procéder à un prélèvement de cellules, qui va le détruire.

M. René Frydman. En effet, c’est parce qu’il n’y a plus de projet parental et que ceux qui auraient pu en être porteurs ont accepté que l’embryon soit détruit qu’il peut y avoir prélèvement de cellules souches. La question de l’intention, du projet parental, est donc cruciale. Pour autant, dans ce cadre, tout n’est pas permis : l’utilisation est soumise à des règles, notamment scientifiques.

Deuxième cas : l’embryon est destiné à naître. Le cadre est autre, mais n’exclut pas l’innovation. Comme à tout âge de la vie, il peut y avoir recherche clinique. Mais innovation n’est pas expérimentation. En 1986, avant de procéder aux premières fécondations in vitro, il est bien évident qu’on a observé pour vérifier que les embryons décongelés se développaient, que n’apparaissait pas telle ou telle « monstruosité » dans les premiers jours. Certes, on ne l’a pas fait des centaines de fois, comme il aurait fallu, mais c’était nécessaire pour franchir le pas et, sinon pour valider la méthode, pour avancer vers cette validation, et cela supposait bien entendu d’informer les couples.

Bien faire la différence entre l’embryon faisant l’objet d’un projet parental et l’embryon qui n’en fait pas, ou plus, l’objet, permettrait de clarifier bien des choses.

La question de l’anonymat fait matière à débat : il n’y a pas de bonne solution – on ne peut espérer que choisir la moins mauvaise, sachant qu’on se heurtera toujours à des situations délicates, comme celle du donneur qui ne veut pas savoir ce que son don est devenu, ou du père qui abandonne la mère enceinte. Mais la vie est faite de ces situations parfois éprouvantes. Un enfant désireux de retrouver un donneur qui entend, lui, rester inconnu aura peut-être du mal à accepter ce refus. Cependant, beaucoup dépendra de la façon dont on aura préparé la révélation.

En tout cas, si la loi doit valider cette hypothèse du « cumul des libertés », il faudra bien veiller à ce que celles-ci ne puissent s’exercer rétrospectivement. J’ai personnellement accouché des femmes sous X, puis constaté vingt-cinq ans plus tard que quelqu’un était venu consulter le dossier pour retrouver leur identité, ce qui m’a placé en porte-à-faux. On ne devra pouvoir disposer que pour l’avenir.

Je ne sais pas comment pratique le CECOS en matière d’« appariement ». Pour ma part, tout mon effort de ce point de vue se borne à éviter qu’il y ait entre les parents et l’enfant une différence visible – ce qui se limite dans les faits à une différence de couleur de peau, la couleur des yeux ou des cheveux étant affaire secondaire pour la plupart des couples. Cela vaut aussi bien pour le don de sperme que pour le don d’ovocytes.

M. le rapporteur. Lorsqu’il y a don de gamètes, qu’est-ce qui est transmis ?

M. René Frydman. Je pense qu’il n’y a pas de réponse à cette question. Dans le cas d’un transfert d’ovocytes, j’explique à la femme qu’elle va porter un enfant, en accoucher, l’élever, etc., et qu’en ce sens, elle sera incontestablement sa mère. Mais on ne peut pas faire abstraction de la donneuse qui a agi consciemment, et regarder l’ovocyte comme un simple matériau. Il y a ici aussi intention et cette intention ne peut compter pour rien. Cela étant, quelle importance relative accorder à l’élément génétique ? Il y a, en face, tout le développement à venir de l’enfant, dans la relation à sa mère... Et la femme vivra sans doute la situation plus facilement que l’homme dans la mesure précisément où elle porte l’enfant à naître, où elle vit la maternité dans son corps – où elle est reliée à l’enfant.

S’agissant de la gestation pour autrui, le point central à considérer est la non-indépendance de la femme qui « se prête » et il faut donc analyser soigneusement ses motivations. Aime-t-elle être enceinte ? Ce n’est pas interdit et, malheureusement, on n’empêchera jamais certaines femmes de multiplier les grossesses, puis de donner leurs enfants à la DASS. Veut-elle rendre service à autrui ? Rien dans ce cas n’empêche l’adoption de ces enfants. Mais une grossesse et un accouchement peuvent s’accompagner de complications, il peut y avoir césarienne, hémorragie… Le problème majeur est d’ordre psychique : convaincue de participer à une aventure commune, la mère porteuse aspire à être admise au sein d’une sorte de famille élargie, mais se trouve fréquemment rejetée quand l’enfant est né. Il en résulte alors des dépressions profondes.

Si, comme les partisans de la GPA le soutiennent, celle-ci n’est pas une affaire d’argent, la motivation ne peut être qu’affective. Or, une fois l’enfant né, certains couples à tout le moins n’auront qu’un désir : se retrouver seuls avec leur enfant en oubliant les conditions de sa venue. C’est donc une situation à haut risque, qui aboutira à valoriser le seul génétique, dans la mesure où cette entreprise ne tend qu’à avoir un enfant de soi. C’est un désir qui peut se comprendre, mais on ne peut accepter qu’il se réalise au prix de la liberté d’une autre personne.

M. Jean-Yves Le Déaut. La distinction entre recherche et innovation me semble intéressante. Il y a, dans notre pays, quelque 150 000 embryons surnuméraires dont une grande partie ne font plus l’objet d’un projet parental. Se priver de la possibilité d’expérimentation à partir de ces embryons en déshérence relève d’une hypocrisie. Cela étant, on peut comprendre la réticence des chercheurs à s’engager dans cette voie, dans la mesure où, comme vous l’avez dit, ils ne sont pas assurés de pouvoir poursuivre leurs travaux pendant une durée suffisante. Que l’on puisse mener des recherches cliniques sur l’homme à tous les âges excepté aux premières étapes de la vie, voilà qui est difficile à justifier, et qui mérite en tout cas réflexion. Je partage donc votre avis sur ce point.

Pour autoriser les dons d’ovocytes de la part de jeunes femmes qui n’ont pas encore été mères, vous avancez un argument qui me semble inédit, à savoir qu’on pourrait réserver une partie des ovocytes à leur profit, pour le cas où elles en auraient besoin par la suite. Mais n’en va-t-il pas de ces ovocytes comme des embryons, qu’on ne peut plus réimplanter après cinq ans ? Peut-on les conserver indéfiniment ? Supposons une donneuse de vingt ans : peut-elle espérer utiliser ses ovocytes quand elle en aura quarante ?

Enfin, le recours à la médecine prédictive n’est pratiquement autorisé en France que dans le cadre du diagnostic préimplantatoire, mais elle offre bien d’autres possibilités, comme on le voit aux États-Unis. Où doit-on placer le curseur ?

M. Philippe Tourtelier. En conservant pour leur usage une partie des ovocytes donnés par de jeunes femmes, on les ferait bénéficier d’une sorte d’« assurance fertilité ». Mais cela peut aboutir à ce que des gens de soixante-dix ans et plus aient des enfants de dix-huit ans. Dispose-t-on d’études sociologiques sur les effets d’une éducation dispensée par des parents âgés ?

Puisque l’on en revient à la question de l’inné et de l’acquis, ne pourrait-on définir l’humanité comme le mouvement qui nous éloigne du déterminisme biologique, même si nous ne pouvons en faire abstraction ? Né d’un don, doit-on être obsédé par la recherche de ses origines ? Ceux dont ce n’est pas le cas ne se préoccupent guère, il me semble, des caractères génétiques de leurs parents. Les croisements ont d’ailleurs été tels qu’on trouve, dans la même famille, des petits et des grands, et des gens aux aptitudes très diverses. Dans ces conditions, une telle quête des origines semble assez vaine…

Enfin, je suis en désaccord avec notre collègue Gorce quand il dit que c’est l’enfant qui est au centre de la démarche. Ce qui importe, c’est la relation entre ses parents et lui, sans laquelle il ne saurait se construire. Or je crains qu’avec le dispositif prévu pour la levée de l’anonymat, on ne crée les conditions de secrets de famille qui, comme la psychanalyse nous l’apprend, sont sources de troubles.

M. Patrick Bloche. Les partisans de la gestation pour autrui – que je préfère appeler « maternité pour autrui » – mettent en avant des cas où tout s’est bien passé. Vous faites état d’expériences différentes, mais la situation n’est-elle pas la même avec l’adoption, où l’emportent souvent l’altruisme et l’éthique du don, mais parfois aussi l’intérêt financier ? De ce fait, à l’heure de la mondialisation, et alors que la GPA est tolérée, voire autorisée par la loi dans certains pays, une légalisation strictement encadrée ne serait-elle pas en définitive plus efficace pour éviter l’instrumentalisation du corps féminin et pour combattre la marchandisation qu’une interdiction que certains parents, poussés par le désir d’enfant, contournent en se rendant à l’étranger ? Cependant, je vous sais partisan du maintien de l’interdiction : ne croyez-vous pas qu’à tout le moins, il conviendrait de faire évoluer la législation sur la filiation pour permettre à ces enfants nés à l’étranger d’avoir, à leur arrivée en France, deux parents ? En effet, à l’heure actuelle, ils n’ont qu’un père pour l’état civil.

M. Philippe Vuilque. Quelle est votre position sur l’implantation post mortem, monsieur le professeur ? Par ailleurs, plutôt que de parler d’indemnisation des donneuses d’ovocytes, ce qui pourrait conduire à des dérives, il me semble qu’il vaudrait mieux utiliser le mot « compensation ».

En ce qui concerne l’anonymat, nous pourrions bien nous trouver bientôt confrontés à une législation européenne discordante. Donc, même si je suis assez d’accord avec votre idée de « conjonction de libertés », prenons garde à ce risque de conflit juridique.

Mme Jacqueline Fraysse. La levée de l’anonymat pose à l’évidence problème. Certes, on ne peut compter pour rien l’intention du donneur, mais cette intention n’est-elle pas avant tout celle de fournir à un couple les moyens d’avoir l’enfant qu’il désire, et de l’élever en tant que parents ? D’autre part, connaissons-nous vraiment nos origines biologiques et nous en préoccupons-nous quand nous avons eu la chance d’avoir des parents qui ont bien veillé sur notre développement ? Enfin, les gens qui ont bénéficié d’une greffe cardiaque peuvent avoir envie d’exprimer leur reconnaissance à la famille qui a autorisé le prélèvement de cet organe sur un proche, qui peut être un enfant de vingt ans perdu dans des circonstances cruelles. Or, nous avons jusqu’ici considéré que ce n’était pas souhaitable.

J’entends donc bien toutes les préoccupations légitimes exprimées sur le sujet mais, à ce stade de ma réflexion, il me paraît que la levée de l’anonymat soulèverait plus de difficultés qu’elle n’en réglerait. Avez-vous des arguments de nature à me faire reconsidérer cette position ?

M. René-Paul Victoria. Si les embryons sont destinés, les uns à donner naissance à un enfant, et les autres à être détruits, quel peut bien être alors le statut de l’embryon ? Et comment qualifier, au regard de ce statut, les destructions auxquelles on procède ?

Mme Valérie Boyer. Ce serait sans doute un progrès considérable si, avec la création de banques d’ovocytes, les donneuses pouvaient, comme vous le préconisez, bénéficier, non pas d’une « assurance contre la stérilité » – mais, après tout, la vaccination contre le papillomavirus n’en est-elle pas une ? –, mais de la possibilité de sauvegarder et de transmettre leur patrimoine génétique. Outre que cela les placerait à égalité avec les hommes qui peuvent déjà recourir à la banque de sperme, cette garantie de pouvoir disposer soi-même, au besoin, de ses gamètes constituerait une compensation appréciable – le terme est en effet préférable à celui d’indemnisation –, mais aussi un élément de motivation. Je souhaite donc que l’examen de la loi soit mis à profit pour créer rapidement ces banques. Quant à la crainte que certains ne deviennent parents à soixante-dix ans, elle me paraît vaine : si le dispositif est bien encadré, de tels cas resteront exceptionnels.

M. René Frydman. On ne peut pas conserver indéfiniment les embryons inutilisés, monsieur Le Déaut : d’où la limite de cinq ans, en l’absence d’opposition des parents. Sur les 150 000 que vous avez mentionnés, 70 000 à 80 000 font l’objet d’un projet parental et ne peuvent donc être comptés comme surnuméraires ; sur le reste, un tiers a été mis par les parents à la disposition d’autres couples, un tiers est destiné à la destruction et un tiers à la destruction avec possibilité de recherche. Mais le problème n’est pas le même pour les ovocytes : tout paraît indiquer qu’il en va d’eux comme des spermatozoïdes, qui peuvent être utilisés après vingt-cinq ans de congélation.

L’objection tenant au fait qu’on pourrait devenir mère à un âge avancé ne tient pas. Dans sa sagesse, la loi française fixe une limite à la possibilité d’utiliser un embryon pour un projet parental en fonction de l’âge physiologique de la femme : à partir de la ménopause, mais plutôt à partir de 48 ou 49 ans, rien n’est plus possible.

La médecine prédictive est certainement promise à des développements importants, avec la mise au point de nouvelles méthodes non invasives d’étude du fœtus. Nous n’en resterons pas à l’amniocentèse ! Se pose donc la question de savoir qui faire bénéficier de ces progrès et que rechercher. On sait déjà, par exemple, déterminer le sexe et le groupe rhésus du fœtus, mais on ne le fait qu’en fonction d’indications médicales précises. D’autres choses vont devenir possibles, y compris de connaître le génome, et il va donc falloir, dans ce domaine aussi, réfléchir aux limites à poser.

S’agissant de la recherche des origines, rappelons-nous d’abord que l’interdiction suscite le désir tandis que l’autorisation n’est pas toujours exploitée. C’est peut-être parce qu’il nous est loisible d’interroger nos parents que nous ne le faisons pas ! Quant aux parents eux-mêmes, on ne peut les obliger au secret. Lorsque nous avons débuté le don d’ovocytes – c’était avant la loi de 1994 –, il leur était possible d’opter pour ou contre l’anonymat, à l’entrée dans le dispositif – ce qui n’était pas tout à fait la même chose que le système de « double guichet » actuellement proposé. 15 % des couples bénéficiant d’un don choisissaient, une fois informés, le non-anonymat et leur enfant était donc destiné à pouvoir connaître l’identité de la donneuse – amie, tante, etc.

M. le rapporteur. Il s’agissait donc d’une liberté différée, acquise par l’intermédiaire des parents, et l’enfant pouvait, dans le cas contraire, reprocher à ceux-ci leur choix.

M. René Frydman. C’est vrai, mais on naît toujours avec une histoire et dans un milieu qu’on n’a pas choisis – on ne choisit même pas de naître ! Cela étant, je n’ai pas moi-même de position arrêtée : je ne fais que vous livrer ce dont j’ai eu l’expérience.

Il en est de la GPA comme de la peine de mort, monsieur Bloche : on ne peut l’accepter lorsqu’elle se ferait dans de bonnes conditions en la refusant dans les autres cas, comme on refuserait, par exemple, la seule mort par lapidation ! C’est le principe même qui est contestable, dans la mesure où cette pratique se fonde sur un assujettissement. Il est vrai que nous ne pouvons faire abstraction de la mondialisation mais ce n’est pas parce que la gestation pour autrui est admise dans d’autres pays que nous devons les imiter ! Au contraire même : nous devons combattre, dans ce domaine comme dans les autres, ce qui nous paraît néfaste, en essayant de convaincre les autres États. Reste le problème des enfants ainsi nés à l’étranger. Il faut bien évidemment les accueillir, comme on le ferait d’enfants nés du clonage, mais à condition de reconnaître pour mère celle qui a accouché. La solution pourrait être l’adoption, même si le père de l’état civil est bien le père génétique – en fait, on ne tiendrait pas compte du génétique dans cette occurrence, ce qui n’est pas sans intérêt.

M. le rapporteur. Cette adoption se heurterait à des problèmes juridiques – qu’on peut probablement contourner par une délégation de l’autorité parentale.

M. René Frydman. Les demandes d’implantation post mortem sont heureusement rares. Je ne serais pas opposé à ce qu’on les satisfasse lorsqu’elles suivent de près le décès – pas de trop près, pour qu’on soit assuré que l’intéressée ait eu le temps de la réflexion, mais en tout cas pas au-delà d’un certain délai, de manière à rester dans la continuité du projet parental formé par le couple.

J’approuve la suggestion de remplacer « indemnisation » par « compensation », à telle enseigne que je n’emploierai plus que ce dernier mot.

Monsieur Victoria, on n’a jamais pu s’accorder sur une définition du statut de l’embryon, et je ne crois pas qu’on puisse y parvenir pour tracer clairement la frontière entre chose et personne. Il appartient donc à chacun de trancher pour lui-même. Quant à la destruction des embryons, qui supprime une potentialité de devenir, elle sanctionne la fin du projet parental avec l’accord de ceux qui en étaient porteurs – ce en dehors de l’hypothèse où ils ne se seraient pas manifestés pendant cinq ans.

La conservation des ovocytes est-elle pour la donneuse une assurance de grossesse quoi qu’il arrive ? Certainement pas à 100 % mais, comme pour les femmes atteintes de cancer, c’est indéniablement un progrès par rapport à une absence de recours. Il ne faut pas qu’une jeune femme qui a donné ses ovocytes et qui est ensuite victime d’une infection des trompes se trouve elle-même dans l’impossibilité d’avoir un enfant. La congélation des ovocytes et leur stockage dans une banque permettent de l’éviter, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.

M. le président Alain Claeys. Je vous remercie.

Audition de M. Jacques Testart, biologiste,
directeur de recherche honoraire à l’INSERM

Séance du mercredi 12 janvier 2011

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir M. Jacques Testart, docteur ès sciences, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Disposant d’une formation d’agronome et de biologiste, vous vous êtes consacré tout au long de votre carrière aux problèmes de procréation naturelle et artificielle chez l’animal et chez l’homme, en tant que chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de 1964 à 1977 – où vous avez notamment travaillé sur la question des « mères porteuses » chez les bovins – puis à l’INSERM, de 1978 à 2007.

Considéré comme le père scientifique des premières fécondations in vitro (FIV), vous avez activement contribué au développement de l’assistance médicale à la procréation (AMP) en France. Vous avez également été l’un des pionniers de la conservation des embryons par congélation et de la fécondation in vitro avec injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, l’ICSI – sujet dont je souligne au passage que le législateur n’a jamais débattu, la technique étant déjà expérimentée au moment où s’écrivaient les lois de bioéthique.

Dès 1986, dans L’œuf transparent, vous avez alerté l’opinion publique sur les risques de dérives liées à « la rencontre de la médecine prédictive avec la médecine procréative », quelques années avant que ne soit autorisé en France le diagnostic pré-implantatoire (DPI). Vous êtes également l’auteur de nombreux ouvrages sur les questions de procréation assistée et de bioéthique, en particulier De l’éprouvette au bébé spectacle, paru en 1984, Le désir du gène en 1992, Pour une éthique planétaire en 1997, Des hommes probables – de la procréation aléatoire à la reproduction normative en 1999, Procréation et manipulations du vivant en 2000, Au bazar du vivant en 2001 et Le vivant manipulé en 2003.

La mission d’information sur la révision des lois de bioéthique vous avait entendu en mars 2009. Cette commission spéciale vous entend aujourd’hui alors que l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi de révision qui devrait être examiné en séance publique en février.

Notre commission a décidé de centrer ses travaux sur trois thèmes : la recherche sur l’embryon, pour laquelle le projet de loi pérennise le régime actuel d’interdiction assorti de dérogations ; la gestation pour autrui, qui n’est pas traitée dans le texte mais fait débat dans notre société ; enfin, l’anonymat du don de gamètes, qui fait l’objet d’un titre du projet de loi autorisant l’accès à des données non identifiantes sur le donneur et, si celui-ci en est d’accord, à son identité.

Nous souhaitons donc que vous vous exprimiez sur ces sujets, notamment sur le régime de la recherche sur l’embryon, thème que vous aviez largement abordé lors votre audition par la mission d’information. Les dispositions du projet de loi vous paraissent-elles satisfaisantes ?

M. Jacques Testart, biologiste, directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Je vous remercie de votre invitation. Je vous redirai à peu près ce que je vous ai dit lors de mes auditions précédentes, mais n’est-ce pas le cas de tous ceux que vous avez auditionnés à plusieurs reprises ?

Je vous donnerai surtout mon point de vue sur ce qu’on appelle la recherche sur l’embryon. Si le législateur prend au sérieux la dignité de l’embryon humain, partout réaffirmée, la loi devrait exiger que des expérimentations préalables sur l’embryon animal aient conduit à des avancées indiscutables, avant de passer à des expérimentations sur l’embryon humain. Sinon je comprends mal ce qu’on entend par dignité.

La loi devrait aussi privilégier des voies de recherche présentant moins d’implications éthiques que les cellules souches embryonnaires, comme c’est le cas des recherches sur les cellules adultes reprogrammées, les iPS (induced pluripotent stem cells), qui constituent bien une méthode alternative d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques. Rien n’ayant démontré que les recherches directement conduites sur des cellules embryonnaires humaines seraient plus efficaces que sur les iPS ou les cellules embryonnaires animales, ce prérequis me paraît indispensable.

Pour plus des trois quarts, la recherche sur l’embryon ne consiste pas en des recherches sur des embryons, mais sur des cellules issues d’embryons. Aucune application thérapeutique des cellules embryonnaires n’a encore été trouvée chez l’animal. On a pourtant souvent invoqué, devant vous et dans le débat public, l’urgence qu’il y aurait à autoriser la recherche sur les cellules embryonnaires humaines. L’Agence de la biomédecine invoque des arguments thérapeutiques. Les chercheurs font, eux, plutôt valoir que cette autorisation serait nécessaire pour que les industriels réalisent en France les gros investissements qu’implique le criblage (screening) moléculaire et ne soient pas tentés de délocaliser leurs activités. À ce sujet, soit il y a un partage des tâches, soit l’Agence chargée d’expertiser les protocoles de recherche ne poursuit pas le même but que les chercheurs. Certains, évoquant les perspectives thérapeutiques, dramatisent car je ne vois pas en quoi l’apport de quelques chercheurs français dans la recherche mondiale serait si urgent et si indispensable pour la santé de l’humanité.

Il faut ici rappeler que l’équipe du professeur Yamanaka au Japon, qui a découvert les cellules iPS, reprogrammées à partir de banales cellules somatiques adultes pour retrouver la multipotence des cellules embryonnaires, a d’abord travaillé sur l’embryon de souris, et a fabriqué des iPS de souris avant de fabriquer des iPS humaines – ce qui est la démarche habituelle. Et ces iPS permettent d’obtenir un bien plus grand nombre de lignées beaucoup plus diverses que les cellules embryonnaires, ce qui devrait permettre de répondre aux enjeux économiques des tests de toxicité des molécules pharmacologiques.

Parmi les quarante-neuf protocoles de recherche autorisés par l’Agence de la biomédecine, sept portent réellement sur l’embryon. Ces recherches visent soit à faire progresser les connaissances, soit à améliorer les résultats de l’AMP. Pour ce qui est de la connaissance, qu’il me soit permis de dire que la qualité scientifique d’une recherche menée avec quelques embryons humains disparates est bien moindre que celle qu’on peut obtenir avec des embryons d’animal, matériel biologique standardisé, aux conditions d’obtention optimale, pouvant faire l’objet d’essais répétables à volonté.

Un mot de la pertinence scientifique de ces projets. Sur ces sept protocoles, qu’il est d’ailleurs difficile d’analyser car on n’en connaît que l’intitulé et non le contenu, trois au moins me paraissent douteux. L’un d’entre eux porte sur l’inactivation du chromosome X. L’inactivation de l’un des deux chromosomes X existe chez toutes les femelles de mammifères. En quoi une recherche sur l’embryon humain permettrait-elle d’en mieux comprendre les mécanismes alors qu’il est possible de mener le même travail sur l’embryon de souris, de lapine ou de vache ? Un autre vise à étudier la différenciation des cellules germinales – ovules ou spermatozoïdes selon le sexe. Or, cette différenciation se produit bien après l’implantation de l’embryon. Cette recherche est vraisemblablement menée sur des avortons issus d’IVG, et c’est un abus que de la classer comme concernant l’AMP. Un troisième évoque la création de chimères homme-souris. Les chercheurs britanniques, qui se sont livrés à de telles expériences il y a quelques années, ont abandonné cette voie de recherche, en l’absence de projet crédible.

Pour ce qui est d’améliorer les résultats de l’AMP, il faut rappeler que les chercheurs britanniques – qui sont depuis longtemps leaders mondiaux en médecine de la reproduction et nous ont tout appris en ce domaine –, n’ont effectué aucune nouvelle découverte majeure, théorique ou pratique, depuis vingt ans, et ce bien qu’il soit possible dans leur pays de créer spécifiquement des embryons à des fins de recherche.

Il a été dit ici ou là que les résultats de l’AMP stagneraient en France parce que la recherche sur l’embryon y est interdite. C’est absurde. Il n’y a aucun secret entre praticiens dans l’AMP et rien n’est caché. De nombreux congrès internationaux se tiennent chaque année, d’innombrables articles sont publiés : s’il y avait vraiment du nouveau, cela se saurait ! Dans les laboratoires d’AMP, ont lieu quotidiennement des « études » – que la loi de bioéthique distingue des « recherches » – consistant à modifier les conditions de fécondation, à faire varier le pH du milieu de culture ou la durée de culture, ou encore à agir sur l’utérus récepteur et à en observer les conséquences. Comme ces « études » ne portent pas atteinte à l’embryon, aucune autorisation de l’Agence de la biomédecine n’est requise. Cela n’en permet pas moins des progrès dans les pratiques.

Il n’existe en revanche aucun moyen « d’améliorer » un embryon qu’on jugerait déficient. Pour améliorer les résultats de l’AMP en agissant sur l’embryon, il faudrait tout d’abord produire de meilleurs embryons. En premier lieu, en procédant à des études sur la gamétogenèse, en particulier la maturation des ovules, encore mal connue, de même que sur les incidences des stimulations ovariennes, l’induction simultanée de nombreux ovules étant réputée aboutir à des ovules de moindre qualité. Il n’est pas nécessaire de travailler sur l’embryon pour créer de meilleurs embryons.

Pour faire progresser les résultats de l’AMP, on peut aussi sélectionner parmi tous les embryons créés simultanément, ceux jugés « bons ». Et se profile là l’extension du DPI à des critères non plus seulement génétiques, mais métaboliques. Des travaux ont en effet montré qu’en étudiant certains métabolites embryonnaires, on pouvait attribuer à chaque embryon un score de chance de survie, sans rapport avec ses caractéristiques génétiques. Cela mènerait à un DPI systématique : tous les embryons mériteraient de faire l’objet d’un tel diagnostic, au nom même de la performance de l’AMP.

Les véritables problèmes éthiques posés par la recherche sur l’embryon sont liés à ce qu’on entend véritablement par « respect de l’embryon ». Pourrait-on accepter de sacrifier des embryons pour améliorer la santé humaine ? Ce serait, selon moi, un moindre mal, ou bien s’agit-il de participer à la compétition économique, avec dépôt de brevets et enjeux de propriété intellectuelle à la clé ?

La priorité doit être, selon moi, de conduire les recherches avec les cellules iPS humaines et avec les cellules embryonnaires animales, en continuant bien entendu de mener des recherches fondamentales sur l’embryon animal. On a déjà obtenu à partir de cellules embryonnaires de souris au moins soixante lignées de phénotype différent, ce qui permet de très nombreuses recherches. On disposerait par ailleurs déjà en France de plusieurs dizaines de lignées de cellules embryonnaires humaines. Je ne vois pas l’intérêt d’en créer davantage s’il s’agit réellement de recherche fondamentale.

Le prérequis de l’expérimentation animale me paraît relever à la fois d’un principe scientifique et éthique. Je ne vois pas en quoi son respect pourrait être apprécié par une agence technique.

Il faut, me semble-t-il, anticiper les problèmes éthiques que peuvent soulever les nouvelles techniques et s’interroger, à chaque feu vert donné sur le plan législatif ou réglementaire, sur ce à quoi il peut conduire. Prenons l’exemple de la congélation des ovocytes. Cette technique n’a aucune chance d’améliorer le taux de réussite de l’AMP – bien au contraire –, par rapport à la congélation des embryons. Elle permettra en revanche la multiplication des dons d’ovocytes, plus ou moins contrôlés, le développement de grossesses chez des femmes ménopausées et, plus grave, rendra possible la création d’embryons « clandestins » échappant à tout contrôle. En effet, les gamètes ne sont pas individuellement répertoriés et ne font pas l’objet de la même traçabilité rigoureuse que les embryons. Il existe des parades, me rétorquera-t-on. Sans doute, mais il conviendrait d’y réfléchir avant d’autoriser la technique.

L’important – je ne suis certes pas juriste – ne me paraît pas de trancher entre interdiction des recherches sur l’embryon assortie de dérogations ou autorisation de ces recherches sous conditions puisque, de toute façon, les recherches seront possibles dans les deux cas. Ce débat me paraît donc assez vain. L’important me paraît plutôt d’évaluer les promesses des scientifiques : souvenons-nous du « flop » du clonage thérapeutique et de celui du « bébé-médicament », ainsi que des désillusions provoquées par la thérapie génique dont on assurait qu’elle allait révolutionner la médecine. Tout cela devrait nous amener à défendre l’idée d’une expertise indépendante des promesses médicales et des conflits d’intérêts qui y sont assortis. Il peut en effet y avoir confusion entre des intérêts médico-scientifiques et des intérêts commerciaux ou promotionnels.

Les recherches sur les cellules iPS et sur les cellules embryonnaires animales constituent une alternative aux recherches sur l’embryon humain. La loi doit en tenir compte.

Enfin, des limites seront toujours nécessaires. S’il n’y en avait pas, dans un souci à la fois sanitaire et d’efficacité médicale maximale, tous les embryons devraient faire l’objet d’un DPI génétique et métabolique. La FIV pourrait ainsi être généralisée dès que ses servitudes seront allégées, c’est-à-dire dès que l’on pourra obtenir des embryons nombreux par une production abondante d’ovules ex vivo.

Pourquoi, alors que ce sont là des conclusions d’évidence, la réflexion éthique avance-t-elle beaucoup moins vite que la science ? Lors des États généraux de la bioéthique, le panel citoyen de Marseille avait proposé que lors d’un DPI ne puisse être recherchée qu’une seule maladie, afin d’éviter un screening inconsidéré des embryons. Il est significatif que dans le rapport de ces États généraux, il soit seulement indiqué que les citoyens se sont inquiétés des risques de dérives eugéniques, sans qu’on en tire aucune conséquence. Notre code civil interdit toute pratique eugénique organisant une sélection des personnes : peut-on dès lors tolérer une sélection des personnes potentielles que constituent les embryons ? Je me demande bien pourquoi cet avis citoyen a été écarté et qui cela gênait qu’on prévoie dans la loi qu’un seul variant génétique pourrait être recherché lors d’un DPI… Certains projets seraient-ils tus ?

En matière de bioéthique, l’évolution va toujours dans le sens d’une plus grande permissivité. Le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, a ainsi proposé qu’on détecte la trisomie 21 lors de tous les DPI. C’est parfaitement logique mais où s’arrêter dans cette logique ? De même, certains des scientifiques que vous avez auditionnés, venus exiger que les recherches sur l’embryon soient autorisées, sans d’ailleurs définir précisément ce qu’ils chercheraient, parlent déjà de créer des embryons pour la recherche. Il n’y a qu’un pas de la recherche sur des embryons surnuméraires à la recherche sur des embryons spécifiquement créés à cette fin.

Résister à cette instrumentalisation de l’humain n’est pas l’apanage des catholiques, ni, d’une manière plus générale, des croyants. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis simplement tenant d’un humanisme laïc. Je n’ai aucune opposition de principe à la recherche sur l’embryon humain mais je souhaiterais que l’on y procède seulement après avoir apporté la preuve de son absolue nécessité. Sinon la dignité de l’embryon n’a pas de sens. De même, ce n’est pas pour empêcher que les embryons soient éliminés au travers du DPI que je me méfie des perspectives ouvertes par cette technique, mais bien pour protéger les survivants de ce tamis génétique qui aboutira à une société de plus en plus eugénique.

Humaniste laïc, je milite pour une science de qualité, demeurant à l’écart des pressions commerciales et déjouant les mystifications. Je rappellerai seulement en conclusion que le professeur Philippe Menasché, qui réclame que soient autorisées les recherches sur l’embryon, a déclaré ici même que la loi actuelle n’empêchait pas ces recherches mais qu’elle freinait les investissements industriels. Le professeur Axel Kahn, pour sa part, vous a expliqué que les cellules embryonnaires humaines ne sont pas nécessaires à la médecine régénérative et que les cellules iPS sont plus prometteuses.

M. le président Alain Claeys. Un point de détail. L’ICSI a-t-elle fait l’objet d’une expérimentation ?

M. Jacques Testart. C’est la seule technique d’AMP qui n’a pas été préalablement expérimentée sur l’animal. Des équipes belges l’ont pratiquée d’emblée chez l’homme.

M. le président Alain Claeys. L’utilisation des cellules iPS poserait, selon vous, moins de problèmes éthiques que celle des cellules embryonnaires. Êtes-vous sûr qu’elle n’en soulèvera pas demain ?

Enfin, ne pensez-vous pas que la recherche sur les cellules souches embryonnaires a été utile pour mettre au point les cellules iPS ?

M. Jacques Testart. Je ne le crois pas. Le professeur Yamanaka travaillait sur la souris. Il a d’abord créé des cellules iPS chez cet animal, puis a utilisé la même méthode chez l’homme, suivant le cheminement classique de l’expérimentation animale puis humaine.

M. le président Alain Claeys. N’y aurait-il pas des problèmes éthiques si demain ces cellules reprogrammées pouvaient être différenciées en gamètes ?

M. Jacques Testart. Si, bien sûr. Je dis simplement que les recherches sur ces cellules évitent de détruire des embryons, ce qui constitue pour beaucoup un problème éthique.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la Commission spéciale. Faut-il procéder à des expérimentations animales avant des expérimentations humaines ? La réponse va de soi – même s’il a pu y avoir quelques exceptions. Pour autant, les deux sont-elles strictement équivalentes ? Pas exactement. Beaucoup de produits ont été testés chez l’animal qui ne s’y sont pas révélés dangereux alors qu’utilisés chez l’homme, ils ont conduit à de très graves malformations – je pense à la thalidomide. Qu’il faille de préférence expérimenter d’abord chez l’animal, c’est évident. Cela ne donne pas pour autant une garantie absolue.

M. Jacques Testart. Il existe plusieurs modèles animaux. Si on les utilise successivement et que la réponse est dans tous les cas identique, on est à peu près sûr qu’elle sera la même dans l’espèce humaine. La thalidomide, dont on cite toujours l’exemple, avait été testée chez le lapin. Si elle l’avait été chez la souris, on se serait aperçu des risques qu’elle présentait. Si on ne relève aucun problème à la fois chez le rat, le lapin et la souris, on minimise le risque autant qu’il est possible.

La recherche sur l’humain permet plus facilement qu’une recherche sur l’animal de publier, même un mauvais article, dans des revues de meilleure réputation et d’être invité à des colloques prestigieux à l’autre bout du monde. Elle ne permet pas de faire de la science. Si on veut véritablement approfondir la connaissance en embryologie, il faut travailler sur l’animal. Le développement de l’embryon suit les mêmes étapes chez tous les mammifères, qu’il s’agisse de la souris, du lapin, de la vache ou de l’homme, avec seulement un timing légèrement différent.

M. le rapporteur. La loi doit-elle disposer que la recherche sur l’embryon humain n’est autorisée qu’après que la preuve a été apportée qu’il n’est pas possible de faire une expérimentation identique équivalente chez l’animal ? Pourquoi pas ? Ma réticence vient du fait qu’il n’existe pas de stricte équivalence entre expérimentation chez l’animal et chez l’homme. Il y a toujours un fossé, aussi minime soit-il.

M. Jacques Testart. Mais il n’existe jamais non plus de parfaite équivalence entre deux embryons animaux, non plus qu’entre deux embryons humains. Les résultats d’une expérimentation sur certains embryons humains ne vaudront pas pour d’autres.

M. le rapporteur. Faut-il rétablir la condition relative à l’impossibilité de faire des expérimentations sur les cellules embryonnaires si une expérimentation animale équivalente est possible ?

M. Jacques Testart. Dans la loi de 2004, l’animal n’était pas cité.

M. le président Alain Claeys. Le mot « animal » ne figurait pas, vous avez raison.

M. le rapporteur. La loi actuelle dispose que « les recherches peuvent être autorisées sur l’embryon et les cellules embryonnaires lorsqu’elles sont susceptibles d’apporter des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques. » Ne convient-il pas de remplacer « progrès thérapeutique » par « progrès médical » ? Par ailleurs, est-il opportun de garder la référence à une méthode « d’efficacité comparable » ? Personnellement, je n’y suis pas favorable car cela sous-entend qu’il est possible de faire autrement de manière équivalente, ce qui n’est pas vrai.

M. Hervé Mariton. De manière préalable et autrement, ce n’est pas tout à fait la même chose.

M. le rapporteur. Mieux vaudrait alors dire préalablement qu’autrement.

Ma deuxième question porte sur les iPS. Les iPS vont-elles permettre de se passer des cellules embryonnaires humaines ? Par principe, je trouve toujours gênant de fermer une voie de recherche. Il pourrait s’avérer un jour que les recherches sur les iPS ne donnent pas les résultats escomptés. Il faudrait alors rouvrir la voie antérieure des cellules embryonnaires. Qu’en pensez-vous ?

Axel Kahn souligne, et je partage son avis, qu’il existe une différence de nature entre un embryon, potentialité de personne humaine, et une cellule issue de cet embryon. Se gardant de confondre le tout et la partie, ne pourrait-on pas prévoir une protection contre les dérives évoquées, différente pour l’embryon et pour les cellules embryonnaires ?

Le débat entre interdiction avec dérogations et autorisation avec encadrement ne vous paraît pas avoir grand sens. Je l’ai longtemps pensé aussi. Je ne suis plus si sûr qu’en pratique cela revienne au même. Pas un seul des chercheurs que nous avons auditionnés n’a dit que la France avait pris du retard en raison du régime d’interdiction avec dérogations qui prévaut dans notre pays. Pour réclamer la libéralisation des recherches sur l’embryon, certains ont avancé des arguments ayant trait davantage aux investissements industriels qu’à la recherche scientifique. Faut-il conserver l’actuel régime d’interdiction assortie de dérogations, tout en levant l’hypothèque que faisait peser le moratoire de cinq ans, comme nous le proposons avec un régime dérogatoire pérenne, ou mettre au point un dispositif ad hoc d’autorisation, non pour faire progresser plus vite la connaissance scientifique mais pour permettre une industrialisation des procédés ?

Enfin, un mot du dépistage de la trisomie 21 lors de tout DPI, préconisé par le CCNE – je ne suis pas totalement étranger à cette proposition et je m’en suis expliqué avec les familles. Je m’interroge de manière apaisée sur le sujet, sans en faire un combat idéologique. Lors d’un DPI, autorisé, je le rappelle, seulement dans le cas d’une maladie génétiquement transmissible « d’une exceptionnelle gravité », doit-on proposer à la mère que soit réalisé, si elle le souhaite, en même temps un dépistage de la trisomie 21 ? Il me paraît logique de lui poser la question, tout en la laissant libre de son choix et en lui permettant de choisir de faire ce dépistage avant ou après l’implantation de l’embryon. Il me semble qu’une femme chez qui aurait été implanté un embryon ayant fait l’objet d’un DPI et qui découvrirait, lors du dépistage systématiquement proposé en cours de grossesse, que son fœtus est trisomique, serait en droit de dire qu’elle aurait aimé qu’on lui proposât ce dépistage préalablement et non pas seulement a posteriori.

M. Jacques Testart. Si, comme cela semble être le cas, la trisomie 21 n’est pas plus fréquente chez les personnes ayant un risque élevé de présenter une anomalie génétique d’une exceptionnelle gravité, cela créerait une inégalité entre les futures mères recourant à une FIV. Celles qui n’ont pas d’anomalie génétique aimeraient, elles aussi, pouvoir détecter la trisomie 21 in vitro. Ce serait de fait inciter à un DPI généralisé, pour tous ceux qui le souhaiteraient. Par ailleurs, pourquoi se limiter à la trisomie 21 ? Si on cherche seulement aujourd’hui à éviter le pire, n’en viendra-t-on pas à rechercher le meilleur, le bébé parfait ? Lorsqu’il a fait cette proposition, le CCNE n’a fixé aucune limite.

S’agissant des autres questions posées, il est possible qu’on s’aperçoive un jour que les cellules iPS posent des problèmes, notamment parce que pour les reprogrammer, il faut y insérer des gènes spécifiques par le biais de rétrovirus. Il faut donc parallèlement continuer de travailler sur les cellules souches embryonnaires, mais, je l’ai dit, sur les cellules embryonnaires animales, en recherchant des applications thérapeutiques d’abord chez l’animal. Il ne faut pas faire de recherche sur les cellules embryonnaires humaines mais sur les cellules embryonnaires animales et sur les iPS.

M. le rapporteur. Quel argument non religieux, fondé seulement sur la raison, opposer pour interdire les recherches sur les cellules embryonnaires humaines – après avoir travaillé sur les cellules embryonnaires animales ?

M. Jacques Testart. Si des recherches sur les cellules embryonnaires animales apportent la preuve qu’elles permettent des progrès thérapeutiques, il faudra bien évidemment passer à un protocole chez l’homme. Profondément laïc, je m’efforce néanmoins de respecter toutes les opinions, notamment celles des personnes qui accordent à l’embryon une valeur que personnellement je ne lui accorde pas. Je dis que c’est chercher à « taquiner les catholiques » que de vouloir absolument travailler sur l’embryon humain lorsque ce n’est pas nécessaire.

M. Hervé Mariton. Je rappelle qu’en France, le principe est l’interdiction de la recherche sur l’embryon, avec possibilité de dérogations, notamment en l’absence de méthode alternative d’une efficacité comparable. Vous paraît-il nécessaire que la loi dispose également « et après recherche préalable sur l’animal » ?

La distinction entre recherches « à visée thérapeutique » ou « à visée médicale » vous paraît-elle importante ? Comment l’appréciez-vous ?

Enfin, que pensez-vous du fait que dorénavant les lois de bioéthique ne seront plus révisées périodiquement ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Il n’y a pas dans tous les cas d’expérimentations sur l’animal avant expérimentations sur l’homme. Et sur l’homme, il est possible de mener des recherches à tous les stades de la vie. L’expérimentation post mortem a même été autorisée. La seule interdiction concerne les cellules embryonnaires humaines. Il faut bien entendu continuer de travailler sur les cellules embryonnaires animales – ceux qui aujourd’hui prônent le recours aux cellules iPS devraient se souvenir de la brebis Dolly, née d’une cellule reprogrammée. Je considère pour ma part, que cela pose au moins autant de problèmes éthiques que les cellules embryonnaires. En effet, qui peut assurer que la reprogrammation est complète et qu’on fait vraiment repartir l’horloge de zéro ? On ne peut pas, en tout état de cause, le savoir sans comparaison avec les cellules souches embryonnaires.

Je partage totalement l’analyse d’Axel Kahn sur la différence de nature entre un embryon et des cellules embryonnaires. Je vous rejoins en revanche, monsieur Testart, pour ce qui est des applications des recherches, souvent en avance sur les recherches elles-mêmes. C’est sur ce point qu’il faut prévoir dans la loi les garde-fous nécessaires.

Que l’on n’ait pas obtenu de résultats probants depuis vingt ans avec les cellules embryonnaires ne me paraît pas un argument pour stopper les recherches.

S’agissant du DPI, je crois en effet préférable sur le plan éthique de se limiter à la recherche d’un seul variant génétique. Je comprends que certains puissent vouloir qu’on dépiste aussi la trisomie 21 mais dès lors qu’on autoriserait un dépistage supplémentaire, pourquoi se limiterait-on à celui-là ? Quantité d’autres maladies graves pourraient être dépistées. Mieux vaut, je pense, ne pas mettre le doigt dans l’engrenage.

M. Xavier Breton. Il est proposé dans le projet de loi de substituer progrès « médical » à progrès « thérapeutique ». Voyez-vous des risques à cette évolution sémantique ?

En matière d’AMP, faudrait-il, comme cela se fait en Allemagne et en Italie, limiter le nombre d’ovocytes fécondés au nombre exact d’embryons nécessaires à l’implantation ?

Que pensez-vous de la gouvernance actuelle en matière de bioéthique, notamment des rôles respectifs du Comité consultatif national d’éthique et de l’Agence de la biomédecine ? Faut-il renforcer les pouvoirs de ces instances ou, au contraire, mieux les contrôler ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Des évaluations ont-elles été réalisées sur les jeunes hommes aujourd’hui adultes nés après ICSI ? Leurs spermatozoïdes sont-ils normaux ou présentent-ils les mêmes anomalies que ceux de leurs pères ?

La congélation des ovocytes vous paraît-elle une technique d’avenir, qui permettrait de limiter le nombre d’embryons surnuméraires ? Étant entendu que les ovocytes devraient être répertoriés et faire l’objet d’un suivi aussi rigoureux que les embryons congelés aujourd’hui, afin de ne pouvoir donner lieu en effet à la conception d’embryons « clandestins ».

On dispose aujourd’hui de très nombreuses lignées de cellules souches embryonnaires humaines. Distinguez-vous entre les recherches sur des lignées déjà existantes et celles qui, pour extraire de nouvelles lignées, amèneraient à détruire de nouveaux embryons ?

Un dernier mot à l’intention du rapporteur. La différence entre un régime d’interdiction avec dérogations et un régime d’autorisation sous conditions n’est pas seulement économique mais juridique, comme l’a souligné le Conseil d’État.

M. le rapporteur. Tout à fait. J’ai seulement dit qu’on avait surtout entendu des arguments économiques pour demander le passage à un régime d’autorisation.

M. Jean-Marc Nesme. Vous avez évoqué, monsieur Testart, de possibles conflits d’intérêts industriels, commerciaux et financiers. À quoi pensez-vous plus précisément ? Que faudrait-il faire pour prévenir tout conflit de ce type ?

M. Paul Jeanneteau. Comme Jean-Sébastien Vialatte, je pense que la différence entre un régime d’interdiction avec dérogations et un régime d’autorisation sous conditions est d’abord juridique. J’ajoute que la protection de l’embryon renvoie à l’article 16 de notre code civil qui dispose que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie. » Il est heureux que notre loi protège ainsi l’embryon – sans toutefois en donner de définition précise, ce qui pourrait soulever d’autres problèmes.

M. Jean-Louis Touraine. Dans un monde théorique idéal, on pourrait imaginer que tout soit toujours préalablement testé chez l’animal – encore qu’il faudrait pour ce faire amadouer certaines associations ! Mais de fait, dans la réalité, tout ne peut être testé chez l’animal. Lorsqu’il y a trente ans, nous avons pratiqué chez des malades souffrant de déficit immunitaire les premières greffes de cellules souches prélevées sur des fœtus humains âgés de huit-neuf semaines, il n’existait pas de modèle animal sur lequel le procédé aurait pu être préalablement validé. Les cas ne sont pas rares où le premier pas ne peut être fait que chez l’homme. Il faut simplement prévoir alors l’encadrement nécessaire.

Comme le rapporteur, je trouverais choquant qu’on ferme la voie de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines sans argument éthique majeur, au seul motif qu’il existe désormais les iPS. Aucune solution ne s’impose d’évidence. Nous sommes abusés par le fait qu’on désigne sous le terme générique de cellule souche des cellules aussi différentes que les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées iPS. Parmi toutes celles-là, en tout cas aujourd’hui, seules les cellules souches embryonnaires sont totalement neuves, peuvent se répliquer à l’infini et se différencier en tous les types cellulaires. Se priver de ces propriétés irremplaçables au motif qu’il existerait des cellules vaguement équivalentes serait se priver de la possibilité d’applications majeures. Celles-ci ne sont certes pas encore légion en thérapeutique humaine, encore que les cellules souches hématopoïétiques soient très couramment utilisées pour guérir des milliers de malades. Mais la frontière entre recherche et développement est assez floue. Or, les laboratoires industriels ne se lanceront pas si cette recherche n’est pas expressément autorisée. Il y a de ce point de vue une grosse différence entre interdiction avec dérogations, régime qui limite nécessairement l’engagement industriel des laboratoires publics et privés, et autorisation sous conditions.

M. Jacques Testart. Je n’ai pas la prétention d’avoir les réponses à toutes les questions qui m’ont été posées. Je ne répondrai donc qu’à quelques-unes d’entre elles.

Monsieur Mariton, vous distinguez entre alternative et préalable. C’est à la recherche sur les cellules embryonnaires humaines qu’il faut trouver une solution alternative. C’est lorsqu’on passe à l’application thérapeutique qu’il faut avoir mené des expérimentations préalables sur l’homme.

Monsieur Le Déaut, je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de recherches conduites sur l’homme sans recherches préalables sur l’animal. En tout cas, il ne devrait plus y en avoir, depuis que l’on sait créer à volonté des souris ou autres animaux transgéniques présentant telle ou telle pathologie. Dès lors qu’on maîtrise la technique, pourquoi s’en priver ?

Je ne nie pas que les cellules iPS pourraient, à terme, poser plus de problèmes que les cellules embryonnaires humaines, du fait notamment de leur reprogrammation. Ce n’est pas moi, qui ne suis pas favorable aux OGM, qui prétendrait qu’on est à l’abri de toute mauvaise surprise. Mais il s’agirait de problèmes techniques, qui devraient être expertisés et traités par les chercheurs dans le cadre des recherches, alors qu’il est ici question d’éthique et de dignité de l’embryon, ce qui n’est pas du même ordre.

Que depuis vingt ans, aucun résultat n’ait été obtenu avec les cellules embryonnaires en Grande-Bretagne, non plus d’ailleurs que dans aucun autre pays, ne justifie pas qu’on s’abstienne de nouvelles recherches, dites-vous. Il est tout de même significatif que les Britanniques, leaders mondiaux en médecine de la reproduction depuis des siècles, qui ont inventé la FIV et le DPI, pratiqué, les premiers, le transfert nucléaire et le clonage chez l’animal, n’aient fait aucune découverte probante. En outre, je le redis, je ne comprends pas que l’on ne mène pas les recherches nécessaires à la connaissance fondamentale comme à la thérapeutique, sur l’embryon de mammifère animal, qui présente les mêmes caractéristiques que l’embryon humain.

Monsieur Breton, la limitation du nombre d’embryons créés lors de chaque FIV est une question ancienne et grave. Limiter le nombre d’ovocytes fécondés, c’est aussi, hélas, limiter les chances de grossesse. On me rétorquera qu’avec la congélation des ovocytes, on pourrait ne féconder qu’un seul ovule à chaque fois. Mais il faut compter d’une part avec le fait que la technique ne marche pas toujours, d’autre part avec le coût que cela représenterait pour la Sécurité sociale, à laquelle l’AMP coûte déjà très cher…

M. le rapporteur. Ce n’est pas un argument éthique.

M. Jacques Testart. Il faut être cohérent. Vous ne pouvez pas accepter les arguments économiques quand ils sont avancés par les industriels pour développer le criblage moléculaire et les refuser lorsqu’il s’agit de l’équilibre de la Sécurité sociale !

M. le rapporteur. Nous sommes cohérents. Nous cherchons toujours à faire prévaloir l’éthique sur l’économique.

M. Jacques Testart. Monsieur Vialatte, je l’ai dit, l’ICSI est la seule technique d’AMP qui ait été pratiquée d’emblée chez l’homme, sans avoir été expérimentée préalablement. Je l’ai pratiquée en France un an après les équipes belges. Axel Kahn m’a alors reproché « d’expérimenter sur l’homme ». Mais des centaines d’enfants étaient déjà nés en Belgique de cette technique. Même si nos collègues belges avaient fait une faute éthique, ce que je ne me suis pas privé de leur dire, les résultats étaient là !

Il y a en effet eu des transmissions d’anomalies. C’est indirectement l’ICSI qui a permis de s’apercevoir que les hétérozygotes porteurs sains du gène de la mucoviscidose présentaient des anomalies de la sécrétion de mucus dans les canaux déférents, entravant l’expulsion des spermatozoïdes par ailleurs normalement produits. Nous nous sommes en effet aperçus qu’il y avait davantage de bébés atteints de mucoviscidose parmi les bébés conçus par FIV que dans la population générale : cela tenait au fait que les hommes pour lesquels il fallait recourir à l’ICSI en raison de leur stérilité ou de leur hypofertilité étaient porteurs sains du gène de la maladie. De nombreux rapports montrent que, d’une manière générale, certaines caractéristiques sont sur-représentées ou sous-représentées chez les enfants conçus par FIV. On l’a mis en évidence pour la mucoviscidose, mais il y a sans doute d’autres pathologies n’ayant apparemment rien à voir avec la procréation, qui interviennent.

Pour le reste, je pense que les lignées de cellules souches embryonnaires existantes sont déjà bien assez nombreuses pour permettre de faire de la recherche. Il n’est pas besoin d’en créer d’autres… à moins que l’on ne veuille faire autre chose que de la science.

Pour ce qui est des conflits d’intérêts, monsieur Nesme, il est évident que lorsque des personnes ont monté des start-up, passé des contrats notamment avec des firmes, américaines en particulier, dans le but d’obtenir des brevets, elles ont un conflit d’intérêts lorsqu’elles viennent vous demander de développer ces technologies à échelle industrielle. Il faudrait expertiser ces conflits d’intérêts. À ma connaissance, ils ne l’ont pas été jusqu’à présent.

Monsieur Touraine, il existe aujourd’hui des modèles animaux pour toutes les maladies, génétiques en particulier. Si la loi disait qu’il faut préalablement mener des recherches sur l’embryon animal, l’Agence de la biomédecine pourrait vérifier qu’il en a bien été ainsi et ne délivrer d’autorisation pour un passage à l’humain qu’après qu’aurait été démontré quelque chose sur l’animal avant. Elle serait là pleinement dans son rôle quand elle ne l’est pas tout à fait lorsqu’elle « oriente » la loi.

Il ne faut pas se priver des propriétés uniques des cellules souches embryonnaires. Certes, mais ce n’est pas une raison pour mener aujourd’hui des recherches sur ces cellules. Commençons par faire des recherches sur les cellules embryonnaires animales.

M. le président Alain Claeys. Je souhaiterais faire une mise au point. Les personnes auditionnées qui ont défendu devant nous un régime d’autorisation plutôt qu’un régime dérogatoire n’ont pas avancé seulement des arguments économiques et industriels. Elles ont aussi évoqué le manque de visibilité juridique créé par le moratoire, qui décourage les jeunes chercheurs de s’installer en France, et expliqué que la position de notre pays était difficilement compréhensible à l’étranger.

Monsieur Testart, je vous remercie de votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Alain Privat, biologiste,
professeur en neurobiologie à l’Université de Bilbao

Séance du mercredi 12 janvier 2011

M. le président Alain Claeys. Monsieur Privat, vous êtes professeur en neurobiologie à l’université de Bilbao, docteur en médecine et biologie humaine, spécialiste des neurosciences. Vous avez orienté vos recherches sur les possibilités offertes par les cellules souches adultes. À ce titre, vous avez été entendu par la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique.

Nous sommes à présent chargés d’examiner les dispositions projet de loi relatif à la bioéthique. La Commission spéciale a axé ses travaux sur trois thèmes : le régime de la recherche sur l’embryon, pour laquelle le projet de loi pérennise le régime actuel fondé sur le principe de l’interdiction avec dérogations, la gestation pour autrui, qui n’est pas traitée dans le texte mais fait débat dans notre société, et l’anonymat des dons de gamètes.

Après une présentation de vos travaux, nous souhaiterions que vous nous donniez votre point de vue sur ces sujets et sur la manière dont le projet de loi les traite.

M. Alain Privat. Je vous remercie de m’accueillir et de me donner l’occasion de m’exprimer. Lorsque mes recherches ont débuté, il y a une quarantaine d’années, on ne parlait pas encore de « cellules souches » au sens où on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire des cellules capables de se multiplier et de se différencier en cellules matures fonctionnelles. Nous savions seulement que, dans le cerveau des rats et des souris adultes, des cellules étaient susceptibles de se multiplier dans des zones particulières, comme la paroi des ventricules latéraux (la zone sous-ventriculaire).

Avec mon maître de l’époque, Charles Leblond, nous sommes parvenus à montrer que les cellules situées dans cette région étaient capables de se multiplier chez l’adulte et de donner naissance à des cellules gliales, les cellules accessoires des neurones. Le chercheur américain Joseph Altman a par la suite démontré que ces cellules pouvaient migrer vers la partie antérieure du cerveau, vers les bulbes olfactifs, et donner naissance à des petits neurones. Plus tard, nous avons découvert que, chez les petits mammifères, une autre région du système nerveux central, l’hippocampe – directement impliquée dans les phénomènes d’apprentissage et de mémorisation – pouvait elle aussi contenir des cellules capables de se multiplier et de se transformer en neurones.

Depuis, notre recherche s’est orientée vers des domaines plus appliqués. L’unité de l’INSERM que j’ai dirigée pendant plus de vingt ans a centré son travail sur une région particulière du système nerveux central, la moelle épinière pour deux raisons. En premier lieu, il s’agissait d’une question de santé publique : les lésions de la moelle épinière, provoquées par les accidents sur la voie publique, touchent un millier de personnes par an, souvent jeunes, et l’on dénombre en France 40 000 paraplégiques et tétraplégiques. La seconde raison est que cette région du système nerveux central était susceptible de constituer un marchepied pour la compréhension de phénomènes plus complexes qui se situent au niveau du cerveau : s’il est difficile d’évaluer les effets chez l’animal d’une lésion cérébrale en termes de déficits fonctionnels, il est relativement aisé de mesurer les conséquences d’une lésion ou d’une section de la moelle épinière sur la motricité ou sur la sensibilité d’un petit mammifère. Nous pouvions ainsi essayer de comprendre la physiopathologie des lésions, et, éventuellement, tenter de modéliser des stratégies thérapeutiques.

Nous avons ainsi pu montrer il y a une vingtaine d’années que la greffe de cellules nerveuses fœtales au niveau d’une moelle épinière lésée pouvait permettre de rétablir un certain nombre de fonctions. Cela nous a amenés à remettre en cause le dogme selon lequel le système nerveux central ne pouvait être ni réparé ni régénéré. Nous avions utilisé, pour ce faire, des cellules nerveuses fœtales animales, ce qui ne posait pas de problème éthique. Mais nous savions que pour tenter d’appliquer cette recherche à des pathologies humaines, il fallait réfléchir en termes d’outils thérapeutiques, le terme « thérapeutique » ayant ici toute son importance. Il n’était évidemment pas question d’utiliser des cellules embryonnaires humaines, puisqu’il aurait fallu en prélever des millions, voire des dizaines de millions, sur des embryons ou des fœtus.

Entre autres alternatives, nous avons réfléchi à la possibilité de stimuler la régénération du système nerveux central, sans apport de cellules nouvelles. Contrairement à ce qui était communément admis depuis les travaux de Santiago Ramón y Cajal, prix Nobel de médecine en 1906, le système nerveux central des mammifères est capable de se régénérer spontanément. Mais les phénomènes cicatriciels qui apparaissent après une lésion et qui permettent dans un premier temps de reconstituer l’homéostasie du tissu nerveux, deviennent ensuite obstructifs et empêchent toute régénération.

Des études menées sur des souris transgéniques nous ont permis de découvrir qu’en inactivant les protéines responsables de la cicatrisation, il était possible d’obtenir une régénération spontanée chez l’animal. Nous réfléchissons aujourd’hui à des thérapies géniques chez l’homme qui permettraient non pas de toucher au génome mais à l’ARN interférent – l’intermédiaire entre l’ADN et la protéine – pour bloquer la synthèse, de façon ciblée dans le temps et dans l’espace.

Il y a deux ans, nous avons pu mettre en évidence des cellules souches dans la moelle épinière d’humains adultes. Avec l’autorisation de l’agence de la biomédecine (ABM), nous avons réalisé des études anatomiques et des cultures de cellules provenant de moelles épinières prélevées chez des personnes en état de mort cérébrale : nous avons ainsi pu montrer que ces cellules pouvaient se multiplier et se différencier en neurones, en oligodendrocytes (cellules responsables de la formation de la gaine de myéline, autour des axones) et en astrocytes (cellules responsables de l’homéostasie dans le système nerveux central).

Notre objectif, à terme, est de réaliser, avec des outils de thérapie génique, un ciblage de ces cellules intrinsèques pour leur permettre de se différencier dans un type cellulaire bien particulier : un neurone dont le neurotransmetteur sera connu. Ainsi, des cellules souches intrinsèques adultes, issues de la moelle épinière mais aussi d’autres régions du système nerveux central, pourront être utilisées à titre thérapeutique.

M. le président Alain Claeys. Quel regard portez-vous sur le projet de loi ?

M. Alain Privat. Je ne parviens pas à comprendre s’il reconduit le statu quo antérieur sur la recherche.

M. le président Alain Claeys. Le texte pérennise le régime de l’interdiction, assorti de dérogations, tout en supprimant la limite de cinq ans fixée à son application.

Par ailleurs, il prévoit que les recherches sont autorisées lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès médicaux, et non plus « thérapeutiques », majeurs.

M. Alain Privat. L’expression « progrès médicaux » pose question. Nous savons à quoi peut mener une recherche thérapeutique basée sur les cellules souches humaines embryonnaires : c’est inefficace et dangereux. La société américaine Geron conduit actuellement une étude clinique sur l’utilisation de cellules souches embryonnaires destinées à réparer une lésion du système nerveux central, malgré les forts doutes de la communauté scientifique sur l’efficacité et sur l’innocuité de cette recherche. D’une part, les cellules qui seront greffées sont destinées à se transformer en oligodendrocytes qui permettent de myéliniser les axones, alors que les axones n’existent plus au niveau de la lésion, les patients présentant une section complète de la moelle épinière. D’autre part, il a été démontré que les cellules souches humaines embryonnaires en lignée continue pouvaient induire la formation de tumeurs, raison même pour laquelle cet essai, présenté depuis des années, a toujours été repoussé jusqu’alors. Aucun élément scientifique nouveau ne permet de justifier cette autorisation : les travaux pré-cliniques ont été conduits chez des animaux qui présentaient des lésions incomplètes – contrairement aux patients, qui présentent des sections – et aucune étude chez les gros mammifères ne permet d’avoir un recul suffisant sur la formation de tumeurs. Dans ce domaine, il semble que le principe de précaution devrait s’appliquer.

M. le président Alain Claeys. Vous évoquez les applications thérapeutiques, tant il est vrai qu’hormis deux ou trois cas, il existe peu d’essais cliniques sur les cellules souches embryonnaires. Vous qui travaillez sur les cellules souches matures, pensez-vous que la recherche fondamentale sur les cellules souches embryonnaires présente un intérêt quelconque ? Que pensez vous des cellules souches pluripotentes induites (iPS) ?

M. Alain Privat. La donne a changé de façon radicale depuis les travaux de Shinya Yamanaka en 2008 et la mise au point de la technologie permettant d’obtenir des iPS. Ces cellules présentent des avantages incontestables : contrairement aux cellules souches embryonnaires, elles ne nécessitent pas l’utilisation et la destruction d’embryons. D’autre part, elles peuvent être obtenues à partir de cellules de patients sur lesquelles seront ensuite testées les molécules thérapeutiques.

M. le président Alain Claeys. Selon vous, les iPS ne posent aucun problème éthique.

M. Alain Privat. En termes de recherche non, pour autant qu’il s’agit de cribler des molécules thérapeutiques. Une équipe de l’université du Connecticut a pu, à partir de cellules prélevées chez des patients atteints du syndrome d’Angelman ou du syndrome de Prader-Willi, obtenir des cellules nerveuses différenciées et commencer à tester des stratégies thérapeutiques sur celles-ci. Les cellules iPS permettent non seulement de modéliser mais d’être directement au contact d’une pathologie.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la Commission spéciale. La loi actuelle vous a-t-elle gêné dans vos recherches ?

M. Alain Privat. Absolument pas.

M. le rapporteur. Le maintien d’un régime d’interdiction assorti de dérogations présente-t-il un handicap pour les recherches futures ?

M. Alain Privat. Je pense que le handicap n’est pas important. La nuance entre progrès thérapeutique et progrès médical n’est pas que sémantique. L’utilisation à visée médicale de cellules souches embryonnaires pourrait conduire à les soumettre à l’action de différentes molécules, à un screening à visée pharmaceutique. Or cela peut être réalisé dans les mêmes conditions avec des cellules iPS.

M. le rapporteur. Si le terme « médical » a été préféré, c’est qu’il correspond davantage à certaines recherches pour lesquelles il s’avère difficile de déterminer précisément un objectif thérapeutique sur une pathologie particulière ; recherches qui, par le passé, n’en ont pas moins été autorisées par l’ABM.

M. Alain Privat. Cependant, la possibilité de disposer de cellules iPS rend caduque la question de l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines.

M. le rapporteur. Dans toutes les indications ?

M. Alain Privat. Tout au moins dans celles que je connais qui concernent le système nerveux central.

M. le président Alain Claeys. La plupart des personnes auditionnées nous ont indiqué qu’il fallait mener de front les recherches sur ces deux types de cellules souches.

M. Alain Privat. Dans la recherche fondamentale sur le système nerveux central, les cellules iPS peuvent suffire. Elles pourraient même être utilisées dans les applications thérapeutiques. Elles sont supérieures aux cellules souches embryonnaires humaines dans la mesure où elles permettent de réaliser des recherches sur des cellules de patients atteints de pathologies spécifiques et de tester directement des molécules thérapeutiques ou des approches moléculaires. Il doit pouvoir en être de même pour beaucoup d’autres organes.

M. le président Alain Claeys. Si cela devait être vérifié un jour, le débat sur le clonage thérapeutique serait clos.

M. Alain Privat. Peut-être…

M. Xavier Breton. La mission d’information n’avait pas fait apparaître la distinction entre recherche sur l’embryon et recherche sur les cellules souches embryonnaires. Cette distinction, dont nous prenons conscience aujourd’hui, est-elle opérante d’un point de vue scientifique ?

M. Alain Privat. La démarche est la même, que l’on travaille sur les cellules souches embryonnaires ou sur l’embryon : elle en implique la destruction.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Avec l’essai de la société Geron sur les cellules souches embryonnaires, vous avez démontré que l’on pouvait beaucoup s’éloigner de la thérapeutique. Il semblerait que d’autres essais aient lieu, notamment dans le domaine de la dégénérescence maculaire.

Vous dites que les cellules iPS sont moins dangereuses que les cellules souches embryonnaires. Pourtant, elles présentent les mêmes risques de formation tumorale, peut-être même des risques augmentés, du fait qu’elles ont été bricolées, parfois avec un vecteur viral.

Garder le terme « thérapeutique » dans la loi ne reviendrait-il pas à interdire toute recherche sur les cellules souches, dans la mesure où les visées thérapeutiques sont si lointaines qu’aucune équipe de chercheurs ne peut fournir de véritable protocole ?

M. Alain Privat. Nous commençons tout juste à découvrir les cellules iPS et leurs potentialités. Il faut laisser le temps à ces recherches de se développer et prévoir périodiquement une révision de la loi, afin de tenir compte des progrès accomplis ; lorsque la précédente loi a été votée, en 2004, les cellules iPS n’existaient pas !

Nous savons aujourd’hui que nous pourrons maîtriser de façon plus précise les cellules iPS que les cellules souches embryonnaires, dans la mesure où ce sont des cellules dont on aura déjà contrôlé un certain nombre de fonctions, en particulier les fonctions de multiplication par l’introduction de ces fameux gènes de reprogrammation. Sans doute pourrons-nous un jour nous affranchir complètement de l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines.

M. Jean-Yves Le Déaut. Est-ce que votre équipe travaille sur les cellules souches embryonnaires ?

M. Alain Privat. Non.

M. Jean-Yves Le Déaut. Il est évident que la différence entre la recherche sur les cellules souches embryonnaires et celle sur l’embryon est majeure. S’il est certain que l’on aboutit dans les deux cas à la destruction de l’embryon, la question est plutôt de savoir si les cellules souches provenant d’embryons qui, de toute façon, sont destinés à être détruits, peuvent être utilisées à des fins de recherche.

Les travaux sur les cellules iPS montrent que l’on ne sait pas jusqu’où va la reprogrammation par les gènes. Dans le cas de Dolly, la reprogrammation a échoué puisque la nouvelle brebis est née vieille ! Des recherches sur le processus de vieillissement des cellules iPS doivent être menées, mais en comparaison avec celui des cellules souches embryonnaires.

Par une sorte de casuistique, d’aucuns en sont venus à affirmer que la possibilité de travailler à partir de cellules iPS rendait inutile toute recherche sur les cellules souches embryonnaires. Comme toujours, l’on imagine que ce qui est nouveau permettra de résoudre l’ensemble des problèmes. Mais certains reviennent aujourd’hui sur cette affirmation, y compris devant notre commission, reconnaissant qu’il est important de travailler de manière comparative sur toutes les cellules souches. Comme pour les nanotechnologies et les biotechnologies, les cas sont très divers. C’est cela même qui rend complexe notre tâche de législateur.

M. Alain Privat. J’entends parfaitement vos objections. Le progrès sur les cellules iPS va entraîner des questionnements. Il pourra alors être utile de lancer, sur des questions précises posées par l’utilisation des iPS, des recherches comparatives et de reprendre, avec les dérogations nécessaires, des études sur les cellules souches embryonnaires dans une optique de comparaison sur des questions spécifiques.

Malheureusement, la France a raté le virage des iPS, que nous connaissons depuis trois ans maintenant. Les instances, en particulier l’Agence nationale de la recherche (ANR), n’ont pas incité les laboratoires à travailler dans ce domaine ; ceux-ci se sont focalisés sur les cellules souches embryonnaires humaines, domaine dans lequel le pays avait fortement investi. Les Britanniques, les Canadiens ou les Américains ne nous ont pas attendus sur ce terrain.

M. Philippe Nauche. Les iPS ont-ils apporté dans le domaine qui est le vôtre un espoir thérapeutique plus « sécurisé » ? Étant novice sur ces questions, j’aimerais que vous nous disiez simplement pourquoi il n’est plus utile de travailler sur les cellules souches embryonnaires humaines. Est-ce vrai pour tous les domaines de recherche ou seulement pour le vôtre ?

M. Paul Jeanneteau. Avec tout le respect que je vous porte, monsieur, je crois déceler dans vos propos un raccourci un peu rapide. Vous nous dites que l’essai Geron provoquera inévitablement des phénomènes tumoraux ; vous affirmez aussi que l’on n’utilise pas assez la technique des cellules iPS. Or l’on sait – et nous n’en sommes, comme vous le dites, qu’au début de nos connaissances dans ce domaine – que celles-ci sont très probablement cancérigènes.

La démarche scientifique n’exige-t-elle pas précisément de laisser du temps aux recherches sur les cellules souches embryonnaires, strictement encadrées, en attendant le jour où leur utilisation sera supplantée par celle des cellules iPS et où les problèmes éthiques seront ainsi résolus ?

M. Alain Privat. Nous disposons aujourd’hui d’un corpus considérable de données sur les cellules souches embryonnaires humaines. Il nous faudrait d’abord acquérir un corpus semblable sur les cellules iPS. Ensuite, et si d’autres questions se posent sur les cellules iPS, nous pourrions éventuellement lancer des études comparatives.

Le grand intérêt de cette nouvelle technique est, contrairement aux cellules souches embryonnaires, de pouvoir tester directement sur des cellules provenant de patients souffrant de pathologies spécifiques des stratégies thérapeutiques, des molécules pharmacologiques. Cela ouvre la voie d’un progrès considérable et l’espoir peut-être de pouvoir suppléer l’utilisation des cellules souches embryonnaires.

M. Hervé Mariton. La réponse absolue que fournit M. Le Déaut à l’interrogation éthique sur les cellules souches embryonnaires – de toute manière, l’embryon est destiné à mourir dans un certain délai – ne me paraît pas s’accorder aux infinies précautions dont nous usons pour aborder ces sujets.

M. le président Alain Claeys. Il est vrai que le législateur a attaché bien plus d’importance à accepter la recherche à partir de ces embryons. Il a mis plus de temps à l’accepter qu’il n’en a pris pour entériner la destruction des embryons surnuméraires…

M. Jean-Sébastien Vialatte. Un généticien célèbre n’a-t-il pas dit ici même qu’il préférait un embryon détruit à un embryon destiné à la recherche ?

M. le rapporteur. Paul Jeanneteau rappelle souvent que le corpus du droit français défend et protège l’embryon, dont tout le monde peut s’accorder à dire qu’il représente une potentialité humaine et qu’il inspire le respect, quelles que soient nos croyances.

Mais le droit prévoit deux transgressions à ce principe. D’une part, l’absence de projet parental conduit à la destruction de l’embryon, dans une construction juridique curieuse, qui veut que l’avenir d’un être en devenir, incapable d’exprimer sa volonté, est déterminé par des personnes extérieures. D’autre part, la loi Veil prévoit que la fragilité de la femme, personne humaine avérée, peut être mise en balance avec la fragilité de l’embryon ; l’absence de projet maternel justifie alors l’avortement.

Il paraît donc curieux que le prélèvement de la cellule sur l’embryon destiné à la destruction apparaisse comme une transgression importante, alors que c’est bien la destruction de l’embryon qui constitue la transgression. Toute choses égales par ailleurs, c’est un peu comme si l’on refusait d’effectuer un prélèvement de sang sur un condamné à mort ! C’est l’intentionnalité qui importe dans le droit français : or l’embryon va être détruit. Je continue à être persuadé que l’embryon doit être protégé dans notre droit laïc…

M. Hervé Mariton. Ce qui conduirait alors à le protéger davantage.

M. le rapporteur. probablement… mais que la recherche sur la cellule issue d’un embryon destiné à être détruit doit être plus largement autorisée.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Monsieur Privat, vous avez expliqué que, dans les lésions de la moelle épinière, la régénération était bloquée par le tissu cicatriciel. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines ne pourraient-elles pas permettre de découvrir les facteurs de multiplication des cellules souches in situ et d’avancer ainsi dans la voie de la stimulation de ces cellules souches ?

M. Alain Privat. Non, la cellule souche adulte, qui se trouve dans la moelle épinière du patient, est confrontée à un environnement obstructif, complètement différent de l’environnement permissif dans lequel se trouve la cellule souche embryonnaire, qui donne lieu à une croissance tous azimuts.

Mais, effectivement, l’un de nos objectifs est d’utiliser les cellules souches locales pour faire en sorte de contrôler le tissu cicatriciel et permettre ainsi la régénération du système nerveux central « par lui-même ». C’est le grand espoir que nous avons, et il pourrait concerner d’autres organes.

M. Philippe Tourtelier. Quelle est la part de vos recherches effectuée sur l’animal ?

M. Alain Privat. Nos recherches sont menées à 99,9 % sur l’animal. Elles devraient nous conduire à proposer des essais cliniques dans les trois ans qui viennent. Notre attitude a toujours été de ne proposer un essai clinique que lorsque nous sommes en mesure de prouver l’efficacité et l’innocuité de notre approche. Nous l’avons fait pour les petits rongeurs ; nous sommes en train de le démontrer chez les gros mammifères. .

Audition de M. Jean-Paul Moisan, professeur de génétique médicale, président-directeur général de l’Institut génétique Nantes-Atlantique

Séance du mercredi 12 janvier 2011

M. le président Alain Claeys. Nous recevons à présent M. Jean-Paul Moisan, professeur de médecine et directeur de l’Institut génétique Nantes Atlantique. L’IGNA, créé en 2003 et élargi en 2008, est le premier laboratoire français de génétique humaine, et vous avez souhaité nous faire part de vos préoccupations concernant la réglementation des tests de paternité.

M. Jean-Paul Moisan, professeur de génétique médicale, PDG de l’Institut génétique Nantes Atlantique. Merci d’avoir accepté de m’entendre. Je suis professeur de génétique médicale et, en tant que tel, très sensible à l’importance des lois de bioéthique, d’autant que notre discipline a été reconnue comme telle par M. Mattei, qui est à l’origine de ces lois. Il s’agit d’une discipline qui a engendré beaucoup de progrès et d’espoirs en médecine, mais aussi suscité beaucoup de questions.

J’ai créé les premières empreintes génétiques de France en 1988, au sein du CHU de Nantes, dont j’étais le chef du service de génétique. En 2003, en accord avec le CHU et l’université de Nantes, j’ai créé une société spin off du CHU, l’Institut génétique Nantes-Atlantique (IGNA), qui est devenue le leader en France en matière d’empreintes génétiques demandées par la justice – elle est également devenue le leader en Europe en 2010. Nous employons maintenant une centaine de personnes, et notre activité recouvre notamment les tests de paternité.

L’encadrement juridique des tests de paternité n’est actuellement pas satisfaisant, tant sur le plan de l’efficacité des examens que d’un point de vue éthique. Les lois de bioéthique prévoient que les tests de paternité ne peuvent être faits qu’à la demande de la justice – il s’agit surtout de tribunaux civils, parfois de magistrats de l’instruction. On ne peut donc demander à titre personnel un test de paternité. Mais les lois de bioéthique ont été pensées à la fin des années 1980. Depuis, avec Internet, on peut demander un test de paternité depuis son salon : il suffit d’avoir un numéro de carte bancaire pour recevoir un kit de prélèvement salivaire. La loi est donc contournée massivement. Pour 3 500 à 4 000 tests de paternité officiels par an en France, il y en aurait, selon les professionnels, 15 000 faits par d’autres voies – soit en ayant recours à Internet, soit en allant à l’étranger. La loi n’est donc pas appliquée. Pire, on en est arrivé à l’opposé de ce que souhaitait le législateur : ces tests de paternité sont effectués par des laboratoires à l’étranger qui échappent à tout contrôle. Certains sont de qualité, d’autres notoirement insuffisants. J’ai vu sur M6 des reportages qui montraient combien il est facile de faire un test de paternité, avec notamment cette société espagnole qui a 80 % de clients français et qui sous-traite ses analyses au Panama. Si je faisais mes analyses de la même façon en France, je vous assure que j’irais en prison !

Quant à l’éthique de la pratique, elle est aussi déplorable, dans ce cas, que la qualité des prestations. En France, on ne peut procéder à une analyse génétique qu’avec le consentement de la personne. Si l’on passe par Internet, il suffit de récupérer une petite cuillère ou un mouchoir utilisée par une personne pour faire réaliser une enquête de paternité sur celle-ci. On est donc très loin de ce que souhaitait le législateur. Celui-ci a refusé la libéralisation des tests de paternité par crainte d’une explosion des drames familiaux ; or, les pays occidentaux où ces tests de paternité ont été libéralisés n’ont pas connu ce genre de débordements – la France non plus d’ailleurs, malgré l’augmentation du nombre de tests de paternité sauvages. Bref, cette loi est contreproductive.

Par ailleurs, et sans vouloir faire de provocation, j’estime que les tests de paternité ne relèvent pas de la bioéthique mais relèvent plutôt d’un problème de société, un peu comme le divorce par exemple.

En tant que médecin, généticien, j’ai conscience de l’importance des lois de bioéthique. Pour autant, on ne peut pas mettre au même niveau le trafic d’organes, les manipulations sur les embryons, les mères porteuses et les tests de paternité ! Au reste, le citoyen moyen fait la différence. Mme Morano, lorsqu’elle était secrétaire d’État à la famille, s’est opposée à la libéralisation des tests de paternité en prétextant qu’ils deviendraient des tests de fidélité – je précise que, dans la pratique, l’infidélité est de loin le cas minoritaire ! Son propos montre bien que la question relève plus, comme celle du divorce, de l’équilibre familial que du problème de l’essence de la vie. Les tests de paternité ne relèvent donc pas, comme d’autres pratiques médicales, de l’encadrement moral mais plutôt d’une politique de transparence dans une société de plus en plus ouverte et demandeuse de vérité. Ce qui me semble très important, c’est que le législateur encadre la manière dont cette vérité est dévoilée.

Enfin, il ne faut pas oublier l’aspect économique des choses – car je suis aussi chef d’entreprise. Il est important que nos sociétés de biotechnologie créent de la richesse pour la France, tout comme il est important que je puisse assurer les salaires de mes employés. Or l’état actuel de la loi provoque une grande distorsion de concurrence.

M. le président Alain Claeys. Vous n’êtes pas concurrentiel par rapport à Internet ?

M. Jean-Paul Moisan. Non, mais je travaille très différemment : je ne peux répondre qu’aux demandes de la justice.

M. le président Alain Claeys.  Quelle solution proposez-vous ?

M. Jean-Paul Moisan. Je propose de libéraliser les tests de paternité, en encadrant les laboratoires qui peuvent les pratiquer. En France, les laboratoires qui travaillent sur les empreintes génétiques sont agréés par une commission émanant du ministère de la justice. L’agrément est délivré pour cinq ans aux laboratoires ou aux personnes, suivant un cahier des charges défini par la loi et qui tient compte de l’équipement, de la formation du personnel ou encore des protocoles utilisés, autant d’éléments de qualité qui doivent être inhérents à notre pratique. Le dispositif est comparable à celui utilisé pour les laboratoires de biologie. En outre, l’AFSSAPS contrôle deux fois par an – à l’aveugle – nos prestations.

Autoriser les tests de paternité dans des laboratoires agréés permettrait de garantir deux points qui me semblent essentiels : d’abord, la qualité des prestations, qui inclut l’accompagnement des personnes – aujourd’hui, des gens viennent me demander de leur expliquer des résultats en anglais auxquels ils ne peuvent rien comprendre ! –, et, ensuite, le respect de cette règle éthique qui veut que les analyses ne soient pas pratiquées à l’insu des personnes, sans leur consentement.

M. Hervé Mariton. Cela ne supprime pas Internet !

M. Jean-Paul Moisan. Certes, mais la majorité des gens qui passent par Internet veulent en fait éviter une procédure trop longue et trop coûteuse – pour ce type d’analyses, la moitié de notre coût de revient est un coût administratif ! Par Internet, tout est beaucoup plus simple. Il est clair que la solution que je propose n’aboutira pas à éliminer les tests de paternité sauvages, mais elle permettra de les encadrer – peut-être à 90 %. Toute proportion gardée, parce que la gravité n’est pas la même, on peut faire une analogie avec l’interruption de grossesse.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la Commission spéciale. J’ai déjà eu le plaisir de vous auditionner, monsieur Moisan, et je connais vos arguments.

Cela dit, on ne peut pas considérer qu’il faut forcément faire chez nous ce qui, de toute façon, peut se faire ailleurs – ou alors, ne nous donnons pas la peine d’écrire des lois françaises de bioéthique.

Par ailleurs, la question relève bien de la bioéthique : elle touche bien sûr à la biologie, mais aussi à l’éthique, puisque vous avez vous-même souligné que certains laboratoires ne la respectaient pas. L’éthique entre en ligne de compte, et pas seulement pour ce qui est de la fiabilité de la pratique mais aussi d’un point de vue sociétal. La bioéthique est intrinsèque à la société : nous trouvons normal que nos lois de bioéthique parlent des mères porteuses, alors qu’il s’agit plus d’un phénomène de société que d’une découverte scientifique.

Enfin, il ne s’agit pas de savoir qui est fidèle ou infidèle, mais ce que recouvre réellement la recherche génétique en paternité. L’enfant qui a été élevé par un père et une mère n’est-il plus leur enfant s’il est démontré que l’un n’est pas son géniteur ? Je crois qu’il l’est toujours.

Notre droit, notre République sont fondés sur le droit du sol, l’éducation et le transfert humain, pas sur le génétique ou le transfert de la race.

Si les gens passent pas Internet pour faire réaliser des tests de paternité, nous devons les avertir à la fois du manque de fiabilité de ces tests et de leur inutilité politique et philosophique. Mais les autoriser sur le territoire français serait un signal fort en faveur de l’importance du facteur génétique. Par effet de dominos, la possibilité deviendrait vite un droit : pourquoi tous les nouveaux-nés n’auraient-ils pas droit à un test de paternité, pour que leur authenticité génétique puisse être avérée ? Je ne pense pas que ce soit conforme à l’esprit du droit français et c’est pourquoi je n’y suis pas favorable. Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître l’extrême qualité de votre travail scientifique ainsi que l’intérêt de disposer de tests fiables lorsque la justice en a besoin.

Mme Jacqueline Fraysse. La loi n’est pas faite pour des intérêts particuliers, aussi respectables soient-ils – car ils le sont – mais pour la société tout entière ; autrement dit, elle est faite dans l’intérêt collectif.

D’un point de vue non pas de chef d’entreprise, mais de professeur en génétique médicale et de citoyen, quel est l’intérêt pour la société de libéraliser ces tests, étant entendu que cela n’empêchera pas de passer par Internet et que certaines personnes, pour des raisons de prix, préféreront s’adresser à l’Espagne plutôt qu’à Nantes ? Il est de notre devoir d’informer et d’alerter la population sur les tests sauvages. Pour le reste, si je vois l’intérêt de cette libéralisation pour votre entreprise, je ne la vois pas pour la société.

M. Philippe Nauche. Quelles sont les motivations des particuliers qui demandent des tests de paternité ? Cela relève-t-il plus du conseil génétique ou de la simple curiosité ?

M. Hervé Mariton. Tout cela dépend largement de l’évolution de la société et de la vision de l’enfant. Si l’enfant n’est plus celui d’un couple censément stable, mais l’aboutissement du droit à l’enfant d’une seule personne, on peut prévoir l’explosion de votre marché. Peut-être est-ce à cela que vous cherchez à répondre.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Quelle est la motivation des gens qui demandent un test de paternité ? La curiosité ? Des intérêts économiques ? Des histoires de divorce ou de succession ?

M. Jean-Paul Moisan. Il est clair que le test ADN de paternité ne définit pas la paternité telle que nous la concevons. Je suis le père de mes quatre enfants sans éprouver le besoin de vérifier que j’en suis le père biologique. Le père, c’est celui qui s’occupe de l’enfant. Les prestations ADN que je fournis ne répondent pas à cette question-là. Les analyses que me demande la justice concernent souvent un père qui se défausse de ses responsabilités et auquel la mère demande de reconnaître ses devoirs, ou un père qui veut prouver, au moment d’un divorce, qu’il est bien le géniteur de l’enfant qu’il a élevé pour pouvoir continuer à le voir – car le droit français fait clairement appel au test ADN dans ces questions familiales. Il y a par ailleurs des cas médicaux, comme ces jeunes fiancés qui se sont rendu compte qu’ils avaient peut-être le même père naturel. Enfin, il y a les cas, que l’on voit régulièrement mais qui sont de loin les moins nombreux, des gens séparés du fait de guerres par exemple, et qui se retrouvent vingt ou trente ans plus tard – j’ai vu récemment des Cambodgiens ayant fui le génocide des khmers rouges et qui pensaient être frère et sœur.

Quant aux personnes qui ont recours aux tests sauvages, leurs motivations me semblent pour l’essentiel se ramener à un problème de liberté. Certains veulent savoir, pour des raisons qu’on ne peut pas forcément s’expliquer : il y a ceux qui ont un doute sur leur père ou leur mère, ceux qui recherchent une identité, les enfants adoptés qui veulent avoir une idée de leur origine ethnogéographique. Tel qu’ils me l’expliquent, c’est d’abord un problème de liberté individuelle – ils ont envie de savoir et estiment ne pas avoir à se justifier – et ils n’ont pas forcément d’autre raison, pécuniaire ou autre. Pour ce que j’en sais, je pense qu’il s’agit fondamentalement d’un besoin de savoir qui regarde chacun et qui n’est pas forcément amoral.

M. le président Alain Claeys. Monsieur, je vous remercie.

Audition de M. Pierre Jouannet, professeur de médecine,
biologiste de la reproduction,
membre de l’Académie nationale de médecine

Séance du mercredi 19 janvier 2011

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Pierre Jouannet, consultant à l’hôpital Cochin, professeur des universités, membre de l’Académie de médecine, ancien membre du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine, qui fut également vice-président du comité médical et scientifique de l’Agence de 2005 à 2008.

Vous avez été responsable, de 1994 à 2007, du laboratoire d’histologie-embryologie de l’hôpital Cochin. Au cours de la même période, vous avez également dirigé le Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) de Cochin, qui prend en charge les dons de gamètes ainsi que l’accueil d’embryons, et développe des techniques innovantes pour préserver la fertilité des patients. J’ajoute que vous avez présidé la Fédération française des CECOS de 1997 à 2003 et que vous faites partie du groupe d’experts chargé d’animer le département Génétique et développement de l’INSERM.

Nous vous avions déjà auditionné en mars 2009 dans le cadre de la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. C’est aujourd’hui la commission spéciale chargé d’examiner le projet de loi qui souhaite vous entendre. Je vous laisse sans plus attendre la parole.

M. Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine. Je vous remercie de votre invitation. Je m’exprimerai en mon nom personnel mais aussi en tant que membre de l’Académie nationale de médecine, dont je serai le seul membre à être auditionné par votre commission spéciale. L’Académie a analysé en détail le futur projet de loi et fait connaître ses remarques. Elle a également pris publiquement position lors d’une conférence de presse le 16 novembre dernier sur l’anonymat du don de gamètes.

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le compte rendu des auditions précédentes. J’ai relevé que quelques points n’avaient pas été abordés jusqu’à présent, sur lesquels je souhaiterais insister aujourd’hui.

L’application des lois dites de bioéthique – qu’il serait peut-être plus judicieux d’appeler d’éthique biomédicale –, soulève certaines difficultés. Je l’ai constaté aussi bien en tant que praticien que lorsque j’étais membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine. Il faudrait sans doute trouver un meilleur équilibre entre ce qui relève du domaine législatif et réglementaire d’une part, de la responsabilité des scientifiques et des praticiens d’autre part. En effet, ces lois régissent de nombreux points relevant de l’exercice médical. Le futur projet de loi, dans la continuité des textes de 1994 et de 2004, continue de prévoir que les guides de bonnes pratiques sont établis par arrêté ministériel. Est-ce pertinent, dans la mesure où ces documents ont vocation à évoluer en fonction des connaissances ? L’obligation de recourir à un arrêté ministériel n’offre pas toute la souplesse nécessaire. Dans le domaine que je connais bien de l’assistance médicale à la procréation (AMP), seuls deux guides de bonnes pratiques ont été publiés dans notre pays depuis 1994 alors qu’en Grande-Bretagne, une dizaine l’ont été successivement durant la même période, comme il est normal, pour suivre l’évolution des techniques et des connaissances. On peut se demander si certaines dispositions réglementaires ne seraient pas plutôt du ressort d’organismes comme l’Agence de la biomédecine ; cela faciliterait leur adaptation quand c’est nécessaire.

De même, l’article 19 du projet de loi, modifiant l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, dispose que « la liste des procédés biologiques utilisés en assistance médicale à la procréation est fixée par arrêté du ministre après avis de l’Agence de la biomédecine. » En quoi des procédés biologiques, à visée thérapeutique, relèveraient-ils d’un arrêté ministériel ? Je pense qu’on a voulu trouver une solution au problème qui a, curieusement d’ailleurs, fait l’objet d’un intense débat en France, de la vitrification des ovocytes, qui n’est qu’une technique de cryoconservation parmi d’autres. Dire si une technique est préférable à une autre, déterminer si telle ou telle n’en est encore qu’au stade expérimental ou peut être utilisée en clinique sont des questions qui se posent dans tous les domaines de la médecine, pour le diagnostic comme pour la thérapeutique. Or, ces techniques ne sont pas toutes soumises à validation par arrêté ministériel. Pourquoi faire de l’AMP un cas particulier ? Pour l’Académie de médecine, cela risque de constituer un handicap majeur pour une prise en charge thérapeutique efficace des patients.

Le deuxième alinéa de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique, issu de la loi de 2004, définissant les missions de l’Agence de la biomédecine, lui donnait, entre autres, celle « d’assurer une information permanente du Parlement et du Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques pour les activités relevant de sa compétence et de leur proposer les orientations et mesures qu’elles appellent. » L’Agence de la biomédecine aurait donc dû, depuis 2004, procéder à une expertise des évolutions technologiques et des connaissances dans le domaine biomédical. Tel n’a pas été le cas, la loi n’ayant pas été mise en œuvre, ce qui a conduit aux difficultés rencontrées par exemple avec la vitrification des ovocytes. Nous ne sommes, hélas, pas au terme des difficultés si la seule solution proposée est un arrêté ministériel ! D’autres démarches, moins administratives, pourraient être privilégiées. Pourquoi en matière d’AMP, comme dans les autres champs de la médecine, ne pas faire confiance à des organismes habilités à valider les techniques ?

Une autre difficulté qui n’a pas été soulevée jusqu’à présent et qui risque pourtant de se révéler majeure en matière d’AMP réside dans l’article 20 du projet de loi. En effet, celui-ci réécrit l’article L 2141-2 du code de la santé publique qui définit l’assistance médicale à la procréation, en incluant dans les actes d’AMP la conservation des gamètes et des tissus germinaux. Cela paraît cohérent dans la mesure où ces actes sont réalisés par des équipes d’AMP. Mais cette disposition, si elle est votée, sera source de confusion. En effet, quand on conserve des gamètes, c’est pour préserver la fertilité future d’une personne, lorsque cette fertilité est menacée, le plus souvent par un traitement anti-cancéreux. Une fois la personne guérie de son cancer, ces gamètes peuvent être utilisés dans le cadre d’une procréation médicalement assistée, mais pas nécessairement. Aujourd’hui, le tissu ovarien prélevé chez une jeune femme et sauvegardé par congélation lui est ultérieurement autogreffé, de façon que sa fertilité s’exprime naturellement. On n’est pas alors dans le cadre d’une AMP. Comment résoudre ce problème ?

Une autre difficulté de cette disposition tient à ce que si la conservation des gamètes et des tissus germinaux est assimilée à l’AMP, toutes les conditions posées pour l’accès à une AMP devraient valoir aussi pour cette conservation, ce qui est impossible. En effet, cette sauvegarde est proposée à des personnes jeunes, qui vont le plus souvent subir un traitement anti-cancéreux, potentiellement stérilisant. Ces personnes ne vivent pas alors nécessairement en couple. Il arrive même qu’elles ne soient pas encore en âge de procréer. Il n’est pas rare que l’on procède à des congélations au profit d’enfants pré-pubères. Nous pensons donc qu’il conviendrait de maintenir la distinction qui existait antérieurement entre l’assistance médicale à la procréation et des actes ayant pour but de préserver la fertilité des personnes, que celles-ci aient ultérieurement recours à une AMP ou puissent procréer naturellement.

Pour ce qui est du don de gamètes, l’Académie de médecine a pris position contre la levée de l’anonymat et relevé que certaines dispositions du projet de loi sur le sujet étaient inadaptées, voire incohérentes. Tout en soutenant totalement l’avis de l’Académie, je ne me prononce pas, pour ma part, en tant que médecin car je considère que cette question n’est pas d’ordre médical, mais social et juridique.

Depuis trente ans, j’ai rencontré beaucoup de parents ayant eu recours à un donneur, d’enfants conçus par don qui se trouvent en difficulté parce qu’ils ignorent l’identité de leur donneur et d’autres qui disent n’en éprouver aucune. J’ai également étudié les conséquences qu’avait eues la levée de l’anonymat dans les pays qui y avaient procédé. Je me suis notamment rendu en Suède l’an passé, premier pays à avoir, dès 1984, levé l’anonymat. Qu’ai-je constaté ? Je ne parlerai que des procréations par don de sperme, dans la mesure où on n’a pas encore assez de recul pour celles par don d’ovules. En France, le recours à l’AMP est réservé aux couples hétérosexuels, à la stérilité médicalement constatée, qui n’en souhaitent pas moins concevoir un enfant par ce biais et construire une famille. Mais de plus en plus aujourd’hui, dans les pays où cela est autorisé comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Suède, la Belgique ou les Pays-Bas, des femmes seules ou vivant dans un couple homosexuel recourent à un don de sperme pour devenir mères. La majorité des demandes sont même désormais de leur fait. Or, ces situations sont radicalement différentes en ce qu’il n’y aura pas dans la future famille d’homme jouant le rôle de père. L’enfant à naître n’aura qu’une ou deux mères et, éventuellement, une figure paternelle dans l’entourage. Je ne porte là aucun jugement de valeur. Je dis simplement que cela n’est pas neutre sur le traitement de la question de l’anonymat du don de gamètes. Si la France devait ouvrir la procréation médicalement assistée aux femmes seules ou homosexuelles, la donne s’en trouverait totalement modifiée.

Dans notre pays où, pour l’heure, seuls les couples hétérosexuels peuvent recourir à un don de gamètes, pourquoi faudrait-il lever l’anonymat ? L’un des arguments souvent avancés est qu’il est intolérable que des informations sur les donneurs, détenues par les CECOS, soient inaccessibles aux principaux intéressés. Je peux entendre cet argument. Encore faut-il bien savoir quelles informations détiennent les CECOS. Il y a d’un côté des données identifiantes, comme le nom et la date de naissance du donneur. Jusqu’en 1994, les CECOS, c’était le cas de celui dont j’étais responsable, supprimaient au bout d’un certain temps des dossiers ces données identifiantes, qu’il n’y avait aucune raison de conserver. Le don étant anonyme, il doit l’être pour tous, y compris pour le corps médical. Il y a d’un autre côté des données non identifiantes, médicales tout d’abord comme les antécédents personnels et familiaux, les résultats des dépistages effectués à l’occasion de chaque don, non médicales ensuite comme la situation familiale, le nombre d’enfants, la profession, certaines caractéristiques physiques… Ces données-là peuvent parfaitement être communiquées sans qu’il soit besoin de lever l’anonymat. Chaque fois que cela a été nécessaire, les centres ont transmis les données médicales dont pouvaient avoir besoin les médecins traitants. Je ne verrais pas d’inconvénient à ce que les données non identifiantes non médicales puissent être communiquées à ceux qui en font la demande. Tout le problème est d’en dresser la liste qui, selon le projet, relève d’un arrêté ministériel. Le projet de loi prévoit ainsi que soit indiquée la nationalité du donneur. Or, les questions portent plus souvent sur la religion ou l’origine ethnique du donneur que sur sa nationalité. Je m’interroge donc sur le contenu de cette liste et me demande s’il relève de la loi. On pourrait imaginer que, s’entretenant avec le praticien lors de son don, le donneur décide lui-même des informations non identifiantes dont il accepte qu’elles puissent être ultérieurement transmises aux enfants nés de lui.

Pour défendre la levée de l’anonymat, d’autres avancent des raisons médicales. Mais, je l’ai dit, nous avons toujours pu répondre aux questions des médecins sans avoir à révéler l’identité du donneur. Et si on souhaitait désormais des informations génétiques plus précises, il suffirait de conserver un échantillon d’ADN des donneurs pour procéder ultérieurement à tous les tests souhaités, sans qu’il soit nécessaire, là encore, de dévoiler leur identité.

D’autres arguent qu’il serait utile de lever l’anonymat pour éviter de possibles rencontres incestueuses entre enfants conçus d’un même donneur. Cette crainte me paraît relever davantage du fantasme que de la réalité. Pour autant, le risque n’est pas nul qu’une personne conçue par don de sperme tombe amoureuse d’une autre conçue avec le sperme du même donneur et puisse vouloir des enfants avec elle. Si elle s’en inquiète, elle peut interroger le CECOS où elle a été conçue qui a les moyens, toutes les paillettes étant codées, de savoir si deux personnes conçues par don sont ou non issues d’un même donneur. Il n’est pas nécessaire pour cela de lever l’anonymat.

Le dernier argument avancé pour demander la levée de l’anonymat est le droit de chacun à connaître ses origines personnelles. Cela renvoie à la question fondamentale de ce qu’est l’origine de quelqu’un. Mais l’origine d’une personne se réduit-elle à sa dimension biologique ? Il n’est pas question de nier cette composante mais il y en a beaucoup d’autres, plus humaines dirais-je, comme le désir, la volonté de ses parents de devenir parents en dépit de la stérilité…

Sans avoir de position tranchée définitive sur le sujet, je m’interroge sur les conséquences de la révélation à un enfant conçu par don de l’identité de son donneur. Souhaite-t-il seulement s’en faire une représentation, le rencontrer ou nouer des liens avec lui ? La loi écarte certes tout risque juridique de remise en cause de la paternité du père. Mais les liens de filiation se réduisent-ils à leur dimension juridique ? Ne comportent-ils pas une composante sociale, affective, psychologique ? Permettre que puisse se tisser un lien entre l’enfant et son donneur risque de se faire au détriment du père stérile qui, a, lui, à construire sa paternité. Beaucoup d’hommes stériles que j’ai rencontrés, et leurs femmes d’ailleurs, m’ont dit que si leur enfant pouvait, à sa majorité, connaître l’identité de son donneur, cela influerait sur le vécu de leur construction familiale. Cette crainte pourrait les conduire à ne pas informer l’enfant de son mode de conception, de peur que celui-ci ne se tourne un jour vers son donneur.

Il est intéressant de noter, comme en attestent diverses études menées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, que les personnes en quête de l’identité de leur donneur sont moins intéressées par celui-ci que par les autres enfants qu’il a pu avoir, enfants de sa propre famille ou conçus au profit de couples ou personnes stériles. C’est en réalité davantage leur fratrie que leur donneur que ces personnes recherchent. Toutes les conséquences potentielles de la levée de l’anonymat n’ont pas encore été suffisamment évaluées à l’étranger. En Suède, où il a été décidé en 1985 que tout enfant conçu par don pourrait, à partir de l’âge de 16 ans, accéder à l’identité de son donneur, aucun des sept centres d’AMP du pays n’a reçu, depuis 2001 donc, une seule demande ! L’explication la plus souvent avancée est que depuis lors, les parents cachent aux enfants leur mode de conception. La levée de l’anonymat a paradoxalement renforcé le secret sur les origines, en quoi elle ne résoudrait donc pas le problème des enfants en quête de leur histoire, qui est aussi celle des parents qui les ont désirés.

Pour conclure, je voudrais citer le cas, anecdotique sans doute mais non moins intéressant, d’un jeune comédien français, Grégoire Leprince-Ringuet, qui indiquait dans un récent portrait de lui, publié par Libération, qu’ils étaient quatre dans sa fratrie, tous conçus de façon différente. « Ma sœur aînée a été adoptée, j’ai été conçu par FIV avec don de sperme, mon premier frère l’a été par insémination artificielle avec sperme de donneur et le petit dernier est né naturellement. Il n’y a aucun problème, nous avons tous été voulus par nos parents qui nous ont tous informés de notre mode de conception. Je ne comprends pas pourquoi on souhaite modifier la loi », concluait-il. Ayant eu l’occasion de le rencontrer avec sa mère et ses frères et sœur, j’ai été frappé de la vigueur de son opposition à la levée de l’anonymat. « J’y suis opposé, m’a-t-il dit, car si à l’époque de ma conception, le don de sperme n’avait pas été anonyme, je ne serais pas là aujourd’hui car mes parents n’auraient jamais eu d’enfant avec donneur. » Sur les quelques 50 000 enfants nés en France par don de sperme, quelques-uns rencontrent des difficultés, qu’il ne faut pas nier. Mais l’essentiel me paraît résider dans l’accompagnement des parents, hélas souvent les grands oubliés du débat. Il y a beaucoup de progrès à faire en ce domaine.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Je ne reviens pas sur l’anonymat du don de gamètes. Si j’avais encore quelques questions, vous y avez répondu.

Je vous interrogerai sur le régime actuel d’interdiction des recherches sur l’embryon, assortie de dérogations. Les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que le moratoire de cinq ans sur l’interdiction, qui expire très prochainement, les empêchait de lancer certains programmes de recherches importants. Une autre solution serait donc d’autoriser ces recherches sous conditions, ce qui reviendrait à peu près au même dans les faits, avec un affichage toutefois différent.

Après avoir entendu Axel Kahn expliquer qu’il y avait bien une différence de nature entre un embryon et une cellule embryonnaire et qu’il ne fallait pas confondre le tout et la partie, je me suis un temps demandé, à titre personnel, s’il ne serait pas possible d’autoriser la recherche sur les cellules embryonnaires tout en continuant d’interdire avec dérogation celles sur l’embryon. On m’a objecté tout d’abord qu’il n’y avait pas de différence entre une cellule souche embryonnaire et un embryon encore unicellulaire. Ensuite, qu’une différence de traitement ne se justifie que si les cellules embryonnaires ne sont plus susceptibles de donner un embryon. Mais alors pourquoi ne pas autoriser sans restriction les recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes puisque celles-ci ne sont que multipotentes, et non plus totipotentes – c’est-à-dire capables de donner un embryon ? Enfin, les cellules embryonnaires ne devraient-elles pas être classées dans la même catégorie que les embryons de toute façon voués à la destruction tandis que seuls les embryons destinés à naître devraient être protégés ?

Par ailleurs, la plupart des chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que la loi actuelle n’entravait pas leurs recherches et que la recherche sur les cellules embryonnaires était « en perte de vitesse » par rapport à d’autres types de cellules souches et n’apparaissait plus comme la voie la plus prometteuse, bien qu’il faille la laisser ouverte. Dès lors, est-ce vraiment la peine d’opérer une distinction entre embryon et cellules embryonnaires pour leur appliquer un régime de recherche différent ? Est-ce possible à la fois sur le plan biologique et sur le plan éthique ? Et surtout serait-ce utile ? Si les chercheurs ne travaillent plus beaucoup sur les cellules souches embryonnaires et si le dispositif actuel ne handicape pas la recherche française, c’est-à-dire s’il n’y a pas de problèmes pratiques, pourquoi se poser tant de questions éthiques ? Après avoir exploré le champ des possibles, j’en suis venu à me dire qu’un régime unique d’interdiction avec dérogation avait le mérite de la clarté par rapport à un régime qui distinguerait entre les recherches sur l’embryon, interdites avec dérogation, et celles sur les cellules souches embryonnaires, autorisées – avec encadrement car il ne saurait être question néanmoins d’autoriser sur elles des recherches pour mettre au point par exemple des produits cosmétiques. Après ce long cheminement, j’en suis revenu au premier stade de ma réflexion, mais n’est-ce pas souvent le cas en matière d’éthique ?

Le régime actuel d’interdiction assortie de dérogations vous paraît-il, professeur Jouannet, pénaliser la recherche française ? Les chercheurs qui souhaiteraient que la recherche sur les cellules souches embryonnaires soit autorisée nous ont dit que le régime actuel ne les gênait pas dans leurs recherches mais pouvait constituer un frein à des investissements industriels, ce qui ne me paraît pas un argument éthique.

M. le président Alain Claeys. Les chercheurs nous ont également dit qu’il était indispensable de mener de front les recherches sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les iPS. Aucun d’entre eux n’a dit que les recherches sur les cellules souches embryonnaires étaient « en perte de vitesse ». Ceux qui défendent l’autorisation ont aussi avancé d’autres arguments qu’économiques et industriels.

M. Xavier Breton. M. Privat nous a cependant bien dit que les recherches sur les cellules souches embryonnaires n’étaient pas indispensables et que celles sur les cellules souches adultes pouvaient suffire.

M. le rapporteur. Personne ne défend l’idée qu’on ne devrait plus faire du tout de recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Mme Catherine Génisson. Si M. Privat a en effet tenu la semaine dernière les propos rapportés par M. Breton, la plupart des autres chercheurs ont insisté sur la nécessité de travailler parallèlement sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Ils ont également souligné le caractère quelque peu hypocrite de la position française, mal comprise à l’étranger, et fait valoir, comme l’a rappelé le président, d’autres arguments qu’économiques pour demander un régime d’autorisation encadrée en soulignant que le régime en vigueur était un frein à la coopération internationale au sein de la communauté scientifique.

Mme Jacqueline Fraysse. Des auditions précédentes j’ai retenu que les possibilités offertes aujourd’hui par les cellules souches adultes et les cellules iPS permettent de limiter le recours aux cellules souches embryonnaires, non de s’en dispenser totalement. Il semble aussi qu’on aurait besoin dans notre pays de travailler davantage sur les cellules souches adultes car nous serions en retard. Je suis, pour ma part, favorable à un régime d’autorisation avec encadrement. Je m’interroge toutefois sur la manière dont cet encadrement pourrait être détaillé dans la loi.

M. le rapporteur. C’est précisément ce à quoi nous ne sommes pas parvenus.

M. le président Alain Claeys. La loi de bioéthique votée en première lecture en 2002 prévoyait une autorisation encadrée. Ce n’est qu’en deuxième lecture, en 2004, qu’a été adopté l’actuel régime d’interdiction avec dérogation.

M. Philippe Tourtelier. Alain Privat nous a dit qu’il menait la quasi-totalité de ses recherches sur des embryons animaux, pas sur des embryons humains.

Un autre intervenant a évoqué, lui, la possibilité de conflits d’intérêts chez certains chercheurs. Afin de lever toute ambiguïté, il aurait été intéressant de connaître ceux, éventuels, des personnes que nous avons auditionnées.

M. Philippe Nauche. M. Privat nous a dit que dans le domaine bien particulier de ses recherches sur le système nerveux central, les cellules souches embryonnaires n’apportaient pas grand-chose, les cellules iPS étant même d’un intérêt supérieur. Cela étant, il semblait considérer qu’avant de passer à une phase thérapeutique, il faudrait pouvoir comparer les deux.

Pour le reste, je me demande jusqu’à quel niveau de détail la loi doit descendre. Elle n’a tout de même pas à édicter les bonnes pratiques dans les laboratoires ! Beaucoup me paraît relever de l’Agence de la biomédecine.

M. le président Alain Claeys. Sur le régime de la recherche, le législateur doit se prononcer.

M. Olivier Jardé. A titre personnel, je suis favorable à une autorisation encadrée. Vous avez évoqué, monsieur Jouannet, la nécessité que les bonnes pratiques puissent suivre au plus près l’évolution des connaissances. Êtes-vous favorable ou non à une révision périodique des lois de bioéthique ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je suis moi aussi favorable à un régime d’autorisation sous conditions. L’un des problèmes actuels est le très grand nombre d’embryons surnuméraires, qui choque certains de nos collègues. Ne pourrait-on pas limiter le nombre d’ovules fécondés dans le cadre des procréations médicalement assistées ? Et ne serait-il pas plus judicieux de congeler les ovocytes plutôt que les embryons ?

M. Jean-Louis Touraine. Pour comparer la recherche sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes, il ne faut pas se fonder sur les travaux menés en France, mais au niveau mondial. Dans les pays où la recherche sur les cellules souches embryonnaires est totalement libre, les chercheurs les utilisent beaucoup. En France naturellement, comme il est difficile d’obtenir des autorisations, ils explorent des voies alternatives. Mais il est des pistes de recherche que seules les cellules embryonnaires permettent d’ouvrir. Il serait dommage de s’en priver car, qu’on l’admette ou non, elles présentent une différence fondamentale avec les autres types de cellules souches. Seules elles n’ont pas déjà vieilli et ont encore un potentiel infini de multiplication et de différenciation en tous les types cellulaires de l’organisme. Pour certaines recherches, elles sont indispensables. Il faut donc laisser les deux voies ouvertes.

M. Michel Vaxès. Que pensez-vous du régime de recherche proposé dans le texte de 2002 ? La recherche sur l’embryon a-t-elle vocation à permettre des avancées dans le domaine médical ou dans d’autres domaines, commercial par exemple ? Quelle est la préoccupation dominante ? Ce n’est pas indifférent pour le législateur.

Je ferai enfin observer, de manière peut-être quelque peu provocatrice, qu’une cellule embryonnaire, supposée changer de nature lorsqu’elle passe de l’état de totipotence à celui de multipotence, ne peut de toute façon donner naissance à un embryon que si elle est implantée dans un utérus. Aussi longtemps que cette implantation n’a pas eu lieu, il n’y a pas de possibilité de personne humaine.

M. le rapporteur. Personne ne souhaite interdire toute recherche sur les cellules souches embryonnaires. La question est de savoir si ces recherches doivent demeurer interdites avec dérogation ou devenir autorisées sous conditions.

J’en viens à un tout autre sujet. Un rapport de l’IGAS, commandité par Roselyne Bachelot lorsqu’elle était ministre de la santé, pour savoir comment favoriser le don d’ovocytes sans le rémunérer, propose une piste intéressante. Il s’agirait d’ouvrir ce don aux nullipares, alors qu’il est aujourd’hui réservé aux femmes ayant déjà des enfants, au motif qu’on ne voudrait pas qu’une femme ayant donné des ovocytes puisse se trouver ensuite, pour une raison quelconque, dans l’impossibilité d’avoir des enfants. Un avantage serait aussi d’obtenir des ovocytes de meilleure qualité car provenant de femmes plus jeunes. Pour régler le problème qui avait conduit à écarter les nullipares, on pourrait, en échange du service que les donneuses rendent à des couples stériles, leur proposer de congeler certains de leurs propres ovocytes au cas où elles deviendraient ultérieurement stériles. Cela vous paraît-il possible sur le plan technique et acceptable sur le plan éthique ?

M. Pierre Jouannet. Oui, tout comme de limiter le nombre d’ovules fécondés dans le cadre d’une PMA. Mais la congélation des ovocytes ne saurait être la seule solution à l’ensemble des problèmes qui se posent tant pour ce qui est du don d’ovocytes que de la création d’embryons surnuméraires.

S’agissant de la recherche sur l’embryon, j’avoue être sidéré par la façon dont ce sujet est en général traité. L’embryon n’est considéré que comme un matériau cellulaire, intéressant pour conduire des recherches thérapeutiques ou toxicologiques. Toute une dimension de la recherche sur l’embryon semble avoir été escamotée. J’en veux pour preuve que le Conseil d’État ait conclu, dans son rapport, que si un jour on pouvait se passer des cellules souches embryonnaires, les recherches sur l’embryon ne seraient plus nécessaires, comme si l’embryon n’était qu’un matériau de recherche à d’autres fins. Pour avoir longtemps dirigé un laboratoire de FIV qui traitait quelque dix mille embryons par an, j’en ai une vision totalement différente. Tout un pan de la recherche sur l’embryon s’exerce au profit de l’embryon lui-même. Quand on discute de recherche sur l’embryon, il y a en fait deux catégories de recherche : des recherches sans bénéfice pour l’embryon et des recherches avec bénéfice pour l’embryon dont on ne parle jamais. Au passage, je ne comprends pas que l’on oppose les cellules souches embryonnaires et les iPs. On a énormément de questions à résoudre et il faut étudier les deux.

Ce qui me gêne est que la loi interdise par principe la recherche sur l’embryon au nom de sa protection et de celle, plus générale, de la vie humaine. Serait-ce à dire qu’il y a un antagonisme entre recherche et protection de la vie ? Si oui, il faudrait logiquement interdire toute recherche biomédicale à tous les âges de la vie. Pourquoi le seul âge où, par principe, toute recherche serait interdite serait le stade de l’embryon avant l’implantation ? Pourquoi ne pas essayer de mieux comprendre les toutes premières étapes du développement de l’embryon, de mieux traiter l’embryon pour lui donner de meilleures chances de se développer ?

M. le rapporteur. Je comprends votre argument mais le principal champ de recherches est celui sur les cellules souches embryonnaires. Et le prélèvement d’une cellule embryonnaire aboutit à la destruction de l’embryon. Cela à soi seul justifie l’interdiction –avec possibilité de dérogations. S’il s’agit d’améliorer les embryons, se pose un autre problème qui est celui de l’eugénisme. C’est en quoi la recherche sur l’embryon est particulière par rapport aux recherches sur la personne humaine en général.

M. Pierre Jouannet. Loin de moi l’idée de nier la spécificité de la recherche sur l’embryon, dont je suis le premier à penser qu’elle doit être strictement encadrée. J’observe simplement que si les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont aujourd’hui beaucoup plus développées, c’est qu’elles présentent davantage d’intérêts économiques. Les chercheurs sont nombreux à espérer trouver des traitements à certaines maladies, notamment neuro-dégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou la chorée de Huntington. Mais qui se soucie des embryons ? Or ces embryons sont dans une situation dramatique.

D’après le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine de 2007, cette année-là plus de 240 000 embryons ont été créés dans les laboratoires de FIV en France, sur lesquels 85 000 ont été implantés, 12 000  seulement ayant donné lieu à la naissance d’un enfant – il serait d’ailleurs intéressant de comprendre pourquoi si peu d’entre eux, bien qu’ayant été choisis comme ceux ayant les meilleures chances de développement, se sont normalement développés in utero –, 66 000 ont été congelés et 89 000 ont tout simplement été détruits dès les premiers jours de leur existence. Dans le stock de 150 000 embryons congelés existant fin 2007 en France, 46 000 ne faisaient plus l’objet d’un projet parental. Pour autant, seuls 11 000 avaient été donnés par les couples pour des projets de recherche. C’est dire que la plupart d’entre eux étaient voués à la destruction, les couples pour lesquels ils avaient été conçus n’ayant pas formulé d’autre souhait. Chaque année en France, des dizaines et des dizaines de milliers d’embryons n’ont ainsi d’autre destin que l’arrêt de leur développement. On n’a pourtant pas le droit, par principe, de rechercher pourquoi certains d’entre eux sont malformés et ne se développent pas, ni comment améliorer leur culture pour permettre qu’ils deviennent des enfants en bonne santé. Si leur culture était mieux maîtrisée, cela permettrait pourtant un jour d’avoir à en créer moins.

J’ai parfois l’impression qu’on a la même attitude en ce domaine qu’au Moyen-Âge où l’autopsie était interdite. On a mis du temps à convenir qu’il pouvait être utile d’autopsier un corps pour comprendre les raisons de la mort et faire progresser la science médicale. Aujourd’hui, nous n’avons pas le droit « d’autopsier » un embryon de trois jours, au nom de la protection de la vie. Ces recherches sur l’embryon précoce seraient pourtant du plus haut intérêt au profit de l’embryon lui-même. Elles sont indispensables pour mieux comprendre et maîtriser le développement embryonnaire. Nous disposons également d’indices laissant à penser que certaines modifications métaboliques intervenant aux tout premiers stades du développement embryonnaire pourraient expliquer certaines pathologies de l’adulte. Il y aurait donc beaucoup de recherches à mener sur l’embryon et je regrette qu’elles soient par principe interdites.

M. le président Alain Claeys. La loi n’est pas encore votée et ce que vous avez dit est très important. Monsieur Jouannet, je vous remercie de cet éclairage très utile à nos travaux.

Audition de M. Arnold Munnich, pédiatre généticien, professeur de médecine, conseiller à la Présidence de la République

Séance du mercredi 19 janvier 2011

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir maintenant le professeur Arnold Munnich, chef du service de génétique à l’hôpital Necker, professeur de génétique à l’université de Paris V. Vous avez dirigé à l’INSERM l’unité de recherches « Handicap génétique de l’enfant », puis l’unité « Génétique et épigénétique des maladies métaboliques, neurosensorielles et du développement ». Depuis mai 2007, vous êtes également conseiller à la présidence de la République. Vous avez certainement à ce titre participé à la réflexion ayant précédé le dépôt du projet de loi. Nous souhaiterions aujourd’hui entendre votre point de vue sur ses différents thèmes.

M. Arnold Munnich, pédiatre généticien, professeur de médecine, conseiller à la présidence de la République. Je suis heureux d’intervenir devant votre commission spéciale. La bioéthique est un sujet qui passionne tous nos concitoyens, indépendamment de leur milieu socio-économique, leur culture ou leur religion. Je le constate quotidiennement en tant que praticien aux côtés des patients et des familles.

Le travail de concertation préalable à l’élaboration du projet de loi de révision a été d’une très grande qualité et a suscité un très vif intérêt. Les rapports remis par le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil d’État, l’Agence de la biomédecine, la mission d’information parlementaire que vous avez conduite, de même que les États généraux de la bioéthique n’ont pas laissé l’opinion indifférente.

Si vous en êtes d’accord, je ne traiterai pas du transfert d’embryon post mortem ni de la gestation pour autrui.

Pour ce qui est des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, le maintien du régime actuel d’interdiction assortie de dérogations n’est aucunement préjudiciable à la recherche, ni cognitive ni thérapeutique. L’Agence de la biomédecine pourra désormais autoriser les protocoles de recherche à visée « médicale », et non plus seulement « thérapeutique », puisque la loi va être modifiée en ce sens, ce dont il faut se féliciter car on ne peut subordonner une recherche à ses seules applications. Par ailleurs, les recherches sur les cellules iPS ouvrent de nouvelles perspectives, apportant déjà beaucoup de réponses. Le chercheur que je suis ne voit que des avantages au maintien du principe d’interdiction des recherches sur l’embryon, assorti de dérogations pour des projets ayant reçu l’aval de l’Agence de la biomédecine. Pour avoir siégé durant cinq ans au conseil d’orientation de l’Agence, je puis témoigner que le dispositif actuel n’a jamais entravé l’essor des connaissances, fondamentales ni thérapeutiques.

Je me félicite que l’article 19 du projet de loi permette la mise en œuvre de nouveaux procédés biologiques dans le domaine de l’AMP, comme la vitrification des ovocytes. D’une part, cette technique permettra de limiter le nombre d’embryons surnuméraires congelés. D’autre part, il est bon d’améliorer encore les techniques d’AMP, de façon à pouvoir conserver dans de bonnes conditions les ovocytes ou le tissu ovarien de femmes jeunes, de plus en plus nombreuses à être confrontées à la stérilité, du fait de malformations de l’utérus comme dans le cas du syndrome de Rokistanski Kuster Hauser, d’un cancer de l’utérus, dont il semble qu’une véritable épidémie se propage, ou d’un traitement anti-cancéreux visant n’importe quel organe mais susceptible de porter atteinte à leur fertilité. Rien ne justifie la prudence de la loi française sur ce point dès lors qu’il y a bien un projet d’enfant à la clé. La vitrification d’ovocytes est d’ailleurs autorisée dans les autres pays européens.

Le don croisé d’organes entre vivants, que l’on s’apprête à autoriser – il l’est déjà dans de nombreux pays européens – ne pose pas de problème particulier. Souhaitée par les professionnels, cette pratique permettra de réaliser davantage de greffes. Il faut simplement veiller à éviter les risques de pression sur les donneurs : le projet de loi comporte sur ce point toutes les garanties.

S’agissant du don de gamètes, je ne suis pas favorable à la levée de l’anonymat, à l’instar de nombreux professionnels qui considèrent qu’elle serait de nature à décourager les donneurs potentiels.

Il est bon que l’article 20 du projet de loi à la fois rappelle que le recours à l’AMP est réservé aux couples dont la stérilité est d’origine médicale et l’élargisse aux couples composés d’un homme et d’une femme, liés par un pacte civil de solidarité.

La question de l’information de la parentèle en cas de grave anomalie génétique n’est pas réglée. Il y a un véritable problème quand des personnes refusent d’en informer d’elles-mêmes leurs apparentés. Le respect du secret médical interdit d’aller au-devant des proches concernés en même temps que la prise en compte de leur intérêt exigerait de les informer en cas de maladie génétique pour laquelle existent des mesures de prévention ou des soins. Il n’existe pas de solution idéale dès lors que la protection de la vie privée l’emporte sur l’obligation d’assistance à personne en danger. Le dispositif d’information de la parentèle par le médecin généticien me paraît avoir été poussé le plus loin possible et je crois pas qu’on puisse faire davantage, à charge pour le généticien de trouver les voies et moyens d’informer la parentèle dans le respect de l’esprit de la loi.

Enfin, je me félicite que le titre III du projet de loi renforce l’encadrement des diagnostics pré-implantatoires et prénataux (DPI et DPN), mentionne expressément les échographies fœtales parmi les techniques ayant pour but de détecter une affection grave du fœtus et les encadre également. En même temps que sera recueilli le consentement des couples aux examens, on leur fera signer un formulaire précisant que l’absence d’anomalie détectée ne permet pas d’affirmer en toute rigueur que le fœtus est indemne de toute affection. Cette disposition était très demandée par les professionnels afin de limiter la judiciarisation d’éventuelles erreurs d’interprétation.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Vous êtes donc favorable à la non levée de l’anonymat.

L’AMP est aujourd’hui réservée dans notre pays aux couples hétérosexuels, mariés ou pouvant justifier de deux ans de vie commune. Aucun médecin spécialiste d’AMP ne sait comment exiger d’un couple la preuve de deux ans de vie commune ni d’ailleurs n’ose le faire. Tous, en revanche, demandent bien sûr au couple depuis quand il a des relations sexuelles sans que la femme ait été enceinte. Et le temps de mettre en route le projet d’AMP, il s’écoule toujours au moins une année. Il est évident qu’un couple qui sollicite une AMP a un problème de stérilité. Puisque les couples n’attendent ni le mariage ni la conclusion d’un PACS ni deux ans de vie commune avant d’avoir des relations sexuelles – c’est là un constat sociologique –, est-il justifié de conserver ces critères ? Au lieu de se questionner à l’infini pour savoir si le mariage et le PACS doivent être considérés comme équivalents ou s’il ne conviendrait pas de ramener la période de vie commune exigée à un an, ne suffirait-il pas de dire que l’AMP est réservée aux couples hétérosexuels en âge de procréer, dont l’infertilité a été médicalement constatée ?

M. Arnold Munnich. Peut-être.

M. le rapporteur. J’ai formulé l’idée qu’on puisse lors d’un DPI – technique autorisée, je le rappelle, uniquement dans le cas d’une maladie génétiquement transmissible « d’une exceptionnelle gravité » – proposer aux femmes à risque, de par leurs antécédents ou leur âge, de réaliser, si elles le souhaitent, en même temps que le dépistage de la maladie recherchée, celui de la trisomie 21 avant l’implantation de l’embryon. Il me semble en effet qu’une femme chez qui aurait été implanté un embryon ayant fait l’objet d’un DPI et qui découvrirait, lors du dépistage proposé au cours du premier trimestre de grossesse, que son fœtus est trisomique, serait en droit de dire qu’elle aurait aimé qu’on lui proposât ce dépistage préalablement et qu’on lui évite la deuxième souffrance que constitue une interruption médicale de grossesse, si elle fait ce choix. L’un des obstacles auxquels on se heurte est que lors d’un DPI, n’est aujourd’hui autorisée que la recherche d’un seul variant génétique. En outre, les associations de parents d’enfants trisomiques s’élèvent contre ce dépistage ciblé, qu’elles jugent stigmatisant pour leurs enfants. Il y a là une vraie question éthique car loin de moi l’idée de stigmatiser quelque maladie que ce soit. Qu’en pensez-vous ?

Pour de multiples raisons, le don d’ovocytes est plus compliqué que le don de spermatozoïdes. L’IGAS a suggéré, dans un rapport, que pour disposer de davantage d’ovocytes, on puisse faire appel aux nullipares alors qu’aujourd’hui, le don n’est ouvert qu’aux femmes ayant eu des enfants. Un autre avantage serait que les ovocytes obtenus seraient de meilleure qualité car provenant de femmes plus jeunes. Compte tenu du risque minime, mais non nul, que comporte la ponction d’ovocytes, pourrait-on imaginer que l’on conserve pour ces femmes certains de leurs ovocytes afin de faire face à une éventuelle stérilité ultérieure ?

M. Philippe Nauche. Je me demande si pour ne pas stigmatiser la trisomie 21, on ne pourrait pas réaliser un caryotype général de l’embryon avant son implantation. Je comprends l’émotion des familles d’enfants trisomiques car il est des parents qui, en dépit d’un diagnostic de trisomie, choisissent de garder leur enfant et leur choix est éminemment respectable.

Pourquoi refuser l’accès à l’AMP à deux femmes pacsées ? En effet, même si chacune d’entre elles n’est pas stérile, le couple qu’elles forment ne peut pas avoir d’enfant.

M. le rapporteur. Et deux hommes pacsés ?

M. Philippe Nauche. Aujourd’hui, la question ne se pose pas. S’agissant des femmes, on sait que celles qui en ont les moyens financiers se rendent à l’étranger, notamment en Belgique, pour avoir accès à ces techniques. Nous ne pourrons pas éviter ce débat.

M. Xavier Breton. Vous avez indiqué, monsieur Munnich, que le régime dérogatoire actuel n’avait pas porté préjudice aux recherches sur l’embryon. Vous vous êtes en même temps félicité qu’il soit désormais possible, comme le prévoit le projet de loi, de conduire des recherches sur l’embryon non plus seulement à visée « thérapeutique » mais « médicale ». N’est-ce pas contradictoire ? Si le dispositif actuel est satisfaisant, pourquoi faudrait-il le faire évoluer ?

Enfin, ne pensez-vous pas que la France devrait s’engager dans la voie d’une limitation du nombre d’embryons surnuméraires, comme l’ont fait l’Allemagne et l’Italie ?

M. Philippe Vuilque. M. Jouannet, que nous avons auditionné avant vous, a regretté qu’on interdise par principe les recherches sur les embryons, qui permettraient pourtant de comprendre pourquoi certains d’entre eux ne se sont pas développés correctement in utero.

M. le rapporteur. Ces recherches sont interdites par principe, mais dans les faits, elles peuvent avoir lieu grâce aux dérogations.

M. Philippe Vuilque.  Le régime dérogatoire est nécessairement plus lourd et moins souple. Dès lors qu’un embryon ne s’est pas développé, pourquoi s’interdire d’en comprendre les raisons, ce qui, à terme, profiterait à tous les autres embryons ?

M. Arnold Munnich. Ce qui me gênait dans la formulation de la loi de 2004 était qu’elle n’autorisait les recherches sur l’embryon que si elles avaient des visées thérapeutiques. Or, en ce domaine pas plus qu’en d’autres, on ne peut subordonner la recherche à ses seules applications. Le terme « médical », plus large, me semble plus approprié, incluant des finalités cognitives, comme comprendre pourquoi l’implantation d’un embryon a échoué.

L’essor des connaissances retirées des recherches sur les iPS va nous affranchir de la nécessité de travailler sur des cellules souches embryonnaires.

M. le président Alain Claeys. Beaucoup des chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit le contraire.

M. Arnold Munnich. Parce qu’ils défendent des points de vue d’une autre nature que strictement scientifique.

M. le président Alain Claeys. Vous ne pouvez pas dire cela.

M. Arnold Munnich. Je suis convaincu que si les cellules souches ont un avenir, celui-ci passera bien plutôt par les cellules adultes que par les cellules embryonnaires.

Il me paraît très important de maintenir l’interdiction des recherches sur l’embryon, petit d’homme auquel est dû en tant que tel un respect particulier. La loi pose des principes universels. Celui du respect dû à l’embryon en est un. On ne modifie pas la loi pour régler des questions particulières ou pratiques, aussi importantes soient-elles. Le dispositif proposé me paraît raisonnable et équilibré. Il ne freine en rien l’essor des connaissances. Si on vous dit le contraire, ce sont des carabistouilles.

M. le président Alain Claeys. Je respecte totalement votre point de vue mais vous ne pouvez pas traiter ainsi vos autres collègues chercheurs.

M. Arnold Munnich. Sortons de l’idéologie et considérons les choses avec pragmatisme. Le régime actuel d’interdiction avec dérogation, de surcroît lorsque celle-ci sera pérenne, n’interdit pas de mener les recherches nécessaires sur les cellules souches embryonnaires, à visée désormais cognitive ou thérapeutique, sur des projets précis, autorisés par l’Agence de la biomédecine. Quand on prétend le contraire, je demande à en connaître cas par cas.

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’ai l’impression que l’interdiction assortie de dérogations représente pour vous un pis-aller et que vous seriez même favorable à une interdiction totale des recherches sur l’embryon.

M. Arnold Munnich. Pas du tout. Je n’ai jamais dit cela.

Mme Catherine Coutelle. Permettez-moi de vous trouver quelque peu jésuite. Je ne comprends pas comment vous pouvez à la fois être favorable à l’interdiction des recherches tout en défendant le principe d’une dérogation permanente. On n’adresse pas ainsi un signal très positif au monde de la recherche.

M. Arnold Munnich. Il n’est pas question d’empêcher la science de progresser…

Mme Catherine Coutelle. C’est, hélas, le sentiment que cela donne.

M. Arnold Munnich. L’esprit de la loi est d’obéir à un principe qui est de considérer l’embryon comme né chaque fois que son intérêt l’exige. Il appartient à la loi de défendre des principes, en l’espèce celui que l’embryon mérite le respect en tant que petit d’homme – sans que cela empêche de mener, sur dérogation, des recherches d’ordre médical dans un cadre bien précis.

Mme Michèle Delaunay. Ce qui doit nous guider dans l’élaboration de ces lois de bioéthique, comme nous y invite d’ailleurs le mot lui-même, est le souci de toujours favoriser la vie. Effectuer des recherches sur un embryon afin de comprendre par exemple l’échec de son implantation, c’est aller dans le sens de la vie. Ce principe me paraît supérieur à celui, en définitive assez dogmatique, du respect dû à l’embryon. En effet, celui-ci n’est un petit d’homme que s’il a la possibilité de se développer et de donner naissance à un enfant.

Mme Catherine Génisson. La recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules embryonnaires sont des sujets différents, M. Jouannet nous l’a bien expliqué. Pourquoi s’interdire spécifiquement les recherches sur l’embryon alors qu’elles pourraient être si utiles pour améliorer la qualité des embryons, voire fournir des connaissances importantes sur la santé de l’adulte, et que par ailleurs, on mène des recherches biomédicales sur la personne humaine à tous les âges de la vie ?

Qu’est-ce qui vous permet, professeur, d’affirmer avec autant de certitude que les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont « derrière nous » ? Et pourquoi êtes-vous si attaché au régime d’interdiction avec dérogation, y compris permanente, plutôt qu’à un régime d’autorisation avec encadrement ?

Mme Edwige Antier. De par votre expérience de médecin généticien auprès d’enfants atteints de très graves maladies génétiques et de leurs familles, dont vous savez la souffrance et que vous accompagnez, vous êtes particulièrement bien placé pour vous exprimer sur ces sujets, professeur. Vous n’êtes pas un praticien ou un chercheur qui travaille seulement sur des gamètes, des embryons ou des cellules embryonnaires. Vous suivez des individus et des familles sur le long terme. Vous savez donc mieux que quiconque l’importance d’encadrer très strictement tout projet de recherche sur l’embryon. Je souhaitais vous encourager dans votre parole.

Mme Jacqueline Fraysse. L’objectif, devenu assez consensuel, il faut s’en féliciter, est de ne pas entraver les recherches sur l’embryon au profit d’avancées pour l’humanité. Je suis, pour ma part, plutôt favorable à une autorisation encadrée. Vous pensez, monsieur Munnich, que cette autorisation serait une marque d’irrespect à l’égard de l’embryon. Je ne partage pas cet avis d’autant que les recherches biomédicales sont autorisées sur la personne humaine adulte.

M. Arnold Munnich. L’embryon ne peut pas, lui, donner son accord. En outre, toute recherche sur lui aboutit à sa destruction, contrairement aux recherches sur la personne humaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Je me demande si l’interdiction de ces recherches ne constitue pas un plus grand manque de respect et je ne peux m’empêcher de trouver hypocrite le maintien de cette interdiction, assortie d’une dérogation pérenne.

M. Arnold Munnich. Je ne suis ni jésuite ni hypocrite. Je porte seulement une attention particulière au respect de la vie humaine, étant entendu que l’embryon, potentialité de vie humaine, mérite le respect en tant que tel. C’est, je crois, une valeur commune que nous partageons tous.

Sur le plan pratique, interdiction avec dérogation ou autorisation avec encadrement reviennent au même. Mais il y a une différence majeure sur le plan des principes. Or, des principes réaffirmés dans nos lois dépend la pérennité de nos valeurs fondamentales. Certaines modifications législatives peuvent faire vaciller ces valeurs. Faisons confiance à l’Agence de la biomédecine, qui réalise un travail remarquable. Elle n’a jamais empêché aucun projet de recherche de qualité d’être mené à bien. Elle empêche seulement qu’on fasse n’importe quoi avec les embryons et les cellules embryonnaires.

Un mot maintenant du dépistage de la trisomie 21 au cours d’un DPI. Il faut savoir que le DPI est réalisé sur un embryon comptant huit blastomères. Deux sont nécessaires parce qu’on ne peut réaliser qu’un test par blastomère et qu’il faut effectuer un second test de contrôle. Pour pratiquer le DPI depuis maintenant dix ans, en lien avec les équipes de René Frydman, je puis vous certifier qu’il n’est pas possible aujourd’hui sur le plan technique de dépister une deuxième maladie, en tout cas sans compromettre la fiabilité du DPI. Prétendre le contraire, c’est vendre du rêve.

Mme Catherine Génisson. Cela ne nous avait jamais été dit.

M. Arnold Munnich. Enfin, le dépistage de masse d’une maladie génétique est contraire à l’esprit de la loi. Autant chez une mère qui a déjà perdu plusieurs enfants d’une maladie génétique gravissime, il me paraît légitime de rechercher si un nouvel embryon est ou non atteint, autant le dépistage systématique de la trisomie 21, aussi bien en DPI qu’en DPN, ne me paraît pas justifié.

Mme Catherine Génisson. Il est systématiquement effectué en prénatal.

M. Arnold Munnich. Par le biais d’analyses des marqueurs sériques et par l’échographie fœtale.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Il y a un vrai problème éthique avec le dépistage de cette maladie aujourd’hui car il est désormais systématiquement proposé, quel que soit l’âge de la femme, même en l’absence de tout facteur de risque particulier.

M. Arnold Munnich. Il est proposé, pas imposé.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Lorsqu’un gynécologue indique à une femme enceinte qu’un dépistage de la trisomie 21 peut être effectué sur son fœtus et lui demande si elle le souhaite, il me semble que la réponse est contenue dans la question !

M. Arnold Munnich. Un dernier mot sur l’ouverture du don d’ovocytes aux nullipares. Si ces donneuses sont bien volontaires, seulement défrayées des frais qu’elles ont pu exposer, en aucun cas rémunérées, et qu’on leur offre en contrepartie la possibilité de conserver des ovocytes au cas où elles deviendraient ultérieurement stériles, pourquoi pas ? C’est une piste intéressante.

M. le président Alain Claeys. Monsieur Munnich, je vous remercie de votre participation à nos travaux.

Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé

Séance du mercredi 19 janvier 2011

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Comme il est d’usage, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, votre audition clôt la série des auditions, en nombre limité, menées par la Commission spéciale.

Des auditions en nombre limité, disais-je : succédant à la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, qui avait abordé l’ensemble des sujets, cette Commission spéciale a en effet pu se consacrer, pour l’essentiel, à trois thèmes : la recherche sur l’embryon, l’anonymat du don de gamètes et la gestation pour autrui (GPA), dont le projet de loi ne fait pas mention mais qui avait fait débat au sein de la mission.

Nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi, élaboré par votre prédécesseur. Nous souhaiterions que vous explicitiez aujourd’hui les choix qui ont été retenus pour ce texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Ce projet de loi est l’aboutissement d’une longue période de réflexion et de riches débats préparatoires. Sous votre conduite éclairée, monsieur le président, monsieur le rapporteur, la commission spéciale a mené un travail de grande qualité, en évitant toute fracture partisane. La richesse des auditions, la pertinence des sujets abordés, la transparence des conclusions ont contribué à nous éclairer sur les grands enjeux du texte.

Ce projet de loi est attendu. Il est également nécessaire, puisque cette révision de la loi de 2004 était expressément prévue par cette dernière – et, à ce propos, je veux rendre hommage au rapporteur de l’époque, Pierre-Louis Fagniez, pour son souci de prendre en compte les évolutions de la société comme de la médecine. Mais il s’agit aussi, comme le Président de la République l’a rappelé lors de ses vœux aux parlementaires, d’un texte sensible, dans la mesure où il touche à la définition même de la personne humaine.

Avec Nora Berra, nous abordons ce débat sans a priori, conscients de l’ampleur et de la complexité des questions. Près de vingt ans après le vote des premières lois de bioéthique, il nous faut encore chercher à concilier les progrès de la science et de la recherche médicale, les revendications individuelles et les principes éthiques.

Ces questions ne sont pas réservées aux spécialistes et aux experts : j’en veux pour preuve le succès des états généraux de la bioéthique, organisés en 2009, qui ont intéressé, au-delà des chercheurs, du monde médical, des universitaires et des juristes, tous nos concitoyens.

Ces états généraux ont aussi montré l’adhésion des Français aux principes fondateurs des lois de bioéthique : le respect de la dignité humaine et le refus de toute forme de marchandisation et d’exploitation biologique du corps humain. Ce sont ces principes que nous avons tenu à préserver dans le projet de loi et que je revendiquerai en tant que ministre lors de son examen.

Nous disposons aujourd’hui d’un corpus de règles appropriées et proportionnées. Comme vous le savez, ce projet de loi ne comporte plus de clause de révision périodique des lois de bioéthique, mais le législateur n’en devra pas moins continuer d’exercer sa vigilance à l’égard de toute nouvelle avancée, et il pourra réviser la loi chaque fois qu’il le jugera nécessaire, sans être entravé par l’existence de « rendez-vous » fixés d’avance.

Je voudrais revenir sur les innovations que comporte ce projet de loi. Comme vous le savez, la loi de 2004 avait ouvert la possibilité de recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, par dérogation au principe d’interdiction, pour une période limitée à cinq ans. Ces possibilités arrivent à échéance le 6 février prochain.

Le Gouvernement partage les conclusions de la mission d’information sur cette question, et propose de maintenir l’interdiction de principe des recherches sur l’embryon. Par conséquent, le texte pérennise la possibilité de mener des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, mais cette possibilité constitue toujours une dérogation au principe de l’interdiction.

Ce nouveau cadre donnera aux chercheurs suffisamment de visibilité pour conduire leurs projets dans la durée. En même temps, le maintien du principe d’interdiction montre l’importance que notre société accorde à la protection de l’embryon. La mesure peut sembler symbolique mais, s’agissant d’une question aussi sensible que le respect de l’embryon et de la vie humaine dès son commencement, les symboles ont leur importance. Et cette position n’est pas une position de fermeture mais, simplement, de fermeté. De fermeté sur les valeurs.

En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, le texte permet notamment la mise en œuvre de la vitrification des ovocytes. Ce procédé de congélation ultrarapide permet de mieux conserver les ovocytes, et donc de réduire le nombre d’embryons congelés.

Par ailleurs, les couples liés par un pacte civil de solidarité seront, par souci d’égalité avec les couples mariés, éligibles à l’assistance médicale à la procréation dès la conclusion du pacte.

Le projet de loi favorise aussi l’accès aux origines pour les personnes issues d’un don de gamètes. S’inspirant de la proposition du Conseil d’État, il privilégie l’option consistant à ne lever l’anonymat qu’avec le consentement du donneur. Je sais que ce point fait l’objet de débats au sein de votre commission. Je comprends et partage les réticences de certains. C’est pourquoi j’ai besoin d’entendre les uns et les autres s’exprimer sur cette question.

Tous les projets de loi sont importants, mais certains sont davantage porteurs de sens. Au travers de ce texte, nous nous interrogeons sur notre responsabilité, sur les valeurs qui fondent notre société, sur le sens du progrès technique. Nous savons que les réponses que nous apporterons à ces questions nous engagent vis-à-vis des générations futures. Les questions de bioéthique sont des questions difficiles. Nous pensons, avec Nora Berra, que cela nous impose d’y apporter des réponses claires avec la participation active de la représentation nationale.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. À travers ce projet de loi, nous sommes effectivement conviés à une interrogation essentielle sur notre responsabilité et sur les valeurs qui fondent notre société. Les enjeux sont considérables, non seulement parce que ce texte a trait à l’exercice des libertés individuelles et au respect de la dignité humaine, mais aussi parce que, vingt ans après le vote des premières lois de bioéthique, il s’agit de s’adapter à de nouvelles perspectives.

La demande sociale d’aménagement et d’assouplissement tournée vers la satisfaction des aspirations individuelles a pris le pas. Néanmoins, le besoin d’encadrement continue de se faire sentir, notamment face aux progrès rapides des technologies médicales qui peuvent démultiplier les risques de dérive.

Permettez-moi de revenir sur certains points de ce projet de loi. L’article 5 traite des dons croisés d’organes. Malgré l’efficacité des techniques chirurgicales, des traitements anti-rejet et l’amélioration de la qualité de vie des personnes greffées, nous devons faire face, vous le savez, à une pénurie préoccupante de greffons. Depuis 2004, le nombre de greffes n’a que très faiblement augmenté, passant seulement de 3 900 à 4 600, cependant que celui de donneurs vivants restait stable, à un niveau très bas.

Le texte de loi comporte une avancée notable, puisqu’il ouvre la possibilité d’organiser la pratique de dons croisés entre donneurs vivants, en n’en réservant plus le bénéfice à la seule parentèle proche, mais en encadrant plus fortement ce type de prélèvement.

Les formalités demeurent inchangées pour le receveur. Pour le donneur, la procédure de consentement, très lourde, a été maintenue, afin de s’assurer de l’absence de coercition. Informé par le comité d’experts des risques qu’il encourt et des conséquences éventuelles du prélèvement, l’intéressé exprime son consentement libre et éclairé, consentement à tout moment révocable. Sur le plan pratique, les prélèvements et les greffes doivent être réalisés de manière simultanée : contrainte forte, mais qui apparaît indispensable pour le succès des interventions en réduisant le temps d’ischémie.

Ces dispositions, qui pourraient concerner cinquante à cent greffes par an, pourraient faire croître le nombre total de greffes et celui des donneurs vivants, qui ne comptaient que pour moins de 8 % des donneurs en 2009.

En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, le projet de loi autorise la mise en œuvre de procédés à même d’améliorer sensiblement les techniques. C’est le cas de la vitrification d’ovocytes, qui a déjà fait ses preuves ailleurs en Europe : cette technique devrait éviter d’avoir à féconder tous les ovocytes et donc permettre, en diminuant le nombre de ceux qui seront prélevés, de réduire celui des embryons surnuméraires.

S’agissant du diagnostic prénatal, le texte renforce l’accompagnement et l’information de la femme enceinte, en particulier lorsqu’une affection d’une particulière gravité est suspectée. Il vise à améliorer la qualité du diagnostic prénatal et à garantir un service de qualité homogène sur le territoire national.

Le recueil du consentement écrit de la femme enceinte, après une information adaptée sur les objectifs, sur les modalités, sur les risques et sur les limites des examens de diagnostic prénatal, constitue une avancée importante. L’accent ainsi mis sur l’information garantira que l’intéressée reste entièrement maîtresse de sa décision de poursuivre ou non sa grossesse.

Le projet de loi fait évoluer le dispositif relatif à l’accès aux origines, pour les personnes issues d’un don de gamètes. Le donneur sera désormais informé au moment du don de la possibilité d’une levée de son anonymat, mais son consentement ne sera sollicité que lorsque l’enfant manifestera son désir de connaître ses origines.

À titre personnel, j’estime que le secret peut avoir des effets délétères sur le devenir de l’enfant. L’intérêt de l’enfant issu du don, qui peut souhaiter connaître certains éléments de son histoire naturelle ou des éléments médicaux, doit en tout cas être pris en considération, sans toutefois négliger celui du donneur, qui peut vouloir garder l’anonymat, ni celui des parents, qui peuvent ne pas souhaiter révéler les circonstances de la naissance. Divers risques afférents à la levée de l’anonymat ont été évoqués. Pour ma part, j’insisterai sur la nécessité de ne pas négliger les aspects psycho-affectifs, en se limitant au biologique.

Je veux rendre hommage au travail important que vous avez fourni et à votre souci constant d’apporter des réponses courageuses à des questions sensibles, touchant à l’humain. Vous avez été guidés par un esprit de modestie, par une grande détermination et par la conscience des intérêts supérieurs de notre société, qui vous ont permis de tracer des limites claires, indispensables à un exercice raisonné des libertés individuelles.

Ces sujets ont en commun de toucher à l’intime de chacun, mais ils nous touchent aussi collectivement. Une phrase de George Sand dans Histoire de ma vie me paraît parfaitement résumer cet engagement humaniste : « La vraie vie de chacun, c’est la vie de tous ».

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les travaux de la mission d’information, notamment, ont permis de dégager trois conclusions qui ont servi de guides à cette commission spéciale. Premièrement, nous devons avoir pour objectif de respecter la dignité humaine sans entraver la recherche médicale, et cela apparaît possible. Deuxièmement, la recherche du tout génétique est un danger pour notre société et, surtout dans notre République, l’éducatif et l’affectif doivent primer sur le biologique. Enfin, la médecine est essentiellement faite pour réparer des anomalies ou soigner des pathologies, et non répondre à toutes les insatisfactions qui s’expriment dans notre société, ou aux désirs individuels.

Partant de là, nous avons choisi de nous pencher sur trois sujets. Le premier, que je me permettrai, avec l’accord de mes collègues, d’éliminer rapidement, concerne la gestation pour autrui : l’immense majorité des députés ayant participé à la mission d’information et à la Commission spéciale ne défend pas l’idée d’une autorisation, que le projet de loi n’a d’ailleurs pas retenue.

Le deuxième sujet est le don de gamètes. Il existe une différence majeure entre les conclusions de la mission d’information et le projet de loi, qui prévoit une levée, certes encadrée, de l’anonymat. Je passerai sur le problème de la rétroactivité de la loi et sur la crainte qu’ont exprimée les CECOS et les médecins de voir baisser le nombre de ces dons pour m’en tenir aux questions de principe. La recherche du « père biologique », expression malheureuse que l’on rencontre parfois, est contraire aux valeurs que nous défendons tous. Il n’y a pas d’histoire à rechercher, comme dans les cas d’abandon ou de naissance sous X, lorsque le don est altruiste et gratuit. Le génétique ne doit pas prendre le pas sur l’apport affectif et éducatif des parents – non pas les « vrais parents », mais les seuls parents. Sur ce point, il semblerait que se dégage une majorité plus large que la simple majorité présidentielle.

J’ai avoué mes hésitations concernant la recherche sur l’embryon. Je suis revenu aujourd’hui à la position que vous préconisez, monsieur le ministre. J’aurais souhaité parvenir à un clivage entre le « tout » et la « partie », comme l’a dit Axel Kahn, entre la recherche sur l’embryon, qui aurait été interdite avec possibilité de dérogation, et la recherche sur la cellule souche embryonnaire, qui aurait été autorisée. Mais juridiquement, biologiquement et éthiquement, cette différence est quasiment impossible à établir.

Il faut donc choisir entre les deux régimes. Je me prononcerai en faveur de l’interdiction avec dérogation, pour une raison simple, souvent évoquée par Paul Jeanneteau : partout dans le code civil, la vie, dès qu’elle est constituée, est protégée. S’écarter sur un point de ce principe de protection de l’embryon remettrait en cause les autres dispositions de ce code.

Dernier problème, soulevé par la mission parlementaire mais qui trouve une nouvelle actualité avec le rapport auquel travaille actuellement l’IGAS en vue de vous le remettre en février : pourquoi le nombre des dons d’ovocytes est-il si faible ? La raison de cette pénurie est simple : les femmes, pour donner leurs gamètes, doivent se soumettre à une stimulation hormonale et à une ponction, accepter la douleur, les déplacements fréquents et un risque potentiel pour leur santé. Pour remédier à ce problème, la commission spéciale a largement rejeté la solution d’une indemnisation qui s’apparenterait, comme dans le système espagnol, à une rémunération. Mais elle pourrait se prononcer en faveur d’une autre, qui ne faisait pas partie des préconisations de la mission d’information : cette proposition consisterait à rendre les femmes nullipares éligibles au don, en contrepartie de quoi certains de leurs ovocytes seraient conservés pour elles, en cas d’infertilité ultérieure.

En tant que rapporteur, je suis donc opposé à la levée de l’anonymat du don de gamètes et favorable au principe d’interdiction avec dérogation de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires. Cependant, cette interdiction serait assortie d’une précaution : la remise du rapport de l’Agence de la biomédecine (ABM) à l’OPECST serait suivie d’un débat à l’Assemblée nationale, débat qui comporterait obligatoirement un volet sur l’état de la recherche en France afin que nous puissions vérifier que ses progrès ne sont pas entravés par la législation. Si tel était le cas, nous serions alors amenés à revoir notre position.

M. le président Alain Claeys. Jusqu’à présent, je me suis efforcé de présider en intervenant le moins possible dans le débat. Mais, pour la clarté de celui-ci, je souhaiterais vous poser quelques questions, monsieur le ministre.

Nous sommes d’accord pour estimer que la France s’est dotée d’un encadrement rigoureux de la recherche. L’ABM fait correctement son travail, ses autorisations ne sont pas contestées et elle est régulièrement évaluée. Son comité d’éthique fonctionne, tout comme le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

De fait, je ne conçois pas de recherche sur les cellules souches embryonnaires sans un tel encadrement. Mais je ne comprends pas que, d’une certaine façon, vous accordiez davantage d’importance à la recherche sur des cellules souches embryonnaires – qui ne peuvent être issues, je le rappelle, que d’embryons surnuméraires voués à la destruction – qu’à la destruction même des embryons surnuméraires. Vous me direz que cela ne change pas grand-chose. Pourtant, cette position n’est pas neutre : elle modifie fondamentalement la relation avec les chercheurs, puisqu’elle donne le sentiment qu’il y aurait des recherches plus ou moins éthiques. Même si le principe d’interdiction avec dérogation n’a pas freiné l’approbation des protocoles de recherche, il a créé, j’en suis convaincu, un malaise important chez les chercheurs. Par ailleurs, ces derniers travaillent sur des lignées de cellules souches embryonnaires importées. Cela donne l’impression que la France est prompte à exporter ses problèmes d’éthique, mais aussi à importer les résultats obtenus ailleurs. Je n’arrive pas à comprendre votre position, et je souhaiterais que vous l’explicitiez.

Deuxième question, très technique : l’ABM a pouvoir d’autoriser les protocoles de recherche jusqu’au 6 février. Qu’avez-vous prévu pour qu’elle puisse travailler durant l’intervalle qui nous sépare du vote de la prochaine loi ?

Enfin, pourquoi n’autoriserait-on pas la recherche au profit de l’embryon ? Le professeur Jouannet nous faisait valoir que l’on mène des recherches sur l’être humain tout au long de sa vie. Où en êtes-vous de cette réflexion et êtes-vous prêt à ouvrir le débat sur cette question ?

M. le ministre. En avez-vous débattu au sein de votre commission ? Une position d’ensemble se dégage-t-elle ?

M. le rapporteur. Il ne faudrait pas laisser accroire que la France s’interdit des recherches sur les cellules souches embryonnaires ou sur l’embryon. La dérogation, désormais, est définitive : cela met un terme au moratoire de cinq ans, qui constituait un frein à la recherche.

Par ailleurs, nous nous inscrivons dans une continuité logique : congeler l’embryon constituait déjà en quelque sorte une expérimentation. Pourra-t-on conduire demain des recherches sur l’embryon et sur son environnement pour améliorer l’implantation ? La substitution de la notion de « progrès médical majeur » à celle de « progrès thérapeutique majeur » fait que, désormais, pourront être autorisés les projets de recherche sur l’embryon dans le but d’améliorer la procréation médicalement assistée (PMA), ou sur la viabilité des embryons.

M. le président Alain Claeys. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que vous faites erreur. Dans le projet de loi, comme dans la loi de 2004, cette recherche est subordonnée, non seulement à l’accord parental, mais aussi à l’absence d’implantation ultérieure.

M. le rapporteur. En effet, dès l’instant qu’une recherche assez large est autorisée, il est interdit de se servir de cet embryon et de l’implanter pour faire ce que le professeur Mattei appelait des « essais d’homme ». On ne manipule pas l’humain. En revanche, dans le cadre de la PMA, l’embryon récupéré peut être soumis à expérimentation, dans le but de comprendre pourquoi il était ou non viable.

La recherche sur l’amélioration de la fécondation est possible. L’illustre le cas de la vitrification des ovocytes, qui est une manipulation de gamètes dans le but de créer un embryon, donc indirectement une expérimentation sur l’embryon destiné à naître : cette méthode, dont il a été prouvé – à l’étranger, en Italie en particulier – qu’elle est reproductible, de qualité et fiable, va être autorisée.

Mme la secrétaire d’État. J’ai bien compris la préoccupation des chercheurs, qui souhaiteraient que le cadre de la recherche soit assoupli…

M. le président Alain Claeys. Les chercheurs ne remettent nullement en cause l’encadrement. Ils sont unanimes à le juger satisfaisant et à estimer qu’il ne gêne pas la recherche.

Mme la secrétaire d’État. Ce qui compte, c’est que la recherche puisse s’organiser en France. Il est de notre responsabilité de mettre des garde-fous pour éviter l’utilisation intempestive d’embryons.

M. le président Alain Claeys. Mais il s’agit d’embryons surnuméraires voués à la destruction !

Mme la secrétaire d’État. Quand bien même. Nous devons poser des limites pour éviter que ces recherches n’ouvrent la porte à des dérives que, tous, nous refusons. De toute manière, ce qui importe, c’est que la recherche puisse s’opérer. Votre avis est assez controversé, monsieur le président. Certains sont favorables au maintien de l’interdiction, avec dérogation. Il y a une dualité des avis. Il nous faut l’entendre. La disposition contenue dans le projet de loi permet un encadrement rigoureux tout en autorisant le développement de la recherche. C’est un heureux compromis.

M. le ministre. Parlons librement, monsieur le président. Votre point de départ était intéressant. Vous disiez : l’encadrement est satisfaisant, l’ABM fait son travail, pourquoi alors changer de régime ?

M. le président Alain Claeys. Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Mon point de départ, c’est le texte que nous avons voté en première lecture en 2002, lorsque j’étais rapporteur. J’ai dit : l’encadrement est satisfaisant, pourquoi donc maintenir une interdiction ?

M. le ministre. Mais de quel encadrement parlez-vous ? De celui qui résulte de la loi actuelle, ou de celui que définissait le texte de 2002 ?

M. le président Alain Claeys. Je parle de l’ABM, de l’accord parental sur les embryons surnuméraires, de l’interdiction de toute implantation après recherche sur les cellules souches embryonnaires. Aucun chercheur ne remet en cause cet encadrement. Mais pourquoi maintenir le principe d’interdiction, à partir du moment où l’encadrement est satisfaisant et où ces embryons sont voués à la destruction au bout de cinq ans ?

M. le ministre. Je saisis maintenant la cohérence de votre propos. Pour autant, je ne partage pas votre point de vue. Vous nous demandez pourquoi nous souhaitons davantage encadrer la recherche sur l’embryon que sa destruction. Ce qui est en cause, c’est le respect dû à cet embryon. On ne peut admettre qu’il soit utilisé, non plus que les cellules qui en sont issues, à n’importe quelles fins – au reste, le code civil aussi bien que le code de la santé en prohibent l’utilisation à des fins industrielles ou commerciales. Nous n’avons pas voulu déplacer le curseur, car nous pensons qu’il faut maintenir les garanties existantes.

J’en viens à votre question « technique ». Dans le meilleur des cas, la loi sera votée en juillet. Les chercheurs ont déposé leurs projets de recherche en septembre. Ils pourront en déposer de nouveaux dès le vote. Dans l’intervalle, et à partir du 6 février, des dispositions transitoires permettront d’éviter le moindre vide juridique. Nous nous engageons à ce qu’il n’y ait pas d’interruption dans le processus de recherche et à maintenir la visibilité pour les chercheurs. Nous préciserons tous ces points lors des débats parlementaires, ce qui aura force juridique.

M. Philippe Nauche. Dans un souci d’équilibre, il est légitime de s’interroger à la fois sur les tentations de réification de l’embryon, que nous rejetons tous ici, et sur l’autre extrême, la sacralisation, purement littéraire, d’embryons destinés à être détruits. Le discours sur la protection de l’embryon ne sert-il pas uniquement à se donner bonne conscience, quand on sait très bien que les embryons surnuméraires seront détruits ?

M. le rapporteur. La protection du fœtus n’empêche pas l’existence d’une loi sur l’avortement.

M. Philippe Nauche. Absolument.

Le recours à l’AMP est réservé aux cas d’infertilité naturelle d’un couple. Le fait que ne puissent y avoir accès que les couples hétérosexuels – mariés, pacsés ou ayant une relation stable depuis deux ans – ne manquera pas de faire débat dans les jours qui viennent, sachant que les femmes homosexuelles pacsées bénéficient de ces techniques à l’étranger. Quelle est votre position sur cette question ?

S’agissant du don de gamètes, autant je suis en faveur de davantage d’informations non identifiantes, autant je pense que la révélation de son nom ne fait pas du donneur un père. Évitons de créer un père supplémentaire, ce qui n’aurait pas de sens !

M. Philippe Vuilque. Pourquoi nous faire croire qu’il n’y aurait aucune différence entre une interdiction de principe assortie de possibilités de dérogation et une autorisation de recherche encadrée ? Un principe est la résultante d’une conception de la vie, d’un état de la société et du respect de valeurs morales et religieuses propres à une époque donnée. Or, en l’espèce, le seul principe qui vaille est de favoriser la vie. Pourquoi ne pas s’y employer quand on dispose d’embryons surnuméraires voués de toute façon à la destruction et dont l’utilisation ne soulève par conséquent aucun problème éthique ? En cas d’échec de l’implantation lors d’une PMA, pourquoi s’interdire de savoir pourquoi l’embryon est mort ? L’exemple de l’autopsie, interdite au Moyen Âge au nom de valeurs morales et religieuses, ne montre-t-il pas que les interdictions de principe doivent être remises en cause lorsqu’elles sont en décalage par rapport aux besoins de la recherche ?

M. Xavier Breton. En matière de recherche sur l’embryon, quelle est la portée exacte de la substitution de « progrès médical majeur » à « progrès thérapeutique majeur » ? Quels champs de recherche ouvre-t-elle ?

Pensez-vous que notre pays témoigne d’une volonté insuffisante en matière de recherche publique sur les cellules reprogrammées ? Un effort doit-il être consenti pour rattraper un retard éventuel ? Pensez-vous que la France doive s’engager, comme l’Allemagne par exemple, à limiter la production d’embryons surnuméraires, ce que permettrait la vitrification d’ovocytes ?

Quelle analyse faites-vous, enfin, de la manière dont notre pays pratique le diagnostic prénatal, notamment pour le dépistage de la trisomie 21 dont la quasi-généralisation aboutit à l’élimination des fœtus porteurs de cette maladie ?

M. le ministre. Pensez-vous, monsieur Breton, que, sur ce dernier point, il faut s’en tenir à la situation actuelle ?

M. Xavier Breton. Non. Et même si le projet de loi comporte des mesures intéressantes, je pense qu’on pourrait aller au-delà, en termes d’information et d’accompagnement.

Mme Catherine Génisson. En matière de recherche sur l’embryon, nous jugeons tous le dispositif opérationnel et l’encadrement satisfaisant. Pour autant, reconnaissons que la position de la France est singulière, pour ne pas dire hypocrite. Veut-on inviter les chercheurs à s’interroger sur leur démarche pour prévenir toute dérive ou est-ce le contexte culturel de notre pays qui explique l’attachement du Gouvernement à la rédaction retenue ? Pour ma part, je préférerais une autorisation encadrée.

Sur le diagnostic prénatal relatif à la trisomie 21, je considère que le débat éthique a été « zappé ». Toutes les femmes enceintes se voient aujourd’hui proposer un diagnostic, qu’elles acceptent, et s’il révèle une anomalie, 96 % d’entre elles recourent à l’interruption médicale de grossesse (IMG). Dans ces conditions, est-il encore possible de revenir à un débat éthique sur ce sujet ?

Enfin, l’article 13 du projet alourdit les conditions d’accès à l’interruption de grossesse pratiquée pour motif médical. Ne crée-t-on pas ainsi une difficulté supplémentaire pour les femmes qui devront en bénéficier ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pour la recherche sur l’embryon, je partage l’avis du président, plutôt que celui du rapporteur : je préférerais un régime d’autorisation. J’ai en effet bien du mal à comprendre en quoi il est préférable qu’un embryon soit détruit par décongélation brutale sur une paillasse plutôt de servir à la recherche. À mon sens, si un problème éthique se pose, c’est en amont, lors de la conception des embryons. Est-il normal de fertiliser systématiquement jusqu’à huit ovules, alors que le guide des bonnes pratiques prévoit de ne jamais en réimplanter plus de deux à la fois ? Nous devons régler le problème de la conception des embryons surnuméraires, dont le professeur Jouannet a évalué le nombre total à 150 000, 60 000 embryons supplémentaires étant congelés chaque année.

Mme Martine Martinel. Monsieur le ministre, après avoir loué le travail des états généraux de la bioéthique et du forum citoyen de Rennes, qui ont mis l’accent sur la paternité sociale plutôt que biologique, comment justifiez-vous la levée de l’anonymat que prévoit le texte ? En quoi est-ce une solution puisque, à supposer que les personnes concernées la demandent, ce sera de toute façon au donneur de décider ?

Monsieur le rapporteur, vous avez assuré qu’un consensus se dégageait au sujet de la gestation pour autrui (GPA). Est-ce si sûr ? Peut-être faut-il moderniser notre législation sur ce point.

Mme Edwige Antier. Si l’on produit autant d’embryons, c’est parce que les échecs sont nombreux et qu’il faut parfois procéder à plusieurs fécondations in vitro. Distinguons les cellules que sont les spermatozoïdes et les ovocytes, et l’embryon, résultant d’un projet parental, que l’on doit protéger de toute recherche qui ne bénéficierait pas d’un encadrement éthique. C’est l’issue de ce projet qui décide de la destruction d’un embryon sur une paillasse. En vous battant à juste titre, chers collègues, pour que les fœtus non viables soient déclarés et enterrés, vous avez montré toute l’importance du projet parental. Un embryon, qui résulte de la rencontre d’un homme et d’une femme, ne doit pas pouvoir servir à l’industrie. Je soutiens donc M. le ministre et Mme la secrétaire d’État : ils ont raison de vouloir assurer un encadrement dont tous reconnaissent qu’il fonctionne bien.

Mme Martine Aurillac. En rapport avec l’AMP, la loi ne dit rien sur le transfert de l’embryon post mortem. Ne peut-on prévoir cette possibilité, comme nous l’avions suggéré au cours de missions précédentes, dans le cas où certaines conditions – délai, projet parental – seraient réunies ?

Mme Jacqueline Fraysse. Nous nous rejoignons tous sur le fait que, loin d’entraver la recherche, il faut au contraire la stimuler, la seule question étant de savoir si l’on doit préférer une autorisation encadrée à une interdiction assortie d’une dérogation sans limite de temps. Je veux bien croire, monsieur le ministre, que les deux solutions se ressemblent beaucoup, mais, à mon sens, il entre un peu d’hypocrisie dans le choix qui prévaut.

Même si l’embryon n’est pas un matériau banal, et qu’il mérite respect et protection, le professeur Jouannet a souligné qu’on devait pouvoir effectuer des recherches sur lui, au bénéfice de l’embryon, comme on le fait, dans un souci de progrès, sur la personne humaine. Est-il exact que la législation actuelle, en n’autorisant la recherche, à titre dérogatoire, que sur les embryons surnuméraires voués à la disparition, interdit de rechercher pourquoi un embryon implanté ne s’est pas développé ? Une telle limitation serait préoccupante.

M. Noël Mamère. Même si, comme le rapporteur, je pense que le tout-génétique est un danger, il me semble que nous devons sortir de l’hypocrisie et préférer une autorisation encadrée à une interdiction assortie de dérogations.

Je n’ignore pas qu’une grande majorité de parlementaires est défavorable à la GPA, mais nous serons quelques-uns à la défendre en séance publique. À cette occasion, monsieur le ministre, vous ne pourrez pas échapper à la question que vous a posée M. Nauche. L’assertion du rapporteur, selon lequel la médecine est là pour réparer et non pour combler des désirs insatisfaits, pose tout le problème du rôle social de la médecine et de l’évolution de la société. Pourquoi limiter le bénéfice de la PMA aux couples hétérosexuels stériles dès lors qu’il existe d’autres projets parentaux ? Je regrette d’ailleurs qu’en autorisant la levée de l’anonymat sur les origines, on crée une confusion entre la parenté génétique et la parenté sociale. Des personnalités qualifiées, comme Françoise Héritier, ont souligné que doit primer dans notre réflexion, puisque nous représentons la société, le point de vue des parents sociaux, qui ont un vrai projet parental.

Mme Catherine Coutelle. J’ai apprécié que M. le ministre commence par demander l’avis de la commission. Dans le cadre de la mission d’information, certains de nos collègues ont travaillé longuement sur certains sujets et effectué des choix. D’autres, dont je fais partie, découvrent le débat sans être médecins ni chercheurs, et tentent d’en percer les enjeux, ne serait-ce que pour les rendre compréhensibles à tous les citoyens.

La recherche française a-t-elle pris du retard en raison du signal négatif que constitue l’interdiction ? Y a-t-il des chercheurs que la durée, par définition limitée, du moratoire a mis en difficulté ? À mon sens, nous ne devons pas considérer les conclusions de la précédente mission comme acquises et balayer toutes les interrogations. Puisque la société va se poser ces questions, il faut pouvoir y répondre clairement et simplement.

M. le ministre. M. Mamère, qui vient d’insister sur la parenté sociale, a le mérite de la constance dans la défense de positions… que je ne partage pas. Je comprends qu’il voie dans ce texte une nouvelle occasion de les faire valoir, mais je n’entrerai pas dans sa logique. Je me souviens de l’action qu’il a menée dans sa mairie...

M. Noël Mamère. L’interprétation des articles 44 et 145 du code civil au regard de la Convention européenne des droits de l’homme – dont le Conseil constitutionnel vient d’être saisi au titre d’une question prioritaire de constitutionnalité – n’a rien à voir avec les lois de bioéthique. Le mariage n’est pas fondateur de la famille et l’on n’a jamais vu qu’une union puisse être annulée au motif qu’elle était infertile. Le mariage entre personnes de même sexe est une question de société, que l’on ne doit pas confondre avec celles que pose le projet de loi. Gardons-nous des amalgames !

M. le ministre. Je ne pratique pas d’amalgame. Je souligne que vous êtes constant dans vos positions, je dis que je ne partage pas votre point de vue sur le texte, mais je me réjouis que nous puissions débattre de manière sereine.

Nombre de sujets ont été évoqués. Commençons par ce qu’on peut appeler le « tourisme médical » ou le « tourisme pour la procréation ». Ce n’est pas parce que les pratiques sont différentes dans d’autres pays qu’il faut nécessairement s’aligner sur elles, ce qui conduirait fatalement à un moins-disant éthique.

M. le président Alain Claeys. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

M. le ministre. On ne peut reprocher aux politiques de fermer les yeux sur l’évolution du monde au motif qu’il suffit d’aller à l’étranger pour contourner les lois. Quel dommage d’ailleurs que la santé ne soit pas une compétence communautaire ! L’Union, presque trop présente sur certains sujets, ne se préoccupe peut-être pas assez de celui-ci. Quoi qu’il en soit, si l’on tente une comparaison européenne, j’ai le sentiment que la France n’est en retard ni sur les questions éthiques ni dans le domaine scientifique. Des recherches de qualité ont été autorisées dans notre pays. Je pourrais les signaler à la commission spéciale ou les citer lors du débat en séance publique, même si la plupart d’entre vous les connaissent. Le troisième essai de thérapie cellulaire, actuellement en cours, est français. Nous sommes donc loin d’être les derniers de la classe parce que nous aurions retenu le principe d’une interdiction assortie d’exceptions et de dérogations. Des débats importants ont eu lieu sur le sujet. Certains craignaient que notre pays ne sombre dans l’obscurantisme ou ne prenne un retard qu’il ne rattraperait jamais. Tout au contraire, nous avons trouvé un équilibre satisfaisant.

Sur tous les sujets qui nous occupent, j’ai le regard, non d’un médecin, mais d’un ministre qui s’apprête à défendre un texte dont il n’est pas l’auteur – et sur lequel il a même quelques réserves, s’agissant de la levée de l’anonymat. Si je m’attarde sur cette question du tourisme procréatif, c’est parce que, lors des réunions très ouvertes auxquelles j’ai participé avec des jeunes à propos de ce projet, c’était la première abordée. Pourquoi refuser la GPA, nous demandait-on, alors qu’il est si facile d’aller en Espagne ? Pourquoi les politiques ferment-ils les yeux en permanence ? La discussion devrait nous permettre de répondre à ces questions.

Par ailleurs, il faut consacrer davantage de moyens aux dons d’ovocytes. Le rapport de l’IGAS, qui doit nous parvenir prochainement, suggérera de nouvelles mesures et je suis convaincu que nous pouvons agir sans céder au biais des comparaisons incessantes avec ce que font les autres pays. Le fait que certains puissent contourner l’interdiction ne doit pas nous conduire à exposer des personnes vulnérables, au mépris de toute éthique. Pour l’heure, la question de l’indemnisation n’est pas réglée et aucune garantie ne peut être apportée quant au risque de marchandisation. Chaque État adopte la législation qu’il juge bonne en fonction de ses valeurs et de son histoire, voire, dans le cas de l’Espagne, de son désir de rompre avec celle-ci.

Mme Berra reviendra sur le diagnostic préimplantatoire (DPI). À mon sens, l’impératif est d’éviter toute sélection génétique et d’apporter davantage d’information, même si les chiffres montrent que le résultat du test amène toujours à la même décision. Une prise de conscience et une responsabilisation supplémentaires auraient du sens.

Pour ce qui est de la levée de l’anonymat, au-delà du droit de chacun à connaître ses origines, je ne pense pas que la situation de donneur suffise à procurer le statut de père. D’où des réserves de ma part. Une fois formalisé l’accord du donneur, le temps passe et, vingt ans plus tard, les intéressés peuvent se retrouver face à des situations extrêmement difficiles.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ce qui me choque le plus est que les médecins détiennent un état civil parallèle, qu’il faudrait faire disparaître si l’on choisissait de maintenir l’anonymat. Les CECOS devraient conserver les données médicales nécessaires au suivi de l’enfant sous forme non identifiante – par exemple en utilisant un système de code barres –, et non sur un fichier papier, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, dans des conditions de confidentialité qui sont loin d’être parfaites.

M. le président Alain Claeys. C’est un point capital. On doit réfléchir au moyen de contrôler ces fichiers.

M. le ministre. Mme Aurillac a plaidé pour l’autorisation d’une implantation post mortem, mais le législateur n’a jamais admis la naissance d’un enfant sans père et je ne pense pas que nous devions changer de ligne sur ce sujet.

M. le président Alain Claeys. En l’occurrence, il peut pourtant y avoir un projet parental. Nous en avions parlé toute une nuit à l’Assemblée nationale avec M. Mattei. Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte, notamment le délai par rapport à la période de deuil. Si la décision ne peut se prendre que dans le dialogue singulier entre la personne et l’équipe médicale, le législateur peut du moins ouvrir une possibilité. Actuellement, la personne doit choisir entre la destruction de l’embryon ou le don à un tiers. C’est ce qui a conduit certains députés, dont Mme Aurillac et moi-même, à envisager une troisième voie.

M. le ministre. Donner une autorisation est loin d’être neutre. Je comprends qu’un tel débat ait pu se prolonger toute une nuit ! En principe, l’autorisation est délivrée aux parents, mais, en l’espèce, il n’y a plus de père.

M. Paul Jeanneteau. Pour y avoir beaucoup réfléchi, je partage l’avis de M. le ministre, car je ne comprends pas que l’on choisisse de faire naître un enfant orphelin. Il n’est jamais facile pour une femme de se retrouver mère quand son mari est décédé pendant la grossesse. Comment accepter que l’on choisisse de se retrouver dans cette situation ? J’ajoute qu’on ignore ce qu’aurait été le choix du père décédé.

Par ailleurs, si l’on procède systématiquement au dépistage de la trisomie 21, c’est parce que le test est plus facile à pratiquer avec des traceurs hormonaux, dans le cadre du diagnostic prénatal, que par l’amniocentèse, plus lourde, plus compliquée, plus risquée et moins fiable. Sur cent diagnostics de trisomie, 96,5 aboutissent à une IMG. Je ne porte aucun jugement de valeur sur la décision des couples. Chacun choisit de manière libre, en fonction de sa culture, de ses convictions et des circonstances, mais, pour le législateur, il est manifeste qu’on a développé en France une pratique eugéniste par rapport à la trisomie 21. Le Conseil d’État et le Premier ministre l’ont également relevé, quoi qu’en dise Mme Berra. Il aurait été intéressant que notre mission d’information, qui a beaucoup travaillé sur la bioéthique, se saisisse du sujet.

M. le ministre. Encore un mot, pour répondre à M. Vuilque. Quand, au Moyen Âge, l’Église interdisait l’autopsie, elle n’accordait pas de dérogation !

Mme la secrétaire d’État. Le diagnostic prénatal pour la trisomie 21 est systématique lorsque la femme a atteint un certain âge et que l’on constate des antécédents dans la famille ; dans les autres cas, gynécologues ou obstétriciens le proposent en vertu du principe de précaution.

Plusieurs députés. Il est devenu systématique !

Mme la secrétaire d’État. Quoi qu’il en soit, la question mérite d’être soulevée. En l’état actuel, le projet de loi ne prévoit pas de diagnostic préimplantatoire pour la trisomie 21. À cet égard, toute sélection génétique et tout eugénisme sont exclus. De plus, la décision finale revient aux parents. Par ailleurs, je ne trouverais pas absurde que l’on puisse procéder à ce diagnostic en même temps qu’au diagnostic préimplantatoire de maladies génétiques rares, plutôt que de le faire à quelques semaines d’intervalle.

M. le président Alain Claeys. Le professeur Munnich nous a expliqué que ce n’est pas possible techniquement.

Mme la secrétaire d’État. Le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé en faveur de dépistages combinés. Mais il faut bien sûr tenir compte de l’avis des experts.

Mme Génisson craint un alourdissement du dispositif des IMG, mais l’article tend seulement à renforcer les compétences de l’équipe pluridisciplinaire, afin que le dialogue avec les femmes soit plus nourri et plus construit, ce qui leur permettra de mieux peser les conséquences d’une intervention.

Pour la levée de l’anonymat comme pour le transfert post mortem, il faut renoncer à se focaliser sur le point de vue des parents pour adopter celui de l’enfant, qui peut s’interroger sur son histoire individuelle comme sur sa santé. Compte tenu du retentissement que cela peut avoir sur l’équilibre psychoaffectif, le donneur de gamètes devrait consentir à être identifié tôt ou tard si l’enfant demande de connaître son géniteur.

Mme Jacqueline Fraysse. Si l’enfant le demande, on ne peut le lui refuser !

Mme la secrétaire d’État. La loi prévoit cependant que le géniteur puisse le faire.

Mme Jacqueline Fraysse. Ce n’est pas ce que j’avais compris.

M. le président Alain Claeys. La disposition a été élaborée en deux temps. Le premier projet de loi prévoyait la rétroactivité. Le Conseil d’État a fait connaître ses remarques. Aux termes du projet actuel, il ne peut être procédé à la levée de l’anonymat sans le consentement du donneur.

Mme le secrétaire d’État. C’est à mon sens un bon équilibre.

M. le président Alain Claeys. Nous poursuivrons ce débat la semaine prochaine, en séance publique. Je vous remercie.

II.- EXAMEN DES ARTICLES

La Commission examine les articles du présent projet de loi au cours de ses séances des mardi 25 et mercredi 26 janvier 2011.

TITRE IER

EXAMEN DES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉTIQUES

Avant l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement AS 65 de M. Olivier Jardé, portant article additionnel avant l’article 1er.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il s’agit d’un amendement déclaratif. Je ne puis donc qu’y être défavorable.

La commission rejette l’amendement AS 65.

Article 1er

(articles L. 1131-1, L. 1131-1-1 et L. 1131-1-2 [nouveaux] du code de la santé publique)


Information de la parentèle en cas de détection
d’une anomalie génétique grave

Le présent article définit un nouveau régime d’information de la parentèle en cas de détection, lors d’un examen des caractéristiques génétiques, d’une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins. En effet, le précédent dispositif était resté inappliqué, car trop complexe à mettre en œuvre.

1. Le dispositif actuel est demeuré inappliqué car trop complexe

Le 1° de l’article 1er du projet de loi supprime les quatre derniers alinéas de l’article L. 1131-1 du code de la santé publique. Introduits en 2004 lors de la précédente révision des lois de bioéthique, ces alinéas visaient à faciliter l’information de la parentèle en cas de détection d’une anomalie génétique grave, notamment dans les cas où la personne qui a bénéficié du test refuse de procéder elle-même à cette information.

À cette fin, le médecin est tenu, lors de la communication du résultat du test génétique au patient, de l’informer des risques que son silence ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés par l’anomalie génétique en cause, à la double condition que cette dernière soit grave et qu’elle soit susceptible de mesures de prévention ou de soins. Le patient a alors le choix d’informer lui-même sa parentèle ou d’utiliser la procédure de l’information médicale à caractère familial. Dans ce dernier cadre, il peut transmettre à son médecin la liste des personnes de sa famille potentiellement concernées, lequel doit faire parvenir ces informations à l’Agence de la biomédecine, qui a la charge de communiquer l’information génétique, par l’intermédiaire d’un médecin, aux personnes concernées.

La responsabilité de la personne qui refuse de transmettre directement ces informations aux membres de sa famille ne saurait voir sa responsabilité délictuelle engagée. En effet, le cinquième alinéa de l’article L. 1131-1 du code de la santé publique exclut toute action en responsabilité sur ce fondement. En revanche, le droit commun de la responsabilité civile s’applique si elle refuse également d’utiliser la procédure de l’information médicale à caractère familial.

Cependant, ce dispositif s’est révélé être mal adapté à la réalité de ces situations et donc inapplicable, de l’avis de la totalité des institutions qui sont intervenues dans le débat public (61). En effet, il fait intervenir une agence nationale, dont le rôle, les informations qui doivent lui être communiquées et la responsabilité éventuelle sont mal définis. De surcroît, le texte ne précise pas comment l’ABM sélectionne les médecins à qui elle transmet les informations destinées à la parentèle. Enfin, il ne prend pas en compte la possibilité, pour la personne qui a subi le test génétique, de refuser de prendre connaissance de ses résultats. C’est pourquoi le décret en Conseil d’État qui devait faire application de ces dispositions, sur le fondement du quatrième alinéa de cet article n’a jamais pu être élaboré. La procédure de l’information médicale à caractère familial est donc restée lettre morte.

Cette situation a été lourde de conséquences pour les personnes susceptibles d’être informées sur le fondement de cet article. En effet, elles se sont trouvées privées, dans les faits, de toute possibilité d’engager une action en responsabilité à l’encontre du membre de leur famille qui ne les avait pas averties du risque encouru. Alors que la responsabilité de ce dernier est explicitement exclue par la loi en cas d’absence de communication directe de l’information génétique, il en est allé de même, faute de décret d’application, dans les cas où il refuse également d’utiliser la procédure de l’information médicale à caractère familial. Les membres de la parentèle qui n’ont pas été informés et qui ont ainsi perdu une chance de prévenir ou de soigner la maladie qui les a touchés se sont heurtés « de fait, à un régime d’irresponsabilité totale » (62), ce qui contrevient à un principe pourtant constitutionnellement garanti selon lequel la loi ne peut priver les victimes de leur droit à obtenir réparation des dommages résultant d’actes fautifs (63).

2. Une nouvelle procédure conciliant respect du secret médical et droits des tiers

Le 2° de l’article 1er du projet de loi instaure donc une nouvelle procédure visant à l’information de la parentèle. Celle-ci est définie par le nouvel article L. 1131-1-1 du code de la santé publique, qui s’inspire fortement de la proposition de rédaction qui avait été faite par le rapport du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique (64).

a) Une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de prévention ou de soins

À titre préalable, il est nécessaire de noter que cette procédure ne trouve à s’appliquer que lorsque deux conditions sont réunies : l’anomalie génétique potentielle ou diagnostiquée doit être grave et ses conséquences doivent être susceptibles de prévention ou de soins.

La notion d’anomalie génétique grave ne pose pas question concernant certaines maladies graves d’origine génétique. Le comité national consultatif d’éthique, dans l’avis qu’il a rendu en 2003 à ce sujet, en cite d’ailleurs certaines (65). En revanche, la question de la gravité d’une anomalie génétique peut se poser dans un grand nombre de cas. Il en va ainsi, par exemple, des anomalies génétiques qui prédisposent à la survenue d’une maladie, qui n’est ni forcément fatale, ni inévitable. Cependant, ainsi que le préconisait la mission d’information (66), il ne semble pas souhaitable de préciser davantage dans la loi la notion d’anomalie génétique grave, du fait, d’une part, du caractère évolutif de celle-ci, et, d’autre part, du caractère limitatif de tout critère supplémentaire. Il reviendra donc aux sociétés savantes et, in fine, à la jurisprudence de préciser, le cas échéant, les contours de cette notion.

Pour que la procédure d’information de la parentèle trouve à s’appliquer, il est également nécessaire que des mesures de prévention et de soins puissent être proposées aux personnes concernées. L’avis du comité national consultatif d’éthique donne de nombreux exemples de maladies d’origine génétique et de mesures de prévention et de soins qui peuvent être engagées une fois que l’anomalie génétique a été diagnostiquée (67). Des mesures nutritionnelles voire thérapeutiques (ablation chirurgicale) peuvent parfois être prises, des examens complémentaires et des dépistages ciblés réalisés et des diagnostics affinés.

En conséquence, sont exclues du dispositif les maladies incurables dont la survenue ne peut pas être empêchée ou retardée. D’ailleurs, aucune responsabilité ne saurait être recherchée sur ce fondement, dans la mesure où il n’existe pas de lien de causalité entre l’absence de transmission de l’information et la survenue de la maladie.

Dans ce cadre, se pose également la question de la transmission d’informations qui seraient susceptibles d’interférer avec des projets parentaux d’autres membres de la famille. En effet, la connaissance de la présence au sein de la famille de certaines anomalies génétiques graves pourrait conduire à la réalisation de diagnostics prénatals ciblés visant à détecter la présence de cette anomalie. La mission d’information parlementaire qui a envisagé cette question n’a pas souhaité la trancher définitivement (68). En tout état de cause, le projet de loi exclut ce cas de figure de la procédure nouvellement créée. En effet, on ne saurait considérer qu’empêcher une naissance soit une mesure de prévention. De surcroît, la personne qui a réalisé le diagnostic génétique est tenue d’informer « les membres de sa famille potentiellement concernés ». Cette expression doit être comprise comme désignant les personnes qui sont potentiellement porteuses de l’anomalie génétique grave en question, ce qui exclut, par définition, les personnes à naître.

b) Une procédure tentant de concilier les intérêts en présence

Le premier alinéa de cet article renforce l’information préalable de la personne qui s’apprête à réaliser un examen de ses caractéristiques génétiques, afin d’éviter, comme c’est le cas actuellement, que ce soit au moment du diagnostic que les modalités de l’information de la parentèle soient pour la première fois abordées. Celle-ci devrait être l’occasion, pour le médecin, d’exposer la procédure légale d’information de la parentèle, d’identifier les membres de la famille qui seraient susceptibles d’être porteur de la même anomalie génétique grave, notamment en dressant un arbre généalogique, et d’indiquer au patient l’importance, compte tenu des mesures de prévention et de soins existantes, de procéder à une telle information. Cette information se matérialise par la remise d’un document écrit, dont il serait satisfaisant qu’il soit personnalisé en fonction de l’anomalie génétique recherchée et de l’arbre généalogique du patient et qui devra préciser la nature des obligations qui pèsent sur le patient. D’ailleurs, par l’introduction d’un nouvel article L. 1131-1-2 dans le code de la santé publique, le dernier alinéa de l’article 1er du projet de loi impose que ce soit le médecin prescripteur de l’examen génétique qui en délivre les résultats à la personne concernée, afin qu’il puisse effectuer le suivi nécessaire à l’information de la parentèle.

Il est prévu, au deuxième alinéa de ce nouvel article L. 1131-1-1, que le médecin prescripteur du test génétique délivre, à la personne qui en a fait l’objet, les résultats de ce test. Est cependant préservée la possibilité, pour cette personne, d’être tenue dans l’ignorance du diagnostic qui résulte de ce test, conformément au principe général énoncé au quatrième alinéa de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique : « La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. » En effet, l’exception concernant la « transmission » évoquée à cet article ne saurait s’appliquer en l’espèce dans la mesure où la présence ou non de la caractéristique génétique en cause dans le génome des membres de la famille n’est pas sujette à variation en fonction des décisions de la personne qui reçoit les résultats de son examen génétique. Dans tous les cas, les obligations pesant sur le médecin seront satisfaites par la remise, par le patient, d’une attestation certifiant soit que le médecin lui a bien délivré un document résumant l’information médicale diagnostiquée, soit que le patient ne souhaite pas prendre connaissance de cette information.

Il incombe dès lors à la personne qui reçoit l’information génétique de la communiquer aux membres de sa famille potentiellement concernés et dont elle est en mesure d’obtenir les coordonnées, si des mesures de prévention et de soin peuvent leur être proposées, sur le fondement du troisième alinéa de ce nouvel article L. 1131-1-1. À cet égard, deux procédures sont envisagées par le projet de loi :

– la procédure de droit commun est celle qui résulte des sixième et septième alinéas de l’article 1er du projet de loi. La personne qui a subi le test génétique procède d’elle-même à l’information des membres de sa famille ;

– de manière subsidiaire, cette personne peut demander par écrit au médecin prescripteur de procéder lui-même à la transmission de l’information génétique en cause aux personnes susceptibles d’être concernées et dont les coordonnées lui ont été remises. Ces personnes sont alors invitées par le médecin prescripteur à se rendre à une consultation génétique et se voient informées de l’existence d’une information médicale à caractère familial. Le médecin qui procède à cette consultation génétique est informé par son confrère de l’anomalie génétique en cause afin de pouvoir en expliquer les enjeux à la personne qui le consulte. Cette solution alternative serait susceptible de s’appliquer dans les cas où la personne porteuse de l’anomalie génétique ne se sent pas capable de procéder par elle-même à cette information ainsi que quand elle souhaite être tenue dans l’ignorance du diagnostic.

Cette procédure alternative préserve totalement le secret médical, dans la mesure où le médecin n’est en aucune façon autorisé à procéder à l’information de la parentèle en dehors de la volonté du porteur de l’anomalie génétique. Face aux risques potentiels pour les personnes qui n’ont pas été prévenues et qui sont par conséquent susceptibles de perdre une chance d’être soignées, la confédération helvétique a adopté une procédure destinée à passer outre le secret médical. Le médecin peut alors informer la parentèle s’il obtient un avis favorable de la commission d’experts pour l’analyse de la génétique humaine. Cependant, la mission d’information parlementaire a souligné que cette commission n’avait jamais été saisie entre 2007, année de sa création, et 2009 (69).

Le principe du secret médical semble donc devoir être conservé, conformément à ce que prévoit le projet de loi et ainsi que l’avaient préconisé l’avis rendu dans le cadre des États généraux de la bioéthique (70) et le rapport du Conseil d’État (71). En effet, y porter atteinte, même à titre dérogatoire, nuirait à la relation de confiance entretenue entre le patient et son médecin. Par ailleurs, la levée du secret médical nécessiterait la création d’une commission comparable à celle qui a été instaurée en Suisse, complexifiant de manière substantielle le régime juridique de responsabilité applicable en la matière.

D’ailleurs, la nature de l’information délivrée à la parentèle dans le cadre de la procédure alternative est réduite au minimum, puisqu’elle ne comprend ni le nom de la personne qui en est porteuse, ni l’anomalie génétique, ni le risque associé. C’est uniquement le médecin consulté qui sera en mesure de révéler l’anomalie génétique en cause et d’indiquer à la personne les risques associés.

En conséquence, cette nouvelle procédure protège le droit de ne pas savoir, précédemment évoqué, pour chacun des protagonistes. Si la personne qui réalise initialement le diagnostic génétique dispose de la possibilité de refuser d’en connaître les résultats, il doit en aller de même des personnes qui seraient informées de l’existence d’une information génétique par l’intermédiaire de la procédure décrite ci-dessus mais ne souhaiteraient pas en prendre connaissance. On ne saurait en effet leur imposer la connaissance d’une information médicale potentiellement grave et susceptible de les concerner. C’est pourquoi l’information qu’elles recevraient initialement du médecin prescripteur ne divulguerait pas la nature de l’anomalie en cause.

c) Un régime de responsabilité adéquat

L’effectivité d’une procédure ne saurait être garantie sans régime de responsabilité adéquat.

En l’espèce, aucune responsabilité du médecin ne saurait être recherchée s’il remplit les obligations qui découlent de cette nouvelle procédure. En effet, le patient doit lui remettre, au moment où il prend connaissance des résultats, s’il refuse d’en prendre connaissance et en cas de recours à la procédure subsidiaire, des attestations démontrant que le médecin a bien procédé aux informations nécessaires.

En revanche, la personne porteuse de l’anomalie qui refuse de transmettre l’information à sa parentèle est susceptible d’être responsable civilement à ce titre. En effet, dès lors qu’elle ne communique pas une information dont elle a connaissance et qui est susceptible de faire perdre une chance à la personne qui pourrait en bénéficier, sa responsabilité est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil. En tout état de cause, cette responsabilité ne pourrait être engagée que si la personne qui a subi l’examen refuse d’en communiquer les résultats tant directement que par le biais de la procédure subsidiaire.

Sa responsabilité pénale ne semble toutefois pas pouvoir être engagée sur le fondement des infractions relatives à la mise en danger de la personne et, en particulier, au délit d’omission à porter secours (article 223-6 du code pénal), ainsi que l’avait noté la mission d’information (72), dans la mesure où la situation de danger, au sens du droit pénal, se définit comme un état de péril imminent exigeant une action immédiate. Ces conditions ne semblent pas pouvoir être remplies en l’espèce.

*

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 209 et AS 214 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement AS 210 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement prévoit que les personnes qui ne souhaitent pas prendre connaissance du diagnostic d’un examen génétique qu’elles ont effectué se voient remettre un document soulignant l’obligation d’information de leur parentèle qui pèse sur elles ainsi que les conditions dans lesquelles leur responsabilité pourrait être engagée.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les gènes de susceptibilité sont-ils concernés ? Il est nécessaire de préciser quelles sont les anomalies faisant l’objet de ces dispositions.

M. le rapporteur. L’article 1er porte uniquement sur les anomalies génétiques graves, dont la liste, qui aurait été non exhaustive et difficile à actualiser, n’a pas été dressée.

La parentèle est informée dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent lui être proposées. La personne procède elle-même à cette information. Elle peut demander au médecin prescripteur d’y procéder si elle ne s’estime pas en mesure de le faire ou si elle a souhaité être tenue dans l’ignorance du diagnostic.

Dans ce dernier cas, elle doit être informée de son obligation d’information et des risques qu’elle encourt vis-à-vis de sa parentèle, par un document standardisé non susceptible de lui faire comprendre la nature du résultat.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Après avoir pensé à s’en remettre à la sagesse de la commission, le Gouvernement exprime finalement son accord.

La commission adopte l’amendement AS 210.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 25 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Le médecin doit proposer au patient de prendre contact avec une association de malades agréée, à même d’apporter des renseignements complémentaires sur l’anomalie génétique dépistée.

M. le rapporteur. Cet amendement reprend en partie la proposition n° 37 du rapport de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique. Je suggère de remplacer les mots « doit proposer » par le mot « propose » – formule valant impératif –, le terme « patient » par le terme « personne » et le terme « dépistée » par le terme « diagnostiquée ». En outre, il conviendrait de préciser que les associations doivent être agréées conformément à l’article L. 1114-1 du code de la santé publique.

M. Xavier Breton. J’accepte que l’amendement soit rectifié en ce sens.

M. Jean Bardet. Donner un tel conseil est une évidence pour des spécialistes rompus à ce type d’annonce. Est-ce bien à la loi de prévoir un tel dispositif ?

M. Gaëtan Gorce. N’alourdissons pas inutilement le texte ! Nous serions prêts à soutenir cet amendement si le Gouvernement s’engageait à reprendre son contenu sous forme réglementaire.

M. le ministre. La disposition proposée est certes d’ordre réglementaire mais, si l’amendement est maintenu, le Gouvernement sera favorable à son adoption.

La commission adopte l’amendement AS 25 ainsi rectifié.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 211, AS 212 et AS 213 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.

Article 2

(article L. 1131-2 du code de la santé publique)


Définition des règles de bonnes pratiques pour les examens génétiques

Cet article précise les conditions dans lesquelles des règles de bonne pratique peuvent être fixées en matière d’examen des caractéristiques génétiques d’une personne, d’identification par empreintes génétiques à des fins médicales et de suivi médical en modifiant l’article L. 1131-2 du code de la santé publique.

Ces derniers consistent en l’analyse des caractéristiques génétiques héritées ou acquises à un stade précoce de développement prénatal en vue de poser, de confirmer ou d’infirmer le diagnostic d’une maladie à caractère génétique chez une personne, de rechercher les caractéristiques d’un ou de plusieurs gènes susceptibles d’être à l’origine du développement d’une maladie chez une personne ou les membres de sa famille potentiellement concernés ou d’adapter la prise en charge médicale d’une personne selon ses caractéristiques génétiques (73).

L’article L. 1131-2 du code de la santé publique en vigueur prévoit que le ministre chargé de la santé peut fixer par arrêté des règles de bonnes pratiques et des règles techniques et sanitaires pour la prescription et la réalisation de ces examens et identifications ainsi que pour le suivi médical des personnes qui les subissent.

L’article 2 du projet de loi transforme la simple faculté dont dispose le ministre chargé de la santé de prendre cet arrêté de bonnes pratiques en obligation. En effet, ces tests génétiques prennent une place croissante dans la médecine contemporaine, que ce soit dans le cadre des diagnostics anténataux ou pour le diagnostic d’une anomalie génétique à l’occasion de la survenue d’une affection ou pour la prévenir. Il est donc essentiel que tant la prescription que la réalisation de ces tests soient entourées de règles de bonnes pratiques qui fixeront notamment les exigences éthiques auxquelles ils doivent être soumis, ainsi que les normes techniques et sanitaires à respecter, qui étaient expressément visées par cet article et seront désormais incluses implicitement dans l’expression de « bonnes pratiques ».

Or, l’arrêté en question n’a jamais été publié par le ministère chargé de la santé en raison, d’après l’étude d’impact du projet de loi, de l’absence de proposition du directeur général de l’Agence de la biomédecine en la matière, l’arrêté ne pouvant être pris que sur proposition de ce dernier, sur le fondement de l’article R. 1131-3 du code de la santé publique. Ceci démontre l’intérêt de le rendre obligatoire.

L’article 2 du projet de loi confirme que cet arrêté sera pris sur proposition de l’Agence de la biomédecine, ce qui se justifie par la compétence technique de cet établissement public qui est chargé, au titre du 1° de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique, « de participer à l’élaboration […] de la réglementation et des règles de bonnes pratiques […] pour les activités relevant de sa compétence », au nombre desquelles figure la génétique humaine.

Ainsi, cet article imposera au ministre chargé de la santé de publier un arrêté définissant les règles de bonne pratique en matière de prescription et de réalisation de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne, d’identification par empreintes génétiques à des fins médicales et de suivi médical des personnes ayant subi un examen ou une identification.

*

La commission examine l’amendement AS 150 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les techniques médicales évoluant vite, il conviendrait que les règles de bonne pratique soient déterminées par l’Agence de la biomédecine (ABM) plutôt que dans un arrêté du ministre chargé de la santé, souvent tardif. L’Académie de médecine et l’Académie des sciences elles-mêmes sont demandeuses d’une telle adaptation.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je comprends l’objectif d’efficacité et de rapidité qui sous-tend l’amendement, mais celui-ci donnerait à l’ABM un pouvoir réglementaire. Or nombre de nos collègues tiennent à ce que le législateur et le pouvoir exécutif ne se dessaisissent pas de décisions importantes pour notre société.

M. Philippe Nauche. Toute modification technique nécessite-t-elle un arrêté, qui deviendra caduc aussitôt pris ?

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas à l’ABM, qui aime à se définir comme gendarme, d’établir les règles de bonne pratique. Elle peut donner son avis.

M. le ministre. Les révélations récentes sur les agissements de l’Agence du médicament l’ont montré : l’autorité politique ne se délègue pas à une autorité sanitaire. Après l’affaire du sang contaminé, un mouvement de fond a consisté à renvoyer la prise de décision vers les experts et, de manière plus générale, vers les autorités administratives indépendantes. Je refuse un tel système : le politique doit garder la responsabilité d’un certain nombre de décisions, a fortiori dans un domaine qui touche à la protection de la personne et de ses droits.

M. Jean-Yves Le Déaut. Certes, il appartient au législatif et à l’exécutif de fixer les règles générales. Mais faut-il que le pouvoir normatif s’exerce au niveau de l’arrêté ministériel ?

M. le ministre. C’est une question intéressante. Je considère que l’arrêté fait partie du pouvoir normatif et qu’il procède de la même responsabilité : je pourrai vous donner en séance publique des exemples précis.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je retire l’amendement.

L’amendement AS 150 est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS 215 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3

(articles L. 1131-2-1 [nouveau], L. 1131-3, L. 1133-6-1 [nouveau] du code de la santé publique)


Nécessité d’une autorisation pour les laboratoires de biologie médicale désirant effectuer des examens génétiques

Le présent article donne une base légale à la procédure d’autorisation et d’accréditation des laboratoires de biologie médicale qui réalisent des examens des caractéristiques génétiques ou des identifications par empreintes génétiques à des fins médicales.

Le paragraphe I de cet article crée un article L. 1131-2-1 au sein du code de la santé publique. Ce nouvel article prévoit explicitement que des examens de ce type ne puissent être réalisés que dans des laboratoires de biologie médicale autorisés et accrédités.

En premier lieu, les laboratoires de biologie médicale qui réalisent ces examens et identifications devront être autorisés dans les conditions des articles L. 6122-1 et suivants du code de la santé publique qui figurent dans le livre Ier de la sixième partie de ce code, relatif aux établissements de santé. Cet article prévoit que « sont soumis à l’autorisation de l’agence régionale de santé les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la création, la conversion et le regroupement des activités de soins […] ». Or, à l’heure actuelle, les laboratoires de biologie médicale ne sont pas en tant que tels soumis à autorisation de l’agence régionale de santé. En effet, l’article L. 6222-1 du code de la santé publique prévoit une simple procédure de déclaration auprès de l’agence régionale de santé.

Cependant, les activités de génétique sont des examens de biologie médicale particuliers qui nécessitent un encadrement spécifique. C’est ce qu’a pris en compte le décret n° 2008-321 du 4 avril 2008 qui a modifié les articles R. 1131-13 et suivants du code de la santé publique en soumettant la possibilité de réaliser des examens des caractéristiques génétiques ou des identifications par empreintes génétiques à des fins médicales à une autorisation du directeur général de l’agence régionale de santé.

Les principes posés par ce décret sont élevés au niveau législatif par l’article 3 du projet de loi. Ce serait désormais sur un fondement législatif que seuls les laboratoires de biologie médicale autorisés pourraient pratiquer des examens des caractéristiques génétiques ou des identifications par empreintes génétiques à des fins médicales. Les laboratoires de biologie médicale pouvant être rattachés à un établissement de santé, l’autorisation serait dans ce cas délivrée directement à ce dernier.

En second lieu, ces laboratoires devront également être accrédités sur le fondement des articles L. 6221-1 et suivants du code de la santé publique. Celui-ci pose la règle générale selon laquelle « un laboratoire de biologie médicale ne peut réaliser d’examen de biologie médicale sans accréditation ».

En troisième lieu, les laboratoires de biologie médicale établis dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen pourraient également réaliser une partie de ces examens et identifications. Conformément à l’article L. 6211-2 du code de la santé publique, un examen de biologie médicale se déroule en trois phases :

« 1° La phase pré-analytique, qui comprend le prélèvement d’un échantillon biologique sur un être humain, le recueil des éléments cliniques pertinents, la préparation, le transport et la conservation de l’échantillon biologique jusqu’à l’endroit où il est analysé ;

« 2° La phase analytique, qui est le processus technique permettant l’obtention d’un résultat d’analyse biologique ;

« 3° La phase post-analytique, qui comprend la validation, l’interprétation contextuelle du résultat ainsi que la communication appropriée du résultat au prescripteur et, dans les conditions fixées à l’article L. 1111-2, au patient, dans un délai compatible avec l’état de l’art. »

Seule la seconde phase, la phase analytique, qui consiste en l’analyse technique de l’échantillon prélevé, pourrait être réalisée à l’étranger. Ceci est d’ores et déjà possible pour les examens de biologie médicale de droit commun, sur le fondement de l’article L. 6221-4 du code de la santé publique. Sur ce modèle, les laboratoires de biologie médicale établis dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen pourraient effectuer la phase analytique de l’examen ou de l’identification dans deux conditions et selon deux procédures :

Procédures permettant à certains laboratoires étrangers d’effectuer une partie des examens de biologie médicale à finalité génétique

Procédure

Conditions

Déclaration du laboratoire étranger

1. L’État étranger a autorisé le laboratoire à pratiquer des examens de caractéristiques génétiques et des identifications par empreintes génétiques à des fins médicales ;

2. Les conditions d’autorisation dans cet État ont été préalablement reconnues comme équivalentes à celles qui résultent de la loi française en la matière.

Autorisation du laboratoire étranger

1. Le laboratoire ne répond pas aux conditions requises pour une procédure de simple déclaration ;

2. Une vérification que ses normes de fonctionnement sont équivalentes à celles qui résultent de la loi française en la matière est nécessaire pour délivrer l’autorisation.

En dernier lieu, les autorisations délivrées aux laboratoires de biologie médicale pourraient être suspendues et retirées dans des conditions renforcées par rapport à celles du droit commun. En effet, les procédures usuelles définies à l’article L. 6122-13 seraient rendues applicables. Elles prévoient la possibilité, pour le directeur général de l’agence régionale de santé, de suspendre pendant un délai déterminé l’autorisation de l’établissement de soins concerné en cas d’urgence tenant à la sécurité des patients ou du personnel ou si une première injonction n’a pas été satisfaite. Si, à l’issue de ce délai, il n’a pas été satisfait à la mise en demeure, le directeur régional peut, après avis de la commission spécialisée de la conférence régionale de la santé et de l’autonomie compétente pour le secteur sanitaire, maintenir la suspension, retirer l’autorisation ou en modifier le contenu.

Cependant, les exigences pesant sur les laboratoires de biologie médicale en question seraient plus précises qu’en droit commun dans la mesure où serait susceptible de motiver une suspension ou un retrait tout manquement aux prescriptions législatives et réglementaires applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques, ce qui comprend les règles de bonnes pratiques devant être fixées par arrêté du ministre chargé de la santé sur le fondement de l’article 2 du projet de loi.

Le paragraphe II de cet article modifie l’article L. 1131-3 du code de la santé publique qui est relatif à l’agrément par l’Agence de la biomédecine des praticiens habilités à procéder à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales. Il prévoit une dérogation au principe de l’agrément préalable pour les praticiens travaillant pour un laboratoire de biologie médicale étranger habilité à effectuer la phase analytique de l’examen ou de l’identification sur le fondement du nouvel article L. 1131-2-1 du code de la santé publique créé par le paragraphe I. Il s’agit donc d’une modification de coordination.

Le paragraphe III de cet article introduit un nouvel article L. 1131-6-1 dans le code de la santé publique qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de procéder à un examen ou à une identification sans avoir reçu l’autorisation nécessaire. Cette nouvelle incrimination s’ajoute à celle de l’article 226-28 du code pénal reprise à l’article L. 1133-4 du code de la santé publique, qui sanctionne le praticien qui procède à l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques sans être titulaire de l’agrément nécessaire d’un an d’emprisonnement et de 1 500 euros d’amendes.

*

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS 216 du rapporteur.  

Puis elle examine l’amendement AS 100 de M. Paul Jeanneteau.

M. Paul Jeanneteau. Cet amendement vise à réserver l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par empreintes génétiques à des fins médicales ou judiciaires.

M. le rapporteur. J’en partage l’objectif, mais il est satisfait par les articles 16-10 et 16-11 du code civil ainsi que par le code du travail.

M. Paul Jeanneteau. Je retire l’amendement.

L’amendement AS 100 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement AS 135 de M. Alain Claeys.

M. Philippe Vuilque. Il s’agit de rappeler un principe important et de renforcer la lisibilité du texte.

M. le président Alain Claeys. Ce ne serait pas inutile.

M. Noël Mamère. Malgré les garanties existant sur la confidentialité de ces données, le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) est poreux. Le législateur doit se poser la question du contrôle des données génétiques par des organismes réellement indépendants. Le commerce et la science progressent plus rapidement que le droit : voyez comment des entreprises américaines prospèrent déjà sur l’identité génétique !

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. le ministre. Avis également défavorable.

La commission adopte l’amendement AS 135.

Elle en vient à l’amendement AS 217 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement tend à supprimer une précision inutile.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte les amendements de précision AS 218 et AS 219 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 220 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à rendre applicable aux personnes morales la nouvelle incrimination du fait de procéder à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales sans avoir reçu l’autorisation visée à l’article L. 1131-2-1 du code de la santé publique.

La commission adopte l’amendement AS 220.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4

(article L. 1131-6 du code de la santé publique)


Renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer les conditions d’information
de la parentèle et d’autorisation des laboratoires habilités à effectuer des examens génétiques

Le paragraphe I et le 1° du paragraphe II de cet article procèdent à des harmonisations lexicales en introduisant l’expression d’« identification par empreintes génétiques » d’une part dans l’intitulé du titre III du livre Ier de la première partie du code de la santé publique et, d’autre part, à l’article L. 1131-6 du même code. Par ailleurs, l’énoncé de ce titre mentionnerait également le fait qu’il comprend les dispositions relatives à la profession de conseiller en génétique, précision qui en est absente à l’heure actuelle.

Le 2° du paragraphe II complète la liste figurant à l’article L. 1131-6 du code de la santé publique qui renvoie certaines matières à un décret en Conseil d’État. Actuellement, le pouvoir réglementaire est habilité à déterminer les conditions dans lesquelles peuvent être réalisées, dans l’intérêt des patients, la prescription et la réalisation de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou de son identification par empreintes génétiques à des fins médicales ainsi que les conditions d’agrément des praticiens chargés de procéder à ces examens.

L’article 4 du projet de loi ajoute à cette liste deux nouveaux cas de figure. Il s’agit, d’une part, des conditions d’application de la procédure d’information de la parentèle en cas de détection d’une anomalie génétique grave qui figure à l’article L. 1131-1-1 du code de la santé publique. D’autre part, un décret en Conseil d’État devrait également préciser les conditions dans lesquelles les laboratoires de biologie médicale établis dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen pourraient effectuer la phase analytique de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou de son identification par empreintes génétiques à des fins médicales.

*

La commission adopte l’amendement de coordination AS 221 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement AS 222 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les modalités d’exercice des laboratoires de biologie médicale visés aux articles  3 et 4 sont définies par l’ordonnance du 13 janvier 2010. Or celle-ci prévoit que les laboratoires de biologie médicale sont dirigés par des médecins ou des pharmaciens, ce qui interdit désormais à des praticiens dans le domaine de la génétique, de l’immunologie ou de l’hépatologie de diriger des laboratoires hospitaliers. La conférence des doyens d’université a attiré notre attention sur la rédaction de cette ordonnance, que je suggère au ministre d’abroger.

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce dispositif a été discuté en commission lors de l’examen de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), à la demande d’un groupe de pression. Cette ordonnance va à l’inverse de la coopération entre scientifiques, médecins, pharmaciens, qui s’exerce partout ailleurs. Il faut donc l’abroger.

M. Jean-Louis Touraine. Elle crée en effet des situations difficiles, en particulier dans les CHU, et pourrait avoir des conséquences très graves sur le recrutement de personnels qualifiés.

M. le rapporteur. Cela fait-il partie des modifications proposées par le rapport Fourcade sur l’évaluation de la loi HPST ? Il faut certes résoudre le problème, mais il convient aussi de s’assurer de la cohérence du présent texte avec le code de la santé publique.

M. le ministre. Il n’y a pas eu suffisamment de concertation sur cette ordonnance, semble-t-il. L’un de mes conseillers, ancien président de la conférence des doyens des facultés de médecine, me confirme l’existence de ce problème. Je suis prêt à examiner la situation et à revenir au besoin sur l’ordonnance. Si vous faisiez des propositions à cet égard, ma tâche serait facilitée.

La commission adopte l’amendement AS 222.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

La commission examine l’amendement AS 155 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. En 2004, l’amendement « Montand » a rendu impossible tout test génétique après la mort d’une personne. Le présent amendement vise à autoriser, après un très grave accident ou après la découverte d’un charnier, et à la demande des familles, les identifications des empreintes génétiques avant la mise en sépulture.

M. le rapporteur. L’article 16-11 du code civil dispose que l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentée lors d’une procédure judiciaire, ou à des fins médicales ou de recherche scientifique ou d’identification d’un militaire décédé à l’occasion d’une opération conduite par les forces armées ou les formations rattachées.

L’amendement est satisfait si les victimes sont militaires et, lorsqu’elles sont civiles, dans la mesure où la découverte d’un charnier et la survenue d’un grave accident sont suivies de l’ouverture d’une enquête.

Par ailleurs, le terme « charnier » n’a pas de définition juridique. Quant à la référence à de « très graves accidents », elle demeure floue. Enfin, l’idée que les identifications soient réalisées « à la demande des familles » pose problème.

Mme Laurence Dumont. Des historiens se battent pour l’identification de fusillés civils de 1944, dont les restes ont été découverts sur le territoire de ma circonscription : leur demande pourrait être satisfaite si une telle disposition était adoptée.

M. Jean-Yves Le Déaut. Lorsqu’un très grave accident se produit à l’étranger, une instruction n’est pas forcément ouverte en France, et les proches des victimes souhaitent récupérer les corps au plus tôt, sans attendre l’enclenchement des procédures.

M. le rapporteur. Après des catastrophes aériennes ou climatiques, comme le tsunami de 2004, des identifications sont toujours effectuées sur instruction judiciaire. Il n’y a pas de vide juridique !

M. le ministre. Il faut vérifier si une disposition de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), actuellement en CMP, n’est pas similaire. Si tel n’était pas le cas, j’y serais favorable.

M. Philippe Vuilque. Il faut revoir la rédaction de cet amendement, mais il est vrai que certains cas ne sont pas prévus par l’article 16-11 du code civil.

M. le rapporteur. Je suggère plutôt le retrait de l’amendement, qui pourrait être représenté dans une rédaction affinée dans le cadre de l’article 88 du Règlement.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je retire l’amendement.

L’amendement AS 155 est retiré.

La commission examine les amendements AS 154 et AS 153 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Pour 1 000 dollars, vous pouvez connaître votre génome. À l’avenir, vous pourrez apprendre que vous êtes porteur d’un gène de susceptibilité à un cancer. Les laboratoires, notamment américains, sont de plus en plus nombreux à proposer des tests génétiques sur Internet, dont ils délivrent les résultats sans accompagnement. Ces informations, fournies sans avis médical, peuvent avoir de graves effets psychologiques.

Je propose que le demandeur encoure une amende de 3 000 euros et un emprisonnement de deux mois si les tests ne sont pas réalisés par un laboratoire agréé par l’ABM.

M. Bernard Debré. Cette disposition, attentatoire aux législations nationales et à la liberté des individus, est dangereuse !

M. Jean Dionis du Séjour. Elle est surtout impossible à mettre en œuvre, sachant que ces tests sont demandés sur Internet. En revanche, un référentiel peut être constitué pour informer les éventuels utilisateurs de ces tests.

M. le rapporteur. Avis défavorable : ces tests, de qualité contestable, enfreignent notre vision des valeurs républicaines et favorisent l’idée du « tout génétique ». Pour autant, il me paraît difficile de les interdire et de sanctionner leur utilisateur, dans la mesure où les échanges se font par voie postale ou numérique. Par ailleurs, cet amendement placerait la France en infraction car, selon la Cour de justice de l’Union européenne, ce qui n’est pas l’objet d’une prescription médicale ne peut être interdit à la vente.

Je proposerai un amendement à l’article 24, qui prévoit que l’ABM exerce une veille sur Internet et informe le grand public sur la fiabilité des laboratoires, mettant en exergue le danger potentiel de ces tests.

M. Noël Mamère. Ces amendements ressemblent un peu à la loi HADOPI : ils cherchent à contrôler ce qui est incontrôlable. Je rappelle que, dans le domaine des empreintes génétiques, le FNAEG est complètement poreux !

M. Yves Bur. Ces amendements sont purement incantatoires. De plus, les Français qui cherchent à vérifier leur paternité n’ont pas besoin d’aller sur Internet : il leur suffit de passer outre-Rhin, où les tests génétiques, largement répandus, sont pratiqués en toute légalité par les médecins.

M. le ministre. Le principe de ces amendements est recevable, mais sa mise en œuvre impossible : les échanges sur Internet sont difficilement contrôlables, la disposition serait attentatoire à la liberté et les législations nationales en Europe ne sont pas harmonisées dans ce domaine.

Je tiens à préciser que je ne partage pas l’avis de M. Mamère sur le FNAEG…

M. Jean-Yves Le Déaut. Il s’agit d’affirmer qu’il n’est possible de faire réaliser des tests génétiques que par des laboratoires agréés par l’ABM. Notre loi réprime bien les crimes et les délits commis via Internet, dans le domaine du tourisme sexuel ou de la pédophilie. Si nous ne faisons rien, les tests génétiques se généraliseront, et ce sera, pour notre société, le signe d’une triste évolution.

M. Serge Blisko. Recevoir les caractéristiques génétiques par courrier quelques jours après l’envoi d’un échantillon biologique coûte environ 125 dollars, et les prix ont été « cassés » durant la période de Noël. J’ai l’impression que nous nous battons contre des moulins à vent !

M. Jean-Yves Le Déaut. Je retire les deux amendements.

Les amendements AS 154 et AS 153 sont retirés.

La commission examine l’amendement AS 26 de M. Xavier Breton.

M. Jean Dionis du Séjour. La seule réponse nationale aux tests génétiques est pédagogique. Elle consiste en l’élaboration par l’ABM d’un référentiel, grâce à l’exercice d’une veille permanente sur les tests génétiques proposés en particulier sur Internet.

M. Philippe Vuilque. Comment l’ABM pourrait-elle évaluer la fiabilité de ces tests, extrêmement nombreux ?

M. Bernard Debré. Cela est absolument impossible pour des tests réalisés au Japon, en Chine ou aux États-Unis ! Les informations recueillies seront fausses. Quant à l’idée de surveiller Internet, c’est une douce plaisanterie.

Cette disposition serait inefficace et dangereuse.

M. Xavier Breton. Entre le laisser-faire et la contrainte, nous proposons un outil d’information et de sensibilisation du grand public. Cet amendement s’inspire de la proposition n° 35 de la mission d’information.

M. Jean Dionis du Séjour. Je sais bien qu’il est impossible d’être exhaustif s’agissant d’Internet. Faut-il pour autant se refuser à dresser un référentiel, qui soit un point de repère pour le grand public ? Je rappelle que 50 % des Français consultent un site médical avant d’aller voir un médecin.

M. Serge Blisko. En France, une recherche de paternité ne peut être menée sans autorisation d’un juge. Que faire contre les personnes qui enfreignent la loi ? Les sanctionner ? La disposition serait inapplicable. Il faut plutôt les mettre en garde.

M. Jean-Sébastien Vialatte. La seule chose que l’on puisse faire est d’interdire toute utilisation d’un résultat obtenu dans ce cadre.

M. Philippe Vuilque. C’est déjà le cas !

M. le rapporteur. Cet amendement est inspiré d’une proposition du Conseil d’État, reprise par la mission d’information. L’objectif n’est pas de valider chaque test, mais d’exercer une veille et d’informer le grand public. Je propose un amendement similaire, mais à l’article 24, qui traite des missions de l’ABM. 

M. le ministre. Même si je partage vos préoccupations, il est bien certain qu’une veille exhaustive ne peut être exercée sur Internet. Par ailleurs, il me paraît dangereux de donner le sentiment que l’ABM garantit certains de ces tests. Enfin, l’information du grand public fait déjà partie des missions de l’Agence et je ne suis pas certain qu’il soit du domaine législatif que de le préciser.

L’amendement AS 26 est retiré.

TITRE II

ORGANES, CELLULES

Article 5

(articles L. 1231-3 et L. 1418-1 du code de la santé publique et article 511-3 du code pénal)


Autorisation des dons croisés d’organes entre personnes vivantes

L’article 5 du présent projet de loi vise à modifier le code de la santé publique et le code pénal afin d’autoriser la pratique des dons croisés d’organes entre personnes vivantes en France.

1. Les transplantations d’organes entre personnes vivantes : état des lieux

a) Bien que performante, la transplantation d’organes entre personnes vivantes est minoritaire en France

La greffe d’organes est une thérapeutique par laquelle un organe défaillant est remplacé par un organe sain provenant d’un donneur. Celui-ci peut être une personne vivante ou décédée en état de mort encéphalique.

Les résultats obtenus en matière de transplantation d’organes entre personnes vivantes sont éloquents. Chez l’enfant, où le donneur est essentiellement le père ou la mère, éventuellement un grand-parent, le bénéfice est certain puisque le taux de survie à 5 ans et 10 ans pour une greffe de foie est supérieur à 80 %, taux bien meilleur que celui obtenu à partir d’un foie provenant d’une personne en état de mort encéphalique. La survie à 10 ans du greffon rénal est de 77 % contre 63 % avec donneur décédé.

Cependant, historiquement, la France a privilégié les prélèvements à partir de donneurs décédés et considéré comme subsidiaire le recours à des greffons provenant de donneurs vivants.

Il faut y voir l’expression de la crainte de dérives telles que les trafics d’organes, mais aussi et surtout du respect de la règle médicale du « primum non nocere ». En effet les prélèvements d’organes peuvent entraîner des séquelles physiques et psychologiques non négligeables pour le donneur (74).

Si la mortalité d’un donneur vivant de rein est estimée à 0,03 %, et le taux de complications à 18 %, celle d’un donneur de foie varie entre 0,2 et 2 %, avec une probabilité de complications comprise entre 30 et 40 %. Les séquelles psychologiques doivent être également mesurées. Ainsi, il ressort de certaines études que les psychologues ont pu « constater chez certains donneurs le passage de la logique de l’évidence, de la profession de foi dans le discours médical à la maladie du don, à ses effets secondaires, à l’expression du désaveu, aux déceptions familiales » (75).

Le prélèvement d’organes sur une personne vivante est donc un phénomène encore marginal en France.

Il concernait en 2007 seulement 5,6 % des personnes prélevées, majoritairement pour des greffes de reins, des greffes de foie et des greffes de poumon, ces dernières étant plus rares car présentant des risques importants pour le donneur. Selon le rapport annuel de l’Agence de biomédecine de 2009, le nombre de donneurs vivants candidats adressés en 2009 par les équipes de greffe aux comités donneurs vivants et auditionnés est de 270 parmi lesquels 235 donneurs vivants ont fait l’objet d’un prélèvement contre 232 en 2008 : 223 reins, soit 7,9 % des prélèvements de rein, 12 foies soit 1 % des prélèvements de foie.

Évolution de l’activité de prélèvement sur donneurs vivants
(hors dominos et résidus opératoires)

Indicateur

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Nombre de donneurs vivants prélevés d’un organe

160

167

192

225

264

297

277

243

247

Nombre de donneurs vivants prélevés d’un organe pmh

2,6

2,7

3,1

3,7

4,3

4,8

4,4

3,8

3,9

Rein

                 

Nombre de donneurs vivants prélevés d’un rein

101

108

136

164

197

247

236

222

223

Résidus opératoires

0

0

0

0

0

1

1

1

0

Donneurs vivants apparentés

101

108

136

164

197

246

235

221

223

Reins droits

30

26

40

48

32

34

39

33

33

Reins gauches

71

82

96

116

165

212

196

188

190

18 – 36 ans (en  %)

27,7

36,1

29,4

25,6

16,8

20,2

19,5

17,1

18,8

37 – 46 ans (en  %)

32,7

26,9

28,7

29,3

27n9

26,7

25,4

26,6

28,7

47 – 56 ans (en  %)

31,7

20,4

28,7

30,5

35

32,4

31,4

36,5

31,4

57 ans et plus (en  %)

7,9

16,7

13,2

14,6

20,3

20,6

23,7

19,8

21,1

Moyenne d’âge des donneurs vivants prélevés d’un rein (IC 95 %)

42,9
(40,9 – 44,9)

42,8
(40,4 – 45,1)

43,4
(41,5 – 45,3)

44,1
(42,2 – 45,8)

46,6
(45,2 – 48,0)

46,1
(44,7 – 47,6)

47,3
(45,9 – 48,8°

46,9
(45,4 – 48,3)

46,6
(45,1 – 48,1)

Foie

                 

Nombre de donneurs vivants prélevés d’une partie du foie

56

57

56

60

67

50

40

21

24

Dominos

8

12

14

12

18

14

22

11

12

Donneurs vivants apparentés

48

45

42

48

49

36

18

10

12

Foies droits

33

40

30

39

30

15

9

5

3

Foies gauches

15

5

12

9

19

21

9

5

9

18 – 36 ans (en  %)

57,1

47,4

48,2

58,3

62,7

44

55

23,8

25

37 – 46 ans (en  %)

17,9

19,3

16,1

18,3

20,9

30

22,5

28,6

45,8

47 – 56 ans (en  %)

19,6

24,6

21,4

16,7

6

12

10

14,3

16,7

57 ans et plus (en  %)

5,4

8,8

14,3

6,7

10,4

14

12,5

33,3

12,5

Moyenne d’âge des donneurs vivants prélevés d’une partie du foie
(IC 95 %)

36,9
(33,7 – 40,2)

38,9
(35,7 – 42,1)

40,3
(36,8 – 43,9)

37,1
(34,3 – 39,9)

36,4
(33,7 – 39,2)

40,6
(33,7 – 39,2)

38,1
(34,5 – 41,6)

46,3 (40,9 – 51,8)

42,5
(37,9 – 47,2)

Source : Agence de la biomédecine.

b) Face à la pénurie de greffons, la loi du 6 août 2004 a élargi le cercle des donneurs

Malgré l’efficacité avérée de cette thérapeutique, chaque année, des malades meurent en attente de greffe, et le nombre de personnes inscrites en liste d’attente ne cesse de s’accroître.

Nombre total de personnes ayant eu besoin d’une greffe de 2004 à 2009

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Total

11 588

12006

12517

13133

1370

14403

Source : Agence de la biomédecine.

Évolution du nombre de décès en liste d’attente de 2004 à 2009

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Cœur

91

70

71

70

66

68

Coeur-poumons

18

20

7

12

15

10

Foie

106

63

123

116

107

135

Intestin

0

0

1

1

1

2

Pancréas

9

15

8

7

6

7

Poumon

44

23

30

32

30

28

Rein

132

137

158

152

213

187

Total

400

328

398

390

438

437

Source : Agence de la biomédecine.

Afin de réduire l’écart entre la demande croissante et le nombre d’organes disponibles, le législateur a pris la décision, à la faveur de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, d’élargir le cercle des donneurs vivants au-delà du « premier cercle familial ». Auparavant limité au père et à la mère du receveur, le cercle avait déjà été élargi en 1994.

Le législateur a pour cela établi la liste des personnes autorisées à donner un organe. Solution qu’il a jugée à la fois plus précise et plus protectrice que la seule référence à l’existence d’un lien affectif entre le donneur et le receveur.

Ainsi, selon l’article L. 1231-1 du code de la santé publique, le cercle des donneurs comprend le père et la mère du receveur, son conjoint, ses frères et sœurs, ses fils ou ses filles, ses grands-parents, oncles et tantes, cousins germains et cousines germaines, ainsi que le conjoint de son père ou de sa mère. Enfin, le donneur peut également être le concubin du receveur, s’il apporte la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans.

Dans tous les cas, l’article L. 1231-1 prévoit que le prélèvement d’organes « ne peut être opéré que dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur ».

En contrepartie de l’élargissement du cercle des donneurs vivants, la loi de 2004 a renforcé l’encadrement de leur consentement.

c) Afin d’éviter les pressions psychologiques et les dérives mercantiles, le don d’organes entre personnes vivantes fait l’objet d’un régime juridique strict

Les lois du 29 juillet 1994 et du 6 août 2004 ont posé les grands principes relatifs au statut juridique du corps humain que sont le principe du consentement préalable du donneur, issu du principe d’inviolabilité du corps humain, de la gratuité, de l’interdiction de la publicité pour la greffe et du respect de l’anonymat (exception faite des dons d’organes entre personnes vivantes). Afin d’assurer le respect de ces principes, la procédure du don d’organe entre vivants est strictement encadrée par le code de la santé publique.

Au cœur de cette procédure se trouve le consentement du donneur, exigence posée dès la loi Caillavet du 22 décembre 1976, qui fait l’objet d’un encadrement particulier. Il suit plusieurs étapes, qui, bien que justifiées par les risques encourus par le donneur, n’en sont pas moins parfois perçues comme un véritable « parcours du combattant ». Il faut noter que jusqu’au prélèvement effectif, le consentement exprimé n’oblige en rien le donneur, étant « révocable sans forme à tout moment ».

La première étape a un caractère essentiellement médical : prise de connaissance du dossier donneur-receveur (indication, caractère exhaustif des explorations préopératoires, etc.) vérification que l’état de santé du donneur et de l’organe concerné est bien compatible avec le don.

Les étapes suivantes visent à garantir le consentement éclairé du donneur. Conformément aux articles L. 1231-1 et suivants du code de la santé publique, le donneur doit être préalablement informé par un comité d’experts sur les risques qu’il encourt et sur les conséquences éventuelles du prélèvement, ainsi que sur les résultats qui peuvent être attendus de la greffe pour le receveur. Les comités, au nombre de 9 aujourd’hui, sont composés de 5 membres nommés pour 3 ans par arrêté du ministre chargé de la santé : trois médecins, une personne qualifiée en sciences humaines et sociales et un psychologue.

Pour apprécier la justification médicale et les risques de l’opération pour le donneur, le comité peut avoir accès aux informations médicales du donneur et du receveur. En cas d’urgence vitale, l’information du donneur est effectuée par le praticien qui a posé l’indication de la greffe ou tout autre praticien selon le choix du donneur.

Le consentement doit ensuite être exprimé formellement devant le président du tribunal de grande instance, ou le magistrat désigné par lui. Ce dernier doit s’assurer au préalable que le consentement du donneur est « libre et éclairé » et surtout que le don est conforme aux dispositions déterminant la finalité du prélèvement et le cercle admis des donneurs.

Enfin, le comité d’experts délivre l’autorisation de prélèvement. L’autorisation du comité d’experts est obligatoire pour les donneurs admis à titre dérogatoire (le cercle élargi), et facultative, sur décision du magistrat qui recueille le consentement, pour les donneurs admis par principe (le père ou la mère du receveur). Aucun recours n’est prévu en cas de refus de l’autorisation par le comité d’experts qui ne doit pas motiver sa décision.

2. La solution proposée par le Gouvernement : l’autorisation des dons croisés d’organes

a) Les dons croisés d’organes sont pratiqués avec succès dans un grand nombre de pays européens

Le don croisé permet, lorsque deux « couples » donneur-receveur ne peuvent procéder à un don d’organes car ils sont incompatibles, de croiser les dons. Le donneur du premier couple donne son organe au receveur du deuxième couple et inversement.

Le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine de 2008 fait état de la pratique des dons croisés dans la quasi-totalité des pays européens – seuls le Portugal et la France n’autorisent pas cette pratique.

En Allemagne, plusieurs dons croisés ont été réalisés sur la base d’autorisations individuelles. À l’issue d’un débat sur la légalité de cette pratique dans le cadre de la loi en vigueur, il a été admis qu’un tel don croisé était possible s’il existait une communauté affective entre les quatre intéressés.

En Espagne, l’ONT (Organizacion Nacional de Traplantes), organisme national espagnol d’encadrement de l’activité de greffe, a fait savoir qu’elle comptait développer à partir de 2009 le don d’organe entre vifs, et notamment la pratique des dons croisés. Une révision de la loi ne sera pas nécessaire, celle-ci n’interdisant pas le don croisé.

En Italie, un registre national des dons croisés a été mis en place en novembre 2006. Les participants sont sélectionnés sur la base de critères généraux. Une commission nationale vérifie que les conditions sont remplies et associent les couples bénéficiaires de l’échange d’après un algorithme qui tient notamment compte de l’âge. Le consentement peut être retiré à tout moment.

Au Royaume-Uni, le Human Tissue Act de 2004 a étendu le cercle des donneurs hors de la sphère des personnes génétiquement apparentées ou liées par une relation affective, en introduisant deux nouvelles possibilités, le don dit « altruiste », et le don croisé, entre couples ou pool de donneurs et receveurs.

Aux Pays-Bas, où la pratique du don croisé est encadrée par une organisation nationale, 132 dons croisés ont eu lieu depuis 2004. Un grand pool permettant des échanges avec les États-Unis et le Royaume-Uni a été mis en place. Cette expérience hollandaise des dons croisés a été analysée au plan éthique : début 2008, une centaine de greffes avaient été réalisées sans incident au regard de l’anonymat ou de la gratuité.

b) Cette pratique est préconisée par de nombreux rapports et plébiscitée par les citoyens

Depuis 2004, l’élargissement de la possibilité du don à l’ensemble de la famille génétique, ou encore à des proches sans lien génétique a fait l’objet de nombreuses interrogations. Trois options sont généralement étudiées : le don croisé, préconisé par l’ensemble des études, l’élargissement du don aux personnes ayant un lien affectif stable et étroit avec le receveur, qui fait l’objet de discussions, enfin le don « altruiste », généralement écarté.

Comme le relève avec pertinence le bilan d’application de la loi de bioéthique dressé par l’Agence de la biomédecine en octobre 2008, le don d’organe est devenu un « don affectif ». Pourtant, le choix d’établir une liste restrictive de personnes de la parenté susceptibles de donner leurs organes a conduit à écarter des donneurs qui ont soit un autre lien de parenté (neveu, nièce par exemple), soit de forts liens d’amitié. Le rapport préconise donc l’autorisation encadrée de la pratique des dons croisés qui s’est développée ces dernières années dans un certain nombre de pays. L’ABM envisage également la possibilité d’assouplir le lien entre donneur et receveur, en autorisant le don d’organes à « toute personne ayant un lien étroit et stable » avec le receveur, à l’instar des pays scandinaves ou anglo-saxons.

Dans un rapport de mars 2009 (76), l’Académie nationale de médecine relève elle aussi que « face au manque d’organe », l’option du don croisé « ne peut être a priori écartée ». L’élargissement du cercle des donneurs aux personnes affectivement proches pourrait quant à lui faire l’objet d’une étude approfondie. En revanche, l’option du « don altruiste » pratiqué au Royaume-Uni., aux États-Unis ou encore au Canada, est écartée : bien que conforme au principe de solidarité, le risque de dérives est encore supérieur au don intrafamilial. En tout état de cause, l’Académie de médecine considère que le développement de dons entre personnes vivantes ne doit pas faire perdre de vue que la priorité est au développement des prélèvements sur personnes décédées.

La population a quant à elle largement plébiscité l’autorisation des dons croisés d’organe. Comme le montre le rapport final des États généraux de la bioéthique, lors du forum de Strasbourg du 16 juin 2009, portant sur la greffe et les prélèvements d’organes, le souhait des citoyens de voir augmenter l’offre de greffons les a conduits à préconiser une évolution encadrée de la pratique du prélèvement sur donneur vivant.

Dans cet esprit, « les citoyens se sont clairement prononcés en faveur de la légalisation dans notre pays de la pratique des dons croisés. Ils se sont également dits favorables, à l’unanimité moins une personne, à l’élargissement du cercle des donneurs vivants ».

Seul le Conseil d’État, dans son étude sur « la révision des lois de bioéthique » du 9 avril 2009, fait exception. En effet, celle-ci a estimé qu’en l’état du droit, la transplantation entre vivants présente des garanties de respect des principes éthiques fondamentaux : le consentement autonome du donneur et l’absence de pression financière. Au vu de ces principes devant guider la greffe, le Conseil d’État a jugé « difficile de rallonger la liste des donneurs » fixée par l’article L. 1231-1 du code de la santé publique.

Enfin, le rapport d’information rendu au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique en janvier 2010 se situe sur une position médiane. Le rapporteur a en effet considéré que « si les principes éthiques peuvent être effectivement opposés à un élargissement du cercle des donneurs, ces arguments ont moins de poids au regard de la pratique des dons croisés. Au regard des principes du libre consentement et de la gratuité, elle ne semble pas poser cependant de difficultés, dans la mesure où elle se déroule dans un cadre étroit où les parties prenantes ont des intérêts convergents. »

C’est cette ouverture mesurée du champ des donneurs vivants qui a été retenue par le projet de loi gouvernemental.

c) Le projet de loi autorise les dons croisés tout en assurant le respect des grands principes du droit présidant aux dons d’organes

Si le nombre total de greffes a progressé depuis quelques années, celui des besoins de greffe a augmenté à un rythme plus rapide. Le nombre de patients qui décèdent en attente de greffe évolue chaque année entre 100 et 400 personnes.

On sait par ailleurs que l’élargissement du cercle de donneurs vivants n’a pas encore donné tous ses fruits. Ainsi, en 2007, s’agissant du rein, sur 6 181 patients inscrits en liste d’attente, 2 911 seulement ont pu être greffés ; 50 % sont restés en dialyse. Parmi 1 887 patients en attente d’un foie, 1 061 ont pu être greffés, sachant qu’il n’existe pas pour ces personnes de traitement alternatif. Le prélèvement de donneurs vivants a permis de réaliser 235 greffes de rein et 18 greffes de foie.

Le présent article vise donc à remédier à cette situation en élargissant les possibilités du don entre vivants, en la forme des dons croisés.

Comme le rappelle l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, le don croisé a vocation à « compléter » et non à remplacer les greffes réalisées majoritairement (92 %) à partir de donneurs décédés. Il s’agit d’une pratique exceptionnelle, qui ne revient pas sur le principe, depuis longtemps affirmé en droit français, de la priorité accordée aux dons issus de personnes décédées.

Le I de l’article 5 du projet de loi modifie l’article L. 1231-1 du code de la santé publique, qui fixe les principes encadrant le don d’organes entre personnes vivantes.

Le 1 a) introduit tout d’abord le champ et la définition des dons croisés.

 Champ du don croisé

Il dispose ainsi « qu’en cas d’incompatibilité entre la personne ayant exprimé l’intention de don et la personne dans l’intérêt de laquelle le prélèvement peut être opéré (...) rendant impossible la greffe, le donneur et le receveur potentiels peuvent se voir proposer le recours à un don croisé d’organes ».

Il convient de préciser ici que l’autorisation du don croisé n’implique en rien l’élargissement du cercle des donneurs fixé en 2004. Celui-ci reste le même. Le donneur de chaque paire consent au prélèvement d’un organe au profit immédiat de son proche. Le projet de loi vise donc bien « uniquement à rendre possible la démarche initiale volontaire d’un donneur déjà déclaré dans l’intérêt direct d’un receveur, lorsqu’ils s’avèrent médicalement incompatibles ».

Selon le Gouvernement, le don croisé concernera d’abord et en priorité des greffes rénales.

 Définition du don croisé

Cette précision étant apportée, l’article 5 indique que le don croisé consiste « pour le receveur potentiel à bénéficier du don d’une autre personne ayant exprimé l’intention de don et également placée dans une situation d’incompatibilité à l’égard de la personne dans l’intérêt de laquelle le prélèvement peut être opéré (...) tandis que cette dernière bénéficie du don du premier donneur. »

 Simultanéité de l’opération des deux « paires » donneur-receveur

L’article prévoit ensuite qu’ « en cas de mise en œuvre d’un don croisé, les actes de prélèvement et de greffe sont engagés de façon simultanée respectivement sur les deux donneurs et sur les deux receveurs ». Cette simultanéité vise à garantir une parfaite réciprocité du don et par là même la sécurité des deux « couples » participant à la greffe.

Comme le rappelle l’étude d’impact, la charge organisationnelle sera lourde pour les établissements chargés d’effectuer le prélèvement et la greffe. Certes les greffes issues de donneurs vivants sont programmées, contrairement aux greffes issues de donneurs décédés. Mais la programmation de quatre blocs opératoires disponibles de façon simultanée sur deux sites différents représente l’étape la plus complexe du processus de don croisé, compte tenu du fonctionnement à flux tendu de l’activité chirurgicale dans les établissements de santé.

 Respect du principe d’anonymat du don

Enfin, le respect du principe d’anonymat entre donneur et receveur dans le cadre du don croisé est explicitement posé.

En l’état actuel du droit, les dons d’organes entre personnes vivantes sont les seuls à faire exception à ce principe, dans la mesure où le législateur a choisi de les limiter au cercle familial. Le receveur est donc par définition clairement identifié.

L’article 5 du projet de loi réintroduit la règle de l’anonymat pour le don croisé, conformément aux grands principes de non-patrimonialité ou de non-commercialisation du corps humain et de gratuité affirmés par le code de la santé publique et le code civil. Depuis 1994, l’article 16-8 du code civil et l’article 1211-4 du code de la santé publique prévoient en effet explicitement qu’ « aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulgué. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur. »

Ainsi, le projet de loi inscrit clairement le don croisé dans un mécanisme de solidarité collective, où le don doit être dépersonnalisé afin de protéger les donneurs comme les bénéficiaires du don contre toute pression et toute tentative de négociation pécuniaire, contraire au principe d’inviolabilité du corps humain énoncé par l’article 16-1 du code civil.

 Recueil du consentement libre et éclairé des donneurs

Les paragraphes b) et c) modifient les alinéas 3 et 4 de l’article 1231-1 du code de la santé publique afin de fixer les conditions du consentement libre et éclairé des donneurs d’organes dans le cadre du don croisé. Ces conditions sont celles qui s’appliquent en droit commun aux dons intrafamiliaux.

Votre rapporteur estime que le don croisé d’organes n’échappe pas à la menace des pressions psychologiques ou matérielles imposées aux donneurs. En effet, un membre de la famille pourrait se voir demander d’accepter de donner un organe pour qu’un proche en attente de greffe puisse bénéficier d’un don en retour. Il est donc crucial d’encadrer cette pratique.

La procédure de recueil du consentement des donneurs dans le cadre des dons croisés sera donc la suivante, étant précisé que l’un des donneurs peut se rétracter à tout moment après avoir donné son consentement.

– les deux paires participant au don croisé sont reçues séparément par l’équipe hospitalière, afin d’être informées de l’examen médical à réaliser, de la nature des démarches administratives à accomplir et des délais, des conséquences médicales, psychologiques, et sociales pour le donneur du geste chirurgical. Cette information est délivrée, pour chaque paire, en présence du receveur. Cependant, il pourrait également être prévu un entretien avec le seul donneur à ce stade.

Ce n’est qu’après cette rencontre avec l’équipe hospitalière que des examens médicaux poussés, pouvant durer entre quatre et six mois, seront menés sur les deux donneurs, afin de vérifier la compatibilité entre leurs organes et les receveurs ;

– les deux paires participant au don croisé sont entendues séparément et dans le respect de leur anonymat par le comité d’experts, chargé de les informer du déroulement des dons croisés ;

– vient ensuite le recueil du consentement des donneurs, encore une fois séparément, par le juge du tribunal de grande instance territorialement compétent, ou le magistrat désigné par lui. Ce dernier doit s’assurer que le consentement du donneur est « libre et éclairé » Le recueil du consentement de chaque donneur donne lieu à la rédaction d’un acte signé par celui-ci et le magistrat. L’original de l’acte est conservé au greffe du tribunal et la copie est transmise au directeur de l’établissement de santé dans lequel le prélèvement est envisagé. Ce dernier communique alors cette information au médecin responsable du service, du département ou de la structure de soins concerné. Le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale avait proposé que le receveur accorde également son consentement au prélèvement dans le cadre du don croisé. Cette solution a cependant été jugée trop lourde par le Gouvernement et n’a pas été retenue.

– enfin, l’autorisation du prélèvement est accordée par le comité d’experts aux deux donneurs. Il est important de rappeler que les décisions prises par le comité ne sont pas motivées.

 Information des futurs donneurs d’organes sur les risques potentiels du prélèvement

Le modifie l’article L. 1231-3 du code de la santé publique afin d’en préciser la rédaction. En l’état actuel du droit, cet article fixe la composition et les moyens d’actions dont disposent les comités d’experts chargés de délivrer l’autorisation de prélèvement aux donneurs vivants.

Aujourd’hui, « afin d’apprécier la justification médicale de l’opération, les risques que celle-ci est susceptible d’entraîner pour le donneur ainsi que ses conséquences prévisibles sur les plans physique et psychologique, le comité peut avoir accès aux informations médicales concernant le donneur et le receveur. »

Le présent projet de loi vise à préciser qu’il s’agit des risques « potentiels » encourus par le donneur. Cette nuance vise à protéger les membres du comité d’expert de toute mise en cause de leur responsabilité par le donneur en cas de complication médicale suite au prélèvement de l’organe.

Le prévoit enfin que les modalités de mise en œuvre des dons croisés d’organes seront fixées par décret en Conseil d’État.

 Sanctions en cas de non-respect du consentement des donneurs

Le II de l’article modifie par coordination tout d’abord l’article L. 511-3 du code pénal en vertu duquel le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure, y compris dans une finalité thérapeutique, sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article L. 1231-1 du code de la santé publique ou sans que l’autorisation ait été délivrée est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. Il modifie d’autre part l’article L. 1272-2 du code de la santé publique, qui rappelle le contenu de l’article L. 511-3 précité.

Enfin, le III modifie le 7° de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique, afin de confier à l’Agence de la biomédecine la gestion « du registre des paires associant donneurs vivants et receveurs potentiels ayant consenti à un don croisé d’organes ».

L’Agence de la biomédecine gérera l’appariement des paires grâce au logiciel Cristal qui est le support de la liste nationale des patients en attente de greffe et l’outil d’attribution des greffons depuis 1996. Des données supplémentaires relatives aux donneurs vivants potentiels et aux receveurs incompatibles en attente y seront rajoutées, prenant en compte les données individuelles habituelles de chaque donneur et chaque receveur : sexe, âge, poids, taille, groupe sanguin, typage HLA, fonction rénale. Les appariements entre donneurs et receveurs obéiront donc aux mêmes principes d’équité que les autres dons entre personnes vivantes.

Il est important de noter d’une part que l’appariement ne sera effectué par l’Agence de la biomédecine qu’après le consentement des deux donneurs, pour éviter d’engager en vain des personnes dans un long processus administratif. D’autre part, la programmation des deux prélèvements et des deux greffes ne sera possible que lorsqu’une combinaison croisée entre un donneur et un receveur sera validée.

Les dons croisés devraient permettre d’augmenter substantiellement le nombre de dons entre personnes vivantes. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, les neuf centres les plus actifs, estiment possible un apport de 5 à 10 paires par centre. Le volume d’activité supplémentaire, après une phase d’installation du programme sur 2 ans, pourrait être de 50 à 100 greffes rénales par an, soit une augmentation de 24,5 % à 49 %.

*

La commission, suivant l’avis défavorable du rapporteur, rejette l’amendement AS 67 de M. Jean-Luc Préel, tendant à supprimer l’article 5.

Puis elle examine trois amendements identiques, AS 7 de M. Yves Bur, AS 68 de M. Olivier Jardé et AS 140 de M. Alain Claeys.

M. Yves Bur. Ces amendements visent à élargir le champ des donneurs potentiels, à augmenter le nombre de greffes réalisées et à résoudre des problèmes individuels en offrant une possibilité de greffe aux patients n’ayant pas de donneur possible dans leur parentèle.

M. Jean-Sébastien Vialatte. La notion de « lien affectif étroit et stable » vaut largement la notion de « vie commune », qui autorise la greffe dans la législation actuelle et dont on sait qu’elle peut faire l’objet de fausses déclarations. Par ailleurs, l’encadrement de la procédure est strict, et le consentement recueilli par le juge du tribunal de grande instance.

M. Philippe Vuilque. Enfin, ces amendements permettront d’harmoniser la législation française avec la plupart de celles des pays européens ; ils se conforment aux recommandations du Conseil de l’Europe.

M. le rapporteur. Ces amendements, auxquels je suis défavorable, posent plusieurs problèmes.

Les dons d’organes entre vifs, notamment lorsqu’ils concernent le foie et les poumons, comportent un risque médical majeur pour le donneur. Par ailleurs, ils entraînent un risque accru de marchandisation et de trafics d’organes. Des enquêtes ont déjà montré qu’une personne, présentée comme un « cousin étranger » n’avait aucun lien de parenté avec la personne en attente de greffe, mais qu’il avait été rémunéré.

Par ailleurs, l’élargissement en 2004 du cercle des donneurs potentiels, au-delà des pères, mères, frères et sœurs, n’a pas permis une augmentation significative du nombre des dons d’organes. Sur le plan humain, il est évident que plus le donneur est éloigné du receveur sur le plan familial, plus la dette morale contractée sera importante.

Après l’avoir envisagée dans un premier temps, je suis donc plutôt défavorable à cette idée. Mieux vaut essayer de privilégier le don cadavérique.

M. Bernard Debré. Je suis tout à fait opposé à ces amendements qui représentent un bouleversement total par rapport à la pratique existante. Le champ des donneurs potentiels a déjà été élargi, sans grand effet, on l’a dit, sur le nombre des dons d’organes. Ce nouvel élargissement présenterait un risque de marchandisation considérable, qui heurte mon éthique d’urologue et de chirurgien. En effet, comment vérifier l’existence du lien affectif ?

M. Philippe Vuilque. Les amendements précisent qu’il doit être « étroit et stable ». Ils posent donc un certain nombre de conditions, qui peuvent encore être renforcées pour maîtriser le risque de marchandisation. Permettez-moi par ailleurs de citer le cas récent d’un homme qui n’a pu donner un de ses organes à sa demi-sœur parce que cette possibilité n’était pas prévue par la loi. N’y a-t-il pas une frilosité de notre législation en la matière ?

M. Philippe Gosselin. Sachant que nous manquons cruellement de greffons en France, il peut sembler légitime d’élargir le champ des donneurs potentiels. C’est cependant loin de faire l’unanimité parmi les associations. Nous avons déjà élargi les possibilités de dons entre vivants. Les dons croisés vont bientôt être autorisés. Inutile d’ouvrir la porte à la marchandisation !

Mme Catherine Coutelle. La presse fait en effet état du cas d’une malade insuffisante rénale à laquelle son demi-frère avait accepté de donner un rein après avoir été déclaré « compatible » par les médecins. Le comité d’experts de l’Agence de la biomédecine n’a pas donné son autorisation au prélèvement, car le cas des demi-frères et demi-sœurs n’était pas prévu par la loi…

M. le rapporteur. Un demi-frère, c’est un frère !

M. Jean-Louis Touraine. Vous redoutez le trafic d’organes, mais nous disposons – au moins sur notre sol – de tous les moyens pour prévenir ce phénomène.

Vous craignez d’autre part d’amputer les chances de vie des donneurs vivants. Or les études effectuées sur les donneurs de rein montrent que ceux-ci vivent plus longtemps que la moyenne – non que le fait de donner un rein assure une longévité particulière, mais parce qu’il faut être en bonne santé pour être donneur.

Est-il logique, par ailleurs, d’accepter le don croisé – pour lequel le donneur ne connaît pas le receveur – et de refuser celui d’une personne ayant un lien affectif étroit avec le receveur ? Certes, celle-ci peut être soumise à des pressions psychologiques, mais comme peut l’être le frère, la sœur, le père ou la mère !

Enfin, on ne peut pas parler de bouleversement quand cette pratique existe chez tous nos voisins. Il est temps de combler notre retard.

Il revient cependant à la loi de veiller à ce que ce don ne donne pas lieu à rémunération.

M. Jean-Yves Le Déaut. La loi de 2004 a élargi – sans doute trop – le champ des donneurs potentiels. Nous en mesurons aujourd’hui les limites. Le « lien affectif étroit et stable » me semble être la bonne définition. Ce n’est pas un bouleversement, les cas d’incompatibilité entre donneur et receveur étant en soi une limite.

M. Bernard Debré. Additionnez-le avec le don croisé !

M. Jean-Yves Le Déaut. J’en reviens à l’exemple qui a été cité. La femme de cinquante-neuf ans dont il s’agit est en dialyse trois fois par semaine depuis deux ans. Elle a un demi-frère qu’elle a retrouvé tardivement, mais avec lequel elle entretient des relations stables. Ce demi-frère a proposé de lui donner un rein, et il est « compatible ». Le comité d’experts a refusé son accord parce qu’il n’a pas la preuve que c’est bien son demi-frère. Avec le critère du « lien affectif étroit et stable », ce cas aurait été facilement résolu.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Un « lien affectif étroit et stable » vaut bien certains liens de cousinage !

Il n’appartient pas au médecin greffeur mais au juge, monsieur Debré, de recueillir le consentement du donneur après que celui-ci a été entendu par un comité pluridisciplinaire qui évoque notamment avec lui les avantages et les risques de la greffe. Il existe donc des garde-fous qui permettent de s’assurer que le donneur est bien volontaire.

M. le rapporteur. Le don croisé a l’avantage d’être anonyme et gratuit. Le don intrafamilial n’est plus anonyme, mais reste gratuit. Si l’on vous demande de donner un rein à votre enfant, vous ne prendrez que quelques secondes de réflexion. S’il s’agit de votre frère ou de votre sœur, vous y réfléchirez un peu plus, mais vous accepterez le plus souvent. Supposons maintenant qu’il s’agisse de votre cousin : le délai de réflexion sera beaucoup plus long ; peut-être même refuserez-vous.

Je conçois que l’on puisse avoir avec des amis des liens affectifs plus forts qu’avec certains membres de sa famille. Mais ce qui me gêne dans ces amendements, c’est qu’ils s’orientent résolument vers le don entre vifs au détriment du don cadavérique, qui est pourtant préférable du point de vue médical comme du point de vue psychologique.

Nous avions déjà eu ce débat en 2004 : rappelez-vous du cas de cet homme au chômage qui avait donné un rein à son frère et lui reprochait d’avoir mieux réussi que lui dans la vie !

D’autre part, quels critères retenir pour attester de l’existence d’un lien affectif « étroit et stable » ? Autant il me semble que le demi-frère doit être considéré comme un frère, autant élargir le champ des donneurs potentiels au-delà du cercle familial ouvre une brèche dans l’éthique qui a été la nôtre jusqu’ici.

Je suis donc défavorable aux trois amendements. Mieux vaut favoriser le don croisé et le don cadavérique !

M. Jean-Louis Touraine. Le don entre vifs et le don cadavérique ne sont pas exclusifs l’un de l’autre : la pénurie d’organes est telle que les deux doivent être encouragés. Chacun sait en effet que le temps d’attente est la première cause d’échec des transplantations.

La précédente extension du cercle des donneurs vivants n’a pas eu, selon vous, les effets escomptés sur le nombre de greffes. Cela prouve que c’était insuffisant. Les dons entre vifs ne représentent que 5 % des dons d’organes en France, ce qui est très faible par rapport à nos voisins.

M. le rapporteur. Non, car les principaux donneurs restent les parents !

M. Jean-Louis Touraine. La proportion d’organes transplantés provenant de donneurs vivants est comprise entre 20 % et 80 % chez nos voisins, car la législation y est infiniment moins restrictive. Pour être greffé à partir d’un don cadavérique, il faut parfois être en dialyse depuis quinze ou vingt ans.

M. le rapporteur. La moyenne est de deux ans.

M. Jean-Louis Touraine. Non, vous ne comptez que les personnes greffées !

Nous devons donc combler notre retard. Cela se fera à la fois par le développement des dons croisés et par celui des dons des proches. Les deux ne sont d’ailleurs guère éloignés sur le plan philosophique.

M. le ministre. La rédaction des amendements n’est pas assez rigoureuse sur le plan juridique. Il est très difficile, voire impossible, d’attester de l’existence d’un lien affectif « étroit et stable », et il subsistera toujours une part d’incertitude. Bref, il y a trop d’inconnues et pas suffisamment de garanties. Mon avis n’est donc pas favorable. Je souscris plutôt à l’analyse de Jean Leonetti : les amendements ouvrent une brèche, sans apporter de certitude quant à l’augmentation du nombre de dons. En outre, ils ne permettront pas de résoudre le problème qui a été évoqué.

S’agissant des cas que vous avez évoqués, je dois prendre une décision dans les heures qui viennent. Je souhaite m’entretenir au préalable avec les deux personnes concernées – l’une habite Nancy, l’autre Dijon. Je dois donc entrer en contact avec l’une d’elles ce soir, et avec l’autre demain matin. Je crois cependant savoir – sous toutes réserves – que certains faits n’ont pas été pris en compte par le comité. Il semble d’autre part que leur avocat n’ait pas fait appel en temps et en heure.

Certains estiment que ce n’est pas au ministre d’intervenir. Je pense que si. Je vais m’efforcer de dépasser l’émotion que suscite immanquablement un tel dossier pour en parler directement avec les intéressés. Je prendrai le temps de la réflexion et vous dirai ce qu’il en est demain. En tout état de cause, ces amendements n’apporteraient pas de solution dans ce cas, car le problème réside, non pas dans les textes en vigueur, mais dans la lecture qui en a été faite. Et, comme je vous l’ai dit, il aurait été possible de faire valoir qu’il y avait un problème de droit.

M. Philippe Vuilque. Il y a donc un problème de procédure, qui n’a rien à voir avec le fond !

M. le ministre. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de modifier la législation !

M. Jean-Louis Touraine. Si le don est possible entre mari et femme, pourquoi ne le serait-il pas entre personnes pacsées ou en concubinage ?

M. le rapporteur. Il l’est !

M. le ministre. Ce n’est pas pour ces cas-là que ces amendements sont proposés, mais c’est pour élargir encore le champ des donneurs potentiels.

La commission rejette les trois amendements identiques.

M. le ministre. Je regrette de vous quitter dès à présent et de ne pouvoir vous rejoindre ce soir comme je l’avais prévu. Je dois en effet représenter le Gouvernement au Sénat pour l’examen de la proposition de loi sur l’euthanasie.

M. Philippe Vuilque. J’ai compris que M. Leonetti était ouvert à une évolution, mais le problème des demi-frères et demi-sœurs reste entier.

M. le rapporteur. J’estime pour ma part qu’un demi-frère est un frère.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 172 et AS 173 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 43 de M. Xavier Breton.

M. Philippe Gosselin. Certaines banques et assurances tirent aujourd’hui prétexte d’un don d’organe pour mettre en cause l’état de santé du donneur. Cet amendement vise donc à inscrire dans le code pénal que la prise en compte des conséquences d’un prélèvement d’organe est considérée comme une discrimination.

M. le rapporteur. Outre le fait que votre amendement présente un défaut rédactionnel, je suis défavorable à une telle disposition, dont j’approuve pourtant l’objectif. Dans le cas des personnes infectées par le VIH, c’est par la signature d’une convention que nous avons réussi à imposer un principe de non-discrimination.

Pour ce qui est du problème que vous soulevez, il me paraît difficile d’imposer aux assurances de renoncer aux questionnaires médicaux ou d’ignorer la prise en compte d’un prélèvement d’organe. Mieux vaut s’engager là aussi dans une démarche conventionnelle.

M. Philippe Gosselin. La voie conventionnelle a été choisie pour imposer la non-discrimination des personnes qui souffrent d’une maladie. Il s’agit ici de gens valides, mais qui ont donné un organe. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. Le Gouvernement approuve l’objectif de cet amendement, mais la démarche conventionnelle lui semble plus appropriée.

La commission adopte l’amendement AS 43.

Elle adopte ensuite, à l’unanimité, l’article 5 modifié.

Article 5 bis (nouveau)

Information sur le don d’organes dans les lycées et les établissements de l’enseignement supérieur

La commission spéciale a adopté l’article 5 bis, qui vise à instaurer une information systématique sur le don d’organes en direction des jeunes, dans les lycées et les établissements de l’enseignement supérieur.

L’information délivrée devra porter notamment sur les moyens de faire connaître sa position de son vivant, soit en s’inscrivant sur le registre national automatisé prévu à l’article L. 1232-1 du code de la santé publique, soit en informant ses proches. Il s’agit ainsi de réduire les cas où la personne décédée ne s’étant pas prononcée de son vivant, il revient à la famille de prendre une décision. Ce cas de figure aboutit, dans la majorité des cas, à un refus de prélèvement d’organes.

*

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS 41 de M. Philippe Gosselin et AS 112 de M. Noël Mamère.

M. Philippe Gosselin. On manque cruellement d’information sur le don d’organes en France. Il importe pourtant – encore et toujours – d’informer, de sensibiliser et de communiquer. C’est pourquoi nous proposons de dispenser dès le lycée une information sur le don d’organes et sur les moyens de faire connaître sa position de son vivant. Connaître les intentions d’un défunt évite en effet bien des difficultés – il faut savoir qu’environ 30 % des refus sont liés aux doutes de la famille quant à ces intentions.

M. Noël Mamère. Mon amendement va dans le même sens, mais il évoque « les » registres nationaux automatisés, puisque je vous proposerai tout à l’heure la création d’un fichier positif des donneurs d’organes.

Mme Catherine Coutelle. Je soutiens ces amendements, et plus particulièrement celui de M. Mamère. J’attire cependant votre attention sur un point : en matière d’information dans les lycées, les bonnes intentions sont légion, mais les moyens font cruellement défaut, si bien que rien n’est fait.

M. Philippe Gosselin. Mieux vaut peu que rien !

M. le rapporteur. En toute logique, je devrais donner un avis défavorable à ces amendements.

L’Agence de la biomédecine est déjà en charge de cette mission chez les jeunes de seize à vingt-cinq ans, et nous avions également prévu en 2004 que les jeunes reçoivent une information sur le don d’organes dans le cadre de la Journée Défense et citoyenneté (JDC), antérieurement Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD). Enfin, tout médecin qui reçoit une personne âgée de seize à vingt-cinq ans est censé dispenser cette information. Je ne m’oppose pas à cet amendement, mais je ne suis pas sûr que la multiplication des informations soit un gage d’efficacité. L’important est que tous les jeunes reçoivent l’information.

M. Olivier Dussopt. Ne nous parlez ni de JDC ni de JAPD : c’est un fiasco ! Elle ne nous permet même pas de détecter l’illettrisme. Alors, quant à dispenser une information sur les dons d’organes…

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements, car le dispositif proposé est redondant avec ce qui existe déjà. Le code de la santé publique prévoit en effet que l’information sur le don d’organes est dispensée sous la responsabilité du ministre de la santé, en collaboration avec celui de l’éducation nationale.

M. Noël Mamère. J’entends les arguments de Mme la secrétaire d’État ; mais ce qui existe ne fonctionne pas. Ne surchargez donc pas les enseignants des lycées, dont les effectifs sont déjà insuffisants. Faites plutôt dispenser l’information par ceux dont c’est la mission – je veux parler de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES).

M. le président Alain Claeys. Je tiens à dire que je suis très favorable à ces amendements.

M. Noël Mamère. Je souhaite cosigner l’amendement de M. Gosselin et défendrai tout à l’heure la création d’un fichier positif.

La commission adopte l’amendement AS 41.

En conséquence, l’amendement AS 112 n’a plus d’objet.

Article 5 ter (nouveau)

Inscription dans le dossier médical personnalisé du fait que le patient est informé de la législation relative au don d’organes

L’article 5 ter, adopté par la commission spéciale, vise à compléter l’article L. 1111-14 du code de la santé publique, pour prévoir que le dossier médical personnalisé comportera désormais la mention « a été informé de la législation relative aux dons d’organes ». Cet indice, qui n’aura toutefois aucune valeur légale, permettra de faciliter le dialogue entre le médecin et la famille au moment du décès de l’intéressé.

*

La commission examine l’amendement AS 40 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Le dossier médical personnalisé (DMP) nous offre une autre opportunité de développer l’information sur le don d’organes. Loin de nous l’idée de remettre en cause le droit d’opposition : nous proposons simplement que le dossier médical mentionne que le patient « a été informé de la loi sur le don d’organes ». Cela donnerait un indice précieux sur la volonté des défunts et permettrait donc d’éviter nombre de refus. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi tendant à faire figurer cette mention sur la carte Vitale.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Mme la secrétaire d’État. Même avis. Cela nécessitera cependant un certain délai, puisque le DMP n’a été lancé que récemment.

La commission adopte l’amendement AS 40.

Après l’article 5

Elle est ensuite saisie des amendements AS 80 et AS 81 de M. Jean-Luc Préel.

M. Jean-Luc Préel. L’amendement AS 80 prévoit justement de faire figurer la mention « donneur d’organe » sur la carte Vitale. Dans bien des cas, le refus de donner des organes vient en effet de la famille, qui ne sait comment interpréter l’absence de volonté clairement exprimée du défunt. Dans le même esprit, l’amendement AS 81 propose d’inscrire cette mention dans le DMP.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Cela revient à créer un fichier positif des donneurs d’organes, avec un inconvénient notable : dès lors que la mention ne sera pas portée sur la carte Vitale ou le DMP, les soignants ne prélèveront plus. Si une mention doit figurer, c’est donc celle que le patient a été informé de l’existence du don d’organes, et non celle qu’il est donneur.

M. Jean-Louis Touraine. La majorité des personnes ne s’exprimant pas, il est capital de savoir si l’on reste dans le système du consentement présumé ou si l’on va vers un système de consentement explicite. Je note que les pays qui ont choisi le second – donc le registre positif – ont moitié moins de donneurs.

Quant à l’idée d’indiquer sur la carte Vitale ou le DMP de chacun sa volonté par rapport au don, ne risque-t-elle pas d’induire des discriminations à l’encontre de ceux qui refusent le don, si d’aventure ils avaient eux-mêmes besoin d’une greffe ?

M. Philippe Gosselin. L’amendement AS 80 tend en effet à créer un registre positif. Pour éviter cet inconvénient, je défendrai tout à l’heure un amendement AS 39 qui a le même objet, mais prévoit seulement de mentionner que l’information a été délivrée.

M. Jean-Luc Préel. Il ne s’agit pas de créer un fichier positif, mais de dire clairement que l’on est donneur d’organes. Si l’on se contente d’indiquer que l’on a été informé de la possibilité de donner ses organes, on ne change pas grand-chose par rapport à la situation actuelle.

M. le rapporteur. Pour les différentes raisons qui ont été exposées, je suis défavorable à ces amendements. Si l’on reste sur l’accord présumé, mieux vaut indiquer que le patient a été informé de la possibilité de donner ses organes – car dès lors qu’il ne figure pas sur le fichier négatif et qu’il a été informé, il est donneur.

Mme la secrétaire d’État. Le code de la sécurité sociale prévoit déjà de faire figurer l’information sur la carte Vitale. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements qui reviennent à passer d’un régime de consentement présumé à un régime de consentement exprès.

La commission rejette successivement les deux amendements AS 80 et AS 81.

Elle en vient à l’amendement AS 130 de Mme Valérie Boyer.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise à renforcer notre système de surveillance du commerce de transplantation d’organes à l’étranger en imposant à l’Agence de la biomédecine de réaliser, comme elle le fait déjà pour le rein, une enquête annuelle auprès des équipes françaises de greffes afin de déterminer combien de leurs patients ont eu recours au commerce de transplantation d’organes à l’étranger. Il s’agit de lutter contre le tourisme transplantatoire.

M. le rapporteur. Avis défavorable : cet amendement est satisfait puisque les informations concernées figurent déjà dans le rapport de l’Agence de la biomédecine.

Mme la secrétaire d’État. Même avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 126 de Mme Valérie Boyer.

M. Xavier Breton. Dans la même logique que le précédent, cet amendement prévoit que les patients qui subissent une transplantation à l’étranger fournissent avant leur retour en France un certificat attestant le don à titre gratuit de l’organe. L’ABM serait chargée de centraliser ces certificats.

M. le rapporteur. Je vois mal comment l’ABM pourrait procéder à un véritable contrôle de ces certificats. Outre que les législations sont disparates, le risque de faux n’est pas négligeable. Autant conserver le principe de la vigilance de l’Agence sur les greffes réalisées à l’étranger. Avis défavorable, donc.

Mme la secrétaire d’État. L’avis du Gouvernement est également défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 5 quater (nouveau)

Reconnaissance symbolique de la Nation et non-discrimination à l’égard des donneurs d’organes

L’article 5 quater, adopté par la commission spéciale, vise à inscrire dans le code de la santé publique deux principes : la reconnaissance symbolique de la Nation envers les donneurs d’organes vivants et l’interdiction de toute discrimination à leur égard.

*

La commission examine les amendements identiques AS 72 de M. Olivier Jardé et AS 144 de M. Alain Claeys.

M. Philippe Vuilque. Ces amendements de bon sens visent à instaurer un principe général de non-discrimination en raison d’un don d’organe.

M. Jean-Luc Préel. Ils disposent également que la reconnaissance symbolique de la Nation est accordée aux donneurs d’organes.

M. Jean-Louis Touraine. Il est naturel que le geste généreux que constitue le don d’organe soit reconnu comme tel. Il serait d’autre part doublement injuste de pénaliser quelqu’un pour sa générosité, d’autant qu’en moyenne les donneurs d’organes ont une durée de vie plus longue que celle des sujets témoins.

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’ai reçu des familles de receveurs qui regrettaient de ne pouvoir exprimer leur gratitude au donneur. La Nation pourrait désormais le faire en leur nom.

M. le rapporteur. S’agissant de la non-discrimination, ces amendements n’ont qu’une portée déclarative.

On ignore d’autre part sous quelle forme la reconnaissance de la Nation peut être accordée, mais il n’est pas inutile de dire que les donneurs d’organes ont rendu un service éminent à un citoyen – et donc à la Nation.

En dépit des réserves que j’ai évoquées, je vois donc mal comment je pourrais m’opposer à ces amendements.

Mme la secrétaire d’État. La disposition relative à la reconnaissance de la Nation n’est pas du ressort de la loi, mais le Gouvernement ne s’y oppose pas.

En ce qui concerne la non-discrimination, je vous renvoie à ce que j’ai dit tout à l’heure : la voie de la convention me semble plus appropriée.

La commission adopte les deux amendements identiques AS 72 et AS 144.

Article 5 quinquies (nouveau)

Accès prioritaire des donneurs vivants à la greffe

L’article 5 quinquies, adopté par la commission spéciale, vise à accorder une priorité dans l’accès à la greffe aux donneurs vivants d’organes. Il conviendra d’appliquer ce dispositif dans le respect du principe d’équité qui préside aujourd’hui à l’attribution des greffons.

*

La commission examine les amendements identiques, AS 11 de M. Yves Bur, AS 73 de M. Olivier Jardé et AS 145 de M. Alain Claeys.

M. Yves Bur. Il est prouvé que les donneurs de rein n’ont pas de risque accru, à long terme, de développer une insuffisance rénale. Néanmoins, le cas peut se produire, et cette situation est naturellement dramatique. L’amendement AS 11 prévoit donc qu’un donneur de rein qui viendrait à avoir besoin d’une greffe soit prioritaire sur la liste d’attente.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Notre amendement AS 73 est identique.

M. Philippe Vuilque. L’amendement AS 145 répond au même souci.

M. Michel Vaxès. Ces amendements posent problème. Que fera-t-on en présence d’une personne de soixante-cinq ans ayant donné un rein dans le passé et d’un enfant de douze ans qui attend une greffe ?

M. le rapporteur. Avis défavorable, précisément pour cette raison. Alors que les critères de priorité en matière de dons d’organes sont exclusivement médicaux, on fait ici intervenir un critère de reconnaissance sociale. En outre, les donneurs ayant besoin d’une greffe font généralement partie des cas les plus graves. La priorité jouera donc par l’intermédiaire des critères médicaux.

Mme la secrétaire d’État. Même avis : le principe d’équité entre les receveurs doit absolument être préservé.

M. Jean-Louis Touraine. L’ordre d’appel des patients attendant une greffe est déterminé par une formule mathématique qui prend en compte de nombreux critères – durée d’attente, âge, notamment – qui ne sont pas tous médicaux. Il me semble que l’on peut considérer qu’être privé d’un rein est un critère médical. C’est tout ce que nous demandons.

M le rapporteur. Comme nous l’a expliqué Mme Prada-Bordenave lors des auditions, une personne néphrectomisée se voit nécessairement attribuer un « score » élevé. Elle va donc être prioritaire selon des critères purement médicaux. Vous proposez d’introduire un critère social de « donnant-donnant » – la reconnaissance de la Nation –, mais ne risque-t-on pas d’ouvrir une boîte de Pandore ? Qui devra-t-on choisir entre un enfant en attente de greffe et un ancien donneur ?

M. Jean-Louis Touraine. Le cas-type est celui de la personne qui, après avoir donné, jeune, un rein à un proche ou dans le cadre d’un don croisé, doit, quelques décennies plus tard, pour une raison quelconque, subir l’ablation de son rein unique.

M. le rapporteur. Binéphrectomisée, elle sera hautement prioritaire selon les critères médicaux.

M. Jean-Louis Touraine. Non, elle passera derrière les enfants, derrière les patients en attente d’une double greffe rein-cœur ou rein-foie et les patients hyperimmunisés. Elle se trouvera de fait défavorisée et, comme l’ensemble des dialysés, devra en moyenne attendre de huit à dix ans pour être greffée.

La prise en compte de ces cas, très rares, qui ne bouleverserait donc pas l’ordre d’attribution des greffons et n’ôterait pas de chances à d’autres patients, n’en serait pas moins rassurante pour les donneurs sur le plan psychologique. Les associations en tout cas militent en faveur de cette disposition.

M. Philippe Nauche. Elle serait de nature à lever les appréhensions que peuvent éprouver certains donneurs.

La commission adopte les trois amendements identiques AS 11, AS 73 et AS 145.

Après l’article 5

Elle examine l’amendement AS 109 de M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Alors que la France a choisi le régime du consentement présumé, cet amendement créerait, à l’instar de ce qui existe en Allemagne, au Danemark ou au Royaume-Uni, un registre positif où s’inscriraient les personnes ayant de leur vivant explicitement donné leur accord à un prélèvement de leurs organes et tissus après leur mort. Cette inscription, révocable à tout moment, ne serait valable que pour une durée limitée, renouvelable sur demande expresse. Cela permettrait d’accroître le nombre de greffes dans notre pays, où le taux de refus des familles s’élève tout de même à quelque 30 %.

M. le rapporteur. Je suis très défavorable à ce qu’on substitue un régime de consentement explicite à notre régime actuel de consentement présumé, auquel nos concitoyens adhèrent largement. La mission d’information a exprimé le souhait qu’il soit maintenu, en même temps qu’elle a appelé à une meilleure information de la population, en particulier des jeunes. Un régime de consentement explicite ne permettrait pas de prélever davantage, bien au contraire. Ainsi en 2008, on n’a réalisé en Allemagne que 4 600 transplantations pour 12 000 malades en attente de prélèvement, et au Royaume-Uni, 3 500 pour 7 800. Les listes d’attente sont très longues dans les pays qui ont fait le choix d’un registre positif.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable : la coexistence de deux registres, négatif et positif, rendrait le dispositif plus complexe et fragiliserait le régime du consentement présumé, sans bénéfice d’efficacité.

M. Philippe Nauche. L’existence d’un registre positif ne devrait bien sûr pas conduire à la disparition de celui des refus. Mais ce pourrait être un moyen de recenser les personnes qui ont expressément donné de leur vivant leur accord. L’un des obstacles auxquelles se heurtent les équipes médicales aujourd’hui est la difficulté des familles à présumer de la position de la personne décédée. C’est ce qui aboutit à 30 % de refus. Il existe certes des cartes de donneur – j’en ai moi-même une, mais l’ai-je toujours sur moi ? L’existence d’un registre positif aiderait à résoudre le problème.

Mme Laurence Dumont. Quel est le nombre respectif de transplantations réalisées et de patients en attente de greffe dans notre pays ?

M. Noël Mamère. Dans mon esprit, le registre positif coexisterait avec celui des refus.

M. Philippe Gosselin. Nous partageons votre objectif, cher collègue, mais il faut bien voir qu’à côté des personnes qui se seraient inscrites dans l’un des deux registres, il restera toujours une majorité qui n’aura pas fait connaître ses intentions. L’existence d’un registre positif créerait une difficulté supplémentaire car, possibilité étant offerte de s’y inscrire, les familles pourraient en déduire que, si leurs proches ne l’ont pas fait, c’est qu’ils sont opposés au don.

La commission rejette l’amendement AS 109.

En conséquence, l’amendement AS 110 de M. Noël Mamère n’a plus d’objet.

La commission en vient à trois amendements identiques, AS 10 de M. Yves Bur, AS 71 de M. Olivier Jardé et AS 143 de M. Alain Claeys.

M. Yves Bur. L’information sur la greffe rénale à partir de donneur vivant est très insuffisante. L’Agence de la biomédecine doit assurer une meilleure information générale sur le sujet, mais aussi mieux accueillir et accompagner les donneurs potentiels.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ces amendements prévoient également que l’Agence s’assure de la neutralité financière du don d’organes et d’ovocytes pour les donneurs, alors que ceux-ci peuvent aujourd’hui avoir à supporter des frais non compensés.

M. Philippe Vuilque. L’Agence de la biomédecine doit favoriser l’information des patients, de leurs proches, et du public en général, notamment afin de lutter contre certaines idées reçues. Elle doit également accompagner les donneurs vivants et garantir que le don ne leur coûte pas financièrement.

M. le rapporteur. Les états généraux de la bioéthique ont mis en évidence que nos concitoyens étaient très mal informés. Une meilleure information du grand public, notamment des jeunes, qui sont autant de donneurs potentiels, est donc indispensable. Mais la promotion du don d’organes fait déjà partie des missions de l’Agence de la biomédecine, sur le plan national et sur le plan local. Pour le reste, un amendement à venir vise à garantir la neutralité financière des dons. J’invite donc leurs auteurs à retirer ces amendements.

Mme la secrétaire d’État. La première partie du dispositif proposé est en effet satisfaite. S’agissant de la neutralité financière, la réforme de 2009 permettra déjà d’améliorer l’indemnisation des donneurs et de raccourcir les délais d’indemnisation. Les décrets sont en cours d’élaboration.

Mme Laurence Dumont. Dans un souci d’efficacité, pourquoi ne pas imaginer une information plus ciblée, en direction par exemple d’une population déjà sensibilisée, comme celle, nombreuse, des donneurs de sang ?

M. Jean-Louis Touraine. J’entends bien que l’information sur les greffes à partir de donneur vivant fait déjà partie des missions de l’Agence de la biomédecine, mais on n’y a pas assez insisté. Aujourd’hui, l’Agence se repose sur les équipes médicales qui prennent en charge les patients en attente de transplantation. L’information arrive donc à ces derniers lorsqu’ils sont à un stade très avancé de leur maladie. Neuf patients sur dix ignorent qu’un membre de leur famille pourrait leur donner un organe et pensent que la seule solution passe par un prélèvement sur donneur décédé. Quant à la neutralité financière, il faut la garantir effectivement. Elle ne l’est pas aujourd’hui.

Les amendements AS 10, AS 71 et AS 143 sont retirés par leurs auteurs.

Article 5 sexies (nouveau)

Inscription sur la carte vitale du fait que son titulaire a été informé de la législation en vigueur relative aux dons d’organes

L’article 5 sexies, adopté par la commission spéciale, a pour objet de prévoir que la carte vitale comportera désormais la mention « a été informé de la législation relative aux dons d’organes ». Cette possibilité, annoncée dès 2006, n’a à ce jour pas encore été mise en œuvre.

*

La commission examine l’amendement AS 39 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement prévoit que la carte Vitale porte mention du fait que son titulaire a été informé de la loi sur le don d’organes. Cela renforcerait la présomption de consentement sans modifier l’équilibre fragile du dispositif actuel.

M. Xavier Breton. Cet amendement est issu d’une proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Gosselin.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Cela est déjà prévu à l’article R 161-33-1 du code de la sécurité sociale, même si des difficultés techniques d’application ont fait que cette disposition n’est encore appliquée que partiellement.

La commission adopte l’amendement AS 39.

Article 5 septies (nouveau)

Information sur le don lors de la Journée Défense et Citoyenneté

L’article 5 septies, adopté par la commission spéciale, vient compléter la rédaction de l’article L. 114-3 du code du service national, qui prévoit aujourd’hui qu’une information sur les dons d’organes est délivrée lors de la Journée Défense et citoyenneté, en précisant qu’au-delà d’une information générale sur le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse et de gamètes, une information spécifique est dispensée, s’agissant du don d’organes, sur la législation en vigueur et le régime du consentement présumé.

*

La commission examine l’amendement AS 42 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Lors de la Journée Défense et citoyenneté, les jeunes devraient recevoir une information générale sur le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse et le don d’organes, ainsi qu’une information spécifique sur la législation en vigueur relative au don d’organes.

M. le rapporteur. Avis favorable, mais l’information devrait aussi porter sur le don de gamètes. Il faudrait donc ajouter après les mots « de moelle osseuse », les mots « et de gamètes ».

M. Philippe Gosselin. Tout à fait d’accord.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable à l’amendement ainsi qu’à la rectification proposée.

La commission adopte l’amendement AS 42 ainsi rectifié.

Article 5 octies (nouveau)

Évaluation par l’Agence de la biomédecine de l’impact des campagnes d’information sur les dons d’organes

L’article 5 octies, adopté par la commission spéciale, prévoit que l’Agence de la biomédecine devra évaluer régulièrement, et en rendre compte dans ses publications, l’impact de ses campagnes d’information sur l’évolution des dons d’organes en France.

*

La commission examine l’amendement AS 38 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. L’Agence de la biomédecine remplit bien son rôle, mais en matière de promotion du don d’organes, elle devrait mener chaque année une campagne nationale à destination du grand public et en évaluer l’impact.

M. le rapporteur. Avis défavorable : le meilleur indicateur des résultats des campagnes d’information est le nombre de greffes supplémentaires rendues possibles. Mieux vaut pour l’Agence se concentrer sur l’information que sur l’évaluation de son action.

M. Jean-Sébastien Vialatte.  Il serait de toute façon délicat qu’elle évalue elle-même son travail.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable : l’Agence de la biomédecine a déjà obligation de promouvoir le don d’organes, de tissus ou de cellules, et elle organise chaque année une campagne de sensibilisation et d’information nationale, dont elle analyse les retombées, afin de voir comment améliorer les messages et mieux cibler les destinataires.

La commission adopte l’amendement AS 38.

Après l’article 5

Elle en vient à l’amendement AS 146 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Philippe Vuilque. Cet amendement prévoit que le ministère de la santé adresse un courrier à tous les Français de dix-huit ans ou plus les informant de la possibilité et des modalités d’inscription sur le registre des refus du don d’organes, de façon qu’à compter du 1er janvier 2012 toute personne non inscrite sur ce registre – dans le texte distribué, il est par erreur écrit « toute personne inscrite » – puisse être réputée favorable à ce don. Cette information relève des missions de l’Agence de la biomédecine, nous dit-on, si ce n’est que pour mener une grande campagne nationale, il faut des moyens. Je doute que l’Agence en dispose d’autant que le ministère. Pourquoi ne pas calquer de grandes campagnes en faveur du don d’organes sur ce qui se fait aujourd’hui en matière de don du sang, et d’ailleurs mener des campagnes conjointes sur les deux dons ?

M. Jean-Louis Touraine. Cet amendement reviendrait à l’esprit de la loi actuelle selon laquelle c’est l’avis du donneur potentiel qui doit être pris en compte, alors que, dans la pratique, c’est celui de la famille qu’on recueille. Cela simplifierait considérablement le travail des équipes qui continueraient d’informer les familles de tout prélèvement, mais ne solliciteraient plus leur avis.

Je signale qu’à l’avant-dernière ligne de l’exposé des motifs, il faut lire « donneurs potentiels et effectifs » et non « donneurs vivants potentiels et effectifs ».

M. le rapporteur. Depuis 2001, le 22 juin a été consacré Journée nationale de la réflexion sur le don d’organes et la greffe. Il est certes toujours possible de faire mieux et davantage, et c’est nécessaire, les états généraux de la bioéthique ayant bien montré que nos concitoyens se sentent mal informés sur le régime du consentement présumé ou sur les possibilités de dons entre vivants. Pour autant, je ne suis pas certain que le ministère soit en mesure d’adresser à tous un courrier d’information sur le sujet.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement qui écornerait le régime du consentement présumé, sans aucun bénéfice supplémentaire. Je considère en outre qu’on ne pourrait faire l’économie d’une consultation des familles sur la volonté de la personne décédée sans risquer d’entamer le climat de confiance qu’on essaie de créer avec elles dans ces moments difficiles.

Mme Laurence Dumont. On ne peut pas à la fois déplorer le manque de greffons, dresser un constat unanime d’échec de la politique de communication suivie jusqu’à présent et refuser un dispositif dont la mise en place n’aurait rien d’insurmontable.

Combien y a-t-il aujourd’hui en France de dons d’organes et de patients en attente de greffe ?

M. Philippe Gosselin. On dénombre chaque année dans notre pays de 3 500 à 4 000 donneurs potentiels en état de mort encéphalique. De 400 à 500 patients décèdent faute de greffon disponible et quelque 14 000 sont sur une liste d’attente.

M. Jean-Sébastien Vialatte. La disposition préconisée enfermerait les personnes dans un choix binaire, les contraignant à répondre à une question à laquelle elles ont le droit de ne pas souhaiter répondre à un instant donné.

M. Jean-Louis Touraine. Environ 35 % des familles s’octroient, si j’ose dire, le droit de refuser tout prélèvement chez un proche décédé alors même que celui-ci ne s’y était pas expressément opposé. Si cette difficulté était levée, il n’y aurait plus aucune pénurie de greffons pour aucun organe. Et ce serait revenir à l’esprit de la loi que de faire prévaloir la décision de chacun sur le destin qu’il souhaite réserver à son corps après son décès.

M. le rapporteur. Le taux de refus en France de 30 %, contre 15 % en Espagne. Cette différence importante s’explique certes par une certaine marchandisation du don chez notre voisin, mais aussi par une plus grande habitude des équipes de prélèvement à nouer le contact avec les familles lors du décès ou dans la période qui le précède, ce qui leur permet d’obtenir davantage d’accords. Il faudrait nous améliorer sur ce point aussi.

Je n’ai rien contre le fait qu’on informe par courrier tous nos concitoyens, mais je ne pense pas qu’on pourrait inférer de la non-inscription d’une personne sur le registre des refus qu’elle est donneuse. Il serait pour le moins cavalier sur le plan éthique de présumer ainsi du consentement. Comment être sûr, par exemple, que les personnes ont bien reçu le courrier et en ont parfaitement compris les termes ?

La commission rejette l’amendement AS 146.

Article 5 nonies (nouveau)

Indemnisation des donneurs vivants par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM)

L’article 5 nonies, adopté par la commission spéciale, demande un rapport au Gouvernement relatif à l’amélioration de l’indemnisation, par l’ONIAM, des personnes subissant des dommages en raison d’un don d’organes, de tissus et de cellules du corps humain, et à ses conséquences financières sur les comptes de l’assurance maladie.

*

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS 8 de M. Yves Bur, AS 61 de M. Philippe Gosselin, AS 69 de M. Olivier Jardé et AS 141 de M. Alain Claeys.

M. Yves Bur. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, indemnise les personnes ayant subi un dommage en raison d’un don d’organes, de tissus ou de cellules, sous réserve d’un seuil minimal d’invalidité permanente partielle (IPP), fixé par décret, alors que les personnes qui participent à des recherches biomédicales sont, elles, indemnisées, sans limite de seuil, en raison du service rendu à la collectivité. Nous souhaiterions qu’aucun seuil ne s’applique non plus pour les donneurs vivants. Comme un amendement en ce sens serait déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, je me contente de demander qu’avant le 31 décembre 2011 le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le sujet, en espérant qu’il fera des propositions d’amélioration.

M. Philippe Gosselin.  L’amendement AS 61, ainsi que les amendements AS 69 et AS 141, ont le même objet. Ils prévoient cependant que ce rapport devra être remis avant le 1er octobre 2011, afin que les mesures éventuellement prises puissent être intégrées dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale.

M. Yves Bur. La date du 1er octobre 2011 est en effet préférable, et je rectifie mon amendement en ce sens.

M. le rapporteur. Avis favorable, avec comme date le 1er octobre 2011.

Mme la secrétaire d’État. Même avis.

La commission adopte les amendements identiques AS 8 ainsi rectifié, AS 61, AS 69 et AS 141.

Article 5 decies (nouveau)

Neutralité financière du don d’organes

L’article 5 decies, adopté par la commission spéciale, demande un rapport au Gouvernement sur l’amélioration des conditions de remboursement de l’ensemble des frais engagés par les donneurs vivants d’organes, de tissus et de cellules du corps humain à l’occasion de leur prélèvement ou de leur collecte.

*

La commission examine quatre amendements identiques, AS 9 de M. Yves Bur, AS 62 de M. Philippe Gosselin, AS 70 de M. Olivier Jardé et AS 142 de M. Alain Claeys.

M. Yves Bur. Ces amendements prévoient que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 31 décembre 2011, un rapport sur l’amélioration des conditions de remboursement de l’ensemble des frais engagés par les donneurs vivants d’organes, de tissus et de cellules à l’occasion du prélèvement ou de la collecte.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Mme la secrétaire d’État. L’avis du Gouvernement est également favorable.

La commission adopte les quatre amendements identiques.

Article 5 undecies (nouveau)

Campagne nationale d’information sur les dons

L’article 5 undecies, adopté par la commission spéciale, vise à instaurer une campagne nationale annuelle sur les dons d’organes sur les principaux médias publics.

*

La commission examine l’amendement AS 88 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Les radios et chaînes de télévision publiques devraient être tenues de mener chaque année une campagne nationale d’information et de sensibilisation en direction du grand public sur le don de sang, de plaquettes, de plasma, de moelle osseuse – et de gamètes, qu’il faudra, comme dans plusieurs amendements examinés précédemment, rajouter – et le don d’organes. Ces campagnes, d’intérêt général, devraient être diffusées gratuitement. Alors même qu’en 2009 le don d’organes avait été déclaré grande cause nationale, il n’y a eu que douze spots. Pourquoi ne pas profiter de l’espace libéré par la suppression de la publicité sur les chaînes publiques ?

M. Jean Dionis du Séjour.  Pour être pleinement efficace, il ne faut pas oublier le web parmi les moyens de diffusion de ces campagnes.

M. Philippe Vuilque.  Nous sommes tout à fait favorables à cet amendement.

M. le rapporteur. Il est satisfait. Des campagnes ont déjà eu lieu et j’espère que le Gouvernement les poursuivra. Cela n’a pas à figurer dans la loi.

M. Philippe Gosselin. Il n’y a eu de grande campagne qu’en 2009. Nous souhaiterions que le principe en soit généralisé.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable : outre qu’une telle disposition ne relève pas du domaine législatif, les campagnes d’information et de sensibilisation sont aujourd’hui assurées par l’Agence de la biomédecine. L’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, l’INPES, participe également à l’information du grand public.

Mme Valérie Boyer. D’une manière générale, je regrette le peu de place réservé aux campagnes de prévention sanitaire sur les chaînes publiques et la cherté des spots. Douze spots gratuits pour une campagne sur un thème déclaré grande cause nationale et une ristourne de 30 % seulement pour les campagnes de santé publique, c’est dérisoire au regard des enjeux !

M. le rapporteur. Dans cette logique, ne faudrait-il pas rendre obligatoires aussi des spots sur la lutte contre l’obésité, la prévention du VIH, les dangers d’une mauvaise utilisation des antibiotiques, par exemple ? Nous prendrions le risque de transformer nos chaînes publiques en chaînes d’information de santé publique et de lasser les téléspectateurs, qui seraient alors tentés de « zapper » sur les chaînes privées.

Laissons au Gouvernement l’initiative de mener une grande campagne annuelle sur une thématique particulière et n’imposons pas de spots qui, se surajoutant les uns aux autres, finiraient par nuire à l’attractivité même des chaînes publiques.

M. Jean-Yves Le Déaut. Il faut en effet rectifier l’amendement, comme le demande notre collègue Jean Dionis du Séjour, en ajoutant après les mots « les radios et les chaînes de télévision publiques », les mots « ainsi que sur les sites électroniques des établissements publics concernés. »

M. le président Alain Claeys. Et, comme dans plusieurs amendements examinés précédemment, après les mots « moelle osseuse », les mots « et de gamètes ».

M. Philippe Gosselin. Je suis tout à fait d’accord.

La commission adopte l’amendement AS 88 ainsi rectifié.

Article 6

(articles L. 1220-1 [nouveau], L. 1241-1, L. 1241-3, L. 1241-3, L. 1243-2 et L. 1245-5 du code de la santé publique)


Harmonisation du régime juridique des cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse et du sang périphérique

L’article 6 du projet de loi renforce les exigences éthiques qui encadrent le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques (CSH) issues du sang périphérique en alignant leur régime juridique, notamment en matière de consentement, sur celles qui sont directement prélevées dans la moelle osseuse.

1. Actuellement, le régime juridique des cellules souches hématopoïétiques diverge en fonction de leur mode de prélèvement

a) Les divers types de cellules souches hématopoïétiques

Les cellules souches hématopoïétiques sont des cellules pluripotentes qui ont la capacité de se différencier en lignées cellulaires sanguines et peuvent ainsi produire l’ensemble des cellules sanguines selon un processus appelé hématopoïèse. Ces cellules souches peuvent être prélevées de trois manières différentes. Elles peuvent être issues :

– d’un prélèvement par ponction dans la moelle osseuse, soit dans la propre moelle osseuse du patient (situation autologue), soit dans la moelle d’un donneur (situation allogénique) ;

– d’un prélèvement dans le sang périphérique, expression désignant le sang qui ne se trouve pas dans les organes participant à la formation du sang. Ce prélèvement peut également être effectué sur le patient à guérir lui-même ou sur un tiers et doit être précédé par l’administration d’un traitement pour que ces cellules souches passent de la moelle dans le sang ;

– d’un prélèvement de sang placentaire effectué à la naissance de l’enfant. Le sang placentaire est alors prélevé dans le cordon ombilical.

Ainsi que l’expose l’étude d’impact du projet de loi, « les CSH sont utilisées sous la forme de greffons dans le cadre du traitement de certaines hémopathies malignes et de déficits du tissu hématopoïétique, constitutionnels ou acquis. » (77) La greffe de CSH permet, en l’état actuel de la science, de soigner des pathologies malignes du sang (leucémies, lymphomes et myélomes) ou non malignes (tels des déficits immunitaires ou maladies héréditaires, notamment la drépanocytose). Par exemple, elle peut guérir des maladies graves du sang comme le lymphome non Hogkinien, les aplasies médullaires ou les déficits immunitaires congénitaux chez l’enfant (78).

En 2008, 4 423 greffes de CSH ont été réalisées, dont 2 951 greffes autologues et 1 472 greffes allogéniques. Les 1 472 greffes allogéniques se répartissent ainsi : 789 greffes de sang périphérique, 437 greffes de moelle osseuse et 246 greffes de sang placentaire (79). Ces chiffres et ces proportions sont relativement stables depuis plusieurs années. Il faut noter toutefois que le prélèvement dans le sang périphérique est moins invasif que le prélèvement de moelle osseuse et tend donc à augmenter.

Or, les cellules souches hématopoïétiques sont soumises à différents régimes juridiques selon leur mode de prélèvement.

b) Un régime juridique variable en fonction du mode de prélèvement

Les cellules hématopoïétiques prélevées dans le sang périphérique relèvent du régime juridique du sang humain. Les règles qui leur sont applicables figurent ainsi au titre II du livre II de la première partie du code de la santé publique (articles L. 1221-1 et suivants) relatif au sang humain. Ceci a pu se justifier par le fait que le prélèvement de CSH dans le sang périphérique s’apparente partiellement à un prélèvement de sang.

En revanche, les CSH issues de la moelle osseuse sont soumises aux règles applicables aux tissus, cellules, produits du corps humain et à leurs dérivés, c’est-à-dire au titre IV de la même partie du code de la santé publique (articles L. 1241-1 et suivants). Leur régime juridique fait donc l’objet de protections renforcées.

S’agissant des prélèvements de sang placentaire, ceux-ci sont assimilés aux résidus opératoires régis par l’article L. 1245-2 du code de la santé publique. Ils ne font par conséquent pas l’objet de protection spécifique, aucun consentement du donneur n’étant exigé pour leur utilisation.

S’il n’est pas anormal que les prélèvements de sang placentaire fassent l’objet d’un encadrement ad hoc (ce que prévoit l’article 7 du projet de loi), il serait en revanche souhaitable de rapprocher le régime juridique des prélèvements de cellules souches hématopoïétiques que ces dernières proviennent de la moelle osseuse ou du sang périphérique, ainsi que le propose l’Agence de la biomédecine dans son bilan d’application de la loi de bioéthique (80). Ce qui importe n’est en effet pas le mode de prélèvement mais l’objet du prélèvement, à savoir des cellules souches, qui produisent les mêmes cellules sanguines (globules rouges, blancs et plaquettes).

Par ailleurs, il faut noter que dans ces deux cas de figure, le prélèvement n’est pas anodin pour le donneur. Si, dans le cas d’un prélèvement par ponction osseuse, il faut pratiquer une anesthésie générale, l’administration d’un traitement au donneur est nécessaire dans l’hypothèse d’un prélèvement dans le sang périphérique.

Enfin, le projet de loi prévoit que cet alignement soit effectué par le haut, en alignant les garanties du donneur en matière de consentement ainsi que les règles de sécurité sanitaire applicables sur la norme la plus protectrice actuellement en vigueur.

2. En harmonisant par le haut le régime juridique de tous les types de CSH, le projet de loi renforce les exigences éthiques et sanitaires

L’article 6 du projet de loi harmonise le régime juridique des cellules souches hématopoïétiques prélevées dans la moelle osseuse et de celles issues du sang périphérique.

Ainsi, le paragraphe I de cet article crée un nouvel article L. 1220-1 au début du titre consacré au sang humain dans le code de la santé publique. Cet article clarifie la distinction entre les matières qui relèvent du « sang humain » (titre II) et celles qui sont assimilées à des tissus, à des cellules, à des produits du corps humain ou à leurs dérivés (titre IV). Il pose une règle générale et prévoit une exception. La règle générale est que le titre II s’applique « au sang, à ses composants et aux produits sanguins labiles », l’exception résidant dans le fait que les cellules hématopoïétiques relèveront, dans leur ensemble du titre IV. En conséquence, les CSH issues du sang périphérique ne seront plus soumises aux règles applicables au sang mais à celles relatives aux cellules.

Cette modification entraîne plusieurs conséquences, qui sont détaillées au paragraphe II.

a) Un consentement renforcé exigé du donneur de CSH issues du sang périphérique

À l’heure actuelle, les donneurs de cellules souches hématopoïétiques issues du sang périphérique sont soumis au consentement écrit exigé des donneurs de sang, sur le fondement de l’article R. 1221-5 du code de la santé publique.

À l’inverse, les prélèvements de CSH par ponction dans la moelle osseuse en vue d’un don à des fins thérapeutiques ne peuvent avoir lieu qu’à la condition que le donneur, préalablement informé des risques qu’il encourt, ait exprimé son consentement devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant, ceux-ci devant s’assurer du caractère libre et éclairé de ce consentement, le parquet étant compétent en cas d’urgence vitale et le consentement étant révocable à tout moment. Ces règles sont définies par le dernier alinéa l’article L. 1241-1 du code de la santé publique.

C’est précisément cet alinéa que modifie le 1° du paragraphe II de l’article 6 du projet de loi pour aligner sur ce régime de consentement renforcé les dons de CSH issues du sang périphérique. Dès lors, ces dons ne pourraient plus être effectués qu’après expression du consentement devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant.

Cet alignement par le haut des modalités du consentement se justifie par les risques encourus par le donneur, qui sont supérieurs à ceux qui résultent d’un simple don du sang, un traitement devant lui être administré préalablement au prélèvement. De surcroît, ainsi que le souligne l’Agence de la biomédecine, « d’ores et déjà, pour faciliter la planification des greffes, certains centres envoient systématiquement les donneurs exprimer leur consentement au TGI, même s’il s’agit d’un prélèvement [dans le sang périphérique], afin de pouvoir effectuer le prélèvement de moelle rapidement si le prélèvement [dans le sang périphérique] échoue. Les tribunaux acceptent inégalement de recueillir un tel consentement non prévu par la loi. » (81)

Ainsi que le note l’étude d’impact, les coûts engendrés par cette protection renforcée du consentement du donneur ne devraient pas être substantiels pour les équipes médicales ou pour les TGI (82), dans la mesure, notamment, où cette pratique est entrée dans les mœurs.

Enfin, cette modification du régime du consentement est conforme tant au droit communautaire (article 13 de la directive 2004/23 du 31 mars 2004 (83)) qu’à la convention d’Oviedo (article 19, alinéa 2).

b) L’autorisation, à titre dérogatoire, d’effectuer un prélèvement de CSH sur un mineur et sur un majeur protégé

Sur le fondement des articles L. 1221-5, L. 1221-6, L. 1241-3 et L. 1241-4 du code de la santé publique, le don de CSH par ponction dans la moelle osseuse et dans le sang périphérique n’est pas possible dans les mêmes circonstances pour les mineurs et pour les majeurs protégés. Le 2° du paragraphe II met fin à cette divergence pour les mineurs et le 3° du paragraphe II, pour les majeurs protégés.

S’agissant des cellules souches issues du sang périphérique, leur don ne peut être effectué ni par un mineur ni par un majeur protégé en vertu de l’article L. 1221-6 du code de la santé publique dans la mesure où cet article interdit la modification des caractéristiques du sang en vue d’un prélèvement allogénique pour ces deux catégories de personnes et donc l’administration du facteur de croissance nécessaire à la préparation du prélèvement. En revanche, le prélèvement de CSH du sang périphérique est possible à des fins autologues pour les mineurs et les majeurs protégés.

En revanche, le prélèvement allogénique de CSH par ponction dans la moelle osseuse est autorisé pour les mineurs (article L. 1241-3 du code de la santé publique) et pour les majeurs protégés (article L. 1241-4) dans des conditions très strictes. En effet, l’article L. 1241-2 pose une interdiction de principe à laquelle les deux articles suivants dérogent de manière très encadrée, dérogation que le projet de loi étend aux prélèvements de CSH dans le sang périphérique. Les conditions exigées sont les suivantes :

– ce prélèvement ne peut avoir lieu que faute d’autre solution thérapeutique, ce qui implique notamment que des majeurs compatibles aient été recherchés préalablement ;

– il ne peut être réalisé qu’au bénéfice du frère ou de la sœur. À titre exceptionnel, il peut également être réalisé au bénéfice d’un cousin germain, d’une cousine germaine, d’un oncle, d’une tante, d’un neveu ou d’une nièce, sauf pour les majeurs sous tutelle ;

– il nécessite l’accord des titulaires de l’autorité parentale ou du représentant légal du mineur exprimé devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant. Ce consentement doit être précédé d’une information sur les risques encourus par le mineur. Pour les personnes sous tutelle, une décision du juge des tutelles est nécessaire ;

– il doit être autorisé par un comité d’experts pluridisciplinaire dont la composition est prévue à l’article L. 1231-3 du code de la santé publique. Afin de renforcer le contrôle que ce dernier exerce, le projet de loi prévoit également que ce comité s’assure qu’au regard des bonnes pratiques, les conditions de réalisation du prélèvement ne comportent aucun risque pour le mineur, compte tenu notamment de son âge et de son développement ;

– enfin, le refus du mineur ou du majeur protégé fait bien entendu obstacle au prélèvement.

Selon l’étude d’impact du projet de loi, la revue de la littérature scientifique existante en 2006 n’a montré l’existence d’aucun effet secondaire grave chez les mineurs à qui le facteur de croissance préalable au prélèvement avait été administré (84). En tout état de cause, cette procédure devrait demeurer exceptionnelle (un ou deux cas par an selon une estimation de l’Agence de la biomédecine) (85).

Il faut cependant noter qu’en étendant ainsi la possibilité pour des mineurs de donner des cellules souches hématopoïétiques aux prélèvements issus du sang périphérique, la France confirmerait qu’elle souhaite s’écarter du Protocole additionnel à la convention d’Oviedo relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine, dont l’article 14 prévoit qu’un prélèvement de tissus régénérables sur une personne qui n’a pas la capacité de consentir peut être autorisé à titre exceptionnel mais uniquement au bénéfice d’un frère ou d’une sœur du donneur. Ainsi, avec le droit actuellement en vigueur comme avec le droit tel qu’il résulterait du projet de loi, si la France entendait ratifier la convention d’Oviedo et ses protocoles additionnels, une réserve d’interprétation devrait être formulée concernant cet article.

c) Une sécurisation accrue des CSH prélevées par ponction dans la moelle osseuse

En droit positif, les CSH prélevées par ponction dans la moelle osseuse bénéficient d’une dérogation au principe général selon lequel les produits cellulaires à finalité thérapeutique, à l’exception des produits sanguins labiles, ne peuvent être préparés, conservés, distribués et cédés que par les établissements et organismes autorisés à cet effet par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) après avis de l’Agence de la biomédecine. En effet, ce principe, posé par le premier alinéa de l’article L. 1243-2 du code de la santé publique, connaît une dérogation au quatrième alinéa, qui exclut de son champ d’application les cellules hématopoïétiques issues de la moelle osseuse.

Le 4° du paragraphe II de l’article 6 du projet de loi revient sur cette dérogation. Ainsi, de même que les CSH issues du sang périphérique, celles qui proviennent d’une ponction dans la moelle osseuse devront être contrôlées dans des établissements spécialisés et ne pourront donc plus être greffées immédiatement après leur prélèvement. Ceci améliorera incontestablement la sécurité sanitaire de ces cellules.

d) L’amélioration de la sécurité sanitaire des CSH issues de la moelle osseuse importées et exportées

En l’état actuel du droit, l’article L. 1245-5 du code de la santé publique prévoit, conformément à la directive 2004/23/CE du 31 mars 2004 (86), que les importations et les exportations à des fins thérapeutiques de tissus, de leurs dérivés, et de cellules issus du corps humain ainsi que des préparations de thérapie cellulaire ne peuvent être réalisées que par des établissements et organismes autorisés par l’AFSSAPS. Il dispose également que chaque importation ou exportation doit faire l’objet d’une autorisation délivrée par l’AFSSAPS.

Cependant, une exception a été ménagée pour la moelle osseuse non transformée qui pouvait être exportée sans autorisation à des fins thérapeutiques par les établissements autorisés à la prélever. De la même façon, elle pouvait également être importée sans autorisation par les établissements autorisés à greffer des CSH issues de la moelle osseuse. Cette exception, prévue par le cinquième alinéa de l’article L. 1245-5 du code de la santé publique, ne vaut pas pour les CSH du sang périphérique. Ainsi, à l’heure actuelle, la moelle osseuse peut être exportée et importée sans contrôle sanitaire.

Le 5° du paragraphe II met fin à cette exception en supprimant l’alinéa en question. Toutes les cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse, qu’elles aient été ponctionnées dans cette dernière ou qu’elles soient prélevées dans le sang périphérique, seraient ainsi soumises aux autorisations de droit commun prévues par l’article L. 1245-5 du code de la santé publique, ce qui est conforme au droit communautaire. La sécurité sanitaire s’en trouverait améliorée.

Enfin, les sanctions pénales applicables en cas de violation des règles du consentement pour les prélèvements de CSH sont harmonisées par l’article 8 du projet de loi.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS 149 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je propose de permettre à une personne qui est sous sauvegarde de justice ou sous curatelle – en continuant, donc, à exclure le cas de la tutelle –, de donner son sang, la situation actuelle d’interdiction pouvant être vécue comme discriminante.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Avis défavorable. S’agissant de personnes faisant l’objet d’une mesure de protection légale, il faudrait recueillir l’accord de leur représentant légal – ce qui, en cette matière, pose problème.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle adopte ensuite successivement les amendements de coordination AS 223, AS 224 et AS 225 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

Article 7

(articles L. 1241-1, L. 1243-2 et L. 1245-2 du code de la santé publique)


Principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques
du sang de cordon et du sang placentaire

L’article 7 précise le régime juridique applicable aux cellules souches issues du sang de cordon et du sang placentaire. De l’avis général, les dispositions actuellement en vigueur doivent en effet être clarifiées sur plusieurs points du fait de leur imprécision voire de leur inadaptation.

1. Un droit flou voire inadapté

Les instances qui ont été amenées à se prononcer sur la révision de la loi de bioéthique ont pointé trois enjeux principaux en ce qui concerne le prélèvement des cellules du sang de cordon et du placenta : le régime en matière de consentement est inadapté, les conditions dans lesquelles il peut être procédé à ce recueil sont floues et posent des problèmes éthiques.

a) Un simple régime de non opposition au prélèvement susceptible d’être contraire au droit européen

Les prélèvements de sang placentaire et de sang de cordon sont régis par l’article L. 1245-2 du code de la santé publique relatif aux résidus opératoires. Ce dernier prévoit que « les tissus, les cellules et les produits du corps humain, prélevés à l’occasion d’une intervention chirurgicale pratiquée dans l’intérêt de la personne opérée, ainsi que le placenta peuvent être utilisés à des fins thérapeutiques ou scientifiques, sauf opposition exprimée par elle après qu’elle a été informée des finalités de cette utilisation. » Le sang issu du cordon ou du placenta ne bénéficie donc pas d’un encadrement autre que celui qui régit l’ensemble des résidus opératoires.

Ceci semble être conforme au droit communautaire, la disposition pertinente en la matière étant l’article 13 de la directive du 31 mars 2004 (87). En effet, la directive en question prévoit uniquement que les exigences obligatoires en matière de consentement en vigueur dans l’État membre soient satisfaites.

En revanche, la convention d’Oviedo prévoit, dans le second alinéa de son article 19, que, pour tout prélèvement d’organe ou de tissu sur un donneur vivant, le consentement de ce dernier « doit avoir été donné expressément et spécifiquement, soit par écrit soit devant une instance officielle ». S’il est possible, comme l’avait fait la garde des sceaux devant la mission d’information, d’assimiler la non-opposition à un prélèvement à un consentement, il n’en demeure pas moins que ce dernier n’est donné ni par écrit ni devant une instance officielle.

b) Les banques autologues ne sont ni explicitement autorisées ni expressément interdites, ce qui peut être porteur de dérives

En l’état actuel du droit, les banques autologues de sang de cordon et de sang placentaire ne sont ni autorisées ni interdites.

En effet, ces prélèvements étant assimilés juridiquement à une collecte de résidus opératoires, aucune autorisation n’est nécessaire pour y procéder. En revanche, les établissements qui préparent, conservent, distribuent et cèdent les unités de sang placentaire qui sont produites à partir de ces prélèvements doivent être autorisés sur le fondement de l’article L. 1243-2 du code de la santé publique, qui prévoit que cette autorisation est délivrée par l’AFSSAPS après avis de l’Agence de la biomédecine. Ce sont ces établissements que l’on appelle « banques de sang de cordon ». Enfin, la greffe de ces cellules doit avoir lieu dans un établissement de santé en vertu de l’article L. 1243-6 du même code.

Or, faute d’indications thérapeutiques, l’AFSSAPS ne délivre actuellement aucune autorisation pour les établissements qui désirent se constituer en banques de sang de cordon à des fins autologues. Les cellules hématopoïétiques issues du sang de cordon et du sang placentaire peuvent cependant être prélevées à des fins autologues en France pour être stockées dans des banques à l’étranger.

D’ailleurs, l’absence de régime juridique clair concernant ces cellules n’a pas pu empêcher le développement de pratiques en marge de la légalité. En effet, la mission d’information parlementaire a pointé le fait que l’information délivrée par les banques autologues qui sollicitent les femmes françaises sur le point d’accoucher « serait souvent incomplète voire inexacte. Le professeur Éliane Gluckman a indiqué ainsi que des promesses laissaient accroire que le sang de cordon permettait de guérir pratiquement toutes les maladies. » (88).

Or, les chercheurs entendus par la mission ont tous indiqué que, si l’on ne pouvait pas préjuger des découvertes scientifiques à venir, l’intérêt médical de ces cellules à des fins autologues était inexistant à l’heure actuelle. Si leur usage se développe actuellement, c’est uniquement à des fins allogéniques, en vue notamment de traiter des hématopathies malignes. C’est pourquoi, dans un communiqué du 8 décembre 2009, la société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire ainsi que la société française d’hématologie ont invité à la vigilance sur les sociétés privées incitant à la conservation de sang de cordon à visée autologue (89).

c) La concurrence des banques autologues avec les banques allogéniques

Corrélativement, s’est posée la question de la concurrence des banques autologues de sang de cordon avec les banques allogéniques. En effet, alors que les premières sont créées à des fins commerciales, les secondes sont publiques et reposent sur la solidarité nationale. Les unités qui y sont stockées sont disponibles pour tout patient qui en aurait besoin. À l’inverse, les banques autologues ne les conservent qu’au bénéfice de la descendance du donneur, en vue d’une potentielle utilisation future.

Cette possible contradiction entre la création de banques autologues et les exigences de la solidarité sur laquelle est fondé notre système de santé a été soulevée d’une part par le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine en 2007 et, d’autre part, par le Conseil national consultatif d’éthique en 2002 dans son avis n° 74. Ce dernier estime que le cantonnement de ces banques aux seules personnes pouvant y contribuer financièrement irait à l’encontre du principe de l’égal accès aux soins (90).

2. Le choix de soumettre ces cellules souches aux grands principes de la bioéthique, en interdisant les banques autologues

L’article 7 du projet de loi inscrit pleinement les cellules du sang de cordon et du sang placentaire dans le cadre des grands principes de la bioéthique et notamment du consentement libre et éclairé, de l’anonymat du don et de l’égal accès au soin.

a) Des modalités de prélèvement conformes aux grands principes éthiques

Le de cet article introduit un nouveau paragraphe à l’article L. 1241-1 du code de la santé publique qui traite spécifiquement du prélèvement des cellules issues du sang de cordon et du sang placentaire. Ce faisant, il l’encadre de manière bien plus rigoureuse qu’en droit positif.

Ainsi, ces prélèvements ne pourraient avoir lieu qu’à des fins médicales allogéniques ou scientifiques. Conformément aux grands principes énoncés par les articles 16 et suivants du code civil, il est prévu que ces cellules soient utilisées au profit de toute personne ayant besoin d’une greffe, de manière anonyme. Ce dispositif s’inscrit dans le cadre des articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique qui énonce le principe général de l’anonymat du don qui empêche tout don dédié, sauf exception de rang législatif. Par ailleurs, il permet de faire jouer pleinement la solidarité en vue de garantir l’égal accès aux soins en rendant disponibles toutes les unités de sang placentaire stockées en vue d’une greffe.

Par exception à ce principe général, la dernière phrase du 1° de l’article 7 du projet de loi ménage une exception au profit des frères et sœurs de l’enfant né si une nécessité thérapeutique existe au moment du prélèvement. Cette possibilité est cohérente avec le dispositif relatif au double DPI, qui permet d’effectuer un diagnostic en vue de transférer in utero un embryon à la fois indemne de maladie génétique particulièrement grave et dont les caractéristiques immunologiques, en terme de compatibilité du système HLA (91), permettront de prélever le sang de cordon pour soigner un aîné malade. Cette possibilité est décrite à l’article L. 2131-4-1 du code de la santé publique et il n’est pas prévu de revenir dessus dans le cadre du projet de loi.

De surcroît, le 1° de l’article 7 du projet de loi renforce le régime du consentement applicable aux femmes qui font don de leur sang de cordon et de leur sang placentaire. En effet, il est prévu que le don soit réalisé après la formulation d’un consentement écrit précédé d’une information adéquate sur les finalités de l’utilisation de ces cellules, ce consentement étant révocable à tout moment et sans forme. Corrélativement, les cellules du sang de cordon et du sang placentaire ne seraient plus considérées comme des résidus opératoires. Ainsi, le  de cet article les exclut-il explicitement de cette catégorie en modifiant l’article L. 1245-2 du code de la santé publique. Le dispositif français serait de la sorte davantage en conformité avec le second alinéa de l’article 19 de la convention d’Oviedo qui impose un consentement écrit ou devant une instance officielle.

b)  L’interdiction des banques autologues de sang de cordon et de sang placentaire

En conséquence des modifications apportées par le 1° de l’article 7, le du même article prévoit que seules les cellules de sang de cordon et de sang placentaire qui sont prélevées dans les conditions de consentement et avec les finalités précédemment décrites peuvent être préparées, conservées, distribuées ou cédées. Ceci revient à interdire la constitution de banques de sang de cordon et de sang placentaire autologues.

Une telle solution a d’ores et déjà été adoptée par la Belgique et par l’Italie. En revanche, aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne coexistent deux systèmes qui n’entretiennent aucun lien : des banques privées autologues et des banques publiques allogéniques. Le rapport de Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice (92), ainsi que la proposition de loi de notre collègue Damien Meslot (93) allaient dans le sens d’une telle cohabitation.

La possibilité avait également été évoquée, au cours des travaux de la mission d’information, de créer un système de banques mixtes solidaires qui donneraient la possibilité aux familles de faire conserver le sang de cordon pour leur descendance, ces cellules pouvant cependant faire, le cas échéant, l’objet d’un usage allogénique en échange d’une indemnisation. Cette solution a été soutenue par le Conseil d’État dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique (94). Cependant, partout où elle a été adoptée, cette solution n’a pas rencontré le succès escompté et les banques de ce type ne stockent à l’heure actuelle que très peu d’unités de sang placentaire (95).

Sur le fondement des 1° et 2° de l’article 7 du projet de loi, seraient donc interdites les banques autologues de sang de cordon et de sang placentaire. Cette interdiction repose sur le double constat qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune indication thérapeutique de ces cellules pour un usage autologue, aucun patient n’ayant été guéri ou n’ayant vu sa santé améliorée de manière scientifiquement mesurable à partir d’un traitement fondé sur l’utilisation autologue de telles cellules (96) et que, d’autre part, une telle utilisation serait susceptible de porter atteinte à l’égal accès aux soins.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 133 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Comme le recommande le rapport de l’Académie de médecine établi par Jacques Caen, il convient d’étendre les dispositions de l’article 7 aux cellules du cordon et du placenta, en raison de leur potentiel thérapeutique. Cette mesure a également été préconisée lors d’un colloque qui s’est tenu au Sénat à l’initiative de Mme Hermange.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS 226 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Article 8

(articles L. 1242-1 et L. 1272-4 du code de la santé publique et 511-5 du code pénal)


Autorisation des établissements habilités à prélever des cellules

Cet article précise le régime d’autorisation des établissements habilités à prélever des cellules à des fins thérapeutiques (paragraphe I) et adapte les sanctions pénales par coordination avec les modifications introduites à l’article 6 du projet de loi relatif aux cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse (paragraphes II et III).

Le paragraphe I clarifie les conditions dans lesquelles un établissement de santé peut prélever des cellules à des fins d’administration autologue ou allogénique. Ces conditions sont fixées par l’article L. 1242-1 du code de la santé publique.

En l’état actuel du droit, y sont autorisés les établissements de santé qui ont reçu une autorisation à cet effet de l’autorité administrative après avis de l’Agence de la biomédecine. Cette autorisation est valable pour tout type de cellules, y compris les cellules sanguines lorsque ces dernières sont destinées à la préparation de produits cellulaires à finalité thérapeutique autres que des produits sanguins labiles. De surcroît, sont également autorisés à prélever des cellules sanguines dans cette perspective les établissements de transfusion sanguine.

Le paragraphe I du projet de loi précise que l’autorité administrative habilitée à délivrer l’autorisation de prélèvement de cellules à fins d’administration autologue ou allogénique est le directeur général de l’agence régionale de santé. Surtout, il redéfinit pour partie les conditions dans lesquelles des établissements peuvent être autorisés à prélever des cellules de sang en vue de préparer des produits cellulaires à finalité thérapeutique autres que des produits sanguins labiles. Les modifications sont synthétisées dans le tableau suivant.

Établissements autorisés à prélever des cellules en droit positif
et selon l’article 8-I du projet de loi

 

Droit actuel

Article 8-I du projet de loi

Prélèvement de cellules

Établissements de santé autorisés à cet effet par l’autorité administrative après avis de l’ABM

Établissements de santé autorisés à cet effet par le directeur général de l’ARS après avis de l’ABM

Prélèvement de cellules de sang en vue de préparer des produits cellulaires à finalité thérapeutique autres que des produits sanguins labiles

–  Ces mêmes établissements ;

–  Les établissements de transfusion sanguine

–  Ces mêmes établissements ;

–  L’Établissement français du sang dans ses établissements de transfusion sanguine autorisés et dans les établissements de santé autorisés

Le projet de loi apporte une restriction à la possibilité, pour les établissements de transfusion sanguine, de procéder à ces prélèvements. En effet, alors qu’aucune autorisation n’est requise en droit positif, le projet de loi prévoit qu’une telle autorisation leur serait désormais nécessaire. Il faut noter que les établissements de transfusion sanguine peuvent également être autorisés, sur le fondement de l’article L. 1223-1 du code de la santé publique, à préparer, conserver, distribuer et céder, à des fins autologues ou allogéniques, des tissus et leurs dérivés ainsi que des préparations de thérapies cellulaires.

À l’inverse, il serait désormais possible à l’Établissement français du sang de prélever des cellules de sang en vue de préparer des produits cellulaires à finalité thérapeutique autres que des produits sanguins labiles dans des établissements de santé autorisés autres que des centres de transfusion sanguine. Ceci reviendrait à remettre pour partie en cause le monopole des établissements de transfusion sanguine dans la collecte du sang humain ou de ses composants en vue d’une utilisation thérapeutique qui est posé par l’article L. 1221-2 du code de la santé publique.

Les 1° des paragraphes II et III étendent les sanctions pénales, prévues d’une part par l’article 511-5 du code pénal et d’autre part par l’article L. 1272-4 du code de la santé publique, applicables en cas de prélèvement de tissus ou de cellules ou de collecte d’un produit sur une personne vivante majeure sans qu’elle ait exprimé le consentement adéquat, au cas où des cellules de sang de cordon ou du sang placentaire seraient prélevées sans le consentement écrit de la donneuse ou à des fins autologues en dehors des conditions prévues à cet article. Le fait de réaliser ce prélèvement serait puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Les 2° des paragraphes II et III précisent que les sanctions pénales applicables en cas de prélèvement de cellules hématopoïétiques issues de la moelle osseuse sur des mineurs ou des majeurs protégés, sans que les conditions de consentement des articles L. 1241-3 et L. 1241-4 aient été respectées, sont applicables qu’elles aient été recueillies par prélèvement osseux ou dans le sang périphérique. Ces modifications traduisent sur le plan pénal l’harmonisation du régime juridique de ces cellules qui est réalisée par l’article 6 du projet de loi.

*

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AS 227 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

TITRE III

DIAGNOSTIC PRÉNATAL, DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE ET ÉCHOGRAPHIE OBSTÉTRICALE ET F
œTALE

Article 9

(Article L. 2131-1 du code de la santé publique)


Diagnostic prénatal

L’article 9 procède à une réécriture globale de l’article L. 2131-1 du code de la santé publique relatif au diagnostic prénatal (DPN) afin, d’une part, de mentionner désormais explicitement dans la loi l’échographie obstétricale et fœtale dans les pratiques ayant pour but de détecter une affection grave du fœtus, et, d’autre part, de mieux encadrer la succession d’étapes de la démarche de diagnostic prénatal, en renforçant l’information et l’accompagnement des femmes enceintes.

1. Le régime juridique actuel des diagnostics prénataux

Le diagnostic prénatal a été défini par la première loi de bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

a) Définition du diagnostic prénatal

Aux termes de la rédaction actuelle de l’article L. 2131-1 du code de la santé publique, « le diagnostic prénatal s’entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité ».

Comme le souligne le document de l’agence de la biomédecine « État des lieux du diagnostic prénatal en France » de février 2008, la notion de diagnostic prénatal doit être différenciée de celle de dépistage prénatal.

Le dépistage prénatal concerne l’ensemble des femmes enceintes qui ne présentent pas de risque identifié a priori. Il permet l’identification de sujets à plus haut risque que d’autres d’être atteints d’une maladie ou d’une anomalie.

Un test de diagnostic prénatal n’est proposé qu’aux femmes qui présentent un risque accru.

Les diagnostics prénataux visent en premier lieu à permettre une meilleure prise en charge de l’enfant au cours de la période de gestation ou après sa naissance. Les investigations menées dans le champ du DPN sont ainsi susceptibles de répondre à une finalité préventive, qu’il s’agisse par exemple du traitement d’une toxoplasmose, de la prévention de l’incompatibilité rhésus, du traitement hormonal de l’hyperplasie des surrénales ou de l’organisation de la prise en charge néonatale pour les malformations et maladies nécessitant un traitement d’urgence. À travers ces finalités, le DPN contribue à la réduction de la mortalité néonatale et à la prévention de certains handicaps, ce qui explique que le code de la santé publique l’intègre au titre des « actions de prévention concernant l’enfant » visées par le titre III du Livre Ier de la deuxième partie de ce code.

Dans d’autres cas, les diagnostics prénataux peuvent également conduire les parents à demander une « interruption de grossesse pratiquée pour motif médical » (article L. 2213-1 du code de la santé publique), dite interruption médicale de grossesse (IMG). Dans cette hypothèse, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) fait remarquer (97) que « le recours au concept de « prévention » est plus discutable », même si on peut toujours « considérer qu’une interruption médicale de grossesse « prévient » la souffrance morale des couples ».

Cette recherche, au cours de la grossesse, des anomalies embryonnaires ou fœtales, peut s’effectuer à travers plusieurs types d’explorations.

 Les examens de biologie médicale (explorations biologiques et génétiques)

Les analyses mentionnées à l’article L. 2131-1 du code de la santé publique, ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité, sont limitativement énumérées par l’article R. 2131-1 du même code.

Sur le plan biologique, le DPN se rapporte à des prélèvements soit sur le fœtus ou ses annexes (liquide amniotique, villosité choriale (98), sang fœtal), soit sur le sang de la mère. Ces prélèvements permettent d’obtenir un diagnostic ou une probabilité d’atteinte du fœtus par des anomalies génétiques ou infectieuses.

Les techniques employées sont les analyses de cytogénétique, y compris les analyses de cytogénétique moléculaire, qui étudient le nombre et la forme des chromosomes, les analyses de génétique moléculaire qui étudient l’ADN fœtal ainsi que d’autres disciplines biologiques (analyses en vue du diagnostic de maladies infectieuses, analyses d’hématologie, analyses d’immunologie et analyses de biochimie, y compris les analyses portant sur les marqueurs sériques maternels) qui mettent en évidence une pathologie fœtale délétère.

Résumé de l’activité de diagnostic prénatal en 2008

Technique d’analyse

Nombre de laboratoires autorisés

Nombre de laboratoires
ayant eu une activité en 2008 *

Nombre de fœtus étudiés

Nombre de diagnostics
positifs

Cytogénétique

73

71

83 576

3 948

Génétique moléculaire

50

48

3 147

500

Biologie infectieuse

49

48

   

Parasitologie seule

 

0

1 334

117

Virologie seule

 

24

5 430

155

Parasitologie et virologie

 

24

   

Hématologie

2

0

   

Immunologie

2

1

2

0

Biochimie fœtale et marqueurs sériques

96

92

   

Maladies héréditaires

 

6

116

15

Hormonologie

 

4

92

21

Défaut de fermeture du tube neural

 

23

10 876

236

Marqueurs sériques

 

86

666 262 a

505 b

* En cytogénétique, un centre ayant eu une activité en 2008 était manquant : le CHU de Montpellier

a : Nombre de femmes testées

b : Nombre de trisomies 21 diagnostiquées

Source : Agence de la Biomédecine, Rapport annuel 2009

 L’imagerie par échographie

L’exploration prénatale la plus pratiquée depuis 1975 est l’imagerie par échographie fœtale. Elle permet une surveillance étroite de l’embryon dès les premières semaines et le suivi de son développement jusqu’à la naissance de l’enfant. D’autres techniques d’imagerie médicale, comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et le scanner spiralé, peuvent également être utilisées pour établir un diagnostic d’anomalies morphologiques.

On distingue classiquement l’échographie de dépistage de l’échographie dite de « diagnostic » et de l’échographie dite « focalisée ». L’échographie dite de « diagnostic » ou de « seconde intention » est réalisée quand un risque particulier est identifié par l’échographie de dépistage, par les antécédents ou par des anomalies lors d’un dépistage biologique. L’échographie « focalisée » ne comprend pas un examen complet de l’enfant et est souvent réalisée en urgence ou dans le cadre d’une anomalie connue.

D’après le document de l’agence de la biomédecine « État des lieux du diagnostic prénatal en France » de février 2008, il n’existe à l’heure actuelle aucun moyen d’avoir une vision exhaustive de l’activité d’échographie obstétricale en France. L’étude d’impact annexée au présent projet de loi indique cependant, à partir de données de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), que 1 772 321 échographies de suivi de grossesse ont été comptabilisées en 2007 en secteur privé et 565 304 en secteur public (consultations externes), soit une moyenne de 2,8 échographies par naissance. Selon la même source, en secteur libéral, 53 % des échographies obstétricales sont réalisées par des gynécologues, 29 % par des radiologues, 14 % par des omnipraticiens et 5 % par des sages femmes.

Il convient de souligner que l’imagerie par échographie n’est actuellement pas mentionnée par l’article R. 2131-1 du code de la santé publique au titre des analyses mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 2131-1 ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité.

b) Conditions actuelles de mises en œuvre du DPN

La loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique définit les conditions de mise en œuvre du DPN. Elle prévoit le recours à une consultation médicale adaptée à l’affection recherchée, un système d’autorisation des laboratoires et d’agrément des praticiens pratiquant le DPN ainsi que la création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN).

 Consultation médicale adaptée à l’affection recherchée

Pour les examens autres que l’échographie, l’article L. 2131-1 du code de la santé publique dispose que le DPN « doit être précédé d’une consultation médicale adaptée à l’affection recherchée ». Depuis 2004, cette consultation peut ainsi être, suivant l’affection recherchée (toxoplasmose congénitale par exemple) d’une autre nature que génétique.

Si la loi ne précise pas les objectifs de cette consultation, l’article R. 2131-2 du code de la santé publique dispose que le médecin consulté fournit au cours de celle-ci des informations permettant :

– d’évaluer le risque pour l’enfant à naître d’être atteint d’une maladie d’une particulière gravité, compte tenu des antécédents familiaux ou des constatations médicales effectuées au cours de la grossesse ;

– d’informer la femme enceinte sur les caractéristiques de cette maladie, les moyens de la détecter, les possibilités thérapeutiques et les résultats susceptibles d’être obtenus au cours de l’analyse ainsi que sur leurs éventuelles conséquences ;

– d’informer la femme enceinte sur les risques inhérents aux prélèvements, sur leurs contraintes et leurs éventuelles conséquences ;

Le médecin consulté établit une attestation, cosignée par la femme enceinte, certifiant que les informations ci-dessus lui ont bien été fournies et en conserve l’original.

Lorsque la femme enceinte consent à la réalisation des analyses, son consentement est recueilli sur un formulaire dont le médecin conserve l’original.

Une copie de l’attestation et une copie du formulaire de consentement sont ensuite remises à la femme enceinte et au praticien qui effectue les analyses.

 Autorisation et accréditation des laboratoires et agrément des praticiens pratiquant le DPN

– Les laboratoires de biologie médicale pratiquant des examens destinés à établir un diagnostic prénatal doivent être autorisés.

L’article L. 2131-1 du code de la santé publique dispose en effet que les examens de biologie médicale destinés à établir un DPN ne peuvent être pratiqués que dans des laboratoires de biologie médicale autorisés pour une durée de cinq ans. L’article R. 2131-5-5 précise que cette autorisation est délivrée par le directeur général de l’agence régionale de santé. Cette autorisation vaut inscription à la liste prévue à l’article L. 6211-23 et arrêtée par le ministre chargé de la santé qui réserve à certains laboratoires l’exécution des examens de biologie médicale, des activités biologiques d’assistance médicale à la procréation et des examens d’anatomie et de cytologie pathologiques qui requièrent une qualification spéciale, ou qui nécessitent le recours à des produits présentant un danger particulier.

– Les laboratoires de biologie médicale pratiquant des examens destinés à établir un diagnostic prénatal doivent être accrédités.

L’article L. 6221-2 du code de la santé publique précise que cette accréditation est délivrée, à sa demande, par l’instance nationale d’accréditation prévue au I de l’article 137 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, lorsqu’il est satisfait aux critères définis par les normes harmonisées en vigueur applicables aux laboratoires de biologie médicale, dont les références sont fixées par un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’industrie, pris après avis de la Haute Autorité de santé.

D’après le « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » d’octobre 2008 de l’Agence de la biomédecine, le nombre de laboratoires exerçant des activités de DPN est très hétérogène et varie de 2 pour l’hématologie à 74 pour la cytogénétique et les marqueurs sériques.

– Les praticiens réalisant des examens destinés à établir un diagnostic prénatal sont agréés individuellement.

L’article L. 2131-4-2 indique que sont seuls habilités à procéder au DPN les praticiens qui ont été agréés individuellement à cet effet par l’Agence de la biomédecine.

Le « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » d’octobre 2008 de l’Agence de la biomédecine indique que 372 praticiens ont été agréés à cette époque pour les activités de DPN.

 Création des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal

Pour assurer le suivi des explorations prénatales, l’article L. 2131-1 du code de la santé publique a prévu la mise en place sur le territoire de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN).

Leur création ne peut être sollicitée que par des organismes et établissements de santé publics et privés à but non lucratif. L’agence de la biomédecine rend des avis aux agences régionales de la santé sur les demandes d’autorisation de ces établissements de santé pratiquant le DPN.

Par ailleurs, la création de CPDPN doit être autorisée par l’Agence de la biomédecine qui est également compétente pour procéder au contrôle (mission d’inspection) de leurs activités.

Les CPDPN sont des équipes pluridisciplinaires réunissant des gynécologue-obstétriciens, échographistes, pédiatres, généticiens, psychiatres ou psychologues, fœtopathologistes et conseillers en génétique.

L’article R. 2131-10-1 détaille leurs missions qui sont notamment :

– de favoriser l’accès à l’ensemble des activités de diagnostic prénatal et d’assurer leur mise en œuvre en constituant un pôle de compétences cliniques et biologiques au service des patients et des praticiens ;

– de donner des avis et conseils, en matière de diagnostic, de thérapeutique et de pronostic, aux cliniciens et aux biologistes qui s’adressent à eux lorsqu’ils suspectent une affection de l’embryon ou du fœtus ;

– d’organiser des actions de formation théorique et pratique destinées aux praticiens concernés par le diagnostic prénatal des diverses affections de l’embryon et du fœtus.

Outre leur rôle dans le cadre du diagnostic préimplantatoire (cf. infra à l’article 11), les CPDPN disposent également d’une attribution importante dans le cadre de l’interruption de grossesse pratiquée pour motif médical (article L. 2213-1 du code de la santé publique), puisqu’il revient à l’équipe pluridisciplinaire d’un CPDPN d’examiner la demande de la femme de recourir à une interruption de grossesse pratiquée pour motif médical à tout moment au cours de la grossesse dans le cas où cette interruption de grossesse est envisagée au motif qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

48 CPDPN, qui couvrent l’ensemble du territoire et constituent autant de pôles pluridisciplinaires de compétences cliniques et biologiques au service des patients et des praticiens, étaient en activité en 2009.

Les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN)

Résumé des activités des CPDPN de 2005 à 2008

2005

2006

2007

2008

Nombre de dossiers examinés

25 022

24 389

28 292

29 779

Nombre d’attestations délivrées en vie d’une IMG*

6 093

6 787

6 642

6 876

Nombre de refus d’autorisation d’IMG*

106

122

112

125

Nombre de grossesses poursuivies malgré une pathologie qui aurait pu faire autoriser une IMG*

406

402

475

494

Nombre de réunions pluridisciplinaires décisionnelles annuelles

2 549

2 465

2 554

2 452

Nombre moyen de réunions annuelles

53,1

52,4

53,2

52,2

*IMG : interruption médicale de grossesse

Source : Rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, «  Activités : données essentielles »

2. Le nouveau cadre juridique proposé par le projet de loi

L’article 9 procède à une réécriture globale de l’article L. 2131-1 du code de la santé publique.

Le I du nouvel article L. 2131-1 définit le diagnostic prénatal qui continue à recouvrir « les pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité ». Le terme de diagnostic prénatal renvoie ainsi à l’ensemble des explorations pratiquées pendant la grossesse et recouvre à la fois les examens de dépistage, comme les échographies de dépistage ou l’utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21 par exemple, et les examens de diagnostic proprement dit, dont l’objectif est de permettre d’établir la présence ou l’absence d’une affection de façon certaine.

La nouveauté apportée dans cette définition tient à ce qu’elle englobe désormais explicitement « l’échographie obstétricale et fœtale » (99) alors qu’elle n’était pas jusque-là visée à l’article R. 2131-1 du code de la santé publique dressant la liste des analyses rentrant dans le champ du DPN. Cette mention expresse de l’échographie obstétricale et fœtale est d’autant plus justifiée que, quelle que soit la nature, biologique ou par échographie, du diagnostic effectué, les enjeux et les conséquences de la découverte d’une affection sont analogues pour la femme.

La rédaction du I de l’article 9 fait disparaître la « consultation médicale adaptée à l’affection recherchée » précédant le diagnostic prénatal, actuellement mentionnée au premier alinéa de l’article L. 2131-1. La référence à une consultation médicale adaptée à l’affection recherchée, qui concerne des examens de diagnostic proprement dit, était en effet particulièrement mal venue à l’étape initiale du diagnostic prénatal, où les examens réalisés ne visent qu’à identifier une éventuelle anomalie, sans orientation spécifique. Cette consultation spécifique n’est pas pour autant supprimée mais réintroduite au IV de l’article 9 (cf. infra), à sa juste place dans la succession des étapes de la démarche de diagnostic prénatal, c’est-à-dire lorsqu’un risque avéré est identifié.

Le II de l’article 9 remplace, au stade initial du diagnostic prénatal, la consultation médicale adaptée à l’affection recherchée par une simple « consultation médicale », au cours de laquelle sont proposés à la femme enceinte des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse.

Les examens de biologie médicale ont été définis par l’ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale. Aux termes de l’article L. 6211-1 du code de la santé publique, « un examen de biologie médicale est un acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l’évaluation du risque de survenue d’états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l’état physiologique ou physiopathologique de l’être humain ». Les examens des caractéristiques génétiques entrent dans la catégorie des examens de biologie médicale.

La référence aux examens « d’imagerie » renvoie à l’échographie obstétricale et fœtale, mais également à d’autres techniques d’imagerie médicale comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et le scanner spiralé.

Le III de l’article 9 prévoit que les examens de biologie médicale et d’imagerie destinés à évaluer un risque peuvent être prescrits soit par un médecin, soit par une sage-femme.

Aujourd’hui, une sage-femme, dont la profession est classée par le code de la santé publique parmi les professions médicales, peut orienter la femme enceinte vers un examen échographique ou le réaliser elle-même. Si elle peut prescrire des sérologies pendant la grossesse (sérologie de la toxoplasmose ou du cytomégalovirus par exemple), elle n’est pas, en raison de dispositions réglementaires, autorisée à prescrire les marqueurs sériques maternels de la trisomie 21. Le III de l’article 9 étend les pouvoirs des sages-femmes en matière de DPN en leur permettant désormais de prescrire les marqueurs sériques.

Sous réserve du cas particulier visé au deuxième alinéa du III et qui concerne la situation où les examens mettent en évidence un risque avéré, c’est indifféremment aux médecins ou à la sage-femme qu’il revient ensuite de communiquer les résultats de ces examens, étant précisé qu’il leur incombe parallèlement de communiquer à la femme enceinte toute l’information nécessaire à la compréhension de ces résultats.

Le deuxième alinéa du III réserve au seul médecin la communication des résultats des examens en cas de risque avéré. Dans ce cas, il est indiqué que le médecin oriente, « le cas échéant », la femme enceinte vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Le projet de loi ne précise pas selon quels critères la femme enceinte doit être ou non orientée vers un CPDPN. Ces critères de jugement appartiendront donc au médecin, chargé d’évaluer la situation en fonction du contexte. Dans certaines situations, il ne s’avérera en effet pas nécessaire d’adresser la femme enceinte vers un CPDPN (exemple : antécédents d’anomalie urinaire), dans d’autres, cela s’imposera pour une prise en charge adaptée. Dans tous les cas, la femme reste libre de refuser l’orientation vers un CPDPN et peut également opter pour une IVG avant 14 semaines d’aménorrhée.

En cas de risque avéré, l’orientation éventuelle vers un CPDPN apparaît d’autant plus utile que le projet de loi précise qu’elle y reçoit plusieurs informations susceptibles de l’éclairer.

Le CPDPN est en effet chargé de l’informer sur les caractéristiques de l’affection qui n’est encore que suspectée, sur les moyens de la détecter de façon plus sûre, ce qui renvoie à des explorations complémentaires destinées à poser un réel diagnostic et non une simple suspicion, ainsi que sur les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée à l’affection suspectée, que ces soins puissent être mis en œuvre in utero ou après la naissance de l’enfant. Il est précisé que l’ensemble de ces informations n’est délivré par le CPDPN à la femme qu’à la demande de cette dernière.

Le IV de l’article 9 prévoit que, dans l’hypothèse d’un risque avéré, seul un médecin, qui peut être, « le cas échéant », membre d’un CPDPN, peut proposer à la femme enceinte de nouveaux examens de biologie médicale à visée diagnostique au cours d’une consultation adaptée à l’affection recherchée.

Il convient de souligner que la rédaction du projet de loi semble limiter ainsi les examens complémentaires destinés à établir un diagnostic aux seuls examens de biologie médicale (caryotype, examens de biologie moléculaire, …), à l’exclusion des échographies obstétricales et fœtales dont l’intérêt n’est pourtant pas négligeable dans le cas du diagnostic de certaines affections.

Le projet de loi ne réserve pas systématiquement la proposition de ces examens complémentaires à visée de diagnostic à un médecin membre d’un CPDPN mais se limite à une simple faculté dont les critères de recours sont laissés à l’appréciation du praticien qui surveille la grossesse. Les CPDPN, centres d’expertise, n’ont en effet pas vocation à prendre en charge l’ensemble des situations nécessitant la prescription d’examens complémentaires. Leurs moyens ne leur permettraient pas de répondre à une telle demande, sachant par exemple que plus de 60 000 femmes par an sont placées dans un groupe à risque accru pour la trisomie 21 et que beaucoup de ces situations peuvent être prises en charge par un obstétricien.

Le V de l’article 9 a pour objet de traiter des règles de consentement de la femme enceinte aux examens mentionnés au II, c’est-à-dire ceux permettant d’évaluer un risque d’affection, et au IV de l’article 9, c’est-à-dire ceux qui comportent une visée diagnostique.

Il convient de rappeler que l’article L. 1111-4 du chapitre Ier (« Information des usagers du système de santé et expression de leur volonté ») du Titre Ier (« Droits des personnes malades et des usagers du système de santé ») du Livre Ier (« Protection des personnes en matière de santé ») de la première partie (« Protection générale de la santé ») du code de la santé publique pose le principe qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

Pour satisfaire à ce principe, le V prévoit que le consentement de la femme enceinte aux examens permettant d’évaluer un risque d’affection et à ceux qui comportent une visée diagnostique sera recueilli « par écrit » et « par le médecin ou la sage-femme qui prescrit ou, le cas échéant, qui effectue l’examen ».

Toutefois, il est prévu que ce consentement ne soit recueilli par écrit que pour certains seulement des examens permettant d’évaluer un risque d’affection ou comportant une visée diagnostique. La liste des examens nécessitant un consentement écrit sera déterminée par arrêté du ministre chargé de la santé. Afin d’éviter tout risque d’inconstitutionnalité pour « incompétence négative », le projet de loi précise que cette liste sera établie en prenant notamment en compte les risques des examens pour la femme enceinte, l’embryon ou le fœtus ainsi que « la possibilité de détecter une affection d’une particulière gravité chez l’embryon et le fœtus ». Cette dernière considération peut apparaître en première analyse redondante dans la mesure où la définition du diagnostic prénatal donnée au I de l’article 9 s’entend justement de l’ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. L’objectif est toutefois d’inclure l’échographie dans la liste des examens nécessitant un consentement écrit et de justifier pourquoi elle nécessite un consentement préalable, non pas en fonction de ses risques mais parce qu’elle ouvre la possibilité de détecter une affection d’une particulière gravité.

Le VI de l’article 9 vise à garantir l’information de la femme enceinte préalablement à la réalisation des examens de diagnostic prénatal. En visant « les examens mentionnés » au V, le VI de l’article renforce l’obligation de délivrer une information pour les examens pour lesquels un consentement est requis et dont la liste sera déterminée par arrêté du ministre chargé de la santé. L’information qui doit être délivrée doit porter sur les objectifs, les modalités, les risques et les limites des examens. Il convient de souligner que l’information présente un intérêt pour l’ensemble des diagnostics prénataux et non pour les seuls pour lesquels la loi requiert un consentement.

Le VI de l’article 9 ne précise pas qui sera chargé de délivrer cette information. En pratique, il s’agit de la personne qui va recueillir le consentement mentionné au V, c’est-à-dire le médecin ou la sage-femme qui prescrit ou, le cas échéant, qui effectue l’examen.

S’il est précisé que l’information sera reçue préalablement à la réalisation des examens, il n’est pas explicitement indiqué que celle-ci doit être délivrée avant le recueil du consentement, l’ordre des paragraphes V et VI laissant même plutôt penser le contraire, ce qui n’est pas pleinement satisfaisant pour garantir que le consentement de la femme enceinte sera éclairé au sens de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique.

Afin de prévenir une judiciarisation croissante des erreurs d’interprétation en échographie, le VI de l’article 9 prévoit des modalités d’information spécifiques aux échographies obstétricale et fœtale. Pour ces échographies, la femme enceinte devra être avertie que l’absence d’anomalie détectée ne permet pas d’assurer avec certitude que le fœtus est indemne de toute affection et que la suspicion d’une anomalie peut ne pas se confirmer par la suite.

Le VII de l’article 9 reprend, quasiment à l’identique, les dispositions actuelles relatives aux nécessaires autorisation et accréditation des laboratoires de biologie médicale pour réaliser des examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal. Il fait toutefois disparaître la précision du 3ème alinéa de la rédaction actuelle de l’article L. 2131-1 du code de la santé publique selon laquelle les autorisations sont délivrées pour 5 ans, cette disposition étant clairement de nature réglementaire.

Le VII se borne à ajouter dans la loi que l’autorisation de réaliser des examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal sera directement délivrée à l’établissement de santé lorsque le laboratoire de biologie médicale en dépend.

Le VIII de l’article 9 reprend, à des détails de forme près, les dispositions actuelles relatives à la création des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal qui doit être autorisée par l’ABM.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 63 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement tend à assurer la cohérence de l’alinéa 3, relatif aux examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection « susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse », avec l’alinéa 2 relatif au diagnostic prénatal, lequel précise que ce dernier s’entend des pratiques ayant pour but de détecter in utero une affection « d’une particulière gravité ».

M. le rapporteur. Avis défavorable. Lors de la première étape du diagnostic prénatal, la maladie ou l’anomalie qu’il s’agit de dépister ne saurait se limiter à une affection d’une particulière gravité.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Les examens dont il est question à l’alinéa 3 visent à identifier des situations qui nécessitent un suivi particulier de la femme enceinte mais qui, dans la plupart des cas, ne relèvent pas des « affections d’une particulière gravité ».

M. Xavier Breton. Dans la suite de cet article, on ne sait pas à quoi renvoient les mots « En cas de risque avéré » : est-ce à l’alinéa 2 – donc aux affections d’une particulière gravité –, ou à l’alinéa 3, beaucoup moins restrictif ? Je maintiens qu’il y a une incohérence.

M. le rapporteur. Je reconnais que la rédaction retenue pose problème. L’échographie, visée par l’alinéa 2, permet par exemple de détecter une trisomie : peut-on la classer parmi les affections d’une particulière gravité ? Il est exact qu’il faudrait assurer la cohérence du texte, mais plutôt en rectifiant l’alinéa 2.

M. Xavier Breton. Mon souhait n’est pas d’élargir le diagnostic prénatal, mais au contraire de le limiter.

La commission rejette cet amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 27 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. On constate une dérive progressive dans la pratique du diagnostic prénatal : 92 % des fœtus trisomiques sont détectés et parmi eux, 96 % sont ensuite éliminés. Premier d’une série d’amendements tendant à rétablir plus de liberté dans les pratiques, tant du côté du médecin – qui ne doit pas se sentir contraint par un besoin de couverture juridique – que du côté de la femme – qui doit conserver sa liberté de choix –, celui-ci vise, à l’alinéa 3 relatif aux examens de biologie médicale et d’imagerie, à substituer aux mots « sont proposés » les mots « peuvent être proposés » : il faut laisser au médecin sa liberté.

M. le rapporteur. Avis franchement défavorable, au nom de l’égalité entre les citoyens : permettre au médecin de ne pas proposer les examens crée une inégalité de traitement dans l’accès au diagnostic prénatal entre les femmes.

Mme la secrétaire d’État. Le dépistage systématisé que l’on propose aux femmes enceintes en vertu de certains critères est une avancée considérable. C’est à la femme qu’il revient de choisir : le médecin ne doit pas le faire à sa place. Avis défavorable.

M. Olivier Dussopt. Nous partageons la position du rapporteur. Nous voterons contre cet amendement et contre ceux qui vont suivre. On nous propose de donner plus de liberté au médecin, au détriment de la liberté des femmes de disposer de toutes les informations que permettent les progrès de la médecine.

M. Xavier Breton. Les mots « dépistage systématisé » et « avancée » employés par Mme la ministre posent question. Je ne considère pas comme une avancée le fait que 90 % des enfants trisomiques à naître soient supprimés. Les femmes enceintes doivent avoir une vraie liberté de choix, sans subir de pressions.

M. Marc Le Fur. Au fil du temps s’est organisée une forme d’eugénisme ; je crains que ce texte, involontairement, n’y concoure. En fait, c’est la trisomie 21 qui est visée. Or lorsqu’elle est dépistée, les femmes se voient privées de choix : l’avortement est systématiquement proposé. Nous devons nous interroger sur la systématisation d’une pratique qui se traduit par un taux d’avortement de 96 %.

M. Noël Mamère. Nous abordons là un point de divergence philosophique. Je rejoins Olivier Dussopt, notre rapporteur et Mme la ministre pour dire que c’est avant tout la liberté de la femme qui importe. L’eugénisme, c’est d’abord le choix du médecin : ne renversons pas la pyramide ; si on donne la possibilité au médecin de ne rien dire, c’est bien lui qui va décider. Or le progrès scientifique doit aussi servir à informer. Prétendre qu’il est moins bien qu’une femme soit éclairée sur le destin de son enfant plutôt qu’ignorante est aberrant. Certes il nous faut veiller à ce que les progrès scientifiques servent le progrès humain, mais en matière de dépistage prénatal tel est bien le cas ; et c’est à la femme, informée, de prendre ses décisions.

Mme Valérie Boyer. S’il est une personne privée de liberté, c’est bien la femme qui met au monde un enfant sans avoir eu accès à cette information. Systématiser l’information, dont nous avons les moyens techniques, est donc un progrès. La naissance d’un enfant porteur d’un handicap grave bouleverse non seulement la femme, mais la famille entière, en particulier la fratrie ; laisser les femmes enceintes dans l’ignorance est une lourde responsabilité. Il ne s’agit pas d’eugénisme : on informe aussi la femme enceinte de handicaps qui peuvent être soignés – pied-bot ou bec-de-lièvre, par exemple.

M. Paul Jeanneteau. Personne ne remet en cause les progrès de la médecine ni le fait que le choix appartient à la femme enceinte – et plus largement au couple –, dans le dialogue singulier avec le médecin. Néanmoins certains témoignages démontrent que ce dialogue n’est pas toujours de qualité et qu’une pression peut être exercée. Le fait de fournir une information équilibrée après un diagnostic me semble une mesure de bon sens. Je me garderais bien de porter un jugement de valeur sur les choix faits ensuite.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 64 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement est dans le même esprit que le précédent.

M. le rapporteur. Avis défavorable en raison de l’intention, même si dans les faits, le remplacement du mot « toute » par le mot « la » ne change juridiquement rien.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable.

Mme Laurence Dumont. L’exposé des motifs de cet amendement est éclairant.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 28 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je propose que la femme enceinte reçoive, préalablement aux examens mentionnés à l’alinéa 3, une bonne information sur le dépistage prénatal, afin d’éviter les pressions que j’ai déjà évoquées.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Dans les faits, l’amendement est satisfait puisque le diagnostic de la trisomie 21 est soumis au consentement éclairé de la femme, dont témoigne le formulaire qu’elle doit remplir et fournir au laboratoire avant tout prélèvement.

M. le rapporteur. J’ai déposé un peu plus loin l’amendement AS 187, plus global, selon lequel la femme enceinte, préalablement au recueil de son consentement, reçoit une information complète – sauf si elle refuse de savoir, possibilité qui lui est explicitement ouverte et qui réaffirme que l’ensemble des examens proposés dans le cadre du diagnostic prénatal présente un caractère facultatif. Avis défavorable donc.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable, cet amendement étant satisfait.

Mme Bérengère Poletti. L’expérience montre que, sauf exception, les médecins informent toujours correctement leurs patientes, y compris sur le caractère facultatif des examens.

M. le rapporteur. Je précise par anticipation que mon amendement AS 187 tend à rédiger ainsi l’alinéa 8 : « Préalablement au recueil du consentement mentionné au V et à la réalisation des examens mentionnés au II et au IV, la femme enceinte reçoit, sauf opposition de sa part, une information portant notamment sur les objectifs, les modalités, les risques, les limites et le caractère non obligatoire de ces examens. »

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 129 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement tend à promouvoir le choix de méthodes non invasives de diagnostic prénatal, préconisées par la Haute autorité de santé – telles que l’échographie ou le prélèvement de sang maternel –, plutôt que de méthodes invasives – telles que l’amniocentèse –, risquées pour la mère et le bébé.

M. le rapporteur. La hiérarchie préconisée par la Haute autorité de santé correspond d’ores et déjà à la pratique des médecins ; votre préoccupation légitime est donc satisfaite dans les faits. En outre, toutes les bonnes pratiques ne peuvent pas être inscrites dans la loi.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable, toutes les maladies ne pouvant pas être diagnostiquées avec des examens non invasifs.

M. Jean-Louis Touraine. Préférer l’examen le moins dangereux est un principe qui s’applique à toute la médecine : « Primum non nocere ».

Mme Valérie Boyer. Si mon amendement est réellement satisfait dans la pratique, je le retire.

L’amendement AS 129 est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement AS 29 de M. Hervé Mariton.

M. Xavier Breton. Afin d’assurer la liberté de choix de la femme et du couple en leur fournissant le plus tôt possible une information pertinente, l’amendement tend à ce que cette information soit fournie non par le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN), mais, en amont, par le médecin lui-même.

M. le rapporteur. Je vous propose de vous rallier à mon amendement AS 183, qui vient juste après et selon lequel l’information est fournie dans tous les cas, que la femme enceinte soit ou non orientée vers un CPDPN.

M. Xavier Breton. Dès lors que l’information peut être donnée par le médecin, j’accepte de retirer l’amendement.

L’amendement AS 29 est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement AS 183 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le but de cet amendement est de s’assurer qu’en cas de risque avéré, la femme enceinte reçoive, dans tous les cas, des informations, y compris lorsque celle-ci n’est pas orientée vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.

La commission adopte cet amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 184 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je propose de substituer aux mots « à sa demande » les mots « sauf opposition de sa part ». L’information de la femme enceinte en cas de risque avéré est primordiale et ne peut reposer sur sa seule demande. Elle doit donc lui être communiquée, sauf si elle s’y oppose expressément.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

La commission adopte cet amendement.

En conséquence, l’amendement AS 97 de M. Paul Jeanneteau n’a plus d’objet.

La commission est ensuite saisie de l’amendement AS 31 de M. Xavier Breton et de l’amendement AS 98 de M. Paul Jeanneteau.

M. Xavier Breton. Dans un souci d’information complète et objective, je propose de remettre à la femme enceinte une liste des associations spécialisées dans l’accompagnement des patients atteints de l’affection recherchée et de leurs familles.

M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve d’ajouter les mots : « sauf opposition de sa part ».

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable car la remise systématique par le médecin d’une liste d’associations pourrait être perçue comme une pression exercée sur une personne fragilisée par une situation difficile.

M. Olivier Dussopt. Je rejoins la position de Mme la ministre. Là encore, il est intéressant de se reporter à l’exposé des motifs : lorsque je lis que l’objectif est de permettre à une femme enceinte dont l’enfant à naître serait atteint d’une pathologie de quasi-systématiquement rencontrer « une famille dont un membre est atteint de cette maladie », je m’inquiète des pressions susceptibles d’être exercées sur cette femme pour la convaincre qu’il peut être merveilleux d’avoir un enfant handicapé ou atteint d’une pathologie lourde. Quand j’entends que « malheureusement » 96 % des grossesses pour lesquelles la trisomie 21 est repérée se terminent par une interruption de grossesse, la vraie question que je me pose c’est pourquoi il en reste 4 %.

M. Philippe Gosselin. L’ajout que propose le rapporteur évite de donner à la disposition proposée par l’amendement un caractère systématique : la remise d’une liste d’associations peut contribuer à éclairer le choix, mais la femme enceinte n’est aucunement tenue de l’accepter.

Je regrette que M. Dussopt ait tenu des propos à caractère eugéniste, mais ils ont sans doute dépassé sa pensée.

M. Paul Jeanneteau. Mon amendement AS 98, qui vient juste après, rejoint cet amendement AS 31. Le fait de fournir une liste, sauf opposition de la personne concernée, me semble une mesure de bon sens, n’entraînant de pression ni dans un sens, ni dans l’autre.

Mme Valérie Boyer. La remise d’une liste d’associations permet d’éclairer le choix. Là encore, il s’agit de fournir une information, quelle que soit la décision prise ensuite. Il est bon qu’un couple qui fait le choix de garder l’enfant puisse rencontrer des familles qui ont fait le même choix.

M. Michel Vaxès. Cet amendement pourrait ouvrir la voie à la remise de documents divers, ne relevant pas des attributions des médecins. Que dirait-on si une personne atteinte d’une affection grave et irréversible recevait une liste d’associations telles que l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ? Je suis donc réservé sur cette proposition.

M. Noël Mamère. La « vérité » – s’il en est en ces matières, où ceux qui prétendent nous en livrer une se situent probablement dans une logique eugéniste ou totalitaire –, se situe sans doute entre les positions d’Olivier Dussopt et de Michel Vaxès. Ce type de disposition n’a rien à faire dans la loi, et ce n’est pas au médecin de remettre une telle liste.

On peut émettre des réserves sur les propos d’Olivier Dussopt, mais je rejoins Laurence Dumont pour dire que derrière ces amendements, il y a des arrière-pensées. Le combat contre ces amendements ne répond évidemment pas à une logique d’eugénisme que, dans une conception laïque de la société, aucun d’entre nous n’entend défendre. Nous ne prônons pas un « hasard zéro » – comme certains recommandent la « tolérance zéro » ; mais nous nous opposons à l’introduction de dispositions de ce type, qui n’ont pas à figurer dans la loi.

Mme Bérengère Poletti. Je ne vois pas en quoi le fait d’apporter une information avant un choix grave pourrait être nuisible. Je me souviens du cas d’une femme qui, après avoir eu recours à l’interruption de grossesse à la suite d’un diagnostic, a connu une souffrance terrible. Mieux éclairée, sa démarche aurait peut-être été différente.

M. Philippe Meunier. Quel que soit le choix des parents, il n’est pas question de porter sur eux un jugement moral. Il est cependant normal qu’ils puissent recevoir une information. Le fait que l’un d’entre nous ait pu dire que les 4 % de fœtus trisomiques qui ne sont pas éliminés sont encore 4 % de trop est bien la preuve de la pression sociale dont parlait Xavier Breton.

M. le rapporteur. Notre République laïque, valeur que nous partageons, monsieur Mamère, est fondée sur le consentement éclairé. L’éclairage doit être le plus neutre possible. Certaines informations nous laissent penser que, face une anomalie – en particulier en cas de trisomie 21 – l’avortement est souvent la seule issue proposée aux femmes. Il apparaît aussi qu’on ne demande jamais à la femme si elle veut être informée – ce qui est pourtant un préalable indispensable. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé d’ajouter la mention : « sauf opposition de sa part », tout en proposant aussi de rejeter tous les amendements qui n’assureraient pas que les femmes se voient proposer l’information scientifique nécessaire. Parallèlement à celle-ci, il existe aussi une information à caractère social, que les associations peuvent apporter. Ainsi, il est rare qu’on omette d’indiquer à une personne chez qui un diabète vient d’être diagnostiqué qu’il existe des associations de diabétiques susceptibles de l’aider. Dès lors qu’il s’agit d’une proposition, et non d’une obligation, il n’y a guère de risque de pression.

M. Olivier Dussopt. Je comprends que ma position radicale puisse susciter quelque émotion, mais il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai jamais dit que les 4 % d’enfants qui naissent malgré la détection de la trisomie sont des enfants en trop, mais qu’à titre personnel, je m’interroge sur les motivations qui peuvent conduire des parents à faire ce choix. Cela ne veut pas dire que je juge ce choix.

M. Noël Mamère. Le consentement éclairé suppose bien évidemment que la femme concernée puisse refuser. En revanche, il n’est nullement nécessaire que la loi prescrive au médecin de remettre une liste d’associations. Le fait que certains médecins poussent des femmes à interrompre leur grossesse n’est pas un argument suffisant pour justifier de créer une telle obligation dans la loi.

Mme Catherine Coutelle. Si l’on considère que les associations vont équilibrer le discours du médecin, est-ce à dire que ce discours est déséquilibré ?

M. le rapporteur. Il peut l’être, dans la mesure où le médecin parle du handicap, sans nécessairement évoquer ce que peut être la vie de l’enfant handicapé. Le fait de rencontrer une association ne fait pas subir à la femme une pression pour garder l’enfant, mais lui apporte un éclairage supplémentaire.

M. Philippe Nauche. En matière médicale en général, la notion de consentement éclairé est essentielle. Elle renvoie à celle de bonnes pratiques : il faut laisser au médecin, dans le cadre de ces bonnes pratiques, le soin de déterminer l’information la plus appropriée à la personne qui se trouve en face de lui.

M. Paul Jeanneteau. Un consentement éclairé suppose un bon éclairage. Or dans la réalité, les pratiques ne sont pas homogènes. Je ne vois rien de choquant à ce que, sauf opposition de la personne, le médecin lui remette une liste des associations spécialisées, de la même manière qu’il lui remet systématiquement une liste des centres d’orthogénie ou prend rendez-vous pour elle dans l’un de ces centres. Je ne porte aucun jugement sur le choix fait par chaque couple, mais je souhaite que leur consentement soit mieux éclairé qu’il ne l’est aujourd’hui.

M. Jean-Yves Le Déaut. L’obligation ainsi faite au médecin – qui, à ma connaissance, n’est prévue dans aucun autre cas – est assez choquante. Il est déjà prévu dans le texte du projet que la femme reçoit « des informations sur les caractéristiques de l’affection suspectée, les moyens de la détecter et les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du fœtus ou de l’enfant né ». L’amendement proposé me paraît destiné à donner un gage à ceux qui sont contre l’interruption de grossesse.

M. Noël Mamère. C’est aussi mon avis... La possibilité d’accepter l’enfant porteur d’une pathologie relève d’un choix individuel, qui n’est pas celui du médecin. La mère et la famille sont libres de considérer qu’un enfant trisomique est un cadeau du ciel, mais le rôle du médecin ne relève pas de ce registre.

M. le rapporteur. Je le répète, je suis favorable à cet amendement, sous réserve du sous-amendement précisant que la femme peut s’opposer à la communication de la liste. Il répond à une attente citoyenne : les États généraux de la bioéthique ont montré que l’ensemble des citoyens étaient favorables à ce double éclairage médical et sociétal.

M. le président Alain Claeys. Parler de « l’ensemble des citoyens » est peut-être excessif…

Mme la secrétaire d’État. La précision proposée par le rapporteur, évitant d’imposer à la femme enceinte des informations qu’elle ne souhaite pas, me paraît tout à fait opportune.

Mme Laurence Dumont.  Dans l’hypothèse où cet amendement serait adopté, j’aimerais savoir qui vérifiera la liste et s’assurera que des associations parasites n’y figurent pas.

M. Xavier Breton.  Je serais tenté de retirer mon amendement au profit de celui de Paul Jeanneteau, l’amendement AS 98, qui précise que la liste est fournie par le médecin.

M. le rapporteur. L’amendement AS 98 de Paul Jeanneteau contenant le mot « systématiquement », je propose que l’on s’en tienne à l’amendement de M. Breton, précisé par la mention « sauf opposition de sa part ».

M. Paul Jeanneteau. Je retire mon amendement.

L’amendement AS 98 est retiré.

Puis la commission rejette l’amendement AS 31 corrigé.

La commission examine l’amendement AS 96 de M. Paul Jeanneteau.

M. Paul Jeanneteau. Cet amendement vise à dispenser aux médecins et au personnel médical une formation à l’annonce du handicap.

M. le rapporteur.  Notre médecine est si technique qu’elle en oublie parfois d’être humaine. Je comprends donc bien votre souci, mais on ne saurait traiter de manière aussi parcellaire un problème qui concerne tout aussi bien la manière d’aborder la mort et l’annonce de très mauvaises nouvelles.

Mme la secrétaire d’État. Je reconnais que les professionnels de santé ne sont pas toujours bien armés pour les annonces qu’ils ont à faire, mais comme le rapporteur, je considère que la question ne relève pas de ce texte législatif. Je suis ouverte à la discussion, mais dans un autre cadre.

Mme Catherine Coutelle. Qu’il s’agisse du cancer, du sida ou de la fin de vie, les annonces ne sont pas toujours faites comme il conviendrait. C’est donc à la formation générale des médecins qu’il faut réfléchir.

M Jean-Paul Bacquet. La médecine est devenue tellement technique que, c’est vrai, on en a oublié l’essentiel ; mais soyons honnêtes : aucun enseignement ne fera d’un médecin un humaniste s’il ne l’est pas au départ.

M. le rapporteur. Cela s’apprend aussi.

M. Paul Jeanneteau. Si tout ne peut pas s’apprendre, un peu de formation ne peut pas faire de mal. Je voulais donc, en déposant cet amendement, appeler l’attention du Gouvernement sur ce problème ; je suis heureux que la ministre s’y montre sensible.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 185 du rapporteur.

M. le rapporteur.  Il est prévu à l’alinéa 6 qu’en cas de risque avéré, le médecin peut proposer de nouveaux examens de biologie médicale à visée diagnostique ; il conviendrait de viser aussi les examens d’imagerie.

Mme la secrétaire d’État.  Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 151 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. L’alinéa 7 renvoie à un arrêté du ministre l’établissement d’une liste d’examens faisant appel à des techniques de biologie médicale à visée thérapeutique ou d’imagerie, telles que l’IRM ou le scanner spiralé. En pratique, le ministre va se contenter de recopier l’avis que lui aura donné l’Agence de la biomédecine, et l’on aura perdu six ou huit mois. Je propose donc que la liste soit établie par l’Agence.

M. le président Alain Claeys.  Nous avons déjà eu ce débat à l’article 2.

M. Jean-Yves Le Déaut.  Permettez-moi de citer l’exemple de l’Autorité de sûreté nucléaire : en 1999, lorsque la tempête a provoqué un incident à la centrale du Blayais, heureusement qu’elle était là pour réagir sans attendre les décisions des cabinets ministériels… Il est bon de déléguer les sujets les plus techniques.

M. le rapporteur. Avis défavorable : on répète souvent que les technostructures ne doivent pas avoir de pouvoirs ; la décision normative doit appartenir au politique, même si, bien sûr, elle est éclairée par l’Agence de la biomédecine.

Mme la secrétaire d’État.  Même avis : c’est en effet au ministre de décider, au vu des recommandations de l’Agence.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AS 186 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 30 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton.  Cet amendement vise à ne pas exiger d’une femme enceinte qu’elle exprime par écrit son refus de se soumettre aux examens de biologie médicale et d’imagerie. On comprend bien que les médecins recueillent ce refus écrit pour se décharger, mais il en résulte que la femme se trouve quasiment dans l’obligation d’accepter ce qui lui est proposé ; or nous souhaitons que sa liberté ne soit pas théorique, mais bien réelle.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le principe de consentement éclairé implique la liberté de refuser !

M. le rapporteur. Avis défavorable. Le médecin fait la proposition qui lui paraît la bonne ; si elle est refusée, il est naturel qu’il veuille se couvrir. C’est, en effet, le corollaire du consentement éclairé.

Mme la secrétaire d’État. Je suis d’accord avec le rapporteur.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 187 du rapporteur.

M. le rapporteur.  J’ai déjà présenté cet amendement relatif à l’information préalable qui doit être donnée à la femme, sauf opposition de sa part, notamment sur les objectifs, les modalités, les risques, les limites et le caractère non obligatoire des examens.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 156 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. À l’alinéa 11, je ne comprends pas la notion d’« organismes et établissements de santé publics et privés d’intérêt collectif » ; je propose de la remplacer par celle d’ « organismes et établissements de santé publics et privés à but non lucratif ».

M. le rapporteur.  Le projet ne fait que reprendre la terminologie en vigueur depuis la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST).

M. Jean-Yves Le Déaut.  Je retire l’amendement, en soulignant que, selon cet alinéa, la création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal est autorisée directement par l’Agence de la biomédecine, sans arrêté du ministre ; c’est pourtant un sujet bien plus important que la liste technique dont nous parlions tout à l’heure…

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement AS 33 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton.  Il convient que les nouvelles techniques de diagnostic prénatal à partir d’une simple prise de sang, eu égard aux conséquences qu’elles peuvent avoir, fassent nécessairement l’objet d’une autorisation législative.

M. le rapporteur.  J’observe que cet amendement utilise l’expression « analyse de cytogénétique et de biologie » alors qu’on parle aujourd’hui d’« examen de biologie médicale ». Mais quoi qu’il en soit, on peut, me semble-t-il, en rester au décret en Conseil d’État.

M. Jean-Sébastien Vialatte. En rendant le diagnostic beaucoup plus sûr, les nouvelles techniques diminuent en fait les risques d’avortement inutile.

M. Jean-Yves Le Déaut.  Bien sûr ! Et il ne faut surtout pas imposer une autorisation législative : si nous attendons la prochaine loi de bioéthique pour autoriser de nouvelles techniques, notre pays aura quelque retard…

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Le décret en Conseil d’État est une garantie suffisante.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Article 10

(Article L. 2131-4-2 du code de la santé publique)


Agrément des praticiens établissant un DPN

L’article 10 a pour objet de modifier l’article L. 2131-4-2 du code de la santé publique afin d’exclure les praticiens réalisant des échographies obstétricale et fœtale de l’obligation faite aux praticiens qui procèdent à un diagnostic prénatal d’être agréés par l’Agence de la biomédecine (ABM).

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 2131-4-2 dispose que, comme les praticiens qui procèdent au diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, que l’article 11 du présent projet de loi dénomme désormais « diagnostic préimplantatoire (DPI) » (cf. infra commentaire de l’article 11), les praticiens qui procèdent au DPN doivent être agréés à cet effet par l’ABM dans des conditions fixées par voie réglementaire (cf. supra commentaire de l’article 9).

Comme on l’a vu, l’échographie n’était pas jusqu’ici visée à l’article R. 2131-1 du code de la santé publique qui dresse la liste des analyses rentrant dans le champ du DPN. Dans le cadre du DPN, seuls étaient donc à ce jour concernés par cette procédure d’agrément par l’Agence de la biomédecine les praticiens effectuant des examens de biologie médicale. Les praticiens réalisant des échographies obstétricale et fœtale n’étaient pas soumis à l’obligation d’être agréés par l’ABM.

À partir du moment où l’article 9 du présent projet de loi mentionne désormais explicitement l’échographie obstétricale et fœtale dans les pratiques de diagnostic prénatal (cf. supra commentaire de l’article 9), une rédaction inchangée de l’article L. 2131-4-2 du code de la santé publique aurait automatiquement soumis les praticiens réalisant des échographies obstétricale et fœtale à la nécessité de recueillir l’agrément de l’ABM, ce qui aurait entraîné un formalisme lourd et certainement inutile.

C’est pourquoi l’article 10 modifie le premier alinéa de l’article L. 2131-4 du code de la santé publique pour réserver, dans le cadre du DPN, l’agrément par l’ABM aux seuls praticiens qui réalisent « les examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal ». Les praticiens réalisant des échographies obstétricales et fœtales ne seront donc pas soumis à cette procédure d’agrément.

Les praticiens qui procédaient au « diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro » continuent sans changement à devoir être agréés par l’ABM, l’article 10 se contentant d’harmoniser le nom de ce diagnostic biologique avec la nouvelle dénomination de « diagnostic préimplantatoire » qui lui est donnée à l’article 11 (cf. infra).

Les conditions dans lesquels l’agrément est délivré à ces deux catégories de praticiens restent fixées par voie réglementaire.

Le projet de loi ne retient pas la suggestion de l’ABM qui, dans son « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » d’octobre 2008, constatant que le dispositif d’autorisation des établissements pour les activités de DPN était suffisant pour garantir la qualité de la prise en charge médicale, s’interrogeait sur le maintien de l’agrément individuel des praticiens et suggérait de remplacer le recours à des praticiens agréés par « des praticiens pouvant prouver leur compétence ».

*

La commission adopte l’article sans modification.

Article 11

(Articles L. 2131-4, L. 2131-4-1 et L. 2131-5 du code de la santé publique)


Diagnostic préimplantatoire

L’article 11 a pour objet, d’une part, de substituer dans l’ensemble des articles du code de la santé publique les termes de « diagnostic préimplantatoire » aux termes de « diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro » et, d’autre part, d’harmoniser, dans le même code, la dénomination des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal.

1. Les différents diagnostics biologiques effectués à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro sont unifiés sous le vocable usuel de « diagnostic préimplantatoire »

a) Il existe deux types de diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro 

À côté du diagnostic prénatal (DPN), qui désigne l’ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus (cf. supra à l’article 9), la loi a également prévu deux autres types de diagnostics effectués, dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, à partir de cellules prélevés sur l’embryon in vitro.

 Le diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, usuellement appelé diagnostic préimplantatoire (DPI)

Le diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro n’est autorisé par la loi depuis 1994 « qu’à titre exceptionnel » et dans des conditions très strictes détaillées à l’article L. 2131-4 du code de la santé publique :

– le couple doit remplir les conditions de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) qui a notamment pour objet, aux termes de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité, le DPI nécessitant l’utilisation de la fécondation in vitro pour obtenir un embryon humain ;

– le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ;

– l’anomalie ou les anomalies responsables d’une telle maladie doivent avoir été préalablement et précisément identifiées chez l’un des parents ou, depuis la loi de 2004, chez l’un de ses ascendants immédiats dans le cas d’une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital, telle que la maladie de Huntington ;

– le DPI a pour seul objet de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter. Il consiste à examiner certaines anomalies génétiques sur des cellules d’embryons humains obtenus par fécondation in vitro permettant ainsi de procéder au transfert sélectif d’embryons indemnes de l’affection recherchée avant une grossesse. Le diagnostic génétique est pratiqué à partir de cellules prélevées par une biopsie embryonnaire généralement réalisée sur des embryons au troisième jour de développement in vitro.

En cas de diagnostic positif, les deux membres du couple, s’ils confirment l’abandon de leur projet parental, peuvent consentir à ce que l’embryon fasse l’objet de recherches (cf. infra, commentaire de l’article 23);

– un médecin exerçant son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) doit attester que les conditions exigées pour la réalisation du DPI sont réunies.

– les deux membres du couple expriment par écrit leur consentement à la réalisation du diagnostic.

– le DPI ne peut être réalisé que dans un établissement spécifiquement autorisé à cet effet par l’Agence de la biomédecine, trois centres étant actuellement habilités (Antoine Béclère/Necker Enfants malades, Montpellier et Strasbourg).

– le DPI ne peut être réalisé que par des praticiens agréés individuellement par l’agence (article L. 2131-4-2)

Entre la parution du décret le 22 décembre 2006 et le 30 juin 2008, 12 praticiens ont été agréés pour les activités de DPI.

En 2006, les centres ont examiné 342 demandes de diagnostic biologique sur embryon in vitro et 77 ont été refusées. 267 cycles d’AMP débutés pour 220 couples ont permis la naissance de 46 enfants

 Le diagnostic biologique expérimental effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, usuellement appelé double diagnostic préimplantatoire (« double DPI » ou DPI-HLA)

La loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique a par ailleurs autorisé un autre type de diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro.

Appelé usuellement « double DPI », « DPI-HLA », « bébé du double espoir » ou « bébé médicament », cette technique consiste à effectuer, à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro, un diagnostic en vue de ne transférer in utero qu’un embryon qui soit à la fois indemne d’une maladie génétique particulièrement grave et dont les caractéristiques immunologiques, en termes de compatibilité du système HLA (100), permettent d’envisager de greffer des cellules souches du sang de cordon ombilical à un aîné malade.

Le DPI-HLA peut ainsi conduire à éliminer des embryons atteints de la maladie génétique recherchée, mais aussi des embryons sains qui ne présentent pas les caractéristiques immunologiques recherchées.

Ce diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro n’est autorisé « qu’à titre expérimental » et dans des conditions très strictes détaillées principalement à l’article L. 2131-4-1 du code de la santé publique :

– le couple doit avoir donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic ;

– le pronostic vital de cet enfant doit pouvoir être amélioré, de façon décisive, par l’application sur celui-ci d’une thérapeutique ne portant pas atteinte à l’intégrité du corps de l’enfant né du transfert de l’embryon in utero ;

– le diagnostic effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro a pour seul objet de rechercher la maladie génétique et les moyens de la prévenir et de la traiter, d’une part, et de permettre l’application de la thérapeutique précitée, d’autre part ;

– ce type de DPI ne peut être réalisé qu’après autorisation de l’Agence de la biomédecine, le conseil d’orientation de l’agence devant être consulté par le directeur général, en application de l’article L. 1418-4 et les deux membres du couple étant tenus d’exprimer leur consentement préalable par écrit ;

– cette autorisation est subordonnée au respect des dispositions prévues par le dernier alinéa de l’article L. 2141-3 qui dispose qu’il ne peut y avoir de nouvelle fécondation in vitro (FIV) sans épuisement du « stock » d’embryons surnuméraires, sauf si un problème de qualité affecte ceux-ci. En d’autres termes, les embryons conçus in vitro qui ne seraient pas « HLA-compatibles » doivent en principe être transférés in utero, avant d’envisager la conception de nouveaux embryons surnuméraires ;

– le rapport annuel d’activité de l’Agence de la biomédecine doit comporter une analyse des autorisations délivrées pour le double DPI ainsi que l’examen de l’opportunité de maintenir les dispositions de la loi relatives à celui-ci, en application du dernier alinéa de l’article L. 1418-1.

Le rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles » indique que toutes les demandes de DPI associées à un génotypage HLA ont été prises en compte et autorisées par l’agence mais n’ont pas encore donné lieu à des naissances en 2009.

S’agissant de ce DPI-HLA, le CCNE fait remarquer dans son avis n°107 d’octobre 2009 relatif aux problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals qu’« un enfant ne sera jamais un médicament » et que « cette technique devrait demeurer une solution par défaut, dont ont peut vivement souhaiter qu’elle soit provisoire et à laquelle il convient de chercher activement des alternatives » du type de celles qui s’offrent aujourd’hui avec les banques de sang de cordon.

b) Le projet de loi désigne désormais ces deux diagnostics sous le terme générique de « diagnostic préimplantatoire » et harmonise l’utilisation de ce terme dans l’ensemble du code de la santé publique

Le du I de l’article 11 insère un nouveau premier alinéa à l’article L. 2131-4 du code de la santé publique destiné à englober sous la dénomination de « diagnostic préimplantatoire » l’appellation jusqu’ici retenue par le code de la santé publique de « diagnostic biologique réalisé à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro ». Cette nouvelle appellation ne fait que reprendre un terme déjà largement utilisé dans le langage courant pour désigner ces deux types de diagnostic biologique.

En conséquence, le II de l’article 11 substitue aux termes de « diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro », les termes de « diagnostic préimplantatoire » dans les trois articles du code de la santé publique qui les mentionnent :

– à l’ancien premier alinéa de l’article L. 2131-4, qui devient le deuxième alinéa du fait de l’insertion faite par le 1° du I, et qui concerne le DPI autorisé à titre exceptionnel ;

– au premier alinéa de l’article L. 2131-4-1, relatif au diagnostic usuellement appelé double diagnostic préimplantatoire (« double DPI » ou DPI-HLA) ;

– au 3° de l’article L. 2131-5, qui dispose qu’un décret en Conseil d’État définira notamment les conditions dans lesquelles un DPI peut être réalisé dans un établissement spécifiquement autorisé à cet effet.

Il convient de souligner que l’article 11 du présent projet de loi ne modifie pas le régime juridique d’encadrement du DPI.

En particulier, il n’établit pas de listes de maladies pour lesquelles la demande d’un couple serait recevable. Comme le note le CCNE dans son avis précité d’octobre 2009, l’absence de liste permet au CPDPN « d’analyser les situations au cas par cas » et aussi « d’éviter une attitude discriminatoire pour les sujets qui seraient atteints d’une des maladies listées ».

Par ailleurs, la proposition faite à la fois par le CCNE dans l’avis n°107 précité et par la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique de janvier 2010 de lever l’interdiction de procéder à la détection d’une trisomie 21 avant de transférer les embryons non atteints de l’anomalie recherchée, afin d’éviter le risque d’une trisomie révélée au cours de la grossesse, n’est pas reprise. Comme le professeur Jacques Testart l’a fait remarquer lors de son audition par la commission spéciale en date du 12 janvier 2011, cette proposition risquerait en effet de conduire à ce que la trisomie 21 ne soit pas la seule malformation recherchée et serait susceptible d’entraîner une transposition à toutes les procréations médicalement assistées.

Il paraît critiquable, au regard des exigences constitutionnelles qui réclament la fixation précise d’un terme à toute expérimentation, que le caractère expérimental du DPI-HLA soit maintenu à l’article L. 2131-4-1. Afin de lever tout risque d’inconstitutionnalité, il conviendrait certainement de lever cette réserve et de conférer à ce dispositif un caractère permanent.

2. La dénomination des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal est harmonisée dans le code de la santé publique

Comme déjà indiqué, les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) ont pour missions de favoriser l’accès aux activités de diagnostic prénatal en constituant un pôle de compétences cliniques et biologiques au service des patients et des praticiens ; de donner des avis et conseils, en matière de diagnostic, de thérapeutique et de pronostic, aux cliniciens et aux biologistes qui suspectent une affection de l’embryon ou du fœtus et d’organiser des actions de formation théorique et pratique destinées aux praticiens concernés par le diagnostic prénatal des diverses affections de l’embryon et du fœtus.

À l’ancien deuxième alinéa de l’article L. 2131-4, qui devient le troisième alinéa du fait de l’insertion faite par le 1° du I, le code de la santé publique fait actuellement référence à un « centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire », alors que l’ensemble des autres articles du code (L. 2131-1, L. 2131-2 et L. 2131-5) qui évoquent ces centres parlent de « centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal ».

Dans une logique d’harmonisation et de cohérence, le du I de l’article 11 substitue donc les mots « centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal » aux mots « centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire ».

*

La commission est saisie de l’amendement AS 75 de M. Olivier Jardé.

M. le rapporteur. Avis défavorable car cela relève évidemment du domaine réglementaire.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable ; il y a déjà un pédiatre dans l’équipe pluridisciplinaire.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS 188 du rapporteur.

Elle adopte enfin l’article 11 modifié.

Article 11 bis [nouveau]

Suppression du caractère expérimental du double diagnostic préimplantatoire

Cet article a pour objet de supprimer le caractère expérimental du DPI-HLA.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 189 du rapporteur, portant article additionnel après l’article 11.

M. le rapporteur. L’article L.2131-4-1 du code de la santé publique, relatif au DPI-HLA, contient les mots « à titre expérimental ». Sans doute le législateur avait-il utilisé un terme impropre – car une expérience vise à aboutir à des résultats afin de prendre une décision – et voulait-il plutôt dire « exceptionnel » ; mais il n’y a aucune raison éthique pour que le dispositif soit exceptionnel : il constitue une possibilité parmi d’autres. Quoi qu’il en soit, afin de lever tout risque d’inconstitutionnalité – au regard de l’exigence constitutionnelle de fixer un terme précis à toute expérimentation –, il convient de conférer au dispositif du DPI-HLA un caractère permanent. Certes il n’a jamais servi, mais il peut se révéler utile un jour.

M. Xavier Breton.  Nous défendrons plus loin un amendement pour, au contraire, supprimer ce dispositif de double DPI. En effet non seulement, n’ayant jamais été utilisé, il n’a pas fait ses preuves sur le plan scientifique, mais il pose, sur le plan éthique, le problème de l’enfant considéré comme un moyen et non comme une fin.

M. le président Alain Claeys.  Le DPI-HLA avait fait l’objet, en 2003, de longs débats – qu’on ne saurait résumer en quelques phrases. Nous y reviendrons sans doute en séance publique.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable à l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

Article 12

(Articles L. 2131-2, L. 2131-3 et L. 2131-5 du code de la santé publique)


Autorisations des laboratoires de biologie médicale et des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal

L’article 12 a pour objet de préciser les règles relatives aux autorisations des laboratoires de biologie médicale et des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal.

Le I modifie l’article L. 2131-2 du code de la santé publique qui dispose, dans sa rédaction actuelle, que tout établissement ou laboratoire autorisé à pratiquer des activités de diagnostic prénatal, ainsi que tout centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, est tenu de présenter chaque année un rapport annuel d’activité à l’agence de la biomédecine et à l’agence régionale de santé de son ressort, dont les modalités sont déterminées par arrêté du ministre chargé de la santé.

Afin de tirer les conséquences de l’extension de la définition du DPN réalisée par l’article 9 du présent projet de loi, qui englobe désormais explicitement « l’échographie obstétricale et fœtale » alors qu’elle n’était pas jusque-là visée à l’article R. 2131-1 du code de la santé publique dressant la liste des analyses rentrant dans le champ du DPN (cf. supra), le I substitue aux mots « activités de diagnostic prénatal » les mots « examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal » afin de contenir cette exigence de remise de rapport aux seuls établissements et laboratoires qui réalisent des examens de biologie médicale et de ne pas l’étendre à ceux qui pratiquent des échographies obstétricales et fœtales.

Le II modifie l’article L. 2131-3 du code de la santé publique relatif aux règles de retrait des autorisations prévues à l’article L. 2131-1. Dans la nouvelle rédaction de cet article proposée à l’article 9 du présent projet de loi, plusieurs types d’autorisations sont mentionnés :

– les autorisations délivrées par l’ARS aux laboratoires pratiquant des examens de biologie médicale destinés à établir un DPN (VII de l’article 9) ;

– les autorisations délivrées par l’ARS directement à un établissement de santé lorsque le laboratoire qui pratique des examens de biologie médicale destinés à établir un DPN dépend de cet établissement (VII de l’article 9) ;

– les autorisations délivrées par l’ABM à la création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal au sein d’organismes et établissements de santé publics et privés d’intérêt collectif, qui font eux-mêmes l’objet d’une autorisation de l’ARS.

Le II ne modifie pas la possibilité offerte par l’article L. 2131-3 de retirer les autorisations de l’ARS, de façon temporaire ou définitive, dans certaines circonstances :

– violation des prescriptions législatives et réglementaires applicables au diagnostic prénatal, lorsque cette violation est imputable à l’établissement ou au laboratoire qui pratique le DPN ;

– violation des prescriptions fixées par l’autorisation elle-même ;

– volume d’activité de DPN insuffisant ;

– qualité des résultats insuffisants.

Ces retraits d’autorisation interviennent, sauf en cas de violation grave, au bout d’un délai d’un mois suivant une mise en demeure précisant les griefs, adressée par l’autorité administrative, c’est-à-dire l’ARS, à l’établissement ou au laboratoire concerné.

Le II se limite à préciser, au deuxième alinéa de l’article L. 2131-3, que les autorisations dont le retrait peut être encouru sont celles « d’un établissement ou d’un laboratoire ».

Le III modifie le 2° de l’article L. 2131-5 qui dispose qu’un décret en Conseil d’État déterminera la nature des analyses de cytogénétique et de biologie en vue d’établir un diagnostic prénatal et les conditions dans lesquelles elles peuvent être pratiquées dans les établissements publics de santé et les laboratoires de biologie médicale autorisés afin de substituer aux termes « analyses de cytogénétique et de biologie » les termes « d’examens de biologie médicale ».

Il s’agit d’une mise en cohérence avec les dispositions de l’ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale qui a modifié l’article L. 6211-1 du code de la santé publique afin de disposer qu’ « un examen de biologie médicale est un acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l’évaluation du risque de survenue d’états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l’état physiologique ou physiopathologique de l’être humain ».

*

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 190, AS 192 et AS 191 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

Après l’article 12

La commission est saisie de cinq amendements portant article additionnel après l’article 12.

Elle examine tout d’abord l’amendement AS 59 de Mme Véronique Besse.

M. Xavier Breton. En cas de diagnostic d’une anomalie sur l’embryon, il convient de remettre aux parents un dossier-guide présentant les aides de toute nature apportées à la famille d’un enfant en situation de handicap, ainsi que la liste et les adresses des associations spécialisées.

M. le rapporteur. Avis défavorable car à ce stade, le couple a déjà montré, par sa démarche de diagnostic préimplantatoire, son désir de ne pas avoir un enfant porteur d’une affection d’une extrême gravité.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 36 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de l’amendement visant à supprimer le dispositif du DPI-HLA, ou double DPI, qui pose un problème éthique majeur et n’a pas fait la preuve de sa pertinence pratique.

M. le rapporteur. Comme je l’ai indiqué, je souhaite que ce dispositif soit maintenu, même s’il est vrai qu’il n’a jamais été utilisé. Avis défavorable, donc.

Mme la secrétaire d’État.  Avis défavorable également. En l’état actuel des connaissances, le double DPI offre une possibilité supplémentaire de soins à des enfants gravement atteints ; et il n’est pas du tout incompatible avec un authentique projet parental.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 32 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise à faire de la trisomie 21 une grande cause nationale en 2012, afin de lancer le débat sur sa prise en compte par notre société et de favoriser la recherche publique dans ce domaine.

M. le rapporteur. Je serais heureux d’une telle décision, mais cela relève uniquement du Premier ministre.

Mme la secrétaire d’État. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement AS 35 rectifié de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit ici de demander au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) d’évaluer tous les trois ans la politique de dépistage prénatal et de lui demander son avis avant toute extension de ce dépistage à d’autres pathologies.

M. le rapporteur. Cet amendement – qui comporte une erreur de référence – sera satisfait par mon amendement AS 231 après l’article 24, selon lequel le rapport annuel d’activité de l’Agence de la biomédecine contient un bilan de la mise en œuvre des diagnostics préimplantatoire et prénatal.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. La politique de dépistage prénatal s’appuie au premier chef sur des considérations de santé publique. La consultation du CCNE peut être très utile, mais ne saurait être systématique.

M. Hervé Mariton. Je ne comprends pas très bien comment s’articulent la position du rapporteur et celle du Gouvernement.

Mme la secrétaire d’État.  Mon propos ne portait que sur la saisine du CCNE.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS 37 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton.  Nous proposons ici qu’un bilan sur les pratiques de dépistage prénatal soit établi par l’Agence de la biomédecine dans l’année suivant la promulgation de la loi et transmis au Parlement afin d’ouvrir le débat sur le sujet.

M. le rapporteur. Avis défavorable, le rapport de l’Agence traitant déjà de ces questions ; mais je vous proposerai qu’il y ait chaque année un débat parlementaire sur le rapport annuel d’activité de l’Agence de la biomédecine.

Mme la secrétaire d’État. Même position.

La commission rejette l’amendement.

TITRE IV

INTERRUPTION DE GROSSESSE PRATIQUÉE POUR MOTIF MÉDICAL

Article 13

(article L. 2213-1 du code de la santé publique)


Interruption de grossesse pratiquée pour motif médical

L’article 13 du projet de loi modifie l’article L. 2213-1 du code de la santé publique afin de compléter la composition de l’équipe pluridisciplinaire chargée de se prononcer sur les demandes d’interruption médicale de grossesse en cas de mise en péril de la santé de la femme.

1. L’encadrement actuel de l’interruption médicale de grossesse

Avant la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, l’avortement thérapeutique ou médical était admis, mais de façon indirecte et limitée. Une intervention susceptible de provoquer une interruption de grossesse était tolérée si elle était nécessaire pour sauvegarder la vie de la mère.

Depuis 1975, le régime des interruptions volontaires de grossesse est fixé par les articles L. 2212-1 et suivants du code de la santé publique, tels que modifiés par la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

Le code de la santé publique distingue deux catégories d’interruption volontaire de grossesse. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse et l’interruption pratiquée pour motif médical (IMG), qui dépasse ce délai et obéit à des règles spécifiques.

Bien que l’interruption de la grossesse procède de la volonté de la femme, cette volonté perd dans les faits son caractère discrétionnaire en cas d’interruption volontaire de grossesse pour motif médical. En effet, d’une part l’article L. 2213-1 du code de la santé publique autorise l’interruption volontaire de la grossesse pour motif médical dans deux cas ; soit en raison de la santé de la mère, soit en raison de la santé de l’enfant, d’autre part, la justification médicale de l’intervention est appréciée par un colloque de médecins après avis d’une équipe pluridisciplinaire et, le cas échéant, contrôlée par le juge.

a) L’interruption médicale de grossesse est pratiquée dans deux cas de figure précis

 La mise en péril de la santé de la femme

Selon l’article L. 2213-1 du code de la santé publique, l’interruption de grossesse est permise lorsque « la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ».

La référence à un « péril grave » invite à une interprétation restrictive de la cause justifiant l’intervention. En revanche, le terme « santé » est très largement compris. En effet, faute de précision, on inclut dans la définition aussi bien la santé physique que la santé psychique. Ainsi, par exemple, la santé psychique de la femme peut être invoquée pour justifier l’interruption de sa grossesse lorsque cette dernière est la conséquence d’un viol ou d’un inceste.

 La mise en péril de la santé de l’enfant

Selon l’article L. 2213-1 du code de la santé publique, l’interruption de grossesse est permise lorsqu’il existe « une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ».

La loi ne précise pas la nature de l’affection : celle-ci peut donc consister aussi bien dans une anomalie physique que mentale. Cependant, l’affection diagnostiquée ne peut justifier l’interruption de grossesse que si elle est particulièrement grave et incurable au moment du diagnostic. Même si ces deux caractères sont empreints d’une certaine relativité, ils n’en limitent pas moins les cas d’interruption de grossesse.

Actuellement, les indications d’interruption médicale de grossesse concernent essentiellement des anomalies neurologiques, génétiques (maladies héréditaires, récessives ou liées au sexe), chromosomiques, les anomalies graves et étendues du squelette ou de l’appareil locomoteur ou encore les polymalformations viscérales.

Il existe cependant des cas « limites », pour lesquels la décision est difficile à prendre :

– l’enfant à naître risque d’être atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, mais la probabilité est faible sans être nulle ;

– il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité mais celle-ci est curable (anomalies de la paroi curables par la chirurgie comme les becs de lièvre) ;

– il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection reconnue comme incurable au moment du diagnostic, mais celle-ci est d’une plus ou moins grande gravité (absence de membres).

C’est en raison de ces difficultés d’appréciation et de la crainte des dérives eugéniques du fait des progrès du diagnostic prénatal, avec des examens plus précoces et portant sur un spectre de plus en plus large, que l’interruption médicale de grossesse a été encadrée par une procédure contraignante faisant intervenir des médecins, des psychologues et d’autres spécialistes.

b) L’attestation du motif médical est délivrée par des médecins, après avis d’une équipe pluridisciplinaire

L’article L. 2213-1 du code de la santé publique prévoit que le motif médical justifiant l’interruption de grossesse doit être attesté par deux médecins, après l’avis consultatif d’une équipe pluridisciplinaire dont la composition a été pour la dernière fois révisée par la loi précitée du 4 juillet 2001. Le but de ces modifications a été de « déjudiciariser » l’IMG pour déculpabiliser les femmes, en donnant plus de place à leurs représentants (un médecin de leur choix) ou à des milieux associatifs (psychologues, membres du planning familial) au sein de l’équipe pluridisciplinaire.

Selon que l’interruption médicale de grossesse est demandée pour motif maternel ou fœtal, la procédure est différente.

 La procédure applicable à l’interruption médicale de grossesse pour motif « maternel »

Lorsqu’une femme enceinte envisage de recourir à une interruption de grossesse au motif que la poursuite de sa grossesse met en péril grave sa santé, elle en fait la demande auprès d’un médecin spécialiste qualifié en gynécologie obstétrique exerçant son activité dans un établissement public de santé ou dans un établissement de santé privé autorisé à accueillir des femmes enceintes.

Ce médecin constitue et réunit une équipe pluridisciplinaire ainsi composée : un médecin qualifié en gynécologie obstétrique ; un médecin choisi par la femme, et une personne qualifiée tenue au secret professionnel qui peut être un assistant social ou un psychologue.

Les deux médecins membres de l’équipe disciplinaire délivrent ou non leur attestation en fonction de l’avis de cette équipe.

 La procédure applicable à l’interruption médicale de grossesse pour motif « fœtal »

Dans ce cas de figure, l’équipe chargée d’examiner la demande d’interruption volontaire de grossesse est celle d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.

Les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDP), créés par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 dite « bioéthique » sont prévus à l’article L. 2131-1 du code de la santé publique. En substance, ces centres ont pour missions de favoriser l’accès à l’ensemble des activités de diagnostic prénatal, de donner des avis et conseils aux cliniciens et biologistes qui, lors de leurs examens, ont pu suspecter une affection chez l’embryon ou le fœtus, ainsi que d’assurer une formation théorique et pratique destinée aux praticiens du diagnostic prénatal. Enfin, ils donnent un avis sur les demandes d’IMG.

Pour remplir cette mission, les CPDP doivent comprendre une équipe pluridisciplinaire composée d’un certain nombre de spécialistes :

– de praticiens exerçant une activité dans l’organisme ou l’établissement de santé au sein duquel le centre est créé, dont au moins : un médecin titulaire du diplôme d’études spécialisées de gynécologie-obstétrique ou d’un diplôme équivalent ; un praticien ayant une formation et une expérience en échographie du fœtus ; un médecin titulaire du diplôme d’études spécialisées de pédiatrie ou d’un diplôme équivalent et d’un diplôme d’études spécialisées complémentaires de néonatalogie ou d’un diplôme équivalent ; un médecin titulaire du diplôme d’études spécialisées de génétique médicale ou d’un diplôme équivalent ;

– de personnes pouvant ne pas avoir d’activité dans l’organisme dont au moins : un médecin titulaire du diplôme d’études spécialisées de psychiatrie ou d’un diplôme équivalent ou un psychologue ; un médecin titulaire du diplôme d’études spécialisées complémentaires de fœtopathologie ou d’un diplôme équivalent ou d’une expérience équivalente ;

– de praticiens agréés pour procéder aux analyses permettant de détecter in utero des affections d’une particulière gravité ;

– d’un conseiller en génétique.

Certes le code de la santé publique précise que lorsque cette équipe se réunit, un médecin choisi par la femme peut, à la demande de celle-ci, être associé à la concertation. De plus, la femme (ou le couple) peut, préalablement à la réunion de l’équipe pluridisciplinaire compétente, être entendue, à sa demande, par tout ou partie des membres de cette équipe. Il n’en reste pas moins que ce dispositif est plus « exigeant » que le précédent.

c) Les dernières données chiffrées

En 1975, les trois quarts des interruptions médicales de grossesse étaient pratiqués pour « raison maternelle ». Cette situation a changé, notamment avec les progrès des techniques de diagnostic prénatal, ce qui n’est pas sans soulever des craintes de dérives eugéniques.

Aujourd’hui le recueil complet des données des 48 centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) autorisés en France permet d’avoir une vision exhaustive de leur activité. Selon le rapport annuel 2009 de l’Agence de la biomédecine, le nombre de dossiers examinés a augmenté de 5 % entre 2007 et 2008. Durant cette même période, le nombre d’attestations de gravité et d’incurabilité demandées et délivrées en vue d’autoriser une interruption volontaire de la grossesse pour motif médical a augmenté de 3,5 %.

Résumé des activités des CPDPN de 2005 à 2008

 

2005

2006

2007

2008

Nombre de dossiers examinés

25 022

24 389

28 292

29 779

Nombre d’attestations délivrées en vue d’une IMG

6 093

6 787

6 642

6 876

Nombre de refus d’autorisation d’IMG

106

122

112

125

Nombre de grossesses poursuivies malgré une pathologie qui aurait pu faire autoriser une IMG

406

402

475

494

Nombre de réunions pluridisciplinaires décisionnelles annuelles

2 549

2 465

2 554

2 452

Nombre moyen de réunions annuelles

53,1

52,4

53,2

52,2

Source : Agence de la biomédecine.

Comme le montre le tableau ci-dessous, en 2008, sur un total de 30 000 dossiers examinés, 6 876 attestations pour interruption volontaire de grossesse médicale ont été délivrées en raison d’un fort risque pesant sur la santé de l’enfant. Le nombre d’attestations délivrées en raison d’un fort risque pesant sur la santé de la mère est de 160.

Évolution des indications des attestations délivrées
en vue d’une IMG de 2006 à 2008

 

2006

2007

2008

 

N

%

N

%

N

%

Indications chromosomiques

2 433

35,8

2 546

38,3

2 708

39,4

Indications géniques

379

5,6

444

6,7

448

6,5

Indications Infectieuses

77

1,1

72

1,1

67

1,0

Malformations ou syndromes malformatifs

2 924

43,1

2 789

42,0

2 990

43,5

Autres indications fœtales

602

8,9

621

9,3

505

7,3

Indications maternelles

180

2,7

170

2,6

160

2,3

Non renseigné

192

2,8

0

0

0

0

Total

6 787

 

6 642

 

6 876

 

Source : Agence de la biomédecine.

2. Les deux ajouts proposés par le projet de loi

a) Le gynécologue-obstétricien membre de l’équipe pluridisciplinaire devra être membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN)

En l’état actuel du droit, l’équipe des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal se prononce uniquement sur les interruptions médicales de grossesse justifiées par un risque pesant sur la santé de l’enfant. La réglementation ne prévoit pas de délibération obligatoire du CPDPN lorsqu’une IMG est envisagée au motif que la grossesse pourrait mettre en péril la santé de la femme.

Cependant, par sa constitution et par les possibilités de discussions interdisciplinaires qu’il offre, le CPDPN peut apporter une aide importante aux praticiens confrontés à de telles décisions.

Le lien étroit entre équipe pluridisciplinaire et CPDPN est d’ailleurs encouragé par l’Agence de la biomédecine dans ses guides de bonne pratique (101).

C’est pourquoi le projet de loi vise à institutionnaliser et resserrer ce lien, en prévoyant au du présent article, modifiant l’article L. 2213-1 du code de la santé publique, que le médecin qualifié en gynécologie obstétrique, membre de l’équipe chargée d’examiner la demande d’interruption médicale de grossesse devra obligatoirement être « membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal ».

Un médecin membre d’un CPDPN apportera une expertise et une expérience qui seront à même d’améliorer le dialogue avec la patiente. La compréhension de la pathologie de la femme sera facilitée par les moyens dont disposent les CPDPN, souvent rattachés à des centres hospitaliers universitaires. Enfin, l’équipe pluridisciplinaire bénéficiera systématiquement de l’appui du CPDPN pour mesurer les conséquences médicales, éthiques et juridiques de la délivrance d’une attestation d’interruption médicale de grossesse.

b) L’équipe pluridisciplinaire chargée d’examiner la demande d’interruption médicale de grossesse devra comporter un médecin spécialiste du problème de santé de la femme

Le de l’article modifie la composition de l’équipe pluridisciplinaire chargée de rendre un avis sur la demande d’IMG en cas de mise en péril de la santé de la femme, pour y introduire un « praticien spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte ».

Dans les faits, l’article R. 2213-3 du code de la santé publique prévoyait d’ores et déjà que cette équipe pouvait comporter un quatrième membre, à savoir un « praticien qualifié pour donner un avis sur l’état de santé de la femme ».

Le projet de loi inscrit cette possibilité dans l’article L. 2213-1 du code de la santé publique tout en la précisant. Un spécialiste (hématologue s’il s’agit d’une hémopathie maligne ; psychiatre en cas de pathologie psychique grave) est en effet mieux à même d’éclairer la décision de l’équipe pluridisciplinaire et ainsi de protéger la santé de la femme.

*

La Commission adopte l’article 13 sans modification.

Après l’article 13

La commission examine l’amendement AS 95 de M. Paul Jeanneteau.

M. Paul Jeanneteau. Il s’agit, après l’annonce d’un risque avéré d’affection particulièrement grave affectant le fœtus, de donner à la femme enceinte un délai de réflexion de deux semaines, afin qu’elle puisse faire un choix éclairé.

M. le rapporteur. Je rejoins l’intention de cet amendement. Mais dans certains cas d’urgence médicale, l’intervention doit être la plus rapide possible. Un délai de deux semaines pourrait mettre en danger la santé de la mère. De plus, on ne peut pas laisser une femme dans une telle situation de détresse pendant quinze jours.

M. Paul Jeanneteau. Je ne suis pas opposé à ce que le délai soit raccourci ; ce qui m’importe, c’est que la femme dispose d’une période de réflexion.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Je n’imagine pas qu’on puisse imposer un délai à une femme se trouvant dans cette situation ; pour elle, c’est insoutenable.

Mme Laurence Dumont. Dans le droit actuel, il n’y a pas de délai ; cela veut dire a contrario qu’une femme qui le souhaite peut demander quelques jours de réflexion. Imposer un délai me paraît en revanche inconcevable.

M Jean-Paul Bacquet.  Pour une femme dont l’enfant est mort in utero, le fait de devoir attendre dix ou quinze jours est un traumatisme terrible.

M. Jean-Louis Touraine. Il est indiqué dans l’amendement que la femme doit « bénéficier » d’un délai, mais en réalité elle le subirait… On imagine qu’elle ne prend pas sa décision sans réflexion, mais à partir du moment où elle sait ce qu’elle va faire, lui imposer d’attendre serait lui infliger une torture psychologique, voire également physique.

M. Michel Heinrich. J’ai cosigné cet amendement dans le seul but de laisser à la femme un délai de réflexion ; cela ne l’empêche nullement de prendre sa décision plus rapidement !

M. Paul Jeanneteau. Sans doute faut-il améliorer la formulation de cet amendement, mais l’objectif était en effet de permettre à la femme de disposer d’un délai de réflexion.

M. le rapporteur. Je comprends votre motivation, mais il faudrait à tout le moins exclure les situations d’urgence. Il conviendrait aussi de se préoccuper non seulement de délai maximum, mais aussi de délai minimum. Mais l’idée que la femme doit réfléchir avant de se décider doit-elle vraiment se traduire par des dispositions législatives ?

Mme la secrétaire d’État. Je suis très défavorable à cet amendement. La femme doit rester entièrement libre de sa décision et de la manière dont elle la prend. Un délai de quinze jours inscrit dans la loi serait totalement arbitraire.

M. Paul Jeanneteau.  Je veux bien travailler à une autre rédaction, mais il me paraît important de préciser dans la loi que la femme dispose d’un délai de réflexion.

M. Xavier Breton. Je suis surpris des réactions que cet amendement a provoquées. Sans doute faut-il le retravailler mais il va dans le bon sens.

La Commission rejette l’amendement.

TITRE V

ACCÈS À DES DONNÉES NON IDENTIFIANTES ET À L’IDENTITÉ DU DONNEUR DE GAMÈTES

Le titre V du présent projet de loi vise à lever le principe d’anonymat du don de gamètes. Il modifie le code civil, le code de la santé publique et le code pénal, en vue d’offrir à toute personne majeure issue d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur l’accès à des informations non identifiantes sur le donneur, voire à son identité, si ce dernier y consent.

*

M. le président Alain Claeys. Nous en arrivons à la question de l’anonymat des dons de gamètes. Je vous propose de commencer par un débat d’ensemble, avant d’en venir aux amendements.

M. le rapporteur. Les articles 14 à 18 touchent en effet à la notion extrêmement complexe de l’origine, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Deux théories s’affrontent.

La première privilégie la transparence ; elle conduit à défendre le droit de chacun à connaître ses origines, et donc à permettre aux personnes nées de dons de gamètes de rechercher leurs origines – à cette réserve près que, la loi n’étant pas rétroactive, le donneur qui avait agi à l’époque de manière anonyme et gratuite lève lui-même son anonymat.

Je suis pour ma part profondément attaché à la seconde théorie. D’un point de vue philosophique d’abord, on ne peut considérer l’humain comme un matériau biologique. Il n’y a pas, dans la transmission des gamètes, de prédestination de talents ou de capacités. J’ai vu un catalogue danois qui permettait de choisir un donneur en fonction de ses études, de sa religion et de son niveau de rémunération : cela me paraît une erreur médicale et scientifique profonde, assortie d’un risque humain considérable. Et si l’on donne la priorité à l’éducatif et à l’affectif, il n’y a pas d’intérêt particulier à rechercher l’origine de ses gamètes.

Le don de gamètes doit être distingué de la naissance sous X. Lorsqu’on est né sous X, on a une histoire : il y a eu un homme et une femme, un enfant est né et il a été abandonné. Les psychiatres nous ont appris que cette histoire était culpabilisante pour l’enfant et qu’il était légitime qu’il essaie de comprendre les raisons de son abandon, qui peuvent être diverses. La quête de vérité est alors une démarche d’identification à une histoire. Au contraire, les donneurs de gamètes donnent de manière altruiste, anonyme et gratuite leurs spermatozoïdes ou leurs ovocytes, dans le seul but de permettre à des couples inféconds d’avoir un enfant.

Les CECOS eux-mêmes sont opposés à la levée de l’anonymat. Ils craignent d’abord, comme cela s’est produit dans certains pays, une chute au moins momentanée des dons. Et ils craignent aussi un changement dans le profil des donneurs : celui qui sait qu’un jour, il pourra être reconnu, a un profil plus narcissique qu’altruiste ; celui qui donne en sachant qu’il ne sera jamais reconnu est totalement détaché de la destinée de la personne qu’il permet d’engendrer.

En Suède, où l’anonymat du don de gamètes a été levé en 1985, il n’y a aujourd’hui aucune demande de recherche des origines ; mais ce n’est pas parce que personne n’en ressent le besoin : l’explication est que la levée de l’anonymat pousse bien davantage encore les parents à cacher à leur enfant la manière dont il a été conçu. Ils craignent qu’une personne qui se présenterait comme le père génétique puisse s’immiscer dans leur vie et être perçu par leur enfant, surtout à la période fragile de l’adolescence, comme une alternative à ses parents.

Si nous décidions de lever l’anonymat des dons de gamètes, nous provoquerions un véritable bouleversement : les 50 à 100 personnes qui souhaitent savoir ne doivent pas faire oublier les 50 000 qui ne demandent rien – parce qu’ils considèrent les gamètes comme un matériau biologique certes spécifique, mais savent qu’ils doivent ce qu’ils sont à ceux qui les ont entourés, aimés et éduqués.

Si on conférait demain aux spermatozoïdes une valeur particulière, il en résulterait sans doute qu’ils ne seraient pas tous d’égale valeur : on ne tarderait pas à en rechercher certains plutôt que d’autres, voire à mettre aux enchères les spermatozoïdes de telle personne ! L’achat de sperme existe déjà aux États-Unis.

Il ne faudrait donc pas que le désir légitime de répondre à la demande de certaines personnes qui éprouvent une souffrance – qui ne serait peut-être pas apaisée par la découverte d’un père ou d’une mère génétique – aboutisse à en fragiliser un bien plus grand nombre. La levée de l’anonymat du don de gamètes serait une brèche dans notre pacte républicain car elle toucherait à l’idée que nous nous faisons de l’homme. C’est pourquoi je vous proposerai la suppression des articles 14 à 18.

Mme la secrétaire d’État. Je reste favorable au dispositif figurant dans le projet de loi, c’est-à-dire à un don de gamètes anonyme a priori, assorti de la possibilité pour le donneur, si l’enfant a la volonté de retrouver ses origines, de renoncer à son anonymat. Il ne s’agit pas de levée systématique de l’anonymat : il faut à la fois que l’enfant devenu adulte recherche son géniteur et que le donneur y consente. Je suis consciente qu’il serait nécessaire, dans un tel système, d’assurer l’accompagnement des couples, afin d’éviter qu’un plus grand nombre d’entre eux gardent le secret de la conception : il conviendrait de les sensibiliser à l’intérêt pour l’enfant de savoir comment il a été conçu.

Le dispositif que nous proposons est équilibré. Il ne remet nullement en cause la place des parents qui ont aimé et élevé l’enfant.

M. Noël Mamère.  Les propos de Mme la ministre posent un problème de fond, mais aussi de forme.

La semaine dernière, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, s’est exprimé sur ce sujet. Il nous a semblé comprendre qu’il défendait l’anonymat, autrement dit qu’il revenait sur les propositions de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre à laquelle il a succédé, qui sont formulées dans les articles 14 à 18.

Avant de poursuivre la discussion, il serait utile de savoir, madame la ministre, si ce que vous venez de dire est conforme à la position de votre ministre de tutelle ou s’il y a des divergences au sein du Gouvernement.

Mme la secrétaire d’État. M. Bertrand a bien dit qu’il exprimait sa position personnelle. Aujourd’hui, nous débattons du projet de loi du Gouvernement. Je donne mon avis mais je serai à l’écoute de ce que vous direz.

M. Noël Mamère. Confirmez-vous que l’avis que vous venez de développer devant nous n’est pas votre avis personnel, mais l’avis du Gouvernement ?

Mme la secrétaire d’État. Je suis là pour représenter le Gouvernement, j’exprime donc mon avis ; le Gouvernement ayant élaboré un texte, je m’y réfère.

M. Noël Mamère. Donc, la position que vous défendez au nom du Gouvernement est celle que traduisent les articles 14 à 18.

Mme la secrétaire d’État. Je vous le confirme.

M. Noël Mamère. Merci pour ces explications.

En ce qui me concerne, je n’ai pas encore de position définitive. Nous sommes confrontés au problème de la distinction entre famille sociale et père biologique. L’enfant né d’une PMA est d’abord le fruit d’un projet de couple, qu’en effet il ne faut pas affaiblir. Mais je ne suis pas d’accord avec Jean Leonetti lorsqu’il dit que le fait de donner accès à des données relatives au donneur aura pour conséquence de fragiliser les parents sociaux et de réduire le nombre de donneurs. En réalité, peu de personnes nées par PMA souhaitent connaître leurs origines biologiques ; j’étais donc ouvert aux dispositions du projet, avec l’encadrement proposé. Les éléments communiqués au sujet de la Suède ne m’ont pas semblé conforter l’idée que l’on risquait de réduire le nombre de donneurs. Néanmoins, compte tenu de ce que nous avons entendu au cours de nos travaux, mon sentiment évolue : peut-être est-il plus prudent de préserver l’anonymat.

M. Hervé Mariton. Je rejoins le rapporteur dans sa conclusion. Certains mots employés par Mme la ministre et par Noël Mamère renforcent l’idée qu’il ne faut pas lever l’anonymat. La distinction entre « parents sociaux » et « parents biologiques » est le piège dans lequel nous ferait tomber sa levée. Moins on accole d’adjectifs au mot « parents », mieux c’est.

De fait, ce débat nous amène à la définition de la filiation. Je ne pense pas qu’il faille opposer la filiation biologique et la filiation de projet. Il n’y a pas de filiation qui soit uniquement biologique, il n’y a pas de filiation qui soit uniquement de projet. Ordinairement, la filiation est à la fois biologique et de projet ; et parfois, le projet doit être conforté par une aide médicale, ou par le choix de l’adoption. Mais dans tous les cas, il est important de s’en tenir à une définition simple de ce que sont les parents. Une fois que le don a été fait, ce n’est pas une bonne idée de chercher à remonter le chemin inverse.

J’ai été choqué d’emblée que la rédaction du Gouvernement, qui exige à la fois l’accord de la personne conçue à partir des gamètes d’un tiers donneur et celui de ce dernier, oublie totalement les parents – que vous appelez parents sociaux. Certes l’accès aux données concerne des personnes majeures, mais elles n’en ont pas moins des parents – sauf à considérer que dans le cas de ce mode de conception, le lien filial disparaît avec l’arrivée à l’âge adulte… Même si on a fait appel à un tiers donneur, les parents sont toujours les parents.

M. Philippe Vuilque. Le texte gouvernemental m’a d’abord paru assez équilibré. Après avoir écouté les uns et les autres, il m’apparaît que la levée de l’anonymat comporterait plus de risques – baisse du nombre de dons, montée du secret dans les familles, conflits familiaux – que d’avantages.

On pourrait plutôt parler, à propos du texte proposé, d’équilibre instable. À l’article 16, il est question d’accès à des « données non identifiantes relatives au donneur », ce qui est très hypocrite : on va indiquer au demandeur l’âge du donneur, son état de santé, ses caractéristiques physiques, sa situation familiale et sa catégorie socioprofessionnelle, sa nationalité, les motivations de son don ; mais alors pourquoi pas son nom et son adresse ?

Je préfère, donc, qu’on maintienne la règle de l’anonymat. Il faudrait en revanche prendre des dispositions pour que l’utilisation des fichiers des CECOS soit contrôlée.

M. Yves Bur. Comme Jean Leonetti, je considère qu’il faut considérer la filiation affective et sociale bien plus que le matériel génétique et biologique. Même si on peut comprendre la souffrance que peut exprimer le désir de connaître son origine biologique, à mon avis il ne faut pas lever l’anonymat du don de gamètes : l’enfant s’inscrit d’abord dans l’histoire d’un couple et d’un amour.

En outre, l’expérience suédoise montre qu’en adoptant la position inverse, on provoque l’installation de la loi du silence. Par ailleurs, comme Philippe Vuilque, je crois que si on levait l’anonymat, il faudrait le faire franchement.

M. Paul Jeanneteau. Force est de constater l’opposition unanime des responsables des CECOS à la levée de l’anonymat.

Cette levée ne pourrait qu’encourager les parents à ne pas révéler à l’enfant la manière dont il a été conçu. Or les psychiatres et psychologues que nous avons auditionnés ont beaucoup insisté sur le caractère pathogène de ce type de ce secret.

Enfin, il est important que l’enfant grandisse en s’inscrivant dans l’histoire du couple qui l’élève, sans qu’on y introduise une tierce personne.

M. Alain Marty. J’aimerais savoir, même si Mme Roselyne Bachelot n’est plus là pour répondre, ce qui a amené le Gouvernement à proposer la levée de l’anonymat, alors qu’elle n’était demandée ni par la mission d’information que vous aviez conduite, monsieur le président, ni par les CECOS, ni par nombre de personnes que nous avons entendues.

En France, le don – du sang, d’organe, de gamètes – repose sur l’anonymat et la gratuité. Si on lève l’anonymat dans un cas, n’ouvre-t-on pas la voie à une évolution susceptible de totalement modifier notre approche du don ?

M. Philippe Gosselin.  La quête des origines est légitime. Pour ma part, je refuse l’opposition binaire entre origine génétique et origine sociale : l’argument peut se retourner contre nous sur des sujets comme l’homoparentalité ou la gestation pour autrui. Mais n’est-on pas en train de donner à des enfants et adolescents l’espoir un peu fou – car le donneur pourra refuser – qu’à 18 ans, ils pourront savoir ? Pensons aussi aux difficultés que rencontrerait une fratrie dont un membre pourrait avoir accès aux données le concernant, et un autre ne le pourrait pas. D’une manière générale, je suis attaché à un principe d’unité juridique : en France, le don est anonyme et gratuit ; en ouvrant une brèche pour répondre à un trouble, ne risque-t-on pas de créer d’autres troubles ?

Mme Laurence Dumont. J’ai eu sur ce sujet un cheminement intellectuel assez proche de celui de Noël Mamère. Notre rôle de législateur est de faire émerger l’intérêt général. Or si j’ai une conviction, c’est bien que l’intérêt de tous les enfants conçus avec don de gamètes est de connaître le mode de conception qui a été le leur. Or il est clair que la levée de l’anonymat va accroître, dans les familles, le secret sur la conception. C’est ce qui explique qu’en Suède, elle n’ait pas provoqué de demandes. Sans doute y a-t-il quelques centaines d’enfants pour lesquels l’accès à ces informations apaiserait une souffrance ; mais ce qui est en cause ici, c’est l’intérêt de 50 000 enfants conçus de cette façon. De plus, la levée de l’anonymat risque de se faire au détriment des parents sociaux et valorise à l’excès le génétique.

Quant aux CECOS, ils nous fournissent un éclairage quantitatif – en prédisant une diminution des dons –, mais pour moi ce n’est pas la question principale.

Enfin, à la lecture de la liste des informations qui, selon le projet, seraient données, je prends le pari que d’ici peu, on demandera – comme cela a déjà été le cas dans certains pays – d’adjoindre la religion. Cette liste est pire qu’une levée totale de l’anonymat ; et pour ma part, je souhaite qu’on en reste au droit actuel.

M. Jean-Louis Touraine. Moi aussi, après un cheminement, je rejoins le rapporteur sur l’idée de ne pas lever l’anonymat et d’assurer un contrôle des CECOS. La transparence est bonne dans son principe, mais en cette matière, elle peut se retourner contre ceux qui la demandent. S’agissant des conceptions sans assistance médicale, personne n’aurait l’idée d’inciter les 5 à 10 % d’enfants qui ne sont pas nés de leur père légal à aller rechercher leur père biologique.

Dans les pays qui ont levé l’anonymat sur les dons de gamètes, on constate que les parents sont plus nombreux à dissimuler le fait qu’ils ont eu recours à un donneur ; or pour l’enfant, c’est plus grave qu’un manque d’informations sur les caractéristiques du donneur. D’autre part, des inégalités peuvent se créer entre les enfants d’une même famille, selon que les différents donneurs acceptent ou non l’accès aux informations.

La levée de l’anonymat n’est pas, tous les psychologues le disent, le moyen de résoudre les difficultés qui peuvent être éprouvées par un jeune. Un soutien psychologique est plus utile que l’accès à des informations sur le donneur.

Mme Marietta Karamanli. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce que vient de dire mon collègue Jean-Louis Touraine. Ce projet crée deux catégories : d’un côté, les enfants et les parents qui auront accès à ces données parce que le donneur l’aura accepté, et de l’autre, ceux qui n’y auront pas accès. Imaginez le trouble que cela peut créer, tant pour les parents que pour les enfants.

Par ailleurs il ne faudrait pas, à travers de telles dispositions, développer la culture du secret chez les couples, encouragés à taire la vérité pour se protéger : on aurait ainsi abouti, en matière de transparence, à un recul au lieu d’une avancée.

M. Patrick Bloche. Ce débat me rappelle celui que nous avions eu en 2005-2006 au sein de la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant. Mais – différence essentielle – lorsque nous avions abordé la question de l’accès aux origines personnelles, nous avions traité uniquement de l’accouchement sous X. Or, comme il a été fort pertinemment rappelé, on ne peut assimiler les deux situations : avant l’accouchement sous X, il y a une histoire ; dans le cas d’un don de gamètes, l’histoire commence au moment où le couple
– voire la personne seule – décide d’avoir un enfant.

Même si l’on peut comprendre la demande des jeunes que nous avons entendus à l’occasion de la table ronde, notre débat d’aujourd’hui me conduit à me prononcer sans hésitation contre la levée de l’anonymat. Je m’étonne d’ailleurs que dans l’étude d’impact du projet de loi, le Gouvernement ne nous ait pas fourni d’éléments sur les conséquences d’une telle décision. Quant aux exemples étrangers, ils n’ont rien de probant, notamment au vu de la très faible proportion d’enfants souhaitant effectivement connaître leur filiation biologique.

M. Michel Vaxès. Il faut s’entendre sur le vocabulaire. Il convient à mes yeux de proscrire l’expression « père biologique » : utilisons le mot « géniteur ». Un père est un père. Et on peut construire une filiation éducative et juridique sans lien génétique, comme dans le cas de l’adoption – alors qu’à l’inverse, le seul lien génétique ne fait pas la filiation.

Par ailleurs, on parle de l’intérêt de l’enfant à connaître ses origines, mais en réalité celles-ci se trouvent dans le désir d’un couple, non dans des gamètes. En outre, l’apparition d’informations sur le géniteur ne peut avoir qu’un effet perturbateur sur la famille. Autre problème important : lever l’anonymat, c’est s’engager sur la voie de la contractualisation, sans savoir où l’on s’arrêtera.

Enfin, rappelons que ce qui fait l’humanité, c’est la relation. Pour l’ensemble de ces raisons, il serait très dangereux de lever l’anonymat des dons de gamètes.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je suis tout à fait d’accord avec le rapporteur et j’avoue que je n’ai pas compris le texte du Gouvernement – encore moins dans la version permettant la rétroactivité de la levée de l’anonymat. Rappelons que le donneur ne donne pas un bébé, ni un embryon, ni même des cellules diploïdes : il donne un gamète.

Le don n’est pas un acte irresponsable. Et il faut préserver la famille du donneur. Il serait extraordinaire d’aller plus loin que pour les enfants nés sous X
– pour lesquels les dispositions législatives adoptées sont très restrictives.

S’agissant de la quête des origines, je considère pour ma part, moi qui suis biologiste moléculaire, que l’origine n’est pas dans les gènes. Au demeurant, il y aurait une inconséquence à interdire une recherche en paternité en cas de doute sur le lien biologique et à permettre l’accès aux informations en cas de don de gamètes. Notre système est fondé sur la gratuité et sur un double anonymat : le couple receveur ne sait pas qui est le donneur, le donneur ne sait pas qui sont les éventuels receveurs – car il n’y en a pas forcément.

Enfin, les « données non identifiantes » proposées par le projet ont une utilité variable. Nous en reparlerons peut-être tout à l’heure.

M. Guy Malherbe. Moi aussi, j’ai eu des hésitations. Il m’a d’abord semblé qu’il fallait faire droit au besoin de chaque individu de connaître ses origines. Mais à l’occasion des auditions de grande qualité auxquelles nous avons procédé, je n’ai pas observé de particulière attente sur ce sujet. Au terme de ma réflexion, je partage l’avis de notre rapporteur qu’il convient de maintenir l’anonymat. Sur un sujet aussi grave et délicat, il faut être très prudent ; l’impératif me paraît être de protéger l’équilibre familial qui résulte du projet d’un couple, ce qui conduit à en rester au droit en vigueur.

M. Marc Le Fur. En ce qui me concerne, je suis assez sensible à l’intérêt du texte gouvernemental. La quête des origines existe, non pas sans doute chez tous, mais au moins chez certains de ceux qui ont été conçus de cette manière. Cette recherche n’est en rien une trahison à l’égard de la famille sociale. De toute façon, ou bien – et c’est bien sûr le mieux – on a dit à l’enfant la manière dont il a été conçu, ou bien il le découvre lui-même pour des raisons de dissemblances physiques. Les dispositions proposées concernent des adultes. Quant aux CECOS, ils ne sont pas concernés. Il s’agit d’assumer une histoire. Le texte gouvernemental me paraît suffisamment prudent, dès lors qu’on ne vise pas les dons intervenus avant la loi.

M. Philippe Tourtelier. Je suis globalement d’accord avec la synthèse faite par le rapporteur, en particulier avec la hiérarchisation qu’il établit entre le social et le culturel d’une part et le biologique d’autre part. La filiation n’est pas toujours à la fois sociale et biologique ; le père d’un enfant né grâce à un don de sperme a une paternité uniquement sociale et affective, mais il n’en est pas moins père. L’utilisation des mots « géniteur » et « père » me paraît donc une clarification opportune. L’éducation et l’amour fondent la filiation, notamment dans le cas de l’adoption ; on le voit a contrario avec les enfants sauvages ou les orphelins abandonnés ou maltraités.

Laurence Dumont a évoqué à juste titre l’intérêt général : certes il faut considérer la souffrance de l’individu, mais aussi les conséquences collectives de l’accès aux données. On prend le risque d’une crise familiale, du fait de l’irruption d’un tiers dans l’histoire familiale, ou encore du fait d’une inégalité entre les enfants, au sein d’une fratrie, dans l’accès aux informations les concernant. Au demeurant, si la souffrance de l’enfant est réelle, vient-elle de l’anonymat ? Et si elle résulte d’autres difficultés, l’accès à des informations sur l’origine génétique ne risque-t-il pas d’aboutir, au moins inconsciemment, au regret de ne pas avoir eu d’autres parents – ces parents virtuels que révèle l’origine génétique ?

Enfin, comme on l’a dit, la levée de l’anonymat risque d’aboutir à la pratique du secret, dont on connaît les conséquences psychologiques néfastes.

Il est important que les enfants connaissent leur histoire, mais l’histoire n’est pas le biologique. Quant aux « données non identifiantes » énumérées par le projet, elles peuvent conduire l’enfant à s’imaginer la vie qu’il aurait pu avoir dans cette autre famille – ce qui me paraît particulièrement dangereux.

Mme Valérie Boyer. Comme bon nombre de mes collègues, j’ai été troublée par cette proposition de lever l’anonymat. Au départ, je l’ai trouvée très séduisante – puisque, disait-on, c’était la rencontre de la liberté de l’enfant né du don, de celle des deux parents et de celle du donneur. Mais en rencontrant les responsables des CECOS, en lisant les comptes rendus des auditions et en assistant à certaines d’entre elles, j’ai évolué dans ma réflexion. Depuis quarante ans que les CECOS existent, beaucoup d’enfants sont nés de dons – il y en aurait aujourd’hui environ un par classe. Sachant qu’il y a pénurie de donneurs et que, par ailleurs, un don est susceptible de permettre vingt fécondations, on imagine les conséquences que pourraient avoir les démarches de recherche des origines.

S’ajoute à cela le problème de la cohérence de ces dispositions avec, d’une part, celles applicables aux dons de sang et d’organes, comme l’a relevé Philippe Gosselin, et d’autre part avec l’interdiction, en droit français, de la recherche en paternité.

En revanche, le souci des besoins que pourrait avoir l’enfant né du don m’avait conduit à déposer deux amendements à l’article 14 ; si nous supprimons cet article, j’aimerais savoir comment nous pourrons répondre au problème. Aujourd’hui, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès, en cas de nécessité thérapeutique, aux informations permettant leur identification ; il serait nécessaire de permettre au médecin de la personne issue du don d’y avoir également accès. Il conviendrait par ailleurs d’étendre la notion de nécessité thérapeutique à celle de nécessité médicale, incluant thérapeutique et prévention. Enfin, devant la faiblesse du nombre de donneurs, il serait bon, plutôt que d’en rester à une organisation régionale des CECOS, d’organiser une banque nationale.

Mme Bérengère Poletti. J’ai été très sensible aux propos de Jean Leonetti. Le cas d’un enfant adopté est très différent de celui d’un enfant né à la suite d’un don de gamètes ; la question de la levée de l’anonymat ne se pose pas du tout de la même façon.

Dans le don de gamète, la générosité du donneur s’exprime ; mais il faut aussi parler d’une autre générosité, celle de l’homme qui accepte de voir sa femme porter un enfant conçu à partir des gamètes d’un autre homme. Pour lui, une levée d’anonymat me paraît terrible. Quant aux donneurs, elle peut les faire passer de la pure générosité au désir de prolongement narcissique.

Enfin, comme on l’a dit, la levée de l’anonymat provoquerait une baisse très importante du nombre de donneurs et le développement, dans les familles, de la pratique du secret, avec ses lourdes conséquences.

Un mot sur les CECOS. Ce ne sont pas seulement des banques de sperme. Les psychiatres et psychologues qui y rencontrent les couples et voient parfois des enfants entreprendre des démarches de recherche connaissent fort bien le sujet, au-delà de ses aspects techniques et leurs arguments sur ce sujet sont à prendre en considération.

M. Olivier Jardé. Pour moi, lever l’anonymat, c’est entraîner la sélection du donneur.

L’accès aux données non identifiantes ne va pas satisfaire les demandeurs : il faut soit tout donner, soit ne rien donner.

La levée de l’anonymat va encourager la dissimulation de la manière dont l’enfant a été conçu. Elle risque de faire disparaître la gratuité du don. Si le don n’est plus gratuit, il y aura des professionnels du don, et donc un risque de santé publique, du fait de la multiplication des demi-frères et des demi-sœurs inconnus
– problème qui a déjà été mis en évidence dans les pays du Nord.

L’enfant est fragile. Ayons une pensée pour tous ces enfants nés sous le IIIe Reich, uniquement destinés à créer une nouvelle race, selon une conception purement génétique, et dont beaucoup ont ensuite développé des névroses.

Pour toutes ces raisons, je suis contre la levée de l’anonymat.

M. le président Alain Claeys. La position quasi-unanime qui vient de s’exprimer va nous conduire à adopter les amendements du rapporteur tendant à supprimer les articles 14 à 18. Mais je donne d’abord la parole à Mme la ministre.

Mme la secrétaire d’État. J’ai été très intéressée par ce débat. Néanmoins je maintiens que ce texte est équilibré et permet de répondre à une souffrance. Le dispositif précédent faisait peu de place à l’intérêt de l’enfant ; aujourd’hui encore, vous avez beaucoup parlé des parents, du projet parental, mais je n’ai pas beaucoup entendu parler des enfants et de leur légitimité à demander, à un certain moment de leur vie, à s’informer sur leur géniteur. Rien dans les dispositions du projet ne compromet le lien familial, en effet fondé sur l’amour et l’éducation de l’enfant.

J’ajoute que pour élaborer ce projet, le Gouvernement s’est aussi appuyé sur le Conseil d’État, favorable à la levée de l’anonymat.

Pour répondre aux préoccupations de Valérie Boyer, je précise que le médecin de l’enfant issu du don peut déjà avoir accès aux informations médicales concernant le donneur. Quant à la notion de nécessité thérapeutique, je pense qu’il faut s’y tenir : il n’y a pas lieu d’aller jusqu’à la prévention.

Encore une fois, je regrette que dans vos interventions, l’intérêt de l’enfant ait été un peu occulté.

M. le président Alain Claeys. Je crois exprimer le sentiment de mes collègues en affirmant que dans toutes les interventions, il y avait en filigrane l’intérêt de l’enfant.

M. Noël Mamère. Nous sommes victimes d’une tactique du Gouvernement ! M. Bertrand commence par nous dire qu’il est pour le maintien de l’anonymat, comme nous le sommes dans notre immense majorité ; puis, par la voix de sa secrétaire d’État, il annonce qu’il maintient sa proposition de lever l’anonymat ; et ensuite, on nous dit que nous avons oublié l’intérêt de l’enfant !

Mme la secrétaire d’État. Je ne vous permets pas ce procès d’intention.

M. le président Alain Claeys. Il n’y a pas de procès d’intention. Simplement, nous avons eu le sentiment que le Gouvernement exprimait successivement deux avis différents. Pour sa part, la commission spéciale vient d’exprimer un avis quasi-unanime.

Mme Laurence Dumont. Permettez-moi, madame la ministre, de vous poser une question de méthode puisque nous nous apprêtons, semble-t-il, à supprimer l’ensemble du titre V. Pour le débat dans l’hémicycle, le Gouvernement déposera-t-il des amendements tendant à rétablir les dispositions qu’il contient ?

Mme la secrétaire d’État. Nous en débattrons au sein du Gouvernement.

M. le rapporteur. Chacun a pu avoir un cheminement, en s’appuyant sur des valeurs. Mme la ministre a exprimé la position du Gouvernement. Nous avons, je crois, essayé de défendre l’intérêt de l’enfant – qui a droit à la vérité non sur ses origines, mais sur la façon dont il a été conçu, et dont l’adolescence pourrait être particulièrement perturbée par l’idée d’une identification génétique extérieure –, mais aussi l’intérêt des enfants du géniteur, celui du donneur lui-même, ainsi que celui de la cellule familiale – susceptible d’être déstabilisée par un intrus. Enfin, nous avons défendu l’intérêt général : en France, c’est le droit du sol qui prévaut, et non le droit du sang ; de la même façon, on appartient à une famille parce qu’on a été éduqué et aimé par ses membres.

M. le président Alain Claeys. La commission est saisie d’amendements de suppression de chacun des articles du titre V. Il va de soi que s’ils sont adoptés, les autres amendements portant sur les articles 14 à 18 tomberont.

Article 14

(article L. 1211-5 du code de la santé publique)


Accès à des données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes

Pour mémoire, on compte aujourd’hui environ 50 000 enfants issus d’un don de gamètes. En 2008, environ 1 000 enfants sont issus d’un don de spermatozoïdes, soit 5,2 % des enfants nés après assistance médicale à la procréation (AMP). Environ 150 enfants sont issus d’un don d’ovocytes, soit 0,7 % des enfants nés après AMP. Enfin, 16 enfants sont issus d’un « accueil » d’embryon.

A. LE RÉGIME ACTUEL : L’ANONYMAT ABSOLU DU DON DE GAMÈTES

Depuis la loi du 29 juillet 1994, l’article 16-8 du code civil et l’article L. 1211-5 du code de la santé publique (102) consacrent une conception « absolue » de l’anonymat qui porte aussi bien sur les données non identifiantes qu’ identifiantes du donneur de gamètes. Ce principe s’est imposé, dès l’origine, comme une évidence, et ce pour plusieurs raisons (103).

a) Intégrer l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur dans une démarche éthique

La législation française a été sur ce point fortement influencée par la pratique des centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS). Depuis 1973, ces derniers ont proposé les principes éthiques de gratuité et d’anonymat du don de gamètes pour réhabiliter la procréation avec tiers donneur, vécue comme une transgression, et la faire admettre comme une véritable alternative à l’impossibilité de concevoir naturellement (104).

En consacrant l’anonymat des dons de gamètes, le législateur a choisi de les assimiler aux dons sanguins et autres dons d’éléments ou produits du corps humain. Cette règle s’impose à tous les acteurs de la procréation médicalement assistée avec tiers donneur, à l’exception du médecin qui peut avoir accès à des données non identifiantes sur le donneur de gamètes en cas de nécessité thérapeutique.

Par ailleurs, l’anonymat est indissociable de la gratuité, deuxième grand principe guidant depuis les origines le don de gamètes. L’anonymat au moment de la conception de l’enfant permet en effet d’éviter toute pression pécuniaire sur le potentiel donneur, conformément au principe d’inviolabilité et de non patrimonialité du corps humain consacrés par l’article L. 16-1 du code civil. (105)

Enfin, l’anonymat garantit l’égalité de tous les couples devant l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Il exclut en effet toute sélection du donneur par un couple en fonction de critères physiques, socioculturels ou intellectuels, et par conséquent les risques d’une dérive eugéniste.

b) Protéger les donneurs et les parents

L’anonymat est aussi considéré en droit français comme un moyen de protéger les donneurs et ainsi d’encourager les dons de gamètes, en les dissociant de tout projet parental. La loi précise d’ailleurs que les donneurs doivent déjà être parents et que le don s’effectue le cas échéant, avec l’accord de leur compagne.

Pour les parents légaux, l’anonymat est une forme de reconnaissance du caractère primordial de leur désir d’enfant dans sa venue au monde, et permet d’écarter tout risque de mise en cause de la filiation. En dépersonnalisant le don, l’anonymat est conçu, dans un cas comme dans l’autre, comme un moyen de rester libre après le don, le donneur retournant à sa propre famille, le couple demandeur s’investissant dans sa famille en devenir.

c) Éviter le maintien du secret de la filiation pour l’enfant

L’anonymat a enfin été conçu dès le départ comme une garantie ou une protection permettant aux parents d’informer sereinement leur enfant sur son mode de conception.

Le secret a longtemps été la règle. Il y a 20 ou 30 ans, la majorité des futurs parents taisaient à leur enfant sa modalité de conception (106). De nombreux psychanalystes en ayant montré les dangers pour le développement psychologique de l’enfant, la pratique a changé.

B. L’ORIGINE DE LA REMISE EN CAUSE DE L’ANONYMAT

a) La demande de certains enfants issus d’un don de gamètes

Aujourd’hui, près de 50 000 enfants sont nés d’une insémination avec tiers donneur. D’autres continuent de naître, au rythme d’environ 1 300 par an. Les CECOS estiment qu’environ 25 enfants par an ont pris contact avec eux ces dernières années pour une recherche d’information sur leurs donneurs. Il s’agit donc d’une minorité, mais d’une minorité dont on ne peut sous-estimer la souffrance.

Un certain nombre d’associations de personnes issues du don de gamètes, aujourd’hui adultes, demandent l’accès à des données relatives au donneur. Lors de leur audition par les membres de la commission spéciale, M. Arthur Kermalvezen, porte-parole de l’association Procréation médicalement anonyme a ainsi justifié leur position : « nous, nous revendiquons notre humanité. Nous ne sommes pas issus d’une cellule qui ne vient de personne ni de gamètes interchangeables. Nous pensons, et notre réalité à nous, c’est, selon les termes du psychanalyste Serge Tisseron, d’être "à la fois et à la fois", à la fois le fils ou la fille de nos parents, lesquels nous soutiennent, et le produit d’une autre part d’origine que nous souhaitons connaître. Nommer le don, c’est nous permettre de porter notre prénom et notre nom en toute sérénité ». (107)

Cette demande s’inscrit dans la lignée des travaux de sociologues (108) et psychanalystes (109) qui ont montré les conséquences délétères du maintien de l’anonymat du donneur de gamètes. Ces études révèlent que les motivations des enfants conçus par don de gamètes sont variées et ne peuvent être réduites à une « obsession du génétique ». Il s’agit le plus souvent d’une volonté de ne pas vivre dans l’ignorance ou le mensonge, de reconstituer le récit de leurs origines.

b) L’évolution récente de la législation en matière d’accès aux origines

Cette demande s’inscrit d’ailleurs dans un contexte plus global de questionnement sur l’accès aux origines, qui a récemment fait évoluer la législation.

La loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État a ainsi introduit la réversibilité du secret de l’identité de la mère accouchant sous X et créé le Conseil national d’accès aux origines personnelles. Tout enfant dont la mère a accouché sous X peut ainsi accéder à des données non identifiantes, et, avec l’accord de la mère, à des données identifiantes.

c) Les problèmes juridiques

Enfin, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait avoir des conséquences sur le régime juridique de l’anonymat du don de gamètes. Certes, la CEDH ne s’est pas prononcée directement sur cette question, mais dans un arrêt de 2003 relatif au système d’accouchement sous X (110) elle a développé des arguments pouvant s’appliquer aux dons de gamètes.

Il s’agissait d’une personne s’étant vue refuser l’accès à l’état civil de sa mère, ayant accouché sous X. Se fondant sur l’article 8 de la convention, la CEDH a considéré qu’une interprétation extensive de la protection de la vie privée pouvait donner droit à l’accès aux origines. Cependant, elle a également mentionné la marge de manœuvre dont disposaient les États parties à la convention pour concilier ce droit avec les intérêts légitimes pouvant justifier l’anonymat, comme la protection de la santé de la mère, le respect de la vie familiale et d’autres motifs d’intérêt général. La Cour avait jugé sur ce point que la législation française tentait « d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante des intérêts en cause ». Cette jurisprudence pose le problème du caractère « proportionné » du régime d’anonymat des dons de gamètes en France. Il faut noter cependant que l’on ne peut assimiler complètement l’accouchement sous X, où l’abandon d’un enfant a été précédé d’une histoire parentale et le don de gamètes, où aucun projet parental n’a été formulé par le donneur.

C. LES RISQUES LIÉS À UNE LEVÉE DE L’ANONYMAT DU DON DE GAMÈTES

a) Le risque de donner une lecture fallacieuse de la filiation

Comme le rappelle le docteur Jean-Marie Kunstman, médecin membre d’un CECOS, « la vulgarisation des tests génétiques et la perspective de pouvoir établir une traçabilité génétique incontestable viennent perturber le concept de filiation jusqu’alors proposé, privilégiant plutôt la filiation sociale et culturelle que biologique. » (111)

M. Pierre Lévy-Soussan, auditionné par la commission spéciale parle quant à lui de « kidnapping des origines », c’est-à-dire « le fait qu’on considère que c’est la biologie qui fait les origines de l’enfant, pas les familles adoptantes ou qui ont eu recours aux inséminations artificielles avec donneur (…) Ce n’est pas d’informatif qu’a besoin l’enfant, c’est de narratif. Il doit savoir sa place dans une histoire parlée par le couple, lequel doit se présenter comme originaire pour lui. La valorisation par la société du biologique participe des problèmes de filiation. »

Il existe en effet un risque de mettre à mal la conception avant tout affective et sociale de la parenté, en considérant que le don de gamètes n’est pas seulement un moyen mais une fin.

b) Le risque de fragiliser la position des parents et de favoriser le maintien du secret dans les familles

La levée de l’anonymat pourrait avoir pour effet de fragiliser la position des parents qui ont recours à la procréation avec tiers donneur. Dans une étude réalisée en 2006 par la fédération des CECOS (112), sur 534 couples de demandeurs interrogés, 30 % ont déclaré qu’ils renonceraient à concevoir par don de gamètes en cas de levée de l’anonymat.

Surtout, on note que de nombreux parents déclarent qu’ils tairaient à leur enfant les conditions de sa conception, ce qui annulerait les efforts menés depuis des années par les médecins des CECOS pour sensibiliser les parents aux dangers du secret pour l’enfant.

Lever l’anonymat sur les dons de gamètes ne risque-t-il pas de fragiliser la position des parents, de nuire à l’enfant en favorisant le secret sur ses conditions de conceptions, en n’apportant finalement que des réponses incomplètes à la demande des personnes issues de don de gamètes ?

c) Le risque d’une baisse des dons de gamète

Dans l’enquête précitée, 157 donneurs ont été interrogés sur une éventuelle levée de l’anonymat. Il en ressort que 73 % des donneurs sont en accord avec le principe d’anonymat du don. 38,2 % accepteraient dans ce contexte que des informations non identifiantes puissent être données au couple et 39,5 % à l’enfant. 61,8 % ne seraient plus donneurs en cas de possible levée d’anonymat, soit près des deux tiers d’entre eux.

De plus, la levée de l’anonymat reporte la responsabilité du refus de divulguer des informations sur le donneur lui-même. Comme l’a déclaré Mme Anne-Catherine Le Roux, membre de l’Association des enfants du don : « Pour ce qui me concerne, je suis disposée à donner des ovocytes seulement si l’anonymat est garanti. Je ne veux pas me sentir coupable de refuser de rencontrer un enfant qui me rechercherait. »

Dans ces conditions, le risque existe de voir le nombre de donneurs baisser substantiellement en cas de levée de l’anonymat. Pour les parents, cela pourrait allonger les délais d’attente du fait de la pénurie des dons, voir entraîner un recours à des banques privées à l’étranger dont la motivation essentielle est d’abord financière.

Enfin, cela pourrait changer radicalement le profil du donneur jusqu’alors sélectionné pour sa capacité à se sensibiliser à une vraie question de société. M. Jean-François Mattei a ainsi estimé lors de son audition par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la bioéthique que « les donneurs ont l’intention de donner, mais aucunement celle d’assumer la paternité, quand bien même celle-ci serait-elle réduite à la connaissance de leur identité. On n’entend qu’un cas sur mille, celui de l’enfant qui écrit un livre, alors que les 999 autres ne disent rien. Lever l’anonymat serait ouvrir la boîte de Pandore. Nous risquerions de voir le nombre de dons baisser ou, à tout le moins, voir le profil psychologique des donneurs changer. »

D. LES OPTIONS POSSIBLES

a) Le régime du don de gamètes à l’étranger : des approches différentes

Dans les pays étrangers, les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur se sont développées selon des approches différentes. Un principe est resté longtemps partagé, celui de l’anonymat du don. Cependant, plusieurs pays ont rendu aujourd’hui possible la levée de l’anonymat, réintroduisant le débat en France.

Quel enseignement tirer des exemples étrangers ? Quels ont été les effets de la levée de l’anonymat ?

Le rapport du Conseil d’État rappelle que « les pays où le principe de l’anonymat est absolu sont rares : dans la plupart des États admettant l’assistance médicale à la procréation avec recours à un tiers donneur, le principe n’est que relatif. Dans tous les cas, la tendance est à la levée totale ou partielle de l’anonymat », ce que confirme l’étude d’impact annexée au projet de loi.

En Espagne, la loi prévoit un accès à des renseignements généraux non-identifiants. La loi espagnole régissant l’assistance médicale à la procréation a été révisée en 2006. À cette occasion, le principe de l’anonymat des dons a été réaffirmé, doublé de l’interdiction d’établir un lien de filiation entre le donneur et l’enfant. Cependant, la loi espagnole permet aux enfants conçus par assistance médicale à la procréation d’obtenir, à partir de l’âge de la majorité, des renseignements généraux sur les donneurs (taille, poids, appartenance ethnique, profession, etc.), mais pas leur identité.

En Allemagne, l’affirmation du droit à la connaissance des origines génétiques par la Cour constitutionnelle fédérale empêche les donneurs de rester anonymes. Aucun texte ne régit la question de l’anonymat du donneur, mais la Cour constitutionnelle fédérale accorde depuis 1989 à toute personne le droit de connaître ses origines. Cependant, les pouvoirs publics n’organisent pas la communication d’informations – l’intéressé doit s’adresser au prestataire qui a réalisé le traitement contre la stérilité grâce auquel il a été conçu. Par ailleurs, l’enfant conçu par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut contester la paternité du mari de sa mère, même si ce dernier a consenti au don de sperme, puis faire établir judiciairement celle du donneur. Cependant, en pratique aucun tribunal n’a jamais reconnu la paternité du donneur.

Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse ont abandonné le principe de l’anonymat du don et organisé la transmission d’informations sur les donneurs de gamètes, notamment d’informations portant sur l’identité.

La Suède l’a fait dès 1984, en légiférant sur l’insémination artificielle. Le même droit à la connaissance des origines génétiques a été octroyé aux enfants nés grâce à un don d’ovocytes, après que sa légalisation le 1er janvier 2003. La levée de l’anonymat y a été suivie d’une baisse du recours à l’AMP avec tiers donneur (entre 1989 et 2005, 1 147 enfants sont nés d’une AMP avec tiers donneur en Suède contre 25 000 en France). On constate également une hausse du recours de femmes à une insémination avec tiers donneur pratiquée dans des centres privés garantissant l’anonymat. Enfin, sur une cohorte de 300 enfants nés de cette technique entre 1985 et 1993, aucun n’a fait la demande de levée de l’anonymat, ce que l’on peut expliquer par une indifférence des enfants mais surtout, par une tendance accrue des parents à cacher aux enfants leur mode de conception.

En Suisse, le principe selon lequel toute personne a accès aux données relatives à son ascendance a été reconnu en 1992.

Les Pays-Bas ont adopté en 2002 une loi sur les informations relatives aux donneurs de gamètes qui concerne les dons postérieurs au 1er juin 2004. À partir de douze ans, l’enfant a accès à des données non identifiantes. À partir de 16 ans, il peut accéder à l’identité du donneur. La communication des informations relatives à l’identité du donneur est subordonnée à son accord. Toutefois, l’intérêt de l’enfant est considéré comme prioritaire, de sorte que le refus du donneur n’est pris en compte que si ce dernier avance des raisons déterminantes.

Le Parlement britannique a approuvé en 2004 de nouvelles dispositions sur la divulgation des informations portant sur les donneurs de gamètes : la liste des éléments communicables aux enfants nés grâce à un don a été allongée. Pour les dons postérieurs au 1er avril 2005, les intéressés auront notamment accès au nom, aux prénoms, à la date de naissance des donneurs et à leur adresse postale au moment du don. En outre, les donneurs enregistrés avant cette date ont la faculté d’opter pour le nouveau régime et de lever l’anonymat. Un rapport récent de la HFEA (Human fertilisation and embryoly authority) montre que depuis quinze ans, le nombre de donneurs de sperme décroît régulièrement (de 503 en 1991 à 296 en 2006). Or, la levée de l’anonymat en 2005 a plutôt légèrement contrarié cette tendance à la baisse.

Dans aucun de ces quatre pays, la levée de l’anonymat n’a de conséquences pour la filiation.

Compte tenu de leur caractère récent, la plupart des dispositions sur la communication de l’identité des donneurs ne sont pas encore applicables, ou sont difficilement évaluables.

b) Les contributions au débat : des positions divergentes

Lors du forum de Rennes du 12 juin 2009 organisé dans le cadre des États généraux de la bioéthique, les citoyens interrogés ont voulu « privilégier » l’histoire parentale par rapport à la généalogie biologique. Le « donneur » ne saurait être assimilé à un « parent ».

C’est pourquoi ils ont préconisé à l’unanimité la solution minimaliste de l’accès libre et systématique aux informations médicales non identifiantes, avec un maintien du principe d’anonymat du don de gamètes.

Par ailleurs, les citoyens interrogés ont souhaité que l’information et l’accompagnement des donneurs soient renforcés, afin de développer une « responsabilisation du don ».

Cette préconisation rejoint la position constante de l’Académie nationale de médecine. Dans un communiqué du 10 octobre 2006, Georges David, membre de l’Académie de médecine et fondateur des CECOS, estime « sage de maintenir pour le moment le statu quo législatif qui a assuré jusqu’à présent une valeur exemplaire à l’encadrement du don de gamètes en France. »

De son côté, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), s’il recommande (113) d’informer les parents du bénéfice d’une révélation précoce de leur mode de conception, considère en revanche que la rupture de l’anonymat comporte probablement plus d’éléments perturbants que la rupture du secret. Il est défavorable à l’idée d’un double guichet laissant le choix aux parents de l’anonymat ou non du don. Considérant que « les gamètes ne sont pas des parents », le CCNE évoque cependant la possibilité d’accéder, par l’intermédiaire du Conseil national d’accès aux origines personnelles, à des données non identifiantes.

Le rapporteur et la majorité des membres de la mission d’information de l’Assemblée nationale (114) ont également préconisé le maintien de l’anonymat du don de gamètes, craignant les effets pervers de sa levée : baisse du nombre de dons ; changement de profil des donneurs ; renoncement des couples à recourir à la procréation médicalement assistée avec tiers donneur ; risque d’inciter les couples à garder le secret sur les conditions de conception de l’enfant, par peur d’immixtion d’un tiers dans leur vie familiale ; promotion d’une conception « biologique » de l’identité ; enfin, remise en cause indirecte du régime actuel de l’accouchement sous X.

Cependant, certains membres de la mission, dont le président, M. Alain Claeys, ont estimé que le débat sur cette question devait rester ouvert. Reprenant les propositions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (115), le président de la mission d’information a considéré qu’il fallait s’inspirer soit du modèle espagnol, qui permet un accès aux motivations et aux données non identifiantes du donneur, à la majorité de l’enfant, s’il le demande ; soit de la législation britannique, qui autorise une levée totale de l’anonymat à la majorité de l’enfant, s’il en formule la demande.

Le Conseil d’État a, quant à lui, étudié quatre solutions :

– une possibilité d’accès de l’enfant, à sa majorité et s’il le souhaite, à certaines catégories de données non identifiantes relatives au donneur de gamètes, catégories de données circonscrites par la loi et le règlement ;

– un régime de levée de l’anonymat à la majorité de l’enfant, optionnel pour les donneurs et pour les couples, dit encore système de « double guichet » ;

– un régime combinant un accès de tout enfant majeur le sollicitant à certaines catégories de données non identifiantes et la possibilité d’une levée de l’anonymat si l’enfant le demande et si le donneur y consent ;

– une possibilité d’accès de l’enfant, à sa majorité et s’il le souhaite, à l’identité du donneur.

La première option est considérée comme un « socle minimal » insatisfaisant. La deuxième rassurerait les donneurs et les parents mais pourrait aller contre l’intérêt de l’enfant. La dernière pourrait au contraire les effrayer.

Le Conseil d’État privilégie donc la troisième option, « qui a l’avantage de s’adapter à la demande des enfants sans faire prévaloir l’intérêt des adultes. Cette option a cependant comme limite de mettre la demande de l’enfant en situation d’impasse en cas de refus du donneur. »

E. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LE PROJET DE LOI : UN ACCÈS SYSTÉMATIQUE AUX DONNÉES NON IDENTIFIANTES ET UN ACCÈS ENCADRÉ AUX DONNÉES IDENTIFIANTES RELATIVES AU DONNEUR DE GAMÈTES

L’article 14 du présent projet de loi procède à la levée de l’anonymat en modifiant l’article L. 1211-5 du code de la santé publique.

En l’état actuel du droit, « le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée ».

Le même article prévoit en outre qu’il « ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’en cas de nécessité thérapeutique ».

L’article 14 maintient le principe de l’anonymat tout en prévoyant, par exception, la possibilité de sa levée dans trois cas de figures.

 L’accès aux informations identifiantes pour un motif thérapeutique

Tout d’abord, il est prévu que « seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès, en cas de nécessité thérapeutique, aux informations permettant l’identification de ceux-ci ». Demeurerait donc l’actuelle exception à l’anonymat du don de gamètes.

Cependant, dans la mesure où une nouvelle commission nationale, créée par l’article 16 du présent projet de loi, se verra transmettre toutes les informations identifiantes relatives aux donneurs par les médecins des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme, est-il véritablement nécessaire que ces derniers les conservent et continuent d’y avoir accès après le don ?

Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques précité évoque à ce titre « un double état civil géré par les CECOS ». Le sujet a également été soulevé par les associations d’enfants issus d’un don de gamètes lors de leur audition par la Commission spéciale. En effet, rien ne justifie la conservation de données identifiantes par les CECOS. En cas de nécessité thérapeutique, les informations médicales dont disposent les CECOS sont suffisantes pour informer le médecin traitant de l’enfant.

 L’accès systématique à des données non identifiantes à la majorité de l’enfant

L’article L. 1211-5 du code de la santé publique prévoirait désormais que « le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à l’accès, s’il le demande, de l’enfant majeur issu d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à des données non identifiantes relatives à tout tiers dont les gamètes ont permis sa conception. »

La nature des informations et les conditions d’accès aux données non identifiantes sont fixées aux articles 15 et 16 du présent projet de loi. L’article 14 se borne à en fixer le principe. Il faut noter que cet accès sera systématique pour l’enfant majeur qui le demande. L’accord du donneur n’est pas ici nécessaire.

 L’accès à des données identifiantes avec l’accord du donneur

L’article 14 prévoit enfin qu’« à sa demande et sous réserve du consentement exprès du ou des intéressés, l’enfant majeur issu d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur accède à l’identité de tout tiers dont les gamètes ont permis sa conception ».

L’expression « tout tiers donneur » désigne potentiellement trois cas :

– le donneur de spermatozoïdes ;

– la donneuse d’ovocytes ;

– les couples ayant recours à l’assistance médicale à la procréation et ayant consenti à ce que les embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental soient accueillis par un autre couple.

*

La commission adopte les amendements de suppression AS 174 du rapporteur, AS 90 de M. Paul Janneteau, AS 12 de M. Michel Vaxès et AS 237 de M. Olivier Jardé.

En conséquence, l’article 14 est supprimé et les amendements AS 158 et AS 159 de M. Jean-Yves Le Déaut, AS 131 et AS 132 de Mme Valérie Boyer deviennent sans objet.

Article 15

(articles L. 1244-2, L. 1244-7, L. 2141-5 et L. 2141-10 du code de la santé publique)


Information des donneurs et des couples demandeurs sur les conditions de la levée d’anonymat du don de gamètes et de l’accueil d’embryon

L’article 15 du projet de loi modifie le code de la santé publique afin de prévoir les modalités d’information des donneurs et des couples sur les conditions de levée de l’anonymat du don de gamètes.

1. L’information des donneurs de spermatozoïdes et des donneuses d’ovocytes

Le I de l’article modifie le chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie du code de la santé publique afin d’aménager les conditions d’information des donneurs de gamète, afin que leur consentement soit libre et éclairé.

Le modifie l’article L. 1244-2 du code de la santé publique pour prévoir les conditions d’information des donneurs de spermatozoïdes.

En l’état actuel du droit, cet article prévoit que « le donneur doit avoir procréé. Son consentement et, s’il fait partie d’un couple, celui de l’autre membre du couple sont recueillis par écrit et peuvent être révoqués à tout moment jusqu’à l’utilisation des gamètes. »

Le projet de loi précise qu’avant son consentement, le donneur est informé de la possibilité pour tout enfant conçu à partir des gamètes d’un tiers donneur, de demander, à sa majorité, d’accéder à certaines données non identifiantes et à l’identité du donneur s’il y consent. Cette information sera assurée par l’équipe médicale.

Le modifie l’article L. 1244-7 du code de la santé publique afin de prévoir l’information des donneuses d’ovocytes.

Aujourd’hui, la donneuse d’ovocytes est informée des conditions de la stimulation ovarienne et du prélèvement ovocytaire, des risques et des contraintes liés à cette technique, lors des entretiens avec l’équipe médicale pluridisciplinaire. Elle est aussi informée des conditions légales du don, notamment du principe d’anonymat et du principe de gratuité.

S’y ajouterait donc une information relative à la possibilité pour l’enfant issu du don d’accéder à des données non identifiantes sur elle, ainsi qu’à son identité, avec son accord.

2. L’information des couples et des donneurs dans le cadre d’un accueil d’embryon

Le II de l’article modifie le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, afin d’organiser l’information des couples acceptant l’accueil par un autre de leur embryon, ainsi que celle du couple qui l’accueille.

L’accueil d’embryon est une pratique très limitée en France. Autorisée par la loi du 29 juillet 1994, elle n’a été mise en œuvre qu’à partir du début des années 2000. C’est la conséquence directe de la pratique des fécondations in vitro qui consiste à concevoir plus d’embryons qu’on ne peut en transférer immédiatement pour augmenter les chances de réussite.

Les embryons dits « surnuméraires » sont conservés. En l’absence de maintien du projet parental se pose la question de leur devenir, si bien que le législateur a prévu en 1994 la possibilité d’un accueil de l’embryon par un autre couple.

Ainsi, en l’état actuel du droit, l’article L. 2141-5 du code de la santé publique dispose qu’ « à titre exceptionnel, les deux membres du couple peuvent consentir par écrit à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple ».

La possibilité de l’accueil des embryons d’un couple par un autre est également prévue en cas de décès d’un membre du premier couple. Si le transfert post mortem est aujourd’hui interdit, en revanche « le membre survivant » peut être « consulté par écrit sur le point de savoir s’il consent à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple ».

Après l’information et le recueil du consentement du couple à l’origine de la conception de l’embryon, il revient à l’autorité judiciaire d’autoriser l’accueil de l’embryon, après s’être assurée que le couple demandeur remplit les conditions légales d’accès à l’AMP et peut offrir au futur enfant des conditions d’accueil satisfaisantes.

Cette pratique est de fait aujourd’hui marginale, comme le montre le tableau ci-dessous. Elle n’en pose pas moins des problèmes de réels problèmes pour ce qui est du principe d’anonymat.

Nombre d’enfants nés vivants après don de gamètes par année et par technique

   

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Total

Don de spermatozoïdes

IIU

475

626

669

703

677

703

623

4 476

IIC

205

255

233

173

141

122

90

1 219

FIV

158

179

169

164

116

134

116

1 036

ICSI

94

96

95

113

148

128

170

844

TEC

43

44

43

40

40

63

56

329

Don d’ovocytes

FIV

   

18

66

35

41

51

390

 

ICSI

       

44

69

66

 
 

TEC

34

30

35

34

27

26

28

214

Accueil d’embryons

TEC

       

10

28

16

54

Total

 

1 009

1 230

1 262

1 293

1 238

1 314

1 216

8 562

Source : Agence de la biomédecine.

Le cas du « don » d’embryon est particulier au regard du simple don de gamètes. En effet, l’embryon a été conçu initialement dans le cadre d’un projet parental. Ce n’est que dans un deuxième temps que les parents décident d’en autoriser l’accueil par un autre couple dans le cadre de l’AMP. Par bien des aspects, la procédure rappelle celle de l’adoption. Le faible nombre de parents qui décident d’autoriser l’accueil des embryons par un autre couple témoigne à la fois de tout l’investissement nécessaire à leur conception et de l’espoir qu’ils peuvent représenter pour un autre couple. C’est pour cette raison que dans un avis rendu en 2005, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a suggéré que l’accueil d’un embryon fasse l’objet d’un traitement différencié en matière d’anonymat de don.

Cependant, comme le rappelle l’étude du Conseil d’État du 6 mai 2009 sur la révision des lois bioéthiques, l’accueil d’embryon n’est pas absolument assimilable à une adoption, car il s’agit d’autoriser une femme à porter un enfant qui lui est génétiquement étranger, comme à son futur père légal, ce qui pose avec acuité la question de la filiation et de la construction identitaire de l’enfant. Les enfants issus d’un accueil d’embryon ont en effet des frères ou des sœurs, non légaux, mais biologiques. À ce titre, comme le note Pierre Le Coz, vice-président du CCNE, le « don d’embryon ne manquera pas décupler les difficultés » posées par l’anonymat. C’est pourquoi les couples donneurs et les couples receveurs doivent être suffisamment éclairés avant de faire un choix.

Le modifie l’article L. 2141-5 du code de la santé publique afin que les couples autorisant l’accueil des embryons conservés par un autre couple soient informés des conditions de levée de l’anonymat avant leur consentement.

Il faut rappeler que le consentement à l’accueil d’embryons par un couple est obligatoirement précédé d’au moins un entretien entre d’une part, les deux membres du couple à l’origine de la conception de l’embryon ou le membre survivant et d’autre part, l’équipe médicale clinico-biologique pluridisciplinaire du centre d’assistance médicale à la procréation.

Cet entretien vise à informer le couple à l’origine de la conception des conséquences de l’accueil d’embryon sur la filiation, du principe d’anonymat entre les donneurs et le couple qui accueille l’embryon, et de la nécessité de la communication et conservation par le centre d’assistance médicale à la procréation de conserver des données sur la santé du couple donneur.

Il donc prévu par le projet de loi de compléter cette information en ajoutant que « préalablement au consentement », « les membres du couple, ou son membre survivant, sont informés de la possibilité, pour tout enfant né de l’accueil d’un embryon, de demander, à sa majorité, d’accéder à certaines données non identifiantes relatives aux personnes dont les gamètes ont permis sa conception et, sous réserve du consentement exprès de celles-ci, à leur identité ». Il s’agit d’un consentement écrit, qui fait l’objet d’un examen par l’autorité judiciaire.

Le modifie l’article L. 2141-6 du code de la santé publique afin de prévoir une information spécifique à l’attention des couples qui accueillent un embryon.

En l’état actuel du droit, cet article dispose qu’un couple qui remplit toutes les conditions pour avoir accès à l’assistance médicale à la procréation et pour lequel un couple pour lequel l’assistance médicale à la procréation sans recours à un tiers donneur ne peut aboutir peut accueillir un embryon.

Ce couple est préalablement informé des risques entraînés par la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation pour l’enfant à naître, avant l’autorisation de l’accueil par l’autorité judiciaire. L’information est délivrée au cours d’un entretien du couple désireux d’accueillir un embryon avec l’équipe médicale clinico-biologique pluridisciplinaire du centre autorisé à conserver les embryons en vue de leur accueil. Doit se joindre à cette équipe un médecin qualifié en psychiatrie ou un psychologue.

Le projet de loi complète cette information par la mention des conditions dans lesquelles l’enfant issu d’un accueil d’embryon « peut demander, à sa majorité, d’accéder à certaines données non identifiantes relatives aux personnes dont les gamètes ont permis sa conception et, sous réserve du consentement exprès de celles-ci, à leur identité ».

3. L’information des couples demandeurs dans le cadre d’un don de gamètes

Le modifie l’article L. 2141-10 du code de la santé publique afin de prévoir l’information des couples demandeurs de gamètes dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation sur la possibilité de levée de l’anonymat du donneur.

Aujourd’hui, la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation doit être précédée d’un entretien entre le couple demandeur et l’équipe médicale clinico-biologique pluridisciplinaire du centre d’assistance médicale à la procréation.

Cet entretien doit permettre notamment de vérifier la motivation de l’homme et de la femme, d’informer le couple des possibilités de réussite et d’échec de l’assistance médicale à la procréation et de ses modalités concrètes.

Lors de cet entretien, un dossier-guide est remis au couple demandeur. Celui-ci devra désormais contenir, en plus d’un rappel de la législation relative à l’assistance médicale à la procréation et d’un descriptif de ses techniques, un rappel des dispositions ouvrant « la possibilité pour tout enfant conçu à partir des gamètes d’un tiers donneur d’accéder à certaines informations à sa majorité ».

*

La commission adopte les amendements de suppression AS 175 du rapporteur, AS 91 de M. Paul Jeanneteau, AS 103 de M. Michel Vaxès et AS 238 de M. Olivier Jardé.

En conséquence, l’article 15 est supprimé et les amendements AS 128 de Mme Valérie Boyer, AS 160, 161 et 162 de M. Jean-Yves Le Déaut et AS 21 de M. Xavier Breton deviennent sans objet.

Article 16

(articles L. 2143-3, L. 2143-4, L. 2143-5, L. 2143-6 [nouveaux]
du code de la santé publique)


Modalités d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes

L’article 16 du projet de loi vise a introduit un nouveau chapitre III au titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, consacré à l’assistance médicale à la procréation.

Ce chapitre s’intitule « Accès à des données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes » et comprend onze nouveaux articles qui fixent les modalités concrètes d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes.

1. Principe et champ de la levée de l’anonymat

L’article 16 du présent projet de loi précise le champ de la levée de l’anonymat du don de gamètes.

Pour cela, il introduit dans le code de la santé publique un nouvel article L. 2143-1 qui prévoit que « pour l’application du présent chapitre, les notions de tiers donneur, de donneur ou de donneuse de gamètes s’entendent de toute personne, autre que les parents de l’enfant, dont les gamètes ont permis la conception de celui-ci dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation ».

Cette définition englobe en réalité trois catégories de donneurs : les donneurs de spermatozoïdes, les donneuses d’ovocytes et le couple qui, ayant eu recours à l’assistance médicale à la procréation, a choisi d’autoriser l’accueil des embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental à un autre couple.

Le projet d’article définit par ailleurs la levée de l’anonymat en introduisant dans le code de la santé publique un nouvel article L. 2143-2.

Celui-ci prévoit d’une part que « tout enfant conçu à partir des gamètes d’un tiers donneur peut, à sa majorité, accéder à des données non identifiantes relatives aux donneurs ».

Cette formulation appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, comme le préconisait la totalité des travaux préparatoires au présent projet de loi et comme dans la quasi-totalité des pays qui ont fait le choix de lever l’anonymat du don de gamètes, l’enfant issu d’un don ne peut accéder à des informations relatives au donneur qu’à sa majorité.

La seule exception notable est l’Angleterre, dont l’Open register act a autorisé aux enfants de seize ans l’accès à certaines données non identifiantes sur le donneur de gamètes. Il eut été envisageable d’ouvrir cette possibilité avec des mineurs, comme c’est le cas aujourd’hui pour présenter une demande auprès du Conseil national d’accès aux origines, à la condition d’avoir l’accord du tuteur légal. Cependant, ce choix n’a pas été fait par le projet gouvernemental. En effet, il s’agit d’une part de laisser à l’enfant seul le choix de recourir au droit qui lui est ici accordé, hors de toute autorité parentale.

Par ailleurs, et c’est un point important, l’accès aux données non identifiantes, telles que définies par le présent projet de loi, se fait sans l’autorisation du donneur. Encore une fois, c’est le choix qui a été fait par la totalité des pays où l’anonymat est partiellement ou totalement levé.

Le projet de loi prévoit en outre que tout enfant issu d’un don de gamètes « peut également, à sa majorité, accéder à l’identité du donneur, sous réserve du consentement exprès de celui-ci ».

Ce consentement écrit sera recueilli par écrit par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes.

2. Informations recueillies par le médecin au moment du don

Le projet de loi introduit un nouvel article L. 2143-3 dans le code de la santé publique, qui dispose qu’« au moment du don de gamètes le médecin recueille l’identité du donneur, ainsi que, sauf s’il apparaît de façon manifeste qu’elles permettraient son identification, des informations dont la liste est fixée par arrêté ».

Ces informations se divisent en deux catégories :

– les informations que le donneur à l’obligation de fournir : son âge, son état de santé, ses caractéristiques physiques. L’âge et l’état de santé étaient d’ores et déjà dans le dossier médical du donneur constitué par les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme au moment du don. En revanche, il conviendra de définir avec précision la nature de la description des traits physiques de chaque donneur, étant entendu que certaines caractéristiques pourraient permettre de l’identifier.

Il faut noter que l’article 33 du projet de loi prévoit que ces données seront accessibles aux demandes formées à compter du premier jour du treizième mois suivant la publication de la première loi, c’est-à-dire en réalité aux dons effectués bien avant sa promulgation. Le délai doit permettre la parution des décrets en Conseil d’État qui viendront préciser leur nature et les conditions exactes de leur divulgation par la nouvelle commission nationale ;

– les informations que le donneur n’a pas à fournir obligatoirement : sa situation familiale et sa catégorie professionnelle, sa nationalité et les motivations de son don.

Ces données seront en revanche accessibles aux demandes présentées à compter la publication de la présente loi, pour peu que les donneurs y consentent.

3. Conservation des données identifiantes et non identifiantes par les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS)

Le projet de loi introduit un nouvel article L. 2143-4 selon lequel « les données mentionnées à l’article L. 2143-3 sont conservées par les organismes et établissements mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 2142-1 dans des conditions garantissant strictement leur confidentialité ».

En l’état actuel du droit, l’identité et les données non identifiantes relatives au donneur sont conservées par les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS). Selon l’article R. 1244-5 du code de la santé publique, le dossier du donneur contient, sous forme rendue anonyme :

– les antécédents médicaux personnels et familiaux nécessaires à la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ;

– les résultats des tests de dépistage sanitaire ; le nombre d’enfants issus du don ;

– s’il s’agit d’un don de sperme, la date des dons, le nombre de paillettes conservées, la date des mises à disposition et le nombre de paillettes mises à disposition ;

– s’il s’agit d’un don d’ovocyte, la date de la ponction et le nombre d’ovocytes donnés ;

– le consentement écrit du donneur et, s’il fait partie d’un couple, celui de l’autre membre du couple.

Les praticiens agréés membres des CECOS sont responsables de la bonne tenue du dossier et de l’exactitude des informations qui y sont consignées. Ce dossier est conservé pour une durée minimale de quarante ans et, quel que soit son support, sous forme anonyme. L’archivage est effectué dans des conditions garantissant la confidentialité. Le donneur doit, avant le recueil ou le prélèvement des gamètes, donner expressément son consentement à la conservation de ce dossier.

Les informations touchant à l’identité des donneurs, à l’identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens des CECOS y ont accès.

Cette pratique, à l’origine instituée de manière informelle par les CECOS, se trouve aujourd’hui critiquée. Une association représentant les personnes issues d’un don de gamètes, auditionnée par la commission spéciale, a attiré l’attention des députés sur ce problème et affirmé que la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait déclaré n’avoir jamais contrôlé les fichiers détenus par les CECOS, alors même qu’il s’agit de données à caractère personnel.

Il convient donc de combler ce vide juridique. Pour cela, le projet de loi prévoit d’une part qu’un décret en Conseil d’État viendra fixer les conditions de conservation de ces données ainsi que sa durée.

Selon les informations communiquées par le Gouvernement, la durée de conservation devra être adaptée à son objet et couvrir le temps utile nécessaire comprenant le délai jusqu’à la majorité de l’enfant puis ensuite le temps de vie théorique de celui-ci. Contrairement au dispositif de la loi de 2002 sur l’accès aux origines des enfants nés sous X, les autres membres de la famille de l’enfant n’ont pas accès à ces données. Le décès du donneur devra donc mettre fin à la conservation des données identifiantes, dans la mesure où le CECOS en aura été informé. Si le CECOS disparaît les données comme les gamètes et embryons conservés seront confiées à un autre centre.

Surtout, les dispositions relatives aux conditions dans lesquelles sont traitées l’identité et les informations non identifiantes relatives au donneur ne pourront être prises qu’après l’avis de la CNIL.

4. Modalités d’accès aux données non identifiantes et identifiantes pour l’enfant issu d’un don de gamètes

Le nouvel article L. 2143-5 du code de la santé publique, créé par l’article, prévoit les modalités concrètes d’accès aux données identifiantes et non identifiantes du donneur par l’enfant issu d’un don de gamètes.

Il est tout d’abord prévu que l’enfant qui, à sa majorité, souhaite accéder aux données non identifiantes relatives au donneur recueillies au moment du don de gamètes, ou à l’identité du donneur, s’adresse à la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur.

En cas de demande d’accès aux données non identifiantes, la commission fait droit à cette demande après avoir vérifié que les données communiquées respectent le principe d’anonymat mentionné à l’article L. 1211-5 du code de la santé publique.

En cas de demande d’accès à l’identité du donneur, la commission y fait droit si ce dernier, après avoir été informé de la demande, consent expressément et par écrit à cet accès.

Le choix a été fait de demander son consentement au donneur au moment où la demande est formulée par l’enfant devenu majeur et non au moment du don. Non seulement une telle contrainte risquerait de faire baisser le nombre de dons, alors que la France connaît déjà une pénurie de gamètes. Mais elle serait contraire au respect du libre choix du donneur, quelles que soient ses motivations au moment du don, qui peuvent avoir changé. Par ailleurs, il conviendra de préciser le contenu de ce consentement, et s’il peut ou non comporter les raisons d’un éventuel de refus.

5. Composition, mission et fonctionnement de la nouvelle commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes

Il aurait été envisageable de confier la gestion de la levée de l’anonymat des dons de gamètes au Conseil National pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), créé par l’article premier de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État.

Ce conseil est en effet chargé d’accompagner les personnes dont les parents de naissance ont demandé la préservation du secret de leur identité et qui recherchent leurs origines.

Pour mémoire, ce conseil est composé de dix-sept membres :

– deux magistrats de l’ordre administratif et judiciaire ;

– six représentants des ministères concernés (action sociale, justice, intérieur, affaires étrangères, Outre-Mer, droit des femmes) ;

– un représentant des conseils généraux ;

– six représentants d’associations (défense des droits des femmes, défense du droit à la connaissance des origines, représentant des familles adoptives, des pupilles de l’État, des mères de l’ombre) ;

– deux personnalités qualifiées.

Cependant, le projet de loi a fait le choix de créer une nouvelle commission, pour différentes raisons.

La première tient à la différence fondamentale entre les enfants dont la mère a accouché sous X et les enfants issus d’un don de gamètes dans le cadre de la procréation médicalement assistée. Confier ces nouvelles missions au CNAOP créerait un parallélisme infondé entre la situation des enfants nés sous X ou abandonnés et celle des enfants nés d’une assistante médicale à la procréation avec un tiers donneur.

Par ailleurs, comme le rappelle l’étude d’impact, « le don de gamètes, conçu comme un acte solidaire et responsable, ne place, en aucun cas, le donneur dans une situation de dilemme ou de détresse assimilable à celle qui caractérise l’abandon d’enfant ».

Il faut noter également que la procédure appliquée aux enfants nés sous X diffère radicalement de celle qui est prévue pour la levée de l’anonymat. En effet, elle peut s’appliquer aux mineurs ou à leur tuteur et le parent lui-même peut initier une éventuelle rencontre avec son enfant. La logique n’est pas la même que dans la levée de l’anonymat du don de gamètes, où le donneur ne peut initier lui-même une rencontre avec l’enfant qui est né de son don.

Enfin, il convient de préciser que la composition actuelle du CNAOP ne lui permettrait pas d’examiner avec pertinence les demandes des enfants issus d’un don de gamètes. En tout état de cause, il faudrait scinder le conseil en deux commissions de compositions différentes. En effet, aucun médecin n’est présent dans l’actuel conseil, ni aucune personne qualifiée dans le champ de l’assistance médicale à la procréation.

Le projet de loi crée donc un article L. 2143-6 du code de la santé publique qui prévoit que la « commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes placée auprès du ministre chargé de la santé »est ainsi composée :

– d’un magistrat de l’ordre judiciaire et d’un membre de la juridiction administrative ;

– de représentants des ministères concernés ;

– de personnalités qualifiées dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation ainsi que dans le domaine des sciences humaines et sociales ;

– de représentants d’associations familiales.

On peut s’étonner que cette commission ne comprenne ni de représentants des donneurs, ni de représentants des personnes issues d’un don de gamètes et enfant des parents ayant eu recours à une procréation médicalement assistée avec tiers donneur. Le nombre total des membres du CNAOP n’est pas précisé. Sa composition précise sera fixée par décret en Conseil d’État.

Selon le nouvel article L. 2143-7 du code de la sécurité sociale, la nouvelle commission devra se prononcer :

– sur les demandes d’accès à des données non identifiantes ;

– sur les demandes d’accès à l’identité du donneur de gamètes ;

– à la demande d’un médecin, sur le caractère non identifiant de certaines données.

À leur majorité, les personnes issues d’un don de gamètes qui veulent obtenir des données non identifiantes ou des données identifiantes sur leur donneur, devront donc s’adresser à la commission nationale d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes, qui, comme le CNAOP, aura plusieurs fonctions :

– la première sera de demander communication des données non identifiantes et de l’identité du donneur recueillies et conservées par les CECOS.

Le nouvel article L. 2143-8 du code de la santé publique précise d’ailleurs que ces organismes seront tenus de communiquer ces informations à la commission nationale.

On peut s’interroger à ce propos sur la nécessité de laisser les CECOS conserver ces données, alors même qu’elles auront vocation à être transmises à la commission nationale ;

– la commission nationale pourra mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour retrouver les donneurs de gamètes afin de solliciter leur consentement et le recueillir.

À ce titre, le projet de loi introduit deux précisions.

La première prévoit que « la coordination et le secret en matière de statistiques, les administrations ou services de l’État et des collectivités publiques, les organismes de sécurité sociale et les organismes qui assurent la gestion des prestations sociales sont tenus de réunir et de communiquer à la commission sur sa demande les renseignements dont ils disposent permettant de déterminer l’adresse du donneur de gamètes. »

La deuxième mentionne explicitement le fait que lorsque, pour l’exercice de sa mission, la commission demande la consultation de document d’archives publiques, les délais prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, qui peuvent aller jusqu’à 75 ans, ne s’appliquent pas.

– la commission devra également gérer les modalités de communication des données non identifiantes et de l’identité du donneur aux personnes qui l’auront sollicitée ;

– elle sera enfin chargée d’accompagner les personnes issues d’un don de gamètes dans la recherche de leurs origines.

*

La commission adopte les amendements de suppression AS 176 du rapporteur, AS 104 de M. Michel Vaxès, AS 92 de M. Paul Jeanneteau et AS 239 de M. Olivier Jardé.

En conséquence, l’article 16 est supprimé et les amendements AS 163, AS 164, AS 165 et AS 166 de M. Jean-Yves Le Déaut deviennent sans objet.

Article 17

(article 16-8 du code civil)


Inscription dans le code civil de la levée de l’anonymat du don de gamètes

1. La levée de l’anonymat du don de gamètes est conçue comme une exception au droit commun du don d’éléments et produits du corps humain

L’article 17 du projet de loi modifie le code civil afin d’inscrire le don de gamètes comme une exception au principe d’anonymat, applicable aujourd’hui à l’ensemble des dons d’éléments et produits du corps humain.

En l’état actuel du droit, l’article 16-8 du code civil dispose qu’« aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur. » Il n’existe aujourd’hui qu’une seule exception à ce principe. En effet, le même article prévoit qu’en cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci.

L’anonymat du donneur est un droit civil, dérivé des principes d’inviolabilité et de non patrimonialité du corps humain, posés par l’article 16-1 du code civil, selon lequel « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits, ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »

L’article 16-8 du code civil est donc modifié afin de prévoir que le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à l’accès de l’enfant majeur issu d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, à sa demande, à des données non identifiantes relatives à tout tiers dont les gamètes ont permis sa conception.

En outre, il est précisé qu’il ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’à la suite d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, au bénéfice et à la demande de l’enfant majeur qui en est issu, et sous réserve du consentement exprès du ou des tiers dont les gamètes ont permis la conception de l’enfant.

Il s’agit donc bien, non pas de revenir sur le principe même de l’anonymat du don, qui s’appliquera aux autres éléments du corps humain tels que les organes ou le sang, mais d’établir une exception pour le seul don de gamètes.

2. L’absence de conséquence de la levée de l’anonymat sur la filiation

Les difficultés juridiques posées par la filiation en cas d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur sont autrement plus sérieuses que celles soulevées par une procréation assistée endogène, puisque traditionnellement, la filiation est l’expression juridique d’une parenté biologique réelle ou présumée (sauf cas particulier de l’adoption).

Le régime de la filiation qui s’applique aujourd’hui à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur tend donc à considérer comme un lien de droit des situations qui reposent d’avantage sur une volonté que sur la réalité biologique.

En l’état actuel du droit, l’article 331-19 du code civil dispose donc qu’« en cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation. »

En conséquence, aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur.

En outre, l’article 331-20 du même code dispose que le consentement donné par un couple à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation.

Il n’existe que deux exceptions à ce principe : lorsqu’il est soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou lorsque le consentement est privé d’effet, par le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête de divorce ou la cessation de la communauté de vie.

La levée de l’anonymat ne doit pas, en tout état de cause, remettre en cause le régime de la filiation qui s’applique aux enfants nés de dons de gamètes. C’est d’ailleurs le choix qui a été fait dans les pays qui ont autorisé la levée de l’anonymat du don de gamètes, à l’exception notable de l’Allemagne.

Le présent projet d’article vient apporter une précision rédactionnelle à l’article 311-19 du code civil, en prévoyant qu’aucune action en responsabilité ne peut être exercée « à raison du don ».

*

La commission adopte les amendements de suppression AS 177 du rapporteur, AS 105 de M. Michel Vaxès, AS 93 de M. Paul Jeanneteau et AS 240 de M. Olivier Jardé.

En conséquence, l’article 17 est supprimé.

Article 18

(articles 511-10 du code pénal et L. 1273-3 du code de la santé publique)


Dépénalisation de la divulgation d’informations relatives aux donneurs dans le cadre de la levée de l’anonymat du don de gamètes

L’article 18 du projet de loi modifie le code pénal et le code de la santé publique afin de dépénaliser la divulgation d’informations relatives aux donneurs dans le cas des dons de gamètes.

En l’état actuel du droit, les articles 511-10 du code pénal et L. 1273-3 du code de la santé publique prévoient que « le fait de divulguer une information permettant à la fois d’identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

Le projet de loi introduit donc une exception pour « les cas où la loi le prévoit », c’est-à-dire en l’occurrence les dons de gamètes, qui viennent s’ajouter à l’exception actuelle des dons d’organes entre personnes vivantes.

Il ne s’agit pas ici d’autoriser toute divulgation d’informations relatives au donneur, au motif que l’anonymat peut en droit être levé, mais bien de permettre les échanges d’information entre les CECOS et la nouvelle commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes.

Non seulement la rupture de l’anonymat entre donneur et receveur de gamètes sera toujours sanctionnée, mais également toute divulgation par les CECOS d’informations relatives aux donneurs hors du cadre désormais fixé par le code de la santé publique.

*

La commission adopte les amendements de suppression AS 178 du rapporteur, AS 106 de M. Michel Vaxès, AS 94 de M. Paul Jeanneteau et AS 241 de M. Olivier Jardé.

En conséquence, l’article 18 est supprimé.

Article 18 bis (nouveau)

Réglementation de la conservation des données détenues par les CECOS

L’article 18 bis, adopté par la commission spéciale, vise à préciser les conditions de conservation des informations relatives aux donneurs de gamètes par les CECOS, et à prévoir leur contrôle par la CNIL.

*

La commission examine l’amendement AS 179 du rapporteur.

M. le rapporteur. En l’état actuel du droit, l’identité et les données non identifiantes relatives au donneur de gamètes sont conservées par les CECOS. Les données non identifiantes, principalement de nature médicale, sont conservées dans un dossier qui peut être communiqué pour des raisons thérapeutiques. En principe, les informations touchant à l’identité des donneurs, à l’identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens des CECOS y ont accès.

Cette pratique fait l’objet de nombreuses critiques, allant jusqu’à la qualifier de « double état civil ». De fait, il semble que les conditions de conservation des informations relatives au donneur soient variables entre les CECOS. Surtout, et bien qu’il s’agisse de données à caractère personnel, la CNIL n’en a jamais contrôlé l’utilisation. Ce vide juridique peut mettre en danger l’anonymat des donneurs et créer inutilement un sentiment de défiance à l’égard des CECOS.

Je propose donc, d’une part, de réaffirmer le principe d’anonymat des informations conservées dans les CECOS, et d’autre part, de garantir leur confidentialité par un contrôle de la CNIL.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

TITRE VI

ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

Le titre VI du projet de loi est consacré à l’assistance médicale à la procréation. En effet, et comme le soulignait l’étude du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, l’AMP « met en cause nos conceptions de la famille et de la société. La rupture qu’entraînent les techniques de procréation "artificielle", tant sur le plan scientifique qu’anthropologique, est telle que le législateur les a encadrées par des règles strictes que l’on trouve tant dans le code civil que dans celui de la santé publique ».

Les questions auxquelles le projet de loi vise à apporter des réponses concernent l’autorisation de nouvelles méthodes d’AMP, la finalité et les conditions d’accès à l’AMP, ainsi que l’étendue du consentement donné par un couple sur le sort des embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental et susceptibles de faire l’objet de recherches.

*

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant article additionnel avant l’article 19.

Elle examine tout d’abord, en discussion commune, les amendements AS 195 du rapporteur et AS 127 de Mme Valérie Boyer.

Article 19 A (nouveau)

Don d’ovocytes par des femmes n’ayant pas encore procréé et autorisation d’absence au bénéfice des donneuses

Le présent article tend à favoriser le don d’ovocytes.

Notre pays souffre en effet d’une pénurie préoccupante, pénurie qui encourage le développement de pratiques contraires à l’éthique. Ainsi, même si le bénéfice d’un don de gamète ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d’une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d’un couple tiers, il semble bien que certains centres incitent des couples demandeurs à venir accompagnés d’une donneuse d’ovocytes, au profit d’un autre couple demandeur, en contrepartie d’un délai d’attente plus court. Ceci alimente les risques de rémunération occulte des donneuses.

Or, le code de la santé publique impose aux donneurs d’avoir déjà procréé : cette règle, qui constitue une spécificité française, a cependant deux conséquences : elle restreint le champ des donneurs potentiels et s’agissant plus particulièrement du don d’ovocytes, a pour effet que les dons proviennent de femmes plus âgées dont les ovocytes sont de moins bonne qualité.

Le présent article ouvre donc la possibilité aux femmes nullipares majeures de faire des dons d’ovocytes, et compte tenu du risque spécifique, quoique minime, d’infertilité auquel la procédure de stimulation ovarienne et de ponction ovocytaire les expose, leur permet de conserver une partie de leurs gamètes en vue d’une éventuelle AMP future.

Ces ovocytes pourraient être utilisés si ces femmes devaient se trouver confrontées à une infertilité et qu’elles répondaient aux conditions de droit commun d’accès à l’AMP.

*

M. Jean Leonetti, rapporteur. La pénurie d’ovocytes est patente en France. Ce n’est pas pour autant que nous souhaitons autoriser leur commercialisation comme l’a fait l’Espagne, où les donneuses d’ovocytes sont rémunérées et où les femmes qui ont besoin d’ovocytes les achètent. Refusant de nous orienter dans une telle voie, nous avons néanmoins réfléchi aux moyens de mieux indemniser les donneuses et de « compenser » les contraintes qu’imposent la stimulation et les ponctions ovariennes, lesquelles comportent en outre toujours un risque, même minime. Nous avons hier voté la reconnaissance symbolique de la Nation aux donneurs d’organes, de tissus et de cellules, sous une forme qui reste à déterminer : les donneuses d’ovocytes seront bien sûr concernées. Après examen de diverses propositions, nous en sommes restés à l’idée d’améliorer le remboursement des frais aujourd’hui accordé par les établissements hospitaliers et d’en raccourcir les délais, en restant fidèles à nos principes d’anonymat et de gratuité.

Une autre difficulté tient au fait que le don d’ovocytes n’est aujourd’hui permis qu’aux femmes ayant déjà un enfant. Une mission de l’IGAS réfléchit, à la demande de l’ancienne ministre de la santé, aux moyens d’améliorer le don d’ovocytes en France. Ouvrir le don d’ovocytes aux nullipares permettrait à la fois d’accroître la quantité d’ovocytes recueillis, mais aussi d’améliorer leur qualité, et partant les résultats de l’AMP, car ils seraient prélevés chez des femmes plus jeunes. En contrepartie de leur geste altruiste, on offrirait à ces femmes la possibilité de conserver à leur profit certains de leurs ovocytes, pour le cas où elles deviendraient ultérieurement stériles et auraient besoin d’une AMP. C’est ce que je propose dans mon amendement. N’y était initialement posée aucune limite d’âge spécifique pour l’utilisation de ces ovocytes. Il me semble qu’on pourrait raisonnablement en fixer une à 36 ans, ce qui est également l’âge limite fixé pour le don.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. Le Gouvernement n’est pas opposé à cet amendement. Dans l’attente des conclusions de la mission de l’IGAS, il s’en remet à la sagesse de votre commission.

M. Paul Jeanneteau. Pour pouvoir donner des spermatozoïdes, les hommes doivent avoir déjà des enfants, c’est-à-dire qu’on exige d’eux qu’ils aient été confrontés à la paternité. Si cet amendement était adopté, des femmes n’ayant, elles, jamais connu la maternité, pourraient donner leurs ovocytes. Cette différence de traitement pose, me semble-t-il, des problèmes éthiques. Je ne suis donc pas favorable à cet amendement.

M. Philippe Vuilque. Il me paraît au contraire aller dans le bon sens. Il répond d’ailleurs à une demande du corps médical. Je m’interroge en revanche sur l’idée d’instaurer une limite d’âge. Méfions-nous des couperets. Pourquoi ne pas laisser aux médecins une liberté d’appréciation face à la diversité des situations possibles ?

M. le rapporteur. Si mon amendement n’est pas rectifié, les donneuses pourront utiliser leurs ovocytes jusqu’à 43 ans, âge limite d’accès à l’AMP dans notre pays. Pourquoi pas ? La seule réserve est qu’on ignore si on peut conserver indéfiniment des ovocytes sans qu’ils s’altèrent. Mais c’est là un problème technique, pas éthique.

Mme Laurence Dumont. Je comprendrais mal qu’on fixe la limite à 36 ans, alors qu’elle est de 43 ans pour l’accès à l’AMP.

Mme Valérie Boyer. Je suis très attachée à l’égalité entre hommes et femmes, et donc à ce que les deux sexes soient traités de la même manière, chaque fois que c’est possible. Mais voilà près de quarante ans que seuls les hommes pouvaient conserver leur patrimoine génétique sans que cette inégalité ait jamais choqué personne ! Les femmes le pourront désormais aussi, si nous autorisons par la loi la congélation ultrarapide des ovocytes. Encore interdite en France, cette technique constituerait un grand progrès. La seule solution, aujourd’hui, pour nos jeunes concitoyennes souhaitant préserver leur fertilité future, avant de subir par exemple un traitement anti-cancéreux potentiellement stérilisant, est de se rendre à l’étranger, notamment en Espagne, pour y faire congeler leurs ovocytes selon cette technique. J’espère que nous allons enfin l’autoriser dans notre pays. Il faudrait en outre que le décret d’application soit pris le jour même de la publication de la loi ainsi que je le propose plus loin par l’amendement 122. Chaque jour qui passe représente une perte de chances pour ces femmes.

M. Xavier Breton. Je partage plutôt l’avis de Paul Jeanneteau. Si on a jusqu’à présent exigé des personnes qu’elles aient déjà des enfants pour pouvoir donner des gamètes, c’est pour s’assurer qu’elles mesurent bien la signification de leur don et la façon dont il pourrait interférer avec leur propre paternité ou maternité. Une personne qui a déjà procréé est en mesure de donner un sens à son don par rapport aux enfants qu’elle a déjà. Je comprends qu’on cherche à développer le don d’ovocytes. Il n’en faut pas moins conserver les conditions initialement posées, qui ne l’ont pas été par hasard.

En outre, si des personnes sans enfant, ayant donné leurs spermatozoïdes ou leurs ovocytes, devenaient, pour une raison quelconque, ultérieurement stériles, ne risqueraient-elles pas de rechercher les enfants issus de leurs gamètes, comme certains enfants conçus par don de gamètes recherchent aujourd’hui l’identité de leur donneur ? Nous aurions créé un nouveau problème.

Mme Jacqueline Fraysse. Aucune décision en ce domaine délicat n’est dénuée d’inconvénient. La ponction d’ovocytes est beaucoup plus contraignante, lourde, et même risquée, sur le plan médical que le recueil de sperme, et on manque cruellement d’ovocytes dans notre pays. La proposition du rapporteur me paraît tout à fait raisonnable. Elle se justifie même sur le plan médical.

M. Hervé Mariton. Si un don de gamètes est bien un don, je ne crois pas qu’il soit indispensable d’avoir expérimenté soi-même la paternité ou la maternité pour y procéder. Ce don est sans rapport avec le projet parental que l’on peut nourrir pour soi.

Pour lever toute ambiguïté et être sûr que cette possibilité de conservation de leurs ovocytes offerte aux donneuses ne crée pas, incidemment, un nouveau cas de recours à l’AMP, mieux vaudrait indiquer clairement que ces gamètes ne pourront être récupérés que si les conditions posées pour bénéficier d’une AMP sont remplies.

M. Philippe Nauche. La « compensation » proposée par le rapporteur pour le don d’ovocytes soulèvera inévitablement le problème de l’accès aux techniques d’AMP pour des raisons et dans des conditions autres que celles aujourd’hui prévues dans la loi. Sans vouloir nous inspirer de certaines pratiques qui ont cours à l’étranger, nous ne pourrons pas éviter le débat.

M. le président Alain Claeys. L’honnêteté intellectuelle exige de le souligner. Mais, pour ma part, je pense qu’il faut préciser qu’il ne s’agira que d’AMP dans un cas d’infertilité, comme prévu par la loi aujourd’hui.

M. le rapporteur. Il est beaucoup plus difficile de prélever des ovocytes que de recueillir des spermatozoïdes. La stimulation ovarienne et les ponctions ne sont pas des actes médicaux anodins. Il n’est donc pas scandaleux qu’on traite de manière différente les deux types de dons.

Pour ce qui est d’avoir déjà été parent avant de pouvoir donner ses gamètes, je ne vois pas ce que cela apporte et j’ai du mal à justifier cette condition. D’ailleurs, soyons cohérents dans nos votes. Nous avons décidé que le don de gamètes, précisément parce qu’il était un don, devait rester anonyme.

La pénurie d’ovocytes est aujourd’hui telle dans notre pays qu’elle constitue une situation scandaleuse que, de fait, nous acceptons. Les femmes ayant besoin d’ovocytes qui amènent avec elle une donneuse, passent avant les autres. Est-ce satisfaisant sur le plan éthique ? Quid des principes d’anonymat, voire de gratuité ? Je ne suis pas sûr que la donneuse soit dans tous les cas totalement désintéressée…

Mme Valérie Boyer. Une jeune femme peut avoir besoin qu’on lui sauvegarde des ovocytes parce qu’elle risque de devenir stérile, alors qu’elle n’est pas encore en âge de procréer ou ne vit pas encore en couple. Il faut lever toute ambiguïté à ce sujet et ne pas lier la conservation du patrimoine génétique féminin à un projet parental immédiat.

M. le rapporteur. Il me semble évident qu’on vise bien l’AMP dans les conditions de notre droit positif actuel. J’accepte néanmoins d’ajouter dans le I, après « assistance médicale à la procréation », les mots « dans les conditions prévues au titre IV du livre I de la deuxième partie du code de la santé publique ».

La Commission adopte ce sous-amendement du rapporteur.

Puis elle adopte l’amendement AS 195 ainsi sous-amendé.

En conséquence, l’amendement AS 127 tombe.

La Commission examine ensuite l’amendement AS 196 du rapporteur.

Article 19 B (nouveau)

Suppression de l’agrément individuel des praticiens exerçant des activités d’AMP ou de DPN

Le code de la santé publique prévoit que les professionnels habilités à pratiquer les activités cliniques et biologiques d’AMP ainsi que ceux autorisés à procéder aux DPN et DPI doivent être agréés individuellement par l’Agence de la biomédecine.

La mission d’information de notre assemblée avait recommandé la suppression de cet agrément individuel dans le cadre de l’AMP et du DPN.

Il s’avère tout d’abord que le nombre de refus est extrêmement faible. Selon l’Agence de la biomédecine, la structuration de la formation des personnels, le développement d’enseignements de bon niveau spécifiques aux activités encadrées et la transparence des résultats, assurée notamment par le suivi annuel de l’activité, expliquent sans doute la qualité des dossiers.

En outre, il existe désormais d’autres dispositifs visant à inciter les professionnels à améliorer la qualité et la sécurité des pratiques, en particulier la directive du 31 mars 2004 relative aux tissus et cellules humains, qui comporte plusieurs dispositions applicables aux gamètes. On peut ajouter les démarches de certification de type ISO ainsi que l’obligation de formation continue et d’évaluation des pratiques professionnelles qui s’imposent aux professionnels.

Enfin, le régime d’autorisation des établissements dans lesquels les activités biologiques et cliniques d’AMP ou de DPN peuvent être effectuées vise également à garantir la qualité de la prise en charge médicale.

Dès lors, le présent article supprime l’agrément individuel des praticiens dans le domaine de l’AMP et du DPN, tout en le maintenant dans le domaine du DPI, compte tenu des spécificités de cette activité.

Il complète le dispositif actuel en prévoyant que les centres d’AMP et de DPN devront faire appel à des praticiens « en mesure de prouver leur compétence ». Cette condition serait vérifiée lors de la visite de conformité réalisée par les services déconcentrés dans les établissements autorisés.

*

M. le rapporteur. Cet amendement supprime l’agrément individuel des praticiens ayant des activités d’AMP et de DPN. Ce sont les laboratoires qui seront agréés, pas les praticiens. Ceux-ci devront en revanche être en mesure de prouver leur compétence en ces domaines pour que les établissements puissent être agréés. Le respect de cette condition sera contrôlé à l’occasion de la visite de conformité.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. L’autorisation des structures répond à un objectif de planification et de régulation : il s’agit de parvenir à leur répartition la plus équilibrée possible sur l’ensemble du territoire. L’agrément individuel des praticiens vise, lui, à s’assurer de leur compétence et de leur expérience. Le retrait de son agrément au praticien d’une structure ne fait pas perdre à celle-ci son autorisation. Il ne nous paraît donc pas judicieux de lier agrément et autorisation.

M. le rapporteur. La mission d’information avait recommandé la suppression de l’agrément individuel des praticiens. Tout d’abord, le nombre de refus était extrêmement faible et selon l’Agence de la biomédecine elle-même, l’organisation de leur formation et l’excellent niveau des enseignements ne justifiaient pas une telle procédure. Ensuite, d’autres dispositifs permettent d’inciter les professionnels à améliorer la qualité des pratiques comme une directive européenne du 31 mars 2004 qui fixe désormais des normes de qualité et de sécurité dans l’obtention et le traitement des cellules et tissus humains. Enfin, le régime d’autorisation des établissements habilités à pratiquer l’AMP et le DPN vise aussi à garantir la qualité de la prise en charge médicale globale. Cette suppression ne représente aucun risque pour les patients.

La Commission adopte l’amendement AS 196.

Article 19

(Article. L. 2141-1 du code de la santé publique)


Autorisation des procédés utilisés en assistance médicale à la procréation ; règles de bonnes pratiques en matière de stimulation ovarienne

Le I de cet article vise à préciser les conditions dans lesquelles de nouvelles techniques d’aide médicale à la procréation seraient susceptibles d’être autorisées, tout en respectant deux principes : l’interdiction de création d’embryons à des fins de recherche, prévue par l’article L. 2151-2 du code de la santé publique, et l’interdiction de transférer, à des fins de gestation, des embryons ayant fait l’objet de recherches, mentionnée à l’article L. 2151-5 du code précité.

1. La genèse du dispositif en vigueur

Les techniques d’AMP ont connu de nombreuses évolutions depuis la naissance du premier « bébé éprouvette », telle que l’ICSI (l’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes), ou la vitrification ovocytaire.

Ces techniques innovantes ont parfois été mises en œuvre sans évaluation préalable, étant considérées comme de simples améliorations des techniques existantes. Ce fut le cas de l’ICSI au début des années 1990. Comme le rappelait l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, cette technique fut développée de manière tout à fait empirique et introduite en France sans évaluation préalable.

Rapport n° 1407 de l’OPECST sur l’application de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain,
à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal,
Alain Claeys, Christian Huriet (1999).

« La fécondation in vitro traditionnelle – si l’on peut appliquer ce qualificatif à une pratique médicale vieille de vingt ans à peine – consiste dans la mise en contact, dans un milieu de culture approprié, des gamètes de l’homme et de la femme préalablement recueillis et préparés, pendant quarante-huit heures environ. Ce qui se produit dans l’éprouvette dépend en partie du hasard. Aussi utilise-t-on plusieurs ovocytes pour augmenter le rendement de la méthode. La fécondation est suivie d’un transfert de l’embryon in utero, au stade de quatre à huit cellules.

Cette méthode, aujourd’hui techniquement éprouvée, a été assortie de quelques variantes (ZIFT et transfert intratubaire d’embryons) qui s’en différencient essentiellement par le lieu où s’effectue le transfert (trompe et non pas utérus) et n’ont jamais connu en France un développement significatif. Très opérante pour pallier les stérilités féminines, la FIV est en revanche inadaptée aux cas de stérilité masculine sévère (oligozoospermies et asthénospermies)  dont la fréquence pourrait s’accroître selon des études récentes.

Pour parer à ce type d’infertilité, a été mise en œuvre, dans un premier temps, la technique dénommée SUZI (subzonal insemination) consistant à injecter directement quelques spermatozoïdes sous la zone pellucide, au contact de la membrane de l’ovocyte. On peut ainsi effectuer une fécondation in vitro avec du sperme peu fécondant et éviter, en cas de succès, le recours à un tiers donneur. Mais le risque majeur que comporte cette méthode de fécondation assistée est celui de la polyspermie, c’est-à-dire la fécondation de l’ovule par plusieurs spermatozoïdes qui conduit à la conception d’un embryon non viable.

C’est à l’occasion d’une SUZI pratiquée au Centre de médecine de la reproduction de l’Université libre de Bruxelles qu’a été réalisée, accidentellement, la première ICSI : en tentant d’injecter des spermatozoïdes entre les deux membranes de l’ovule, le praticien a fait pénétrer un unique spermatozoïde dans le cytoplasme. Cette manipulation involontaire a conduit à une fécondation, puis à la naissance d’un enfant en 1992.

Compte tenu des taux de succès qu’elle a rapidement affichés, cette technique s’est répandue dans le monde entier comme une traînée de poudre. En France, après sa première réussite en 1994, l’ICSI a connu, comme on l’a déjà indiqué, une croissance quasi exponentielle en trois ans et tout donne à penser qu’elle est en passe de représenter prochainement plus de 50 % des fécondations in vitro.

Les pionniers de l’AMP ne s’en sont pas tenus là dans leur recherche des méthodes visant à combattre la stérilité masculine. En 1995, Jan TESARIK et Jacques TESTART annonçaient la naissance de deux enfants issus d’une technique de fécondation sans spermatozoïde baptisée ROSI (round spermatic injection) qui consiste à injecter dans l’ovule, non plus un spermatozoïde, mais une spermatide prélevée directement dans le testicule. Plus récemment (décembre 1997), Nikolaou SOFITIS, praticien de la FIV à l’Université de Yonago (Japon), faisait état de deux grossesses obtenues par SESI (secondary spermatocyte injection) où la fécondation se réaliserait à partir de spermatocytes de stade 2, prélevés dans la phase la plus précoce de la gamétogenèse.

Pour s’en tenir à l’ICSI, dont on peut considérer qu’elle est d’ores et déjà entrée dans une phase de routine, le débat reste ouvert sur ses conséquences touchant le développement des enfants conçus selon cette méthode »

La réflexion sur les conditions dans lesquelles des techniques innovantes d’AMP pourraient être autorisées sur le fondement d’une évaluation préalable a donc commencé à se faire jour à l’occasion des travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique de 1994.

Le rapport de la mission d’information préparatoire au projet de loi de révision des « lois bioéthiques » de juillet 1994 (116) soulignait ainsi l’exigence « que soit mis en place pour l’avenir un système d’évaluation et d’autorisation des nouvelles techniques d’AMP ».

Conformément aux préconisations de la mission d’information, l’Assemblée nationale adopta donc en 2001, lors des débats en première lecture, un amendement au projet de loi relatif à la bioéthique, prévoyant tout d’abord une évaluation in vitro de toute nouvelle technique d’AMP, sans transfert de l’embryon in utero, puis une autorisation de toute application clinique d’une nouvelle technique d’AMP.

Les difficultés soulevées par la question d’une autorisation des techniques d’AMP, reposant sur une évaluation préalable, n’avaient pas été mésestimées par la mission d’information: « force est de reconnaître cependant qu’aucun système d’évaluation ne pourra être totalement efficace. On ne saurait préconiser, en effet, de tester une technique en autorisant l’implantation d’embryons in vivo et encore moins de détruire l’embryon implanté issu de la technique évaluée si le danger de cette dernière devait être prouvé. Les évaluations ne pourront donc porter que sur les embryons in vitro. Dans ces conditions, on ne peut qu’accepter le caractère partiel de l’évaluation puisqu’il faudrait implanter l’embryon, le laisser se développer voire attendre la naissance de l’enfant sans être certain de l’innocuité totale de la technique évaluée. Il faut donc concilier différents principes. Votre rapporteur considère en l’espèce que la nécessité d’évaluer toutes les nouvelles techniques d’AMP, poussée à l’extrême, pourrait apparaître éthiquement inacceptable. »

Cette analyse devait être confortée par les débats, puisque ceux-ci consacrèrent deux principes s’opposant à celui d’une évaluation préalable des techniques innovantes d’AMP.

Le premier de ces principes, codifié à l’article L. 2151-2, interdit la constitution d’embryon à des fins de recherche. Or, comme le rappelait Axel Kahn à l’occasion de son audition par la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique (117), « pour effectuer des recherches sur l’infécondité, notamment sur les moyens d’améliorer le pouvoir fécondant d’un spermatozoïde ou la fécondabilité d’un ovule, la seule manière de tester l’efficacité des techniques est de pratiquer des fécondations in vitro, en fabriquant donc des embryons n’étant pas destinés à être implantés. C’est là accepter de créer des embryons hors d’un projet parental. »

Le second principe introduit par la loi de 2004, faisant obstacle à une évaluation pleine et entière d’une nouvelle technique d’AMP, figure au dernier alinéa de l’article L. 2151-5 : il s’agit de l’interdiction de transfert en vue d’une gestation d’embryons ayant fait l’objet de recherche. Or comme l’indiquait M Jean-Luc Bresson, chef du service de biologie du développement et de la reproduction au CHU de Besançon, lors de son audition par la mission d’information précitée, « l’évaluation des nouvelles pratiques d’AMP […] suppose des essais de fécondation, et donc nécessairement des transferts in utero d’embryons issus de ces fécondations. »

La voie était donc étroite entre le respect de ces principes, qui constituent le corollaire et la garantie du principe de l’irréductible singularité de l’embryon, personne humaine potentielle, et la mise en œuvre d’un régime d’autorisation des techniques innovantes d’AMP.

La solution de compromis retenue en 2004, proposée par le Gouvernement d’alors, a consisté à définir l’AMP, dans l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, comme « des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis de l’Agence de la biomédecine ».

2. Les difficultés soulevées par la rédaction actuelle de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique

La difficulté à trouver une voie médiane a persisté malgré le vote de cet article, puisque l’arrêté prévoyant de fixer la liste des techniques d’AMP d’effet équivalent n’a pu être publié. Cette difficulté résiderait dans la définition du degré d’innovation permettant de distinguer une nouvelle technique d’une technique existante.

Ainsi, selon le rapport d’information n° 2235 précité, pour l’ABM, les techniques innovantes et émergentes doivent être retenues dans cette liste « dans la mesure où elles peuvent être considérées comme de simples évolutions des techniques existantes. ». Pour la Direction générale de la santé, « seules les techniques ayant fait preuve de leur qualité, de leur innocuité, de leur efficacité et de leur reproductibilité peuvent figurer sur cette liste réglementaire. »

Le développement de la vitrification ovocytaire a récemment permis d’illustrer ces difficultés : la congélation des embryons ou des ovocytes par la méthode de vitrification, qui permet d’accélérer fortement la descente en température peut être analysée, soit comme une nouvelle technique de congélation, soit comme une évolution de la technique de congélation.

Le Professeur René Frydman a décrit lors de son audition par la commission spéciale le 16 décembre dernier, les difficultés auxquelles la mise en œuvre de cette technique a été confrontée : « Les premières congélations d’ovocytes ont été réalisées, grâce à la méthode dite de congélation lente, pour préserver la fertilité de femmes soumises à des traitements anti-cancéreux et leur conserver l’espoir d’enfanter un jour. À partir de 1985, est apparue dans les publications étrangères une nouvelle technique, pratiquée notamment par des équipes japonaises, la vitrification, qui semblait donner de meilleurs résultats. Souhaitant la tester, nous avons déposé des projets de recherche comparative auprès des instances habituelles, l’Agence de la biomédecine (ABM), l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le ministère. Ces trois projets en sont restés au stade de l’étude juridique. En effet, l’interprétation faite des textes aboutit à assimiler nouvelle méthode de conservation et création d’embryons pour la recherche. Aujourd’hui donc, en France, et contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins, la vitrification d’ovocytes n’est toujours pas pratiquée. Cet exemple montre que l’innovation est impossible : dès que l’on souhaite apporter des modifications en amont, aux milieux de culture ou aux techniques de conservation, c’est assimilé à de la recherche, donc interdit

En outre, aucune technique innovante d’AMP testée, mise au point et validée à l’étranger ne peut être mise en œuvre en France.

Enfin, comme l’indique le Conseil d’État dans son étude de 2009, « les recherches visant à améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation et impliquant la fécondation et / ou la réimplantation d’embryons doivent être considérées comme interdites depuis la loi de 2004. »

Dès lors, aucune expérimentation visant à améliorer une de ces techniques n’est possible si sa mise en œuvre peut s’analyser comme une recherche sur l’embryon faisant l’objet d’un projet parental.

Or, plusieurs demandes d’autorisation d’essais cliniques portant sur les milieux de culture, les techniques de fécondation et de congélation sont en attente d’instruction par l’AFSSAPS. On peut ainsi citer :

– des projets de vitrification ovocytaire ;

– un nouveau peptide, qui serait ajouté dans un milieu de fécondation existant et qui permettrait l’augmentation des taux de fécondation ;

– des essais de comparaison des techniques de vitrification embryonnaire et des techniques de congélation lente d’embryons ;

– un projet de recherche incluant un embryon mis au contact d’un nouveau PTA « ENDOCELL » constitué à partir de cellules de l’endomètre de la femme ;

– un projet impliquant l’IMSI (Intracytoplasmic Morphologically Selected sperm Injection) qui a pour but de comparer l’efficacité de la technique IMSI à la technique ICSI. L’IMSI consiste à sélectionner les spermatozoïdes utilisés en ICSI, en utilisant des microscopes plus puissants qu’en ICSI conventionnelle permettant de détecter les spermatozoïdes présentant des anomalies morphologiques, et donc à ne pas les sélectionner pour la fécondation.

Précisons que les recherches susceptibles d’expliquer le faible taux de réussite de l’AMP et, partant de contribuer à l’améliorer, ne sont interdites que pour autant qu’elles portent sur des embryons destinés à être implantés ou nécessiteraient de déroger à l’interdiction de créer des embryons à des fins de recherche. Mais il est également possible de contribuer à l’amélioration des techniques d’AMP dans le cadre de droit commun des recherches sur les embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental prévu à l’article L. 2151-5 du code de la santé publique. Ainsi, parmi les 47 protocoles de recherche autorisés par l’Agence de biomédecine peut-on citer l’exemple d’une recherche menée au CHU de Montpellier sur la régulation de la ségrégation chromosomique dans les ovocytes et les embryons préimplantatoires et l’effet de l’âge maternel.

3. Les différentes solutions envisagées

Dans le cadre des différents rapports publiés en vue des débats sur le présent projet de loi, plusieurs solutions juridiques ont été proposées afin de sortir d’une situation jugée insatisfaisante car figeant les techniques d’AMP et ne permettant pas d’apporter des améliorations susceptibles de faire baisser l’important taux d’échec de l’AMP.

L’OPECST (118)suggère tout d’abord que « toute technique ayant pour objectif d’améliorer les possibilités de développement in utero d’un embryon devrait être considérée comme un soin et non comme une recherche. » Mais rattacher à un régime de soins courants les techniques d’évaluation d’AMP resserre considérablement le champ des recherches possibles, compte tenu de la définition relativement restrictive que le code de la santé publique donne de la notion de soin (119).

Considérer par principe que toute recherche sur l’amélioration des techniques de l’AMP est un soin exigerait d’admettre soit que ces techniques n’ont aucun caractère innovant, soit que le critère d’innovation technique n’a pas de sens. Dans le premier cas, on peut s’interroger sur l’utilité de mener des recherches sur des techniques non innovantes ; dans le second, il faudrait admettre que même les techniques les plus novatrices sont assimilables à des améliorations de soins.

L’ABM (120) propose quant à elle « de considérer le transfert embryonnaire comme un domaine de la recherche clinique. Il serait ainsi soumis au régime des recherches biomédicales. Ceci serait sans doute une avancée simplificatrice car utilisant un dispositif existant sans exposer à des risques majeurs de dérive. » Mais cette solution ne paraît pas satisfaisante, à plusieurs titres : le dispositif de protection des personnes se soumettant à des recherches biomédicales est insusceptible de s’appliquer à l’embryon, sauf à modifier de manière radicale son statut juridique ; en outre, elle suppose que l’interdiction de procéder à un transfert d’embryon sur lequel une recherche a été effectuée soit levée.

Le Conseil d’État suggère de créer un régime spécifique d’autorisation des protocoles de recherche conduits dans le cadre d’activités d’AMP et visant à en améliorer les techniques. La recherche pourrait être autorisée si elle ne porte pas atteinte à l’embryon et après vérification de son innocuité à l’égard de la mère et du respect des principes éthiques. Les couples intéressés seraient informés du caractère expérimental de la technique mise en œuvre et des risques qu’elle peut impliquer pour l’enfant à naître.

Une telle solution n’est pas davantage satisfaisante. Ce dispositif circonscrit son champ aux recherches portant sur les techniques existantes ; pourtant la différence entre une innovation apportée à une technique existante et une technique pouvant être dite nouvelle est particulièrement discutable. Surtout l’expérience débutée in vitro ne pourra connaître son achèvement qu’in utero, battant ainsi en brèche l’interdiction de transfert d’un embryon ayant fait l’objet de recherche, alors même que, comme le souligne le Conseil d’État lui-même, des risques peuvent être encourus par l’enfant à naître.

La mission d’information de l’Assemblée nationale (121) a quant à elle entendu les arguments qui plaident en faveur de l’introduction d’un système favorable aux techniques d’AMP innovantes : il s’agit pour l’essentiel du fait que le progrès des techniques d’AMP est à la fois inévitable et nécessaire au regard des importants taux d’échec constatés aujourd’hui (122), et du fait que la recherche française est pénalisée par le statu quo, ses progrès étant subordonnés à ceux de la recherche étrangère.

Pour autant, votre rapporteur n’a pas souhaité que le régime actuel soit modifié et reste attaché au maintien des interdictions de création d’embryon à des fins de recherche et de recherche sur l’embryon destiné à naître. En effet, comme votre rapporteur l’avait déjà souligné dans le rapport d’information susmentionné, « la mise en place d’un dispositif qui rendrait possibles des expériences visant à améliorer les techniques d’AMP risque d’entamer la protection dont bénéficie l’embryon faisant l’objet d’un projet parental et de restreindre la portée d’un principe qui garantit que des essais sur l’homme ne puissent se transformer en « essai d’homme », selon la mise en garde de M. Jean-François Mattei. Juridiquement, il s’avère très difficile d’introduire un régime dérogatoire au dernier alinéa de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique sans remettre en cause l’interdit posé par ce dernier alinéa. De plus, les risques que se révèlent à terme des préjudices pour la santé de la mère ou de l’enfant ne sauraient être exclus et pourraient soulever immanquablement des questions de mise en jeu de la responsabilité particulièrement difficiles. »

La mission a en revanche préconisé que l’arrêté fixant les « techniques d’effet équivalent », prévu par l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, soit publié. Les techniques susceptibles d’y figurer devraient présenter des garanties de qualité, d’innocuité, d’efficacité et de reproductibilité. Ainsi, « si ces critères excluent de valider toute technique dont le caractère innovant apparenterait son application à une expérimentation, ils ne doivent pas écarter des techniques validées scientifiquement, auxquelles des professionnels à l’étranger recourent en tant que pratiques de routine et qui ont fait l’objet d’évaluations conduisant à considérer comme acceptable, parce que minimal, le risque encouru. »

4. Les dispositions du projet de loi

L’article 19 a pour objet de clarifier les dispositions de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique en posant le principe d’une liste qui déterminera les procédés qui pourront être mis en œuvre dans les centres d’AMP.

Le I de cet article modifie l’article codifié précité, en substituant au premier alinéa trois alinéas nouveaux.

Le deuxième alinéa du I de cet article propose tout d’abord de modifier la définition de l’AMP et de poser le principe d’une liste des procédés autorisés en AMP.

Les dispositions actuelles la définissent comme l’ensemble des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryon et l’insémination artificielle. À ces trois pratiques, le projet de loi ajoute celle qui consiste à conserver les gamètes, les tissus germinaux et les embryons, extension qui devrait permettre de lever les ambiguïtés actuelles entourant la pratique de la vitrification ovocytaire.

Une telle définition embrasse l’ensemble des pratiques mises en œuvre ou susceptibles d’être mises en œuvre à l’avenir dans le domaine de l’AMP. En effet, comme le souligne l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, il est peu probable que de nouvelles pratiques puissent voir le jour en dehors de celles énoncées dans le projet de loi : « l’AMP revient toujours à la fusion dans l’éprouvette de deux gamètes, masculin et féminin, à la mise en culture de l’embryon avant son transfert dans l’utérus de la mère, à la cryoconservation des gamètes et des embryons. Les deux "premières" dans le champ de l’AMP ont déjà été réalisées : il s’agit du premier bébé éprouvette et de la première ICSI ». Il est donc probable que cette définition présente un degré d’exhaustivité propre à garantir sa stabilité dans le temps et sa capacité à couvrir l’ensemble des pratiques d’AMP.

Une fois cette définition posée, la deuxième phrase du deuxième alinéa du I pose le principe d’une liste des procédés d’AMP autorisés, qui sera fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis de l’ABM. La rédaction de cette phrase appelle plusieurs commentaires.

D’abord, est introduite la notion de « procédé » utilisé en AMP. Ce terme figure depuis peu dans la partie réglementaire du code de la santé publique, où il a été introduit à la suite de la transposition de la directive « tissus cellules » (123; l’article R. 2142-3 dispose ainsi que les Agences régionales de santé doivent désormais délivrer une autorisation aux centres mettant en œuvre l’AMP après avis de l’ABM, qui porte sur « les procédés de mise en œuvre en matière de recueil, préparation, conservation et mise à disposition de gamètes, tissus germinaux ou embryons ».

Ensuite, cette liste n’a vocation à comporter que des procédés biologiques, et non les actes cliniques pratiqués sur la patiente, qui constituent en réalité des soins, voire seraient susceptibles de relever du régime des recherches biomédicales.

La troisième phrase du deuxième alinéa précise qu’un décret en Conseil d’État déterminera à la fois les modalités et les conditions d’inscription des procédés sur cette liste.

S’agissant des conditions, la dernière phrase du deuxième alinéa apporte quelques précisions.

L’inscription d’un procédé sur cette liste sera subordonnée à son efficacité, mais aussi à la sécurité de son utilisation pour la femme et l’enfant à naître. Votre rapporteur vous proposera, conformément aux préconisations du rapport d’information de notre assemblée, d’y ajouter un critère de reproductibilité.

En outre, l’étude d’impact accompagnant le projet de loi souligne que la fixation d’un critère tenant au respect des principes éthiques propres à l’AMP serait de nature à garantir que les innovations en la matière se situent en fait dans le domaine des procédés ; ainsi, le rappel de ces principes fondamentaux interdirait en tout état de cause que la constitution d’un embryon par clonage puisse jamais être considérée comme une pratique d’AMP et qu’un procédé de clonage puisse prétendre à une autorisation.

Le décret précisant les conditions d’autorisation des procédés d’AMP comportera donc des critères tenant notamment au respect des principes fondamentaux de la bioéthique prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil.

Cette rédaction appelle plusieurs commentaires : tout d’abord, l’étude d’impact soulignait qu’il convenait de ne pas dresser de liste exhaustive de ces principes afin d’éviter « le catalogue ou l’a contrario ». Pour autant, elle précisait que les principes auxquels il était fait allusion concernaient à la fois ceux posés par les articles 16 à 16-8 du code civil, mais aussi ceux inscrits dans le code de la santé publique, notamment l’anonymat, la gratuité et le consentement, ainsi que ceux plus spécifiquement applicables à l’AMP, comme l’interdiction du clonage, l’interdiction d’embryon à des fins de recherche, les critères médicaux d’accès à l’AMP.

Cependant, la dernière phrase du deuxième alinéa du I se contente de renvoyer aux seuls principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil.

En outre, nulle mention n’est faite dans ces articles de tels « principes fondamentaux de la bioéthique ». Ces articles figurent dans un chapitre II du Titre Ier du Livre I du code civil, consacré au « respect du corps humain ».

Le troisième alinéa du I de cet article prévoit qu’outre la souplesse apportée par le principe d’une liste des procédés autorisés, susceptible d’être modifiée, une souplesse supplémentaire résidera dans la possibilité pour le directeur général de l’ABM, après avis de son conseil d’orientation, d’autoriser des techniques constituant de simples adaptations de procédés existant.

Ces techniques ne seront autorisées que pour autant qu’elles permettent d’améliorer les résultats et la qualité d’un procédé, ces deux éléments devant être regardés comme des composantes de l’efficacité du procédé ayant conditionné son inscription sur l’arrêté d’autorisation susmentionné, ainsi que la sécurité de ce procédé.

À l’évidence, il sera délicat d’apprécier dans quelle mesure une modification constitue une simple technique d’adaptation d’un procédé, ou bien un nouveau procédé à part entière.

C’est la raison pour laquelle le quatrième alinéa du I prévoit qu’il appartiendra au conseil d’orientation de l’ABM de tracer la limite, dans les modifications sur lesquelles il sera amené à se prononcer, entre ce qui relève d’une simple technique et ce qui relève d’un nouveau procédé. Le cas échéant, la mise en œuvre de ce nouveau procédé sera subordonnée à son inscription sur la liste fixée par l’arrêté prévu supra, la procédure d’inscription ayant vocation à être précisée par le décret en Conseil d’État dont il a été précédemment question.

Le II de cet article concerne quant à lui les recommandations de bonnes pratiques encadrant la stimulation ovarienne.

Le dernier alinéa de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique prévoit que la stimulation ovarienne est soumise à des recommandations de bonnes pratiques, y compris lorsqu’elle est mise en œuvre indépendamment d’une technique d’AMP. En principe, ces recommandations devraient être édictées par l’Agence de la biomédecine, après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ainsi que le prévoit l’article R. 2141-1 du même code.

Toutefois, dans son rapport d’octobre 2008 précité, l’Agence de la biomédecine indique qu’il ne lui est jusqu’à présent pas apparu nécessaire de définir de bonnes pratiques, dans la mesure où l’AFSSAPS a rédigé, avec les professionnels et en lien avec l’agence, des recommandations de bon usage des médicaments inducteurs de l’ovulation.

Le II de cet article réaffirme la nécessité de normes spécifiques encadrant la pratique de la stimulation ovarienne.

Le deuxième alinéa du II de cet article précise tout d’abord qu’il ne s’agira plus seulement de recommandations, mais bel et bien de règles, ce qui semble devoir leur conférer un caractère plus contraignant.

Le deuxième alinéa du II précise en outre que ces règles ne seront plus fixées par l’ABM, qui ne s’est en effet pas saisie de cette compétence, mais d’un arrêté du ministre de la santé.

D’après les informations recueillies par votre rapporteur, il est nécessaire de fixer ces règles par arrêté afin de fournir un guide d’usage non seulement à l’égard des centres d’AMP, mais aussi des praticiens libéraux, qui pour l’heure n’ont pas pu y accéder.

*

La Commission examine l’amendement AS 152 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut.  Cet amendement prévoit que la liste des procédés biologiques utilisés en assistance médicale à la procréation est déterminée, non par arrêté ministériel comme prévu dans le projet de loi, mais par l’Agence de la biomédecine, sans recours à un décret en Conseil d’État pour préciser les modalités et les critères de leur inscription sur cette liste. S’il était adopté, Mme Boyer aurait toute assurance que la congélation ultrarapide des ovocytes, dite aussi vitrification, soit très rapidement autorisée !

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Mme la secrétaire d’État. Même avis.

La Commission rejette cet amendement.

Elle en vient à l’amendement AS 122 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Alors qu’il y a un an, la congélation ultrarapide des ovocytes, encore méconnue, semblait irréaliste, voire dangereuse, la communauté scientifique et médicale est aujourd’hui unanime sur son innocuité. Plusieurs études randomisées, qui ont fait l’objet de publications, ont démontré la faisabilité, l’efficacité et la supériorité incontestable de cette technique par rapport à la congélation lente. Partout en Europe et dans le monde, sauf en France, la vitrification est désormais autorisée pour les FIV et les dons d’ovocytes. Plus de mille enfants sont déjà nés à partir d’ovocytes vitrifiés.

Alors que notre pays était jusqu’ici réputé pour son excellence en matière de médecine de la reproduction, cette technique innovante y est toujours interdite. Les demandes d’évaluation déposées par plusieurs praticiens ont été refusées par l’AFSSAPS et l’Agence de la biomédecine en raison d’une interprétation particulièrement discutable des lois de bioéthique par le Conseil d’État qui, dans un avis de mai 2009, a assimilé la vitrification des ovocytes à une recherche sur l’embryon, ce qui, de fait, interdit l’utilisation de cette technique.

Pour faire naître les premiers bébés issus d’ovocytes congelés en France, le professeur Frydman a dû utiliser la congélation lente, dont le taux de réussite ne dépasse pas 2 à 3 %, quand celui de la vitrification atteint 40 à 45 %, soit à peu près le même niveau qu’avec des ovocytes frais. L’interdiction de cette technique, qui ne présente que des atouts sur le plan à la fois médical et éthique, est incompréhensible et inacceptable.

Afin que notre pays rattrape son retard et que les femmes aient rapidement accès à cette technique, il faut absolument, tel est l’objet de cet amendement, que l’arrêté ministériel et le décret en Conseil d’État nécessaires soient pris le jour même de la promulgation de la loi.

M. le rapporteur. Je comprends bien votre intention mais comment accepter un amendement ainsi rédigé ? Si l’arrêté et le décret n’étaient publiés ne serait-ce que le lendemain de la promulgation de la loi, ils seraient illégaux. Ce qu’il faut, c’est que le Gouvernement s’engage à ce que les textes d’application soient publiés rapidement.

Mme Valérie Boyer.  Nous attendons toujours la liste qui, selon la loi de 2004, aurait dû être établie par arrêté ministériel. Combien de temps devrons-nous attendre encore ? Des engagements ne peuvent suffire. Je n’y crois plus.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, impossible à satisfaire en pratique. L’élaboration des décrets exige une concertation et prend donc du temps. Soyez toutefois assurés que nous mettrons tout en œuvre pour que le décret en question soit publié le plus rapidement possible. Je m’y engage.

Je fais par ailleurs observer que la vitrification des ovocytes n’est pas interdite aujourd’hui en France lorsqu’il s’agit de préserver les chances de fécondité ultérieure d’une femme. Il est vrai en revanche que, dans l’attente de la publication des textes nécessaires, il n’est pas possible de féconder des ovocytes vitrifiés.

M. Philippe Vuilque. Notre pays doit impérativement rattraper son retard. N’écartons pas cet amendement d’un revers de main, au seul motif d’une maladresse de rédaction. Écrivons au moins que le décret doit être pris « le plus rapidement possible. » Les propos de la secrétaire d’État ne m’ont pas rassuré : on nous dit toujours la même chose.

M. Jean-Yves Le Déaut. Cet amendement, à lui seul, ne résoudrait rien car de toute façon, la vitrification ne fait pas partie des techniques autorisées d’AMP. Si la liste de ces techniques était fixée non par arrêté ministériel mais par l’Agence de la biomédecine, comme je le proposais tout à l’heure, le problème serait réglé depuis longtemps.

M. le rapporteur. Soyons des législateurs responsables. Nous ne pouvons pas écrire dans la loi que le décret doit être pris « le jour même de la publication de la loi », ce qui est impossible, ni « le plus rapidement possible », ce qui n’a aucune portée normative.

Mme Valérie Boyer.  Nous attendons depuis 2004. Comprenez notre impatience. Tous les jours, des femmes pâtissent du retard pris.

M. Philippe Gosselin.  Certaines lois disposent qu’un décret en Conseil d’État sera pris dans un délai maximal. Un délai de six mois me paraîtrait raisonnable.

M. Yves Bur. Le Gouvernement pourrait aussi, comme il l’a fait lors de la discussion de certains textes, présenter en séance publique, une ébauche du décret ou de l’arrêté. Ce serait la meilleure manière de prouver que ces textes sont quasiment prêts et que la défiance de certains de nos collègues est infondée.

M. le président Alain Claeys. C’est une excellente proposition.

Mme la secrétaire d’État. Je pourrais être d’accord avec un délai maximal de six mois. Pour l’instant, il n’y a pas d’ébauche de décret.

M. le rapporteur. La présentation en séance publique des grandes lignes du décret et de l’arrêté rassurerait en effet. Pour l’heure, je suggère que cet amendement soit retiré.

Mme Valérie Boyer. Je le maintiens, et s’il est rejeté, j’en proposerai un similaire au titre de l’article 88, en espérant avoir obtenu d’ici là des engagements concrets. Si nous en sommes réduits à cette façon de travailler, dont j’ai bien conscience qu’elle n’est pas satisfaisante, c’est que nous attendons depuis trop longtemps. Mais notre discussion n’aura pas été vaine.

La Commission rejette l’amendement AS 122.

Elle examine ensuite l’amendement AS 197 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’alinéa 3 dispose que les critères d’autorisation des techniques d’AMP se fondent sur le respect des principes fondamentaux de la bioéthique énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil. Par prudence, cet amendement précise qu’ils peuvent se fonder également sur d’autres principes, notamment du code de la santé publique, comme ceux d’anonymat, de gratuité et de consentement.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine l’amendement AS 198 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il est prévu que les critères d’autorisation des techniques d’AMP s’attachent à l’efficacité des procédés et à la sécurité de leur utilisation pour la femme et l’enfant à naître. Cet amendement ajoute le critère de reproductibilité, pour garantir toute fiabilité.

La Commission adopte cet amendement.

Puis elle adopte successivement l’amendement de coordination AS 199 et l’amendement rédactionnel AS 200 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 20 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Nous devrions fixer dans la loi un objectif de limitation du nombre d’embryons surnuméraires congelés. Il y en a aujourd’hui plus de 150 000, ce qui pose problème à de nombreux couples pour lesquels ils ont été conçus lorsqu’ils n’ont plus de projet parental, sans compter que ce stock important attise la convoitise de l’industrie pharmaceutique.

Nous proposons donc d’ajouter après l’alinéa 5 un alinéa ainsi rédigé : « La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et procédés qui permettent de limiter la conservation des embryons. L’Agence de biomédecine doit rendre compte dans son rapport annuel des actions engagées et des résultats obtenus pour atteindre cet objectif. »

M. le rapporteur. Les nouvelles techniques d’AMP, dont la vitrification des ovocytes, conduiront automatiquement, il faut s’en réjouir, à la diminution souhaitée du nombre d’embryons congelés. Parler de « limiter la conservation des embryons » ne me paraît pas approprié. Il faudrait dire plutôt « limiter le nombre d’embryons congelés ». Il ne me semble pas non plus qu’on puisse parler « d’objectif ».

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. Cet amendement est satisfait dans le cadre des bonnes pratiques et le développement des nouvelles techniques entraînera en effet mécaniquement une réduction du nombre d’embryons surnuméraires.

M. Jean Dionis du Séjour. Notre idée est de lier très étroitement les FIV aux projets parentaux et de réduire le nombre d’embryons qui seront soit détruits, soit utilisés pour la recherche.

M. Hervé Mariton. Cette idée forte mérite de figurer dans la loi. Je serais, pour ma part, favorable à l’amendement rectifié dans le sens proposé par le rapporteur.

M. le rapporteur. En réalité, je préférerais qu’il soit retiré et que nous réfléchissions sereinement à une meilleure rédaction. La loi ne peut imposer d’objectif particulier à la science.

M. Hervé Mariton. Il ne s’agit pas là de la science, mais des pratiques.

Mme la secrétaire d’État. Je m’en remets finalement à la sagesse de votre commission.

M. le président Alain Claeys. Je mets aux voix l’amendement ainsi rectifié par son auteur : « La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et les procédés qui permettent de limiter le nombre d’embryons congelés. L’Agence de la biomédecine rend compte dans son rapport annuel des actions engagées et de l’évolution du nombre d’embryons congelés. »

M. le rapporteur. Je persiste à y être défavorable.

La Commission rejette l’amendement AS 20 rectifié.

Elle examine l’amendement AS 77 de M. Olivier Jardé.

M. Olivier Jardé. Toutes les nouvelles techniques médicales doivent être évaluées, notamment de manière observationnelle. Cet amendement vise à ce que les enfants nés des nouvelles techniques d’AMP fassent l’objet d’un suivi annuel obligatoire jusqu’à l’âge de dix ans.

M. le rapporteur. Je comprends l’objectif mais je crains que ce suivi, sans apporter de sécurité supplémentaire, place ces enfants dans une situation singulière. Nous ne voudrions pas qu’ils se sentent comme les résultats d’une expérimentation.

M. Philippe Nauche. Un échantillon suffit à l’évaluation des techniques et le nombre d’enfants spontanément suivis est suffisant.

M. Philippe Vuilque. Je partage cet avis, d’autant qu’un suivi spécifique obligerait à informer l’enfant de son mode de conception, car il s’interrogera nécessairement. L’intention est louable, mais il en résulterait de nombreux problèmes pratiques.

M. Olivier Jardé. En matière de recherche médicale, on distingue recherche avec risque, recherche sans risque et recherche observationnelle. Pour cette dernière, il faut un échantillon suffisant. Or, lorsqu’on commence à mettre en œuvre de nouvelles pratiques, cet échantillon est nécessairement limité. Il est donc indispensable d’inciter, sinon d’obliger, à ce suivi, faute de quoi aucune évaluation n’est possible. Pour le reste, un examen médical annuel n’a rien d’anormal ni de traumatisant pour un enfant.

M. Hervé Mariton.  Cela oblige ses parents à l’informer de son mode de conception, sauf à lui mentir.

M. le rapporteur. Les parents qui ont dû recourir à ces techniques ont souvent envie de tourner la page. Pourquoi obliger à un suivi médical spécifique, comme s’il risquait d’arriver quelque chose d’anormal alors qu’il n’arrivera rien, et interférer avec le droit le plus élémentaire des parents de ne pas informer l’enfant de son mode de conception s’ils ne le souhaitent pas ? Il ne serait pas bon de les pousser à lui mentir.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable. La loi confie déjà à l’Agence de biomédecine le suivi des conséquences éventuelles de l’AMP sur les personnes qui y ont eu recours et les enfants qui en sont nés. Un suivi individuel spécifique de ces enfants reviendrait à les stigmatiser. On pourrait imaginer une étude conduite avec le consentement des parents, mais il n’est pas possible d’inclure ainsi a priori tous les enfants dans une étude.

La Commission rejette l’amendement AS 77.

Elle examine l’amendement AS 123 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement précise expressément que la technique de congélation ultra-rapide des ovocytes est autorisée. Je doute en effet que l’article 19, tel qu’actuellement rédigé, l’autorise.

M. le rapporteur. Mieux vaut un régime général d’autorisation pour toutes les nouvelles techniques – incluant la vitrification –, après s’être assuré qu’elles répondent aux critères d’efficacité, de reproductibilité et de sécurité. À énumérer dans la loi celles autorisées, nous risquerions de n’être jamais exhaustifs et ne pourrions suivre au plus près toutes les évolutions.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Cet amendement pose un véritable problème éthique car il revient à autoriser la création d’embryons pour la recherche. Son deuxième alinéa dispose en effet que l’Agence de la biomédecine mène une étude de qualité sur cette technique « permettant d’évaluer la préservation du gamète femelle par l’appréciation de son taux de survie, de sa fécondabilité et de sa faculté à supporter le développement embryonnaire préimplantatoire. »

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est pour cette raison là que je le soutiens. Il autoriserait en effet la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Ce serait un signal très positif pour le monde de la recherche. Lors de son audition, le professeur Frydman a regretté que la vitrification, autorisée partout ailleurs en Europe, soit interdite en France. Nous sommes toujours en retard d’un train, ce qui confirme d’ailleurs que le recours à un arrêté ministériel pour dresser la liste de ces techniques n’est pas la bonne option. Et ce sera encore pire lorsque les lois de bioéthique ne seront plus périodiquement révisées.

Mme Valérie Boyer. Si la loi ne prévoit pas expressément cette autorisation, je vois mal comment le Conseil d’État et l’Agence de la biomédecine pourraient se déjuger.

La Commission rejette l’amendement AS 123.

M. le président Alain Claeys. De peu ! Il y avait égalité des voix, ce qui vaut rejet.

M. le rapporteur. Il n’est pas exact de dire qu’avec la future loi, dont nous enrichissons le texte par nos amendements, la vitrification des ovocytes ne sera pas possible. Je m’en suis entretenu avec des scientifiques, notamment René Frydman. Si on mentionne expressément cette technique dans la loi aujourd’hui, faudra-t-il légiférer de nouveau à chaque nouvelle découverte ? Je comprends qu’on puisse faire valoir l’urgence et déposer des amendements d’appel pour interpeller l’exécutif. Ce n’est pas pour autant que nous pouvons inclure dans la loi des dispositions qui n’en relèvent pas. La loi doit être cohérente et édicter des principes généraux.

M. le président Alain Claeys. Nous avons là un point de divergence sur ce que René Frydman appelle « l’innovation thérapeutique ». C’est un sujet important sur lequel il est normal que des divergences s’expriment dans notre commission.

M. Jean-Yves Le Déaut.  Je ne suis pas d’accord avec le rapporteur. Si on ne mentionne pas expressément la vitrification des ovocytes dans la loi, son autorisation restera subordonnée à la publication d’un décret et d’un arrêté ministériel. Or, comme vous le savez, pour l’instant, d’après l’interprétation du Conseil d’État, cette technique est assimilée à une recherche sur l’embryon, laquelle est interdite en France sauf dérogation – et ce cas ne constitue pas une dérogation.

M. le rapporteur. Nous n’allons pas faire figurer dans la loi des dispositions réglementaires au motif que les décrets tardent à être publiés.

M. le président Alain Claeys. Je mets maintenant aux voix l’article 19 tel que modifié par les amendements adoptés.

La Commission rejette l’article 19 modifié.

M. le rapporteur. Vote malheureux qui supprime toute possibilité de nouvelle technique d’AMP dans notre pays !

M. Hervé Mariton. Je suis favorable à ces nouvelles techniques, d’autant que certaines d’entre elles permettront de limiter le nombre d’embryons surnuméraires. Nous avons eu tout à l’heure un large débat à ce sujet. Certains d’entre nous souhaitent clairement une limitation du nombre d’embryons congelés. Le fait qu’on ne nous entende pas explique vraisemblablement pourquoi cet article a été rejeté.

M. le président Alain Claeys. Je propose que nous y revenions à la fin de nos travaux.

M. le rapporteur. Cela est sage. Plutôt que d’additionner les oppositions à certains amendements, nous ferions bien d’additionner les adhésions à l’objectif de permettre des avancées en matière d’AMP afin d’adopter cet article, même s’il ne peut donner satisfaction à tous. Mettons à profit le temps qui nous est donné, avant que nous y revenions, pour nous assurer que l’article 19, modifié par les amendements adoptés, autorisera bien toutes les nouvelles techniques d’AMP.

M. le président Alain Claeys. Sur l’article 19, il y a lieu de procéder à une nouvelle délibération.

La commission est saisie de l’amendement AS 242 du rapporteur, tendant à une nouvelle rédaction de l’article 19.

M. le président Alain Claeys. Cet amendement de compromis constitue une bonne synthèse. Il fait référence à la liste des procédés biologiques, notamment la congélation ultra rapide des ovocytes, et il comporte un paragraphe qui devrait rassurer certains d’entre nous : « la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés. L’Agence de la biomédecine rend compte, dans son rapport annuel, des méthodes utilisées et des résultats obtenus ».

La commission adopte l’amendement et l’article 19 est ainsi rédigé.

Après l’article 19.

La Commission examine l’amendement AS 124 de Mme Valérie Boyer, portant article additionnel.

Mme Valérie Boyer. Il s’agit d’autoriser les centres d’AMP à conserver les gamètes. Le caractère privé des établissements ne remet pas en cause l’application de la législation qui encadre le prélèvement, la conservation ou le don de gamètes à titre gratuit, surtout depuis la loi HPST.

M. le rapporteur. La définition de l’AMP étant modifiée à l’article 19 pour inclure la conservation des gamètes, l’amendement est satisfait. Défavorable.

Mme la secrétaire d’État. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Article 20

(Article. L. 2141-2 du code de la santé publique)


Affirmation de la finalité médicale de l’AMP ; accès à l’AMP des partenaires d’un PACS sans condition de délai

Le présent article aborde deux questions ayant trait à l’AMP : celle de sa finalité et celle des conditions de sa mise en œuvre.

Aujourd’hui l’accès à l’AMP est subordonné à des critères médicaux, mais aussi sociaux.

S’agissant des critères médicaux, et conformément à l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, l’AMP est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple, deux cas de figure étant susceptibles de justifier le recours à ces techniques :

– une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ;

– un risque de transmettre une maladie d’une particulière gravité à l’enfant ou à l’un des membres du couple, ces dernières dispositions ayant été introduites par la loi de 2004 afin de permettre à des personnes atteintes de maladies virales, telles que le VIH ou les hépatites, de bénéficier d’une aide à la procréation.

S’agissant des critères sociaux, en vertu du dernier alinéa de l’article L. 2141-2 précité, l’accès à ces techniques est réservé aux couples composés d’un homme et d’une femme vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.

Il en résulte que le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’AMP, font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons.

Ainsi, l’encadrement issu des lois de 1994 traduit l’idée que la procréation naturelle doit constituer le cadre de référence de l’AMP, les limites apportées à l’une pouvant se justifier par comparaison avec l’autre.

Le 1° de l’article 20 du présent projet de loi vise tout d’abord à réaffirmer la finalité médicale de l’AMP.

Comme le rappelait le rapport n° 2235 de la mission d’information précité, dans le cadre des États généraux de la bioéthique, les membres du panel citoyen du forum de Rennes sur l’AMP ont jugé « essentiel que l’assistance médicale à la procréation reste réservée aux cas d’infertilité médicale », en soulignant qu’elle « ne doit pas être considérée comme une solution à tous les désirs d’enfants ».

Si, comme le relève le rapport final des États généraux de la bioéthique, les citoyens ont reconnu que le désir d’enfant était naturellement une raison essentielle de recourir à l’AMP, ils ont considéré que la satisfaction de ce désir était une conséquence possible de l’AMP et non pas sa finalité première. L’expression d’une demande ne suffit pas, selon eux, à justifier l’usage de ces techniques.

Dès 2004, la substitution de la notion « d’assistance médicale à la procréation » à celle de « procréation médicalement assistée » traduisait la volonté du législateur de souligner que ces techniques devaient être employées non pour satisfaire une demande d’enfant érigée en véritable droit, mais bien pour pallier l’infertilité médicalement constatée d’un couple.

Mais il apparaît que la loi actuelle ne traduit qu’imparfaitement cette conception de l’AMP. En effet, cet article prévoit, dans son premier alinéa, que « l’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple », avant de préciser, à l’alinéa suivant, les raisons médicales justifiant le recours à ces techniques (remédier à une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité).

Le 1° de cet article supprime donc le premier alinéa de l’article codifié, et ne maintient que le deuxième alinéa, lequel affirme la finalité médicale de l’AMP.

Le 2° de cet article s’intéresse lui aux critères sociaux auxquels est subordonné l’accès à l’AMP.

Conformément aux préconisations du Conseil d’État et de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, le présent article aligne les conditions d’accès à l’AMP des partenaires d’un PACS sur celles applicables aux couples mariés.

En effet, à ce jour les couples mariés peuvent accéder à l’AMP, sous réserve de la constatation médicale d’une infertilité pathologique ou d’une maladie d’une particulière gravité susceptible d’être transmise à l’enfant ou à un membre du couple, sans condition de délai. Les autres couples n’y ont accès que s’ils peuvent apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans.

Le deuxième alinéa du 2° allège la rédaction de la première phrase du deuxième alinéa de l’article codifié, en supprimant la référence au mariage et à la durée minimale de vie commune, qui sera réintroduite dans l’article codifié par l’alinéa suivant.

Le troisième alinéa du 2° ajoute donc une deuxième phrase au dernier alinéa de l’article L. 2141-1, en précisant que les couples, nécessairement composés d’un homme et d’une femme comme le précise le début de ce dernier alinéa codifié, ont accès à l’AMP s’ils peuvent attester d’une vie commune d’au moins deux ans ou, sans conditions de délai, s’ils sont mariés ou partenaires d’un PACS.

Votre rapporteur souhaite saisir l’occasion du débat ouvert par cet article sur les conditions d’accès à l’AMP pour soulever la question du critère des deux ans de vie commune subordonnant l’accès des concubins à l’AMP.

Cette condition, qui existe dans la loi actuellement en vigueur, pose d’abord des difficultés d’ordre pratique aux équipes médicales qui sont tenues de la vérifier. Celles-ci se fondent aujourd’hui sur des documents de nature diverse
– une facture, un contrat de bail ou un certificat de concubinage – en se montrant plus ou moins exigeantes ; en l’absence de document officiel permettant de prouver l’existence de la condition requise, le principe qui prévaut est celui de la liberté de la preuve. En effet, l’arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’AMP prévoit, dans son annexe, que les pièces exigées avant le recours à l’AMP comportent notamment un justificatif du mariage ou « tout document » apportant les éléments en faveur d’une durée de vie commune d’au moins deux ans, sans autre forme de précision.

Outre que la valeur probante de ces documents est largement sujette à caution, il s’avère que les médecins répugnent à jouer un rôle de contrôleur qui selon eux ne devrait pas leur incomber. Citée dans le rapport n° 2235 susmentionné, Mme Joëlle Belaisch-Allart, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Sèvres, s’était élevée contre ces dispositions, en déclarant : « nous, médecins, ne souhaitons pas être transformés en policiers, exigeant des pièces justificatives dont nous ne savons pas exactement lesquelles sont valables. »

De fait, la sociologue Dominique Mehl avait conclu que « la condition du concubinage stable et avéré depuis deux ans n’a jamais été appliquée : les médecins ne se sont jamais résignés à demander aux gens d’apporter la preuve de leur concubinage, considérant qu’ils n’avaient pas à entrer dans l’intimité des couples. »

Par ailleurs, la différence introduite entre les couples mariés et, grâce au projet de loi, pacsés, dont la stabilité est présumée et qui peuvent accéder à l’AMP dès le lendemain de leur mariage, et les couples non mariés, qui doivent apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans, n’est pas toujours comprise dans la pratique. Cette exigence peut apparaître pénalisante pour les concubins qui doivent attendre deux ans avant de pouvoir commencer un traitement, alors que l’âge de la femme est un facteur important du succès de l’AMP et que cette démarche intervient souvent tardivement dans la vie d’une personne.

Trois arguments s’opposent à la suppression de ce délai.

Le premier justifie son maintien par le fait qu’il constituerait la garantie d’un accès globalement uniforme sur le territoire à l’AMP. Pourtant, cette condition est d’ores et déjà appliquée de manière libérale par les équipes médicales, comme l’ont montré les travaux de la mission d’information. Ainsi, M. François Olivennes, gynécologue-obstétricien au centre AMP d’Eylau-La Muette, a-t-il expliqué devant les parlementaires que « cette disposition n’est pas respectée – par exemple, pour une femme de 38 ans qui vient de rencontrer l’homme de sa vie et qui devrait attendre encore deux ans pour être traitée. » En outre, lorsqu’un traitement susceptible d’altérer la fertilité de la femme est envisagé, ces dispositions seraient également contournées. Comme le disait Mme Joëlle Belaisch-Allart, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Sèvres, « lorsqu’une femme de 36 ans apprenant qu’elle a un cancer du sein qui exige une chimiothérapie, nous demande une FIV d’urgence, nous n’exigeons bien sûr pas le délai de réflexion d’un mois non plus que, si elle n’est pas mariée, les preuves d’une vie commune depuis au moins deux ans (…)»

Le second argument s’opposant à la suppression du délai de deux ans subordonnant l’accès des concubins à l’AMP tient au fait que cette durée serait à rapprocher des deux ans médicalement reconnus comme nécessaires pour évoquer, chez un couple, une difficulté à procréer. Mais l’existence d’un critère d’infertilité pathologique médicalement constatée suffit, pour votre rapporteur, à garantir que la suppression du délai de deux ans n’aboutisse pas à des AMP de confort. Les équipes médicales sont tout à fait capables d’apprécier lorsqu’un couple, quelle que soit la durée de leur vie commune, est confronté à une infertilité pathologique : elles le font déjà pour les couples mariés, elles le feront demain pour les couples pacsés. Dès lors pourquoi ne maintenir cette condition que pour les concubins ?

Enfin, le dernier argument s’opposant à la suppression de la condition d’une vie commune d’au moins deux ans tient à l’intérêt de l’enfant, qui doit pouvoir voir le jour au sein d’une famille présentant des garanties de stabilité. Votre rapporteur estime que même si un couple n’est ni marié ni pacsé, il présente nécessairement une certaine stabilité pour que les concubins s’engagent sur le chemin long, difficile et hasardeux de l’AMP. En tout état de cause, et indépendamment des critères spécifiques à l’AMP, le code civil lui-même reconnaît au concubinage une certaine stabilité, puisque l’article L. 515-8 le définit comme « une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité. »

Après avoir longuement soupesé les arguments en présence, votre rapporteur vous propose donc, rejoignant en cela les conclusions de l’OPECST, de supprimer le délai de deux ans de vie commune subordonnant l’accès des concubins à l’AMP.

*

La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS 136 et AS 137 de M. Alain Claeys et AS 113 de M. Noël Mamère.

M. Philippe Vuilque. L’amendement 136 vise à ouvrir l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires en âge de procréer, qu’elles soient fertiles ou pas. En outre, il supprime la condition de durée minimum de vie commune, qui ne permet pas de juger de la stabilité d’un couple et diminue les chances de succès de l’AMP au-delà d’un certain âge.

M. Noël Mamère. Avec l’article 20, nous abordons un point de divergence, celui de l’accès des couples homosexuels à l’AMP. Dans le cadre légal actuel, l’AMP relève de la logique médicale. Nous pensons pour notre part qu’elle a trait aux notions de projet de couple et de projet de famille, notions que nous avons défendues hier lors de la discussion sur l’anonymat des dons de gamètes.

Les couples et les familles d’aujourd’hui ne ressemblent pas à ceux du XIXe siècle ; les progrès scientifiques ont rendu possibles des projets de couples et de famille jusqu’alors inimaginables. On nous opposera que ce n’est pas à la loi de satisfaire le désir d’enfant d’un couple homosexuel et que le désir d’enfant des femmes célibataires peut être comblé par l’adoption. Mais les sociologues, les spécialistes de la famille et les philosophes que nous avons auditionnés considèrent que le moment est venu d’autoriser l’accès des couples homosexuels à l’AMP. N’en restons pas à la situation de 2004, ouvrons cette possibilité qui ne chamboulera pas l’ordre social de notre pays et permettra à la France de rejoindre un certain nombre de pays membres de l’Union européenne.

M. le rapporteur. Défavorable. L’accès des couples homosexuels à l’AMP, dont il a été débattu aux états généraux de la bioéthique, modifie la frontière entre le biologique et l’éducatif, entre le médical et le social, entre la satisfaction d’une souffrance et la compensation d’une anomalie.

Si l’on considère, de façon peut-être simpliste, que la bioéthique a trait à la médecine et que la médecine a pour but de prendre en charge et de remédier aux pathologies et aux anomalies, la ligne de partage paraît évidente : les avancées sociales ou sociétales n’appartiennent pas au domaine de la bioéthique, mais à un champ législatif autre.

Je fais la différence entre un couple homosexuel élevant un enfant né d’une précédente union et dont l’un des membres est considéré comme un partenaire éducatif, un tiers, un « beau-parent » – situation dans laquelle l’enfant peut s’épanouir en toute harmonie – et le couple homosexuel qui demande à la médecine de compenser son infertilité « sociale ».

Estimant que l’orientation sexuelle procède d’un choix, que l’homosexualité n’est pas une pathologie et que l’infertilité qui en découle n’est pas une maladie, je pense qu’il n’appartient pas à la médecine de répondre à cette demande et de compenser cette insatisfaction. Par ailleurs, dans un système de santé solidaire comme le nôtre, la médecine est gratuite, et l’aide apportée aux couples tout autant. Je rappelle que l’accès à l’AMP est payant dans les pays qui l’ont ouvert aux couples homosexuels.

En revanche, si l’AMP a pour objet de remédier à une infertilité médicalement constatée, le statut social du couple importe peu. Les références au mariage, au PACS ou au concubinage n’ont pas lieu d’être ; je vous proposerai donc de les supprimer. Par ailleurs, il n’appartient pas au législateur de fixer une durée de vie commune attestant de la stabilité du couple. Tout au plus cette question peut-elle être évoquée par le médecin, qui conduit son interrogatoire médical comme il l’entend.

Mme la secrétaire d’État. Je partage le point de vue du rapporteur et je suis défavorable à ces amendements.

M. Hervé Mariton. Considérer qu’il existe des situations différentes, auxquelles le législateur apporte des réponses différentes n’est pas faire preuve de discrimination. Si la société n’a pas à se prononcer sur l’homoparentalité de fait, situation où deux personnes de même sexe élèvent ensemble des enfants issus de relations hétérosexuelles passées, la revendication d’une homoparentalité ab initio s’inscrit dans un tout autre cadre. Portée par le « droit à l’enfant », elle demande à ce que la médecine, grâce à l’AMP, et la société, grâce à l’adoption, compensent l’absence du biologique et permettent au projet parental d’aboutir. Je distingue donc entre la parentalité « ordinaire », où le biologique joue tout son rôle et la parentalité « extraordinaire », où son absence est réparée par la médecine.

Ces amendements ouvrent aussi l’accès de l’AMP aux femmes célibataires. Mais au nom de quoi le projet affectif ne serait-il pas porté par plus de deux personnes ? La médecine et la société ne devraient-elles pas permettre des projets en « indivision », présentés par des groupes de trois personnes ou plus ? Cela déboucherait sur des schémas très complexes, qui, pour satisfaire le « droit à l’enfant », ne seraient ni dans l’intérêt de l’enfant, ni dans celui de la société.

L’exigence d’une durée minimum de vie commune permet au médecin de vérifier la réalité du projet de couple. Je comprends la position du rapporteur, mais je crains que la suppression des deux ans ne comporte un risque de dérive. Un médecin militant pourrait s’emparer de cette nouvelle possibilité pour soutenir des démarches différentes de celles pour lesquelles l’AMP a été conçue.

M. Noël Mamère. Monsieur le rapporteur, je ne crois pas que l’on puisse isoler comme vous le faites les questions médicales du champ social. Si les lois de bioéthique sont révisées, c’est qu’elles ont une implication dans la société et si nous avons maintenu hier l’anonymat sur les dons de gamètes, c’était précisément pour favoriser la construction sociale de la famille. Votre démonstration est quelque peu contradictoire.

Monsieur Mariton, le législateur n’a pas imposé une durée minimum de vie commune aux couples mariés, alors qu’ils peuvent divorcer le lendemain des noces. S’agissant du nombre de personnes pouvant être impliquées dans le projet parental, vous raisonnez par l’absurde. N’ayez crainte, nous sommes législateurs et responsables : notre proposition est réaliste et ne vise pas à transformer la France en un immense phalanstère !

M. Hervé Mariton.  J’ai décrit des possibilités.

M. Patrick Bloche. Notre groupe s’est prononcé en 2004 en faveur du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels. En toute cohérence, nous souhaitons aujourd’hui que ces couples puissent avoir accès à l’AMP.

Il existe un clivage certain entre l’opposition et la majorité sur la reconnaissance de l’homoparentalité. Je suis bien aise que nos collègues de droite constatent et acceptent l’homoparentalité de fait : on ne va tout de même pas empêcher des hommes et des femmes d’élever leurs propres enfants parce qu’ils vivent avec une personne de même sexe ! Mais hormis les prises de position marginales de Mme Bachelot et de Mme Morano, je crois savoir que la majorité présidentielle ne souhaite pas permettre à des personnes de même sexe d’avoir et d’élever ensemble des enfants.

Le rapporteur veut supprimer la durée minimum de vie commune et autoriser l’accès de l’AMP aux couples – hétérosexuels, bien sûr –, quels que soit leur statut et la durée de leur union. Dans un même souci de cohérence, l’amendement AS 137 propose d’ouvrir l’AMP aux femmes seules en âge de procréer, les personnes célibataires ayant déjà accès à l’adoption sous réserve de l’obtention d’un agrément. Une telle disposition rapprocherait la législation française de celles en vigueur en Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Le nombre de familles monoparentales qui existent dans notre pays rend inutile tout débat sur la nécessité pour un enfant de grandir entre un père et une mère.

M. Olivier Jardé. L’AMP est un traitement de l’infertilité, proposé au titre de la solidarité nationale. Elle ne constitue pas un fait sociétal. Il me semble que les femmes célibataires et infertiles devraient pouvoir en bénéficier.

Mme Laurence Dumont. Le raisonnement du rapporteur est très cohérent. Ai-je bien compris qu’il serait prêt à traiter de l’accès des couples homosexuels à l’AMP dans un texte qui ne serait pas de bioéthique, à condition de débattre de la gratuité de cette aide ?

Contrairement à ce qu’affirme Hervé Mariton, la société doit se prononcer sur « l’homoparentalité de fait » : les droits et les devoirs du deuxième parent doivent faire l’objet d’un examen législatif.

M. Michel Vaxès. J’estime que l’infertilité pathologique d’une célibataire doit ouvrir droit à l’AMP et je ne vois pas d’objection à ce que les couples homosexuels puissent adopter. Mais je ne soutiens pas ces amendements, qui procèdent d’un glissement du médical vers le social. Ils ouvrent droit à des demandes qui ne sont pas motivées par une pathologie ou par un risque de maladie grave. Si l’on accepte que ce glissement se produise, au nom de quel principe refusera-t-on demain les demandes de confort visant le diagnostic préimplantatoire (DPI) et la gestation pour autrui (GPA) ? Une mission d’information pourrait se pencher avec intérêt sur cette question.

Mme Jacqueline Fraysse. Je ne soutiendrai pas ces amendements car il me semble difficile, en l’état actuel de nos travaux, de prendre une décision aussi importante. La question de l’extension de l’aide à la procréation, hors du cadre médical, mérite d’être posée et ses conséquences correctement mesurées. En termes de coût, d’abord : l’AMP est remboursée par la sécurité sociale, tout comme la chirurgie esthétique réparatrice. Ce n’est pas le cas de la chirurgie esthétique pour convenance personnelle. Par ailleurs, si l’AMP est ouverte aux couples de femmes, la cohérence et le souci d’égalité voudront que l’on soit favorable, comme Noël Mamère, à la GPA, au bénéfice des couples d’hommes.

M. Yves Bur. Sortir du cadre médical, qui justifie le recours aux techniques de l’AMP, ouvrirait une brèche dans notre droit bioéthique et ferait tomber progressivement l’ensemble des barrières que nous avons posées.

La Commission rejette les amendements AS 136, AS 137 et AS 113.

Puis elle examine l’amendement AS 17 de M. Xavier Breton.

M. Hervé Mariton. Le PACS n’étant qu’un contrat patrimonial, il n’y a pas lieu d’aligner son régime sur celui du mariage et d’ouvrir l’AMP aux couples pacsés.

M. le rapporteur. Défavorable. L’AMP est un acte médical, autorisé sur critère médical. Pourquoi établir une distinction ou une hiérarchie entre les différents types d’union sociale ?

Mme la secrétaire d’État. Défavorable.

M. Jean Dionis du Séjour. L’intérêt de l’enfant doit primer. Or, le mariage suppose un engagement des futurs époux à pourvoir à l’éducation des enfants – article 213 du code civil –, ce qui n’est ni le cas du PACS, ni a fortiori du concubinage.

M. Philippe Vuilque. Cet amendement est rétrograde : rétablissant l’exigence d’une durée minimum de vie commune, il fait du PACS un pacte avec le diable, ignorant son importance sociale. Le PACS est un engagement, qui peut découler, comme le mariage, d’un projet familial !

M. Olivier Jardé. Faut-il rappeler que 52 % des enfants sont nés hors mariage l’année dernière ? L’AMP est un traitement médical : seul l’état médical de la personne doit être pris en compte.

M. Michel Vaxès. Vous ne pouvez pas à la fois rejeter l’accès des couples homosexuels à l’AMP, sous prétexte qu’il s’agit d’une demande sociale, et empêcher l’accès à l’AMP aux couples pacsés pour des raisons sociétales et idéologiques !

M. Noël Mamère. Les personnes qui ont trahi les engagements pris en vertu des articles 213 à 215 du code civil sont légion. Pourquoi luttez-vous encore contre le PACS, dont nous pouvons aujourd’hui mesurer le succès social ? Comme vous y a invités Olivier Jardé, soyez cohérents et allez jusqu’au bout de votre logique : si l’AMP est un traitement médical de l’infertilité, tous les couples infertiles, même pacsés, doivent pouvoir en bénéficier !

M. Hervé Mariton. L’amendement du rapporteur supprimant la condition de durée de vie commune minimum vient après le présent amendement. S’il venait à être adopté, il n’y aurait effectivement plus de raison de distinguer les différents types de liens conjugaux. Dans le cas contraire, il me paraîtrait cohérent d’apprécier différemment ces liens, qui, en vertu de la loi, entraînent des obligations différentes, ne se défont pas de la même manière, et portent des projets de durée variée.

M. Xavier Breton. Les articles 213 à 215 du code civil ne sont pas seulement destinés à être lus le jour du mariage ; ils entraînent des obligations dont le non-respect est sanctionné en cas de divorce, ce qui n’est pas le cas pour la rupture du PACS.

M. Patrick Bloche. J’ai l’impression d’être revenu à l’hiver 1998, dans l’hémicycle ! Les mêmes arguments étaient avancés alors.

M. Hervé Mariton. Nous n’avons pas contesté la légitimité du PACS !

M. Patrick Bloche. Notre collègue Olivier Jardé a rappelé que 52 % des enfants naissaient hors mariage. Certes, l’officier d’état civil donne lecture de l’article 213 du code civil, mais, et c’est heureux, les parents ont à l’égard de leurs enfants des obligations identiques, qu’ils soient mariés, pacsés ou qu’ils vivent en concubinage !

M. Hervé Mariton. C’est faux !

M. Patrick Bloche. Mais non.

M. le rapporteur. Notre code civil dissocie la filiation du statut du couple. Considérant que l’AMP est un ensemble de techniques pouvant bénéficier à un couple dont l’infertilité est médicalement constatée, le mode d’union de ce couple ne doit pas entrer en compte dans l’appréciation du médecin.

Hervé Mariton craint que des couples de circonstance ne se forment pour obtenir une AMP qui bénéficierait in fine à la femme, vivant en réalité avec une autre femme. Rappelons que l’infertilité doit être médicalement constatée, ce qui implique que ces femmes trouvent un volontaire stérile. Imaginer une telle arnaque me semble bien compliqué, plus compliqué que d’emprunter le Thalys pour se rendre en Belgique !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette, suivant l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement AS 114 de M. Noël Mamère.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 201 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à supprimer toute mention du mode d’union du couple pour ne considérer comme critère d’accès à l’AMP que l’élément de l’infertilité, dont le caractère pathologique doit être médicalement diagnostiqué. La stabilité du couple pourra s’apprécier tout au long du parcours de procréation !

Mme la secrétaire d’État. Défavorable. Si le législateur a souhaité faire de la stabilité du couple un critère d’accès à l’AMP, c’est dans l’intérêt de l’enfant. Je crains que la suppression de la condition d’une durée minimum de vie commune ne donne accès à l’AMP à des couples de circonstance.

M. Olivier Jardé. Les rendez-vous et les différentes démarches médicales précédant la mise en œuvre des techniques d’AMP s’étalent sur une période de dix-huit mois, pratiquement incompressible. Cela équivaut presque aux deux ans requis jusqu’alors.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS 5 de M. Jean-Sébastien Vialatte et AS 138 de M. Alain Claeys n’ont plus d’objet.

La Commission est saisie de l’amendement AS 78 de M. Olivier Jardé.

M. Olivier Jardé. En cas de décès brutal du conjoint, cet amendement vise à autoriser, à titre exceptionnel et dans un délai de trois mois, le transfert post-mortem d’un embryon ayant été conçu par AMP dans le cadre d’un projet parental.

M. le rapporteur. La mission d’information avait donné un avis favorable, sous certaines conditions drastiques, au transfert d’embryon post-mortem. Les états généraux se sont déclarés opposés à une telle disposition.

Si le conjoint décède après l’implantation de l’embryon, la femme peut décider de subir un avortement, ou de poursuivre sa grossesse. Mais si le conjoint décède avant l’implantation de l’embryon, la femme doit choisir entre trois possibilités, dont aucune ne semble humainement acceptable. Elle peut consentir à ce que l’embryon soit accueilli par un autre couple, à ce qu’il fasse l’objet d’une recherche ou à sa destruction.

Naître d’un père décédé constitue certes un handicap. Mais beaucoup d’enfants grandissent sans la présence de leur père. On peut considérer que le père, même décédé, est encore un père et une référence pour l’enfant.

Il faut par ailleurs garder présentes à l’esprit les conséquences successorales d’un transfert post-mortem. Afin de permettre à l’enfant d’hériter à sa naissance du père décédé, il conviendrait de prévoir un gel de la succession et la mise sous tutelle temporaire des biens du défunt. Le règlement de la succession serait alors subordonné à l’aboutissement de la grossesse.

Enfin, le transfert post-mortem pourrait donner lieu à un transfert de deuil pathologique. Mais n’est-ce pas le lot des orphelins que de devenir l’objet d’un transfert et de porter en eux le deuil d’un parent ? Aucune loi de bioéthique ne permettra de l’éviter.

Sous réserve d’expertise sur les conséquences juridiques en matière de droit civil et d’une réflexion sur le délai à respecter avant d’autoriser le transfert, je suis favorable à cette idée.

M. le président Alain Claeys. Je suis entièrement d’accord. Il est dans cette affaire un argument complètement dérisoire : celui, repris par tous les gouvernements successifs, du problème de la succession. J’ai souvenir d’une réunion d’arbitrage à Matignon où un éminent fonctionnaire de la Chancellerie n’en démordait pas !

Cette question du transfert post mortem est aussi abordée par deux amendements identiques après l’article 20, l’un de Mme Aurillac et l’autre que j’ai cosigné avec M. Le Déaut. Peut-être serait-il plus clair de les présenter maintenant.

Mme Martine Aurillac. Mon amendement est dans la droite ligne de l’exposé du rapporteur. Je rappelle que la question avait suscité l’accord de l’Académie de médecine et du Comité national d’éthique.

Une telle disposition doit être rigoureusement encadrée. D’abord, par des délais : le transfert ne doit pas avoir lieu avant six mois, afin de laisser du temps au travail de deuil et pour que la décision ne soit pas prise sous le coup de l’émotion et du chagrin, mais il doit être réalisé dans les dix-huit mois après le décès. Ensuite, il est soumis à autorisation de l’Agence de la biomédecine. Enfin, l’homme doit avoir donné son consentement qui est révocable à tout moment de son vivant.

En l’absence d’un tel dispositif, il ne reste plus à la femme que le choix entre le don à un autre couple – ce qui paraît assez extravagant s’agissant de son propre enfant, qu’elle a fait avec l’homme qu’elle aimait au point de vouloir élever l’enfant seule –, la destruction ou le don à la recherche. S’il n’est pas question d’écrire des lois de façon trop émotionnelle, cela n’empêche pas de les imprégner d’un peu de compassion et d’humanité.

Enfin, l’argument de la succession me choque tout autant que le président, et je suis étonnée, connaissant son humanisme, que le rapporteur le mette en avant. Il est évident que cette disposition doit être assortie de modifications dans le droit civil, en matière de filiation autant que de succession. Nous proposons que l’enfant soit réputé enfant vivant du père, avec une administration provisoire de la succession.

M. le président Alain Claeys. Les amendements déposés après l’article 20 me paraissent plus complets que le AS 78. Ils traitent notamment du problème de la succession. M. Jardé voudra peut-être se rallier à un amendement commun.

M. Hervé Mariton. Sauf que son amendement vise explicitement l’hypothèse d’un décès brutal. Je ne suis pas sûr que les vôtres puissent s’appliquer dans un tel cas.

Mme Martine Aurillac. Le projet parental doit être entamé.

M. le président Alain Claeys. Et le père avoir donné son consentement.

M. Philippe Vuilque. Nous partageons ce qui vient d’être exposé. Les cas sont rares, mais ils doivent être pris en compte. Et nous ne pouvons obliger la femme à choisir entre le don et la destruction de l’embryon. C’est une deuxième mort. Le dispositif paraît suffisamment encadré, avec le délai de six à dix-huit mois, la reconnaissance automatique de la filiation et les règles en matière de succession. Un amendement commun susciterait peut-être l’unanimité de la Commission.

M. Paul Jeanneteau. Je serais désolé de paraître manquer d’humanité ou de compassion, mais je suis très réservé. D’abord parce qu’on fait naître ainsi un enfant orphelin, et j’ai du mal à comprendre qu’on puisse délibérément faire ce choix. Ensuite parce que cet enfant portera d’emblée le poids psychologique très lourd de la réparation. Ce sera une sorte d’enfant thérapeutique. Enfin, sur un autre plan, je me demande sur quoi reposent vos délais : pourquoi six mois ? À cinq, le deuil n’est pas fini mais à sept, on ne prend plus sa décision sous le coup de l’émotion ?

Mme la secrétaire d’État. Je donne un avis défavorable à ces amendements. Ne parlons pas du cas où l’insémination a déjà été faite : c’est la situation d’une femme enceinte qui a perdu son mari. Mais si, bien que le projet ait été engagé, le décès du père a lieu avant le transfert, vous demandez à la société de s’engager à faire naître un orphelin, sans prêter la moindre attention aux difficultés psychologiques auxquelles sera confronté l’enfant né d’un deuil. On ne mesure pas suffisamment l’impact que cela aurait sur lui. On oublie son intérêt au profit de celui de la mère. Je ne veux pas avoir à imaginer la naissance d’un enfant deux ans après la disparition de son père.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai cosigné cet amendement, déjà présenté lors des deux lois précédentes. En 1994, il y avait eu une stricte égalité, il n’a donc pas été adopté. En 2004, il a été adopté en première lecture mais pas en deuxième. On est confronté aux mêmes arguments : vous nous reprochez de faire naître un orphelin. Mais de votre côté, vous rompez un contrat puisque c’est un projet parental, construit du vivant du père, qui a conduit à la conception d’un embryon in vitro. Et l’enfant, que vous dépeignez en si grande difficulté, reste l’enfant de l’amour de la mère et du père décédé.

Mme la secrétaire d’État. C’est un amour qui coûte très cher à l’enfant.

M. Jean-Yves Le Déaut. Mais il faut alors admettre qu’il soit détruit, alors que la mère souhaite l’élever… Le Parlement s’honorerait de mettre fin à dix-sept ans de non-droit.

Mme Valérie Boyer. Je soutiens ces amendements. Les diverses considérations qui ont trait à la psychologie ou à l’amour ne relèvent pas de la loi : chacun son histoire. En revanche, nous avons à régler le cas d’un embryon bien vivant, issu d’un couple qui a un projet parental. Le projet d’enfant existe, le projet de la grossesse est engagé ; il faut autoriser la femme à poursuivre.

M. Philippe Vuilque. Beaucoup d’orphelins n’ont pas connu leur père, parce qu’il est mort au front par exemple. Dès lors qu’un projet parental existe, une volonté précise exprimée par les deux parents, la position de la ministre me paraît difficilement explicable.

M. Xavier Breton. Ce sont des cas rares qui sont en cause, mais douloureux. Je rejoins les arguments de Paul Jeanneteau : il me semble important de distinguer entre les circonstances de la vie qui font un orphelin et le fait de créer volontairement cette situation. Par ailleurs, si l’on autorise la femme à poursuivre le projet du couple, que doit-on faire pour l’homme qui devient veuf ? La seule réponse, c’est la gestation pour autrui ! Si l’on va au bout de votre raisonnement, comment la société pourrait-elle refuser à l’homme dont la femme décède et qui a un embryon congelé, de l’utiliser ? Cela pose des questions immenses, y compris celle de la différence fondamentale entre hommes et femmes.

M. Yves Bur. Un cas de conscience supplémentaire dans cette discussion… En l’occurrence, j’aimerais connaître le nombre de situations visées. Il me semble qu’on aboutirait à légiférer en quelque sorte à l’unité. Je suis sensible aux arguments des deux côtés, mais peut-être un peu plus à celui du poids psychologique : il ne sera pas facile d’être cette sorte d’enfant témoin. Sans compter que la mère peut refaire sa vie… Le minimum me semble de recueillir l’assentiment du père, soit au début de la démarche de procréation assistée, soit en cours de pathologie. Mais compte tenu du fardeau imposé à l’enfant, je reste assez réticent.

M. le président Alain Claeys. Nous devons d’abord nous prononcer sur l’amendement AS 78 à l’article 20 de M. Olivier Jardé.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 20 modifié.

Article 20 bis (nouveau)

Autorisation du transfert d’embryon post-mortem

Le code de la santé publique, en disposant que l’accès à l’AMP est réservée aux couples vivants, interdit le transfert d’embryons créés dans ce cadre après le décès du père.

La mission d’information de notre assemblée, si elle avait conclu au maintien de l’interdiction des inséminations post mortem, avait toutefois préconisé l’autorisation du transfert d’embryons post mortem.

Elle avait tout d’abord considéré que l’embryon a été conçu dans le cadre d’un projet parental, qui a été rompu par un décès brutal mais qui existait bien et résultait de la volonté exprimée par chacun des membres du couple.

En deuxième lieu, elle avait estimé que la disparition de l’homme ne faisait pas disparaître les droits que la femme peut considérer avoir sur ses embryons.

En troisième lieu, la mission avait jugé que la possibilité de procéder ou non au transfert in utero d’un embryon ne doit pas s’évaluer dans l’absolu mais au regard d’autres voies possibles du devenir de l’embryon, personne humaine potentielle, à savoir la destruction, le don à la recherche ou l’accueil par un autre couple. En effet, à la différence de la situation créée par une demande d’insémination avec le sperme du conjoint décédé, les embryons ont été fécondés et existent déjà. La question est celle du devenir d’un embryon déjà conçu, et non de savoir s’il faut conserver ou non des gamètes. Dès lors, la destruction de l’embryon ou son accueil par un autre couple, alors que la femme qui est à l’origine de sa conception aurait souhaité le porter, ont pour effet d’ajouter au deuil un sentiment de profonde incompréhension.

Le présent article autorise le transfert d’embryons post mortem, selon un dispositif inspiré sur celui qui avait été adopté par l’Assemblée nationale lors de la première lecture de la loi bioéthique de 2004. Le transfert d’embryons sera autorisé par l’ABM, dès lors que le père y avait consenti. Ce transfert ne pourra avoir lieu qu’entre le sixième et le dix-huitième mois suivant le décès de ce dernier. Dans ces conditions, la filiation paternelle légitime ou naturelle, selon que le couple était marié ou non, sera établie et l’enfant sera appelé à la succession de son père.

*

La Commission est saisie des amendements identiques AS 1 de Mme Martine Aurillac et AS 139 de M. le président Alain Claeys.

M. le rapporteur. On voit bien que le débat sur la bioéthique ne se résume pas à ceux qui savent contre ceux qui ne savent pas – au bien contre le mal. C’est généralement un bien contre un bien – l’épanouissement qu’on souhaite à un enfant à naître, mais contrarié par la mort prématurée de son père. On peut vivre sans père et devenir Albert Camus ou Philippe Séguin. Chacun finit par trouver un chemin d’accomplissement.

Si l’on fait un parallèle avec le cas de ceux qui doivent subir une chimiothérapie ou une radiothérapie et qui conservent leurs gamètes pour s’en servir après la maladie, ces gamètes sont détruits en cas de décès. On n’hérite pas d’un produit biologique de son conjoint et il est normal que le sperme soit détruit à la suite du décès de l’homme.

Enfin, je ne voudrais pas que cette disposition généreuse ouvre un champ quelque peu mortifère, laissant imaginer à des couples dont l’homme serait atteint d’une pathologie incurable, avec une mort prévisible à brève échéance, qu’ils pourraient entamer une PMA, créer un embryon puis le faire implanter après le décès. Il faut trouver une formulation qui évite cela. L’expression de « décès brutal » qui figurait dans l’amendement AS 78 ne peut convenir, parce qu’elle n’a pas de définition. Mais on peut au moins préciser que le décès ne devait pas être prévisible au moment de la procréation – une notion qui existe en médecine. Seriez-vous favorables à un sous-amendement qui aille dans ce sens ?

Mme la secrétaire d’État. De mon point de vue, il ne changerait rien.

M. le rapporteur. Le père doit dire s’il consent à la poursuite de l’assistance médicale à la procréation dans l’éventualité de son décès. C’est à ce moment-là qu’il faut établir qu’il n’est pas atteint d’une maladie à l’échéance fatale prévisible. Le quatrième alinéa des amendements se lirait donc ainsi : « Le transfert des embryons peut être réalisé à la suite du décès de l’homme dès lors que celui-ci a donné par écrit son consentement à la poursuite de l’assistance médicale à la procréation dans l’éventualité de son décès non prévisible au moment du consentement à l’AMP ».

M. le président Alain Claeys. Le texte initial des amendements est celui qui avait été adopté par l’Assemblée en première lecture.

M. Paul Jeanneteau. Ce sous-amendement est encore pire ! On a droit au transfert post mortem si l’on meurt d’un accident, pas si l’on est emporté progressivement !

M. le rapporteur. Vous paraît-il envisageable qu’un homme atteint d’une maladie incurable à l’issue proche essaye de faire un embryon pour léguer à sa femme un enfant à naître ? Sans compter les conséquences successorales… Je renonce à ce sous-amendement écrit trop vite, mais j’attire votre attention sur ce danger.

M. le président Alain Claeys. Nous verrons cela en séance. Pour l’instant, les amendements sont mis aux voix tels quels.

La Commission adopte les amendements identiques AS 1 et AS 139.

Après l’article 20

M. le président Alain Claeys. Nous en revenons aux amendements portant articles additionnels après l’article 20.

La commission examine tout d’abord l’amendement AS 18 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. En vue de limiter la production d’embryons surnuméraires, il convient de préciser qu’un seul embryon est conçu pour répondre à la demande du couple. Ce dispositif existe déjà dans d’autres pays, en particulier l’Allemagne, où il est tout à fait opérationnel.

M. le président Alain Claeys. Notre rapporteur est défavorable à cet amendement. Il n’est pas souhaitable d’interdire la constitution et la conservation d’embryons surnuméraires, tout d’abord parce que cette pratique est bien encadrée, ensuite parce que son interdiction réduirait considérablement les chances de réussite de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Ajoutons à cela que le débat est potentiellement derrière nous grâce aux perspectives ouvertes par la vitrification ovocytaire.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 24 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. En l’état actuel de notre droit, un couple peut consentir, au début d’une procédure d’AMP, à ce que des embryons soient utilisés à des fins de recherche. Nous proposons que le consentement ne puisse être recueilli qu’après le succès de l’AMP, lorsqu’il existe un embryon implanté et amené à vivre.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je suis hostile à cet amendement. Un couple ayant déjà subi un échec ne voudra pas s’exposer à un second. Les embryons surnuméraires seront alors systématiquement voués à la destruction. Je rappelle que l’AMP n’est couronnée de succès que dans 30 % des cas : c’est une procédure longue, difficile et douloureuse.

M. Xavier Breton. Loin d’être détruits, les embryons seront conservés tant que l’AMP n’aura pas réussi. L’abandon du projet parental est un autre sujet.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Avis défavorable.

Le code de la santé publique prévoit qu’un couple, après avoir consenti à la mise en œuvre d’une AMP, doit consentir de façon distincte à la conception d’embryons surnuméraires lorsqu’elle est nécessaire – je précise que les dispositions adoptées à l’article 19 devraient permettre d’en réduire considérablement le nombre. À cette occasion, le couple est informé des possibilités du devenir des embryons surnuméraires dans l’hypothèse où ils ne feraient plus l’objet d’un projet parental.

Lorsque les embryons conçus dans le cadre d’une AMP ne sont pas de qualité suffisante pour être implantés, le couple peut consentir à ce qu’ils fassent l’objet d’une recherche dans le cadre de l’article L. 2151-5. Il ne s’agit pas là d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental, mais d’embryons qui ne peuvent pas être transférés – dans le cas, par exemple, d’une maladie génétique incurable décelée lors d’un diagnostic préimplantatoire.

Il est effectivement prévu que le consentement du couple peut être recueilli en même temps que son consentement à la mise en œuvre d’une AMP. La mission d’information s’en étant émue, le ministère de la santé a justifié cette disposition en expliquant que « revenir auprès du couple pour ce consentement, si aucun embryon n’est de qualité suffisante pour un transfert ou une conservation, paraît délicat, risque d’être mal accepté psychologiquement et d’aboutir à un refus. »

La commission rejette l’amendement.

Article 21

(Article. L. 2141-4 du code de la santé publique)


Consentement des couples à l’utilisation des embryons surnuméraires pour la recherche

Les techniques d’AMP conduisent actuellement à la création d’embryons surnuméraires.

Le code de la santé publique exige, pour l’utilisation à des fins de recherche des embryons et des cellules souches embryonnaires, le consentement des couples, et ce à plusieurs stades.

L’article L. 2141-3 prévoit tout d’abord que le consentement du couple doit être recueilli en vue de la conception d’embryons surnuméraires. À cette occasion, il se voit délivrer une information sur les possibilités de devenir de ces embryons surnuméraires dans l’hypothèse où ceux-ci ne feraient plus l’objet d’un projet parental.

Le code de la santé publique exige, pour l’utilisation d’embryons et des cellules souches qui en sont dérivées à des fins de recherche fondamentale, le consentement des couples, et ce à plusieurs stades.

Lorsque les embryons conçus dans le cadre d’une AMP ne sont pas de qualité suffisante pour être implantés, comme lorsqu’un diagnostic préimplantatoire a révélé la présence d’une anomalie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable, le couple peut consentir à ce que ces embryons fassent l’objet d’une recherche fondamentale, dans le cadre de l’article L. 2151-5.

Notons que le décret n°2006-121 relatif à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires précise que ce consentement peut être recueilli en même temps que le consentement à la constitution d’embryons surnuméraires, le ministère de la santé, consulté dans le cadre des travaux de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, ayant justifié cette disposition par le fait que « revenir auprès du couple pour ce consentement, si aucun embryon n’est de qualité suffisante pour un transfert ou une conservation, paraît délicat, risque d’être mal accepté psychologiquement et d’aboutir à un refus. »

Enfin, l’article L. 2141-4 actuel du code de la santé publique dispose que, dans le cadre d’une consultation annuelle du couple sur le devenir des embryons surnuméraires concernés, lorsque les membres du couple déclarent ne plus avoir de projet parental, ou en cas de décès d’un des membres du couple, le couple ou le membre survivant doit faire connaître son choix entre trois possibilités :

– l’accueil par un autre couple ;

– la recherche, dans le cadre de l’article L. 2151-5 ;

– la destruction de l’embryon.

En toute hypothèse, le consentement est exprimé par écrit et confirmé de la même manière après un délai de trois mois.

Notons qu’en cas de désaccord entre les membres du couple sur le devenir des embryons, ou lorsque l’un des deux membres du couple, consulté à plusieurs reprises, ne répond pas sur le point de savoir s’il maintient son projet parental, l’embryon est détruit s’il a été conservé pendant au moins cinq ans. Il en va de même lorsque le couple a consenti à l’accueil de l’embryon par un autre couple, mais que cet accueil n’a pas eu lieu dans les cinq ans ayant suivi le recueil de ce consentement.

La rédaction actuelle des dispositions relatives au consentement des couples à l’utilisation des embryons surnuméraires dans le cadre d’une recherche ne vise que les recherches autorisées par l’ABM sur le fondement de l’article L. 2151-5, dans le cadre des dérogations au principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon.

Mais la recherche progresse et est en train d’arriver à la phase des essais cliniques : une thérapie cellulaire portant sur le tissu cardiaque devrait passer à court terme en phase d’essai.

Or à aucun moment le couple n’est informé ni ne consent à la mise au point et à l’utilisation, dans le cadre d’une recherche biomédicale, d’une préparation de thérapie cellulaire utilisant des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires humaines.

Le présent article a donc pour objet de prévoir que le couple donne son consentement à l’utilisation de l’embryon dans le cadre d’une recherche dans les conditions prévues à l’article L. 2151-5, mais aussi des cellules souches dans une préparation de thérapie cellulaire susceptible d’être testée dans le cadre d’une recherche biomédicale.

Le 1° de cet article modifie l’article L. 2141-4 afin de créer des paragraphes permettant de rendre ce dernier plus lisible. Les dispositions prévoyant que les couples sont consultés chaque année sur le maintien de leur projet parental constitueront donc le premier paragraphe de l’article codifié.

Le 2° de cet article substitue au deuxième alinéa de l’article codifié cinq alinéas regroupés dans un deuxième paragraphe.

Les deuxième et troisième alinéas du 2° reprennent les dispositions actuelles de l’article codifié en aérant leur présentation. Ils rappellent que lorsque le couple n’a plus de projet parental ou en cas décès d’un des membres du couple, le couple ou le membre survivant a le choix entre trois options, la première d’entre elle étant l’accueil des embryons surnuméraires par un autre couple.

Le quatrième alinéa du 2° concerne la deuxième option proposée aux couples ou au membre survivant du couple, c’est-à-dire le consentement à ce que l’embryon fasse l’objet d’une recherche.

La rédaction actuelle de l’article L. 2141-4 parle d’une recherche dans les conditions prévues à l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, c’est-à-dire les recherches menées sur le fondement des autorisations délivrées par l’ABM, dans le cadre des dérogations prévues à l’interdiction de faire des recherches sur l’embryon. Cette disposition est maintenue.

Elle est complétée par la référence aux cellules dérivées à partir des embryons, c’est-à-dire aux cellules souches prélevées sur l’embryon, dérivées en cellules spécialisées, puis entrant dans une préparation de thérapie cellulaire à des fins exclusivement thérapeutiques mentionnées à l’article L. 1125-1.

Cet article figure au titre II du Livre 1er du code de la santé publique consacré aux recherches biomédicales, c’est-à-dire aux recherches organisées et pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales.

L’article L. 1125-1 dispose que les recherches biomédicales « portant sur les organes, les tissus, les cellules d’origine humaine, les spécialités pharmaceutiques ou tout autre médicament fabriqués industriellement de thérapie cellulaire, de thérapie génique ou de thérapie cellulaire xénogénique, les préparations de thérapie cellulaire mentionnées à l’article L. 1243-1, les préparations de thérapie génique mentionnées au 12° de l’article L. 5121-1, les préparations de thérapie cellulaire xénogénique mentionnées au 13° de l’article L. 5121-1, ou les produits sanguins labiles » ne peuvent être menées qu’après autorisation de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et que les greffes ou les transfusions réalisées dans le cadre de telles recherches ne peuvent être pratiquées que dans un nombre limité d’établissements.

Le quatrième alinéa du 2° fait également référence au quatrième alinéa de l’article L. 2151-5. Mais la numérotation des alinéas de cet article codifié change du fait des modifications apportées par l’article 23 : le quatrième alinéa de l’article L. 2151-5 devient le troisième alinéa, il convient donc de corriger cette erreur de référence.

Le troisième alinéa de l’article L. 2151-5 pose plusieurs principes : la recherche ne peut avoir lieu qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une AMP et ne faisant plus l’objet d’un projet parental ; elle n’est effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple ou du membre survivant, lesquels sont informés des possibilités d’accueil de l’embryon par un autre couple ; le consentement est révocable tant que la recherche n’a pas commencé (124).Ces principes s’appliqueront donc de la même manière aux recherches biomédicales faisant appel aux produits de thérapie cellulaire utilisant des cellules souches embryonnaires.

Le consentement du couple à ce que des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires entrent dans une préparation de thérapie cellulaire sera sollicité chaque année, dans le cadre de la consultation du couple sur le maintien ou non se son projet parental et dans le cas contraire, sur le devenir des embryons surnuméraires. Un couple pourra également changer d’avis et faire obstacle à un essai clinique recourant à une préparation de thérapie cellulaire comportant des cellules dérivées de lignées de cellules souches embryonnaires.

Enfin, notons que le consentement des couples à des essais cliniques recourant à des préparations de thérapie cellulaire comportant des cellules souches embryonnaires sera sollicité pour les embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental, mais pas pour les embryons faisant l’objet d’un projet parental, mais n’étant pas de qualité suffisante pour être transférés ou conservés. Ce cas de figure est visé par l’article L. 2141-3, et le consentement des parents à ce que l’embryon fasse l’objet d’une recherche doit être recueilli.

D’après les informations recueillies par le rapporteur, il n’est pas utile, par coordination, d’élargir également le champ du consentement des couples aux éventuels essais cliniques recourant à des préparations de thérapie cellulaire recourant à des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires, dans la mesure où il n’est pas possible de dériver des cellules spécialisées de bonne qualité à partir de ces embryons.

Les cinquième et sixième alinéas du 2° de cet article reprennent les dispositions actuelles du code de la santé publique, en précisant que la troisième option offerte au couple est la destruction de l’embryon et en rappelant que le consentement est exprimé de manière écrite et fait l’objet d’une confirmation après un délai de réflexion de trois mois.

Le 3° de cet article est une disposition de coordination.

*

La commission est saisie de trois amendements AS 19 de M. Xavier Breton, AS 202 du rapporteur et AS 168 de M.  Jean-Yves Le Déaut soumis à discussion commune.

M. Xavier Breton. Nous demandons que tout protocole de soins impliquant le recours à des cellules souches embryonnaires arrivant à un stade de recherche clinique fasse l’objet d’une autorisation de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de médecine (AFSSAPS), mais aussi de l’Agence de biomédecine (ABM), cette dernière nous semblant plus compétente en la matière, surtout au vu de ce que nous avons appris ces derniers temps…

M. le rapporteur. Il y a sans doute un chaînon manquant dans la procédure : il conviendrait d’instaurer une autorisation spécifique pour la préparation de thérapies cellulaires faisant appel à des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires dans la perspective de tests en rapport avec une recherche biomédicale. Cela étant, je vous suggère de retirer l’amendement pour travailler, avec le Gouvernement, à une rédaction comblant l’ensemble du vide juridique actuel.

M. le président Alain Claeys. Pouvez-vous apporter quelques précisions sur ce point ?

M. le rapporteur. L’article 21 est quelque peu ambigu, car il ne traite que du consentement d’un couple à ce qu’un embryon fasse l’objet d’une recherche, et non du régime des recherches en tant que tel.

Il existe aujourd’hui deux régimes différents : d’une part, le régime prévu par l’article L. 2151-5, qui ménage des dérogations au principe d’interdiction des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, des recherches pouvant être menées à condition d’avoir une autorisation de l’ABM ; d’autre part, le régime des recherches biomédicales, qui concernent des essais cliniques conduits sur une personne afin de tester certains produits avec l’autorisation de l’AFSSAPS.

Qu’en est-il des produits comportant des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires humaines ? Le débat s’est malheureusement engagé un peu tard avec le Gouvernement sur ce sujet. Je l’ai dit, il manque un chaînon. En effet, nous ne sommes plus directement dans le cadre de l’article L. 2151-5 mais plutôt dans celui des recherches biomédicales. L’amendement ne me paraissant pas régler entièrement le problème posé par le partage des compétences, je préférerais qu’il soit retiré.

M. Xavier Breton.  Je le maintiens, tout en étant prêt à le retirer en séance si le Gouvernement prend un engagement à ce propos.

M. Jean-Yves Le Déaut. En application de l’alinéa 6, les cellules dérivées à partir d’embryons qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental peuvent entrer dans une préparation de thérapie cellulaire « à des fins exclusivement thérapeutiques mentionnées à l’article L. 1125-1 ». L’amendement tend à ajouter « ou à des fins d’amélioration des conditions de fécondation in vitro ». Un compromis me semble possible sur ce point.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Ne sommes-nous pas dans une situation où l’on permet la réimplantation de l’embryon après avoir mené des recherches ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Pas du tout : les cellules ne seront utilisées qu’à des fins de recherche.

M. le rapporteur. Dans ce cas, l’amendement est déjà satisfait.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je ne le pense pas. Cette utilisation n’est pas prévue pour le moment.

La commission adopte l’amendement AS 19 de M. Xavier Breton, rendant sans objet l’amendement rédactionnel AS 202 du rapporteur et l’amendement AS 168 de M. Jean-Yves Le Déaut.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS 203 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 21 modifié.

Article 21 bis (nouveau)

Suppression du caractère exceptionnel du don d’embryon

Cet article clarifie les conditions dans lesquelles un couple peut consentir à ce qu’un embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental soit accueilli par un autre couple et les conditions dans lesquelles ce couple « receveur » peut accueillir un embryon.

Dans le cas du couple donneur, la mention du caractère exceptionnel du don d’embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental semble faire des deux autres options offertes dans ce cas de figure (recherche ou destruction) les options de droit commun. Le présent article supprime la hiérarchie entre ces trois options que la rédaction actuelle semble établir.

S’agissant du couple « receveur », la rédaction ambiguë de l’article définissant les conditions de recours à l’accueil d’embryon conduit à des difficultés d’interprétation, ainsi que l’a souligné l’Agence de la biomédecine. La loi du 6 août 2004 avait en effet assoupli les conditions de recours à une AMP avec tiers donneur. Celle-ci peut être mise en œuvre si l’AMP intraconjugale ne peut aboutir ou si le couple, dûment informé, y renonce. De ce fait, il est difficile de déterminer si l’accueil d’embryon est subordonné à l’échec de l’AMP intraconjugale ou si le couple peut également demander un accueil d’embryon après avoir simplement renoncé à une AMP sans tiers donneur.

Le présent article supprime les dispositions relatives au caractère exceptionnel de l’accueil d’embryon et prévoit qu’il peut être mis en œuvre si l’AMP intraconjugale ne peut aboutir ou si le couple, dûment informé, y renonce.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 204 du rapporteur, portant article additionnel après l’article 21.

M. le rapporteur. Il s’agit de simplifier les conditions dans lesquelles un couple peut faire don d’un embryon à un autre couple. Aux termes du code de la santé publique, ce don ne peut intervenir qu’à titre exceptionnel. Je propose de supprimer cette mention, car il n’y a pas eu lieu d’établir une hiérarchie entre la destruction des embryons, leur destination à la recherche et leur remise à un autre couple.

La commission adopte l’amendement.

Article 22

(Articles L. 2141-3, L. 2141-7 et L. 2141-10 du code de la santé publique)


Coordination

Le I de cet article est une disposition de coordination à l’article L. 2141-3, qui dispose qu’un embryon ne peut être conçu que dans le cadre et selon les objectifs d’une AMP telle que définie à l’article L. 2141-2. Or cet article ne définit pas l’AMP, mais les conditions d’accès à l’AMP. Celle-ci est définie à l’article L. 2141-1, référence qui est donc substituée à celle au L. 2141-2.

Le II de cet article est une disposition rédactionnelle.

Le III de cet article est une disposition de coordination destinée à tenir compte de la référence aux partenaires d’un PACS, introduite à l’article L. 2141-2 par l’article 20 du présent projet de loi.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 6 de M. Jean-Sébastien Vialatte. 

M. Olivier Jardé. Il s’agit de restreindre à trois le nombre d’ovocytes créés lors d’une fécondation in vitro. Je rappelle qu’il y a aujourd’hui 60 000 embryons surnuméraires congelés. Afin de limiter cette dérive, il conviendrait de privilégier les techniques permettant de conserver des ovocytes susceptibles d’être fécondés ultérieurement ou bien d’être donnés à des femmes infertiles.

M. Philippe Vuilque. Je suis défavorable à cet amendement. Afin d’augmenter les chances de succès, les médecins utilisent un certain nombre d’ovocytes – de 3 à 6, voire plus. Les embryons surnuméraires posent évidemment un problème, mais ce que vous proposez me paraît beaucoup trop restrictif. Le taux de réussite ne dépasse pas aujourd’hui 30 %.

M. le rapporteur. Avis favorable. En limitant le nombre des ovocytes à un seul nous nous exposerions à la difficulté évoquée par Philippe Vuilque ; en revanche, à supposer qu’un embryon ne puisse pas être implanté, cet amendement laisserait encore deux possibilités. L’encadrement me paraît donc à la fois suffisamment large et suffisamment restrictif. Puisque nous nous sommes fixé l’objectif de limiter le nombre des embryons surnuméraires, nous devons nous en donner les moyens.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Puis, elle adopte l’article 22 modifié.

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 22.

Article 22 bis (nouveau)

Promotion de la recherche sur les causes de la stérilité

Cet article étend les compétences de l’Agence de la biomédecine afin de préciser qu’elle est chargée de promouvoir la qualité et la sécurité sanitaires, ainsi que la recherche médicale et scientifique dans les domaines relevant de sa compétence, notamment en ce qui concerne les causes de la stérilité.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 22 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. L’amendement tend à favoriser les recherches sur les causes de la stérilité, que les techniques d’AMP ne font qu’essayer de pallier. Nous voulons inciter l’Agence de la biomédecine à lancer des appels à projets dans ce domaine.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Mme la secrétaire d’État. Sagesse.

La commission adopte l’amendement.

Article 22 ter (nouveau)

Évaluation des centres d’assistance médicale à la procréation par l’Agence de la biomédecine

Le présent article a pour objet de prévoir que l’ABM publie les résultats des centres d’AMP et le cas échéant diligente des missions d’appui et de conseil auprès de ces centres.

*

La commission examine l’amendement AS 23 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Par cet amendement, nous voulons inviter l’Agence de biomédecine à évaluer les centres d’AMP selon une méthodologie prenant en compte un certain nombre de caractéristiques, en particulier l’âge des femmes, et à diligenter ensuite des missions d’appui et de conseil.

M. le rapporteur. Avis favorable. C’était une des recommandations de la mission d’information.

Mme la secrétaire d’État. Cette demande ne me semble pas relever du domaine de la loi, mais je m’en remets à la sagesse de votre commission.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 22

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement AS 125 de Mme Valérie Boyer.

Article 22 quater (nouveau)

Habilitation des sages-femmes à concourir aux activités d’assistance médicale à la procréation

Le code de la santé publique n’autorise pas les sages femmes à travailler dans les centres d’AMP.

Pourtant, sur les 20 000 sages-femmes en exercice en France, une centaine (dont 80 dans des CHU) travaillerait actuellement dans les 110 centres cliniques d’AMP.

Dès lors, afin de mettre en concordance le droit et des pratiques, le présent article modifie l’article L. 4151-1 du code de la santé publique, en précisant que les sages-femmes peuvent exercer leurs activités dans des centres d’AMP, sous certaines conditions définies par voie réglementaire.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 205 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement autorise les sages-femmes à concourir aux activités d’assistance médicale à la procréation dans des conditions fixées par décret. C’est une demande qu’elles forment depuis longtemps.

Mme la secrétaire d’État. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 22

La commission examine l’amendement AS 60 de Mme Véronique Besse.

M. Xavier Breton. Nous souhaitons que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur la prévention de l’infertilité et sur l’impact sanitaire des techniques d’AMP.

M. le rapporteur. L’ABM nous a indiqué qu’elle s’orientait vers un suivi épidémiologique. Sans être violemment défavorable à cet amendement, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’entrer dans ce type de précisions.

Qui plus est, cet amendement me paraît un peu redondant avec l’amendement AS 22 que nous venons d’adopter afin de favoriser les recherches sur les causes de stérilité.

Mme la secrétaire d’État. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS 115, AS 117 rectifié, AS 118 rectifié et AS 119 rectifié de M. Noël Mamère. 

M. Noël Mamère. Je n’ai guère d’illusions quant au sort qui sera réservé à ces amendements relatifs à la gestation pour autrui, mais nous aurons l’occasion d’y revenir en séance publique.

Je vous propose d’adapter notre droit en tenant compte de la position adoptée par la Cour de cassation en 2008, mais aussi des évolutions introduites dans d’autres pays, notamment la Grande-Bretagne, qui a adopté un dispositif évitant toute « marchandisation des ventres ».

L’amendement AS 115 s’inspire très largement d’une proposition de loi déposée au Sénat par Michèle André en vue d’autoriser la gestation pour autrui tout en l’encadrant très précisément. Cette technique est aujourd’hui illégale dans notre pays en considération de la « convention » de procréation ou de gestation pour autrui qui existe entre les parties, mais il est possible d’envisager la GPA en s’affranchissant de cette perspective. Je rappelle que certaines personnalités se sont déclarées favorables à la GPA, notamment Mmes Elisabeth Badinter, Elisabeth Roudinesco, Geneviève Delaisi de Parseval et M. Maurice Godelier, même s’il faut reconnaître que d’autres s’y opposent, telle Mme Sylviane Agacinski.

Cet amendement s’inscrit parfaitement dans le cadre de cette loi bioéthique, dont la portée n’est pas seulement médicale, mais aussi sociale. Nous devons nous méfier comme de la peste de cette tentation qu’est l’essentialisme : c’est la deuxième fois que nous sommes appelés à réviser les lois bioéthiques de 1994 et le monde a bien changé depuis lors. Je ne prétends pas qu’il faut s’adapter à toutes les évolutions – certaines peuvent être condamnables, à juste titre –, mais ne pas regarder en face la question de la gestation pour autrui reviendrait à faire preuve d’hypocrisie. Cette pratique existe dans d’autres pays, où se rendent certaines familles pour en bénéficier. Pour avoir auditionné de telles familles, nous savons que le statut de leurs enfants est fragilisé quand elles reviennent en France : seul le lien de filiation avec le père est reconnu.

En réponse à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation en 2008, l’amendement AS 119 rectifié tend à permettre l’établissement d’une filiation à l’égard des deux parents. Les enfants concernés se trouvent, en effet, dans une situation de grande vulnérabilité. Il ne s’agit pas, avec cette proposition, d’exalter le droit à l’enfant, mais de protéger le droit de l’enfant. Quand bien même vous n’adopteriez pas l’amendement qui autorise la gestation pour autrui dans des conditions très précises, vous devriez accepter celui qui assure la protection juridique des enfants nés à l’étranger d’une GPA.

Pour conclure, je regrette qu’on ait opposé l’article 40 de la Constitution à un autre amendement que j’avais déposé en vue de permettre l’indemnisation de la mère porteuse par la Sécurité sociale. Il est trop facile, après avoir écarté cet amendement, d’affirmer que mes propositions ne peuvent qu’inciter à la « marchandisation des ventres ».

M. le rapporteur. L’un de vos arguments consiste à dire qu’il serait hypocrite de ne pas regarder le monde tel qu’il est. Mais devons-nous, au motif que l’on vend des reins au Brésil, autoriser la vente et la commercialisation des organes humains pour nous aligner sur les pays les moins disant au plan éthique ? Nous sommes là pour écrire la loi française en matière de bioéthique ; c’est à nous de déterminer ce qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas.

Il m’arrive d’hésiter sur certains sujets, au point parfois de changer d’avis, mais tel n’est pas le cas de la gestation pour autrui, à laquelle je suis farouchement hostile.

Tout d’abord, la GPA intrafamiliale ne peut que détruire les repères familiaux. Une femme prêtant son utérus à sa fille deviendrait à la fois la mère et la grand-mère de l’enfant…

M. Noël Mamère. Je ne propose pas d’autoriser la GPA intrafamiliale. C’est précisément une des hypothèses que l’amendement écarte !

M. le rapporteur. Souffrez que j’envisage la question de manière globale.

Sauf dans l’hypothèse d’un don anonyme et gratuit, la GPA conduit à la marchandisation du corps de la femme, ce qui me paraît rédhibitoire. L’enfant à naître fait, en outre, l’objet d’un contrat relatif à la qualité du « produit ». La mère porteuse doit respecter un certain nombre d’obligations attentatoires à sa liberté, concernant son activité sexuelle avec son conjoint, le nombre de voyages qu’elle peut entreprendre ou encore sa consommation d’alcool ; en cas d’anomalie à la « livraison », le contrat peut permettre à l’une des parties d’agir contre l’autre…

L’acceptation de la gestation pour autrui serait contraire à la dignité de la personne, au principe de non-commercialisation et d’indisponibilité du corps humain dans des buts médicaux. Ajoutons à cela qu’on se placerait dans une logique de marchandisation internationale. Quel pilier resterait-il alors pour soutenir la bioéthique ?

J’en viens à l’argument consistant à rappeler que la filiation des enfants nés à l’étranger dans le cadre d’une GPA ne peut être établie qu’à l’égard d’un des parents. Même si la mère génétique n’est pas reconnue comme la mère de l’enfant qu’elle récupère au terme d’une grossesse rémunérée et après son abandon – en droit français, la mère est la femme qui accouche –, il est faux de dire que les enfants sont dépourvus d’état-civil.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres que j’aurai l’occasion de développer dans l’hémicycle, il n’y a pas de place pour le doute dans mon esprit : je suis défavorable à la gestation pour autrui.

Mme la secrétaire d’État. Je fais miens les arguments du rapporteur, et je suis, comme lui, défavorable à ces amendements.

S’agissant des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, qui se trouvent dans une situation évidemment difficile dans la mesure où ils ne bénéficient pas d’un état-civil clair, je précise que la Cour de cassation devrait dégager, en mars prochain, des règles de droit applicables à ces cas très particuliers.

M. Olivier Jardé. Même si la GPA est aujourd’hui une technique médicale bien connue, elle n’est pas dépourvue de dangers. Il faut réaliser trois transferts d’embryons pour qu’elle réussisse, et le taux de fausses couches est de 20 % à chaque fois.

J’observe, par ailleurs, que la GPA n’est une nécessité qu’en cas de malformation congénitale de l’utérus, de cancer de l’utérus ou d’hystérectomie totale, hypothèses qui sont heureusement exceptionnelles. Son indication est donc essentiellement sociale.

La GPA pose bien des questions. Le ventre d’une femme est-il un instrument de production ? Peut-on imaginer qu’une femme riche porte l’enfant d’une femme pauvre ? Quelle est la situation du compagnon de la mère porteuse pendant une grossesse qui n’aboutira à rien du point de vue de leur couple ? L’enfant est-il une marchandise ? Je regretterais, pour ma part, qu’il devienne un objet et qu’on ouvre un droit à l’enfant.

J’en viens à la question du contrat. Si l’enfant naît handicapé, avec un bec-de-lièvre, ou simplement s’il n’est pas conforme au portrait rêvé par ses parents, sera-t-il « repris » ?

Vous comprendrez que je m’oppose à ces amendements.

M. Michel Vaxès. Pour les mêmes raisons, je voterai contre ces amendements.

Je commencerai par rappeler qu’il existe un contrat dans tous les cas. L’enfant à naître est le produit d’un échange : un don de gamète d’abord, puis la restitution de l’enfant, la mère porteuse s’engageant à ne pas revendiquer le droit de conserver l’enfant.

Par ailleurs, comment admettre que la grossesse est un moment extrêmement important pour l’enfant et pour la femme, tout en prétendant que cette grossesse n’a pas d’importance dans le cas de la GPA ? On postule, en effet, que la mère porteuse pourra se détacher sans difficulté de l’enfant.

N’oublions pas non plus les risques médicaux : la GPA implique l’utilisation d’un corps, avec tout ce que cela comporte comme risques pour la mère porteuse. Des accidents, potentiellement très graves, peuvent se produire pendant la grossesse. On ne peut donc pas accepter l’utilisation du corps d’une tierce personne pour satisfaire les besoins des parents d’intention.

En dernier lieu, il me semble que la GPA ne peut pas aller sans incidence sur les autres enfants de la mère porteuse et, plus généralement, sur l’environnement familial. Comment des enfants pourraient-ils comprendre que leur mère est enceinte, qu’elle accouche d’un enfant et que celui-ci disparaît du jour au lendemain parce qu’il a été porté sans intention d’être gardé ?

M. Jean-Louis Touraine. Il y a, sur ce sujet, des éléments de réflexion contradictoires, et je suis heureux qu’on puisse en débattre sans outrance et sans jugement péremptoire. Les femmes, qui sont concernées au premier chef, sont elles-mêmes partagées, y compris celles qui appartiennent à des mouvements féministes ou progressistes. Certaines considèrent que la GPA risque de conduire à une marchandisation, d’autres estiment qu’elle est une liberté et un facteur d’émancipation qu’il convient de consacrer.

Permettez-moi d’observer, pour ma part, qu’aucune catastrophe ne s’est produite dans les pays qui ont autorisé la GPA de façon raisonnable et minutieuse. Les femmes qui s’engagent dans cette démarche font preuve de bonne volonté et les dérives redoutées par beaucoup d’entre nous peuvent être prévenues grâce à un encadrement strict. Il me semble qu’une évolution est inéluctable, mais je ne sais pas si notre société et la majorité de la représentation nationale y seront disposées dans un avenir proche. Peut-être faudra-t-il encore un temps d’analyse et de réflexion. Toutefois, je suis persuadé que la GPA finira par s’imposer.

Bien que la représentation nationale ne soit visiblement pas prête à cette évolution, elle ne peut pas écarter certaines difficultés d’un revers de main. Quelle solution apporter aux femmes sans utérus, en particulier celles que notre société a privées de capacité d’enfanter en distribuant du Distilbène à toute une génération de femmes enceintes ? Leurs filles souffrent fréquemment d’une incapacité à enfanter. Faute d’avoir suivi l’exemple d’autres pays qui ont interdit le Distilbène beaucoup plus tôt, nous avons contracté une responsabilité morale envers ces femmes.

Que faire, par ailleurs, lorsque des femmes, généralement aisées, qui ont bénéficié d’une GPA à l’étranger, se trouvent privées de lien juridique avec leur enfant ? Même si l’on interdit de pratiquer la GPA dans notre pays, il faut traiter les difficultés très importantes qui existent aujourd’hui : la GPA est pratiquée dans un nombre croissant de pays, et le désir de procréer peut l’emporter chez certaines femmes. Nous ne pouvons donc pas laisser subsister le vide juridique actuel.

M. Noël Mamère. Je me reconnais tout à fait dans les propos de Jean-Louis Touraine. 

J’entends bien l’argumentation du rapporteur, qui met en garde contre certaines dérives, notamment le risque de marchandisation. Mais je rappelle que mes amendements visent précisément à éviter de tels risques. En légalisant la GPA, nous la civiliserons et nous éviterons qu’elle sombre dans la marchandisation. Les outils juridiques que je vous propose d’adopter s’inspirent de l’expérience réalisée dans d’autres pays, lesquels n’ont souffert d’aucun chaos social ou familial pour avoir légalisé la GPA.

Jean-Louis Touraine a rappelé notre dette à l’égard des femmes qui ne peuvent plus porter d’enfants faute d’avoir un utérus, en particulier à cause des méfaits du Distilbène. Comme l’a très bien montré Elisabeth Badinter, il y a en outre un problème d’égalité entre les hommes et les femmes.

J’ajouterai qu’on ne peut pas éviter un certain chevauchement entre le droit à l’enfant et le droit de l’enfant. Les compartiments ne peuvent pas rester éternellement étanches.

M. Paul Jeanneteau. Il me semble que les femmes dont les mères ont pris du Distilbène ne sont plus aujourd’hui en âge de procréer.

M. Jean-Louis Touraine. Mais si ! Les femmes de 38 ou 40 ans sont encore en âge de procréer…

La commission rejette successivement les amendements AS 115, AS 117 rectifié, AS 118 rectifié et AS 119 rectifié.

TITRE VII

RECHERCHE SUR L’EMBRYON ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES

Article 23

(Article L. 2151-5 du code de la santé publique)


Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

L’article 23 a pour objet de modifier le régime juridique des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires prévu à l’article L. 2151-5 du code de la santé publique. Il réaffirme le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires mais aménage, de façon désormais permanente, les possibilités dérogatoires de mener ces recherches.

1. L’encadrement actuel de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires issu de la loi de 2004

Alors que la première loi de bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994 autorisait à titre exceptionnel des études ne portant pas atteinte à l’embryon mais interdisait de façon absolue toute recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (125), la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 a ouvert certaines possibilités de déroger, dans des conditions très strictes et pour une période limitée à cinq ans, à l’interdit posé en 1994.

La loi de 2004 a réaffirmé le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon humain, a maintenu la possibilité d’autoriser à titre exceptionnel des études ne portant pas atteinte à l’embryon mais a ouvert la possibilité dérogatoire et temporaire de mener certaines recherches sur l’embryon humain in vitro.

a) La loi de 2004 réaffirme le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon humain

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que « la recherche sur l’embryon humain est interdite ».

Lors de son audition en date du 1er décembre 2010 par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, a fait remarquer que cette dernière encadre les activités de recherche utilisant des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines « par exception au régime de liberté qui s’applique à la recherche en France ».

b) La loi de 2004 maintient la possibilité d’autoriser, à titre exceptionnel, des études ne portant pas atteinte à l’embryon

C’est la loi de 1994 qui, à côté de l’interdiction absolue de mener des recherches sur l’embryon, avait ouvert la possibilité de réaliser des études sur l’embryon.

Le qualificatif « d’études sur l’embryon » s’applique à la possibilité d’observer, sans les manipuler, des embryons destinés à être transférés in utero dans le cadre de projets parentaux de couples.

La loi de 2004 a conservé la distinction entre les études qui ne portent pas atteinte à l’intégrité de l’embryon et les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires. Permises à titre exceptionnel, ces études ne peuvent pas, aux termes de l’article R. 2141-17 du code de la santé publique, être entreprises si elles ont notamment pour objet ou risquent d’avoir pour effet de modifier le patrimoine génétique de l’embryon, ou si elles sont susceptibles d’altérer ses capacités de développement. Seuls peuvent entreprendre des études sur l’embryon les établissements publics de santé et les laboratoires d’analyses de biologie médicale autorisés pour pratiquer l’activité biologique de fécondation in vitro et pour conserver les embryons en vue d’étude. Pour les autres conditions, la loi renvoie au régime juridique applicable aux recherches sur l’embryon.

c) La loi de 2004 ouvre la possibilité dérogatoire et temporaire de mener certaines recherches sur l’embryon humain in vitro

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que « par dérogation, et pour une période limitée à cinq ans, les recherches peuvent être autorisées sur l’embryon et les cellules embryonnaires ».

Les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires ne sont ainsi possibles que temporairement, pour une durée de cinq ans. Comme le relève l’Agence de la biomédecine dans son bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 (octobre 2008), ce régime dérogatoire à durée limitée reflétait « les incertitudes ressenties à l’époque des débats parlementaires, à la fois sur les conséquences qu’aurait pu avoir le passage direct à un régime d’autorisation, mais aussi sur le bénéfice que pouvait amener la conduite de ce type de recherche ».

Par ailleurs, le régime dérogatoire permettant de mener des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires n’est mis en place que sous plusieurs conditions qui ont trait à la fois aux embryons concernés, au but des recherches envisagées et à la procédure d’autorisation.

 Les embryons et les cellules souches embryonnaires concernés 

– l’alinéa 4 de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique ne permet les recherches que sur « les embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l’objet d’un projet parental ».

Sont ici visés les embryons non implantés porteurs d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment d’un diagnostic préimplantatoire (cf. supra commentaire de l’article 11) et les embryons dits « surnuméraires », conçus dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP) et initialement conservés par cryogénisation à des fins d’implantation utérine ultérieure.

Dans le cadre de l’AMP, il est en effet possible, avec l’accord écrit préalable du couple, de féconder in vitro un nombre d’ovocytes supérieur aux ovocytes qui sont implantés dans un premier temps. Les embryons non immédiatement implantés sont alors congelés pour un transfert ultérieur (nouvelle tentative de transfert en cas d’échec ou autre maternité ultérieure). Chaque année, les deux membres du couple sont consultés par écrit sur le maintien ou non de leur projet parental.

En cas d’abandon du projet parental, ou de décès de l’un d’entre eux, les deux membres du couple ou le membre survivant peuvent consentir par écrit, leur décision devant être confirmée après un délai de réflexion de trois mois, à :

* l’accueil de leurs embryons par un autre couple (article L. 2141-5 et 6 du code de la santé publique).

Activité d’AMP à part entière, l’accueil d’embryon est autorisé depuis la loi de bioéthique de 1994, mais le dernier texte d’application n’étant paru qu’en 2001, cette activité n’a été mise en place que récemment et reste peu pratiquée en France.

Accueil d’embryons

 

2006

2007

2008

Couples donneurs

     

Couples ayant confié leurs embryons à l’accueil

85

96

105

Couples dont les embryons ont été accueillis

54

93

86

Couples receveurs

     

Couples ayant bénéficié d’un accueil d’embryons

53

116

89

Couples en attente officielle d’accueil au 31/12 de l’année

121

94

133

Source : Rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles »

* l’arrêt de la conservation de leurs embryons (c’est-à-dire leur destruction) ;

* des recherches sur leurs embryons.

En cas d’extinction du projet parental par défaut de réponse ou désaccord du couple sur le maintien de son projet parental ou sur le devenir des embryons, la loi prévoit la destruction de ces derniers à l’issue d’une durée minimale de cinq ans.

Le rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles » indique que sur les 149 191 embryons conservés en France au 31 décembre 2008, 21 701 (14,5 %) faisaient l’objet de l’abandon du projet parental, parmi lesquels 10 776 (49,6 % des abandons) ont été proposés à la recherche et 10 925 (50,4 %) ont été proposés à l’accueil d’embryons.

L’avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) n° 112 du 21 octobre 2010 « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro » a souligné que si certains embryons surnuméraires, « maintenus en cryopréservation, cessent d’être inscrits dans le projet parental du couple qui a été à l’origine de leur création, ils ne sont plus simplement surnuméraires dans le cadre de la réalisation d’une AMP, par rapport à l’implantation initiale qui a suivi la FIV : ils sont de plus devenus surnuméraires
– « en trop » – par rapport au projet parental lui-même qui a été à l’origine de leur création. Le même adjectif – surnuméraire – décrit donc deux situations complètement différentes en ce qui concerne le devenir de l’embryon humain : le choix d’adjectifs différents trouverait ici sa pertinence
 ».

– les embryons conçus naturellement et qui se développent in utero ne sont pas concernés par ce régime dérogatoire, y compris lorsqu’ils sont expulsés de l’utérus maternel au cours de leur développement : ils relèvent alors du régime juridique prévu par l’article L. 1241-5 du code de la santé publique ;

– le dernier alinéa de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique précise que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne pourront pas faire l’objet d’une implantation ultérieure à des fins de gestation ;

– il convient de souligner qu’outre ces embryons in vitro disponibles sur le territoire national, l’article L. 2151-6 ouvre également la possibilité d’effectuer des recherches sur les tissus ou cellules embryonnaires importés à cette fin sur autorisation de l’agence de la biomédecine et dans le respect des principes fondamentaux posés par le code civil, c’est-à-dire le respect de l’être humain et du corps humain, la non patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits, le consentement pour toute atteinte à son intégrité, l’interdiction de toute pratique eugénique et de clonage, de toute pratique pouvant porter atteinte à l’intégrité de l’espèce ou visant à modifier la descendance de la personne, la gratuité et l’anonymat des dons d’un élément ou d’un produit du corps.

 La loi fixe deux conditions cumulatives relatives au but des recherches envisagées

La première condition est que les recherches doivent « être susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs », c’est-à-dire, comme le précise l’article R. 2151-2 du code de la santé publique, poursuivre une visée thérapeutique pour le traitement de maladies particulièrement graves ou incurables ou le traitement des affections de l’embryon ou du fœtus.

Cette première condition ouvrant, à titre dérogatoire, la possibilité de mener des recherches sur l’embryon est motivée par le souci de ne pas se priver des progrès pour le traitement des maladies incurables qui pourraient résulter de recherches menées à partir de cellules souches embryonnaires.

Elle insiste sur la nécessité de ne recourir à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires que pour des recherches visant à soigner l’être humain et prémunit, comme le rappelle le conseil d’orientation de l’ABM (126), « contre un usage futile des cellules souches issues d’embryons surnuméraires ». Elle exclut par exemple toute recherche poursuivant un objectif militaire ou cosmétique.

Cette dernière hypothèse n’est pas purement théorique puisque M. Sadek Beloucif, président du conseil d’orientation de l’agence de la biomédecine a indiqué, lors de son audition par la commission spéciale en date du 1er décembre 2010, qu’« un des premiers dossiers de demande d’autorisation d’un protocole de recherche sur l’embryon sur laquelle le conseil d’orientation a été appelé à se prononcer avait été déposé par une grande société française de cosmétiques. Celle-ci demandait l’autorisation d’étudier les cellules souches embryonnaires de peau pour améliorer l’efficacité de ses crèmes antirides. L’autorisation a été évidemment refusée ».

Le critère de progrès thérapeutiques majeurs n’a pas constitué un frein à la recherche puisque la quasi-totalité des projets de recherche présentés a été autorisée. L’étude du Conseil d’État « La révision des lois de bioéthique », adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, explique cette proportion très élevée de recherches acceptées par « l’approche pragmatique de l’Agence de la biomédecine, notamment quant à l’interprétation du critère relatif aux perspectives de progrès thérapeutique majeur » tandis que le rapport de l’OPECST de MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte sur « la recherche sur les cellules souches » (juillet 2010) indique que l’ABM « a interprété la visée thérapeutique de manière constructive ».

La seconde condition posée par la loi de 2004 précise que les recherches ne doivent pas « pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques ».

Si le décret du 6 février 2006 n’a pas précisé les modalités de cette condition posée par le législateur, l’étude du Conseil d’État « La révision des lois de bioéthique » souligne que cette condition traduit dans la loi « l’idée que la recherche sur les cellules embryonnaires n’est autorisée que lorsqu’elle permet d’aller dans des directions impossibles à emprunter selon d’autres méthodes ».

Cette condition vise à limiter la dérogation à l’interdit de la recherche sur l’embryon aux cas où il n’existe pas d’autres méthodes qui, tout en ne recourant pas à l’embryon, donnent néanmoins des résultats comparables en termes d’efficacité.

Sont ici directement visées des méthodes utilisant d’autres types de cellules souches qui ne posent pas les mêmes problèmes éthiques (contrairement à d’autres cellules, les protocoles de recherche utilisant des cellules souches embryonnaires impliquent une intervention sur l’embryon qui est nécessairement destructrice) et qui sont susceptibles de constituer une alternative aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humains.

Il s’agit en premier lieu des recherches sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires d’animaux. Lors de son audition du 12 janvier 2011 par la commission spéciale, M. Jacques Testart, biologiste et directeur de recherche honoraire à l’INSERM, a insisté sur le fait qu’aux premiers stades du développement, les embryons de tous les mammifères présentaient des caractéristiques très proches.

D’autres cellules souches constituent également une alternative aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. Des cellules souches fœtales sont ainsi contenues dans les organes et tissus prélevés lors des interruptions volontaires de grossesse (IVG), même si ces cellules souches fœtales comprennent une moindre proportion de cellules pluripotentes (127) qu’au stade embryonnaire. De même, le sang placentaire, dit « sang de cordon », provenant du placenta, est apparu comme une source de cellules souches multipotentes (128) présentant des potentialités intermédiaires entre celles de l’embryon et celles de l’adulte, dont un rapport d’information sénatorial (129) de Mme Marie-Thérèse Hermange a souligné, en novembre 2008, le potentiel thérapeutique.

Il existe aussi dans les organes du corps humain adulte des cellules souches adultes qui permettent à ces derniers de se régénérer et de se réparer tout au long de la vie. Ces cellules souches adultes sont présentes dans la majorité des tissus en faible quantité : 1 pour 100 000 cellules. Contrairement aux cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes ne peuvent se multiplier et se développer que de manière limitée – elles sont multipotentes et non pas pluripotentes – mais ouvrent néanmoins des perspectives de recherche et de thérapeutiques très prometteuses.

Enfin, il faut noter la découverte récente, en 2007, des cellules pluripotentes induites, baptisées iPS (de l’anglais induced Pluripotent Stem cells), qui sont issues de la reprogrammation du noyau de cellules différenciées adultes. Ces cellules, tout en n’étant pas embryonnaires, partagent beaucoup des propriétés des cellules souches embryonnaires.

Cette volonté de comparer les différentes méthodes de recherche a conduit le législateur à mettre en place, à l’article 26 de la loi du 6 août 2004, un dispositif d’évaluation prévoyant que six mois avant le terme du moratoire de cinq ans, l’ABM et l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques devront établir chacun un rapport évaluant les résultats respectifs des recherches sur les cellules souches embryonnaires et sur les autres types de cellules souches.

L’OPECST a ainsi publié, en juillet 2010, un rapport de MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte sur « la recherche sur les cellules souches », tandis que l’agence de la biomédecine a fusionné les exigences posées par le dernier alinéa de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique exigeant de l’agence un rapport annuel d’activité adressé au Parlement, au Gouvernement et au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé et celles posées par l’article 26 non codifié de la loi de 2004 en fournissant, au sein de son rapport annuel d’activité, un état des lieux de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées iPS.

 La loi fixe un certain nombre de conditions procédurales

– le couple doit être « dûment informé des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation » ;

– une recherche ne peut être conduite qu’avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus. Dans le cas où la fin du projet parental résulte de la mort d’un des membres du couple, l’autorisation du survivant suffit.

– une recherche sur l’embryon ne peut être effectuée que si son protocole a fait l’objet d’une autorisation par l’agence de la biomédecine.

Depuis la publication du décret du 6 février 2006 fixant le cadre réglementaire des autorisations, l’agence de la biomédecine instruit en effet les dossiers de demande et délivre les autorisations de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Auparavant, un dispositif transitoire prévu par la loi de 2004 avait permis aux ministres de la recherche et de la santé de délivrer, après avis d’un comité ad hoc, les premières autorisations (cf. infra, commentaire de l’article 33).

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que cette décision est prise « en fonction de la pertinence scientifique du projet de recherche, de ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques et de son intérêt pour la santé publique ».

La procédure d’instruction des dossiers par l’agence de la biomédecine des demandes d’autorisation pour les protocoles de recherche

– Les demandes sont déposées à l’Agence de la biomédecine selon un dossier-type et lors de fenêtres de dépôt arrêtées par le directeur général (3 fenêtres par an).

– À condition que le dossier soit recevable, la décision du directeur général de l’Agence de la biomédecine doit intervenir dans un délai de 4 mois après la clôture de la fenêtre de dépôt des dossiers, toute demande d’information complémentaire prorogeant ce délai.

– Chaque projet de recherche est expertisé par deux experts scientifiques désignés par le directeur général de l’Agence, puis débattu au sein d’un collège d’experts (130).

– Chaque projet accompagné de son rapport d’expertise scientifique est étudié par deux rapporteurs membres du conseil d’orientation (131) de l’Agence qui émet un avis.

– Le directeur général arrête sa décision et la notifie au demandeur. Elle est publiée au Journal officiel.

– La personne responsable de la recherche informe l’Agence de la biomédecine du démarrage de ses travaux et lui adresse un rapport annuel sur leur avancement, puis un rapport final au terme de l’autorisation.

– Chaque équipe autorisée est inspectée sur place par la mission d’inspection de l’Agence dans les six mois qui suivent le dépôt de son premier rapport annuel.

Source : Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, rapport de l’agence de la biomédecine à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, octobre 2008.

Dénombrement des décisions rendues par l’ABM au 31 décembre 2009 relatives aux protocoles de recherche

 

Refus

Retraits d’autorisation (132)

Protocoles de recherches

1er septembre 2004 – 6 février 2006 (133)

1

 

17 autorisations

6 février 2006 – fin 2006

   

12 autorisations (dont 4 sur l’embryon)

2007

1

 

8 autorisations (dont 3 sur l’embryon) + 7 modifications substantielles 

2008

   

10 autorisations (dont 4 sur l’embryon) + 2 modifications substantielles

2009

 

4

2 autorisations + 2 modifications substantielles + 1 prorogation (134)

Total

2

4

61 autorisations (49 protocoles dont 11 sur l’embryon, 11 modifications substantielles, 1 prorogation)

Source : Rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles »

La décision de l’agence de la biomédecine est ensuite transmise aux ministres chargés de la santé et de la recherche. Lorsqu’il s’agit d’une autorisation, ceux-ci peuvent en interdire ou en suspendre la réalisation s’ils estiment que sa pertinence scientifique n’est pas établie ou que le respect des principes éthiques n’est pas assuré. Lorsque l’agence refuse à l’inverse un protocole de recherche, les ministres peuvent lui demander de procéder à un nouvel examen du dossier dans un délai de trente jours dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique.

2. Les modifications introduites par le projet de loi

L’article 23 modifie la rédaction de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique qui fixe les principales règles régissant la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires.

a) Le projet de loi maintient l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain et l’étend explicitement aux cellules souches embryonnaires

Le de l’article 23 réaffirme en premier lieu un principe d’interdiction de toute recherche sur l’embryon.

En second lieu, le de l’article 23 étend explicitement aux cellules souches embryonnaires le principe d’interdiction de la recherche assorti de dérogation. La recherche en France n’est donc pas seulement interdite sur l’embryon, mais également sur les cellules souches qui en sont dérivées (cf. infra à l’article 24), sachant que la dérivation de la première lignée de cellules souches embryonnaires humaines à partir d’embryons surnuméraires a été réalisée en 1998 aux États-Unis par l’équipe de James Thomson.

Cette précision ne changera pas les pratiques dans la mesure où les recherches sur les cellules souches devaient déjà être autorisées, à titre dérogatoire, par l’agence de la biomédecine. Le rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » de l’agence de la biomédecine (ABM) à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative souligne même que « dans le cadre du dispositif d’autorisation des recherches sur l’embryon par l’Agence de la biomédecine issu de la loi de bioéthique de 2004, les protocoles de recherche autorisés portent essentiellement sur l’étude et la manipulation de lignées de cellules souches embryonnaires ».

D’après le rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles », sur les 49 protocoles de recherche autorisés entre le 1er septembre 2004 et 2009, 38 portait effectivement sur des cellules souches embryonnaires.

En mentionnant désormais explicitement l’interdiction de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, certes assortie de possibles dérogations, le projet de loi s’écarte de l’idée parfois avancée de combiner un régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon avec un régime d’autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

b) Le projet de loi supprime la notion d’« études ne portant pas atteinte à l’embryon »

Le de l’article 23 vise à remplacer les dispositions actuelles du deuxième alinéa de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, relatives aux « études ne portant pas atteinte à l’embryon », par de nouvelles dispositions.

Dans la mesure où le régime juridique de ces études n’est pas repris par le projet de loi à une autre place du code de la santé publique, il disparaît donc purement et simplement de l’ordonnancement juridique.

Dans son bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 (octobre 2008), l’Agence de la biomédecine avait déjà souligné le caractère inadapté du régime juridique de ces études et indiquait que la suppression de la distinction entre études et recherche pouvait être envisagée. En effet, elle faisait remarquer que le renvoi effectué actuellement par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique au régime juridique applicable aux recherches sur l’embryon, qui interdit tout transfert des embryons in utero après recherche, assimilait l’étude à la recherche et supprimait de fait tout intérêt à la distinction entre études et recherches.

c) Le projet de loi maintient, sans limitation de durée, le régime dérogatoire des recherches sur l’embryon et les cellules « souches » embryonnaires

Si la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique a défini un régime dérogatoire d’autorisations sous conditions des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires humaines, elle ne l’a fait qu’à titre temporaire.

En effet, tout en maintenant le principe posé en 1994 de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, elle prévoyait, pour une durée maximale de cinq ans à compter de la publication de son décret d’application, qui est intervenu avec le décret n° 2006-121 du 6 février 2006, la possibilité pour les équipes de recherche françaises d’effectuer à titre dérogatoire des recherches sur l’embryon ou les cellules embryonnaires.

Le de l’article 23 du présent projet de loi conserve le principe d’un régime dérogatoire d’autorisation des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires mais supprime le caractère temporaire de ce régime d’autorisation.

Cette suppression du caractère temporaire du régime dérogatoire des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires rejoint les préconisations de plusieurs organismes ayant eu l’occasion de s’exprimer sur la révision des lois de bioéthique.

Ainsi, d’après le rapport de décembre 2008 de l’OPECST sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, « la levée du moratoire prévu dans la loi actuelle sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines est l’un des enjeux majeurs de la révision de la loi ». Le rapport de l’OPECST n° 2718 du 8 juillet 2010 sur la recherche sur les cellules souches préconisait ainsi la levée du moratoire sur la recherche.

Le rapport d’information n° 2235 au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique (« Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine ») de janvier 2010 a également proposé de maintenir le principe de l’interdiction de la recherche sur embryon et d’autoriser les recherches à titre dérogatoire, mais sans encadrer cette dérogation par des délais.

Un des reproches les plus fréquemment invoqué pour critiquer le caractère provisoire du régime juridique de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires était l’absence de visibilité sur le long terme dans un domaine qui nécessite bien souvent des investissements initiaux importants. Dans son rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, l’agence de la biomédecine a souligné le très faible nombre de projets de recherches émanant de sociétés de biotechnologie ou de l’industrie privée.

Par ailleurs, la nouvelle rédaction introduite par le de l’article 23 substitue à la terminologie imprécise de « cellules embryonnaires » celle plus adaptée de « cellules souches embryonnaires » pour éviter toute confusion avec les cellules embryonnaires prélevées à l’issue d’une interruption de grossesse et les cellules différenciées à partir de cellules souches embryonnaires (cf. infra, commentaire de l’article 24).

d) Le projet de loi modifie les conditions du régime dérogatoire permettant de mener des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires

 Le projet de loi substitue à la notion de « progrès thérapeutiques majeurs » celle de  « progrès médicaux majeurs »

Si l’étude du Conseil d’État « La révision des lois de bioéthique », adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, proposait de maintenir inchangée la condition que les recherches soient susceptibles de permettre des « progrès thérapeutiques majeurs » en considérant que « ce critère paraît garantir que l’atteinte à l’embryon qu’implique la recherche soit justifiée par une finalité médicale élevée tout en prenant en compte le caractère fondamental des recherches en cause », plusieurs rapports ont néanmoins critiqué le recours à cette notion.

Ainsi, le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif aux « cellules souches et choix éthiques » (2006) avait déjà souligné que l’exigence de progrès thérapeutiques majeurs n’était plus justifiée à un stade de nécessaire développement de la recherche fondamentale et risquait en outre d’induire des effets d’annonce abusifs.

De la même façon, l’agence de la biomédecine, dans son bilan d’octobre 2008 d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, craignait que la formule aussi précise de « progrès thérapeutiques majeurs » ne bloque la soumission de projets très fondamentaux qui, à terme, permettraient pourtant des avancées thérapeutiques significatives, qui ne peuvent être anticipées et dont le délai d’application est difficilement prédictible. Elle proposait ainsi une reformulation couvrant, par exemple, la notion d’« amélioration des connaissances au bénéfice de la santé de l’humanité », qui permettrait de ne pas les éliminer.

Il convient toutefois de rappeler que la loi de 2004 ne posait pas comme condition impérative que la recherche apporte immédiatement des progrès thérapeutiques majeurs mais qu’elle se bornait à ne légitimer que les recherches « susceptibles » de permettre des progrès thérapeutiques majeurs.

Le rapport d’information n° 2235 au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique (« Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine ») de janvier 2010 suggérait quant à lui de retenir le critère de la poursuite d’une « finalité médicale » pour encadrer les recherches.

De son côté, le rapport n° 2718 de l’OPECST du 8 juillet 2010 sur la recherche sur les cellules souches recommandait de retenir, comme critères d’autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, « la finalité et la pertinence scientifique et médicale du projet de recherche » au lieu du critère thérapeutique en vigueur.

S’inspirant de ces propositions, le de l’article 23 substitue à la notion de « progrès thérapeutiques majeurs » celle de « progrès médicaux majeurs ».

L’exposé des motifs justifie cette substitution de termes par le fait qu’elle permet d’« inclure le diagnostic et la prévention ». De son côté, Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’agence de la biomédecine, a indiqué, lors de son audition en date du 1er décembre 2010, qu’elle considérait que le terme « médical » englobe « ce qui relève du diagnostic, du soin, et plus globalement, de l’ensemble de la clinique ».

Le projet de loi conserve donc l’exigence du caractère majeur du progrès attendu, même si l’effectivité du respect de ce critère reste problématique dans la mesure où, comme l’ont rappelé les grands témoins du forum de Marseille des États généraux de la bioéthique en citant le Prix Nobel de médecine François Jacob, « la qualité d’une découverte se mesure au degré de surprise qu’elle provoque » et où, comme le souligne le rapport n° 2718 de l’OPECST du 8 juillet 2010 sur la recherche sur les cellules souches, « le caractère majeur ou non du progrès attendu n’a pas constitué un critère effectif dans le cadre d’un contrôle exercé sur ces activités de recherches par l’agence de la biomédecine ».

La notion de « progrès médicaux majeurs » englobe et dépasse celle de « progrès thérapeutiques majeurs ». Elle continue de prémunir contre un usage futile des cellules souches issues d’embryons surnuméraires, en matière cosmétique par exemple.

Comme l’a fait valoir M. Alain Privat, biologiste, professeur en neurobiologie à l’Université de Bilbao, lors de son audition du 12 janvier 2011, « la nuance entre progrès thérapeutique et progrès médical n’est pas que sémantique. L’utilisation à visée médicale de cellules souches embryonnaires pourrait conduire à les soumettre à l’action de différentes molécules, à un screening à visée pharmaceutique. Or cela peut être réalisé dans les mêmes conditions avec des cellules iPS ».

Il ne fait pas de doute que la substitution de la notion de « progrès médicaux majeurs » à celle de « progrès thérapeutiques majeurs » ouvre la possibilité de tester sur des cellules souches embryonnaires de nouvelles molécules par le criblage à haut débit dit « screening » (135). Le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif « aux cellules souches et choix éthiques » (2006), indique ainsi clairement que « la pharmacologie utilisant des cellules souches pour ses recherches n’agirait pas directement à des fins thérapeutiques ».

 Le projet de loi remplace le critère relatif à une « méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques » par l’impossibilité « en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons »

Le critère relatif à l’absence d’une « méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques » avait déjà fait l’objet de nombreuses critiques.

Ainsi, l’agence de la biomédecine, dans son bilan d’octobre 2008 d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, considérait que la condition d’absence de « méthodes alternatives d’efficacité comparable » semblait superflue au regard des réalités scientifiques et que les recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires ne constituent pas des alternatives, mais se complétaient.

De la même façon, l’étude du Conseil d’État, « La révision des lois de bioéthique », adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, suggérait de substituer à la condition d’absence de méthode alternative d’efficacité comparable une condition « d’impossibilité, en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche identique à l’aide d’autres cellules que des cellules souches embryonnaires humaines ». Il indiquait en effet qu’il n’existe pas de certitudes quant à l’intérêt comparé des différents types de cellules souches pour les recherches à venir portant sur des maladies d’une particulière gravité.

Enfin, le rapport d’information n° 2235 au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique (« Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine ») de janvier 2010 a également proposé de ne plus retenir la condition limitant les recherches à celles qui ne peuvent pas « être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques ».

Sans aller jusque-là, le de l’article 23 remplace le critère relatif à une « méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques » par l’impossibilité « en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons ».

Le maintien d’une telle condition restrictive à la possibilité de déroger à l’interdiction des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires se justifie par la volonté de maintenir le caractère exceptionnel de l’utilisation de l’embryon à des fins de recherche.

En première analyse, la différence avec l’ancienne formulation apparaît assez limitée puisque le terme « similaire » est synonyme de « comparable ». La modification introduite lève cependant certaines critiques qui étaient adressées à l’ancienne rédaction. En effet, à partir du moment où l’on admet, comme le font par exemple l’ABM et le Conseil d’État, que les recherches sur les différents types de cellules souches (adultes, pluripotentes induites et embryonnaires) apparaissent plus complémentaires que concurrentes, il semble impossible, sauf à les pratiquer toutes, de décider que l’une est plus efficace que l’autre. Il est en effet difficile de comparer le résultat, en terme d’efficacité, de directions inconnues.

Dès lors que le nouveau critère ne se focalise plus sur le résultat de la recherche, qui ne peut être connu qu’une fois que la recherche a été menée, mais sur son objectif, le nouveau critère apparaît à la fois épistémologiquement plus satisfaisant mais peut-être également plus restrictif. Une recherche ne pourrait en effet être menée à partir d’embryons ou de cellules souches embryonnaires que s’il est impossible de recourir à une méthode alternative (« une recherche similaire »), quels que soient les résultats et l’efficacité attendus de cette méthode par rapport à ceux espérés en recourant à des embryons. Les recherches liées au screening à visée pharmaceutique se heurteraient dès lors à cette deuxième condition, puisqu’elles peuvent être menées à partir de cellules iPS, et ne pourraient pas recevoir d’autorisations de l’ABM.

 Le projet de loi supprime la condition tenant à « l’intérêt pour la santé publique »

Dans son étude « La révision des lois de bioéthique » adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, le Conseil d’État s’interrogeait déjà sur l’opportunité du maintien du critère de « l’intérêt pour la santé publique », celui-ci étant par principe satisfait lorsque la recherche est « susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs ».

Cette interrogation garde toute sa pertinence lorsqu’on substitue, comme le propose le projet de loi, à la notion de « progrès thérapeutiques majeurs » celle de « progrès médicaux majeurs ».

Le de l’article 23 supprime en conséquence cette condition superfétatoire. L’agence de la biomédecine ne prendra désormais donc plus sa décision d’autoriser des recherches sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires au regard du critère d’intérêt pour la santé publique puisque celui-ci aura nécessairement été intégré lorsqu’elle examinera si les recherches envisagées sont susceptibles de permettre des progrès médicaux majeurs.

L’ABM continuera à prendre sa décision d’autoriser ou non les recherches au regard des deux autres critères complémentaires qui restent globalement inchangés : celui de « la pertinence scientifique du projet de recherche » et de ses « conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ».

e) Le projet de loi modifie les conditions de révocation du consentement à la recherche du couple dont les embryons sont issus

Actuellement, le consentement d’un couple à ce qu’une recherche puisse être menée sur un de ses embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental est révocable « à tout moment et sans motif ».

Pour justifiée qu’elle soit, cette disposition n’est pas sans risquer de poser des problèmes pratiques qui ont conduit l’agence de la biomédecine, dans son « bilan d’octobre 2008 d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 », à préconiser que la révocabilité du consentement du couple donneur à ce qu’un de ses embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental fasse l’objet d’expérience soit limitée dans le temps et que ce consentement ne puisse par exemple plus être retiré après que les essais thérapeutiques sur des patients ont débuté.

De la même façon, le Conseil d’État, dans son étude « La révision des lois de bioéthique » adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009, a fait valoir que la règle actuelle « peut créer des situations inextricables lorsque l’embryon a donné lieu à une dérivation de lignées de cellules souches, dont ont été prélevées des cellules qu’il n’est plus possible de distinguer au sein d’un matériau de recherche ».

Tirant les conséquences de cette analyse, le e) du de l’article 23 dispose désormais que le consentement des deux membres du couple n’est révocable que « tant que les recherches n’ont pas débuté ».

f) Le projet de loi précise les modalités d’intervention de l’agence de la biomédecine et des ministres chargés de la santé et de la recherche

● Modalités d’intervention de l’agence de la biomédecine

Le a) du de l’article 23 modifie les modalités d’intervention de l’Agence de la biomédecine dans l’autorisation, à titre dérogatoire, de recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires.

L’agence de la biomédecine reste, de façon inchangée, compétente pour autoriser les projets de recherche.

Toutefois, la loi ne se contente plus, comme auparavant, d’indiquer que l’ABM prendra sa décision d’autorisation en fonction de la pertinence scientifique du projet de recherche, de ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques et de son intérêt pour la santé publique, ni même en fonction de deux seulement de ces critères puisque celui relatif à l’intérêt pour la santé publique est supprimé par le projet de loi (cf. supra), mais l’ABM devra désormais se prononcer après avoir vérifié que l’ensemble des conditions posées au deuxième alinéa de la nouvelle version de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique sont satisfaites, c’est-à-dire :

– les recherches sont susceptibles de permettre des progrès médicaux majeurs ;

– il est impossible, en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons ;

– le projet de recherche est scientifiquement pertinent ;

– les conditions de mise en œuvre respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

La modification introduite demeure essentiellement formelle, dans la mesure où l’ABM fondait déjà, en pratique, sa décision sur l’ensemble des critères énoncés par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique.

 Modalités d’intervention des ministres chargés de la santé et de la recherche

Le b) du de l’article 23 modifie les modalités d’intervention des ministres chargés de la santé et de la recherche dans la procédure d’autorisation, à titre dérogatoire, de recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires.

Actuellement, la décision de l’agence de la biomédecine est transmise aux ministres chargés de la santé et de la recherche et, lorsqu’il s’agit d’une autorisation, ceux-ci peuvent en interdire ou en suspendre la réalisation s’ils estiment que sa pertinence scientifique n’est pas établie ou que le respect des principes éthiques n’est pas assuré.

Le projet de loi prévoit désormais que les ministres chargés de la santé et de la recherche pourront interdire ou suspendre la réalisation d’un protocole de recherche dès lors qu’une ou plusieurs des conditions posées au deuxième alinéa de la nouvelle version de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique (cf. supra) ne sont pas satisfaites.

Cette disposition est de nature à renforcer le contrôle de l’agence de la biomédecine par le pouvoir politique.

g) Le projet de loi introduit quelques modifications purement rédactionnelles

Le a) du substitue l’expression recherche « «menée à partir d’embryons » à celle de recherche « conduite » sur les embryons.

Le b) du introduit la conjonction de coordination « et » entre les mots « embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation » et les mots « qui ne font plus l’objet d’un projet parental », vraisemblablement pour plus de lisibilité. Cette modification rédactionnelle ne change pas la définition des embryons qui peuvent faire l’objet d’un protocole de recherche.

Le c) et le d) du substituent aux pronoms personnels « elle » et « ils » les réalités qu’ils désignent pour plus de clarté et de correction grammaticale.

*

M. le président Alain Claeys. Notre rapporteur va maintenant présenter cet article qui fait l’objet d’un clivage entre les partisans d’une autorisation encadrée et ceux d’une interdiction assortie de dérogations. Je vous propose d’ouvrir ensuite un débat, ce qui nous permettra, je l’espère, d’examiner plus rapidement les amendements.

M. le rapporteur. Notre droit repose aujourd’hui sur une interdiction, assortie de dérogations limitées dans le temps. Les chercheurs nous ont indiqué, et cela ne me paraît pas contestable, qu’une telle limitation dans le temps posait un problème majeur : il est impossible, en l’absence de visibilité juridique, d’engager des recherches à moyen ou long terme et d’orienter des jeunes chercheurs sur des programmes de recherche. Je vous propose donc de mettre un terme à la limitation dans le temps.

Une seconde réalité à prendre en compte est que la situation n’est plus la même qu’en 2004. À cette époque, un certain nombre d’éléments laissaient penser que les cellules souches embryonnaires allaient permettre des progrès thérapeutiques rapides. Or des travaux réalisés au Japon ont montré qu’il était possible de faire régresser une cellule adulte en cellule souche, ce qui permet d’obtenir des résultats moins problématiques au plan éthique que si l’on utilise des cellules souches embryonnaires, et équivalents voire supérieurs au plan scientifique.

Cela dit, les chercheurs nous demandent de ne pas fermer la porte aux recherches sur les cellules souches embryonnaires : même si cette voie semble moins prometteuse qu’on pouvait initialement l’envisager, elle pourrait redevenir, à terme, porteuse d’espoir.

Reste à savoir s’il est préférable d’adopter une autorisation encadrée ou bien une interdiction générale, assortie de dérogations. Un premier avantage de l’autorisation encadrée est qu’elle est déjà en vigueur dans d’autres pays et que, si l’on en croit l’Agence de biomédecine, elle peut être aussi restrictive dans les faits qu’une interdiction avec dérogations. Elle aurait aussi pour vertu de favoriser l’investissement, notamment en capital.

Mais, comme l’a brillamment démontré Paul Jeanneteau, l’avantage de l’interdiction est qu’elle inspire tout notre droit civil, y compris l’interruption volontaire de grossesse, qui est régie par une interdiction assortie d’une dérogation. Même si elle peut conduire à une limitation de l’investissement, cette solution ne gêne pas, en tant que telle, la recherche.

Je me suis efforcé de trouver une solution qui distinguerait la recherche sur les cellules souches de celle qui porte sur les embryons : comme l’indiquait Axel Kahn, il me semble qu’il y a une différence de nature entre un embryon, qui est une potentialité de personne humaine, et une cellule souche embryonnaire multipotente, qui n’a aucune possibilité de revenir au stade de l’embryon dont elle est issue, et qui est à peu près équivalente, au plan éthique, à une cellule adulte ayant régressé en cellule souche. J’ai donc essayé d’élaborer un système juridique combinant une autorisation encadrée pour les lignées de cellules souches et une interdiction, assortie de dérogations, pour les embryons.

La première difficulté à laquelle je me suis heurté est que si l’embryon est un au plan biologique, c’est-à-dire du point de vue de sa nature, il a des significations et des valeurs différentes selon sa destination : afin d’éviter ce que Jean-François Mattei a appelé une « expérience d’homme », il faut protéger davantage l’embryon destiné à naître que l’embryon destiné à être détruit. Dans ce dernier cas, le prélèvement cellulaire, réalisé après la destruction de l’embryon ou au cours de celle-ci, constitue une transgression moindre que la destruction elle-même : il est moins grave de prélever une cellule que de détruire l’embryon. Une seconde difficulté est que l’embryon est, à l’origine, une cellule : le pont entre l’embryon et la cellule est relativement étroit. Enfin, si l’embryon détruit était certes destiné à l’être, c’est tout de même du fait du prélèvement qu’il l’est effectivement.

Après avoir cherché des régimes différents pour l’embryon destiné à naître, pour l’embryon non destiné à naître et pour les cellules souches embryonnaires, je suis revenu à l’idée que le régime actuel, qui consiste en une interdiction avec des dérogations, est plus clair pour les chercheurs. Mieux vaut un seul régime que plusieurs. J’ai donc repris la proposition que j’avais formulée dans le cadre des travaux de la mission d’information, à savoir une interdiction avec dérogations, accompagnée de la suppression du moratoire de cinq ans dans le but de donner une visibilité aux chercheurs.

J’ai acquis la conviction que le droit français, qui respecte la personne comme l’être en devenir, ne constitue pas une entrave à la recherche scientifique. Par précaution, je propose toutefois que les travaux de l’agence de biomédecine fassent l’objet, en plus du rapport annuel adressé à l’OPECST, d’un débat parlementaire, portant à la fois sur le respect de l’éthique, sur le bilan des expériences réalisées, compte tenu notamment des nouvelles technologies, et sur la comparaison entre la recherche française et celle des autres pays. Cela permettra de montrer que la première, en pratiquant un système d’interdiction assortie de dérogations, n’accuse pas de retard par rapport aux régimes d’autorisation encadrée en vigueur à l’étranger. À cet égard, celui du Royaume-Uni paraît plus restrictif que le régime français d’interdiction avec dérogations. C’est pourquoi, je vous propose de le conserver, assorti de la suppression du moratoire et avec un contrôle de l’ABM sur l’avancée des recherches.

M. Jean-Yves Le Déaut. Une interdiction assortie de dérogations s’appelle, en droit, une autorisation… Au fur et à mesure de la discussion de ces textes, les positions idéologiques ont débouché sur un exercice de casuistique.

M. le rapporteur. Je réfléchis et je doute, où est le problème ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Le doute et la réflexion doivent certes être encouragés mais votre position ambiguë risque d’avoir pour conséquence de réviser les lois sur la bioéthique sans changer grand-chose à leur économie. Beaucoup d’énergie aura été dépensée pour un bien faible résultat.

Reprenons les principaux points.

La limitation dans le temps n’est pas un problème essentiel.

Je conteste davantage l’argument tiré de la rapidité des progrès thérapeutiques entre 2004 et 2011. Aucun scientifique ne dit aujourd’hui que l’on ne doit plus se préoccuper des cellules souches embryonnaires ni faire des recherches sur les premiers instants de la vie au motif que l’on serait capable de dédifférencier les cellules souches adultes : on ignore si cette technique permet de remonter le temps jusqu’au début du programme. La brebis Dolly montre le contraire : provenant d’une cellule souche adulte dédifférenciée, elle est née vieille.

La première des recherches devrait donc consister à comparer le développement des cellules souches embryonnaires à celui des cellules souches adultes.

M. le rapporteur. Le texte ne la rend pas impossible.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons accepté, dans toutes les lois sur la bioéthique, qu’on fasse de la recherche à tous les instants de la vie. Pourquoi admettrait-on maintenant, au nom de l’éthique, qu’on ne puisse en faire au commencement de la vie ? Il n’y a aucune justification à cela, d’autant qu’il ne s’agit pas d’embryons mais de cellules souches embryonnaires prélevées sur des embryons qui allaient être détruits.

L’autorisation sur des lignées de cellules souches favoriserait le progrès scientifique et technique.

L’embryon n’est pas toujours détruit par les prélèvements : on prélève parfois une seule cellule sur des embryons qui en comptent huit. C’est même le principe du diagnostic préimplantatoire.

Il n’existe donc aucun argument scientifique, ni éthique, ni moral à l’appui de votre position qui, au nom de la recherche d’un équilibre, conforte l’hypocrisie de la loi actuelle. Si vous avez voulu trouver un compromis, celui-ci n’honore pas le Parlement.

M. Xavier Breton. La réaffirmation de l’interdiction est importante pour la protection de l’embryon, sanctionnée par notre droit. Ce n’est pas une question d’idéologie mais de principe. Des dérogations sont prévues. Il faut prendre garde à ce que, de plus en plus larges, elles n’équivalent pas, de fait, à une autorisation. Ce serait une hypocrisie. Les conditions exigées jusqu’ici tenaient à la poursuite d’objectifs thérapeutiques ; nous allons vers leur élargissement à des objectifs médicaux. Nous nous interrogeons donc sur la portée de celui-ci, notamment pour savoir si l’on s’oriente vers des recherches au bénéfice de l’industrie pharmaceutique. C’est une question importante pour l’utilisation des embryons.

Le moratoire offrait un rendez-vous permettant de vérifier que des progrès avaient été réalisés durant les cinq années écoulées. Or, aucun résultat scientifique n’a été obtenu sur le plan thérapeutique à partir de l’utilisation d’embryons ou de cellules souches embryonnaires. C’est pourquoi nous présenterons une série d’amendements visant à réaffirmer l’interdiction et à limiter le plus possible les dérogations.

M. Jean-Louis Touraine. La raison plaide en faveur d’un régime d’autorisation et non d’un moyen artificiel, un peu jésuitique, un peu hypocrite, de contourner cette autorisation en prévoyant une interdiction qu’on lèvera de temps en temps. Mais nous n’espérons pas persuader ceux pour qui la décision relève non de la rationalité mais de leurs croyances et de leur idéologie.

Le respect de l’homme comporte, et même nécessite, la recherche scientifique car elle permet de faire progresser la thérapeutique. En travaillant, avec Olivier Jardé, sur la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine, qui sera bientôt examinée en commission mixte paritaire, nous nous sommes rendus compte que plus personne ne saurait remettre en cause ce type de recherches.

La même observation vaut pour les cellules souches embryonnaires et pour l’embryon lui-même. Suivant en cela le Conseil d’État, je souhaite qu’on privilégie un système d’autorisation, formule simple qui adresserait un message fort aux chercheurs et aux thérapeutes. Ce qui a été dit des applications est faux : les administrations de cellules souches sont déjà très nombreuses sur le plan thérapeutique. Nous avons, dans ce domaine, dépassé largement le stade de la recherche fondamentale et parvenons à celui de la prise en charge par des laboratoires internationaux.

En sens inverse, l’interdiction assortie de dérogations enverrait un signal négatif et dissuasif à nos chercheurs, alors incités à émigrer vers des pays qui leur offrent de meilleures conditions de travail. C’est pourquoi ils sont déjà plus nombreux à Bethesda aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Australie qu’en France. Un nouveau retard chez nous serait difficile à combler.

En outre, il n’existe pas d’alternative : l’expression unique « cellule souche » ne permet pas de comparer une cellule souche adulte, même reprogrammée, avec une cellule souche embryonnaire. Elles sont aussi différentes qu’un nouveau né l’est d’un vieillard. Un grand nombre de publications scientifiques ont montré qu’une cellule souche vieillit mais non une cellule souche embryonnaire. Seule cette dernière présente une capacité infinie d’applications comme de différenciations ainsi que des potentialités interdites à toute cellule souche reprogrammée ou modifiée. Je n’exclus pas que, dans quelques décennies, on sache fabriquer des cellules souches de type embryonnaire à partir d’autres cellules. Mais, pour y parvenir, il aura d’abord fallu travailler sur la cellule souche embryonnaire, afin de découvrir comment elle fonctionne et ce qu’elle a de différent des cellules souches adultes.

Je suis bien évidemment favorable à un régime d’autorisation. Il faudrait aussi envisager une réflexion relative à la recherche sur l’embryon humain, qui réduirait les excès de production et de destruction d’embryons surnuméraires. Nous produisons aujourd’hui 40 à 100 fois plus d’embryons que nécessaire pour une naissance. Dans leur grande majorité, les embryons produits sont détruits, ce qui n’est guère satisfaisant, surtout pour ceux qui sacralisent l’embryon humain.

En outre, l’intérêt thérapeutique s’ajoute à l’intérêt scientifique en permettant d’administrer des traitements au stade embryonnaire proprement dit. Nous le faisons déjà couramment, en diagnostic prénatal, pour de multiples maladies, à la frontière entre les stades embryonnaire et fœtal.

Il faut enfin tenir compte de l’acquis que constitue le diagnostic préimplantatoire qui représente déjà une certaine forme de recherche sur des cellules embryonnaires.

M. Olivier Jardé. À mes yeux, l’interdiction assortie de dérogations ne garantit pas un encadrement strict. La formule manque de lisibilité. J’approuve, au contraire, l’autorisation strictement encadrée préconisée par le Conseil d’État.

Selon ce système, les recherches ne pourraient être réalisées que dans le cas de progrès scientifiques et médicaux majeurs, ne pouvant être obtenus par d’autres voies et obéissant à des principes éthiques rigoureux.

Je regrette qu’en soutenant le régime de l’interdiction avec dérogations on fasse porter le poids de la transgression sur les seuls chercheurs.

C’est pour ces raisons que nous avons déposé, avec Jean-Sébastien Vialatte, deux amendements visant à instituer une autorisation avec encadrement.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Certes, l’article 16 du code civil protège l’embryon dès sa conception. Mais il existe une autre dérogation que celle relative à l’interruption de grossesse : la possibilité pour le couple qui a eu recours à une fécondation in vitro de mettre un terme à la vie de l’embryon. Dans le premier cas, la mère décide seule ; dans le second, la décision d’interrompre le processus appartient à l’un ou à l’autre membre du couple.

Il est illusoire d’opposer les cellules souches embryonnaires aux cellules souches pluripotentes induites (IPS) reprogrammées. Ces dernières n’ont pas été découvertes en France mais au Japon et aux États-Unis, où la recherche est autorisée. Si elle l’avait été aussi en France, nous serions restés dans la course. On ne peut donc pas dire que nous ne souffrons d’aucun retard.

La recherche sur le corps humain est autorisée à tous les stades de la vie. Pourquoi ne le serait-elle pas au stade embryonnaire ?

Je suis moi aussi choqué que nous nous défaussions sur les chercheurs de la transgression consistant à détruire un embryon. La rédaction affirmant le principe de l’interdiction de la recherche mais admettant des dérogations dans certains cas me paraît donc hypocrite.

Mme Catherine Coutelle. J’avais cru comprendre que l’article dont nous discutons était un des enjeux les plus importants de la révision de la loi et que nous devions en débattre en début d’année en raison de la date butoir d’expiration du moratoire sur la recherche.

La recherche est au cœur du problème. Nous devons sortir de l’hypocrisie et passer au régime de l’autorisation encadrée, pour deux raisons : la visibilité permettant aux chercheurs de s’engager dans des travaux relativement longs et la possibilité offerte à la France de se tenir au même niveau que les autres pays. Enfin, il n’existe plus, selon le Conseil d’État, d’argument juridique s’opposant à l’instauration d’un régime d’autorisation. Notre rapporteur a lui-même, au début de son intervention, estimé que l’autorisation encadrée présentait un certain nombre d’avantages, bien qu’il ait finalement opté pour une autre solution. Il a notamment signalé les avancées de la recherche nécéssitant de dégager des capacités d’investissement. Or nous souhaitons tous favoriser la recherche.

M. Paul Jeanneteau. Je me place sur la même position que notre rapporteur.

MM. Jean-Yves Le Déaut et Jean-Claude Touraine ont considéré que l’on avait consacré beaucoup d’énergie pour aboutir à peu de changements dans la loi sur la bioéthique. Mais faut-il changer pour le plaisir de changer ? La loi de 2004 n’était peut-être pas si mauvaise … Faut-il se laisser aller au vertige de la page blanche qui pousse, en cas de révision d’une loi, à vouloir la modifier profondément ? Supprimer la clause de révision me paraît donc une bonne chose : la loi est la loi, il n’est pas besoin de la retoucher tous les cinq ans dès lors qu’on a fixé certains principes et certains interdits.

Chacun appelle les scientifiques au secours de ses convictions. La mission d’information sur la révision des lois bioéthique a procédé à 108 auditions. Ayant assisté à 95 d’entre elles, je me suis rendu compte que les avis des scientifiques étaient beaucoup plus nuancés qu’on ne le dit à propos des cellules souches embryonnaires et des cellules souches IPS reprogrammées.

J’apprécie beaucoup la qualité et la sérénité de nos débats – qui doit beaucoup au président Alain Claeys – sur des sujets aussi importants que la gestation pour autrui (GPA) ou la recherche sur les cellules souches embryonnaires. C’est pourquoi je regrette que, pour défendre leurs convictions, certains accusent les autres d’adopter des positions hypocrites ou jésuitiques.

M. Michel Vaxès. Je suis favorable au régime d’autorisation encadrée, sous conditions. Je crains qu’avec le système de l’interdiction avec dérogation, nous cédions à une pression idéologique qui me semble d’autant moins légitime qu’elle aboutit, en fait, à mettre en place une autorisation qui n’avoue pas son nom.

Contrairement à ce que disait M. Jean-Sébastien Vialatte, je ne crois pas qu’il y ait transgression car l’embryon ne devient une potentialité de personne que s’il est transféré. Jamais, sinon, il ne donnera un être humain, pas plus que tous les embryons rejetés parce qu’ils ne se fixent pas.

Il faut donc nous dégager des pressions qui nous poussent à maintenir un régime qui n’a plus lieu d’être. Nous devons pour chaque situation non pas rechercher la conformité à une règle forcément trop sommaire mais l’apprécier en fonction de l’objectif. Il faut donc admettre le régime d’autorisation, en posant les conditions que l’on sait, relatives notamment aux finalités médicales et aux recherches scientifiques.

M. le président Alain Claeys. On permettra pour une fois au Président de donner son sentiment.

Au-delà du débat médiatique, la recherche est le thème central de la révision de nos lois bioéthiques, d’autant que nous allons décider de ne plus revisiter ces lois tous les cinq ans.

J’ai entendu et je respecte les hésitations de notre rapporteur.

Je voudrais revenir un peu en arrière pour rappeler que lorsque nous avons décidé il y a six ans d’encadrer les recherches sur l’embryon, deux blocs s’opposaient : ceux pour qui il n’y avait rien à attendre des recherches sur les cellules souches embryonnaires car celles sur les cellules souches adultes résoudraient tous les problèmes et, par réaction, ceux qui défendaient à tout prix le clonage thérapeutique, au motif que les progrès thérapeutiques étaient à portée de main.

Aucune de ces deux attitudes n’était respectueuse des chercheurs et des malades : le temps médiatique n’est pas celui de la recherche et ce dernier n’est, hélas, pas celui de la maladie.

De quoi s’agit-il donc aujourd’hui ? De répondre à deux questions concernant la recherche sur le vivant.

En premier lieu, le dispositif mis en place il y a six ans pour encadrer et pour évaluer la recherche, particulièrement sur les cellules souches embryonnaires, est-il satisfaisant ? Je n’ai pas entendu un seul de nos collègues contester cet encadrement et nous pouvons donc tous, y compris le pouvoir exécutif, répondre par l’affirmative.

En second lieu, qu’est ce qui est utile pour la recherche ? Nous avons, avec Jean-Sébastien Vialatte et sous l’égide de l’OPECST, procédé à l’évaluation prévue par la loi des recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires. Mais, durant cette période, la science a progressé. Des chercheurs, travaillant exclusivement sur les cellules souches embryonnaires, ont mis au point de nouvelles cellules souches, dites IPS, reprogrammées.

Comment expliquer maintenant aux chercheurs et aux malades que les recherches seraient plus ou moins éthiques ? Tous les chercheurs, sur quelque type de cellules qu’ils travaillent, estiment qu’il faut continuer de le faire et que la France doit y consacrer les moyens nécessaires.

N’introduisons pas dans cette affaire, surtout dans le contexte actuel, les entreprises pharmaceutiques : l’argument ne serait pas honnête. Aujourd’hui, il ne doit pas se dérouler dans le monde entier plus de deux ou trois essais cliniques par an sur les cellules souches embryonnaires. Les recherches correspondantes ne sont donc pas entre les mains de laboratoires ou de grands groupes pharmaceutiques.

C’est pourquoi, pour certaines recherches, poser une interdiction mais accorder des dérogations, n’est pas éthiquement acceptable, surtout si on ne révise plus la loi tous les cinq ans. Car alors on culpabilise le chercheur et on organise une recherche à deux niveaux : celle qui serait éthique et celle qui ne le serait pas, ce qui ne peut qu’introduire le trouble chez les jeunes chercheurs et chez les associations de malades.

Il faut aussi oser aborder la question de la pression des groupes religieux et philosophiques. Nous les avons tous entendus. Mais il ne nous revient pas, en tant que législateur, d’arbitrer sur la définition du commencement et de la fin de la vie. Cela relève de la sphère privée. Le législateur doit se borner à déterminer ce qui est acceptable par notre société, au-delà des convictions religieuses et philosophiques de chacun.

Concernant les cellules souches embryonnaires, il nous faut mener sur elles des recherches cognitives afin de comprendre la différenciation cellulaire et, partant, d’expliquer demain un certain nombre des mécanismes correspondants. Il y a par ailleurs les recherches à finalité thérapeutique. Personne ne peut dire aujourd’hui quelles sont les finalités thérapeutiques des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Nous espérons qu’il en existe mais il nous faudra du temps pour le savoir.

Le deuxième type de recherche porte sur ce que René Frydman appelle « l’innovation thérapeutique », c’est-à-dire sur l’embryon qui n’est pas destiné à disparaître. C’est un sujet essentiel pour l’évolution et le progrès de la procréation médicalement assistée.

Si la nouvelle loi apporte des avancées sur ces deux thèmes, nous aurons bien fait notre travail de législateur et je ne crois pas que les uns ou les autres auront alors dû renoncer à quelque valeur éthique que ce soit. J’attache la plus grande importance à cette question.

M. le rapporteur. Nous avons déjà discuté de sujets passionnels comme la gestation pour autrui et l’anonymat du don de gamètes. Nous arrivons maintenant à la question de savoir s’il existe une réelle différence pour les chercheurs entre l’autorisation encadrée et l’interdiction assortie de dérogations. Beaucoup de chercheurs considèrent que c’est la même chose et que l’actuel encadrement est satisfaisant. Aucun ne s’est dit entravé par la loi française.

M. Jean-Louis Touraine. Évidemment, ceux-là sont aux États-Unis.

M. le rapporteur. Ceux que nous avons entendus ici venaient de l’INSERM, du CNRS …

M. le président Alain Claeys. Quand je parle d’encadrement, je n’évoque pas la dérogation pour cinq ans : je pense au rôle assigné à l’Agence de biomédecine. Il est normal de se demander si celle-ci, sur l’importation de cellules souches embryonnaires, sur l’autorisation de recherches sur ce type de cellules et sur leur évaluation, a bien fait son travail. Je réponds oui. Aucun élément ne permet d’infirmer cela.

M. le rapporteur. Vous avez formulé des observations en contradiction avec ce que je pense. Je voudrais, moi aussi, aller au fond du sujet. J’ai, personnellement, exploré toutes les possibilités d’autorisation pour comprendre comment, juridiquement, éthiquement et pratiquement, on pourrait mettre en place un tel système. Ma conclusion est qu’il n’apporterait rien de plus aux chercheurs. Pour sécuriser mon argument, je vous propose un amendement aux termes duquel l’ABM présentera chaque année un état de la recherche française permettant de vérifier que la France ne prend pas de retard par rapport aux pays qui appliquent le régime d’autorisation. J’ai l’intime conviction que cela ne se produira pas davantage dans un contexte pérenne que lorsque le moratoire réduisait l’horizon des chercheurs.

Vous avez évoqué l’hypocrisie dont on nous accuse ainsi que la prise en compte des convictions religieuses des uns et des autres. À cet égard, Louis Pasteur disait qu’en entrant dans son laboratoire, il accrochait sa foi au porte-manteau et la remplaçait par sa blouse. Mais les conceptions philosophiques existent. On ne peut demander aux députés de les oublier à l’occasion de l’examen d’un texte qui, justement, porte sur ces convictions, sur l’avenir de la société, sur l’idée qu’on se fait de l’homme et sur nos valeurs communes.

Si certains d’entre nous votaient en fonction de directives religieuses, ils s’opposeraient à l’aide médicale à la procréation, à la conservation des embryons et à toute dérogation à l’interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Cette sempiternelle référence à la religion n’a donc pas lieu d’être ! Toutes les décisions que nous prenons, même celles que certains considèrent comme les plus hypocrites ou les plus jésuitiques, émanent de nos convictions et de notre recherche de compromis, notion juste et équilibrée qui n’a rien à voir avec la compromission. La bioéthique pose toujours un dilemme entre deux bienfaits. C’est pourquoi les choix sont complexes et résultent d’un cheminement de doute, au cours duquel nous pouvons affirmer nos convictions sans mépriser celles des autres.

Les chercheurs que nous avons rencontrés n’étaient nullement culpabilisés par la loi – ils n’encouraient aucun anathème au motif d’une supposée transgression – mais seulement gênés par le moratoire. M. Bertrand Mathieu, professeur de droit, a écrit que la médecine a souvent été le champ des transgressions bénéfiques et que c’est cela qui l’a fait progresser. Mais la transgression n’a jamais été inscrite dans la loi. La loi peut se transgresser mais elle ne peut pas transgresser.

Je vous propose donc de rester sur une idée simple consistant à reconnaître que l’affichage de l’interdit est protecteur, bien que symbolique : parfois, les symboles protecteurs servent de repères à une société qui en a besoin.

Ce type de repères freine-t-il la recherche française ? J’ai acquis la conviction que non. Les dérogations qui seront accordées et qui seront pérennes préserveront la compétitivité de notre pays, vérifiée annuellement par l’ABM.

On ne peut dire que la découverte des cellules souches pluripotentes induites (IPS) résulte du travail accompli sur les cellules souches embryonnaires : c’est parce qu’on ne trouvait pas ce qu’on cherchait sur les secondes, et en raison d’une dérive tumorale les affectant, qu’on a cherché un autre modèle comportant moins de complications. Ainsi, à partir d’un échec, se sont opérées les découvertes américaines et japonaises.

Enfin, tout en respectant les convictions religieuses, je crois avoir prouvé que les miennes n’étaient pas imprégnées du catholicisme le plus étroit.

M. Jean-Yves Le Déaut. Il n’est pas vrai que la loi actuelle, résultant d’un compromis…

M. le rapporteur. L’autorisation encadrée est aussi un compromis.

M. Jean-Yves Le Déaut. …n’a eu aucune incidence. L’exemple de la vitrification le prouve : le Conseil d’État a jugé en 2009 qu’il s’agissait d’une recherche sur l’embryon et que, en vertu de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, celle-ci était interdite. La loi en vigueur ne permet pas de traiter ce type de question.

M. le rapporteur. Mais la future loi, oui.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. L’interdiction avec dérogations est un compromis, parfaitement compatible avec la conviction du gouvernement et avec la mienne, à titre personnel.

Je ne pense pas que le régime en vigueur ait gêné la recherche. Les classements internationaux montrent que la France n’a pas régressé. Notre niveau de performance reste très élevé.

Il est vrai que d’autres options étaient possibles, notamment ouvrir une nouvelle période de dérogation limitée dans le temps. Nous l’avons écartée car elle aurait provoqué un manque de visibilité pour les équipes de recherche.

Le maintien du système actuel est ce qui apporte le plus de garanties. Il convient aux chercheurs car ils savent dans quel cadre ils peuvent intervenir. Dès lors, il n’y a pas lieu de procéder à un bouleversement. Nous restons attachés aux principes que ce texte reprend. Aujourd’hui, l’obtention d’une autorisation de recherche dans le cadre d’une dérogation à la règle de l’interdiction est ce qui souligne le mieux notre préoccupation primordiale de protection de l’embryon.

La commission est d’abord saisie de l’amendement AS 108 de M. Michel Vaxès

M. Michel Vaxès. Il s’agit d’instaurer un régime d’autorisation sous conditions.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 46 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. La loi de 2004 affirmait le principe d’interdiction, assorti d’un régime dérogatoire, afin de pouvoir observer l’évolution des choses pendant cinq ans. Le bilan que l’on peut dresser aujourd’hui montre que l’utilisation des cellules souches embryonnaires n’a donné aucun résultat sur le plan thérapeutique. Il existe en outre des méthodes alternatives, que ce soit avec les cellules souches adultes ou issues du sang de cordon ombilical, ou bien encore, dans le cadre de la recherche pharmaceutique, avec les cellules souches pluripotentes induites. Nous proposons donc de réaffirmer le principe d’interdiction et de supprimer ce régime dérogatoire qui n’a manifestement rien apporté.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement, de même que l’amendement AS 120 de M. Noël Mamère.

Puis elle examine l’amendement AS 45 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Le principe de l’interdiction de la recherche doit porter sur la totalité de l’embryon. Les cellules souches embryonnaires provenant de la destruction d’un embryon, les mentionner nous semble inutile.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS 169 de M. Jean-Yves Le Déaut et AS 2 de M. Jean-Sébastien Vialatte.

M. Jean-Yves Le Déaut. La loi de 2004 interdisait seulement la recherche sur l’embryon. L’actuel projet étend cette interdiction aux cellules souches embryonnaires. Je propose de supprimer cette extension.

M. le rapporteur. J’ai indiqué tout à l’heure qu’on ne trouve pas la frontière entre cellule souche embryonnaire et embryon. Nous étions déjà dans un régime dérogatoire de fait. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AS 147 de M. Alain Claeys.

Elle en vient à l’amendement AS 44 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Les lignées de cellules souches embryonnaires proviennent d’un embryon qui a lui-même été détruit. Il nous paraît donc important de les inclure expressément dans le champ d’application de l’interdiction de la recherche.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 50 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Nos amendements précédents n’ayant pas été retenus, nous proposons de rétablir le moratoire afin de pouvoir évaluer les résultats scientifiques ce qui se justifie par l’absence de résultat constaté au cours des sept années du moratoire prévu par la loi de 2004.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement, de même que les amendements AS 3 de M. Jean-Sébastien Vialatte et AS 121 de M. Noël Mamère.

Elle examine ensuite l’amendement AS 47 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit ici de revenir à la notion de progrès thérapeutiques majeurs exigés pour permettre des dérogations à l’interdiction. Lors des auditions, nous avons cherché à savoir quelle était la différence d’impact entre « progrès médicaux » et « progrès thérapeutiques ». Faute d’une réponse satisfaisante, nous proposons de conserver la règle actuelle.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Les mots « progrès thérapeutiques majeurs » étaient excessifs car personne ne peut prévoir ces progrès lorsqu’il entame une recherche. C’est pourquoi, l’Agence de biomédecine autorisait, à la limite de la loi, des recherches qu’elle aurait dû interdire si elle avait fait une application rigoureuse du texte.

À l’issue d’une réflexion entre scientifiques, nous avons retenu l’expression « progrès médicaux » car elle exprime, par essence, un objectif de soins. La recherche se fait dans l’intérêt de l’homme et non pour la science pure ; aucun chercheur ne peut prétendre que son travail débouchera sur un progrès thérapeutique majeur. Les déclarations d’intention exigées par la loi ne correspondaient pas à la réalité.

Sur les 47 recherches autorisées, alors qu’aucune ne pouvait être regardée comme visant un progrès thérapeutique majeur, quelques unes ont cependant débouché dans ce sens.

M. Xavier Breton. La rédaction du projet permettra-t-elle à la recherche d’utiliser des cellules souches embryonnaires comme outil de criblage de molécules et de modélisation des pathologies, qui relève de la recherche pharmaceutique ?

M. le rapporteur. Oui en ce qui concerne la seule condition relative aux progrès médicaux. Mais nous allons examiner une autre modification à la loi de 2004 introduisant une seconde condition plus explicite et moins permissive, qui s’applique de façon cumulative avec la première pour être autorisé à réaliser des recherches sur l’embryon.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 170 de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. La référence aux progrès scientifiques me semble indispensable.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 52 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. La deuxième condition contenue dans l’alinéa 4 renvoyant à l’impossibilité « en l’état des connaissances scientifiques de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires » est ambiguë. C’est pourquoi nous proposons de revenir à la rédaction actuelle qui soumet les recherches sur l’embryon « à la condition de ne pouvoir être poursuives par une méthode alternative d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques ».

M. le rapporteur. Avis défavorable. Tout d’abord, le résultat de la recherche est le plus souvent imprévisible. Par ailleurs, l’amendement élargirait considérablement les possibilités de recherche sur l’embryon, ce qui semble aller à l’encontre de son objectif.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 48 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il convient d’exclure du champ des dérogations certains types de recherche qui peuvent être menées sur d’autres types de cellules. Nous serons très attentifs au sort qui sera réservé à cet amendement important.

M. le rapporteur. Il n’y a pas de raison d’exclure a priori certaines recherches si elles satisfont aux critères législatifs d’encadrement définis à l’article L. 2151-5 du code de la santé publique. Il conviendra lors du débat de bien préciser le champ couvert par les deux nouveaux critères et notamment ce que peuvent être des recherches « similaires », afin que cette disposition ne soit comprise ni comme trop permissive, ni comme trop restrictive.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 49 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit d’inscrire dans la loi le pré-requis de l’expérimentation animale.

M. le rapporteur. Certains programmes de recherche ne peuvent être menés préalablement sur l’animal, du fait des spécificités de l’espèce humaine. Pour le reste, l’expérimentation animale préalable à l’expérimentation humaine fait partie de la pratique habituelle. Je propose donc le retrait de cet amendement, à défaut j’y serai défavorable en l’état.

M. Xavier Breton. Il me semble important que le législateur inscrive dans la loi cette obligation qui n’y figure pas.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 51 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Nous souhaitons que l’on privilégie les alternatives à la recherche sur l’embryon.

M. le rapporteur. Avis favorable, bien qu’il s’agisse d’un amendement plus déclaratif que normatif.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement AS 57 de Mme Véronique Besse.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 148 de M. Alain Claeys.

M. Philippe Vuilque. Les soins au bénéfice de l’embryon étant assimilés à une recherche, il n’a pas été possible de développer la recherche sur la vitrification des ovocytes. Il importe de combler ce vide juridique.

M. le président Alain Claeys. Mieux vaudrait parler d’« innovations thérapeutiques » que de « soins ». Je corrige l’amendement en ce sens.

M. le rapporteur. Avis défavorable, car le dispositif n’est pas assez explicite. Il serait préférable de faire référence aux « études » ne portant pas atteinte à l’embryon, notion plus respectueuse des premiers stades de développement de l’embryon – et qui figurait du reste dans la loi de 2004. Peut-être pourrons-nous trouver ultérieurement une rédaction conforme à cette idée.

M. Olivier Jardé. Pourquoi l’embryon ne pourrait-il bénéficier de soins ?

La commission rejette l’amendement corrigé.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AS 171 de M. Jean-Yves le Déaut.

Elle examine l’amendement AS 53 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de s’assurer que les couples consentant au don de leurs embryons pour la recherche donnent un consentement libre et éclairé.

M. le rapporteur. Cette disposition va dans le sens de la transparence. Avis favorable.

M. Hervé Mariton. La démarche est curieuse. Dès lors que la recherche est acceptée, il faut accepter aussi le degré de liberté qui l’accompagne.

M. le rapporteur. Cette disposition correspond à la recommandation n° 15 du rapport de OPECST de juillet 2010 et à la proposition n° 48 du rapport n° 2235 de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique. Il n’est pas inutile d’informer les parents de l’objet de la recherche pour laquelle ils ont consenti un don d’embryon.

M. Olivier Jardé. Cette disposition est dans la droite ligne de la loi du 4 mars 2002, qui fait de l’information une obligation.

M. le rapporteur. Cette obligation ne s’appliquant pas à l’objet de la recherche, il convient d’y remédier.

M. le ministre. Il me semble que l’expression « recherche pratiquée » serait plus précise que « recherche projetée ». Cela étant, je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 55 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Afin d’en assurer la transparence, il convient que toutes les décisions rendues par l’Agence de la biomédecine soient motivées, et non pas uniquement les décisions de refus.

M. le rapporteur. L’étude du Conseil d’État de mai 2009 a bien mis en évidence que, pour des raisons tenant à la protection de la confidentialité des projets de recherche, il n’est pas possible d’imposer à l’Agence de la biomédecine de motiver sa décision. En revanche, le ministre peut modifier par voie réglementaire l’article R. 2151-2 afin d’obliger le conseil d’orientation de l’agence de la biomédecine à motiver les avis qu’il rend sur les projets de recherche, avis qui ne sont communiqués qu’au directeur de l’agence et aux ministres.

M. le ministre. Je suis favorable à la proposition du rapporteur.

M. Xavier Breton. En cas de contestation, il n’est pas possible d’avoir accès aux motivations. La transparence serait souhaitable.

M. Hervé Mariton. Comment concilier la confidentialité et la nécessité d’un accès aux motivations de la décision pour fonder un recours contentieux ?

M. le rapporteur. Nous pourrions y revenir au titre de l’article 88 de notre Règlement, afin d’adopter une rédaction qui pourrait être la suivante : « Le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine transmet les avis motivés qu’il rend sur les projets de recherche au directeur de l’Agence de la biomédecine et au ministre. »

M. Xavier Breton. Dans cette attente, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement AS 4 de M. Jean-Sébastien Vialatte.

Elle examine ensuite l’amendement AS 54 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Proposer à un couple consentant à une assistance médicale à la procréation de consentir d’une manière concomitante à ce que les embryons fassent l’objet d’une recherche ne garantit pas un consentement libre et éclairé. L’amendement tend donc à supprimer cette disposition.

M. le rapporteur. Cette mesure relève du domaine réglementaire. Quel est l’avis du ministre ?

M. le ministre. Avis défavorable, car cela relève en effet du domaine réglementaire.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 23 modifié.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Monsieur le président, notre débat est un peu confus. Ainsi, je ne suis pas certain qu’il était dans l’intention de nos collègues de rejeter l’article 23 et je propose que nous procédions à une deuxième délibération sur cet article.

M. le rapporteur. Il semble en effet que ce soit le rejet de certains amendements qui ait conduit certains de nos collègues à voter contre l’article 23.

M. le président Alain Claeys. À la demande de M. le rapporteur et de M. le ministre, nous allons procéder à une deuxième délibération sur l’article 23.

Je demande en tant de président au rapporteur et au ministre d’examiner attentivement les demandes que nous avons pu formuler en vue de notre réunion au titre de l’article 88.

M. le rapporteur. Pour lever tout malentendu, je propose que le système de dérogations que nous avons voté soit étudié au mieux, afin de trouver un équilibre entre la dignité de l’embryon et la compétitivité et la performance de la recherche. Quant à l’article 23, il conviendrait en effet de revenir sur son rejet.

M. le ministre. Le régime d’une interdiction avec dérogation est différent de celui d’une autorisation encadrée et nous maintenons à ce propos la ligne que nous avions définie voici quelques années. Certains points devront certes être expertisés pour bien délimiter le champ d’application des nouveaux critères ouvrant droit à dérogations, mais je tiens à rappeler la frontière que pose le texte et que nous soutenons.

M. Hervé Mariton. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « système de dérogations étudié au mieux » ? Le glissement du terme de « thérapeutique » vers celui de « médical » peut laisser craindre que cette notion n’inclue trop largement la dimension pharmaceutique. L’exposé des motifs de l’amendement AS 48 de M. Breton est d’ailleurs clair à cet égard, précisant qu’« il ne saurait être question d’autoriser la recherche sur embryons pour la recherche pharmaceutique ». Sans doute faudrait-il donc établir une meilleure distinction entre le « médical » et le « pharmaceutique ».

M. le rapporteur. Pour l’immense majorité des parlementaires ici présents, il n’est pas question d’ouvrir largement le système de dérogations. Du reste, le critère d’impossibilité de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons employé dans le texte du projet me semble beaucoup plus restrictif que la condition antérieure de « méthode alternative d’efficacité comparable ». Le mot « médical », qui n’est pas plus permissif, est plus justifié. Par ailleurs, le « thérapeutique » inclut le « pharmacologique », mais le « médical » ne peut exprimer que l’objectif de soigner les pathologies humaines. Le rejet de certains amendements de M. Xavier Breton était donc motivé par un souci, non de permissivité, mais de restriction. La recherche médicale ne sera pas bridée par une interdiction avec dérogation, mais celle-ci n’équivaut pas à une autorisation encadrée.

M. Xavier Breton. Il importe de bien définir le périmètre des termes que nous employons. L’utilisation des embryons sera-t-elle possible pour l’élaboration de produits cosmétiques ?

M. le rapporteur. Cette utilisation a toujours été refusée par l’Agence de la biomédecine et n’est pas envisageable.

M. Xavier Breton. Je prends note de la proposition du rapporteur de préciser la nature des dérogations envisagées.

M. le ministre. Monsieur Breton, l’article L. 2151-3 du code de la santé publique prévoit déjà l’interdiction de l’utilisation des embryons à des fins commerciales ou industrielles.

La commission adopte l’article 23 modifié.

Article 24

(Articles L. 2151-6, L. 2151-7 et L. 2151-8 du code de la santé publique)°


Cellules souches embryonnaires

L’article 24 regroupe diverses dispositions relatives aux cellules souches embryonnaires.

1. Les cellules souches embryonnaires sont distinguées des tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux qui relèvent d’un régime juridique distinct

Le I de l’article 24 a pour objet d’ajouter dans l’intitulé du titre V (« Recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires ») du livre Ier (« Protection et promotion de la santé maternelle et infantile ») de la deuxième partie (« Santé de la famille, de la mère et de l’enfant ») du code de la santé publique le qualificatif « souches » pour distinguer clairement les cellules souches embryonnaires d’autres cellules embryonnaires dont le régime juridique, distinct et plus souple, est détaillé dans un autre titre du code.

a) Définition des cellules souches embryonnaires

Une cellule (du latin cellula, petite chambre) est une unité biologique de base, limitée par une membrane semi-perméable, capable d’autoreproduction en l’absence d’autres systèmes vivants.

Une cellule est dite souche (CS) lorsqu’elle est à l’origine d’un tissu, d’un organe ou d’un organisme.

Au début, l’ovule fécondé est constitué de cellules souches dites « totipotentes », c’est-à-dire capables d’engendrer un organisme entier (bébé avec les annexes, le cordon et le placenta). Chacune de ces cellules, implantées dans un utérus, pourrait devenir un fœtus et donner naissance à un être humain. Les seules vraies cellules totipotentes sont l’œuf fécondé et les cellules filles issues de ses toutes premières divisions. Ces cellules « pouvant tout » sont les premières cellules embryonnaires.

Environ cinq jours après la fécondation, les cellules embryonnaires commencent à se différencier et à se spécialiser pour former le blastocyste, composé d’une centaine de cellules. Ce dernier a la forme d’une sphère creuse, de 0,16 millimètre, au fond de laquelle se trouve le monticule du « bouton embryonnaire ». L’embryon au stade blastocyste est l’ultime stade de développement in vitro avant le transfert dans l’utérus en vue d’implantation.

L’embryon au stade blastocyste

Source : Pierre-Louis Fagniez, Cellules souches et choix éthiques, La documentation française, juillet 2006 

C’est à partir de ce bouton embryonnaire que pourront être dérivées les cellules souches embryonnaires (CES) ou cellules ES (de l’anglais Embryonnic Stem Cells). Elles ne sont plus capables de donner un individu complet mais sont dites « pluripotentes », c’est-à-dire qu’elles ont vocation à produire tous les types de cellules composant les organes et tissus du corps nécessaires au développement harmonieux des organes du fœtus. Dans certaines conditions de culture, ces cellules souches embryonnaires peuvent se différencier en des cellules caractéristiques de tous les organes du corps (cellules du cerveau, du foie, de la peau, du sang…).

Après la naissance, les cellules souches pluripotentes subissent une spécialisation plus poussée et sont capables de régir une fonction tissulaire particulière. Ces cellules souches plus spécialisées sont appelées cellules souches adultes (CSA), par opposition aux cellules souches embryonnaires. Présentes dans un organisme adulte et assurant le renouvellement des tissus, ces cellules, contrairement aux cellules souches embryonnaires, ne peuvent se multiplier et se développer que de manière limitée : elles sont dites « multipotentes » et non pas pluripotentes. Il est en outre très difficile de les isoler des tissus puisque les cellules souches adultes ne sont présentes dans la majorité des tissus qu’en faible quantité : 1 pour 100 000 cellules).

Embryogenèse et potentialité des cellules au cours du développement, Extrait de C. El-Bez, « Notions de biologie sur le clonage » in Le clonage humain en arguments, F.Haldemann, H.Potier, S.Romagnoli (dir),ed. Georg, 2005 .

Source : Pierre-Louis Fagniez, Cellules souches et choix éthiques, La documentation française, juillet 2006.

b) D’autres cellules ou tissus embryonnaires relèvent d’un autre régime juridique

 Les cellules embryonnaires prélevées à l’issue d’une interruption de grossesse

L’article L. 1241-5 du chapitre Ier (« Prélèvement et collecte » du Titre IV (« Tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés ») du Livre II (« Don et utilisation des éléments et produits du corps humain ») de la Première partie (« Protection générale de la santé ») du code de la santé publique détaille ainsi le régime juridique de la recherche sur des tissus ou des cellules embryonnaires et fœtaux prélevées à l’issue d’une interruption de grossesse, que celle-ci soit volontaire, avec ou sans motif médical, ou causée par une « fausse couche » spontanée.

Les conditions posées pour la recherche sur ce type de cellules embryonnaires sont distinctes, permanentes et plus souples que celles qui régissent les cellules souches embryonnaires.

Le consentement écrit de la femme doit être recueilli, le prélèvement à visée de recherche scientifique sur les cellules embryonnaires étant interdit si la femme est mineure ou fait l’objet d’une mesure de protection légale. En cas de conservation en vue d’une utilisation ultérieure, les principes généraux applicables en matière d’utilisation des produits du corps humain doivent être respectés, en particulier l’interdiction de la publicité, l’interdiction de la rémunération, l’anonymat, la sécurité sanitaire, la vigilance et les règles relatives à la préparation, à la conservation et à l’utilisation des tissus, des cellules et de leurs dérivés (136).

Les projets de recherche sur les cellules embryonnaires issues d’une interruption de grossesse ne font pas l’objet d’une autorisation à titre dérogatoire comme dans le cadre des recherches sur les cellules souches embryonnaires, mais d’un simple contrôle par l’Agence de la biomédecine à qui le protocole de recherche doit être transmis, préalablement à la mise en œuvre de tout prélèvement. La réalisation de ce protocole peut être suspendue ou interdite par les ministres chargés de la santé et de la recherche si la pertinence scientifique ou la nécessité du prélèvement ne sont pas établies, ou en cas de non-respect des principes éthiques.

 Les cellules embryonnaires stricto sensu

Des cellules différenciées à partir de cellules souches embryonnaires restent, stricto sensu, de par leur origine, des cellules embryonnaires.

Pourtant, par l’ensemble de leurs caractéristiques, elles ne rentrent pas dans le champ d’application de la loi de bioéthique.

Constatant dans son rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » que le chapitre traitant de la recherche sur l’embryon cite successivement, pour désigner le type de cellules et de tissus entrant dans son champ d’application, les "cellules embryonnaires" (L. 2151-5), les "tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux" (L. 2151-6), et les "cellules souches embryonnaires" (L. 2151-7), l’ABM soulignait qu’« il paraît pourtant clair que la loi considérait, hormis l’embryon, la recherche sur un seul type de cellules : les cellules souches embryonnaires, dont l’obtention nécessite la destruction d’un embryon humain » et appelait de ses vœux une harmonisation des termes employés et une dénomination unique permettant de désigner la catégorie de cellules faisant l’objet de la loi révisée.

En précisant que le titre V du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique ne vise que les cellules « souches » embryonnaires, le I de l’article 24 évite ainsi toute confusion avec d’autres types de cellules embryonnaires qui relèvent d’un régime juridique distinct.

L’harmonisation des termes impropres utilisés aux articles L. 2151-5 et L. 2151-6 sous la terminologie unique de « cellules souches embryonnaires » est réalisée par le présent projet de loi respectivement au 2° de l’article 23 (cf. supra) et au II du présent article (cf. infra).

2. Le régime juridique des importations et exportations de cellules souches embryonnaires est précisé

Le II de l’article 24 introduit également, dans une optique de clarification, une distinction entre les cellules souches embryonnaires et d’autres tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux pour ce qui concerne les règles d’importation ou d’exportation de ces cellules. Il supprime par ailleurs l’obligation faite aux organismes de recherche français de participer au programme de recherche international pour être autorisés à exporter des cellules souches embryonnaires.

a) Les autorisations d’importation et d’exportation ne concernent que les cellules souches embryonnaires

Actuellement, les règles d’importation ou d’exportation aux fins de recherches sur l’embryon ou sur les cellules souches embryonnaires sont définies à l’article L. 2151-6 du code de la santé publique qui vise, de façon inappropriée, les « tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux ».

De façon à éviter toute confusion entre les cellules souches embryonnaires, qui sont seules visées par le titre V du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, et les autres types de tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux, le et le a) du du II substituent dans l’ensemble de l’article L. 2151-6 les mots « cellules souches embryonnaires » aux mots « tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux ».

b) Le régime juridique des importations de cellules souches embryonnaires demeure inchangé

Si les cellules souches embryonnaires sont désormais les seules visées par l’article L. 2151-6 du code de la santé publique, les règles relatives à l’importation de ces cellules demeurent inchangées.

On rappellera que le premier alinéa de l’article L. 2151-6 du code de la santé publique soumet l’importation des cellules souches embryonnaires à une autorisation de l’Agence de la biomédecine.

L’autorisation d’importation de ces cellules souches embryonnaires n’est accordée que si ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du chapitre II (« Du respect du corps humain ») du Titre Ier (« Des droits civils ») du Livre Ier (« Des personnes ») du code civil, c’est-à-dire le respect de l’être humain et du corps humain, la non patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits, le consentement pour toute atteinte à son intégrité, l’interdiction de toute pratique eugénique et de clonage, de toute pratique pouvant porter atteinte à l’intégrité de l’espèce ou visant à modifier la descendance de la personne, la gratuité et l’anonymat des dons d’un élément ou d’un produit du corps.

Dénombrement des décisions rendues par l’ABM au 31 décembre 2009 relatives aux importations de lignées de cellules souches embryonnaires

 

Refus

Importation

1er septembre 2004 – 6 février 2006 (137)

2

14

6 février 2006 – fin 2006

1

6

2007

1

6

2008

0

13

2009

0

1

Total

4

40 autorisations

Source : Rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles »

Dans son rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 », l’ABM soulignait que si la procédure concernant l’importation d’une lignée de cellules embryonnaires pour un protocole de recherche déjà autorisé a certes déjà été allégée suite à une délibération du conseil d’orientation de l’agence, celle-ci s’avère encore lourde pour les équipes de recherche. L’ABM suggérait alors de mettre en place un dispositif d’autorisation allégé, concernant des demandes correspondant à l’importation de lignées déjà identifiées et utilisées.

Cette proposition d’allègement des procédures concernant les cellules souches embryonnaires importées, qui figurait déjà dans les recommandations du rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif aux « cellules souches et choix éthiques » (2006), n’est pas retenue dans le cadre du présent projet de loi.

c) Le régime juridique des exportations de cellules souches embryonnaires est modifié

Actuellement, les organismes de recherche français sont obligés de participer au programme de recherche international pour être autorisés à exporter des cellules souches embryonnaires.

En effet, l’article L. 2151-6 du code de la santé publique prévoit que l’exportation de cellules souches embryonnaires est « subordonnée en outre à la condition de la participation d’un organisme de recherche français au programme de recherche international ».

Cette disposition a fait l’objet de critiques, notamment dans le rapport de l’OPECST de juillet 2010 sur « la recherche sur les cellules souches » qui indiquait que « cette disposition peu claire ignore totalement la pratique scientifique et peut conduire à limiter de façon significative la diffusion des travaux de recherche français (distribution de lignée, mais aussi publication). En 2004, quand la France a dû importer des lignées de cellules souches embryonnaires, les instituts de recherche étrangers qui les lui ont procurées n’ont pas demandé une collaboration avec les laboratoires français, ni le partage des résultats des recherches ».

C’est pourquoi le b) du du II supprime l’obligation faite aux organismes de recherche français de participer au programme de recherche international pour être autorisés à exporter des cellules souches embryonnaires.

3. La conservation et la cession d’embryons sont désormais explicitement prévues par la loi et les finalités de conservation sont harmonisées

a) La conservation et la cession d’embryons

Le code de la santé publique organise le régime juridique de la conservation et de la cession des cellules souches embryonnaires.

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 2151-7 du code de la santé publique dispose ainsi en premier lieu que tout organisme qui assure, à des fins scientifiques, la conservation de cellules souches embryonnaires doit être titulaire d’une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine. Il ne mentionne pas explicitement la conservation des embryons.

Pourtant, comme le souligne le rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » de l’ABM, la possibilité de conserver des embryons pour la recherche est accordée à un centre d’AMP en relation avec un projet de recherche autorisé par l’Agence. D’après ce même rapport, 176 500 embryons congelés étaient conservés dans les centres d’AMP en France au 31 décembre 2006. L’ABM indique que « ce nombre très important résulte de l’activité antérieure à la loi de 2004 qui a clarifié les conditions de l’arrêt de conservation des embryons. Dans la majorité des cas, les embryons sont conservés en vue de répondre au projet parental d’un couple : 53 % des couples concernés avaient à cette date confirmé par écrit leur projet, 27 % n’avaient pas répondu au courrier annuel ou étaient en désaccord sur le projet et 20 % avaient abandonné leur projet parental ».

Le rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles » fait état d’une diminution récente du nombre d’embryons congelés conservés dans les centres d’AMP en France puisqu’il indique qu’au 31 décembre 2008, on dénombrait 149 191 embryons conservés en France, contre encore 154 822 au 31 décembre 2007.

Conservation d’embryons et projet parental au 31 décembre 2008

 

Total

Projet parental en cours

Abandon du projet parental

Défaut de réponse ou désaccord du couple

Embryons conservés

149 191

98 412

21 701

29 078

% embryons conservés

 

66,0 %

14,5 %

19,5 %

Couples dont les embryons étaient en cours de conservation au 31 décembre

42 079

28 112

6 118

7 849

% couples

 

66,8 %

14,5 %

18,7 %

Source : Rapport annuel 2009 de l’agence de la biomédecine, « Activités : données essentielles »

En second lieu, le code de la santé publique organise également les règles de cession des cellules souches embryonnaires.

L’article L. 2151-7 du code de la santé publique dispose ainsi que tout organisme, titulaire d’une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine, qui assure, à des fins scientifiques, la conservation de cellules souches embryonnaires peut, sous réserve d’informer préalablement l’agence de la biomédecine, céder des cellules souches embryonnaires à un organisme lui-même titulaire d’une autorisation.

b) Les modifications proposées

  La conservation et la cession d’embryons sont désormais explicitement prévues par la loi

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 2151-7 du code de la santé publique n’évoque que la conservation et la cession de « cellules souches embryonnaires », sans évoquer la possibilité de conserver ou de céder des embryons.

Remédiant à cet oubli, le et le du III mentionnent désormais explicitement la possibilité de conserver des embryons et le celle de céder ces derniers.

Il convient de souligner que le projet de loi ne reprend pas la suggestion formulée par l’ABM dans son rapport d’octobre 2008 « Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 » de mettre en place, au niveau national, des centres de ressources biologiques qui centraliseraient les embryons conservés, ce qui « permettrait à la fois aux centres d’AMP de ne plus avoir la charge de la gestion administrative de ces embryons (qui est lourde et leur impose des moyens qu’ils n’ont pas toujours), et de faciliter l’accès aux embryons donnés à des équipes de recherche, sous réserve bien sûr qu’elles soient titulaires d’une autorisation de l’Agence ».

 Les finalités de conservation sont harmonisées

Par ailleurs, l’article L. 2151-7 indique actuellement que la conservation de cellules souches embryonnaires se fait « à des fins scientifiques ». De façon cohérente avec l’intitulé du titre V relatif à la « recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires », que le I de l’article 24 se propose de renommer « recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires », ainsi qu’avec d’autres articles du code de la santé publique tels que l’article L. 2151-2 qui évoquent plutôt « des fins de recherche », le et le du III substitue, dans l’article L. 2151-7, les mots « à des fins de recherche » aux mots « à des fins scientifiques » lorsqu’il s’agit de conservation d’embryons ou de cellules souches embryonnaires.

4. Le décret en Conseil d’État fixant les modalités d’application de la recherche sur les embryons concernera désormais également explicitement la recherche sur les cellules souches embryonnaires

Le IV de l’article 24 modifie l’article L. 2151-8 du code de la santé publique afin de préciser explicitement que le décret en Conseil d’État chargé de fixer les conditions d’autorisation et de mise en œuvre des recherches menées sur des embryons détaillera désormais aussi les conditions d’autorisation et de mise en œuvre des recherches menées sur des cellules souches embryonnaires.

*

La commission adopte l’article 24 sans modification.

Après l’article 24

La commission est saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 24.

Elle rejette tout d’abord l’amendement AS 157 de M. Jean-Yves Le Déaut.

TITRE VII BIS (NOUVEAU)

NEUROSCIENCES ET IMAGERIE MÉDICALE

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 228 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je propose d’introduire dans le projet un nouveau titre, consacré à l’encadrement éthique des applications des neurosciences, notamment dans le domaine de l’imagerie cérébrale.

La commission adopte l’amendement.

Article 24 bis (nouveau)

Encadrement des usages des techniques d’imagerie cérébrale

Le présent article, adopté par la commission, introduit, ainsi que le titre auquel il appartient, des dispositions relatives aux neurosciences et à l’usage des techniques d’imagerie cérébrale.

Il vise à réserver l’usage des techniques d’imagerie cérébrale à des finalités médicales et scientifiques afin de prévenir les utilisations commerciales qui pourraient en être faites (par exemple dans le cadre de la détection de mensonges). Une exception est ménagée pour l’usage de ces techniques en justice, qui pourrait être admis s’il vise à objectiver un préjudice au niveau du cerveau ou pour évaluer la responsabilité d’un auteur, sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal. Ce principe serait inscrit à l’article 16-14 du code civil.

Par ailleurs, un article 16-15 serait également créé afin de prohiber les discriminations qui seraient fondées sur les résultats des techniques d’imagerie cérébrale.

*

La commission examine l’amendement AS 229 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement traduit dans le droit les préconisations de la mission d’information parlementaire et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en matière d’imagerie cérébrale. Il introduit de nouveaux principes dans le code civil, réservant à des fins médicales ou scientifiques l’utilisation de ces techniques d’imagerie. À titre dérogatoire, il autorise l’utilisation de l’imagerie cérébrale en justice, mais uniquement afin d’objectiver l’existence d’un préjudice ou d’un trouble psychique. Si donc on peut demander une imagerie cérébrale pour authentifier le trouble dont souffre un délinquant et atténuer sa faute, on ne peut en faire un test de détection du mensonge.

La commission adopte l’amendement.

TITRE VII TER (NOUVEAU)

APPLICATION ET ÉVALUATION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

La commission est saisie de l’amendement AS 230 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’introduire dans le projet un nouveau titre, destiné à regrouper les dispositions qui définissent le rôle des différents acteurs dans l’évaluation et l’application de la loi.

La commission adopte l’amendement.

Article 24 ter (nouveau)

Rapport du Comité consultatif national d’éthique

Cet article vise à confier au Comité consultatif national d’éthique le soin de publier tous les deux ans un rapport sur la mise en œuvre de la loi de bioéthique et sur les principaux problèmes éthiques que son application soulève.

*

La commission examine l’amendement AS 232 du rapporteur.

M. le rapporteur. Afin de pallier l’absence de clause de révision de la loi, l’amendement prévoit que le Comité consultatif national d’éthique élabore, tous les deux ans, un rapport sur les principaux problèmes éthiques soulevés dans les domaines de compétence de l’Agence de la biomédecine, ainsi que dans celui des neurosciences.

La commission adopte cet amendement.

Article 24 quater (nouveau)

Adaptation des missions de l’Agence de biomédecine

Le présent article, adopté par la commission spéciale, vise à adapter l’architecture institutionnelle à l’absence de clause de révision des lois de bioéthique. Ainsi,

– il précise et adapte le contenu du rapport d’activité annuel de l’Agence, notamment dans le domaine de l’évaluation des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires ;

– il donne pour mission à l’ABM d’exercer un rôle de veille sur les tests génétiques disponibles sur Internet et d’informer le Parlement et le Gouvernement dans le domaine des neurosciences ;

– il prévoit qu’un débat se tienne chaque année au Parlement en séance publique sur la base du rapport de l’ABM dont l’OPECST aura été préalablement saisi ;

– il crée un droit d’alerte au profit du directeur général et du président du conseil d’orientation de l’Agence, qui leur permettront de signaler à l’OPECST toute avancée technologique susceptible d’engendrer des problèmes éthiques nouveaux.

*

La commission examine l’amendement AS 231 du rapporteur

M. le rapporteur. L’amendement tend à adapter les missions de l’Agence de la biomédecine aux évolutions prévues par le projet de loi et au fait qu’aucune clause de révision périodique n’y est incluse.

M. Hervé Mariton. Compte tenu de la nature particulière des questions de bioéthique, il est normal que l’OPECST en soit saisi, mais il ne peut suffire à les traiter.

M. le président Alain Claeys. Dans la dernière loi, le législateur avait chargé l’OPECST de l’évaluation de la loi.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 24

La commission examine l’amendement AS 12 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Le rapport annuel d’activité de l’Agence de biomédecine devrait comporter un comparatif de l’état d’avancement des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches adultes et reprogrammées.

M. le rapporteur. Cette disposition figure déjà dans mon amendement AS 231, précédemment adopté.

L’amendement est retiré.

Article 24 quinquies (nouveau)

Clause de conscience des personnels de recherche

Cet article crée une clause de conscience pour toute personne amenée à participer directement ou indirectement à des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires. Il leur sera dès lors possible de refuser de participer à de telles recherches.

*

La commission est saisie de l’amendement AS 56 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. L’amendement tend à étendre la clause de conscience aux chercheurs appelés à travailler sur des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires.

M. le rapporteur. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 24

La commission examine l’amendement AS 14 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Nous proposons d’améliorer la composition du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine en assurant une meilleure représentation du Parlement et de la société civile. En outre, le Conseil, qui compte déjà des philosophes, pourrait s’ouvrir avec profit à des sociologues et à des anthropologues.

M. le rapporteur. Une proposition de loi a déjà validé la réunion des états généraux lors de chaque modification de dispositions relatives à des problèmes éthiques. Les citoyens sont donc déjà pris en compte. Porter à 50 membres l’effectif du Conseil d’orientation ne faciliterait pas son fonctionnement. Quant aux députés, je voudrais être certain que leur assiduité réponde à l’augmentation de leur nombre dans de telles enceintes. Avis défavorable.

M. Hervé Mariton. Cette proposition de loi a-t-elle été votée au Sénat ?

M. le rapporteur. Non.

M. le ministre. Je souhaite que des parlementaires siègent désormais dans toutes les agences sanitaires. Pour ce qui est de leur nombre, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 13 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Nous proposons que le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine soit adressé au Parlement, au Gouvernement et au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, qu’il soit rendu public, qu’il fasse l’objet d’un avis de l’OPECST et donne lieu à un débat au sein de chaque assemblée.

M. le rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait par le vote de mon amendement AS 231.

L’amendement est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement AS 15 de M. Xavier Breton.

M. Hervé Mariton. Il est proposé de constituer une délégation à la bioéthique au sein de chacune de nos assemblées. Le moratoire ne s’appliquant plus et en l’absence de rendez-vous législatifs réguliers, une veille et un suivi permanents s’imposent.

M. le rapporteur. L’OPECST a pour mission d’évaluer la loi de bioéthique. Il est déjà difficile de réunir un grand nombre de députés pour nos débats et il ne me semble pas raisonnable de créer une nouvelle instance. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 99 de M. Paul Jeanneteau.

M. Paul Jeanneteau. Il est satisfait par le vote de l’amendement AS 231 du rapporteur.

M. le rapporteur. En effet.

L’amendement est retiré.

Article 24 sexies (nouveau)

Rapport du Gouvernement sur les enjeux éthiques des sciences émergentes

Cet article prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur les enjeux éthiques des sciences émergentes et notamment de la convergence des technologies.

*

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS 233 du rapporteur et AS 89 de M. Xavier Breton.

M. le rapporteur. Dans la bioéthique, le plus important, c’est sans doute ce dont nous n’avons pas débattu, à savoir les sciences émergentes, qui nourrissent à la fois les pires fantasmes et les plus grands espoirs. Les prochaines lois traiteront bien davantage de ces questions, qui peuvent bouleverser nos modes de pensée.

C’est pourquoi je propose, par l’amendement AS 233, que le Gouvernement remette au Parlement, un an après la promulgation de la loi un rapport, qui sera rendu public, sur les enjeux éthiques de ces sciences, notamment sur la convergence entre nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives.

M. Xavier Breton. L’amendement AS 89 a le même objet, mais il prévoit que ce rapport fera l’objet d’un débat après avis du CCNE, qui pourrait apporter un éclairage intéressant sur ces sujets appelés, en effet, à prendre une grande importance.

M. le rapporteur. Le rapport sera déjà soumis à l’OPECST avant notre débat annuel. Une fois encore, je ne vois pas l’utilité d’allonger le circuit et de multiplier les instances consultées.

M. le ministre. Même avis.

La commission adopte l’amendement AS 233.

En conséquence, l’amendement AS 89 devient sans objet.

Après l’article 24

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements AS 16 de M. Xavier Breton et AS 134 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Le temps de la science n’est pas le même que le temps législatif et que le temps politique. Je souhaite donc que l’OPECST et le Parlement soient appelés régulièrement à s’interroger sur les évolutions intervenues et sur l’application des lois bioéthiques, dont il me paraît utile de maintenir la révision régulière.

M. Xavier Breton. Pour nous éviter « l’angoisse de la page blanche » lors des révisions des lois bioéthiques, il serait bienvenu de faire précéder notre débat de nouveaux états généraux et d’associer ainsi les citoyens à la réflexion, comme cela a été fait lors du remarquable processus de révision en voie d’achèvement. Certes, la discussion au Parlement du rapport de l’ABM permettra de braquer pendant quelques heures les projecteurs sur ces questions, mais, sur de tels sujets, le débat devrait être permanent.

M. le rapporteur. Ces amendements me semblent reprendre de manière partielle l’ensemble du dispositif prévu par le texte et par la proposition de loi qui a été adoptée à mon initiative : transmission à l’Office des informations annuelle du CCNE sur le sujet ; saisine par le Parlement ou autosaisine du CCNE sur tout sujet le concernant ; procédure d’alerte de l’ABM sur toute nouvelle technologie, l’Agence alertant elle-même l’OPECST, le Parlement et le Gouvernement ; débat annuel au Parlement ; possibilité pour le CCNE, l’Office ou le Parlement de lancer une consultation citoyenne et des états généraux sur tout sujet concernant l’éthique ou les modifications technologiques qui peuvent la remettre en cause. Ce dispositif est donc complet mais aussi régulier. Si j’ai voulu supprimer l’échéance des cinq ans, c’est bien pour éviter de nous plonger dans l’angoisse de la page blanche : mieux vaut travailler de façon régulière grâce à des outils qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité, tel le rapport d’évaluation de l’OPECST sur la loi antérieure, qui a été d’une très grande utilité à notre mission parlementaire.

La commission rejette successivement les amendements.

TITRE VIII

DISPOSITIONS OUTRE-MER

Article 25

(articles L. 1521-6, L. 1541-5, L. 1541-6 et L. 1541-7 [nouveaux])


Application dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie des dispositions relatives à l’examen des caractéristiques génétiques

Les dispositions du projet de loi s’appliquent de plein droit, en vertu du principe d’identité législative, aux départements et régions d’outre-mer, aux collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre et Miquelon et à la collectivité départementale de Mayotte dans le cadre de son nouveau statut. En revanche, des dispositions spécifiques doivent être prévues pour étendre les modifications du présent projet de loi à Wallis-et-Futuna, aux Terres australes et antarctiques françaises, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française dans le respect des compétences respectives de l’État et de ces entités.

Le présent article étend à ces dernières les dispositions relatives à l’examen des caractéristiques génétiques.

1. Procédure d’information de la parentèle

Le A du paragraphe I de cet article étend l’application de l’article 1er du projet de loi, qui remodèle la procédure d’information de la parentèle, aux îles de Wallis et Futuna.

Le B du paragraphe I fait de même pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. L’ancienne procédure y avait déjà été rendue applicable par l’ordonnance n° 2008-1339 du 18 décembre 2008.

2. Définition des règles de bonnes pratiques pour les examens génétiques

Le paragraphe II du présent article rend l’article 2 applicable à Wallis et Futuna. Cet article, qui rend obligatoire la prise d’un arrêté fixant les bonnes pratiques en matière prescription et de réalisation des examens des caractéristiques génétiques d’une personne et de son identification par empreintes génétiques à des fins médicales, ne peut pas voir son application étendue à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française dans la mesure où la compétence en matière de santé publique n’y appartient plus à l’État.

3. Autorisation pour les laboratoires de biologie médicale désirant effectuer des examens génétiques

Le A du paragraphe III étend à Wallis et Futuna l’application de l’article 3 du projet de loi qui élève au niveau législatif la règle selon laquelle les laboratoires de biologie médicale désirant effectuer des examens génétiques devront être autorisés au préalable. Le 1° du A effectue ainsi cette extension pour les paragraphes I et III de l’article 3 du projet de loi. Le 2° du A fait de même pour le paragraphe II, en modifiant l’article L. 1521-6 du code de la santé publique qui étend l’application du titre III du livre Ier de la première partie du même code à Wallis et Futuna. Il adapte le contenu de ce paragraphe au droit applicable dans cette collectivité, en remplaçant l’expression laboratoire de biologie médicale par celle d’« agence de santé » et en choisissant l’administrateur territorial comme instance d’autorisation en lieu et place de l’agence régionale de santé.

Le B du paragraphe III prévoit les conditions d’application de l’article 3 du projet de loi à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française en modifiant le chapitre du code de la santé publique en matière de d’examen des caractéristiques génétiques, d’identification génétique et de recherche génétique qui y est applicable. Ainsi, de même qu’en métropole, les établissements de santé qui réalisent des examens des caractéristiques génétiques ou des identifications par empreintes génétiques à des fins médicales devront obtenir une autorisation et une accréditation à cette fin.

4. Renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer les conditions d’information de la parentèle et d’autorisation des laboratoires habilités à effectuer des examens génétiques

Le A du paragraphe IV étend l’article 4 du projet de loi à Wallis et Futuna. Le pouvoir réglementaire y sera donc compétent pour fixer les conditions d’information de la parentèle et d’autorisation de l’agence de santé pour effectuer des examens génétiques.

Le B du paragraphe IV procède aux mêmes modifications pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie en modifiant l’article L. 1541-5 du code de la santé publique et en créant un article L. 1541-7, afin de rendre le pouvoir réglementaire compétent en vue de fixer les modalités d’application de la procédure d’information de la parentèle.

*

La commission adopte successivement les amendements de coordination AS 234, AS 235 et AS 236 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article ainsi modifié.

Article 26

Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives aux dons croisés d’organes et au régime des cellules souches hématopoïétiques

L’article 26 du projet de loi vise, concernant les dons croisés d’organes et les dispositions relatives au régime des cellules souches hématopoïétiques, à en préciser l’application en outre-mer.

1. L’application des dons croisés d’organes entre personnes vivantes en outre-mer

Le I de l’article procède aux adaptations nécessaires à l’outre-mer des dispositions relatives au don croisé d’organes en personnes vivantes.

a) Application aux îles Wallis et Futuna

Le A prévoit que l’ensemble des dispositions de l’article 5 du projet de loi sont applicables aux îles Wallis et Futuna.

b) Application en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

Le du B prévoit que ne sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française que :

– le 1° et le 2° du I de l’article 5 qui autorisent la pratique du don croisé d’organes et en fixent les principes et les modalités. Le 3°, qui prévoit qu’un décret viendra préciser les conditions d’application du don croisé, ne s’applique pas à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, qui feront l’objet d’un décret spécifique ;

– le II de l’article 5 qui prévoit les sanctions applicables en cas de non-respect du consentement des donneurs.

Le du B modifie le chapitre II du titre IV du livre V de la première partie du code de la santé publique, consacré aux « don et utilisation des éléments et produits du corps humain », pour en adapter les dispositions à l’outre-mer.

Le a) modifie l’article L. 1542-6 du code de la santé publique afin de préciser que l’article L. 1231-1 du code de la santé publique, selon lequel le Gouvernement doit remettre un rapport au Parlement tous les quatre ans sur les dons d’organes de personnes vivantes, ne s’applique pas à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Le b) modifie également l’article L. 1542-6 du code de la santé publique, selon lequel un décret en Conseil d’État viendra fixer les conditions d’application du chapitre relatif aux dons et utilisations des éléments et produits du corps humain en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Il est prévu que ce décret sera complété pour comporter les modalités d’application des dons croisés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Selon l’étude d’impact, aucune disposition réglementaire précisant les modalités d’application des dispositions législatives relatives au prélèvement d’organes sur une personne vivante aux îles Wallis et Futuna, à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, n’a été à ce jour publiée. Le décret relatif au don croisé sera donc l’occasion de combler ce vide juridique.

Le c) modifie l’article L. 1542-7 du code de la santé publique afin de prévoir que l’article L. 1231-4 du même code, fixant la composition et le mode de fonctionnement des comités d’experts chargés d’autoriser les prélèvements d’organes, ne s’applique pas à la Nouvelle Calédonie.

Le d) modifie le deuxième alinéa de l’article L. 1542-7 du code de la santé publique pour prévoir que le tribunal de première instance est chargé de recueillir le consentement du donneur.

Enfin, le chapitre relatif aux prélèvements d’organes sur une personne vivante ne s’applique pas aux Terres australes et antarctiques françaises.

2. Harmonisation du régime juridique des cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse et du sang périphérique

Le A du paragraphe II étend à Wallis et Futuna les dispositions de l’article 6 du projet de loi relatives au principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire.

Le 1° du B du paragraphe II procède aux mêmes modifications pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

En conséquence, le 2° du B modifie les dispositions du chapitre du code de la santé publique relatif aux dons et utilisations des éléments et produits du corps humain applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Les a) et b) y rendent inapplicable l’article L. 1245-6 relatif à la fixation de règles de bonnes pratiques en matière de préparations de thérapies cellulaires, compétence qui revient aux autorités locales. Le c) est un alinéa de coordination rédactionnelle.

Les d) et e) modifient l’article L. 1542-10 du code de la santé publique pour étendre à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française l’obligation, pour les établissements de santé, de recevoir une autorisation pour assurer la préparation, la conservation, la distribution et la cession, à des fins autologues ou allogéniques, des tissus et de leurs dérivés et des préparations de thérapie cellulaire. Ceci inclut les cellules souches hématopoïétiques, quelle que soit leur nature.

Le f) complète l’article L. 1542-13 du code de la santé publique afin de prévoir que ce sont les autorités locales et non l’AFSSAPS qui fixent les règles de bonne pratique en matière de produits thérapeutiques annexes.

Corrélativement à ces dispositions, le g) complète l’article L. 5541-2 du code de la santé publique afin de prévoir que l’AFSSAPS puisse passer des conventions avec les autorités de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française dans le domaine de l’élaboration et de l’application des règles de bonnes pratiques.

3. Principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire

Le paragraphe III de l’article 26 étend à Wallis et Futuna, à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie les dispositions de l’article 7 qui impose que les cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ne puissent être autorisées qu’à des fins allogéniques.

4. Autorisation des établissements habilités à prélever des cellules

Le paragraphe IV étend à ces trois territoires, en les adaptant, les dispositions de l’article 8 du projet de loi relatif à l’autorisation des établissements habilités à prélever des cellules du corps humain.

Le A du paragraphe IV procède à cette extension pour Wallis et Futuna.

Le  y rend applicable les paragraphes II et III de l’article 8, qui fixent les sanctions pénales encourues en cas de prélèvement illicite de cellules souches hématopoïétiques issues du sang périphérique ou de prélèvement à des fins autologues de cellules du sang de cordon et du sang placentaire.

Le  procède aux adaptations nécessaires à l’application à Wallis et Futuna du paragraphe I de l’article 8 en rendant obligatoire pour l’agence de santé locale une autorisation de l’administrateur supérieur du territoire après avis de l’Agence de la biomédecine, pour le prélèvement de tissus du corps humain, en vue de don à des fins thérapeutiques, les cellules à fins d’administration autologue ou allogénique et les cellules du sang destinées à la préparation de produits cellulaires à finalité thérapeutique.

Les 1° et 2° du B du paragraphe IV procèdent aux mêmes extensions pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française en modifiant l’article L. 1542-9 du code de la santé publique.

*

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS 182 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article ainsi modifié.

Article 27

(Articles L. 2421-2, L. 2441-2 et L. 2441-3 du code de la santé publique)


Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire

L’article 27 a pour objet de procéder, s’agissant des dispositions du projet de loi relatives au diagnostic prénatal (DPN) et au diagnostic préimplantatoire (DPI), aux adaptations nécessaires pour l’outre-mer.

Les dispositions de l’article 9 (relatif au DPN), de l’article 10 (relatif à l’agrément des praticiens établissant un DPN ou un DPI), de l’article 11 (relatif au DPI) et de l’article 12 (relatif à l’autorisation des laboratoires de biologie médicale et des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal) modifient un dispositif juridique qui s’applique déjà dans les collectivités qui connaissent le principe de l’identité ou de l’assimilation législative : départements et régions d’outre-mer, collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et collectivité départementale de Mayotte dans le cadre de son nouveau statut. Aucune adaptation n’est donc nécessaire pour ces collectivités.

Toutefois, comme le souligne l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, « il n’en est pas de même pour les îles Wallis et Futuna, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française qui requièrent en vertu du principe de spécialité législative une mention spéciale d’extension ».

1. Adaptation pour l’outre-mer des dispositions relatives au DPN

Le I de l’article 27 adapte à l’outre-mer les dispositions de l’article 9 relatif au DPN.

a) Wallis et Futuna

Les dispositions actuelles relatives au diagnostic prénatal avaient déjà été étendues à Wallis et Futuna par la loi n° 2004-800 relative à la bioéthique.

Le du A du I de l’article 27 prévoit que les nouvelles dispositions de l’article 9 seront également applicables dans les îles Wallis et Futuna.

Le du A du I modifie l’article L. 2421-2 du Titre II (« Îles Wallis et Futuna ») du Livre IV (« Mayotte, îles Wallis et Futuna et Terres australes et antarctiques françaises, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française ») de la deuxième partie (« Santé de la famille, de la mère et de l’enfant ») du code de la santé publique afin d’actualiser les adaptations nécessaires à l’application de l’article 9 dans les îles Wallis et Futuna.

Le a) du modifie le 1° de l’article L. 2421-2 qui prévoit les adaptations nécessaires à l’application dans les îles Wallis et Futuna de l’article L. 2131-1. Deux adaptations sont introduites :

– le a) du 1° de la nouvelle rédaction de l’article L. 2421-2 dispose que l’agence de santé de Wallis et Futuna, créée en 1999 et seule compétente pour réaliser des activités médicales selon l’article L. 1527-1 du code de la santé publique, devra être autorisée par l’administrateur supérieur du territoire afin de détenir la compétence exclusive de réaliser les examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal ;

– le b) du 1° de la nouvelle rédaction de l’article L. 2421-2 dispose que la création d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal devra être autorisée, comme en métropole, par l’Agence de la biomédecine mais ne pourra avoir lieu qu’au sein de l’agence de santé de Wallis et Futuna.

Le b) du modifie le 2° de l’article L. 2421-2 qui prévoit les adaptations nécessaires à l’application dans les îles Wallis et Futuna de l’article L. 2131-2. Il dispose ainsi que l’obligation introduite par l’article L. 2131-2, pour les établissements autorisés à pratiquer des examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal et pour les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, de transmettre un rapport annuel d’activité à l’agence régionale de santé n’est pas applicable à Wallis et Futuna. Cela s’explique facilement par l’absence d’ARS compétente dans le ressort de cette collectivité d’outre-mer. L’agence de santé de Wallis et Futuna, seule compétente pour réaliser des examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal, comme le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal qui pourra être autorisée par l’Agence de la biomédecine au sein de celle-ci, devront toutefois transmettre dans les conditions de droit commun un rapport annuel d’activité à l’Agence de la biomédecine.

Le c) du modifie le 3° de l’article L. 2421-2 qui prévoit les adaptations nécessaires à l’application dans les îles Wallis et Futuna de l’article L. 2131-4. Il tire les conséquences de la nouvelle rédaction de l’article L. 2131-4 du code de la santé publique opérée par l’article 11 du présent projet de loi introduisant un nouvel alinéa et conserve, pour les îles Wallis et Futuna, la possibilité que le médecin attestant, dans le cadre d’un recours au DPI, qu’un couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, n’exerce pas obligatoirement son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, mais puisse également être un médecin qualifié en gynécologie-obstétrique ou un praticien ayant une formation en échographie du fœtus exerçant à l’agence de santé de Wallis-et-Futuna.

b) Nouvelle-Calédonie et Polynésie française

Le du B du I de l’article 27 prévoit que les nouvelles dispositions de l’article 9 seront applicables en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française.

Le du B du I procède à une réécriture globale de l’article L. 2441-2 du Titre IV (« Nouvelle-Calédonie et Polynésie française ») du Livre IV (« Mayotte, îles Wallis et Futuna et Terres australes et antarctiques françaises, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française ») de la deuxième partie (« Santé de la famille, de la mère et de l’enfant ») du code de la santé publique qui détaille les adaptations nécessaires à l’application en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française de l’article L. 2131-1 du code de la santé publique qui a été entièrement réécrit par l’article 9 du présent projet de loi.

Tirant les conséquences du choix de l’exécutif d’appliquer à la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française les dispositions du présent projet de loi dans la limite de celles ayant déjà été étendues, ce qui exclut de fait les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, trois adaptations sont introduites :

– le 1° de la nouvelle rédaction de l’article L. 2441-2 dispose qu’en cas de risque avéré, le médecin orientera la femme enceinte vers « le service local compétent » et non vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal qui n’existe pas dans ces deux collectivités d’outre-mer ;

– le 2° de la nouvelle rédaction de l’article L. 2441-2 adapte à ces deux collectivités d’outre-mer  le VII de l’article L. 2131-1 relatifs aux laboratoires autorisés et accrédités pour pratiquer des examens de biologie médicale destinés à établir un diagnostic prénatal. En effet, l’autorisation de réaliser de tels examens relève de la compétence de ces entités d’outre-mer seules habilitées à désigner les autorités localement compétentes.

– le 3° de la nouvelle rédaction de l’article L. 2441-2 supprime, pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française la possibilité de créer des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal.

2. Adaptation pour l’outre-mer des dispositions relatives à l’agrément des praticiens établissant un DPN ou un DPI

Le II de l’article 27 adapte à l’outre-mer les dispositions de l’article 10 relatif à l’agrément des praticiens établissant un DPN ou un DPI et prévoit que ces dispositions seront applicables dans les îles Wallis et Futuna.

3. Adaptation pour l’outre-mer des dispositions relatives au DPI

Le III de l’article 27 adapte à l’outre-mer les dispositions de l’article 11 relatif au diagnostic préimplantatoire.

a) Wallis et Futuna

Le A du III de l’article 27 prévoit que les nouvelles dispositions de l’article 11 de la présente loi seront applicables dans les îles Wallis et Futuna.

b) Nouvelle-Calédonie et Polynésie française

Le du B du III de l’article 27 précise que ne seront applicables en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française que :

– le 1° du I de l’article 11 de la présente loi qui qualifie de « diagnostic préimplantatoire » le « diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro » ;

– le II de l’article 11 en tant qu’il substitue, dans les articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 du code de la santé publique qui les mentionnent, aux termes de « diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro », les termes de « diagnostic préimplantatoire ».

Le du B du III modifie de façon marginale l’article L. 2441-3 du Titre IV (« Nouvelle-Calédonie et Polynésie française ») du Livre IV (« Mayotte, îles Wallis et Futuna et Terres australes et antarctiques françaises, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française ») de la deuxième partie (« Santé de la famille, de la mère et de l’enfant ») du code de la santé publique qui détaille les adaptations nécessaires à l’application en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française de l’article L. 2131-4 du code de la santé publique afin de tenir compte d’une part de l’ajout par l’article 11 du présent projet de loi d’un nouvel alinéa à l’article L. 2131-4 et d’harmoniser d’autre part la dénomination des « centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal » dans la logique déjà retenue par le 2° du I de l’article 11.

4. Adaptation pour l’outre-mer des dispositions relatives aux autorisations des laboratoires de biologie médicale et des CPDPN

Le IV de l’article 27 prévoit que les dispositions de l’article 12 relatif aux autorisations des laboratoires de biologie médicale et des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal seront applicables dans les îles Wallis et Futuna.

*

La commission adopte successivement l’amendement rédactionnel AS 193 du rapporteur et l’amendement AS 194, du même auteur, tendant à la correction d’une erreur matérielle.

Puis elle adopte l’article ainsi modifié.

Article 28

(Articles L. 2445-2 et 2445-4 du code de la santé publique)°


Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives à l’interruption médicale et volontaire de grossesse

L’article 28 vise à adapter les mesures relatives à l’interruption médicale de grossesse à l’outre-mer.

a) Application aux îles Wallis et Futuna

L’article 13, prévoyant un renforcement de l’équipe pluridisciplinaire chargée d’examiner la demande d’interruption médicale de grosses dans les cas de mise en danger de la santé de la femme, est applicable aux îles Wallis et Futuna.

b) Application en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

L’article 13 est également applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Cependant, l’article 28 prévoit quelques adaptations.

Le chapitre V du titre IV du livre IV de la deuxième partie du code de la santé publique relatif à la santé de la famille, de la mère et de l’enfant, se trouve modifié sur deux points.

 Entretien en cas d’interruption volontaire de grossesse

L’article 28 modifie tout d’abord l’article L. 2445-2 du code de la santé publique, qui renvoie à l’application de l’article L. 2212-4 du même code.

Selon cet article, un entretien, avant et après l’interruption volontaire de grossesse, est systématiquement proposé à la femme majeure, avec une personne ayant satisfait à une formation qualifiante en conseil conjugal ou toute autre personne qualifiée dans un établissement d’information, de consultation ou de conseil familial, un centre de planification ou d’éducation familiale, un service social ou un autre organisme agréé. 

En l’état actuel du droit, ces dispositions ne s’appliquent pas à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française. L’article 28 prévoit donc de préciser que les femmes majeures ayant recours à une interruption volontaire de grossesse pourront bénéficier d’un entretien avec « une personne ayant satisfait à une formation qualifiante en conseil conjugal ou toute personne qualifiée dans un établissement ou un service localement compétent ».

 Composition de l’équipe pluridisciplinaire chargée de se prononcer sur une demande d’interruption médicale de grossesse

L’article 28 modifie également l’article L. 2445-4 du code de la santé publique, qui prévoit les conditions d’application de l’article L. 2213-1 du même code, tel que modifié par l’article 13, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Ainsi, l’équipe pluridisciplinaire chargée d’examiner la demande d’interruption médicale de grossesse en cas de mise en péril de la santé de la mère ne comportera pas obligatoirement un médecin membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.

Par ailleurs, les demandes d’interruption médicale de grossesse, lorsqu’il existe une forte probabilité que l’enfant soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable, ne seront pas obligatoirement examinées par l’équipe d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.

Pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, l’article 28 prévoit que cette équipe comprendra au moins six personnes qui sont un médecin qualifié en gynécologie-obstétrique, un médecin ayant une formation et une expérience en échographie du fœtus, un médecin qualifié en pédiatrie, un médecin qualifié en génétique médicale, un médecin qualifié en psychiatrie ou un psychologue et un médecin qualifié en fœtopathologie.

*

La commission adopte l’article sans modification.

Article 29

(Articles L. 2442-1, L. 2442-5 [nouveau] du code de la santé publique)


Dispositions d’adaptation pour l’outre-mer relatives à la levée de l’anonymat du don de gamètes

L’article 29 vise à adapter l’application des articles 14 à 18 du projet de loi relatifs à la levée de l’anonymat du don de gamètes à l’outre-mer.

Les I et II de l’article prévoient que les articles 14 et 15, qui posent le principe de levée de l’anonymat du don de gamètes et prévoient l’information des couples et des donneurs, sont applicables aux îles Wallis et Futuna, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Les A et B 1° du III de l’article précisent que l’article 16 du projet de loi, qui prévoit les conditions de mise en œuvre de la levée de l’anonymat, s’appliquent également aux îles Wallis et Futuna, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, moyennant quelques adaptations.

Le a) du du B modifie tout d’abord l’article L. 2442-1 du code de la santé publique, pour préciser que les chapitres Ier et III du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique sont applicables à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, sous réserve de certaines adaptations. Il s’agit en l’occurrence des dispositions générales relatives à l’assistance médicale à la procréation et du nouveau chapitre relatif à la levée de l’anonymat du don de gamètes dans ce cadre.

Le b) du du B complète l’article L. 2442-1 du code de la santé publique par un nouvel article L. 2442-5 qui précise les conditions d’application de la levée de l’anonymat du don de gamètes à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Il est d’abord précisé que les données identifiantes et non identifiantes conservées en métropole par les CECOS dans des conditions qui garantissent le respect de leur confidentialité, y seront conservées par des « organismes et établissements de santé exerçant des activités cliniques et biologiques dassistance médicale à la procréation relatives aux gamètes en vue de don ».

Par ailleurs, il est prévu une application limitée de larticle 17, en ce qui concerne les moyens attribués à la commission daccès aux données non identifiantes et à lidentité du donneur de gamètes. En effet, seules les administrations ou services de lÉtat seront tenus de réunir ou communiquer sur sa demande les renseignements dont ils disposent permettant de trouver ladresse du donneur de gamètes. Les organismes de sécurité sociale et les organismes de gestion des prestations sociales ne seront pas sollicités.

Enfin, les IV et V de larticle prévoient que les articles 18 et 19, qui transposent dans le code civil et le code pénal le principe de levée de lanonymat du don de gamètes, sont applicables aux îles Wallis et Futuna, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Pour mémoire, l’assistance médicale à la procréation n’a pas été rendue applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises. En conséquence, la question de la levée de l’anonymat ne s’y pose pas.

*

La commission est saisie de l’amendement de suppression AS 181 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de supprimer la levée de l’anonymat du don de gamètes.

M. le ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement et l’article 29 est ainsi supprimé.

Article 30

(Articles L. 2142-1, L. 2421-1 et L. 2442-2 du code de la santé publique)


Application outre-mer des dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation

L’assistance médicale à la procréation a été rendue applicable aux îles Wallis-et-Futuna, ainsi qu’en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie par l’ordonnance n°2008-1339 du 18 décembre 2008. Le présent article vise à y rendre applicable les dispositions du présent projet de loi.

Le I de cet article rend l’article 19, relatif à l’autorisation des procédés d’AMP, applicable dans ces territoires.

Le 2° du I précise toutefois que ne sera pas applicable en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie l’encadrement de la stimulation ovarienne par des règles de bonne pratiques. En effet, les règles de bonnes pratiques ne relèvent pas du droit des personnes et relèvent de la compétence de ces collectivités.

Le II de cet article rend l’article 20, affirmant la finalité médicale de l’AMP et permettant l’accès à l’AMP des partenaires d’un PACS sans condition de délai, applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

S’agissant de Wallis-et-Futuna, le 2° du II réaffirme les compétences de l’agence de santé pour la mise en œuvre des activités d’AMP, après autorisation de l’administrateur supérieur du territoire.

Le III de cet article étend aux trois territoires les dispositions de l’article 21, qui concerne le devenir des embryons surnuméraires et prévoit le consentement des couples à l’utilisation de cellules souche dérivées d’embryons surnuméraires dans des préparations de thérapie cellulaire utilisées dans le cadre de recherches biomédicales.

Le IV de cet article étend aux trois territoires les dispositions de coordination contenue dans l’article 22.

*

La commission adopte successivement l’amendement AS 206 du rapporteur, tendant à la correction d’une erreur de référence, et les amendements rédactionnels AS 207 et AS 208, du même auteur.

Puis elle adopte l’article ainsi modifié.

Article 31

Applicabilité du régime juridique de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires pour l’outre-mer

L’article 31 prévoit que les dispositions du titre VII de la présente loi, c’est-à-dire l’article 23 relatif aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ainsi que l’article 24 relatif aux cellules souches embryonnaires, sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Il convient de souligner que les dispositions aujourd’hui en vigueur relatives à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ont été rendues applicables aux îles Wallis et Futuna ainsi qu’à la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française en vertu de l’ordonnance n° 2008-1339 du 18 décembre 2008 relative à l’extension et à l’adaptation en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna de dispositions portant sur la protection des droits des personnes en matière de santé. À l’inverse, aucune disposition relative à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’a jusqu’ici été étendue aux Terres australes et antarctiques françaises. C’est ce qui explique que les dispositions du titre VII du présent projet de loi ne sont pas aujourd’hui davantage étendues aux Terres australes et antarctiques françaises sur ce point.

L’étude d’impact annexée au présent projet de loi souligne que les dispositions réglementaires qu’appelaient les dispositions législatives de 2004 relatives à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, introduites par le décret n° 2006-121 du 6 février 2006, n’ont pas été étendues à l’outre-mer mais que « les décrets d’application du présent projet de loi combleront le retard et comporteront l’ensemble des dispositions réglementaires nécessaires ».

*

La commission adopte l’article sans modification.

Article 32

Dispositions transitoires et diverses applicables à l’outre-mer

L’article 32 prévoit que l’article 33 du présent projet de loi, comportant diverses dispositions transitoires relatives à l’assistance médicale à la procréation, à la levée de l’anonymat du don de gamètes et à la recherche sur l’embryon, s’appliquent dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

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La commission adopte l’article sans modification.

TITRE IX

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET DIVERSES

Article 33

Dispositions transitoires et diverses

Cet article comporte diverses dispositions transitoires.

Le I concerne l’application des dispositions prévues par l’article 19, qui modifie l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, afin de prévoir une procédure d’autorisation des procédés d’assistance médicale à la procréation.

Il prévoit que la liste des procédés autorisés sera fixée par arrêté du ministre de la Santé, après avis de l’ABM.

Le I prévoit donc que jusqu’à la publication de l’arrêté et au plus tard dans un délai d’un an à compter de la publication de la loi, les centres d’AMP pourront avoir recours aux procédés d’AMP régulièrement utilisés à cette date.

Le II de l’article précise les conditions d’application des articles 14 à 18 du projet de loi, procédant à la levée de l’anonymat du don de gamètes.

Il distingue deux cas de figure.

Le prévoit que pour l’accès à certaines données non identifiantes définies par l’article 16 – l’âge du donneur, son état de santé et ses caractéristiques physiques, l’article L. 2143-3 du code de la santé publique s’applique aux demandes formées à compter du premier jour du treizième mois suivant la publication de la loi.

Rappelons que l’accès aux données non identifiantes est possible sur demande à la majorité de l’enfant. Le donneur de gamètes n’aura donc pas la capacité de refuser la divulgation des informations qui le concernent. Surtout, la demande déposée demain par une personne issue d’un don de gamètes s’appliquera en réalité à des dons de gamètes bien antérieurs à la loi.

N’est-il pas hasardeux et peu respectueux de la vie privée de donneurs, d’appliquer la divulgation d’informations à caractère personnel, bien des années après leur consentement au don ? Le Conseil d’État, dans son rapport de mai 2009, a ainsi déclaré qu’il s’agissait de « changements importants, dont la mise en œuvre » devait « être progressive ». C’est pourquoi il a préconisé que la levée de l’anonymat ne vaille que pour les dons à venir.

Dans tous les cas, la nature des informations révélées à la personne qui en fait la demande doit être définie avec prudence, afin d’éviter une identification du donneur sans son consentement.

En revanche, le prévoit que pour l’accès à certaines données non identifiantes que le donneur peut refuser de fournir – situation familiale et catégorie socioprofessionnelle, nationalité et motivations du don, ainsi qu’à l’identité du donneur, seules les demandes concernant les dons effectués à compter de la publication de la loi seront prises en compte.

Il n’y a donc pas d’effet rétroactif pour cette catégorie d’information. En effet, il paraîtrait contraire aux principes de sécurité juridique et de respect de la vie privée du donneur, d’appliquer de manière rétroactive la levée complète de l’anonymat, à des donneurs qui n’ont jamais agi dans l’intention d’assumer une paternité.

Cependant, et comme cela a été pratiqué dans certains pays qui ont levé l’anonymat du don de gamètes, le donneur peut prendre l’initiative de déclarer auprès de la nouvelle « commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur » son intention d’accepter une levée complète de l’anonymat, pour des dons antérieurs à la promulgation de la présente loi. Le donneur peut donc décider lui-même de l’application rétroactive des nouvelles dispositions relatives à la levée de l’anonymat.

Le III de l’article 33 a pour objet de prévoir un régime transitoire relatif aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires dans l’attente du décret en Conseil d’État qui précisera les modalités d’application des nouvelles dispositions introduites par le titre VII du présent projet de loi.

Le régime juridique applicable aux recherches sur les embryons conçus in vitro ne faisant plus l’objet d’un projet parental et sur les cellules souches qui en sont issues est actuellement fixé par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique qui dispose que ces recherches ne sont autorisées, à titre dérogatoire, que pour une période limitée à 5 ans. Si cet article réaffirme le principe énoncé par la loi de 1994 de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, il autorise néanmoins, à titre dérogatoire et temporaire, les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires pendant un délai de cinq ans à compter de la publication du décret en Conseil d’État, prévu à l’article L. 2151-8, qui doit notamment fixer les conditions d’autorisation et de mise en œuvre des recherches menées sur des embryons humains (cf. supra commentaire de l’article 23).

Le décret d’application de la loi du 6 août 2004 n° 2006-121 du 6 février 2006 a été publié au Journal officiel le 7 février 2006. La période de cinq ans mentionnée à l’article L. 2151-8 du code de la santé publique s’étend donc jusqu’au 6 février 2011.

Néanmoins, la rédaction actuelle de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que les recherches dont les protocoles ont été autorisés dans ce délai de cinq ans, suite à l’une des trois fenêtres de dépôt par an arrêtées par le directeur général de l’agence de la biomédecine, et qui n’auront pu être menées à leur terme dans le cadre dudit protocole, pourront être poursuivies dans le respect des conditions fixées par la loi, notamment en ce qui concerne leur régime d’autorisation.

Par ailleurs, l’article R. 2151-2 du code de la santé publique dispose que « le directeur général de l’agence de la biomédecine peut autoriser un protocole de recherche sur l’embryon ou sur les cellules embryonnaires, après avis du conseil d’orientation, pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans ».

Dans son étude relative à la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État en déduit qu’« il résulte (…) des dispositions combinées des articles L. 2151-5 et R.2151-2 du code de la santé publique que les projets autorisés avant le 6 février 2011 pourront se poursuivre au-delà de cette date, dans la limite de la durée indiquée dans l’autorisation ».

Ainsi, tous les protocoles de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires autorisés par l’Agence de la biomédecine avant le 6 février 2011 pourront normalement être menés à leur terme, dans la limite de la durée indiquée dans l’autorisation qui ne peut en tout état de cause excéder cinq ans.

Les dispositions législatives et réglementaires en vigueur offrent donc déjà une certaine souplesse permettant aux recherches sur l’embryon et les cellules souches autorisées avant le 6 février 2011 de se poursuivre au-delà de cette date.

Cela ne règle néanmoins pas le cas des recherches sur l’embryon dont l’intérêt pour la santé publique pourrait apparaître au cours de la période s’étendant entre le lendemain de la dernière « fenêtre de dépôt », avant la date du 6 février 2011, des dossiers de demandes à l’Agence de biomédecine d’autorisation de protocoles de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires et la publication du décret d’application des nouvelles dispositions relatives à la recherche sur l’embryon introduites par le titre VII du présent projet de loi.

Compte tenu du temps d’examen par les deux assemblées parlementaires du présent projet de loi relatif à la bioéthique (la dernière loi de bioéthique promulguée en août 2004 avait été examinée en première lecture par l’Assemblée nationale en janvier 2002) et des délais nécessaires avant publication des mesures réglementaires d’application, cette période peut s’étendre sur plusieurs mois, voire plusieurs années.

C’est pourquoi le III de l’article 33 dispose que, dans l’attente du décret en Conseil d’État précisant les modalités d’application des dispositions introduites par le titre VII du présent projet de loi, les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires sont autorisées selon le régime en vigueur au 1er janvier 2011, c’est-à-dire le régime actuel issu de la loi de 2004.

Il convient de souligner que ce n’est pas la première fois qu’est mis en place un régime transitoire de recherche sur l’embryon.

En effet, l’article 37 de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique et le décret en Conseil d’État n° 2004-1024 avait déjà mis en place un tel régime transitoire, destiné à permettre aux chercheurs, sans attendre l’installation de la nouvelle agence de la biomédecine, de présenter des demandes d’autorisation de protocoles de recherche. Ces recherches ne pouvaient porter que sur des cellules souches embryonnaires importées en vertu d’une autorisation délivrée par les ministres de la recherche et de la santé. La demande d’autorisation devait être adressée, accompagnée d’un dossier justificatif, aux ministres de la recherche et de la santé. L’instruction de la demande d’autorisation faisait intervenir un comité ad hoc, dont la composition préfigurait celle du conseil d’orientation de l’agence de la biomédecine : un député, un sénateur, un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation, un membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, un membre de la commission nationale consultative des droits de l’homme, six experts scientifiques, quatre représentants d’associations de personnes malades, d’associations de personnes handicapées, d’associations familiales et d’associations œuvrant dans le domaine de la protection des droits des personnes. Ce comité ad hoc était chargé d’éclairer par un avis la décision d’autorisation, prise par arrêté conjoint des ministres de la santé et de la recherche.

Si le recours à une disposition transitoire destinée à ne pas retarder le démarrage de protocoles de recherche n’est donc pas une nouveauté, il convient toutefois de signaler que celle mise en place au III de l’article 33 du présent projet de loi ne permettra pas à l’agence de la biomédecine d’autoriser de nouveaux protocoles de recherche sur l’embryon entre la dernière « fenêtre de dépôt », avant la date du 6 février 2011, des dossiers de demandes à l’Agence de biomédecine et la date de la promulgation de la présente loi. Dans cette période, aucun nouveau protocole de recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires ne pourra donc être autorisé, même si ceux autorisés avant le 6 février 2011 pourront, comme déjà vu, se poursuivre.

*

La commission est saisie de l’amendement de suppression AS 101 de M. Paul Jeanneteau puis de l’amendement AS 180 du rapporteur.

M. Paul Jeanneteau. À la suite de la suppression de l’article qui levait l’anonymat du don de gamètes, il me semble logique de supprimer également l’article 33.

M. le rapporteur. Les alinéas 1 et 5 ne portant pas sur la levée de l’anonymat, il convient de supprimer uniquement les alinéas 2 à 4 ; tel est l’objet de l’amendement AS 180.

L’amendement AS 101 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS 180.

En conséquence, l’amendement AS 107 de M. Michel Vaxès devient sans objet.

La commission adopte l’article ainsi modifié.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

En conséquence, la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

ANNEXE 
APPLICATION DE L’ARTICLE 86, ALINÉA 8, DU RÈGLEMENT

En application de l’article 86, alinéa 8, du Règlement de l’Assemblée nationale, dans sa rédaction issue de la résolution n° 292 du 27 mai 2009, les rapports faits sur un projets de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée « comportent en annexe un document présentant les observations qui ont été recueillies sur les documents qui rendent compte de l’étude d’impact joints au projet de loi ».

À la date d’examen du projet de loi par la commission, 10 contributions ont été reçues. Certaines critiquent le manque d’objectivité de l’étude d’impact sur l’anonymat du don de gamètes et les cellules IPS. La plupart ne portent pas sur l’étude d’impact mais reflètent des prises de position sur l’anonymat du don de gamètes, le dépistage de la trisomie 21, la rémunération des actes de biologie médicale, la recherche sur l’embryon, les autorisations de mise sur le marché d’un médicament.

© Assemblée nationale

1 () Pour la présente révision, Rapport n° 1325 sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, La loi bioéthique de demain, déposé le 17 décembre 2008.

2 () Mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, rapport n° 2235, Révision des lois de bioéthique. Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine, 20 janvier 2010.

3 () Parmi les nombreux avis de ce comité susceptibles d’éclairer la révision de la loi, voir notamment l’avis n° 105, « Questionnement pour les états généraux de la bioéthique », octobre 2010.

4 () Outre le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine, qui contient les éléments nécessaires à l’évaluation de la loi, cette dernière a également publié un rapport spécifique : Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008.

5 () Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009.

6 () États généraux de la bioéthique, Rapport final, juillet 2009.

7 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, propositions n° 36.

8 () États généraux de la bioéthique, Rapport final, 1er juillet 2009, p. 50.

9 () Agence de la biomédecine, bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008.

10 () Le taux de prélèvement par million d’habitants est passé de 21 pour un million en 2004 à 24,7 en 2007.

11 () États généraux de la bioéthique, forum de Strasbourg, juillet 2009.

12 () Voir sur ce point le rapport précité de l’Agence de la biomédecine et l’étude du Conseil d’État sur la révision des lois bioéthiques, mai 2009. 

13 () D’abord ne pas nuire.

14 () Par dérogation, peuvent être autorisés à se prêter à un prélèvement d’organe dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur son conjoint, ses frères ou soeurs, ses fils ou filles, ses grands-parents, ses oncles ou tantes, ses cousins germains et cousines germaines ainsi que le conjoint de son père ou de sa mère. Le donneur peut également être toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur.

15 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, propositions n° 70 et 71.

16 () Rapport d’information du Sénat n° 79 de Mme Marie-Thérèse Hermange, 4 novembre 2008.

17 () Diagnostic prénatal, interruption médicale de grossesse, diagnostic pré-implantatoire et formes héréditaires de cancers, Rapport rédigé à la demande de l’Agence de la Biomédecine et de l’Institut National du Cancer (2008).

18 () Le système HLA (human leucocyte antigen) vise à identifier les antigènes d’histocompatibilité portés par les cellules des tissus responsables de la réaction de rejet des greffes.

19 () S’agissant du DPI-HLA, le CCNE a fait remarquer, dans son avis n° 107 d’octobre 2009 relatif aux problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals qu’« un enfant ne sera jamais un médicament » et que « cette technique devrait demeurer une solution par défaut, dont ont peut vivement souhaiter qu’elle soit provisoire et à laquelle il convient de chercher activement des alternatives ». Par ailleurs, cette technique semble heurter le principe kantien : « agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours et en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » (Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785).

20 () Comité consultatif national d’éthique, avis n° 90 sur l’accès aux origines, l’anonymat et le secret de la filiation, novembre 2005.

21 () Enquête de la fédération des CECOS, P. Jouannet, JM. Kunstmann, JC. Juillard et JL. Bresson, octobre 2006.

22 () Selon le rapport annuel de 2009 de l’Agence de la biomédecine, 469 couples ont bénéficié d’un don d’ovocytes en 2009 et 1 639 étaient en attente. Concernant les dons de sperme, le ratio entre le nombre de demandes d’AMP rapporté au nombre de donneurs acceptés est de 7 en 2009.

23 () Chiffres cités dans le rapport d’information n°2235 sur la révision des lois de bioéthique.

24 () Rapport au nom du groupe de travail sur la gestation pour autrui, Roger Henrion, Claudine Bergoignan-Esper, mars 2009.

25 () Cour de Cassation, Assemblée plénière, Alma mater, n° 90-20105, 31 mai 1991.

26 () J. Thomson and al., « Embryonic stem cell lines derived from human blastocysts », Science 1998; 282: 1145-1147.

27 () Les cellules souches multipotentes sont à l’origine de plusieurs types de cellules différenciées.

28 () Les cellules souches pluripotentes ont vocation à former tous les tissus de l’organisme mais ne peuvent aboutir à la création d’un individu complet.

29 () Les cellules souches totipotentes sont les cellules de l’embryon pendant les premières divisions de l’ovule fécondé qui peuvent conduire au développement d’un être humain.

30 () « De la difficulté d’appréhender l’emploi des droits humains en termes de droits fondamentaux », Rev. trim. dr. h. (54/2003).

31 () « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro », 21 octobre 2010.

32 () A. Milon, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’état d’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, Sénat n°309, 12 avril 2006.

33 () On donne une chose mais on accueille une personne.

34 () Décision n° 94-343/344 du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, JO du 29 juillet 1994, p. 11024.

35 () CEDH, 8 juillet 2004, aff. Vo c/France ; C-53924/00.

36 () Audition du 13 mai 2009 devant la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique.

37 () Avis n° 67 du 18 janvier 2001 sur l’avant-projet de révision des lois de bioéthique.

38 () Avis n° 67 du 18 janvier 2001 sur l’avant-projet de révision des lois de bioéthique.

39 () « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro », 21 octobre 2010.

40 () Avis n° 8 du CCNE du 15 décembre 1986 relatif aux recherches et utilisation des embryons humains in vitro à des fins médicales et scientifiques.

41 () « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro », 21 octobre 2010.

42 () La Bioéthique, connaissance du droit, Dalloz, 2009.

43 () « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro », 21 octobre 2010.

44 () L’avis n° 112 du 21 octobre 2010 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) indique de façon très intéressante que « l’une des modalités théoriquement possibles d’obtention de lignées de cellules souches embryonnaires à partir d’embryons in vitro, sans destruction de ces embryons, pourrait être à partir de la cellule (ou des deux cellules) qui sont prélevée(s) lors de la réalisation d’un DPI sur un embryon in vitro qui se révèle exempt de l’anomalie génétique recherchée, et qui sera donc transféré. A ce jour, malgré des recherches dans ce domaine, il n’a pas été possible, pour des raisons techniques, de dériver des lignées de cellules souches embryonnaires à partir de la cellule ou des deux cellules prélevée(s) sur un embryon humain pour la réalisation d’un DPI. Si à l’avenir, ces obstacles techniques étaient surmontés, les recherches sur les cellules souches d’origine embryonnaire ne seraient plus obligatoirement réalisées à partir de cellules ayant pour origine des embryons détruits ».

45 () Pierre-Louis Fagniez, « Cellules souches et choix éthiques », La documentation française, juillet 2006.

46 () CSHh : cellules souches embryonnaires humaines.

47 () S. Yamanaka, K. Takahashi and al., “Induction of pluripotent stem cells from mouseembryonic and adult fibroblast cultures by defined factors”, Cell, 2006, 126: 663-676.

48 () iPS : induced pluripotent stem cells (cellules souches pluripotentes induites).

49 () Dite convention d’Oviedo, signée par la France le 4 avril 1997 mais non ratifiée à ce jour.

50 () Le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif « aux cellules souches et choix éthiques » (2006), indique ainsi clairement que « la pharmacologie utilisant des cellules souches pour ses recherches n’agirait pas directement à des fins thérapeutiques ».

51 () Le rapport d’information au Parlement et au Gouvernement d’avril 2010 de l’agence de la biomédecine indique que la modélisation des pathologies humaines utilise des cellules souches embryonnaires issues de diagnostic pré-implantatoire ou des cellules dérivées de patients atteints de ces pathologies.

52 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, chapitres IX et X.

53 () Centre d’analyse stratégique, « Impact des neurosciences : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ? », note de veille n° 128, mars 2009.

54 () Rapport n° 1325 sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, La loi bioéthique de demain, déposé le 17 décembre 2008, cinquième partie portant sur les neurosciences et l’imagerie cérébrale.

55 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, chapitres IX.

56 () Agence de la biomédecine, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008.

57 () Pour ces exemples et pour d’autres, voir notamment : Centre d’analyse stratégique, « Impact des neurosciences : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ? », note de veille n° 128, mars 2009.

58 () Ibid., proposition n° 81.

59 () Voir notamment le rapport de l’Agence de la biomédecine, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008 et celui de l’OPECST, Rapport n° 1325 sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, La loi bioéthique de demain, déposé le 17 décembre 2008.

60 () Conformément à la proposition n° 84 de la mission d’information parlementaire.

61 () Tel a notamment été la conclusion de la mission parlementaire (rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 257) et du Conseil d’État (Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009, p. 58).

62 () Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009, p. 58.

63 () Conseil constitutionnel, n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel.

64 () Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009, p. 60.

65 () CCNE, avis n° 76, À propos de l’obligation d’information génétique familiale en cas de nécessité médicale, 24 avril 2003.

66 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 264-266.

67 () CCNE, avis n° 76, À propos de l’obligation d’information génétique familiale en cas de nécessité médicale, 24 avril 2003, p. 4.

68 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 265-266.

69 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 259.

70 () États généraux de la bioéthique, rapport final, annexe II.

71 () Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009, p. 59.

72 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 256.

73 () Article R. 1131-1 du code de la santé publique.

74 () Voir « Le recours aux donneurs vivants en transplantation d’organes », Yves Chapuis, Académie nationale de médecine, 26 mars 2009.

75 () Journée de réflexion sur le don du vivant en greffe hépatique adulte organisée par l’Agence de la biomédecine, 20 décembre 2007.

76 () Rapport rendu au nom de la commission éthique et droit de l’Académie nationale de médecine, « Le recours aux donneurs vivants en transplantation d’organes », 24 mars 2009.

77 () Étude d’impact, p. 31.

78 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 413.

79 () ibid.

80 () Agence de la biomédecine, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008, p. 21-24.

81 () Agence de la biomédecine, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008, p. 21.

82 () Étude d’impact, p. 37-39.

83 () Directive 2004/23 du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains.

84 () Étude d’impact, p. 33.

85 () ibid., p. 34.

86 () Directive 2004/23/CE du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains.

87 () Directive 2004/23/CE du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains.

88 () Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, n° 2235, janvier 2010, p. 415.

89 () Ibid., p. 415.

90 () CCNE, avis n° 74, Les banques de sang de cordon ombilical en vue d’une utilisation autologue ou de recherche, 2002.

91 () Le système HLA (human leucocyte antigen) vise à identifier les antigènes d’histocompatibilité portés par les cellules des tissus responsables de la réaction de rejet des greffes.

92 () Rapport d’information de Mme Marie-Thérèse Hermange, fait au nom de la commission des affaires sociales n° 79 (2008-2009), 4 novembre 2008.

93 () Proposition de loi de M. Damien Meslot relative au prélèvement et à la conservation des cellules souches issues du sang de cordon ombilical, n° 1938, déposée le 29 septembre 2009

94 () Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009, p. 79 et suivantes.

95 () Étude d’impact, p. 44-45.

96 () Étude d’impact, p. 43.

97 () Avis du CCNE n°107 sur les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) ; octobre 2009

98 () Les villosités choriales sont d’abord des éléments constitutifs du trophoblaste (couche cellulaire du très jeune embryon - la couche primitive est le cytotrophoblaste - qui va donner naissance au placenta), puis du placenta, et jouent un rôle essentiel au niveau des échanges gazeux respiratoires et nutritionnels entre la mère et son futur enfant

99 () L’échographie obstétricale et l’échographie fœtale sont indissociables et pratiquées au cours du même examen. L’échographie obstétricale se rapporte aux aspects maternels et l’échographie fœtale aux aspects foetaux

100 () Le système HLA (human leucocyte antigen) vise à identifier les antigènes d’histocompatibilité portés par les cellules des tissus responsables de la réaction de rejet des greffes.

101 () Voir les recommandations professionnelles de l’Agence de la biomédecine pour le fonctionnement des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal du 16 février 2009.

102 () Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée.

103 () Voir « L’anonymat des donneurs de gamètes », Claire Legras, LAENNEC n° 1/2010.

104 () Voir « Naissance des premiers CECOS, un défi, un pari », La Tribune des CECOS, 2004.

105 () Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial.

106 () « Procréer grâce à un don de sperme : accueillir et transmettre sans gêne », Pierre Jouanet, Esprit, mai 2009.

107 () Table ronde de la commission spéciale sur l’anonymat du don de gamètes, 15 décembre 2010.

108 () Voir Irène Théry, Des humains comme les autres, Bioéthique, anonymat et genre du don, Éditions de l’école des hautes études en sciences sociales, 2010.

109 () Voir Geneviève Delaisi de Parseval, Comment entendre les demandes de levée du secret des origines ?, Esprit, mai 2009.

110 () CEDH, 13 février 2003, affaire Odièvre c/France, n° 42326/98.

111 () L’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur: remise en cause de l’anonymat ?, Jean-Marie Kunstmann, CECOS Paris-Cochin.

112 () Enquête de la fédération des CECOS, P.Jouannet, JM Kunstmann, JC. Juillard, JL. Bresson, octobre 2006.

113 () Comité consultatif national d’éthique, avis n° 90 sur l’accès aux origines, l’anonymat et le secret de la filiation, novembre 2005.

114 () Rapport d’information n° 2235 au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique « Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine », janvier 2010.

115 () Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « La loi bioéthique de demain », décembre 2008.

116 () Rapport n°3208 de M. Alain Claeys au nom de la mission d’information préparatoire au projet de loi de révision des loi de bioéthique de juillet 1994, 27 juin 2001.

117 () Rapport n° 2235 de M. Jean Leonetti au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, 20 janvier 2010.

118 () OPECST rapport n° 1325 de MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, La loi de bioéthique de demain.

119 () Il convient en effet de rappeler que sont entendues par soins courants, aux termes de l’article R. 1121-3 du code de la santé publique « les recherches dont l’objectif est d’évaluer des actes, combinaisons d’actes ou stratégies médicales de prévention, de diagnostic ou de traitement qui sont de pratique courante, c’est-à-dire faisant l’objet d’un consensus professionnel, dans le respect de leurs indications. Ne relèvent pas de cette catégorie […] :

1° Les recherches qui portent sur des techniques ou des stratégies innovantes ou considérées comme obsolètes

2° Les recherches qui portent sur l’évaluation d’une combinaison innovante d’actes ou de produits, même si chacun de ceux-ci pris isolément est d’utilisation courante ;

3° Les recherches portant sur une comparaison de stratégies médicales, lorsque l’une de ces stratégies peut, en l’état des connaissances être considérée comme supérieure à l’autre en termes de sécurité et d’efficacité. 

120 () ABM, Bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, octobre 2008

121 () Rapport n° 2235 de M. Jean Leonetti au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, 20 janvier 2010.

122 () Le taux d’accouchement après une FIV classique était de 19 % en 2006 et de 9,6 % après une insémination.

123 () Directive 2004/23/CE du parlement européen et du conseil du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains.

124 () La rédaction actuelle prévoit que le consentement est révocable à tout moment, mais la rédaction est modifiée par l’article 23 qui prévoit que le consentement sera révocable tant que la recherche n’aura pas commencé.

125 () L’article L. 2141-8 ancien du code de la santé publique disposait que « la conception in vitro d’embryons humains à des fins de recherche est interdite. Toute expérimentation sur l’embryon est interdite ».

126 () Contribution du conseil d’orientation de l’ABM aux débats préparatoires à la révision de la loi de bioéthique.

127 () Une cellule pluripotente est une cellule ayant la capacité de donner, après différenciation, l’ensemble des tissus d’un organisme excepté les annexes embryonnaires (entre autres : placenta, cordon ombilical). Tel est le cas des cellules souches embryonnaires.

128 () Une cellule souche est dite multipotente quand elle peut être à l’origine de plusieurs types de cellules. Par exemple, la cellule souche hématopoïétique peut se différencier en plaquettes sanguines, en globules rouges et divers types de globules blancs. En revanche, contrairement aux cellules souches embryonnaires leur spectre est limité.

129 () Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat sur le potentiel thérapeutique des cellules souches extraites du sang de cordon ombilical, 4 novembre 2008.

130 () L’agence peut faire, le cas échéant, appel à des experts scientifiques extérieurs au collège.

131 () Le conseil d’orientation veille à la cohérence de la politique médicale et scientifique de l’agence, ainsi qu’au respect des principes réglementaires et éthiques applicables à ses activités. Ses 25 membres sont des experts scientifiques et médicaux, des représentants d’associations, des personnalités qualifiées, des parlementaires et des membres de diverses institutions : Conseil d’État, Cour de cassation, Comité consultatif national d’éthique, Commission nationale consultative des droits de l’homme.

132 () Tirant les conséquences de la réalité des protocoles autorisés, l’agence peut prendre des mesure de retrait d’autorisation : projet non démarré ou abandonné avant la mise en œuvre des recherches, responsable admis à la retraite, laboratoire fermé …

133 () Dispositif transitoire reposant sur un comité ad hoc (compétence des ministres chargés de la santé et de la recherche).

134 () En 2009, l’Agence a mis en place un dispositif de prorogation des autorisations pour les protocoles qui n’ont pu être menés à leur terme pendant la durée de l’autorisation. La prorogation d’une autorisation concerne les équipes dont le démarrage effectif de la recherche a été différé par rapport à la date de délivrance de l’autorisation, en raison d’un retard de financement ou d’importation des lignées de cellules. Une procédure particulière évite aux équipes de constituer un dossier de demande de renouvellement qui aurait nécessité une nouvelle instruction complète. Les dossiers de prorogation ne sont pas examinés par le collège d’experts. En revanche, le conseil d’orientation rend un avis sur toutes les demandes de prorogation.

135 () La pharmacologie étudie les effets des molécules sur les organismes vivants. Elle comporte l’étude de l’action d’une molécule sur une propriété biologique donnée mais aussi l’effet toxique latéral indésirable qui limiterait l’utilisation de la molécule.

136 () Articles L. 1211-1 et L. 1211-3 à L. 1211-7 du code de la santé publique et chapitre III relatif à la préparation, à la conservation et à l’utilisation des tissus, des cellules et de leurs dérivés – comprenant l’article L. 1243-3 qui impose la déclaration au ministère de cette conservation.

137 () Dispositif transitoire reposant sur un comité ad hoc (compétence des ministres chargés de la santé et de la recherche).