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Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 3140

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 février 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, relative au prix du livre numérique,

PAR M. HervÉ GAYMARD,

Député.

——

Voir les numéros :

Sénat  : 695 (2009-2010), 50, 51 et T.A. 10 (2010-2011).

Assemblée nationale  : 2921.

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION 5

AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR 7

INTRODUCTION 9

I.- QUELLE RÉGULATION POUR UN MARCHÉ ÉMERGENT ? 11

A. UN MARCHÉ ÉMERGENT 11

1. Aux États-Unis 11

2. En Allemagne  13

3. Au Royaume-Uni 13

4. En France 14

B. DE NOMBREUX RAPPORTS PLAIDANT TOUS POUR LA RÉGULATION 15

1. Le rapport Patino de juin 2008 16

2. Le rapport Gaymard de mars 2009 16

3. L’avis du Conseil de la concurrence en décembre 2009 17

4. Le rapport « Création et internet » de janvier 2010 17

5. Le rapport Albanel d’avril 2010 18

II.- LE RÔLE « PROACTIF » DU PARLEMENT 19

A. UNE INITIATIVE PARLEMENTAIRE ISSUE D’UN LONG TRAVAIL DE RÉFLEXION DES COMMISSIONS COMPÉTENTES 19

B. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS 20

C. LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES AU TEXTE PAR LE SÉNAT 21

III.- LA QUESTION EUROPÉENNE 23

A. LA POSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LA PROPOSITION DE LOI INITIALE 24

B. L’INCERTITUDE LIÉE À LA CLAUSE D’EXTRATERRITORIALITÉ INTRODUITE AU SÉNAT 26

TRAVAUX DE LA COMMISSION 29

I.- TABLE RONDE SUR LA NUMÉRISATION DE L’ÉCRIT 29

II.- DISCUSSION GÉNÉRALE 59

III.- EXAMEN DES ARTICLES 65

Article 1er : Définition du livre numérique et périmètre d’application de la loi 65

Article 2 : Fixation du prix de vente par l’éditeur 70

Article 3 : Respect du prix de vente fixé par l’éditeur 79

Article 4 : Ventes à primes de livres numériques 81

Article 5 : Relations commerciales entre éditeurs et détaillants 83

Article 5 bis : Rémunération des auteurs 87

Après l’article 5 bis 93

Article 6 : Sanctions 94

Article 7 : Rapport au Parlement 94

Article 8 : Application outre-mer 96

TABLEAU COMPARATIF 99

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 103

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 109

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR LA COMMISSION

À l’initiative du rapporteur, la Commission a apporté les modifications suivantes au texte adopté par le Sénat :

– La Commission a décidé de supprimer la « clause d’extraterritorialité » : seules les personnes établies en France sont assujetties à l’obligation de fixer un prix de vente pour l’ensemble des livres numériques qu’elles éditent (article 2) ; par ailleurs, ce prix s’impose aux personnes établies en France qui proposent des offres de livres numériques aux acheteurs situés dans notre pays (article 3).

– À l’article 2, elle a prévu une exception, strictement définie, au principe de la fixation du prix de vente par l’éditeur au profit des éditions techniques et scientifiques, c’est-à-dire des livres numériques intégrés dans des offres associant à ces produits des contenus d’une autre nature et proposées sous la forme de licences d’utilisation destinées à un usage collectif et dans un but de recherche et d’enseignement.

– La Commission a supprimé l’article 5 bis prévoyant que la rémunération de l’auteur au titre de l’exploitation numérique d’une œuvre est fixée en tenant compte de l’économie générée, pour l’éditeur, par le recours à l’édition numérique.

– Elle a enrichi la rédaction de l’article 7 relatif à l’évaluation de la mise en œuvre de la loi pour prévoir la création d’un comité de suivi composé de quatre parlementaires et préciser que le rapport annuel d’application transmis au Parlement vérifie si le prix fixe du livre numérique permet une rémunération de la création et des auteurs compatible avec l’objectif de diversité culturelle.

AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR

Planète Livre et météorite numérique

Parfois, à Saint-Germain-des-Prés, le vertige vous prend à la terrasse des cafés. Soudain, l’été dernier, la rumeur enfla. La météorite numérique allait fracasser l’univers du papier, et le livre disparaître, détrôné par l’écran. Entre la grande peur, sûrement injustifiée, et la négligence insouciante, évidemment suicidaire, feuilletons la table des matières de ce nouveau monde que nous devons construire, car le laisser-faire généralisé dans la jungle numérique aliénerait cette irremplaçable « liberté grande » que le livre nous a donnée pour nous construire.

Le numérique est déjà là, bien sûr, particulièrement dans le droit, la médecine, les sciences. Il se développera, c’est sûr, mais il est difficile de savoir dans quelles proportions ni à quel rythme. Il aura sûrement un impact différent selon les genres, majeur pour les ouvrages techniques, les romans populaires, la bande dessinée, variable pour les sciences humaines, plus faible pour la littérature de qualité. Mais ce ne sont que des conjectures. Tout dépendra de la qualité des liseuses numériques, de l’appétence des lecteurs à s’affranchir du papier, et de l’offre légale qui lui sera proposée.

Assistera-t-on à un « grand basculement », à l’instar de la musique, quand le couple Ipod-MP3 est apparu, ou à l’apparition d’une « économie d’estuaire » où le papier et le numérique cohabiteront de manière mouvante comme la terre et l’eau, nul ne le sait aujourd’hui. D’autant que le numérique peut être l’allié du livre, couplé à l’impression à la demande, pour rendre disponible des oeuvres épuisées, ou trop savantes pour faire l’objet d’une édition classique. Pour les oeuvres tombées dans le domaine public, le patrimoine, il faut conduire une politique active de numérisation, ce qui suppose, comme le souligne le rapport Tessier, un pilotage clair et des moyens budgétaires importants, y compris en mobilisant le grand emprunt et des fonds européens.

Le programme français Gallica 2 doit être renforcé, tout comme doit être réorienté et approfondi le projet Europeana. Il n’est pas scandaleux que des partenariats puissent être noués avec des opérateurs privés, y compris Google, mais à la condition d’être très vigilant dans les cahiers des charges s’agissant de l’accès, de l’indexation et de la propriété des fichiers. Il faut traiter également la question de l’intégrité et la fiabilité des oeuvres numérisées, ainsi que de la sécurité des archivages sur le long terme, car on sait que le papier est plus durable qu’un fichier numérique. Le point le plus délicat concerne bien sûr les oeuvres sous droits, les plus menacées, si ce nouveau monde numérique n’est pas organisé, car c’est la liberté et la diversité de la création qui est en jeu.

Il faut d’abord défendre le droit d’auteur, quelle que soit sa forme juridique, différente de part et d’autre de l’Atlantique. C’est dire l’importance de la bataille juridique aux États-Unis et en Europe contre Google, qui numérise des oeuvres sans l’accord de leurs auteurs, et prévoit une indemnisation forfaitaire dérisoire, acceptée d’ailleurs par la Guilde des auteurs américains, de guerre lasse, faute de pouvoir payer les frais d’avocats... Le département de la Justice américain, l’Union européenne, le gouvernement français, les éditeurs ont été réactifs et avisés, dès l’été 2008, pour faire valoir leur position.

Il faut ensuite que l’offre légale puisse se déployer. C’est d’abord l’affaire des éditeurs, qui doivent, dans une économie de marché, s’organiser pour peser face aux distributeurs. Les éditeurs doivent garder la maîtrise du prix du fichier numérique. Le résultat du bras de fer entre Amazon et certains éditeurs aux États-Unis est donc très important, car Amazon a la prétention d’imposer son prix. En France, il faut rapidement sécuriser juridiquement cette maîtrise, d’abord par le contrat de mandat, mais surtout en légiférant pour que l’éditeur conserve la maîtrise de la fixation du prix du fichier numérique. Il faut aussi s’organiser pour que des plates-formes de téléchargement légal aient la masse critique (notoriété, catalogue). Il faut enfin que l’environnement fiscal soit adapté au développement de cette offre légale. Un livre est un livre, qu’il soit sous forme classique ou numérique, imprimable d’ailleurs à la demande. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi étendant le taux de TVA de 5,5 % au livre numérique, qui a été adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2011, avec une date d’effet au 1er janvier 2012. Cette action doit être prolongée au niveau européen : c’est le sens de la mission confiée à Jacques Toubon.

Cette révolution numérique va impacter tous les acteurs de la chaîne du livre. « L’édition sans éditeurs », pronostiquée il y a une dizaine d’années par André Schiffrin, et sans libraires, ne relèverait donc plus du fantasme, l’auteur vendant directement son livre au lecteur, via internet. C’est pourquoi les éditeurs doivent organiser le changement et ne pas le subir, car le travail méconnu d’édition, de mise au point du manuscrit, est indispensable pour maintenir la qualité des oeuvres. De même, les libraires, confortés par la loi sur le prix unique et la récente loi sur les délais de paiement, irremplaçables, doivent anticiper les évolutions, en développant l’offre numérique, et en proposant l’impression à la demande, quand son modèle économique sera calé. Et « l’hypocrite lecteur », que deviendra-t-il dans ces bouleversements ? Bien présomptueux qui peut le dire aujourd’hui. Espérons qu’il gardera du plaisir, et continuera à construire, en tâtonnant, sa « liberté grande ».

Hervé GAYMARD

INTRODUCTION

La « révolution numérique » concerne désormais pleinement le secteur du livre. Aujourd’hui, en effet, pour que le livre puisse trouver son lecteur, il doit également être numérique.

Les rapports sur le sujet, nombreux et constructifs, ont dévoilé un paysage très évolutif et éclairé un avenir incertain. La question du prix du livre dans l’univers numérique en est un des éléments principaux. Le rapporteur plaide pour sa part depuis longtemps déjà pour un encadrement législatif du prix du livre numérique. Ainsi qu’il l’indiquait dans son rapport à la ministre de la culture, « il est évident que le prix constituera une variable déterminante des futurs modèles économiques du livre numérique qu’il s’agisse du niveau de prix auquel seront proposés les fichiers ou du caractère fixe ou libre des prix pratiqués » (1).

C’est en raison de cet enjeu qu’une proposition de loi relative au prix du livre numérique a été déposée dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale, par le rapporteur et plusieurs de ses collègues, et au Sénat, par M. Jacques Legendre, président de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et par Mme Catherine Dumas. La proposition de loi a été examinée et adoptée avec modifications en première lecture au Sénat le 26 octobre dernier. C’est donc ce texte qui est soumis à notre Assemblée.

Précisons que, même dans le cadre d’un livre numérique dit « homothétique », c’est-à-dire reflétant le livre imprimé, l’encadrement législatif de son prix ne peut être la simple transposition de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 dont plusieurs dispositions ne sont d’aucun effet dans l’univers numérique. À cet égard, il a paru préférable de présenter un texte distinct de la loi de 1981, même si les objectifs poursuivis alors paraissent toujours pertinents et adaptés à une loi de régulation du livre numérique.

C’est dans cet esprit que la présente proposition de loi tend à fixer un cadre souple de régulation du prix du livre numérique, à mi chemin entre l’organisation du marché par le contrat et l’encadrement trop strict d’un marché naissant.

I.- QUELLE RÉGULATION POUR UN MARCHÉ ÉMERGENT ?

A. UN MARCHÉ ÉMERGENT

En France comme à l’étranger, la mesure du marché du livre numérique est encore très imparfaite et l’on trouve, notamment sur le marché américain, des chiffres très différents selon la définition donnée au terme « numérique » (e-books, livres audio, ventes d’extraits, de licences ou de bouquets) et le périmètre du marché du livre auquel il est comparé (littérature, livres « grand public », chiffre d’affaires total des éditeurs, etc.).

Ces différents chiffres sont souvent repris par la presse grand public, sans précision aucune sur la nature du champ mesuré, pour illustrer l’explosion (ou au contraire le « retard ») du marché du livre numérique.

1. Aux États-Unis

Selon l’Association of American publishers (AAP), les ventes d’e-books représentaient en 2009 un chiffre d’affaires estimé de 313 millions de dollars, en prix de cession, soit 1,3 % du chiffre d’affaires des éditeurs.

Part du livre numérique dans le chiffre d’affaires des éditeurs américains

 

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

livres audio

0,6 %

0,7 %

0,7 %

0,8 %

0,8 %

0,9 %

0,7 %

0,8 %

e-books

0,03 %

0,1 %

0,1 %

0,2 %

0,2 %

0,3 %

0,5 %

1,3 %

Source : Association of American publishers

Les données trimestrielles publiées par l’International digital publishing forum (IDPF) indiquent quant à elles un quasi triplement des ventes entre le 1er semestre 2009 et le 1er semestre 2010.

Ventes de livres numériques aux États-Unis par trimestre

Source : International Digital Publishing Forum

Au premier trimestre 2010, le groupe Hachette indiquait qu’aux États-Unis, il avait réalisé « 8 % de son chiffre d’affaires avec des ouvrages numériques – essentiellement en littérature générale »(2). Ce pourcentage était seulement de 1 à 2 % en 2009…

 Les principaux acteurs

Jusqu’au lancement de l’iPad par Apple, la distribution de livres numériques était très largement dominée par Amazon.com qui, grâce à sa politique de vente de prix bradés, et à perte, des bestsellers à 9,99 dollars, concentrait plus de 80 % des ventes d’e-books (3).

On ne dispose pas à ce jour d’estimations précises de l’évolution des parts de marché depuis le lancement par Barnes & Noble, la première chaîne de librairies américaine, de sa propre tablette (le nook) fin 2009 et le lancement de l’iPad en mai 2010. Selon M. Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livre, à la fin de l’année dernière, la part d’Amazon était comprise entre 50 et 55 %, celle de Barnes & Noble égale à 20 %, celle d’Apple comprise entre 15 et 20 %, les autres acteurs représentant 5 à 10 % du marché.

 L’organisation des relations commerciales

Comme dans le cas des livres papier, où il n’existe pas de système de prix fixe, les prix de vente des livres numériques aux consommateurs finaux étaient jusqu’au début de 2010 librement fixés par les détaillants.

L’inquiétude face à la position dominante d’Amazon et à sa politique de prix bradés a conduit les principaux groupes d’édition américains à chercher dans un premier temps à imposer une sorte de chronologie des médias, puis à négocier avec Apple un autre type de relations contractuelles, « l’agency model », sorte de contrat de mandat leur permettant de garder un contrôle relatif dans la fixation du prix de revente des livres numériques.

En février 2010, un bras de fer a opposé l’éditeur Macmillan à Amazon, lorsqu’il lui a signifié que leurs relations seraient désormais régies selon les termes du contrat négocié avec Apple : Amazon a répliqué en déréférençant pendant quelques jours les titres de l’éditeur, avant de céder et d’accepter le nouveau type de contrat. À l’exception de Random House, propriété de Bertelsmann, les autres grands groupes, dont Hachette, ont également imposé à leurs clients détaillants le passage à ce type de contrat.

2. En Allemagne (4)

En l’absence d’évaluation précise, le livre numérique est estimé à moins de 1 % du marché de l’édition allemand. Selon GfK Panel Services Deutschland, le nombre de livres numériques vendus au cours du premier semestre 2009 aurait été de 65 000 exemplaires.

 Les principaux acteurs

Au printemps 2010, onze sociétés se partageaient le marché allemand du livre numérique :

– quatre « pure players » (Ciando, Beam, Projekt Gutenberg et Textune) ;

– deux filiales de grands groupes d’édition (Springer et Bücher) ;

– trois chaînes de librairies (Hugendubel, Buch.de et Thalia) et un grossiste (Libri) ;

– Libreka !, une construction collective originale née d’une initiative du syndicat des éditeurs et des libraires allemand, Börsenvereins des Deutschen Buchhandels.

Bien que devenu numéro un de la distribution du livre papier en Allemagne, Amazon n’est pas un acteur majeur du livre numérique allemand : comme la grande majorité de ses sites non américains, le site allemand d’Amazon (amazon.de) renvoie vers le site américain et son offre majoritairement en langue anglaise pour la vente d’e-books.

Un peu plus de 100 000 livres numériques étaient disponibles à la vente en Allemagne, dont 35 000 chez l’éditeur scientifique Springer et 12 000 chez Libreka !

 L’organisation des relations commerciales

Les éditeurs et libraires allemands ont considéré que la loi sur le prix fixe qui régit le livre papier s’appliquait également, dans la pratique, au livre numérique.

3. Au Royaume-Uni

La Publishers Association estime que la valeur totale des téléchargements d’e-books sur le marché britannique s’élevait en 2009 à 150 millions de livres, soit 4,7 % du marché total, ce qui constitue une hausse de 76 % par rapport à 2008.

L’écrasante majorité des ventes concerne les publications scientifiques et professionnelles (87 %), les 13 % restant se répartissant entre les ouvrages de référence (5 %), les méthodes de langue (5 %) et les ouvrages grand public (3 %).

Le cabinet Enders citait début 2010 le chiffre de 25 000 titres disponibles et de 50 000 unités vendues par l’un des gros opérateurs  (5).

 Les principaux acteurs

Sur le marché des ménages, la distribution du livre numérique au Royaume-Uni est très largement dominée par Amazon, qui avait annoncé à l’été 2010 qu’il allait lancer un Kindle store spécifique pour le marché britannique. Sont également présents les chaînes de librairies Waterstones et Foyles, des éditeurs pratiquant la vente directe (Random House notamment) et des opérateurs téléphoniques (Vodafone, Nokia).

 L’organisation des relations commerciales

Il n’existe plus de prix fixe pour le livre papier au Royaume-Uni depuis 1995. Dans ce contexte, sous l’impulsion d’Amazon.co.uk puis des chaînes de supermarchés comme Tesco ou Asda, le marché britannique a connu une escalade des rabais, concentrés sur les bestsellers, allant jusqu’à plus de 70 %.

Sur le marché numérique, jusqu’au 20 septembre dernier, les prix étaient librement fixés par les détaillants. À cette date, le groupe Hachette, numéro un du marché, a imposé à ses clients l’adoption de l’agency model, comme aux États-Unis.

4. En France

Depuis 2008, l’enquête annuelle du Syndicat national de l’édition (SNE) s’efforce de fournir une mesure du chiffre d’affaires des éditeurs réalisé dans la vente de contenus éditoriaux sous forme numérique.

La première enquête concerne l’année 2007, où seulement 33 éditeurs, sur 295 répondants à l’enquête de branche, avaient déclaré un chiffre d’affaires de 37 millions d’euros pour la vente de livres numériques, soit 1,3 % du chiffre d’affaires réalisé en vente de livres papier.

Les données les plus récentes, publiées en juin 2010, portent sur l’année 2009. 50 éditeurs, sur 299, ont déclaré des revenus totaux de 68 millions d’euros (soit 2,4 % du chiffre d’affaires réalisé en vente de livres papier), dont une partie importante concerne des CD-ROM ou DVD culturels et, probablement, des livres audio.

En 2009, ce chiffre d’affaires numérique était donc encore constitué à 53 % de ventes sur support physique, à 28 % de ventes de diffusion numérique (essentiellement abonnements à des services en ligne) et à 19 % seulement de ventes d’ouvrages en téléchargement (livres audio ou e-books).

Ces 68 millions d’euros correspondraient à 25 millions d’exemplaires, soit un peu plus de 5 % du nombre d’exemplaires vendus au format papier (1,7 % si l’on ne considère que les ouvrages vendus par téléchargement) – chiffres élevés qui mériteraient d’être confirmés par d’autres sources.

 

Chiffre d’affaires net HT (en M€)

Nombre d’exemplaires
(en millions)

TOTAL Édition numérique

49,0

24,8

numérique physique

35,9

17,0

ouvrages sur CD/DVD

23,2

16,4

ouvrages sur support Flash (USB)

12,8

0,6

ouvrages sur cartouche video

0,0

0,0

numérique en ligne

13,1

7,8

ouvrages en téléchargement

12,8

7,8

extraits, chapitres d’ouvrages en téléchargement

0,2

0,0

ouvrages en flux (streaming, podcast)

0,2

0,0

extraits, chapitres d’ouvrages en flux

0,0

0,0

TOTAL Diffusion numérique

19,4

0,2

applications lecture d’ouvrages pour Apple Store

0,1

0,0

abonnements à des services en ligne

15,6

0,1

licences d’utilisation (bouquets, portails)

1,4

0,1

autres revenus (publicité, affiliation)

2,3

0,0

TOTAL Édition + Diffusion numériques

68,4

25,0

Source : SNE, repères statistiques 2009-2010 (50 répondants)

De fait, selon M. Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livre, le marché du livre numérique, qui représente 0,2 à 0,3 % du total, « n’existe pas en France ».

B. DE NOMBREUX RAPPORTS PLAIDANT TOUS POUR LA RÉGULATION

La réflexion sur une régulation du prix du livre numérique a été initiée au ministère de la culture et de la communication dans le cadre de la commission constituée sous la présidence de Bruno Patino au premier semestre 2008. Les rapports publiés à sa suite depuis trois ans plaident très nettement pour une mesure normative permettant aux ayants droits de conserver la maîtrise du prix du livre dans l’univers numérique.

Ces rapports estiment par ailleurs que, dans l’attente d’une régulation normative, un mode de fixation du prix par les titulaires de droits peut être mis en place par la voie contractuelle, à titre transitoire, grâce aux contrats de mandat ou d’agence. Le rapporteur estime que cette solution présente néanmoins des inconvénients sérieux notamment du fait que l’activité du libraire est remise en cause puisque celui-ci perd la maîtrise de son assortiment.

En effet, par un contrat de cette nature, l’éditeur (le mandant) confie au libraire (le mandataire) le soin de commercialiser des livres numériques de son catalogue tout en fixant lui-même le prix, de façon dérogatoire aux règles ordinaires de la concurrence. Or, afin que cette situation ne puisse être requalifiée en entente illicite, le mandataire doit abandonner toute latitude commerciale sur le choix et la présentation des produits. Le fondement même de l’activité du libraire est ainsi remis en cause puisqu’il perd la maîtrise de son assortiment.

Par ailleurs, les petits éditeurs ne disposent pas des mêmes armes que les plus gros pour négocier avec les distributeurs du secteur du commerce électronique.

Dans son avis du 18 décembre 2009, rendu après saisine par le ministère de la culture, l’Autorité de la concurrence confirme assez largement le caractère insatisfaisant dudit contrat de mandat.

1. Le rapport Patino de juin 2008

Le rapport de M. Bruno Patino, remis le 30 juin 2008, est le premier à poser la nécessité d’une régulation du marché en reprenant l’esprit du prix unique appliqué depuis 1981 au livre imprimé.

Le raisonnement soutenant cette préconisation est fondé sur une comparaison avec le secteur de la musique dans lequel le marché a été très rapidement contrôlé par des opérateurs extérieurs à l’économie de la création et dont l’objectif était la commercialisation d’autres produits ou services (matériel, bande passante, publicité...), les œuvres culturelles étant reléguées au rang de produit d’appel à travers un processus de captation de la chaîne de valeur.

Cette « captation » est rendue possible par le fait que l’opérateur en position dominante prend le contrôle effectif à la fois du prix de vente des œuvres et de la marge commerciale qu’il prélève sur ce prix. Ce phénomène se traduit très rapidement par un appauvrissement de la rémunération des créateurs et donc de la création elle-même.

2. Le rapport Gaymard de mars 2009

Le bilan d’application de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre remis en mars 2009 par le rapporteur à la ministre de la culture a conclu que cette loi, qui vise à garantir une égalité d’accès de tous les citoyens au livre, à encourager le dynamisme de la création par le développement d’une offre éditoriale abondante et diversifiée, à permettre la coexistence d’une pluralité d’acteurs dans le secteur de l’édition et à maintenir un réseau de diffusion et de distribution des livres dense sur l’ensemble du territoire, a pleinement rempli ses objectifs et reste tout à fait pertinente, y compris à l’heure du développement de l’édition numérique et de la vente en ligne. Il plaide pour une loi similaire pour le livre numérique : « le prix de vente devrait en tout état de cause être unique pour un même titre, si on souhaite éviter de retrouver sur internet ce que la loi de 1981 a permis d’éviter pour le livre papier, à savoir une guerre des prix entraînant une forte concentration de la diffusion et à terme un appauvrissement de l’offre ».

3. L’avis du Conseil de la concurrence en décembre 2009

Par un avis du 18 décembre 2009, rendu après saisine par le ministère de la culture, l’Autorité de la concurrence prend également position sur le champ de la régulation qu’elle souhaite voir mise en œuvre. Sur l’opportunité d’intervenir par la loi, l’avis estime qu’un délai d’un ou de deux ans devait permettre aux contours de ce nouveau marché de se dessiner plus précisément. Sur la méthode, l’Autorité propose un cadre assez précis dans lequel, à ses yeux, l’intervention doit pouvoir s’exercer. La proposition consiste à restreindre l’application d’un texte sur le prix unique au seul « livre numérisé, assorti le cas échéant de fonctionnalités supplémentaires permises par le support numérique ». Cette restriction a le triple avantage :

– d’avoir un objet clairement défini ;

– de limiter les risques de « cannibalisation » du livre papier par le livre numérique ;

– et d’avoir l’accord de « certains acteurs » défavorables à un dispositif global de régulation des prix du livre numérique.

À court terme, un tel choix comporte en outre l’avantage de couvrir l’essentiel de l’offre actuelle, le contenu des livres numériques se limitant le plus souvent au livre papier numérisé.

4. Le rapport « Création et internet » de janvier 2010

Le sujet a ensuite été instruit de manière beaucoup plus détaillée dans le cadre de la mission « Création et internet » conduite par MM. Zelnik, Toubon et Cerruti, dont le rapport de janvier 2010 estime nécessaire l’instauration rapide d’une régulation du prix du livre numérique. Une telle mesure « permet également de préserver la diversité de l’offre des libraires spécialisés en les protégeant d’une concurrence par les prix, garantissant ainsi les revenus des maisons d’édition et des auteurs ».

La diversité des libraires est ainsi reconnue, même dans l’univers numérique, comme un garant de la diversité éditoriale et donc de la rémunération de la création. Selon les rapporteurs, une concentration parmi les acteurs de la vente au détail aurait des effets désastreux sur la variété des œuvres mises en avant et se traduirait par une « best-sellerisation » du marché, que les effets de « longue traîne » ne sauraient en aucun cas contrebalancer : la « longue traîne » assure une rémunération dérisoire à un nombre extrêmement important d’œuvres et ne rémunère de façon satisfaisante que l’opérateur commercial qui met à disposition l’exhaustivité de l’offre, tandis qu’un modèle fondé sur la plus grande diversité possible des détaillants assure que le plus grand nombre d’œuvres possible trouveront une viabilité commerciale effective.

Le rapport « Création et internet » préconise cependant de restreindre, dans un premier temps, le champ d’application de la loi au livre numérique « homothétique », défini comme « un livre reproduisant pour l’essentiel la même information que celle contenue dans le livre imprimé, sans pour autant se limiter au texte (cas des bandes dessinées, des livres d’art, de photographie…) et tout en admettant certains enrichissements (comme un moteur de recherche interne) ».

5. Le rapport Albanel d’avril 2010

Le rapport « pour un livre numérique créateur de valeurs » remis par Christine Albanel au ministre de la culture le 15 avril 2010 réitère deux des propositions formulées par le rapport « Création et internet », l’une concernant la nécessité d’adopter une loi instaurant un prix unique pour le livre numérique, le rapport n’écartant pas pour autant la possibilité du contrat de mandat pour les livres non homothétiques, l’autre concernant la nécessaire harmonisation des taux de TVA applicables en matière de vente de livres, imprimés et numériques.

En janvier 2010, compte tenu de ces expertises concordantes, le Président de la République s’est prononcé en faveur d’une loi de régulation du prix du livre « homothétique » lors de ses vœux au monde de la culture. Cette proposition a été favorablement accueillie et les professionnels de la filière du livre y ont largement adhéré.

II.- LE RÔLE « PROACTIF » DU PARLEMENT

La proposition de loi a été déposée dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale et au Sénat, à l’issue d’un long travail de concertation entre les parlementaires, le ministère et les professionnels concernés. Ce texte vient après deux précédentes initiatives législatives en faveur du secteur : la loi n° 2010-97 du 27 janvier 2010 relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre et le vote en projet de loi de finances pour 2011 d’une disposition en faveur de la TVA à 5,5 % pour le livre numérique, disposition qui sera applicable à compter du 1er janvier 2012.

A. UNE INITIATIVE PARLEMENTAIRE ISSUE D’UN LONG TRAVAIL DE RÉFLEXION DES COMMISSIONS COMPÉTENTES

Comme le Sénat, l’Assemblée nationale, et plus particulièrement la nouvelle commission des affaires culturelles créée le 1er juillet 2009, attache une grande importance à ce secteur si particulier du livre, à sa bonne santé économique et à son avenir. Pour ne prendre que quelques exemples, le 25 novembre 2009, la Commission a tenu à organiser sa première table ronde sur le sujet de la numérisation des œuvres de notre patrimoine écrit. Puis en décembre 2009, l’Assemblée nationale a adopté dans une belle unanimité une proposition de loi sur les délais de paiement dans le secteur du livre, rédigée et rapportée par le rapporteur de la présente proposition de loi. Les auditions se sont succédées sur ce sujet également en 2010 : le 3 février, la Commission auditionnait MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerruti sur leur rapport au ministre de la culture et de la communication « Création et internet » puis le 2 juin, elle recevait Mme Christine Albanel, ancien ministre, sur son rapport au Premier ministre « Pour un livre numérique créateur de valeurs ».

Le 26 janvier dernier a eu lieu une table ronde commune avec la commission des affaires européennes, au cours de laquelle chacun à réaffirmer la spécificité des équilibres du marché du livre, qui ne doivent pas être bouleversés par l’arrivée du livre numérique (6). En particulier, M. Jacques Toubon, chargée d’une mission européenne sur la TVA des biens culturels, a indiqué que « nous évoluons dans un système dans lequel le lecteur, c’est-à-dire le consommateur, fait que l’activité existe et est valorisée. Sommes-nous capables, au travers de la régulation du marché, de mettre en place et de susciter rapidement une économie équilibrée de la diffusion en ligne du livre ? Il s’agit là d’une question pour demain et non d’une question nécrologique. Les débats permanents en France entre l’exception et la règle ou encore la culture et le marché sont dépassés. Ou nous mettons en place une offre légale, économique et viable, ou tout le reste ne sera d’aucune importance ».

Lors de chacune de ces rencontres, les députés, et notamment le rapporteur, ont donc souligné l’importance d’une initiative législative afin :

– d’accompagner une mutation technologique qui ouvre de nouvelles opportunités aux professionnels – et aux lecteurs – et permet la mise à la disposition de tous un maximum d’œuvres grâce à une offre légale abondante de livres numériques ;

– et de l’encadrer afin qu’elle se déroule dans le respect de notre patrimoine et du droit d’auteur, et avec le souci d’une préservation de la diversité de la création littéraire et de l’aménagement culturel de nos territoires, au travers des librairies.

B. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS

L’article 1er précise le périmètre de la loi. Cette dernière a vocation à s’appliquer :

– d’une part, aux livres publiés sous format numérique présentant un contenu intellectuel et répondant à un principe de réversibilité (c’est-à-dire également imprimés ou imprimables sans perte significative d’information). Dans la mesure où les évolutions technologiques sont de plus en plus rapides, le soin de préciser la définition des livres numériques concernés est renvoyé au pouvoir réglementaire ;

– d’autre part, à l’ensemble des livres numériques qui répondront à cette définition, y compris à ceux qui auront été publiés antérieurement à la date d’entrée en vigueur des dispositions législatives.

L’article 2 pose l’obligation pour l’éditeur de fixer un prix de vente pour toute offre commerciale se rapportant à un livre numérique, qu’elle soit à l’unité ou groupée, ainsi qu’une obligation de publicité de ce prix.

L’offre de vente se rapportant à un livre numérique présente un caractère hybride dans la mesure où elle inclut à la fois du contenu et des services associés à ce contenu qui viennent en préciser l’accès et l’usage (logiciel de lecture, mesures techniques de protection, possibilité de copie, etc.). C’est pourquoi le deuxième alinéa prévoit que le prix d’une œuvre donnée peut varier en fonction de l’un de ces paramètres, le couple contenus/services définissant une offre.

L’article 3 pose l’obligation pour toutes les personnes exerçant une activité de vente de livres numériques de respecter le prix fixé par l’éditeur. Une même offre sera donc vendue au même prix quel que soit le canal de vente utilisé.

L’article 4 réserve à l’éditeur la possibilité d’initier une vente à primes de livres numériques et il pose l’interdiction pour un tel éditeur de la réserver en exclusivité à un canal de commercialisation.

L’article 5 vise les relations commerciales entre éditeurs et détaillants. Il est le corollaire naturel de la restriction de la liberté commerciale des détaillants. Si l’éditeur fixe le prix, les détaillants perdent la maîtrise de leur marge commerciale et donc de leur rémunération. Il convient donc de contraindre l’éditeur à rémunérer la qualité de leurs services.

L’article 6 prévoit des sanctions pénales en cas de non respect des dispositions du texte et renvoie à un décret la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables.

L’article 7 instaure une obligation de remise annuelle d’un rapport du Gouvernement, comportant une étude d’impact économique sur l’ensemble de la filière du livre.

C. LES PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES AU TEXTE PAR LE SÉNAT

À l’article 1er, le Gouvernement a fait adopter un amendement proposant une nouvelle rédaction de la définition du livre numérique, estimant qu’il convenait de préciser plus clairement que la proposition de loi « ne s’applique au livre numérique que dans le cas où celui-ci est homothétique ».

Aux articles 2 et 3, à l’initiative de M. Jean-Pierre Leleux, les sénateurs ont apporté une modification très importante au texte concernant son application extraterritoriale (Cf. infra : III).

Par ailleurs, toujours à l’article 2, la rédaction initiale de la proposition de loi excluait explicitement du dispositif de régulation certains types d’offres proposées par des éditeurs scientifiques et techniques « hybrides » – livres numériques mais aussi base de données – très spécifiques, destinés à un public professionnel, notamment à des bibliothèques universitaires ou à des organismes de recherche. En séance publique, le Gouvernement a fait adopter un amendement supprimant cette disposition, au motif que la proposition de loi telle que rédigée permet déjà d’exclure ce type de produit du dispositif, et estimant la rédaction beaucoup trop large de l’alinéa pourrait s’appliquer à de nombreux autres produits.

À l’article 3, la Commission de la culture du Sénat a supprimé une disposition qui encadrait la pratique des offres groupées de livres numériques, de type location ou abonnement, en prévoyant qu’elles ne pouvaient porter que sur des livres numériques commercialisés depuis un certain délai. Elle a parallèlement élargi l’application de l’article 2 à ce type d’offres groupées afin qu’elles entrent bien dans le champ d’application de la loi et se voient donc attribuer un prix de vente par l’éditeur, tout en supprimant toute notion de chronologie de vente.

À l’article 5, la Commission du Sénat a adopté un amendement tendant à mieux qualifier la nature des services que l’éditeur est tenu de prendre en compte pour définir la remise commerciale sur les prix publics qu’il accorde aux détaillants.

Enfin, le Sénat a ajouté un article 5 bis qui pose le principe selon lequel, lorsqu’une œuvre publiée sous forme imprimée est commercialisée sous forme numérique, la rémunération de l’auteur au titre de l’exploitation numérique est fixée en tenant compte de l’économie générée, pour l’éditeur, par le recours à l’édition numérique.

III.- LA QUESTION EUROPÉENNE

La vente de livres numériques sur internet relève de la prestation de services effectuée par la voie électronique et non de la vente d’une marchandise en tant que telle, contrairement à la vente de livres papier. La proposition de loi visant à établir une régulation de cette activité, il était donc nécessaire de s’assurer de la compatibilité d’un tel système avec le droit communautaire et plus particulièrement avec deux directives relatives à certaines règles pour le fonctionnement du marché intérieur :

– la directive n° 2006/123/CE sur les services dans le marché intérieur (dite « directive services ») : son objectif est d’établir un cadre juridique qui supprime les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services entre les États membres. Les régimes d’autorisation ou les exigences particulières imposées dans un État membre pour accéder ou exercer certaines activités doivent donc être justifiés et doivent répondre de façon proportionnée et non discriminatoire aux objectifs de la directive ;

– la directive n° 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique ») : cette directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de l’information entre les États membres. Cette directive a été transposée en droit national par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Le principe retenu est celui du libre exercice de l’activité de commerce électronique sur le territoire national. L’article 17 de la loi dispose que l’activité est soumise à la loi de l’État membre sur le territoire duquel la personne qui l’exerce est établie.

Conformément à la procédure de notification régie par la directive 98/34/CE, les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne le 13 septembre 2010, la proposition de loi relative au prix du livre numérique, dans sa rédaction initiale. La Commission a rendu son avis le 13 décembre 2010.

À la suite de modifications substantielles apportées à la proposition de loi lors des débats parlementaires au Sénat, et notamment de l’introduction d’une clause d’extraterritorialité aux articles 2, 3 et 5, les autorités françaises ont de nouveau notifié à la Commission européenne la proposition de loi dans sa rédaction issue du Sénat le 4 novembre 2010. Un nouvel avis circonstancié a été émis le 31 janvier dernier.

A. LA POSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LA PROPOSITION DE LOI INITIALE

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), anciennement Cour de justice des communautés européennes (CJCE), toutes les mesures « qui interdisent, entravent ou rendent moins attrayant » l’exercice de la liberté d’établissement et de la liberté de prestation de services doivent être considérées comme constituant des restrictions aux articles 49 et 56 du Traité régissant le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), même si elles sont applicables sans discrimination fondée sur la nationalité (7).

Des restrictions peuvent malgré tout être justifiées dès lors qu’elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles sont propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (8). Les raisons invoquées par un État membre visant à justifier une dérogation au principe de la liberté d’établissement ou à la libre prestation de services doivent être accompagnées d’une analyse de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par ledit État membre, et par des éléments précis permettant de corroborer les arguments avancés.

Les objectifs poursuivis par la législation française ont donc été analysés par la Commission européenne. Il en ressort selon elle que la proposition de loi vise bien « la réalisation d’objectifs d’intérêt culturel, prévus par le Traité dans son article 167 et dans la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles ». Pour autant, elle estime que les dispositions du Traité « permettant aux États membres de déroger par le biais de mesures discriminatoires à la libre circulation des services et à la liberté d’établissement ne couvrent pas les intérêts de la diversité culturelle. (…) Celles-ci se rapportent uniquement à l’ordre public, à la sécurité publique ou à la santé publique. Ces dérogations doivent être interprétées de manière stricte et ne peuvent pas couvrir les autres exigences d’intérêt général ».

Dans l’arrêt Leclerc qui concernait la loi sur le prix du livre de 1981, la CJCE soulignait d’ailleurs qu’ « en tant que dérogation à une règle fondamentale du traité, [l’article 36 du TFUE] est d’interprétation stricte et ne peut être étendu à des objectifs qui n’y sont pas expressément énumérés. Ni la défense des intérêts des consommateurs, ni la protection de la création et de la diversité culturelle dans le domaine du livre ne figurent parmi les raisons citées à [l’article 36 du TFUE » (9).

Pour autant, des exigences de diversité culturelle peuvent être justifiées conformément aux « exigences impératives » de la jurisprudence de la Cour. Selon cette jurisprudence, les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité doivent remplir quatre conditions : elles doivent s’appliquer de manière non discriminatoire, se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Par ailleurs, la CJCE a déjà reconnu la protection du pluralisme dans le secteur audiovisuel (10), la protection d’une langue (11) et le maintien de la diversité de la presse (12) en tant que raisons impérieuses d’intérêt général. De même, dans un arrêt du 30 avril 2009 (13), la Cour a estimé que « la protection des livres en tant qu’objets culturels » constitue une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier des mesures restreignant la libre circulation des biens.

Les objectifs de la proposition de loi entrent bien dans ce cadre puisqu’il s’agit :

– de permettre aux détenteurs de droits d’auteur de conserver le contrôle du prix des livres dans le monde numérique, notamment par rapport aux opérateurs en dehors de l’économie de la création, afin que l’on aboutisse pas à un appauvrissement de la chaîne de la création, comme c’est le cas dans l’industrie de la musique ;

– de garantir la diversité des circuits de vente et des libraires et de préserver un réseau de vente au détail français, très décentralisé et dense, qui participe indéniablement à l’aménagement culturel de notre territoriale et à la diversité éditoriale ;

– d’éviter une concentration excessive des détaillants qui aurait des conséquences fâcheuses sur la variété des œuvres sur le marché ;

– de soutenir le pluralisme de la création, concernant notamment les œuvres dites « difficiles» ;

– de développer une offre légale et attrayante pour limiter le piratage.

Dans son avis, la Commission européenne conclut qu’elle « peut donc envisager la possibilité, sous certaines conditions, de considérer la protection de la créativité et de la diversité culturelle comme un impératif d’intérêt général ». Mais elle émet quelques réserves quant à l’adéquation et la proportionnalité des mesures visant à atteindre ledit objectif, estimant que les restrictions imposées ne semblent « ni adéquates par rapport à l’objectif de diversité culturelle visé, ni proportionnelles à la réalisation de cet objectif ». Elle demande en conséquence des précisions à la France sur le dispositif envisagé et une prise en considération de ses remarques, avant de pouvoir émettre un avis définitif.

B. L’INCERTITUDE LIÉE À LA CLAUSE D’EXTRATERRITORIALITÉ INTRODUITE AU SÉNAT

Dans sa rédaction initiale, l’article 3 de la proposition de loi prévoyait que le prix fixé par l’éditeur s’imposait aux vendeurs de livres numériques installés sur le territoire français. À l’initiative de M. Jean-Pierre Leleux, les sénateurs ont modifié le dispositif en prévoyant que le prix de vente fixé par l’éditeur s’impose à tous les vendeurs (qu’ils soient installés sur le territoire français ou à l’étranger – même hors Union européenne) à partir du moment où l’acheteur se situe sur le territoire français.

Par ailleurs, l’article 2 disposait initialement que seuls les éditeurs établis en France étaient assujettis à cette obligation de fixer un prix de vente. Mais, à l’inverse, dans la rédaction initiale de la proposition de loi, était visé l’ensemble de la diffusion commerciale de l’éditeur, et non pas uniquement les livres numériques diffusés en France. Dans la rédaction telle qu’adoptée par les sénateurs, seuls les livres numériques diffusés en France sont assujettis à l’obligation, mais tous les éditeurs, même étrangers, sont visés.

Ces modifications ont été adoptée à l’unanimité au Sénat, le Gouvernement s’en remettant à la sagesse des sénateurs. L’objectif principal et déclaré était de vérifier l’interprétation faite par la Commission européenne du concept de diversité culturelle inscrit dans le TFUE.

En séance, le président de la Commission de la culture, M. Jacques Legendre, indiquait ainsi : « il est vrai que, dans un premier mouvement, nous avons opté pour une rédaction prudente. Mais il est bon, de temps à autre, de faire préciser par la Commission européenne son interprétation de la clause de la diversité culturelle. Comme l’a rappelé M. Leleux, je me suis battu, avec l’Assemblée parlementaire de la francophonie, pour soutenir, devant l’Assemblée générale de l’UNESCO, l’adoption de la convention sur la diversité culturelle. Il m’importe désormais que cette convention, adoptée à la quasi-unanimité, trouve sa traduction dans notre législation nationale et dans la législation européenne. Je souhaite donc que nous adoptions cet amendement et que nous puissions vérifier, sur ce point, que la Commission européenne fait bien de cette clause de la diversité culturelle l’interprétation positive que la totalité des États, ou presque, ont souhaitée ».

Ces dispositions ont été notifiées à la Commission européenne. L’avis rendu le 31 janvier dernier émet des réserves sur ces dispositions.

La compatibilité du dispositif adopté par le Sénat avec le droit communautaire est donc plus qu’incertaine au regard notamment de deux directives précitées régissant le fonctionnement du marché intérieur : la directive services et la directive sur le commerce électronique.

Le seul fondement qui puisse justifier une restriction à la libre prestation de services est celui de l’article 167 du Traité qui dispose que « L’Union contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun. (…) L’Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures ».

De même, les deux directives précitées prévoient que leurs dispositions ne portent pas atteinte « aux mesures prises au niveau communautaire ou au niveau national, dans le respect du droit communautaire, pour promouvoir la diversité culturelle et linguistique et assurer la défense du pluralisme ».

Ces dispositions n’avaient encore jamais été évoquées jusqu’ici. Mais dans sa réponse à la première notification envoyée par le Gouvernement français (14), la Commission estime déjà que l’application des dispositions initiales de la proposition de loi aux entreprises établies en France pourrait restreindre la liberté d’établissement (article 49 du Traité) et la libre prestation de services (article 56 du Traité) et également être incompatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur le commerce électronique. Elle estime que, « dans la mesure où un objectif de diversité culturelle pourrait justifier une quelconque restriction pouvant être imposée par la proposition de loi à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, (…) ces restrictions ne semblent ni adéquates par rapport à l’objectif de diversité culturelle visé, ni proportionnelles à la réalisation de cet objectif ».

Il semble donc d’autant plus difficile de pouvoir justifier des dispositions imposant à une entreprise établie dans un autre État membre le respect du prix fixé par l’éditeur uniquement pour les commandes en provenance de la France.

Le ministère indique qu’une réunion aura lieu à la Commission européenne avec les ministères de la culture des 27 États-membres le 24 février prochain, dans le cadre des discussions sur la révision de la directive relative au commerce électronique. Les dispositions de la présente proposition de loi seront abordées. Le ministère de la culture français veut proposer à ses homologues étrangers de travailler sur une modification de la directive qui permettrait que s’applique aux activités de commerce électronique la législation de l’État de l’acheteur, et non celle du vendeur comme actuellement, sur le modèle des dispositions prévues en matière de TVA à partir de 2015.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- TABLE RONDE SUR LA NUMÉRISATION DE L’ÉCRIT

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend, au cours de sa séance du 26 janvier 2011, dans le cadre d’une table ronde ouverte à la presse, commune avec la Commission des affaires européennes, sur la numérisation de l’écrit, M. Jean-Claude Bologne, président de la Société des gens de lettres, M. Emmanuel de Rengervé, délégué général du Syndicat national des auteurs et compositeurs, M. Dominique Lahary, vice-président de l’Association des bibliothécaires de France, président de l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD), Mme Christiane de Mazières, déléguée générale du Syndicat national de l’édition, M. François Gèze, président-directeur général des éditions La Découverte, M. Alain Kouck, président-directeur général d’Editis, M. Xavier Pryen, membre de la direction des éditions L’Harmattan, M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française, accompagné de M. Guillaume Husson, délégué général, Mme Marie-Pierre Sangouard, directrice du livre de la FNAC, M. Nicolas Georges, directeur chargé du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication, M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre, M. Philippe Colombet, directeur de Googles Livres France, M. Pierre Coursières, représentant le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels, et M. Jacques Toubon, chargé d’une mission européenne sur la TVA des biens culturels.

M. Pierre Lequiller, président de la Commission des affaires européennes. La table ronde organisée par les deux rapporteurs de notre Commission des affaires européennes, MM. Hervé Gaymard et Michel Lefait, réunit des représentants des auteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires et des autorités publiques, le ministère de la culture et le Centre national du livre. Je me réjouis que les Commissions des affaires culturelles et des affaires européennes se retrouvent sur ce sujet important, culturellement et économiquement, qui engage à la fois des problématiques nationales et européennes.

La France a entrepris dès 1997 une action de numérisation du patrimoine écrit. L’Union européenne a relayé son effort dès 2005, avec la création d’Europeana. Le livre numérique est au centre de nos préoccupations, puisque le Sénat vient d’adopter une proposition de loi sur le prix du livre numérique, et que la France propose à l’Union de fixer pour celui-ci un taux de TVA de 5,5 %.

Trois thèmes principaux seront abordés : le livre électronique : évolution ou révolution ? livre électronique et droit d’auteur ; la politique de numérisation française et européenne.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur de la Commission des affaires européennes. La numérisation de l’écrit soulève des enjeux nationaux, européens et internationaux. Dans une semaine, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation examinera la proposition de loi sur le prix du livre numérique qui sera débattue en séance publique les 15 et 16 février. Sur ce sujet mouvant, à fort potentiel d’innovation, le législateur doit se demander s’il faut intervenir au niveau national et, le cas échéant, sur quels aspects. Il semble important de le faire – en tremblant – sur le taux de TVA applicable au livre numérique et sur la fixation du prix du fichier numérique par l’éditeur.

Nous devons également réfléchir à la protection du droit d’auteur. Celle-ci pose un problème national, européen et international, depuis qu’une politique de numérisation massive a été entreprise sans demande d’autorisation préalable auprès des auteurs ou des ayants droit.

Un troisième sujet, d’ordre patrimonial, concerne la politique ambitieuse de numérisation menée par le ministère de la culture grâce au Fonds stratégique d’investissement. L’écrit numérisé, à la suite d’initiatives publiques et privées, pose le problème de la liberté d’accès aux données et celui, plus technique, de la sécurisation et de la conservation des données numérisées. Parce que nous entrons dans un nouveau monde qui promet d’être évolutif, la proposition de loi prévoit une clause de rencontre périodique, afin que le Parlement et les acteurs de l’édition se retrouvent régulièrement pour faire le point.

M. Michel Lefait, co-rapporteur de la Commission des affaires européennes. La numérisation de l’écrit a débuté en 1971 avec le projet Gutenberg, mais n’a réellement pris son essor qu’à partir de 1993 avec le développement d’Internet. Les progrès ont été rapides. Alors que 4 300 ans se sont écoulés entre l’invention de l’écriture et celle du codex remplaçant les rouleaux de texte par des pages reliées, que 1 150 ans séparent le codex et l’imprimerie et que 540 ans s’étendent entre l’imprimerie et l’apparition d’Internet, celle-ci ne précède que de dix ans la naissance du livre électronique.

Grâce à la numérisation, le lecteur disposera de nombreuses œuvres sans l’encombrement inhérent aux volumes imprimés, ce qui explique le succès des liseuses comme le Kindle d’Amazon. Par ailleurs, à partir d’un ordinateur, voire d’un téléphone portable, il pourra accéder partout et à tout moment à des bases électroniques.

Pour l’heure, on assiste au développement du livre numérisé, simple version numérique du livre imprimé. Une étape ultérieure verra celui du livre numérique incorporant vidéos et liens hypertextes. Mais, qu’il soit imprimé ou électronique, le livre reste une œuvre de l’esprit qui permet d’accéder à la pensée, à l’art, à la connaissance, au spirituel. Il résulte du travail d’un individu qui le fait partager aux autres par l’intermédiaire de la publication.

À ce titre, on peut s’inquiéter de l’initiative de Google, qui a, du moins, eu le mérite d’attirer l’attention des politiques sur les problèmes posés par la constitution d’une bibliothèque numérique. Loin de moi l’idée de diaboliser cette société, mais la numérisation d’un grand nombre d’ouvrages soumis aux droits d’auteur suscite quelques doutes sur ses buts. Des procès lui ont été intentés aux États-Unis comme en France. En outre, les accords qu’elle a conclus dans le monde entier, notamment en Europe, avec plusieurs bibliothèques – par exemple avec la bibliothèque municipale de Lyon – semblent peu favorables à celles-ci. Son initiative nous alerte également sur le statut des œuvres orphelines, qui ne sont pas libres de droits, mais dont les auteurs ou les ayants droit sont introuvables. Si la numérisation peut offrir une nouvelle vie à des œuvres épuisées, il faut trouver une solution au niveau mondial pour éviter qu’une publication interdite dans certains pays ne soit autorisée ailleurs. Non seulement Internet se joue des frontières, mais la période de protection des œuvres n’est pas la même en Europe et en Amérique du Nord. Il faudra mener sur ce point des négociations qui seront sans doute difficiles.

Notre inquiétude s’est encore accrue quand, après avoir lancé la numérisation des livres, leur indexation sur Internet et leur impression à la demande, Google a créé Google Editions. Par ce projet, déjà opérationnel aux États-Unis et qui devrait l’être cette année en Europe, cette société devient un marchand de livres numérisés sur Internet, ce qui dépasse son ambition première, qui était de construire une bibliothèque mondiale digne de celle d’Alexandrie. Google se retrouve sur le même marché qu’Amazon. Entre ces deux mastodontes, quelle place reste-t-il pour d’autres intervenants et d’autres projets de numérisation comme le projet Gutenberg ou le Hathi Trust Digital Library ? On ne saurait reprocher à Google, dont sa puissance fait un acteur incontournable, de poursuivre une logique commerciale, mais celle-ci risque de détourner les lecteurs des ouvrages les moins connus pour les renvoyer systématiquement vers les plus consultés. Or, dans ce domaine, la dimension culturelle doit primer sur la logique commerciale.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous abordons le premier thème : le livre électronique, évolution ou révolution ?

M. Jean-Claude Bologne, président de la Société des gens de lettres. La numérisation de l’écrit est un nouveau monde dont on aperçoit seulement les côtes. La Société des gens de lettres a proposé de classer les œuvres électroniques en trois catégories : les livres numérisés, correspondant à peu près aux livres homothétiques, les livres numériques et les œuvres numériques.

Si le livre numérisé n’est au fond qu’un décalque du livre imprimé, ce changement de support induit du même coup un changement d’économie, puisqu’on passe d’une logique de l’offre à une logique de la demande, qui fait peser de graves dangers sur les droits d’auteur.

Le livre numérique est une terre très peu défrichée. Outre les liens hypertexte et l’ajout de sons et d’images, il permet l’entrée aléatoire au sein d’un ouvrage. Au lieu du parcours allant du premier mot au point final, caractéristique du livre traditionnel, il propose des structures arborescentes et d’autres nouveautés que les auteurs ont hâte d’explorer.

L’œuvre numérisée représente une terra incognita. À la différence du livre, qui constitue une œuvre fermée, due à un ou plusieurs auteurs identifiables d’emblée, c’est une production évolutive et collaborative, dont Wikipedia donne un aperçu. En matière d’encyclopédie, on raisonne désormais en termes d’œuvre ouverte, comme le montre l’exemple de « Larousse.fr ». Dans ce domaine, un droit d’auteur conforme à nos espérances reste à inventer.

D’ores et déjà, le changement de support opéré par le livre homothétique implique un changement de diffusion. Un livre tiré trente ans plus tôt à quelques exemplaires et devenu introuvable ne devrait pas pouvoir être mis en ligne sans autorisation préalable de l’auteur, qui se verrait attribuer une sorte de droit moral. Puisqu’il s’agit non pas d’une simple reproduction, mais d’une représentation, il serait juste que celui qui a jadis confié sa pensée à un support arrêté soit consulté avant qu’on la diffuse au monde entier. Le changement de support suppose donc un droit de divulgation. Autant de domaines dans lesquels le passage au numérique représente non une simple évolution, mais bien une révolution.

M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre. La révolution que vous avez décrite s’articule avec celle, plus vaste, de l’information qui, depuis le passage au numérique et l’apparition d’Internet, se place désormais sous les auspices de la totalité et de l’infini. Nous sommes témoins d’une mutation anthropologique, réalisant une sorte de mythe marqué par la transformation de tout contenu en information, la raréfaction de l’espace et du temps, l’abolition des frontières, l’instauration d’une mégamémoire, la décorporéisation du sujet, l’instantanéité et l’éternisation des données.

Le livre est évidemment affecté par cette révolution globale. Celle-ci met en œuvre une idéologie révolutionnaire de type utopique, qui suppose l’innocence des acteurs, la gratuité des contenus et la naturalisation des actions présentées comme légitimes. Reste qu’il existe un écart symbolique entre la revendication d’une zone de non-droit et le fait que celle-ci constitue une bulle économique extrêmement financiarisée.

Le livre dispose néanmoins de certains atouts pour limiter cette révolution à une évolution. Les changements qui l’ont affecté ont toujours été très lents. Le passage au codex, qui a permis l’édification du sujet critique tel que nous le reconnaissons, a duré plusieurs siècles. L’avènement de la Galaxie Gutenberg, la naissance d’une industrie de masse puis la démocratisation de l’imprimé ont également demandé beaucoup de temps. Par rapport à d’autres industries culturelles, l’écrit offre l’avantage de laisser se superposer des médias très différents. Non maîtrisée, la numérisation de l’écrit menacerait la première industrie culturelle française, mais celle-ci a su mutualiser ses intérêts et entretenir avec les pouvoirs publics une relation exemplaire dont la loi sur le prix unique a été le grand tournant.

Expert en médiologie, Régis Debray a montré qu’un contenu n’existe pas sans support. Dans le cas du livre, il faut aussi considérer ces tuyaux que sont les bibliothèques et les librairies. La diffusion est non seulement une extension mais une condition de la création et elle détermine in fine son statut. Le marché physique du livre, qui implique une structuration du territoire, de la convivialité et de la culture, doit être notre premier souci, puisque l’apparition du livre numérisé aura un impact considérable sur les librairies et les bibliothèques, au risque d’une certaine destruction de valeur.

M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française. Le syndicat que je représente regroupe les entreprises, ou la branche des entreprises, dont l’activité principale est la vente de livres dans des librairies indépendantes ou au sein d’une chaîne. La révolution technologique à laquelle nous assistons dépasse le livre électronique : elle tient à l’apparition d’Internet et à l’informatisation, dans notre société, de nombreuses opérations. Année après année, les évolutions technologiques ont été si nombreuses que l’on peut parler d’une véritable révolution, bien que, dans le même temps, on assiste à une évolution lente et continue des comportements qui conditionne l’accès à d’autres supports culturels. Si celle-ci peut paraître rapide à l’échelle de l’humanité, elle reste cependant progressive, au sens où l’apparition du livre numérique et la libération des contenus ne changent pas de manière immédiate le comportement de chacun.

Le rapport Gaymard reprend l’essentiel des débats qui entourent le livre homothétique et l’économie du livre. Dans la révolution ou l’évolution que nous connaissons, la place des librairies, comme lieux de médiation, doit être préservée. M. Colosimo a souligné le rôle de la diffusion, qui est loin d’être neutre. Qu’elle s’exerce dans un lieu commercial ou une bibliothèque, la médiation culturelle suppose un maillage du territoire, une proximité, une présence et un conseil. Autant de fonctions qu’un écran ne suffit pas à assurer. Le libraire est un passeur de culture, généralement passionné. Il est normal que, dans l’univers numérique, il continue à accomplir son œuvre de présentation. D’ailleurs, de nombreuses librairies possèdent un site Internet vendant des livres numériques. Depuis 2008, je propose moi-même le catalogue Gallimard de livres en ligne. D’autres éditeurs se sont greffés sur ce dispositif, complétant l’offre papier. Ce secteur, encore marginal sur le plan économique, améliore notre image de marque et facilite le travail au quotidien. Cependant, l’évolution technologique est si importante que certaines entreprises présentes sur le terrain ne peuvent pas suivre. Un accompagnement réglementaire paraît donc nécessaire, non pour défendre un secteur d’activité qui serait vieillissant ou obsolète, mais pour garantir une présence sur le territoire ainsi qu’un lien social et culturel.

À cet égard, la position des bibliothèques rejoint la nôtre. Notre métier suppose une présentation et une animation de l’offre, qui doivent être maintenues. Pour promouvoir le livre numérique, trente-cinq librairies en ligne ouvriront dans quelques semaines, grâce au Syndicat des librairies et aux aides de nombreux acteurs interprofessionnels. Le portail « 1001libraires.com » proposera ainsi une offre quasi exhaustive de livres numériques. Notre attitude n’est donc pas défensive, mais proactive. C’est ainsi que nous entendons prouver notre légitimité.

En matière de régulation, notre attente est double.

Il est logique que le livre numérique bénéficie comme le livre papier d’une TVA à taux réduit, puisque, dans les deux cas, le contenu est le même. Une telle mesure permettrait de développer le marché. Reste qu’aux États-Unis, il n’y a pas de TVA, et qu’il sera bientôt facile de se connecter sur un site américain pour y trouver des livres en français.

D’autre part, nous sommes favorables à l’instauration d’un prix unique, dans la logique de la loi s’appliquant au livre papier. Le rapport Gaymard rappelle pourquoi, depuis bientôt trente ans, nous sommes dans un cercle vertueux. La régulation a évité que le livre ne tombe aux mains de quelques acteurs qui auraient fait du discount. Seule une loi assurera la pluralité et le développement du marché. Elle garantira en outre l’amortissement des coûts informatiques et la bonne tenue des prix. L’inflation est quasi nulle pour le livre papier ; on peut espérer qu’il en sera de même pour le livre numérique.

M. Dominique Lahary, vice-président de l’Association des bibliothécaires de France, président de l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Il souffle ces temps-ci un air de révolution. La numérisation de l’écrit en est une et, comme dans toute révolution, il faut ménager des transitions et assurer les continuités nécessaires. Dans le domaine du livre, de nombreux acteurs entendent poursuivre leur activité, même si d’autres sont en train d’apparaître.

Acteurs du service public, les bibliothèques, les centres de documentation et les archives entendent continuer d’assurer l’accès à la culture et à l’information, de manière égale pour tous et sans concurrencer les libraires, dont elles sont depuis longtemps complémentaires. En matière de numérisation, les bibliothèques ont déjà fait l’expérience d’un sujet brûlant, avec le secteur de la musique.

La numérisation est rétrospective au sens où elle vise à rendre numérique ce qui ne l’était pas ou à renumériser ce qui ne l’était plus. C’est une grande œuvre patrimoniale, dans laquelle les bibliothèques joueront un rôle important. Non seulement elles détiennent les textes, mais elles sont garantes de l’intérêt public. Contraintes d’être de leur temps, elles sont aussi concernées par la diffusion d’œuvres numériques, homothétiques ou non, qui est déjà à l’œuvre outre-Atlantique. Nous avons le souci que l’on mette en place des modèles économiques et juridiques qui permettront de répondre aux attentes du public.

Pour l’instant, la France en est encore au stade de l’expérimentation. Il y a peu d’offres et quelques fournisseurs nouveaux, les agrégateurs, seront peut-être rejoints par les libraires. Il existe par ailleurs différents modèles de consultation, comme la lecture à l’écran, qui est à l’image ce que le streaming est à la musique, et le téléchargement, qui peut être chronodégradable. Quant à l’achat, il peut se faire par titre, par groupe ou par collection, ainsi que par abonnement ou par forfait. Notre souci principal est de ne pas figer, en imposant un modèle unique, un processus promis à évoluer. Nous ne prendrons pas parti entre les différents acteurs concernés par la proposition de loi sur le prix unique du livre numérique, car les bibliothèques doivent garantir la pluralité des pratiques.

Leur avenir peut être rapproché de celui des librairies, qui assurent comme elles l’accès aux œuvres et jouent un rôle de médiation dans des lieux physiques ou grâce à des sites ou à des portails numériques. En outre, les bibliothèques proposent de multiples activités. Loin de disparaître, comme l’a rappelé récemment Robert Darnton dans le Monde, elles sont de plus en plus fréquentées. L’avenir n’est donc pas au dialogue de l’utilisateur final avec une source unique qui supprimerait tous les intermédiaires, mais à de nouveaux modèles qu’il faut accompagner à titre expérimental avant que les usages ne se stabilisent. Le livre homothétique n’est qu’une étape provisoire avant d’autres formes de livre numérique. Pour l’heure, ce sont les produits d’autoformation, qui, en raison de leur interactivité, connaissent le plus de succès dans les bibliothèques.

(M. Gérard Voisin vice-président de la Commission des affaires européennes
remplace le président
Pierre Lequiller)

M. Alain Kouck, président-directeur général d’Editis. Pour les éditeurs, la plus grande révolution est non le numérique, mais le fait qu’Internet ait remis le lecteur ou l’utilisateur au centre du débat. Sur le plan économique, l’édition est un marché d’offre. Les éditeurs vendent 100 % de leurs ouvrages à des réseaux spécialisés : libraires, grandes surfaces spécialisées ou grande distribution. Avec ses 15 000 points de vente, la France dispose d’une force qui n’existe nulle part ailleurs. Le livre représente un chiffre d’affaires de 3,5 milliards d’euros et est de loin le premier secteur culturel de notre pays, avant la musique et le cinéma dont on parle pourtant davantage. C’est un des seuls à ne pas être subventionné, même s’il bénéficie d’un taux de TVA réduit.

La révolution créée par Internet dans le domaine du livre comme dans tous les métiers a introduit un lien avec le lecteur ou l’utilisateur, qui se trouve désormais au centre du débat. Ses souhaits et ses comportements sont davantage considérés. Cependant, les évolutions technologiques sont rapides et l’on ne peut pas encore savoir si, demain, nous lirons sur des ordinateurs, sur un iPhone ou sur un iPad.

Il est logique que les grands acteurs mondiaux qui ont anticipé ces évolutions se soient positionnés entre le lecteur ou l’utilisateur et les éditeurs ou les auteurs. Ira-t-on vers un métier d’offre ou de demande ? Pour l’instant, les éditeurs fixent le prix du livre, en fonction de critères de marché établis au fil des années en accord avec les libraires. Cependant, depuis près de dix ans, les grands acteurs mondiaux de la diffusion entendent le définir en fonction des attentes des lecteurs, qu’ils connaissent parfaitement. Les premières expériences ont permis de le fixer à 9,99 dollars. C’est ainsi que se sont constitués des réseaux dont il faut désormais tenir compte.

Pour que la création reste un métier d’offre, nous défendons avec beaucoup d’attachement l’indissociabilité du couple auteur-éditeur. On parle beaucoup de stars qui diffuseraient leurs œuvres en se passant de tout éditeur, mais le « top 25 » des meilleures ventes en littérature ne représente que 5 % du chiffre d’affaires. Les 95 % restants concernent 60 000 auteurs, dont les éditeurs assurent la diffusion. Si les grandes surfaces spécialisées et les libraires résistent mieux que les acteurs du commerce traditionnel non spécialisés, c’est parce qu’ils savent présenter cette offre au public. Pour cela, ils doivent être présents et visibles – ce que permet Internet – et jouer un rôle de conseil. S’il faut tenir compte des nouveaux acteurs, qui ont toute leur place, n’oublions pas que la création restera toujours un métier d’offre. On a pu le constater dans d’autres domaines : même si l’on a accès aujourd’hui à 300 chaînes, la télévision reste aux mains des créateurs.

Une autre spécificité française est le livre de poche, qui représente 25 % des livres vendus, 100 millions au total. Quand la grande distribution a vu apparaître ce qui n’était à l’origine qu’un reprint du grand format, elle a pensé qu’elle n’avait plus besoin des éditeurs et pouvait elle-même fabriquer les livres. L’échec a été total, preuve que le couple auteur-éditeur est indissociable.

En matière législative, nous avons trois attentes.

Tout d’abord, un cadre juridique est indispensable. Celui qui existe est éprouvé, puisque, en France, le livre se porte bien. Servons-nous donc de ce qui a fait la force du secteur depuis la loi de 1981 sur le prix unique du livre.

Ensuite, il faut maintenir les conditions d’une réalité économique en appliquant au livre numérique le même taux de TVA qu’au livre papier. On préservera ainsi la rémunération des auteurs, sans lesquels nous n’existons pas. On répète souvent que le numérique coûte moins cher, puisqu’il n’y a ni stock ni fabrication ni diffusion. Or la commercialisation et la logistique d’un stock représentent 14 à 15 % de son prix, soit l’écart exact entre le taux de 19,6 % et celui de 5,5 %. Une TVA à 19,6 % annulerait totalement l’économie que le numérique permet de réaliser par rapport au support papier.

Enfin, il faut veiller à rémunérer tous les réseaux spécialisés, à commencer par les libraires et les grandes surfaces, qui ont soutenu l’économie du livre papier et doivent subsister. Face aux nouveaux acteurs, on doit conserver un pluralisme absolu. Pour la presse, on est venu à créer des subventions afin de permettre aux diffuseurs de subsister. Il serait préférable, dans le cas du livre, de maintenir un réseau qui fonctionne.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. La question se pose de savoir quel type de protection sera appliqué aux livres numériques. Les conséquences seront différentes selon que l’on y adjoindra aucun digital rights management (DRM), ce qui entraînera une possibilité totale de duplication, un DRM strict qui rendra impossible toute duplication ou un DRM allégé permettant la réalisation de cinq ou six copies.

M. Xavier Pryen, directeur général des éditions L’Harmattan. La question des DRM se pose en effet. Le DRM allégé est une demi-mesure et ne pas en mettre du tout revient à ouvrir la boîte de Pandore. On en reste, pour l’instant, au DRM strict, ce qui donne du temps pour réfléchir.

M. Philippe Colombet, directeur de Google Livres France. Je suis très satisfait d’être invité dans ce débat public, même si d’autres acteurs globaux n’y sont pas.

Numériser un livre, c’est donner une chance à ce livre, notamment pour ceux difficiles à trouver, et à l’internaute. Cela aura un effet positif pour les livres difficiles à trouver. Les créateurs qui proposeront des livres numériques pourront ainsi trouver de nouveaux acheteurs, et pas uniquement parmi ceux qui ont grandi dans un environnement numérique.

Le livre numérique sera un défi important pour les libraires et les bibliothèques car de nouvelles compétences devront être acquises, ce qui requerra du temps et des investissements. Il ne représente finalement qu’une évolution très lente dans l’histoire du livre, ce qui permet une anticipation plus facile qu’en matière de musique ; on reste ainsi, de façon heureuse, dans le principe de précaution.

Tous les efforts qui seront faits en matière de régulation pour préserver l’écosystème du livre devront cependant prendre en compte l’acheteur de livre numérique.

À son égard, deux impératifs s’imposent.

D’abord, proposer un taux de TVA homogène dans l’Union européenne.

Ensuite, il faudra s’assurer que le livre numérique reste, après son achat, pérenne et interopérable. Pour cela ni logiciels ni mécanismes de lecture particuliers ne doivent être imposés afin qu’il puisse être lisible, pour tout le monde, sur plusieurs types de machines et achetable partout. Il faut donc des fichiers interopérables ou une possibilité de téléchargement à partir d’informatique en nuage (cloud computing). C’est un enjeu important et corollaire de celui du prix.

M. Pierre Coursières, président du directoire de la librairie Le Furet du Nord, représentant le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels. Si on veut développer le livre numérique, il faudra se passer de DRM pour tirer les leçons de l’échec du téléchargement de musique.

Le livre numérique représente actuellement moins de 1 % du chiffre d’affaire du secteur en France. Je suis favorable à ce qu’on légifère uniquement sur le livre homothétique et aussi au fait de se revoir régulièrement.

Tous les libraires développent maintenant des sites Internet et sont prêts à vendre des livres numériques. Mais il faut pour cela disposer d’un cadre juridique précis pour pouvoir vendre de façon rentable.

Nous sommes favorables au prix unique et à la TVA à 5,5 %. Cela nous permettra d’être à armes égales avec des sites comme Amazon dont les ventes actuelles supportent un taux réel de TVA de 3 % alors que nous sommes soumis actuellement à un taux de 19,6 %. Cela nécessitera une intervention nationale et européenne, voire mondiale.

M. Alain Kouck, président-directeur général d’Editis. Le DRM freine la diffusion. C’est ce qui résulte de l’expérience de notre actionnaire espagnol. En Espagne, en effet, l’ensemble des partenaires ont coopéré pour mettre en place une offre dans le cadre le plus légal possible et ont créé une plate-forme commune. Depuis sa mise en place, le pays connaît un record mondial en matière de piratage. Sur le fonds, je reste donc dubitatif car c’est un problème qui va nous menacer de manière permanente.

M. Franck Riester. Je suis surpris que les interventions ne fassent pas, dans l’ensemble, référence au téléchargement illégal. Lorsque l’on discute avec les acteurs de la filière musicale, c’est le premier, voire le seul objet de leurs préoccupations. Où en sont donc vos réflexions en la matière ? Serait-il opportun d’étendre le champ d’application d’Hadopi au secteur du livre ?

M. Marcel Rogemont. Je souhaiterais évoquer la loi Lang sur le prix unique, qui a des effets vertueux. Comment son dispositif peut-il s’appliquer dans un univers différent ? La question va au-delà de la simple concurrence dans un univers régulé car il est indispensable, pour la survie du livre, et en définitive de l’œuvre elle-même, ainsi que pour les auteurs. A-t-on déjà des éléments indiquant comment cet équilibre est perturbé et comment, également, peut-on conserver le rôle de l’éditeur comme pierre angulaire ? Je remercie de sa présence le directeur de Google France car se pose la question de savoir comment certaines entreprises accèdent aux œuvres et les utilisent de manière indépendante et comment elles abordent la question des droits afférents à ces œuvres. C’est la vraie question et il convient de savoir si nous avons, sur le plan européen, la possibilité d’agir.

Sur le fond, et c’est un constat, la valeur des biens culturels sur Internet tend clairement vers zéro. Dès qu’une œuvre est en ligne, tout le monde peut l’éditer. C’est une difficulté que l’on ne sait pas actuellement régler. Comment Google envisage-t-il de maintenir une chaîne du livre vertueuse comme celle qui existe en France ?

S’agissant de la TVA, je pense que tout le monde est d’accord sur l’opportunité d’un taux unique. Sur le plan européen, des initiatives ont été prises et certains pays ont été plus courageux que nous. Il faut savoir si l’on peut, ou non, avancer.

M. Jacques Grosperrin. De même que la télévision n’a pas tué la radio, je ne pense pas que l’électronique va mettre un terme à l’imprimerie. Je souhaiterais évoquer plusieurs questions, notamment celles du respect du code de la propriété intellectuelle, de la numérisation des œuvres orphelines et aussi du développement de la pratique de certaines revues scientifiques dont la diffusion n’est plus assurée que dans un cadre numérique, ce qui conduit à une explosion des coûts. Enfin, comment appliquer à la numérisation la règle du prix du livre ?

Mme Monique Boulestin. Merci, Madame la Présidente, d’avoir co-organisé avec Pierre Lequiller cette table ronde sur un sujet aussi sensible que celui de la numérisation de l’écrit et, plus particulièrement, du patrimoine écrit. En effet, lors de la présentation de mon rapport pour avis au ministre de la culture, j’avais longuement insisté sur la nécessité de numériser notre patrimoine écrit contemporain : manuscrits, carnets de notes, livres uniques ou œuvres orphelines, soit de 10 000 à 100 000 livres du XXe siècle, toutes indisponibles.

Comment en proposer une offre légale, comment en négocier la diffusion après numérisation ? Telles étaient alors mes questions.

Un rapport récent redonne toutes ses lettres de noblesse à la bibliothèque en ligne Europeana lancée en 2008 qui doit devenir « la référence première pour le patrimoine culturel européen en ligne ».

Par ailleurs, grâce au nouveau programme d’investissement d’avenir présenté actuellement par le Commissaire à l’investissement, René Ricol, nous savons que le développement des technologies associées à la numérisation du patrimoine va s’accélérer et que les discussions avec les éditeurs vont se poursuivre afin de rendre accessibles, sous forme numérique, des œuvres jusqu’alors indisponibles.

Dans ce domaine, l’action de la Bibliothèque nationale de France (BnF) est reconnue, d’une part, en termes de conservation d’environ 35 millions de documents, d’autre part, à travers le Plan d’action pour le patrimoine écrit (PAPE) et son soutien aux bibliothèques territoriales détenant des fonds patrimoniaux, représentant plus de 30 millions de documents anciens et précieux.

Par ailleurs, depuis la loi du 1er août 2006, la BnF, à travers son mécanisme de collecte, a élargi son périmètre de dépôt légal à Internet.

Rappelons enfin que la BnF a été pionnière en créant, dès 1998, une bibliothèque numérique (Gallica) qui contient plus de 900 000 documents, dont 150 000 livres.

Cependant, pour les bibliothèques publiques, il faut aller vite parce qu’il serait dangereux de laisser la numérisation de notre patrimoine à un acteur unique.

Qu’en est-il de la conclusion d’un accord-cadre respectant les droits de tous et ouvert à l’ensemble de la profession ?

Le consortium annoncé, associant les acteurs publics et la BnF, les auteurs et les éditeurs, est-il toujours à l’ordre du jour ?

Enfin, les bibliothèques régionales numériques d’excellence proposées par le ministre à la BnF vont-elles voir le jour ? Ma question s’adresse à M. Nicolas Georges et à M. Jean-François Colosimo.

Mme Colette Langlade. Je souhaiterais poser deux questions aux éditeurs et bibliothécaires ainsi qu’aux libraires. S’agissant des premiers, Internet est la plus grande révolution qui concerne la profession et la numérisation va entraîner des investissements, notamment en recherche et développement, considérables pour le fonds numérique. Quelles sont les actions entreprises en la matière et qui, in fine, va supporter les coûts ?

En ce qui concerne les bibliothécaires et les libraires, c’est une question très sensible car il y a l’enjeu de l’accès culturel et du maillage du territoire. Est-ce que tous les professionnels concernés sont prêts à faire face aux évolutions nécessaires ?

Mme Martine Martinel. A-t-on des éléments sur la conservation à long terme des fichiers ? De même, je souhaiterais évoquer la question de la numérisation des œuvres en braille destinées aux aveugles.

L’utilisation des œuvres orphelines va à l’encontre du respect du droit d’auteur. Étant sans auteur connu, elles ne me semblent pas devoir être utilisables. Comment le problème est-il réglé ?

M. Michel Lefait, co-rapporteur. Je m’interroge sur l’opportunité de créer, pour les livres numériques, un dispositif semblable à celui en vigueur pour les films, qui impose un décalage entre la sortie en salle et la mise en vente des DVD et vidéos. Un tel décalage doit-il être prévu pour le livre numérisé ?

M. Nicolas Georges, directeur chargé du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication. Le ministère de la culture travaille depuis un certain temps avec la Bibliothèque nationale de France et le Centre national du livre sur un programme de numérisation du patrimoine écrit. C’est un travail qui se trouve grandement facilité par ce qui est une spécificité française, le dépôt légal auprès de la BnF.

Sur le fond, je ferai quelques remarques. D’abord, la France est l’un des rares pays, voire le seul, à se donner les moyens d’avoir une politique publique de financement de la numérisation du patrimoine écrit. Beaucoup de discussions ont lieu au niveau européen, et récemment encore, un Comité des Sages, nommé sur l’initiative du ministre français de la culture, a remis un rapport se concluant par d’importantes recommandations mais insistant aussi sur la question essentielle du financement. Il faut prévoir les moyens financiers de la numérisation. La France est le seul État à disposer, depuis 2006, d’une telle ligne de crédits, de 10 millions d’euros. On peut estimer que ce n’est pas suffisant ou que cela ne va pas assez vite, mais l’effort est là, avec la numérisation rétrospective des catalogues exploités des éditeurs et du patrimoine écrit français se trouvant dans les fonds de la BnF.

La BnF occupe une place éminente, du fait du dépôt légal, parmi les bibliothèques numériques de référence. Le ministère de la culture considère qu’il est important que la numérisation concerne également le patrimoine écrit se trouvant dans d’autres fonds. Les villes, notamment, en ont d’importants issus soit de leur propre politique de collecte, soit de la nationalisation de fonds conséquents sous la Révolution. Même si cela a engendré une polémique, il est essentiel que la ville de Lyon se soit la première engagée avec raison et courage dans la numérisation. Sa bibliothèque représentant peut-être le plus beau fonds patrimonial en Europe, il paraît légitime que cette ville soit visible sur Internet et puisse valoriser son patrimoine. D’autres villes pourraient également le faire, dès lors qu’elles disposent de fonds extrêmement importants. Le ministère de la culture peut en effet créer une expertise numérique, mettre à disposition des crédits et faire exister de grands pôles de numérisation de bibliothèques patrimoniales. C’est dans ce sens qu’a été lancé le concept de bibliothèque patrimoniale numérique.

Les œuvres non disponibles sont un vaste sujet qui va bientôt faire l’objet d’un accord à proprement parler révolutionnaire. Il est opportun de rendre disponible en ligne non seulement les œuvres du patrimoine mais aussi les œuvres quasi-patrimoniales, actuellement indisponibles dans le commerce et correspondant aux époques entre le XVIe et le XIXe siècle. Le ministère de la culture, en partenariat avec les présidents du SNE, de la BnF et de la Société des gens de lettres, va conclure, au début du mois de février, un accord-cadre concernant plusieurs centaines de milliers de livres avec la mobilisation de ressources provenant du Grand emprunt.

M. Jacques Toubon, chargé d’une mission européenne sur la TVA des biens culturels. M. Pierre Coursières rappelait qu’Amazon se voit appliquer une TVA à 3 % et la FNAC.com une TVA de 19,6 %. Tout est dit. La réponse globale à toutes les questions posées ne peut être qu’économique et la fiscalité est une des conditions économiques. Nous évoluons dans un système dans lequel le lecteur, c’est-à-dire le consommateur, fait que l’activité existe et est valorisée. Sommes-nous capables, au travers de la régulation du marché, de mettre en place et de susciter rapidement une économie équilibrée de la diffusion en ligne du livre ? Il s’agit là d’une question pour demain et non d’une question nécrologique. Les débats permanents en France entre l’exception et la règle ou encore la culture et le marché sont dépassés. Ou nous mettons en place une offre légale, économique et viable, ou tout le reste ne sera d’aucune importance. D’ici cinq ans risque de se produire une énorme concentration entre les mains de trois ou quatre entreprises qui détiendront 80 % de l’activité. Mon travail n’est pas d’expliquer à nos partenaires à Bruxelles qu’ils doivent faire une place à la culture ni de vanter auprès de la Commission européenne les écrivains qui seraient plus intéressants que les marchands car, alors, je trouverais porte close.

Le secteur de l’édition représente 4 milliards d’euros dans notre pays et nous avons une marge de progression très importante si nous sommes compétitifs avec les Américains, les Japonais et les Coréens. Les industries culturelles représentent 2 % du PIB et 3 % des emplois en France et ces chiffres doivent être doublés d’ici 2020. Si nous ne mettons pas en œuvre des services français et européens de diffusion en ligne qui soient des entreprises, alors nous pourrons continuer notre politique en faveur du livre qui ressemblera à une lutte contre l’extinction inévitable des espèces en voie de disparition.

M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre. Le Centre national du livre (CNL) a débuté son programme de numérisation il y a cinq ans, pour un engagement total de 25 millions d’euros. Cette somme peut sembler mineure au regard des engagements de grands acteurs globaux, mais elle est significative. S’agissant des œuvres sous droits, 4,5 millions d’euros seront investis cette année dans la numérisation pour la création d’un marché et d’une offre numériques français.

Nous assistons également les libraires, projet central pour le CNL. Nous avons contribué à donner à CAIRN la possibilité de devenir un acteur autonome, aujourd'hui acteur dominant et équilibré financièrement. Le numérique est une planche de salut pour ce type d’organisme. Nous avons également aidé à la formation d’une plate-forme unique de diffusion de bandes dessinées franco-belges, IZNEO. Nous nous félicitons que les acteurs français et belges aient su s’unir. Enfin, nous sommes tout à fait prêts à négocier avec Google sur l’indexation des livres numérisés notamment.

Le livre numérique constitue notre nouvel horizon et nous posera de nouvelles questions. L’action législative est appelée à évoluer. Nous avons à ce sujet un rôle de veille sur plusieurs questions : quels sont les acteurs du livre numérique ? En quoi reste-t-il un livre ou devient-il un objet autre ? Les acteurs économiques français du livre ont fini par prendre la mesure de la numérisation.

Mme Marie-Pierre Sangouard, directrice du livre de la FNAC. Je souhaite aborder en premier lieu le DRM. Faut-il un DRM contraignant ou, au contraire, inexistant ? La DRM représente aujourd'hui un parcours très compliqué pour le client. Il est difficile d’y accéder et de s’y connecter. Il ne permet ni de mettre en valeur l’offre numérique, ni l’accès à la lecture sur une plate-forme propriétaire de type Amazon ou Apple. Nous souhaitons la suppression des DRM mais il sera alors absolument nécessaire de développer l’offre légale de titres : 80 000 titres de fiction sont disponibles en numérique mais seuls 15 000 à 18 000 existent en format e-Pub, ce qui est très insuffisant.

Il faut en second lieu traiter la question du prix et écouter le consommateur pour créer une offre attractive. La perception des prix du numérique est difficile : le prix d’un livre numérisé est inférieur de 20 à 30 % par rapport à l’édition papier mais, quand le livre de poche existe, le prix du numérique demeure indexé sur celui du grand format, ce qui est incompréhensible et ce qui génère du piratage. La bande dessinée est totalement numérisée. Les livres n’étant pas assez rapidement numérisés sont très vite piratés : il faut donc proposer une offre légale et attractive. Le marché du papier est important et, selon nos anticipations, le restera encore longtemps. En 2015, nous estimons que le numérique devrait atteindre 5 à 10 % du marché en France, si les choses n’évoluent pas plus vite qu’à l’heure actuelle, contre 17 % aux États-Unis.

Une grande partie du réseau des libraires risque de disparaître. Il faut donc réaffirmer le rôle des libraires. La FNAC et le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) pensent qu’il faut une concurrence équitable entre les différents acteurs. Les contrats de mandat créés à l’image des contrats d’agences d’Apple sont une contrainte en matière de politique commerciale qui, si l’on applique la loi au pied de la lettre, est dictée par les éditeurs, d’où un risque d’uniformisation. Or, le conseil et la prescription fournis par les libraires sont des éléments essentiels.

M. François Gèze, président-directeur général des éditions La Découverte. S’agissant du coût des grands portails de revues scientifiques anglo-saxonnes, il existe des possibilités d’aller contre les tendances décrites, en organisant des partenariats publics-privés avec le monde de l’éducation. Le portail CAIRN qui est un grand succès grâce à la collaboration avec les bibliothécaires universitaires, permet d’offrir des revues à un prix très raisonnable pour le public. Les bibliothécaires universitaires sont les plus en pointe sur la question du numérique et l’édition scolaire propose tous ses manuels en papier et en numérique. Mais il y a un problème sérieux car, globalement, à part quelques initiatives locales, des efforts suffisants ne sont pas faits pour développer les partenariats entre établissements et éditeurs.

M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française. Plusieurs d’entre vous ont interpellé les libraires. En matière de piratage, la meilleure réponse est une offre légale, riche et adaptée. On a ainsi pu voir l’effet de la réponse rapide de Flammarion pour le dernier livre de Michel Houellebecq « La carte et le territoire ». Une rétention systématique des livres ne sera d’aucune utilité.

L’éditeur joue un rôle essentiel en fixant les conditions de vie des libraires et la rémunération des auteurs. Il a donc une part active à jouer dans l’organisation du marché du numérique. Le travail du SNE sur ce dossier est primordial.

En réponse à Mme Colette Langlade qui souhaitait savoir si les libraires étaient tous prêts à répondre « présents » sur le numérique, bien que je ne puisse m’engager pour les 1 500 entreprises de librairie, nous avons, dès 2006, réfléchi à mettre en œuvre un portail commun de la librairie. Les libraires ont investi collectivement dans ce portail avec la volonté d’être tous impliqués : deux cents ont signé les premiers accords avec « 1001 libraires.com ». Compte tenu de notre lien de proximité avec les lecteurs, il ne faut pas abandonner ce lieu physique et ce rôle de médiation. Ce qui nous inquiète, par contre, est la capacité d’investissement des librairies. Leur rentabilité interne est en moyenne inférieure à 0,8 % et le plus haut niveau de rémunération qu’un libraire très qualifié puisse atteindre est de 1 650 euros brut par mois. Leur fragilité économique doit donc être soulignée. Nous avons besoin d’un squelette sur lequel nous puissions travailler et non pas d’une armure pour nous protéger.

Des questions de fond vont se poser et je crains une guérilla entretenue de façon obsessive sur le prix du livre. Le chiffre d’affaires du livre est sans cesse rappelé mais rappelons par comparaison que l’ensemble des abonnements de téléphonie mobile et à Internet représentent 40 milliards d’euros. La principale difficulté du livre est le manque de temps disponible et le manque d’envie car nous sommes en concurrence avec d’autres loisirs. Je ne pense pas que nous soyons en concurrence au niveau du coût, eu égard au prix moyen du livre qui est de 10 euros. Comme le rappelle Philippe Moati dans ses travaux, les gens lisent moins et le nombre de grands lecteurs diminue. De moins en moins de personnes accèdent aux livres et font l’effort de lire. Il nous faut donc redonner envie aux gens de lire.

M. Emmanuel de Rengervé, délégué général du Syndicat national des auteurs et compositeurs. Représentant le Syndicat des auteurs et compositeurs, je peux vous faire part de notre expérience dans le domaine de la musique qui nous autorise à douter de l’efficacité des dispositifs de gestion des droits numériques (DRM), en matière de mesures techniques de contrôle. S’il s’agit, en revanche, de produire des données permettant d’établir la traçabilité des œuvres, de les associer ainsi à leurs ayants droit et de les gérer, nous ne pouvons qu’y être favorables. Il convient en effet de rappeler que les DRM ne sont pas que des mesures de protection mais des données associées à des fichiers, permettant d’identifier une œuvre ou un extrait d’œuvre et de les rattacher à ses ayants droit, en particulier son auteur.

L’interopérabilité est également une question importante pour les auteurs, surtout si la circulation des œuvres venait à être entravée par la mise en place de systèmes propriétaires. À défaut d’interopérabilité, les éditeurs avec qui traitent les auteurs devraient s’engager à mettre à disposition des différents systèmes propriétaires les fichiers numériques, permettant ainsi une circulation des œuvres, dans des conditions équitables, sur tous les systèmes possibles. Les auteurs perdraient, sinon, tout contrôle sur la diffusion de leurs œuvres, le cessionnaire de l’œuvre décidant seul, alors, du circuit de distribution.

La chronologie des publications ne semble pas devoir s’appliquer ici, puisque le livre numérisé apparaît plutôt, pour le moment, comme une sorte de produit d’appel d’abord destiné à inciter à acheter le livre papier. La chronologie des publications telle qu’elle existe pour le cinéma est destinée à permettre le financement des œuvres et leur amortissement aux différentes étapes de leur exploitation, la salle, la vidéo, les co-producteurs – télédiffuseurs, les télédiffuseurs généralistes puis les marchés secondaires. Cette logique de diffusion s’adapte mal au livre, la réglementation dans ce domaine semblant délicate. Mais un large accord entre les professionnels pourrait permettre, au-delà de cette base réglementaire, l’introduction d’une chronologie des publications adaptée au livre.

S’agissant des œuvres orphelines, une proposition de loi adoptée par le Sénat relative aux œuvres visuelles orphelines et modifiant le code de la propriété intellectuelle a été transmise à l’Assemblée nationale, mais elle ne vise que les seules œuvres visuelles. Il me semble que son champ doit être élargi, les œuvres orphelines concernant d’autres domaines de la création. C’est une préoccupation de la direction du livre et de la lecture du ministère de la culture qui, après discussions avec les représentants des auteurs, devrait faire l’objet de propositions consensuelles pour mettre à la disposition du public les œuvres orphelines, dans des conditions respectueuses du droit d’auteur.

La question du bon prix pour le livre numérique repose d’abord sur les attentes des internautes, qui l’imaginent inférieur à celui du livre papier. Il semble donc déraisonnable de penser que ce prix puisse être maintenu à son niveau papier et, comme représentant des auteurs, je me prépare à cette situation. Un prix différent entraîne une assiette différente des droits d’auteur, alors même que le taux de la TVA est également différent entre le numérique et le papier. La rémunération des auteurs ne pourra par conséquent être maintenue qu’en pourcentage, pas en valeur. Le même pourcentage appliqué à une assiette diminuée supportant une TVA plus importante a comme conséquences des droits d’auteur deux à trois fois moindres pour chaque exemplaire vendu sur support numérique par rapport à sa version papier.

IZNEO est une initiative très intéressante, mais qui s’est faite sans les auteurs, à la veille du dernier salon du livre. Les auteurs ont réagi en lançant une pétition qui a recueilli plus de 1 300 signatures protestant contre cette initiative unilatérale des éditeurs. Ils ont été rejoints par 13 associations professionnelles d’auteurs, tous soulignant qu’éditeurs et auteurs sont partenaires et doivent se concerter en conséquence sur l’utilisation du support numérique.

M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre. Il est important que les mêmes qui s’accordent à vouloir une distribution ouverte acceptent parallèlement l’ouverture de la numérisation, alors qu’ils sont dans une position quasi monopolistique sur ce point. Comme le soulignait M. Benoît Bougerol sur la lecture, la deuxième étape de la réflexion législative devra prendre en compte le passage du livre numérisé, à propos duquel des règles peuvent être trouvées, au livre numérique. C’est à ce moment que les modifications du statut de l’auteur, de l’éditeur et du lecteur vont être les plus profondes. Des effets correctifs cependant se produisent d’eux-mêmes. Ainsi, dans les manifestations littéraires, la lecture publique des textes obtient un vrai succès. On assiste à un phénomène de collectivisation, de communautarisation, de « communisation » de la lecture qui permet d’en enrayer le déclin et la chute. On peut donc penser que le livre numérique, s’il existe vraiment un jour dans sa forme achevée, prendra, comme l’Iliade, la forme d’un livre collectif, avec une multitude d’auteurs de différents siècles et lieux, avant d’atteindre sa forme définitive. Cette dimension collective est à prendre en compte. Elle correspond à des formes archaïques qui resurgissent aujourd’hui dans la post-modernité. Le défaitisme n’est pas de mise sur l’écriture et la lecture. Cette dimension collective de la lecture concerne bien sûr les auteurs puisque, par exemple, lorsqu’un texte est lu aujourd’hui par un acteur dans le cadre d’une manifestation littéraire, l’auteur ne perçoit pas de droits.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Les différents thèmes de notre table ronde ont déjà été évoqués, mais je vous propose cependant de revenir sur le livre électronique et les droits d’auteur.

Mme Christiane de Mazières, déléguée générale du Syndicat national de l’édition. En matière de livre électronique et de droits d’auteur, les questions se posent tant au niveau européen qu’en France. Le droit d’auteur doit toujours, depuis sa création au 18e siècle, respecter un équilibre entre la protection des intérêts des auteurs et l’accès à l’information. Le livre numérique relance les débats sur cet équilibre à trouver. Des exceptions au droit d’auteur ont ainsi été prévues par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information pour certaines personnes, notamment handicapées. La mise en œuvre de ces mesures depuis un an, s’appuyant sur une plate-forme utilisant les fichiers transmis rapidement par les éditeurs, est satisfaisante.

Le débat sur les œuvres indisponibles et orphelines se matérialise en particulier par le fameux « trou noir » ou la « zone grise » concernant essentiellement les œuvres du 20e siècle, situées entre celles tombées dans le domaine public et celles aujourd’hui disponibles, sous droits. Les moyens actuels de numérisation suscitent une attente forte des lecteurs de pouvoir disposer de ces œuvres au-delà des bibliothèques qui les conservent. Le Syndicat national de l’édition, en association avec le ministère de la culture, les auteurs et le Commissariat général à l’investissement, responsable des investissements d’avenir du grand emprunt s’est fixé un objectif de numérisation d’environ 500 000 œuvres relevant de cette catégorie. Elles seraient alors gérées collectivement, seule méthode permettant de procéder rapidement. Un accord cadre devrait être signé la semaine prochaine pour finaliser ce projet entre le ministère de la culture, le commissariat général à l’investissement, la Bibliothèque nationale de France, la Société des gens de lettres et le Syndicat national de l’édition.

Les œuvres orphelines sont une sous-catégorie des œuvres indisponibles. Elles font l’objet d’un projet de directive européenne qui semble pour l’instant enlisé. Mais les réunions régulières qui ont lieu à ce sujet au niveau européen laissent apparaître que le principe de recherche diligente des ayants droit est retenu, permettant un compromis entre l’accès rapide aux œuvres et le respect des droits d’auteur. Cette recherche s’appuierait sur le système « ARROW » (Accessible Registries of Rights Information and Orphan Works), qui se matérialise par une mise en réseau de bases de données européennes, financée par la Commission européenne et que la France a, la première, testé avec succès. Ce dispositif, étendu à d’autres pays en particulier l’Allemagne, permet de déterminer le statut juridique de l’œuvre. Des avancées intéressantes sont donc en cours sur les droits d’auteur et la numérisation.

Mme Michèle Battisti, Vice présidente de l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Je représente aujourd’hui l’Interassociation archives bibliothèques documentation (IABD). Les archivistes, les bibliothécaires et les documentalistes sont conscients des questions juridiques que pose la mise en valeur de la « zone grise ». Les préconisations faites tant au niveau national qu’européen pour y répondre montrent que l’on s’oriente vers une gestion collective pour numériser et communiquer au public les œuvres qui ne sont plus disponibles dans le commerce, qu’elles soient orphelines ou non.

Disposer ainsi d’un guichet unique est effectivement une solution séduisante. Mais la gestion collective appelle quelques remarques.

Les coûts de transaction doivent être « raisonnables », suivant l’expression utilisée par le Comité des sages dans son rapport. Doivent aussi être raisonnables les efforts exigés pour retrouver les ayants droit et les barèmes des licences. Ceux-ci tiendront compte de la nature de l’œuvre, de son ancienneté ou encore des efforts réalisés pour sa mise en valeur, ou pourquoi pas aussi, des conditions de sa réutilisation par le public. La réutilisation à des fins privées ou pédagogiques ou à des fins commerciales ne doit pas être négligée, puisqu’elle favorise les nouvelles créations.

L’« opt out », permettant à un ayant droit de se retirer à tout moment de la gestion collective, semble privilégié, ce qui est naturel. Mais, dans ce cas, le titulaire de la licence a payé en quelque sorte « pour du vent ». Il serait plus raisonnable de fixer une durée minimale, suffisamment longue, pour l’attribution de la licence et une tacite reconduction à l’expiration de cette période.

Le système adopté doit être simple car la complexité est la porte ouverte au piratage. Les bibliothécaires ne tomberont pas dans ce travers, mais ils pourraient être tentés, en revanche de geler les œuvres, ce qui serait dommageable pour les auteurs, surtout s’il s’agit d’œuvres estimées n’avoir aucune valeur commerciale.

La simplification consiste aussi à fixer une date butoir au-delà de laquelle on recourt automatiquement à la gestion collective, comme le recommande le Comité des sages. Cette solution semble avoir été retenue dans les négociations en cours, en France, qui concerneraient les livres publiés avant l’an 2000.

Quelques remarques doivent être faites concernant l’utilisation des droits non répartissables suite à l’impossibilité d’identifier les ayants droit. Ils ont bien vocation à financer la création, mais seulement au bout de dix ans, ou de cinq ans comme cela était envisagé dans le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Leur montant risque d’être élevé lorsqu’il s’agit d’œuvres orphelines ou d’œuvres partiellement orphelines, dont les éditeurs n’ont pas les droits numériques.

Ces sommes collectées pour rémunérer les ayants droit qui se manifesteraient, devraient également servir à alimenter des bases de données permettant de retrouver les auteurs, et limiter ainsi les coûts des recherches ultérieures menées pour retrouver les ayants droit. On peut même imaginer qu’au bout d’un certain délai, une partie des sommes versées par le titulaire de la licence lui soit reversée afin d’être réinvestie dans la numérisation d’autres œuvres.

Quelques remarques complémentaires. « L’orphelinat » concerne le livre publié et aussi tous les types d’œuvres, notamment la presse, mais aussi des œuvres qui n’ont jamais été commercialisées. Que doit faire un bibliothécaire des photos, des films d’amateurs ou des interviews, pour ne donner que quelques exemples de ces œuvres très diverses que l’on trouve dans nos fonds ? Peut-on, dans ces cas-là, prendre le risque de les mettre en ligne et de gérer les quelques cas où des ayants droit se manifesteraient ?

Il n’y a pas de gestion collective, en revanche, lorsque la numérisation est réalisée par le secteur privé, ou pour les œuvres épuisées les plus récentes, dont les éditeurs disposent des droits numériques. Dans ce cas, on rejoint la situation du livre numérique ou numérisé, proposé sur les réseaux commerciaux, pour lequel des accès par des abonnements à des conditions raisonnables devraient être accordés aux bibliothèques.

Enfin il faut signaler la situation, qui prévaut souvent, d’ayants droit retrouvés ne revendiquant aucun droit. Dans ce cas, les contacter permet souvent de collecter d’autres œuvres, comme le montre l’exemple d’une bibliothèque gérant un fonds de photographies.

M. Nicolas Georges, directeur chargé du livre et de la lecture au ministère de la culture et de la communication. Le ministère de la culture, que je représente, est chargé du droit d’auteur en France, depuis sa création en 1959, ayant récupéré un certain nombre de compétences en matière de livre et de politique du livre, du ministère de l’éducation nationale. Entre l’utilisateur et l’auteur, le ministère a, de par son rôle même, été plus sensible aux droits du créateur, afin de défendre la création. L’ère numérique pose néanmoins la question de la volonté croissante d’avoir accès à l’ensemble des œuvres. On le soulignait récemment à propos de la numérisation de la Bibliothèque nationale de France, le lecteur désire avoir accès à toutes les œuvres, partout et à n’importe quel moment. Cette pression entraîne la remise en question du droit d’auteur. Nous tentons, avec l’aide des professionnels, d’y répondre, dans deux directions. La première vient d’être rappelée : lorsque manifestement le droit d’auteur présente un aspect bloquant à l’accès du plus grand nombre, il doit être possible, de façon collective et légale en respectant les droits de chacun, d’en desserrer les contraintes. D’autres techniques juridiques sont habilement utilisées pour accéder aux œuvres sans respecter le droit des créateurs. On ne saurait s’en satisfaire.

Depuis un an, un patrimoine considérable de plusieurs centaines de milliers d’œuvres, pour l’instant inaccessibles, a la perspective d’être débloqué dans des conditions respectueuses du droit de chacun et des conditions économiques acceptables, en utilisant un système peu répandu dans le secteur du livre : celui de la gestion collective. Cette année de négociations va donc aboutir. Pourquoi ces œuvres n’étaient-elles pas disponibles et pourquoi le droit d’auteur était-il bloquant ? Simplement parce que la vie « papier » de ces œuvres était finie et qu’il n’était plus rentable pour un éditeur de les réexploiter en édition papier, alors que la renégociation avec les auteurs pour leur assurer une vie numérique aurait été trop longue, trop onéreuse pour assurer l’équilibre de l’opération. La gestion collective permet justement de remédier à ces difficultés et à rendre de nouveau disponible un patrimoine important du 20e siècle. La France est donc à même de proposer des solutions innovantes dans ce domaine. Il est important de pouvoir proposer au lecteur, très vite, une offre aussi abondante que l’offre papier et aussi simple d’utilisation, sans blocage technologique ou incompréhensible, de DRM, et avec un modèle de régulation adapté. Ce modèle, en discussion à l’Assemblée nationale, après son examen par le Sénat, met en place une régulation par le prix.

Il est nécessaire d’aller vite, parce que d’autres vont encore plus vite : si le marché du livre numérique en France est d’à peine 1 % il atteint près de 10 % aux États-Unis et se développe rapidement au Royaume-Uni. La représentante de la FNAC l’a rappelé, le nombre de titres disponibles en France, plusieurs dizaines de milliers, n’est pas si faible que ça, mais pourtant le marché ne décolle pas, malgré le nombre de tablettes vendues. Or, le fait que le marché légal ne décolle pas peut laisser craindre que le piratage, lui, progresse. Ce n’est en effet plus un phantasme dans le domaine du livre, comme l’a également rappelé Mme Marie-Pierre Sangouard, en particulier pour la bande dessinée.

La loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre semble parfaitement adaptée au livre numérique. Il a été rappelé que le livre numérique n’était pas une véritable révolution, au regard de l’histoire longue du livre, contrairement, par exemple, à l’apparition du livre de poche au 20e siècle, à prix très réduit, qui a entraîné un élargissement considérable du marché. Il s’agit ici plutôt d’une évolution qui sur les quatre à cinq prochaines années, donnera au livre numérique une place de 10 % du marché du livre. Il s’agit donc de maîtriser et d’encadrer cette évolution avec des éléments de régulation qui peuvent parfaitement être empruntés au secteur du livre papier. L’application de la loi sur le prix unique du livre a été un succès car elle a maintenu jusqu’à maintenant un réseau important de librairies garantissant un accès très large au livre sur l’ensemble du territoire. On fait souvent remarquer que l’accès est parfaitement assuré par les réseaux numériques dans le cas du livre numérique. L’argument de la diversité culturelle pourrait ne plus être opérant puisque le livre numérique va être vendu, grâce à la baisse des coûts de production, à des prix très inférieurs à ceux du livre papier. Le risque serait donc moindre pour l’éditeur qui pourrait publier des nouveautés satisfaisant à la diversité culturelle de façon plus simple que dans le domaine papier.

Les deux objectifs de la loi du 10 août 1981 restent cependant pertinents dans le domaine du livre numérique. Les coûts de fabrication vont, certes, baisser. Mais si son prix n’était pas régulé par l’éditeur ou s’il était fixé par l’aval de la chaîne, et notamment par les grandes entreprises très actives sur ce marché, on pourrait alors craindre que la chaîne de création, auteurs et éditeurs, ne soit plus rémunérée, comme cela a été récemment le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni. En outre, les mêmes exemples étrangers montrent moins une croissance du marché du livre qu’une substitution du livre numérique au livre papier, entraînant une contraction du marché physique, comme pour la musique, avec une chaîne de valeur et de création finalement moins rémunérée. Il convient donc d’encadrer et de maîtriser la baisse probable du prix.

Dans ce contexte, les librairies physiques deviennent-elles inutiles, trois ou quatre acteurs pouvant parfaitement s’y substituer et assurer la diversité du livre numérique ? Rappelons, à cet égard, que lorsque la Commission européenne n’a autorisé que la reprise d’une partie des activités du groupe Editis par Hachette en se fondant sur le fait qu’un rachat total donnerait à Hachette, non pas trop de marques commerciales, mais une position trop dominante dans les réseaux de distribution et donc sur la « table du libraire » où les nouveautés trouvent leur place, grâce au travail de médiateur du libraire lui-même. Cette situation est, elle aussi, parfaitement transposable dans le domaine numérique. L’achat sur Internet se fait par un écran d’ordinateur sur lequel sont disponibles 60 000 nouveautés qui rivalisent pour accéder à la première place. Or y accèdent, en fait, les nouveautés générant les plus grandes ventes. La diversité culturelle et éditoriale ne trouvera donc pas davantage sa place à travers ces quelques grands réseaux de vente numérique que dans l’univers physique. En outre, l’évolution de la vente du livre numérique dans le monde montre que toutes les grandes chaînes de vente de livres physiques s’orientent vers la vente des livres numériques, à l’exception de la firme Amazon qui se consacre exclusivement à la vente numérique. Il serait étonnant que seul ce type d’entreprise ait sa place dans le commerce du livre numérique. Un certain nombre de principes valables pour le livre papier sont donc parfaitement transposables au livre numérique.

Le prix tendrait-il vers zéro dans l’univers numérique, comme le soulignait M. Marcel Rogemont ? Il ne semble pas que ce soit le cas. Le disque est en effet confronté au piratage qui fait tendre son prix vers zéro, rendant son redressement difficile. La situation est très différente pour le livre qui connaît une grande variété de prix. La chronologie des formes de publications permet ainsi de trouver à des prix très accessibles, au format poche, des livres sortis quelques mois auparavant, le livre numérique lui-même ne se vendant pas à un prix nul. Certes, son prix va, sans doute, baisser. Certains estiment que cette baisse devrait être au moins de 30 %. Les consommateurs attendent, d’après des études de marché menées par Ipsos, des prix en diminution de 36 % pour les nouveautés et de 38 % pour les livres du fond. Mais une baisse n’est pas un prix zéro. Aux États-Unis où le marché se développe considérablement, et où les prix sont libres, le modèle qui s’impose est celui du prix fixe, à l’image de celui d’Amazon à 9,99 $, grâce aux contrats d’agence signés entre les grands éditeurs et les acteurs de l’Internet, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces contrats d’agence ont d’ailleurs abouti à une remontée du prix par rapport aux 9,99 $ initiaux, ce qui n’a pas, contrairement à ce qu’a affirmé Amazon, entraîné un effondrement du commerce du livre numérique. Les ventes de livres numériques ont, en effet, continué, bien au contraire, à prospérer. Il semble donc parfaitement possible, avec un encadrement du prix par l’éditeur, d’aboutir à une tarification qui garantisse tant la rémunération de la création que la possibilité, pour le lecteur, d’accéder, dans des conditions de tarification raisonnable, à une offre abondante. La loi sur le prix unique du livre numérique semble être un outil parfaitement adapté pour accompagner l’évolution de ce marché, pour les quatre à cinq années à venir.

M. Jean-Claude Bologne, président de la Société des gens de lettres. Autant, en matière de création et d’économie numérique, j’ai parlé de révolution, autant en matière de droits d’auteur, je pense que nous sommes dans une évolution qui se fera assez naturellement. Nous sommes bien protégés par le code de la propriété intellectuelle, par la convention de Berne et le ministère de la culture et de la communication. Le cadre existant nous convient et il n’est absolument pas bloquant de la part des auteurs, lorsqu’il est bien compris. Son évolution doit se faire naturellement, au plan législatif le cas échéant mais certainement pas judiciaire. Si nous continuons à soutenir fortement la loi sur le prix unique du livre numérique, la baisse de la TVA et la numérisation des œuvres indisponibles, c’est parce que nous sommes persuadés que l’on peut aboutir à un marché du livre numérisé qui offre des conditions acceptables pour les auteurs.

Les droits d’auteur recouvrent les droits d’auteur ab initio, exercés par l’auteur et les droits d’auteur par cession, exercés par les éditeurs. Nous nous sommes souvent sentis victimes du caractère bloquant des droits d’auteur quand il nous est impossible de reprendre nos droits sur certains livres et d’exploiter avec d’autres éditeurs des livres épuisés ou indisponibles. Nous ne souhaitons pas que ces blocages se retrouvent dans le droit numérique.

Nous ne souhaitons pas non plus que les droits d’auteur sur les livres numériques soient bloqués soixante-dix ans après la mort de l’auteur, car il s’agit là d’un droit d’auteur bloquant auquel nous ne sommes pas favorables. S’il y a, de la part des auteurs, une possibilité de blocage, c’est bien malgré nous. Il ne faut pas leur laisser la seule possibilité de refuser, il faut leur donner le droit de dire « oui » car la diffusion de nos œuvres est capitale.

M. Jacques Toubon a estimé que la réponse globale doit être économique et l’économie numérique, équilibrée. Si l’économie numérique permet aux auteurs de vivre, il n’y aura aucun blocage, bien au contraire. Le problème est que de nombreux modèles économiques potentiels se mettent en place reposant sur le piratage, la gratuité, l’absence de DRM et séduisant un certain nombre de nos confrères mais contre lesquels la Société des gens de lettre continue de lutter. Il est important de souligner que la rémunération de plus de 90 % des auteurs est inférieure au seuil d’affiliation à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), c’est-à-dire à peu près 8 000 euros par an. Il faut effectivement à ces auteurs d’autres activités pour vivre, telles que la participation à des conférences, à des ateliers d’écriture, activités qui sont permises par la diffusion du livre. En ce qui me concerne, je vis depuis 25 ans de mes droits d’auteur et de la vente de mes livres. Pour la première fois cette année, j’atteins le seuil d’affiliation à l’AGESSA, et ce, grâce à des conférences, des œuvres publiées en revue, c’est-à-dire grâce à toute une série d’activités qui ne sont pas l’écriture, qui ne sont pas mon métier. Cela me fait souffrir et je ne voudrais pas que cela devienne un modèle économique d’avenir. Je souhaite donc que se mettent en place une législation et une économie équilibrées qui permettent à l’auteur de vivre de ses droits sans que ces derniers ne soient bloquants et sans que nous ayons à nous défendre par la voie judiciaire.

Mme Martine Martinel. Il me semble que la numérisation des livres va changer notre rapport à la lecture et à l’écrit. Cet élément est-il pris en compte par les éditeurs ? Si tel est le cas, de quelle manière ? Y a-t-il par ailleurs un travail avec l’éducation nationale pour former le lecteur au numérique ?

M. Michel Françaix. Sommes-nous tous d’accord pour reconnaître que le livre numérique n’est pas une révolution – il y a eu des révolutions plus importantes par le passé, comme le livre de poche – de telle sorte qu’il serait préférable, au lieu de s’affoler et de paniquer, de préparer, dans la durée, une loi équilibrée ?

M. Emmanuel de Rengervé, délégué général du Syndicat national des auteurs et compositeurs. Pour certains, le livre numérique constitue une révolution, pour d’autres, il ne représente qu’une évolution. Pour le moment, pour les auteurs, c’est une évolution incontestable. Cela peut devenir une révolution et c’est pour cette raison qu’il faut fixer les règles dès maintenant. Actuellement on ne sait pas ce qu’est l’œuvre numérique, il s’agit d’une zone de non droit. Le livre numérique ne représente qu’une évolution pour le moment parce qu’il faut reconnaître qu’il n’y a pas de marché, sauf dans quelques secteurs très spécialisés comme celui du livre scientifique et technique. La bande dessinée commence à développer une offre mais elle ne marche pas. Pour l’instant, le livre numérique ne fait donc figure que de produit d’appel pour le livre papier.

Est-il opportun de légiférer aujourd’hui ?

Plusieurs questions ont été abordées : la TVA, le prix unique du livre et les droits d’auteur. Sur les deux premiers points, il y a déjà des initiatives parlementaires, et il est opportun de légiférer.

Sur les droits d’auteur, la situation est moins claire. Le droit d’auteur est d’abord le droit pour les auteurs de vivre de leur métier. La question que l’on doit se poser est de savoir si l’on souhaite encore avoir des auteurs professionnels à échéance de quelques dizaines années ? Si on ne donne pas aux auteurs la possibilité de vivre de ces droits et de l’exploitation de leurs œuvres, alors il faut peut-être envisager un autre système proche du copyright et du salariat, consistant à payer l’auteur uniquement au stade de la création. On abandonnerait alors tout le système des droits d’auteur hérité du siècle des Lumières. On peut tout envisager juridiquement mais il faut se mettre d’accord sur ce que l’on souhaite.

S’agissant des droits d’auteur dans l’univers numérique, les dispositions relatives au contrat d’édition sont actuellement définies par la loi du 3 mars 1957. Le législateur de l’époque n’avait évidemment pas envisagé la diffusion des œuvres écrites en mode numérique. Selon la loi actuelle, le rôle de l’éditeur est de fabriquer des exemplaires. Qu’est-ce que cela signifie dans l’univers numérique ?

La loi parle également de diffusion d’exemplaires, de l’épuisement des œuvres, d’une « exploitation permanente et suivie » du livre physique. Qu’est-ce qu’une « exploitation permanente et suivie » dans le monde numérique ?

La loi dispose également que l’éditeur doit publier l’œuvre dans la forme qui a été définie par son auteur. Qu’est-ce que cela implique dans le monde numérique ? À titre d’exemple, lorsqu’un auteur de bande dessinée fait une planche, il a un concept de création qui implique un sens de lecture particulier. Est-ce que les cessionnaires de droits des œuvres numériques, auront la possibilité de faire comme ils le veulent ? La réponse est non.

Les auteurs se demandent comment des solutions pourront être trouvées en partenariat avec les éditeurs. Ils ne refusent pas ce partenariat car ils ont besoin, pour publier leurs œuvres, des éditeurs avec qui ils souhaitent cependant une véritable négociation. Des discussions ont actuellement lieu entre le Conseil permanent des écrivains (CPE), qui regroupe seize associations professionnelles, et le Syndicat national de l’édition. Elles n’ont pas encore débouché sur une solution satisfaisante. Le ministre de la culture et de la communication a été interrogé par des sénateurs et des députés sur le contrat d’édition et l’évolution du rôle de l’éditeur dans l’univers numérique. Le ministre estime qu’il est prématuré de légiférer, point de vue que nous ne partageons pas, et souhaite donner le temps à la discussion professionnelle de faire évoluer le cadre contractuel collectif des contrats d’édition, afin que soit trouvé un nouvel équilibre dans le respect du concept du droit d’auteur. Nous attendons de voir si les résultats de la négociation seront satisfaisants. À défaut, nous pensons qu’il incombera au législateur de définir des règles équilibrées entre auteurs et éditeurs dans l’univers numérique.

Mme Colette Langlade. Faut-il attendre l’accord des ayants droit pour numériser ce domaine un peu spécifique que représentent les photos et les films d’amateurs ?

M. Xavier Pryen, membre de la direction des éditions L’Harmattan. Nous vivons une véritable mutation sociétale dans la mesure où les gens lisent moins. Les enfants, qui bientôt ne travailleront que sur tablettes et n’auront plus de manuels scolaires, ne sauront plus guère ce que sont les livres. Le livre numérique ne tuera pas le livre papier mais pour les lecteurs, il y aura des glissements et des mutations extrêmement importants.

M. François Gèze, président-directeur général des éditions La Découverte. Les éditeurs scolaires et universitaires sont parmi les plus en pointe dans l’offre de livre numérique. Les éditeurs universitaires ont créé des portails et des outils de recherche très perfectionnés qui facilitent grandement la consultation et la lecture. Les manuels scolaires numériques se développent aussi de façon importante et ils peuvent comporter des compléments : vidéos, quizz, éléments interactifs. En revanche, l’Éducation nationale ne fait absolument pas les efforts nécessaires pour intégrer ces nouveaux outils. Il y a certes un manque de moyens mais surtout une absence absolument dramatique de formation des enseignants à ces nouveaux outils. L’offre existante dans le monde scolaire n’est donc pratiquement pas utilisée. Des établissements scolaires s’abonnent avec des financements des collectivités territoriales mais les ressources ne sont pas utilisées. De même, dans le monde universitaire, l’absence de formation des enseignants est tragique. Il faut acculturer les jeunes à un usage raisonné du numérique et leur donner l’envie de lire des livres numériques. Ce travail est devant nous.

M. Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre. Il ne faudrait pas engager de faux débat entre révolution et évolution. La révolution est du côté de la dématérialisation de l’information, l’évolution est du côté du livre, la lecture constituant une passerelle entre les deux. Notre grand modèle de lecture est hérité du XVIIIe siècle, de l’éducation nationale, de la démocratisation, de l’alphabétisation, la lecture méditative au long cours, en solitaire. Elle est censée construire le for intérieur par l’évasion ou, au contraire, le sens critique, et fonde pour nous une certaine représentation de l’articulation entre le sujet personnel et le sujet « social » - citoyen, civique. Cette lecture-là est menacée. Elle l’est parce que les propositions de livre numérisé faites sur Internet invitent d’une part à une mégamémoire inassimilable d’un point de vue humain, et d’autre part, à une lecture aléatoire rejoignant la lecture « zapping » dominant sur Internet pour d’autres supports que le livre. C’est donc là où l’articulation se révèle difficile, et où le livre numérique constitue une évolution.

L’analogie avec le livre de poche vaut, d’autant plus que s’agissant de la baisse du prix du livre numérisé, le lien entre le livre de poche et le livre numérisé fonctionne à plein. C’est la proximité entre livre de poche et livre numérisé qui ferait que le livre de poche ne souffrirait pas trop du prix plancher du livre numérisé. Cet élément, qui n’a pas été évoqué, est important ; dans le cadre d’une évolution lente et dans l’optique de préserver les métiers, la sauvegarde du livre de poche implique que le prix du livre numérisé soit déterminé aussi par rapport à celui du livre de poche.

On parle souvent du modèle anglo-saxon ou chinois, et pas assez de ce qui se passe en Russie. Aujourd’hui, tous les livres numérisés qui paraissent dans ce pays peuvent être téléchargés gratuitement. Pourquoi ? Parce que les éditeurs en Russie ne paient forfaitairement que le premier tirage ; ils ne rétribuent pas les auteurs sur les tirages suivants, et n’assurent pas d’obligation d’exploitation. De ce fait, il existe un petit marché du livre imprimé qui est sous la maîtrise des éditeurs, à côté duquel les auteurs disposent de la liberté de diffuser leurs œuvres à titre gratuit. Aussi, depuis deux ans, le marché du livre en Russie enregistre-t-il une baisse de 3 % en raison même de cette absence de solidarité entre les auteurs et les éditeurs qui conduit à une double paupérisation. La question que posent les auteurs est donc non seulement une question de principe, sur le statut de l’auteur, mais aussi une question économique. Si un mécanisme de solidarité n’est pas trouvé entre auteurs et éditeurs, les premiers en souffriront immédiatement, mais les seconds finiront par en souffrir également.

M. Pierre Coursières, représentant le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels. Je me placerai d’un point de vue non pas sociétal, mais économique. Dans cette chaîne de valeurs, où se trouvent les auteurs et les éditeurs, il y a aussi les marchands, sur lesquels je souhaiterais mettre l’accent, qui commercialisent et rendent les livres disponibles pour le plus grand nombre. En 1981, la loi Lang a mis les éditeurs au centre de tout le dispositif. Aujourd’hui, en effet, ce sont les éditeurs qui décident des livres qui seront mis sur le marché, de leur prix et de la marge qu’ils accorderont aux différents libraires. Nous ne souhaitons pas remettre en question ce modèle, parce qu’il fonctionne et permet à des distributeurs spécialisés comme nous-mêmes, ou à des libraires indépendants, d’être présents sur le marché et d’assurer une couverture extrêmement large du territoire. Il faut donc rester aujourd’hui dans la logique de la loi Lang, qui, globalement, satisfait tous les participants.

Mais il faut s’assurer que dans la chaîne de valeurs, le libraire n’est pas oublié. Si le libraire ne touche que 5 à 25 % du prix du livre qu’il vend, il sortira de lui-même du marché faute de rentabilité, et les éditeurs se retrouveront alors seuls face à de grands acteurs mondiaux. Ils ne traiteront plus, pour diffuser leurs livres numériques, qu’avec Amazon et Google, ce qui modifiera sensiblement les rapports de force. Nous souhaitons donc, comme nous le faisons aujourd’hui dans le cadre de la loi Lang, rester des acteurs efficaces de la diffusion des livres, au sein d’un modèle qui permet aux éditeurs de profiter d’une mutualisation des circuits de distribution qui fonctionne très bien en matière de livre imprimé.

Je soulignerais en outre un point qui n’a été que très peu abordé. Les distributeurs spécialisés, de même que les libraires indépendants, possèdent aujourd’hui des sites Internet, ainsi que des fichiers clients qui sont extrêmement importants dans cette nouvelle économie. Ces marchands sont d’ores et déjà capables de s’adresser à leurs clients, y compris leurs clients Internet, et de leur proposer avec pertinence des livres numériques. Ne sous-estimons donc pas le marchand dans la chaîne de valeurs et donnons-lui sa quote-part normale et rémunératrice qui lui permet de vivre sur ces marchés naissants.

Enfin, je souhaiterais revenir sur la nécessité absolue de soumettre tous les acteurs aux mêmes règles concernant le prix unique du livre et le taux de la taxe sur la valeur ajoutée. Il est impératif, en particulier, d’imposer les principes contenus dans l’article 3 de la loi Lang non seulement à tous les acteurs présents sur le sol français, mais aussi à tous ceux qui souhaitent vendre aux acheteurs et éditeurs français des livres produits à l’étranger. L’article 3 doit s’appliquer à tous ceux qui désirent jouer un rôle sur notre territoire.

M. Christophe Péralès, directeur du Service commun de documentation de l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines. M. Hervé Gaymard se demandait s’il était opportun de légiférer. S’agissant du maintien de la TVA à 5,5 %, le consensus semble assez large, et quant au prix unique du livre numérique, je me garderai bien de trancher cette question. J’ai été très sensible à l’argumentation de M. Nicolas Georges, mais je souhaiterais souligner plusieurs points délicats à considérer dans le cadre d’une loi sur le prix unique du livre numérique.

Il faut d’abord qu’un modèle unique de commercialisation se dégage de ce texte. On s’est rendu compte, en effet, lors des débats, qu’en mettant en place un prix unique du livre numérique, on risquait de se priver de la possibilité de vendre par catalogues aux bibliothèques. Des modifications ont donc été proposées, qui ne concernent d’ailleurs pour l’instant que les bibliothèques universitaires et non les bibliothèques de lecture publique. Il convient donc de continuer la réflexion sur les modèles économiques possibles pour le livre numérique, en distinguant plusieurs cas.

Ainsi, pour être concret, lorsque l’on veut diffuser sous forme numérique, par exemple, les œuvres complètes d’Yves Bonnefoy ou de Paul Celan, il est possible d’utiliser une procédure qui se diffuse actuellement aux États-Unis, et va être testée en France. Il permet à la bibliothèque offrant la possibilité de téléchargement après accord de l’éditeur, de bénéficier de deux ou trois téléchargements gratuits. Au-delà, le compte de la bibliothèque chez l’éditeur est automatiquement débité, le téléchargement s’effectuant grâce à un accès sur mot de passe, mais sans DRM. Cette procédure ne semble pas aberrante puisque la poésie se vendant mal et étant surtout diffusée grâce aux bibliothèques, il y a peu de risque que les œuvres de ces auteurs soient disséminées sur le net. Au contraire s’il pouvait aider à faire connaître plus largement la poésie, elle n’en serait que plus positive.

Le problème est en revanche radicalement différent dans le cas des manuels. Si les bibliothèques réclament tout à coup la diffusion de manuels électroniques copiables à l’infini sans DRM les éditeurs ne s’y retrouveront pas. En effet, elles mettent les manuels téléchargés à la disposition des étudiants, ceux-ci ne les achèteront plus alors qu’ils en sont les plus gros clients. C’est pourquoi, la solution la plus pertinente pour ce secteur est l’abonnement. Le manuel est considéré comme un ouvrage alors qu’il ressemble en fait davantage à un périodique avec mise à jour régulière comme un manuel de médecine ou de droit comme le Jurisclasseur. Il existe donc plusieurs modèles possibles de commercialisation et il convient d’approfondir cette question afin d’éviter le modèle unique et uniformisant.

Le second point qu’il me semble important de relever est la tendance à établir un trop grand parallèle avec l’univers du livre. La notion de livre homothétique paraît d’ailleurs difficile à cerner et porteuse d’un certain nombre de risques. Ainsi, lorsque le livre est apparu, les premiers incunables « singeaient » les manuscrits médiévaux dans leur typographie et leur mise en page et il me semble que l’on se trouve actuellement dans cette logique lorsque l’on parle du livre. Je dirige un réseau de bibliothèques universitaires qui ont une certaine expérience du numérique puisqu’elles ont développé depuis une vingtaine d’années une offre de périodiques électroniques et j’ai l’impression de voir l’histoire se répéter. Lorsque les livres électroniques sont apparus en 1997 ou 1998, les éditeurs s’opposaient aux fichiers copiables et imprimables et souhaitaient des DRM. Il a fallu plusieurs années pour les convaincre de l’intérêt de travailler sur une offre légale et attractive plutôt que d’essayer de brider un usage, surtout dans le cas d’un nouveau support. Aujourd’hui, les articles de ces bases de données de revues sont téléchargeables, copiables, imprimables et les éditeurs de périodiques électroniques font même de très gros profits. Ces bases de données n’étant à l’origine accessibles qu’à l’intérieur de l’Université, la deuxième étape a consisté à demander aux éditeurs de permettre aux lecteurs de se connecter par mots de passe de l’extérieur de l’Université. Après discussions, les Universités ont finalement mis en place des annuaires pour identifier leurs usagers potentiels. Nous abordons actuellement une troisième phase ; plutôt que d’obliger les utilisateurs à passer par un portail spécifique à chaque éditeur, les éditeurs acceptent peu à peu de livrer les données brutes aux bibliothécaires afin qu’ils les incorporent à un portail unique permettant d’assurer la médiation entre les documents et l’usager. Est ainsi restitué aux bibliothécaires leur rôle de médiation, qui, comme celui des libraires, est essentiel.

L’histoire semble se répéter et les mêmes débats ressurgissent, sur les DRM, sans doute bientôt celui sur l’extension de l’accès, et la manière dont on accède ou pas. Je pense que nous devons tirer profit de l’expérience de vingt années des bibliothèques universitaires en matière de revues numériques. Certes, ces revues ne sont pas des livres électroniques, mais le livre numérique s’en rapproche davantage que de la musique en ligne avec laquelle il est pourtant très souvent mis en parallèle, mais avec laquelle il n’a, pour moi, qu’un lointain rapport.

Il faut donc éviter dans cette loi de « singer » le papier. Il faut bien sûr essayer de conserver certains acquis de l’organisation actuelle de l’économie du livre, tout en ayant conscience que l’on n’est pas exactement dans le même modèle et que certains aspects ne sont pas transposables.

C’est le cas également du prêt numérique. Certains modèles éditoriaux consistent à mettre à la disposition des bibliothèques un catalogue d’œuvres assorti de prêts chronodégradables. Le terme « prêt numérique » est d’ailleurs assez impropre, puisque la bibliothèque ne prête pas ce qu’elle possède, comme pour le papier ; il s’agirait plutôt de location, comme dans des vidéoclubs, mais ce modèle n’est pas très pertinent car il induit de nombreux DRM, des difficultés de téléchargement. L’expérience des bibliothèques qui ont expérimenté le prêt numérique montre que les usagers ne veulent pas de ce modèle.

Je souhaiterais enfin souligner qu’en dehors de la question importante de l’économie de la chaîne du livre, les enjeux sont de deux autres ordres. En ce qui concerne tout d’abord les pratiques de lecture, on constate une érosion du nombre de lecteurs et du nombre des grands lecteurs. Je ne pense pas que ce soit en dressant des barrières multiples que l’on arrivera à favoriser la lecture. Un autre enjeu est l’économie de la connaissance, qui a certes besoin de la protection intellectuelle, de la protection de l’innovation, mais aussi que les œuvres et les idées circulent afin de s’entre-féconder. De même que les progrès de l’alphabétisation dans la deuxième moitié du XIXe siècle ont constitué une condition essentielle de la société industrielle, l’économie de la connaissance ne s’épanouira pas si l’on met trop de freins à la circulation des œuvres et des idées. Il y a donc un point d’équilibre à trouver, le curseur semblant aujourd’hui être plus proche de la propriété intellectuelle. Dans son dernier ouvrage « Apologie du livre », Robert Darnton rappelait que les Pères fondateurs des États-Unis considéraient le droit d’auteur comme une exception légitime et limitée à la liberté d’expression et de communication. La perspective me semble aujourd’hui un peu inversée. Et à cet égard, je me réjouis que l’Europe ait récemment indiqué que l’accès à la formation et à la culture était un droit fondamental. Les bibliothèques qui assurent depuis des siècles la transmission du savoir et son appropriation ne peuvent que souscrire à cette déclaration.

M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française. Nous pensons, et le texte voté par les sénateurs va dans ce sens, que l’éditeur construit l’offre, selon des formules différentes, plus ou moins complexes – notamment, dans le numérique, avec des bouquets, du streaming ou des abonnements –, mais que les canaux de commercialisation, en particulier celui des libraires, doivent pouvoir intervenir. Dans des secteurs comme ceux des publications juridiques et scientifiques ou des revues professionnelles, un modèle de vente directe s’est imposé. Nous n’avons pas les moyens de soumissionner aux appels d’offres, ce qui pose un problème pour les manuels scolaires. Le marché du livre étant ouvert, si un prix unique est institué, tous les acteurs – libraires indépendants, grossistes, grandes surfaces spécialisées – devront être placés sur un pied d’égalité pour pouvoir répondre aux appels d’offres.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Au nom du Président Pierre Lequiller, des rapporteurs, de la Commission des affaires européennes et de la Commission des affaires culturelles, je remercie tous nos invités. En attendant de nous retrouver le 15 février, en séance, pour parler du livre numérique et de son prix, il était très intéressant que nous puissions nous imprégner du sujet.

II.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission examine la présente proposition de loi, adoptée par le Sénat, au cours de sa séance du 2 février 2011.

Mme la présidente Michèle Tabarot. La proposition de loi que nous examinons ce matin a été adoptée par le Sénat en octobre 2010 et a été inscrite, à l’initiative du groupe UMP, à l’ordre du jour de la séance publique du 15 février prochain.

Elle traite d’un sujet auquel nous nous sommes intéressés à plusieurs reprises, notamment lors de la table ronde de la semaine dernière.

M. Hervé Gaymard, rapporteur. Au cours de la présente législature, nous serons plusieurs fois intervenus sur la question du livre : l’année dernière, la proposition de loi que j’avais déposée avec plusieurs collègues pour aménager les délais de paiement entre éditeurs et libraires a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée ; nous nous sommes ensuite préoccupés d’aligner le taux de TVA du livre numérique sur celui, réduit, du livre papier et cette disposition prendra effet le 1er janvier 2012 ; enfin nous examinons ce matin une troisième proposition de loi, relative au prix unique du livre numérique.

Notre planète papier, dans la galaxie Gutenberg, est aujourd’hui percutée par la météorite numérique. Certains brossent des perspectives catastrophistes. Ma conviction, plus pragmatique, est que nous nous acheminons vers une économie « d’estuaire », où papier et numérique se mêlent dans des proportions qui varient selon les genres, comme l’eau et la terre dans un estuaire.

Cette évolution nous renvoie à notre responsabilité : comment légiférer de manière pratique, adaptée et utile ? Aux lois de liberté, encore plus qu’aux autres, il ne faut toucher que d’une main tremblante, spécialement dans un domaine qui s’ouvre à une nouvelle économie.

Lors de nos tables rondes et de nos discussions, il nous est apparu que deux sujets nécessitaient de légiférer : d’une part, l’application du même taux de TVA au livre papier et au livre numérique, d’autre part la possibilité offerte à l’éditeur de fixer le prix du fichier numérique comme celui du livre papier. Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui a fait l’objet d’un processus d’élaboration conjoint entre le Gouvernement, le Sénat et l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un texte consensuel – puisque deux propositions de lois largement cosignées ont été déposées dans les deux assemblées – sous quelques réserves que traduira un petit nombre d’amendements.

M. Marcel Rogemont. Cette proposition de loi résulte en effet d’un travail collectif, de notre Assemblée, comme du Sénat.

Internet, en tant que méta-média, ne s’ajoute pas aux autres mais tend à les absorber. Dès lors, nos approches traditionnelles appellent une réflexion nouvelle, en terme de rupture et non pas seulement d’accompagnement. Dans cet esprit, le texte qui nous est soumis ne constitue qu’une étape, certes un peu défensive mais nécessaire. Dans la mesure où il ne s’agit pas seulement du livre homothétique mais aussi du livre numérique, nous aurons à revenir régulièrement sur le même sujet, lors d’un rendez-vous annuel que prévoit d’ailleurs notre rapporteur.

Nous assistons par ailleurs à une modification profonde de l’environnement des œuvres culturelles. Dans le système actuel, les contenus ne sont plus rémunérés à leur juste mesure et un nombre restreint de grandes sociétés tend à accaparer la totalité de leur valeur ajoutée. Nous devons donc réfléchir aux perspectives de sa redistribution.

C’est dans cet esprit que le groupe socialiste aborde cette discussion, conscient que notre monde est en pleine évolution et qu’il nous faut, étape par étape, travailler à la préservation et à la valorisation des contenus, ce qui constitue une des missions de notre Commission. Nous avons donc déposé quelques amendements qui visent à conforter le texte dans ce sens mais qui ne remettent nullement en cause le travail de notre rapporteur, que je qualifierai d’intellectuellement élégant.

Mme Marie-George Buffet. Cette proposition de loi poursuit un objectif légitime. On se souvient des incidences sur le prix unique du livre de la loi de 1981, qui avait permis de maintenir la diversité de l’édition, la qualité de son offre et le maillage des librairies sur l’ensemble du territoire.

L’apport vertueux de cette proposition de loi dans le cadre du marché du livre numérique consiste à empêcher les géants commerciaux de s’emparer de cette offre nouvelle dans le seul but de dégager des profits, risquant ainsi de réduire la qualité comme la diversité de l’offre culturelle numérique. Nous jouons donc notre rôle en faisant en sorte que le droit définisse les règles de la concurrence et s’interpose là où les intérêts financiers des grandes entreprises tendraient à abolir toutes les barrières.

Il nous faut cependant nous montrer lucides : il s’agit d’une loi datée et nous devrons nous interroger ensuite plus directement sur la création numérique elle-même, qui pose d’autres problèmes, concernant notamment les auteurs. Mais, pour l’immédiat, nous disposerons d’un outil permettant d’exercer une certaine régulation.

Je m’interroge toutefois sur l’article 2, qui prévoit que le prix du livre numérique « peut différer en fonction du contenu de l’offre, de ses modalités d’accès ou d’usage. » La marge de manœuvre ainsi donnée aux grands opérateurs sur internet me semble un peu large.

M. Christian Kert. Je remercie notre rapporteur d’avoir adopté une démarche collective, comme nous devrions systématiquement le faire dans des domaines aussi nouveaux. Ce travail pourrait ainsi servir de pilote et d’expérimentation pour toute notre réflexion sur le développement du numérique et d’internet, sachant que plusieurs problèmes se posent en matière de publicité et de nature de l’information diffusée.

Notre Commission doit se donner pour mission de continuer à veiller à l’équilibre entre l’écrit, le numérique et les documents en ligne. Il s’agit d’accompagner les mutations affectant les modes de consommation de la lecture tout en s’attachant à faire respecter les supports traditionnels, conformément à la grande tradition française de l’écrit. Cet exemple montre comment nous pouvons essayer de normaliser les flux en adoptant une vision globale du nouveau panorama de l’écrit.

M. Lionel Tardy. J’interviens en tant que membre de la Commission des affaires économiques, ce qui explique que ma vision diffère quelque peu de la vôtre.

Je comprends bien que ce texte vise à préserver la solidité économique de l’édition française afin que nous continuions à bénéficier d’une production riche et variée. Je souscris à cet objectif, mais les moyens choisis me laissent dubitatif.

Sur le plan technique, plusieurs points sont à revoir afin de rendre applicable un texte qui ne traite pas de culture mais d’économie puisqu’il propose de réglementer les relations entre les fournisseurs, les éditeurs et les distributeurs en dérogeant aux lois de la libre concurrence. Certes, on justifie ces dérogations par la défense de l’exception culturelle, mais cet argument semble bien fragile, même si j’en comprends la logique politique.

Ce texte arrive trop tôt car les modèles économiques et technologiques ne sont pas encore stabilisés. Chaque constructeur de tablettes fonctionne différemment, notamment quant aux conditions commerciales proposées aux utilisateurs. L’avis de l’Autorité de la concurrence, de décembre 2009, conserve toute sa pertinence à ce sujet.

En revanche, la question du niveau, quantitatif et qualitatif, de l’offre légale n’est pas abordée. Il faudrait pourtant agir maintenant, avant que le piratage ne prenne une trop grande ampleur. Je regrette que le consommateur soit le grand absent de ce texte.

À sa lecture, comme à l’écoute de tout ce qui a été dit, en particulier lors des tables rondes, je ressens un profond problème vis-à-vis des réalités et des potentialités du numérique.

Le texte qu’on nous propose n’est rien d’autre qu’un « copié collé », une extension au numérique de la loi Lang de 1981. Or vouloir transposer au numérique les règles existantes ne peut conduire qu’à une impasse. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’observer les résultats obtenus par les autres industries culturelles depuis dix ans. Le monde de l’édition ne parvient pas à abandonner ses vieux schémas de pensée et à tout remettre en cause pour entrer pleinement dans l’ère numérique. Or c’est maintenant qu’il lui faudrait se lancer, avant que d’autres ne prennent la place, non seulement dans la distribution mais aussi dans l’édition elle-même.

Mme Martine Martinel. Pour ma part, je me réjouis de ce texte qui prolonge heureusement la loi Lang sur le prix unique du livre. Mais il faudra aussi étudier rapidement les dispositifs à mettre en place contre le piratage éditorial et contre les plateformes de vente qui, situées hors de France, se soustraient à toute obligation légale.

Mme Monique Boulestin. Nous parlons ici de culture et d’accès à la culture pour tous, en ouvrant au plus grand nombre la possibilité de partager des écrits, sous forme papier comme sous forme numérique. Lors de la dernière table ronde, il a bien été indiqué que nous devions fixer le cadre de l’utilisation du livre homothétique qui, selon la définition qu’on en donne aujourd’hui, concerne la reproduction à l’identique de l’information contenue dans le livre imprimé, tout en admettant certains enrichissements tels que le moteur de recherche interne. À ce stade, nous n’allons pas plus loin.

La table ronde de la semaine dernière nous a aussi permis de prendre en compte certaines inquiétudes qui se manifestent dans la chaîne du livre. Nous nous apprêtons donc à enrichir encore ce texte par certains amendements, tels que ceux relatifs à l’accès à réserver aux bibliothèques publiques et aux droits d’auteurs, même si le Sénat a levé toute ambiguïté en précisant qu’on visait le livre sous sa forme électronique et non le commerce électronique des livres. Il nous faudra peut-être cependant revenir sur la question de la cession des droits d’auteur compte tenu de ce que sera l’évolution du marché.

M. le rapporteur. J’assume la conception législative minimaliste de la proposition de loi. C’est notamment pourquoi, à l’article 7, je proposerai de formaliser de façon un peu plus précise le rendez-vous législatif annuel qui servira à observer comment les choses évoluent. Je comprends les arguments de fonds à l’appui de certains des amendements déposés, mais il me paraît souvent prématuré de rigidifier un certain nombre de points.

Nous légiférons dans le champ culturel et pas seulement économique. On sait que, sur de tels sujets, deux conceptions se font traditionnellement face. Mais, comme beaucoup de commissaires, je participe d’une démarche de sauvegarde de la création culturelle, de défense de sa rémunération et de soutien de sa diversité.

Je suis en revanche en accord avec M. Lionel Tardy quant à la nécessité de développer l’offre légale. Mais, pour cela, il faut que les conditions légales soient réunies. Deux nous sont apparues indispensables : le taux unique de TVA et le principe selon lequel il revient à l’éditeur de fixer le prix du fichier numérique homothétique.

En face d’une économie en construction – du moins en France –, un certain nombre de repères et de lignes de force sont nécessaires pour que les éditeurs s’investissent davantage, que les libraires se mobilisent autour de leur nouveau rôle et que tous les acteurs de la chaîne du livre, notamment les auteurs, dont on ne parle pas assez, voient leur statut sécurisé.

Aujourd’hui embryonnaire en France et en Allemagne, le marché du livre numérique est un peu plus développé au Royaume-Uni depuis six mois et beaucoup plus aux États-Unis, les statistiques des derniers trimestres montrant qu’il approche là-bas les 10 % de part de marché.

Dans ce dernier pays, aucune règle n’existe pour le livre papier : les vendeurs arrêtent les prix qu’ils souhaitent, avec des discounts parfois très substantiels, bien évidemment sur les blocksbusters. Les prix de la littérature de création et de sciences humaines sont beaucoup plus élevés que les autres. Il en allait de même pour les fichiers numériques jusqu’à ce qu’un bras de fer très intéressant oppose l’année dernière les éditeurs et les distributeurs numériques. Certains distributeurs voulaient imposer leurs prix aux éditeurs, avec des prix d’achat des fichiers numériques ne correspondant pas à la rémunération de la création. Les éditeurs ont finalement remporté la partie grâce à cet outil juridique qu’est le contrat de mandat. De sorte que les parts de marché du livre numérique aux États-Unis ont beaucoup évolué : tel grand distributeur qui détenait 85 % du marché au début de 2010 n’en détenait plus que 50 % à la fin de l’année. De nouveaux entrants sont apparus à la faveur du contrat de mandat. Ainsi, dans ce pays, le marché du livre numérique se trouve davantage régulé que celui du livre imprimé. Cette expérience doit nous conforter dans notre volonté d’adopter un certain nombre de dispositions législatives, aujourd’hui minimalistes, mais assorties de l’exigence d’un rendez-vous annuel permettant de suivre l’évolution du marché comme de tenir compte des intérêts de la création.

III.- EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Définition du livre numérique et périmètre d’application de la loi

L’article 1er de la proposition de loi propose une définition circonscrite des livres numériques dont le prix de vente sera régi par les dispositions de la présente proposition de loi. En effet, « la définition du livre numérique est un préalable nécessaire pour répondre aux questions de fiscalité et de maîtrise des prix » (15).

En l’état actuel du droit, la seule définition légale du livre est une définition fiscale, issue à l’origine de l’instruction n° 3 C-14-71 du 30 décembre 1971. Cette définition fiscale a clairement été construite en France pour l’édition papier. En effet, selon la doctrine fiscale, « un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d’une œuvre de l’esprit d’un ou plusieurs auteurs en vue de l’enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture » (16). La notion d’imprimé y est donc centrale.

Pour autant, la définition fiscale du livre a déjà connu des évolutions favorables à l’inclusion de nouveaux types d’ouvrages. Ainsi, l’instruction du 12 mai 2005 a étendu le champ d’application du taux réduit de TVA à un certain nombre de produits éditoriaux qui en étaient jusque-là exclus : les cartes et atlas géographiques, les annuaires dits « éditoriaux », les recueils de photographies, les guides d’hôtels-restaurants, les albums de coloriage pour enfants, etc. Cette évolution a consacré une nouvelle notion, celle de l’« apport éditorial » : à défaut ou en cas d’insuffisance de contenu écrit, ce nouveau critère impose désormais de prendre en compte le travail de l’éditeur pour apprécier si une publication peut ou non être fiscalement considérée comme un livre.

Selon l’instruction fiscale du 12 mai 2005, « pour être considéré comme un livre, un ouvrage doit remplir les conditions cumulatives suivantes :

« – l’ouvrage doit être constitué d’éléments imprimés. Les éléments audiovisuels ou numériques (cassette audio, compact disc musical, DVD, diapositives, etc.) demeurent passibles du taux qui leur est propre ;

« – l’ouvrage doit reproduire une œuvre de l’esprit ; en pratique, l’ouvrage doit comporter une partie rédactionnelle suffisante permettant de conférer à l’ensemble le caractère d’une œuvre intellectuelle ;

« – en outre, l’ouvrage ne doit pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué, c’est-à-dire être principalement destiné à informer un public de l’existence et des qualités d’un produit ou d’un service, avec ou sans indication de prix, dans le but d’en augmenter les ventes ou de promouvoir l’image d’un annonceur ;

« – enfin, l’ouvrage ne doit pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur » (17).

De même, l’évolution en cours au sein de l’Union européenne est très intéressante puisqu’elle autorise les États-membres à appliquer un taux réduit de TVA au livre « sur tout type de support physique », alors que dans l’état actuel de la législation nationale, seuls les livres imprimés peuvent faire l’objet de taux réduits. Peuvent donc potentiellement être concernés tous les livres, quel que soit le support de fourniture : papier, disques compacts, cédéroms, clés USB. Un rescrit fiscal français du 15 septembre 2010 est beaucoup plus circonscrit puisqu’il prévoit que seuls les livres audio « qui s’entendent comme des ouvrages dont la lecture à haute voix a été enregistrée sur un disque compact, un cédérom ou tout autre support physique similaire et dont le contenu reproduit, pour l’essentiel, la même information textuelle que celle contenue dans les livres imprimés » peuvent bénéficier du taux réduit de TVA.

L’article 1er de la proposition de loi propose une définition légale du livre numérique « homothétique », évoqué dans de nombreux rapports et par le Président de la République lors de ses vœux au monde de la culture en janvier 2010. Cette notion constitue le périmètre d’application de la présente proposition de loi.

En effet, la proposition de loi intervient dans un contexte de marché encore embryonnaire (18). Le présent texte n’a donc pas pour ambition de réglementer le prix de l’ensemble des livres numériques. Comme le rapporteur l’indiquait dans son rapport précité à la ministre de la culture, « le livre numérique recouvre des formats et des logiques extrêmement différents, dont certains sont encore à imaginer ». Il faut ainsi distinguer le livre numérisé – périmètre retenu par l’Autorité de la concurrence – du livre « homothétique » – proposition du rapport « Création et internet » – qui correspond peu ou prou au livre « réversible » avec éléments accessoires strictement qualitatifs (moteur de recherche interne, variations typographiques, etc.), sans oublier le livre réversible avec éléments accessoires, mais avec une définition quantitative de l’accessoire, une interview filmée de l’auteur étant par exemple accessoire par rapport à l’œuvre principale.

Le livre numérique le plus évident à conceptualiser est le livre « fac-similé » réalisé à partir d’une édition papier, copie numérique d’un livre papier préexistant. Mais « il existe d’ores et déjà des cas où l’œuvre numérique préexiste à l’édition papier et, dans ce cas, c’est l’édition papier qui constitue la copie de l’édition numérique » (19). C’est notamment le cas pour l’édition à la demande ou lorsque certaines maisons d’édition ne publient une version papier d’un livre que lorsque son succès numérique laisse espérer des ventes importantes.

Ces deux types de livres numériques entrent clairement dans le périmètre d’application de la proposition de loi.

À l’inverse, certains livres numériques mêlent écriture, images fixes ou animées, sons, liens internet, etc. et d’autres résultent d’un processus participatif entre auteur et lecteur. « La définition de tels objets devient délicate et on peut même se demander si, dans certains cas, il faudra encore parler de livres » (20).

C’est la raison pour laquelle le premier alinéa de l’article 1er pose clairement un principe de réversibilité : pour se voir appliquer les dispositions de la présente proposition de loi, les livres numériques devront soit être déjà imprimés soit être imprimables, sans perte significative d’information, les éléments précédemment évoqués propres à l’édition numérique, qu’ils soient ajoutés ou préexistants, devant donc rester accessoires par rapport au contenu imprimé ou imprimable.

Ce principe de réversibilité est plus large que celui retenu par l’Autorité de la concurrence dans son avis 09-A-56 du 18 décembre 2009 portant sur le livre numérique. En effet, l’Autorité de la concurrence parlait uniquement de livre « numérisé ». Comme les sénateurs, le rapporteur estime qu’il convient également de prévoir le cas des livres initialement publiés sous forme numérique mais pouvant être imprimés. Pour autant, la solution retenue est conforme à l’esprit de ce que proposait l’Autorité de la concurrence puisque cette dernière indiquait dans son avis qu’une « solution temporaire pourrait consister dans un premier temps à n’appliquer le texte qu’au livre numérisé, assorti le cas échéant de fonctionnalités supplémentaires permises par le support numérique. En effet, à ce jour, la très grande majorité des livres numériques proposés à la vente ou offerts gratuitement ne consiste qu’en une simple numérisation d’un livre papier avec, selon le cas, quelques enrichissements tels que des liens hypertexte, des recherches plein texte, qui ne dénaturent en rien l’œuvre initiale. Une définition d’un tel contenu serait alors plus aisée et permettrait d’éviter que deux systèmes de prix, l’un imposé l’autre libre, coexistent pour un même contenu et ne conduisent à une éventuelle « cannibalisation » du livre papier par le livre numérique. L’éditeur resterait libre d’adopter des prix différents pour le livre papier et le livre numérisé ».

La position du Gouvernement, portée par le ministre de la culture devant le Sénat, prend en compte cette nécessaire restriction du champ d’application de la loi par rapport au vaste champ des possibles que recouvre l’expression de « livre numérique ». En revanche, s’agissant de la définition de l’accessoire, le curseur n’est pas vraiment figé entre l’accessoire « qualitatif » et l’accessoire « quantitatif ».

Pour le moment, selon les informations transmises par le ministère de la culture, les positions des professionnels sont les suivantes :

– Le Syndicat de la librairie française serait favorable à la définition la plus large du livre numérique ;

– Le Syndicat national de l’édition n’a pas de position univoque : les éditeurs littéraires souhaiteraient un champ large, notamment en raison de la possibilité de contourner facilement la loi par une modification marginale d’un livre numérique. Certains opérateurs pourraient ainsi faire pression pour se faire vendre des livres échappant au champ d’application de la loi et pouvoir ainsi les brader. La majorité des éditeurs scolaires, en revanche, semblent souhaiter un champ restreint pour ne pas être soumis aux dispositions de la proposition de loi.

Toutes les « formes numériques » de commercialisation sont visées par l’article 1er, tant les livres numériques commercialisés en ligne que ceux fixés sur un support (disque compact, clé USB, etc.).

Tout comme le livre papier, le livre numérique devra par ailleurs être une œuvre de l’esprit, c’est-à-dire une œuvre de création, bénéficiant à ce titre des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives aux droits d’auteur. De la même façon, il pourra s’agir de l’œuvre d’un ou plusieurs auteurs, ce qui permet d’inclure dans le périmètre d’application de la proposition de loi les œuvres collectives régies par le troisième alinéa de l’article L. 113-2 et par l’article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle (dictionnaires, livres illustrés, certaines bandes dessinées, etc.).

En séance publique au Sénat, la Commission de la culture s’en remettant à la sagesse de la Haute Assemblée, le Gouvernement a fait adopter un amendement de rédaction globale de cette disposition, pour des raisons de clarification rédactionnelle, estimant qu’il convenait de préciser que la proposition de loi « ne s’applique au livre numérique que dans le cas où celui-ci est homothétique », selon les termes employés par M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.

L’article premier prévoit ensuite qu’un décret précisera les caractéristiques des livres entrant dans le périmètre d’application de la proposition de loi. Comme le soulignait la rapporteure du Sénat, ce décret devra par ailleurs « préciser la nature et la portée des éléments accessoires propres à l’édition numérique qui peuvent compléter l’œuvre principale dans sa version numérique » – variations typographiques et de composition, modalités d’accès aux illustrations et au texte, moteur de recherche associé, modalités de défilement ou de feuilletage des éléments contenus, ajouts textuels ou graphiques – et préciser où sera placé le « curseur » de la définition de l’accessoire, entre l’accessoire « qualitatif » et l’accessoire « quantitatif ».

*

La Commission examine l’amendement AC 1 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je souhaite mettre l’accent sur la nécessité d’abandonner les cadres du livre papier pour entrer dans le numérique. Sur internet, il n’existe pas de livre mais des fichiers informatiques avec des contenus intellectuels. Ils peuvent prendre des formes très diverses en fonction des logiciels utilisés. Si l’on se limite au livre dit homothétique, quels critères retiendra-t-on : le format informatique, le choix de la typographie ou de la mise en page ? Pour édicter un régime particulier, il faut clairement définir l’objet auquel ce régime doit s’appliquer, assorti de frontières évidentes. Pour le livre imprimé, il s’agit d’un ensemble de feuilles de papier, imprimées et reliées pour en faire un objet, que l’on ne peut ainsi confondre avec un autre. En revanche, j’ignore ce qu’est un livre numérique et plus encore où se situent ses limites. La notion de ressemblance avec le livre papier me semble floue donc peu opérante.

M. le rapporteur. Je ne suis pas favorable à cet amendement. La proposition de loi porte sur le livre numérique homothétique, c’est-à-dire sur un support qui a toutes les caractéristiques du livre, que l’on peut lire et feuilleter sur un liseur exactement comme on lit un livre imprimé. Le livre numérique est soit un livre dont le fichier princeps est un livre papier scanné et numérisé, l’ouvrage étant paru à une époque où le numérique n’existait pas, soit un livre contemporain dont le fichier princeps est, dès l’origine, numérique.

C’est pourquoi, il faut se limiter au livre numérique homothétique, suivant en cela la préconisation du rapport remis en janvier 2010 par MM. Cerutti, Zelnik et Toubon sur la création à l’heure d’internet.

La proposition de loi renvoie en outre à un décret en cours d’élaboration car, pour certaines catégories de livres, notamment les livres scolaires, des éléments sont à préciser mais ne relèvent pas du domaine législatif. Nous avons obtenu du ministère de la culture l’engagement qu’il saisira notre Commission du projet de décret, qui devrait être prêt après que la proposition de loi aura été discutée au Sénat en deuxième lecture.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AC 12 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement AC 2 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je défendrai également l’amendement AC 3.

Nous abordons ici la question des limites et des frontières du livre numérique. Je souhaite que l’on précise mieux ce qu’on entend par les « éléments accessoires propres à l’édition numérique » et, plus globalement, quelles sont les caractéristiques des livres entrant dans le champ de la loi. Cette définition est au cœur du dispositif. Alors qu’on fixe le régime du livre numérique, on ne saurait en laisser la définition exacte à un décret. Il conviendrait de préciser certains termes. L’édition numérique recouvre-t-elle l’ensemble des contenus faisant l’objet d’un traitement de texte et d’une mise en page ? De plus, le renvoi à un décret diffère l’application de la loi puisque sans lui, il sera impossible de savoir qui a droit au régime dérogatoire au prix unique. Quand le décret sera-t-il prêt ?

M. le rapporteur. Avis défavorable. Dans l’univers mouvant qui se dessine, une distinction fondamentale apparaît entre le livre numérique, dont le fichier princeps est sur papier ou bien numérique, et ce que, faute de mieux, j’appellerai « l’objet culturel numérique » qui sera un nouveau vecteur de création, combinant des éléments écrits, des sons, des images fixes ou animées, des liens par internet et même des « œuvres collaboratives ». Celui-ci n’entre pas dans le champ de la loi. Le livre numérique dont nous traitons s’entend dans sa définition restrictive, y compris avec un moteur de recherche interne qui n’en représente que l’accessoire.

De même, si lui est annexé un entretien vidéo avec l’auteur, tel un bonus au sens où on l’entend pour un DVD, on reste dans le cadre du livre numérique.

Le ministère de la culture nous a assuré que le projet de décret, en cours de préparation et faisant pour cela l’objet de concertations professionnelles, serait prêt au mois de mars. Notre Commission aura alors l’occasion d’en prendre connaissance.

La Commission rejette l’amendement AC 2.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AC 13 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AC 3 de M. Lionel Tardy.

Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.

Article 2

Fixation du prix de vente par l’éditeur

L’article 2 de la proposition de loi pose le principe de la fixation par l’éditeur du prix de vente au détail des livres numériques.

En l’état actuel du droit, s’agissant des livres papier, le premier alinéa de l’article 1er de la loi du 10 août 1981 dispose que toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer pour ces livres un prix de vente au public. Le deuxième alinéa de l’article 1er de la loi précise par ailleurs que ce prix doit être porté à la connaissance du public.

En droit communautaire, la vente de fichier par voie électronique, et donc de livres numériques, est considérée comme une prestation de services et non comme une livraison de biens, selon les termes des articles 24 et 56 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA. Or la vente à perte n’est pas interdite pour ce type de prestation, d’où l’importance que l’éditeur fixe le prix de vente au public.

Le premier alinéa de l’article 2 de la proposition de loi reprend donc les dispositions de la loi de 1981 pour le livre numérique en prévoyant que toute personne qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public.

Le terme « édite » ici retenu est large puisqu’il vise tout type d’édition, au-delà de la définition présente à l’article L. 132-1 du code de la propriété intellectuelle. Le champ d’application de la proposition de loi s’étend par conséquent aux livres qui ne sont pas strictement édités dans le cadre d’un contrat d’édition. Sont donc concernés par le dispositif les livres autoédités, les livres édités à compte d’auteur, ainsi que potentiellement les livres édités sous contrat de compte à demi tel que prévu à l’article L. 132-3 du code de la propriété intellectuelle. Dans le contrat de compte à demi, l’éditeur assure les frais de la publication mais les bénéfices et les pertes sont partagés avec l’auteur. Dans la mesure où il n’y a pas de cession du droit d’auteur, ce contrat, qui n’est pas courant dans le secteur de l’édition de livres, n’est pas soumis aux règles du code de la propriété intellectuelle mais régi par l’article 1871 du code civil relatif à la société en participation.

• Application des dispositions de l’article 2 à toute personne qui diffuse des livres numériques en France

Dans sa rédaction initiale, le premier alinéa de l’article 2 prévoyait que seuls les éditeurs établis en France étaient assujettis à cette obligation. Ce principe d’établissement en France visait à restreindre le champ d’application de la loi au territoire national dans le respect du droit communautaire. On considère généralement qu’une entreprise est établie en France si elle dispose d’une infrastructure pour exercer cette activité sur le territoire national et si sa participation à la vie économique de la France a un caractère stable et continu.

À l’inverse, dans la rédaction initiale de la proposition de loi, était visé l’ensemble de la diffusion commerciale de l’éditeur, et non pas uniquement les livres numériques diffusés en France.

Or, dans la rédaction telle qu’adoptée par les sénateurs, toute personne, même non établie en France, est soumise à l’obligation de fixer un prix de vente au public. Mais seuls les livres numériques diffusés en France sont assujettis à l’obligation, l’éditeur restant libre de fixer son prix de vente à l’étranger.

Cette modification, adoptée à l’unanimité à l’initiative de M. Jean-Pierre Leleux en séance publique est d’importance, tout comme celle proposée par le même auteur à l’article 3, qui crée une clause d’extraterritorialité.

Comme le rappelait M. Leleux, elle se fonde sur l’objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique prévu par le droit communautaire, notamment à l’article 167 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui dispose que « l’Union contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun. L’action de l’Union vise à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines suivants : […] la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l’audiovisuel. […] L’Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures ». C’est dans ce cadre que l’article 1er de la directive n° 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite directive sur le commerce électronique, prévoit que ses dispositions « ne porte pas atteinte aux mesures prises au niveau communautaire ou au niveau national, dans le respect du droit communautaire, pour promouvoir la diversité culturelle et linguistique et assurer la défense du pluralisme ». La directive « Services » énonce le même objectif dans des termes quasi identiques.

La rapporteure de la Commission de la culture du Sénat a émis un avis favorable sur cet amendement et le ministre de la culture, « extrêmement sensible aux arguments qui ont été mis en avant », a déclaré quant à lui partager « l’esprit qui anime ses propositions et mesure[r] leur très fort enjeu politique ». Considérant qu’il constituait « un signe politique fort adressé aux autorités européennes », il s’en est remis à la sagesse des sénateurs.

Par ailleurs, à la demande de la rapporteure du Sénat et en application de la procédure de notification prévue par la directive européenne 98/34 sur le commerce électronique, le ministre a sollicité la Commission européenne afin que celle-ci précise son interprétation de la clause de diversité culturelle qui figure dans le Traité et les directives précitées. La notification a été adressée à la Commission le 7 novembre 2010. La Commission, en retour, a consulté l’ensemble des États-membres et rendu un avis circonstancié le 31 janvier dernier.


• Fixation du prix de vente au public pour les offres à l’unité ou groupées

Le premier alinéa de l’article 2 de la proposition de loi précise par ailleurs que le prix ainsi fixé par l’éditeur est un « prix de vente au public », c’est-à-dire le prix de vente payé par le consommateur final – personne physique ou collectivité – comme c’était le cas pour le livre papier.

Rappelons qu’en l’état actuel du droit, les conditions de vente de livres papier aux collectivités sont régies de manière dérogatoire par l’article 3 de la loi du 10 août 1981 qui autorise des rabais, plafonnés à 9 % depuis la loi du 18 juin 2003 relative au droit de prêt, pour les ventes consenties à l’État, aux collectivités territoriales, aux établissements d’enseignement, de formation professionnelle ou de recherche, aux syndicats représentatifs, aux comités d’entreprise, ainsi qu’aux bibliothèques. Ces dispositions ont été envisagées à un moment où il était indispensable de soutenir le développement de la lecture publique en France.

Par ailleurs les ventes de livres scolaires imprimés constituent une exception strictement encadrée au prix unique du livre puisque leur prix peut être fixé librement dès lors que l’achat est effectué par une association facilitant l’acquisition de livres scolaires par ses membres, ou pour leurs besoins propres excluant la revente par l’État, une collectivité territoriale ou un établissement d’enseignement.

Le cas des manuels scolaires numériques

Si le manuel est « homothétique », c’est-à-dire s’il entre dans la définition proposée par l’article premier, que viendra préciser un décret, et s’il est vendu au consommateur final pour un usage non collectif, l’éditeur sera tenu de fixer un prix unique, selon les termes du premier alinéa de l’article 2 de la proposition de loi.

Si le manuel est enrichi de contenus multimédias ou associé à des services, il devrait alors entrer dans la dérogation prévue par le deuxième alinéa de l’article 2. À l’heure actuelle, les manuels scolaires numériques sont notamment accessibles sur deux plateformes contrôlées par les groupes Hachette et Editis, via un système informatique de connexions simultanées et de tarification aux nombres d’accès, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les éditions scientifiques ou techniques.

La disposition vise cependant uniquement la « diffusion commerciale » de livres numériques, à l’exclusion de toute diffusion gratuite ou sans visée commerciale (publications universitaires, éditions critiques produites par une bibliothèque etc.). Cette précision n’existait pas à l’article 1er de la loi de 1981 mais il a été jugé utile de l’ajouter ici, eu égard à « la multiplicité déjà observée des modes de diffusion gratuits de textes sur l’internet (travaux de chercheurs, littérature « grise » etc.) », selon les termes de la rapporteure du Sénat.

Enfin, un amendement de la rapporteure adopté par la Commission de la culture du Sénat précise que ce principe de fixation du prix par l’éditeur s’applique « pour tout type d’offre à l’unité ou groupée ». Cette disposition figurait initialement, dans une rédaction différente, à l’article 3 de la proposition de loi.

L’article 3 disposait en effet initialement que « les offres groupées de livres numériques, en location ou par abonnement, peuvent être autorisées par l’éditeur » au terme « d’un délai suivant la première mise en vente sous forme numérique ». Comme la rapporteure du Sénat, le rapporteur estime qu’il convient d’éviter que des offres groupées, qui pourraient être proposées par différents types d’acteurs, y compris des opérateurs internet ou des opérateurs de télécommunications, ne viennent vider de sa substance le dispositif proposé par la présente proposition de loi.

Pour autant, si l’instauration d’une chronologie des médias consistant pour les éditeurs à ne pouvoir autoriser les offres groupées de livres numériques qu’au terme d’un délai suivant la première mise en vente sous forme numérique, telle qu’initialement prévue, avait été envisagée dans le but de préserver la diversité des différents réseaux de distribution assurant la commercialisation des nouveautés, cette disposition posait des problèmes en droit de la concurrence dans la mesure où non seulement les offres groupées ne pouvaient être constituées avant un certain délai, mais en outre elles pouvaient être purement et simplement interdites par l’éditeur. Cette disposition laissait donc aux éditeurs, plutôt qu’au jeu normal du marché, le choix de favoriser ou au contraire de bloquer le développement d’une offre de livres par abonnement. Enfin, la Commission européenne considère de son côté que la mise en place d’un intervalle entre la première publication et l’inclusion d’un livre numérique dans une offre groupée peut créer des obstacles aux échanges intracommunautaires des services. Un consensus s’est donc dégagé, partagé par les professionnels, pour écarter cette disposition.

• Publicité du prix

Le premier alinéa de l’article 2 de la proposition de loi pose également une obligation de publicité du prix, dans la même logique que celle prévalant pour la loi du 10 août 1981. Les modalités qui s’imposeront aux éditeurs pour le marquage des prix seront définies par décret.


• Variation du prix

Le deuxième alinéa de l’article 2 de la proposition de loi prévoit que le prix de vente au public peut différer en fonction de trois critères : le contenu de l’offre, ses modalités d’accès et ses modalités d’usage.

Il s’agit ici de prendre en compte le caractère hybride de l’offre de vente de livre numérique, qui inclut certes le livre lui-même, mais aussi des services associés à ce contenu qui viennent en préciser l’accès et l’usage (logiciel de lecture, mesures techniques de protection, possibilité de copie, etc.). Comme l’indiquait la rapporteure du Sénat, « le prix d’une œuvre donnée peut donc varier en fonction de l’un de ces paramètres, le couple contenus/services définissant une offre ».

Pour ne prendre que quelques exemples, s’agissant du contenu de l’offre, un livre n’aura pas le même prix s’il est vendu à l’unité ou dans le cadre d’une offre groupée. Les modèles de prix des offres groupées ne sont pas établis a priori et relèveront de la gestion des ayants droit. Les offres groupées panachant des titres de divers éditeurs seront par ailleurs possibles dès lors que ceux-ci s’accordent entre eux. La rémunération des auteurs dans le cadre de la commercialisation d’accès à des offres groupées est rendue possible par une comptabilisation des utilisations qui sont faites des différents livres inclus dans l’offre. Des modèles de cette nature existent déjà dans le monde anglo-saxon.

S’agissant des modalités d’accès à l’offre, un livre numérique peut être consultable en ligne ou téléchargeable. Là encore, le prix peut varier en fonction du service proposé. Enfin, s’agissant des modalités d’usage de l’offre, un livre numérique peut être plus ou moins protégé par des mesures techniques de protection (ou « DRM »), permettant la réalisation de plus ou moins de copies privées à partir d’un fichier. Encore une fois, dans ce cas, le prix pourra différer.

Rappelons qu’il existe plusieurs types de mesures techniques de protection (ou « DRM ») :

– soit aucune mesure technique n’est adossée au fichier. Dans ce cas, le fichier peut être copié et disséminé à l’infini. Le risque de piratage est élevé en cas de vente de fichier en téléchargement, mais cette solution convient à la vente de livres numériques en accès distant ;

– soit une mesure technique de traçabilité est associée au fichier (« watermarking » ou « fingerprinting »). L’effet est en général dissuasif puisque la personne à l’origine de la dissémination ou du piratage peut être identifiée ;

– soit une mesure technique limitant les utilisations est associée au fichier. Le lecteur ne peut effectuer qu’un nombre limité de copies du fichier, d’impressions de pages, de « copier-coller » dans le texte, etc. C’est le dispositif le plus sécurisant contre la dissémination mais il frustre considérablement les lecteurs et il peut être aisément contourné.

Selon les informations communiquées par le ministère de la culture, actuellement, l’entreprise Adobe a un quasi monopole sur les mesures techniques de protection de la troisième catégorie pour le livre. Cette situation cause des difficultés en aval de la chaîne (les protections d’Adobe ne sont pas forcément lisibles par toutes les machines). En outre, ces mesures techniques renchérissent le prix de vente. Dans un contexte de développement de l’internet mobile, les éditeurs, comme tous les acteurs des industries culturelles, s’orientent donc plutôt vers une stratégie de développement du « cloud computing » et donc vers l’abandon, à terme, des mesures techniques de protection de la troisième catégorie.

• Le cas spécifique de certains types d’offres à usage collectif ou professionnel

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait que les dispositions du premier alinéa de l’article 2 – c’est-à-dire le fait que l’éditeur fixe le prix public du livre – ne s’appliquaient pas aux « licences d’accès aux bases de données ou aux offres associant des livres numériques à des contenus d’une autre nature ou à des « services et proposées à des fins d’usage collectif ou professionnel ».

Il s’agissait d’exclure de ce dispositif certains types d’offres proposées par des éditeurs scientifiques et techniques « hybrides » – livres numériques mais aussi base de données – très spécifiques, destinés à un public professionnel, notamment à des bibliothèques universitaires ou à des organismes de recherche. Leur modèle économique est très spécifique puisqu’ils sont à la fois éditeurs et détaillants. Par ailleurs, les prix qu’ils fixent font depuis toujours l’objet de larges négociations commerciales.

Pour autant, la difficulté consistait à exclure du champ d’application de la loi ces acteurs de l’édition scientifique et technique « tout en ménageant une place aux libraires comme intermédiaires pour d’autres offres de livres » (21).

En Commission, la rapporteure du Sénat avait fait adopter un amendement renvoyant à un décret les conditions et modalités d’application de l’article 2, tout en conservant le dispositif.

La rapporteure estimait que la définition très large de la notion de « licences » dans le code de la propriété intellectuelle pourrait tendre à comprendre dans les « bases de données » visées par le texte initial « toute offre groupée de livres numériques pour peu que ces livres soient organisables méthodiquement et accessibles individuellement », ce qui pourrait viser des offres proposées par des librairies aux bibliothèques, par exemple.

La rapporteure notait que « cette rédaction pourrait sans doute prêter à interprétations, sans qu’un autre consensus puisse, à ce stade, et compte tenu des délais impartis pour l’examen du texte, être trouvé entre les acteurs concernés » (22).

Puis, en séance publique, avec l’avis favorable de la rapporteure, le Gouvernement a fait adopter un amendement supprimant ces dispositions, en ne conservant que le dernier alinéa qui renvoie à un décret les conditions et modalités d’application de l’article 2. S’exprimant devant les sénateurs, le ministre justifiait cette décision en indiquant que « la proposition de loi ne doit, en aucun cas, affecter négativement un domaine de l’édition où l’économie numérique est déjà largement développée, jusqu’à représenter parfois la majeure partie de la valeur produite : les secteurs des sciences, des techniques, du droit et de la médecine. (…) Le troisième alinéa vise à exclure ces modèles du champ de la loi, mais sa rédaction est beaucoup trop large et pourrait s’appliquer à de nombreux autres produits. En outre, le modèle commercial des éditeurs concernés peut tout à fait s’accommoder des dispositions générales de la proposition de loi et ne nécessite pas une exclusion. La combinaison des articles 1er et 2 permet de préserver les spécificités de ce modèle. D’une part, la régulation ne porte que sur les offres de livres dits « homothétiques », ce qui exclut de fait la très grande majorité des produits complexes. (…) D’autre part, quand bien même les éditeurs ne proposeraient que des offres de livres entrant dans le champ de la loi, puisque le prix peut « différer en fonction du contenu de l’offre, de ses modalités d’accès ou d’usage », le dialogue individualisé avec leurs clients peut perdurer ». (23)

*

La Commission examine les amendements identiques AC 23 du rapporteur et AC 4 de M. Lionel Tardy.

M. le rapporteur. Le Sénat a introduit une disposition extraterritoriale afin de susciter, comme l’a indiqué M. Jacques Legendre, président de la Commission de la culture, une réaction des instances européennes, dont on peut déjà imaginer ce qu’elle sera.

Je souhaite, par cet amendement, revenir à la rédaction initiale. Car, selon la nouvelle loi, l’éditeur fixera le prix du fichier numérique si celui-ci est acheté sur un site hébergé en France. Si le site est hébergé à l’étranger, deux hypothèses se présentent. La première est celle du piratage, payant ou gratuit : on entre alors dans le domaine délictueux, qui relève d’un autre ordre de préoccupations juridiques. La deuxième est celle du téléchargement légal et payant. Dans ce cas, l’éditeur français pourra imposer au site étranger concerné, au moyen d’un contrat de mandat, son droit de fixer le prix. On disposera donc bien de la boîte à outils nécessaire.

M. Lionel Tardy. La proposition de loi originelle ne visait que les éditeurs français. Le Sénat a voulu étendre l’obligation à l’ensemble des éditeurs s’adressant au marché français, ce qui soulève une difficulté au regard du droit européen.

Il existe, à ce sujet, une notification à la Commission européenne, qui doit donner sa réponse le 7 février. Il est dommage que notre examen en Commission intervienne avant.

Je propose donc, par prudence, de revenir à la rédaction initiale, plus facilement applicable. Nous n’avons aucune prise sur un éditeur étranger qui commercialiserait ses contenus numériques sur une plateforme de distribution, par exemple américaine.

M. Marcel Rogemont. Tous ces propos sont sages mais la notion d’extraterritorialité introduite à l’initiative du sénateur Jean-Pierre Leleux tendait à forcer un peu le débat sur l’exception culturelle et à l’élargir à la matière traitée par la proposition de loi. Le Gouvernement, au travers du ministre de la culture, était ainsi sollicité pour interroger l’Union européenne afin qu’on puisse étudier sa réponse. Nous souhaiterions donc confirmer la démarche sénatoriale, quitte à ce que le Gouvernement nous apporte, en séance publique, les réponses attendues. Car, dans ce domaine, un positionnement de la France ne manque pas de poids, même si l’on croit connaître d’avance la réaction des instances européennes. Nous voulons, en effet, que l’exception culturelle s’élargisse à l’ensemble des domaines de la culture. Certes, l’économie est une bonne chose mais elle doit obéir à des règles d’organisation qui préservent les œuvres de l’esprit.

La Commission adopte les amendements.

Elle adopte ensuite les amendements identiques AC 28 du rapporteur et AC 29 de M. Lionel Tardy.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AC 24 du rapporteur, AC 16 de M. Marcel Rogemont, AC 5 de M. Lionel Tardy, AC 17 de M. Marcel Rogemont et AC 6 de M. Lionel Tardy.

M. le rapporteur. L’amendement AC 24, que j’ai rédigé avec M. Franck Riester, vise à instituer une exception au principe de la fixation du prix de vente par l’éditeur, applicable aux seuls livres numériques intégrés dans des offres comprenant des contenus d’une autre nature. Ces offres devraient être proposées sous la forme de licences d’utilisation destinées à un usage collectif et dans un but de recherche ou d’enseignement, que nous entendons ainsi favoriser.

Nous visons de la sorte certaines offres proposées par des éditeurs scientifiques et techniques, dites hybrides car associant une base de données à un livre numérique. Il s’agit là de produits très particuliers utilisés par le monde universitaire, dont il faut tenir compte de la spécificité. Cet amendement est très attendu par les bibliothèques universitaires.

M. Marcel Rogemont. En fait, notre amendement AC 16, qui poursuit des objectifs comparables, voulait pointer du doigt ce problème. Nous faisons suffisamment confiance au rapporteur pour nous en remettre à sa rédaction qui semble d’ailleurs plus précise.

M. Lionel Tardy. Le prix unique est un système adapté à l’achat. En matière numérique, il pourra s’appliquer à l’achat de fichiers avec téléchargement. Mais il existe d’autres façons de consommer des contenus : par des abonnements donnant accès à des bases de données assortis d’un droit de consultation plus ou moins large. Il s’agit ici de pures prestations de services sans transfert de la propriété de biens. Comment, dans ces conditions, appliquer un prix unique ? Il serait injuste que celui qui utilise beaucoup son forfait paie la même chose que celui qui l’utilise peu. Les gros lecteurs vont probablement se tourner vers ce type d’offres. On peut donc penser que les offres à l’unité avec téléchargement ne vont pas rencontrer un très grand succès.

Les amendements AC 16, AC 5, AC 17 et AC 6 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement AC 24.

Elle adopte ensuite l’article 2 ainsi modifié.

Article 3

Respect du prix de vente fixé par l’éditeur

L’article 3 de la proposition de loi oblige les détaillants à respecter le prix de vente fixé par l’éditeur pour les livres numériques qu’ils commercialisent, à partir du moment où l’acheteur se situe en France.

En l’état actuel du droit, s’agissant des livres papier, les trois derniers alinéas de l’article 1er de la loi de 1981 prévoient que les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur. S’agissant de livres papier, le cas de livres importés alors qu’ils ont été édités en France est également prévu. Dans ce cas, le prix de vente au public fixé par l’importateur doit être au moins égal à celui qui a été fixé par l’éditeur.

Une exception est prévue s’agissant des livres importés en provenance d’un État membre de la Communauté économique européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen.

Cette exception est la conséquence de l’arrêt Leclerc de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) du 10 janvier 1985. Dans cet arrêt, la Cour valide l’essentiel du dispositif issu de la loi Lang de 1981 en estimant qu’il n’est pas contraire à l’article 85 du traité de Rome. Toutefois, la cour déclare non conformes au traité de Rome les dispositions de la loi qui prévoyaient la fixation d’un prix unique de vente pour les livres importés d’autres États membres. En effet, selon la CJCE, ces dispositions constituent « des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives ».

Pour le cas des livres édités en France, exportés dans un autre État membre, puis réimportés, la disposition qui impose pour la vente de ces livres le respect du prix de vente fixé par l’éditeur français est assimilable à une mesure ayant un effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation. L’analyse de la CJCE a entraîné une refonte du texte de la loi en 1985 et en 1993. Il appartient donc toujours à l’importateur de fixer le prix du livre qu’il importe, mais ce prix ne peut être inférieur au prix qu’aurait fixé l’éditeur étranger, soit pour le marché français, soit pour le marché d’origine.

Pour autant, la Cour admet que la disposition en cause reste applicable « dans le cas où des éléments objectifs établiraient que les livres en cause auraient été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une législation comme celle en l’espèce ». Ainsi, par exemple, en 1984, les magasins FNAC lancent une opération baptisée « le livre à prix européen ». Les livres exportés en Belgique puis réimportés en France, sont proposés avec des rabais de 20 % par rapport au prix fixé par l’éditeur et assortis d’un bandeau vert qui indique le prix public et le prix remisé. Face à cette campagne intensive, quinze éditeurs, au premier rang desquels figurent Gallimard et le Seuil, refusent de vendre les ouvrages à la FNAC et saisissent le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris contre les magasins pratiquant l’opération. Dans une ordonnance du 4 juin 1984, ce dernier souligne le caractère artificiel du circuit d’approvisionnement, uniquement destiné à contourner la loi. Le tribunal de grande instance de Paris, statuant le 13 juin 1984, confirme l’ordonnance de référé, en se basant sur l’article 1er de la loi de 1981 qui prévoit à cet effet que, « si des éléments objectifs, notamment l’absence de commercialisation effective dans cet État, établissent que l’opération a eu pour objet de soustraire la vente au public » aux dispositions précitées, elles s’appliqueront.

Dans sa rédaction initiale, l’article 3 de la proposition de loi prévoyait que toutes les personnes qui exercent une activité de vente de livres numériques, ci-après qualifiés de détaillants, devaient respecter le prix fixé par l’éditeur, dans les conditions définies à l’article 2. Une même offre devait donc être vendue au même prix quel que soit le canal de vente utilisé, mais uniquement si le détaillant était établi en France. Cette disposition visait à respecter strictement les règles fixées par le droit communautaire.

Hors de France, des contrats de mandats devaient être négociés avec l’éditeur, comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui, en l’absence de législation.

Rappelons que les dispositions visent ce que l’on appelle dans l’univers du livre papier les « détaillants », c’est-à-dire les personnes physiques ou morales exerçant une activité de vente au détail, à destination des particuliers, mais également des collectivités – bibliothèques, universités, etc.

Par ailleurs, sont toujours visées l’ensemble des « offres » de livres numériques, c’est-à-dire les livres vendus à l’unité ou en offre groupée.

En séance, avec l’avis favorable de la Commission, le Gouvernement s’en remettant à la sagesse des sénateurs, et par coordination avec la modification intervenue à l’article 2, un amendement de M. Jean-Pierre Leleux a été adopté qui étend les dispositions de l’article 3 de la proposition de loi à toutes les personnes, y compris celles qui sont établies hors de France, qui exercent une activité de commercialisation des livres numériques à destination d’acheteurs situés sur le territoire national.

Dans sa rédaction issue du Sénat, le prix de vente, fixé dans les conditions déterminées à l’article 2, s’impose donc à toutes les personnes, physiques ou morales, proposant des livres numériques à des acheteurs situés en France. Cette disposition s’impose à tous les détaillants, à partir du moment où ils vendent des livres numériques à des acheteurs français.

Au final, par coordination avec les dispositions adoptées à l’article 2 et à l’initiative du rapporteur, la Commission a modifié l’article 3 afin que le prix fixe s’impose aux personnes établies en France qui proposent des offres de livres numériques aux acheteurs situés dans notre pays.

*

La Commission adopte l’amendement de coordination AC 25 du rapporteur.

Elle rejette ensuite l’amendement AC 7 de M. Lionel Tardy.

Puis elle adopte l’article 3 ainsi modifié.

Article 4

Ventes à primes de livres numériques

L’article 4 de la proposition de loi régule les ventes à primes de livres numériques.

La vente à prime est définie par l’article L. 121-35 du code de la consommation. Il s’agit de « toute vente ou offre de vente de produits ou de biens ou toute prestation ou offre de prestation de services faite aux consommateurs et donnant droit, à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime consistant en produits, biens ou services ».

En l’état actuel du droit, s’agissant des livres papier, l’article 6 de la loi de 1981 prévoit que les ventes à prime ne sont autorisées que si l’éditeur ou l’importateur les propose « simultanément et dans les mêmes conditions à l’ensemble des détaillants » ou si elles portent sur des livres faisant l’objet d’une édition exclusivement réservée à la vente par courtage, par abonnement ou par correspondance.

L’article 4 prévoit des dispositions partiellement similaires pour les livres numériques puisque les ventes à primes de livres numériques ne seront autorisées que si elles sont proposées par l’éditeur, tel que défini à l’article 2, simultanément et dans les mêmes conditions à l’ensemble des détaillants, tels que définis à l’article 3.

Cela signifie que les détaillants ne seront pas autorisés à proposer des ventes à primes. Il s’agit ici, comme ce fut les cas pour les livres papier, de préserver la diversité des réseaux de distribution et à éviter que l’esprit de la loi ne soit détourné par le biais des ventes à primes.

En effet, comme le rapporteur l’indiquait dans son rapport à la ministre de la culture, « si on constate, à partir des années 2000, de moins en moins d’infractions liées à des remises sur le prix des livres consenties aux particuliers, diverses pratiques de contournement de la législation sous la forme de remises indirectes font dans le même temps leur apparition. (…) Un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 10 mai 2000 est venu notamment confirmer que la pratique des "points cadeaux" aboutissant à des remises de livres gratuits est considérée comme illégale, car elle revient en définitive à accorder une remise déguisée contraire au principe de la loi de 1981. (…) Plus récemment, les professionnels du livre se sont émus des offres de livres réalisées par les éditeurs de presse. Ces ventes couplées posent d’une part la question de l’exclusivité d’un circuit de distribution, s’opposant ainsi directement au principe de la commande à l’unité fixé par la loi de 1981 et, d’autre part, la question de la licéité du prix de vente du livre au regard du prix unique et de la réglementation des ventes à prime. Aucun jugement définitif n’est pour l’instant venu trancher clairement cette double problématique ». (24)

Les éditeurs doivent dans tous les cas respecter les dispositions générales sur les ventes à primes, prévues à l’article L. 121-35 du code de la consommation qui interdit les ventes à prime sauf si les produits, biens ou services constitutifs de primes sont identiques à ceux qui font l’objet de la vente ou de la prestation.

Par ailleurs, deux conditions doivent donc être réunies pour que l’éditeur puisse proposer une vente à primes :

− la simultanéité : l’éditeur ne peut réserver la vente à primes à un canal de commercialisation. Aucune exclusivité n’est donc possible ;

− l’uniformité des conditions de vente : l’éditeur ne peut adapter le contenu de sa vente à primes en fonction des détaillants.

L’encadrement des ventes à primes est indispensable, dans l’univers numérique comme dans l’univers du livre papier. L’éditeur doit pouvoir contrôler cette pratique qui, non régulée, permettrait de détourner l’esprit de la loi.

Le Sénat a adopté cet article sans modification de fond.

*

La Commission examine l’amendement AC 8 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je propose de supprimer cet article, car il pose un problème de compatibilité avec le droit européen. La Cour de justice de l’Union européenne a fourni la liste exhaustive des pratiques commerciales interdites, inscrites dans l’annexe 1 de la directive de 2005. La vente à primes n’y figurant pas, on ne peut donc ni l’interdire ni la restreindre. L’article L. 121-35 du code de la consommation, relatif aux ventes à primes, est en cours de modification dans le cadre de la proposition de loi de simplification du droit dont nous avons commencé, hier soir, l’examen en deuxième lecture. Après cette modification, les ventes à primes ne seront interdites que si elles revêtent un caractère déloyal. Il faudra probablement modifier aussi l’article correspondant de la loi Lang.

M. le rapporteur. Avis défavorable. La jurisprudence de la Cour européenne sur les pratiques commerciales déloyales n’est pas applicable à notre sujet. Nous ne cherchons pas à transposer au livre numérique les dispositions du droit de la concurrence concernant la vente à primes mais les dispositions très particulières de l’article 6 de la loi de 1981 qui autorise, s’agissant des livres imprimés, ce type de vente sous certaines conditions. Nous ne nous situons donc pas ici dans le cadre général du droit de la concurrence et de la jurisprudence européenne qui s’y rapporte, mais sur un segment très circonscrit.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 4 sans modification.

Article 5

Relations commerciales entre éditeurs et détaillants

L’article 5 de la proposition de loi encadre les relations commerciales entre éditeurs et détaillants de livres numériques.

En l’état actuel du droit, l’article 2 de la loi du 10 août 1981 prévoit que les conditions de vente établies par l’éditeur ou l’importateur doivent prendre en compte « la qualité des services rendus par les détaillants en faveur de la diffusion du livre. Les remises correspondantes doivent être supérieures à celles résultant de l’importance des quantités acquises par les détaillants ».

Comme le rapporteur le rappelait dans son rapport à la ministre de la culture, « en imposant aux détaillants de respecter le prix de vente au public fixé par l’éditeur, la loi de 1981 ne rend pas possible la majoration de ce prix afin d’accroître la marge commerciale et de répercuter l’ensemble des coûts supportés par ces détaillants. C’est donc à l’intérieur de la marge commerciale déterminée essentiellement par la remise consentie par l’éditeur-diffuseur que le libraire doit trouver les moyens de financer son activité. Conscient de cela, le législateur a créé, à travers l’article 2 de la loi, une sorte de "discrimination positive" à l’égard des points de vente les plus qualitatifs en prévoyant que la remise commerciale devait être calculée davantage en fonction de critères qualitatifs que de critères uniquement liés au "quantitatif", c’est-à-dire essentiellement au chiffre d’affaires. Ainsi, à partir du moment où le libraire ne pouvait répercuter les surcoûts de son travail qualitatif sur le prix de vente au public, c’est dans sa "rémunération" qu’il devait trouver les moyens de les financer ». (25)

La définition précise des critères d’attribution de la remise qualitative a fait l’objet d’une première concertation interprofessionnelle mise en œuvre en 1990 et qui a conduit à la signature du premier protocole d’accord sur les usages commerciaux de la librairie, communément appelé « accords Cahart », en septembre 1991. Ce protocole a été actualisé en 2001.

Le dernier protocole en vigueur est le Protocole d’accord sur les usages commerciaux de l’édition avec la librairie, conclu le 26 juin 2008.

Ces négociations résultent du constat établi par les libraires, selon lequel malgré les protocoles précédents, la rémunération consentie aux librairies par les éditeurs ne permet pas, dans de très nombreux cas, de financer les surcoûts liés au travail qualitatif des librairies surtout dans un contexte de forte hausse des charges non compensée par l’évolution des remises commerciales.

Extrait du Protocole d’accord sur les usages commerciaux de l’édition avec la librairie

[Remises : les critères qualitatifs]

1. Stock du libraire composé au moins pour moitié de titres de fonds, tous éditeurs réunis.

Sont considérés comme titres de fonds, les ouvrages brochés ou « au format de poche », dont la parution remonte à un an au moins.

2. Présence, chez le libraire, d’un nombre de titres d’ouvrages du fonds, brochés ou au format de poche de l’éditeur considéré au moins égal à un certain pourcentage du nombre de titres de fonds figurant au catalogue de cet éditeur.

3. Existence d’un personnel en contact direct avec le public et ayant reçu une formation de libraire interne ou externe. La qualité de l’équipe de vente intègre tout ce qui renforce le conseil au public : lecture des nouveautés, connaissance des catalogues, « coups de cœur », bulletins rédigés, vitrines...

4. Réception par le libraire, ou son représentant qualifié et pourvu d’un pouvoir décisionnaire, si possible sur rendez-vous, des représentants de l’éditeur ou du diffuseur. Ce rendez-vous doit permettre, après présentation et argumentation, une décision sur les achats.

5. Utilisation par le libraire d’outils bibliographiques sous forme papier, de CD-rom ou de base de données.

6. Utilisation de moyens informatisés de transmission des commandes, via Dilicom ou via des moyens propres aux différents distributeurs.

7. Participation, par le libraire, à des campagnes nationales ou locales de promotion de livres, ou organisation par lui de séances d’animation.

8. Acceptation par le libraire d’un des services de nouveautés tel qu’ils sont définis par le présent accord et notamment respect du délai de garde pour les ventes mises à l’office selon les conditions générales de vente de l’éditeur/diffuseur

Selon la rapporteure du Sénat, « de l’application de ces divers critères et du type d’ouvrages considérés résultent des marges extrêmement variables pour les détaillants : la fourchette de cette remise est comprise entre 25 % et 40 % du prix de vente public du livre » (26).

Cette disposition est d’autant plus nécessaire que le niveau de rentabilité des librairies est extrêmement faible, alors même qu’elles jouent un rôle fondamental en termes d’aménagement culturel du territoire. Selon une étude menée en 2006 et 2007 sous l’égide de la Commission des usages commerciaux, qui réunit éditeurs et libraires, et du ministère de la culture (27) « le niveau de rentabilité des librairies demeure très faible (1,4 % du chiffre d’affaires pour les plus grandes d’entre elles, 0,6 % pour les plus petites, soit 2 000 euros en moyenne !) alors que le poids des charges est très élevé (21 à 24 % du chiffre d’affaires, soit environ les deux tiers de la marge commerciale, sont absorbés par les frais de personnel, de loyer et de transport). À eux seuls, les frais de personnel qui s’élèvent en moyenne à près de 18 % du chiffre d’affaires consomment plus de la moitié de la marge commerciale alors que, dans les autres circuits, cette marge commerciale moyenne est plus élevée et les frais de personnel notablement plus bas (10 à 12 % dans les grandes surfaces spécialisées, 6 à 8 % dans la grande distribution…). N’allons pas croire que le coût élevé de la masse salariale reflète des salaires confortables. C’est tout le contraire : un libraire qualifié gagne aujourd’hui en moyenne 1 600 euros bruts ! ».

Cette disposition sur les remises commerciales est donc transposée dans l’univers numérique. L’objectif n’est pas uniquement de préserver les librairies, et cet article concerne d’ailleurs l’ensemble des détaillants. La prise en compte de la qualité du service rendu est la contrepartie nécessaire de la perte de liberté sur les prix de vente pour le détaillant. Comme il ne maîtrise pas les prix, le détaillant met en œuvre, pour vendre plus de livres, des actions de promotion et de diffusion. Il est normal que ces actions soient prises en compte dans sa remise commerciale. La seule prise en compte des quantités vendues serait contraire à l’esprit de la loi qui entend justement favoriser et inciter le dynamisme des « médiateurs » du livre par opposition à une logique de concentration mécanique sur les meilleures ventes attendues par le public.

L’article 5 de la proposition de loi dispose donc que, pour définir la remise commerciale sur les prix publics qu’il accorde aux détaillants proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France, l’éditeur doit tenir compte, dans ses conditions de vente, de l’importance des « services qualitatifs » rendus par les détaillants « en faveur de la promotion et de la diffusion du livre numérique par des actions d’animation, de médiation et de conseil auprès du public ».

La Commission de la culture du Sénat a tenu à modifier la rédaction de ces dispositions afin de mieux qualifier la nature des services que l’éditeur est tenu de prendre en compte pour définir la remise commerciale sur les prix publics qu’il accorde aux détaillants.

Rappelons que la promotion et la diffusion sont la finalité de l’activité du libraire, alors que la médiation (entre l’éditeur et le public) et le conseil sont les moyens d’atteindre cette finalité. Dans une logique de création, la promotion consiste pour un détaillant à vendre ce qui n’est pas attendu par le public et la diffusion consiste à donner un accès aisé et intelligent aux livres recherchés, dans le cadre de l’accompagnement du client.

Par ailleurs, dans la rédaction initiale de la proposition de loi, les conditions de fixation de la remise qualitative consentie par l’éditeur au détaillant étaient renvoyées à un accord interprofessionnel, à l’image de ce qui est déjà pratiqué dans l’univers du livre papier.

En séance, le ministre de la culture a défendu un amendement de suppression de cette disposition, au motif qu’il serait « imprudent de préciser dans le texte la manière dont ce service va être pris en considération pour l’établissement de la remise ». Il a évoqué plusieurs raisons : la première est liée au fait que les organisations professionnelles des acteurs concernés ne sont pas toutes constituées, à l’instar des détaillants qui n’opéreraient qu’en ligne. En second lieu, le ministre a estimé que « fixer des critères de manière conventionnelle pourrait avoir un effet de frein à l’innovation », les avancées technologiques et l’inventivité des acteurs permettant d’imaginer de très nombreux types de services « qualitatifs ».

Enfin, toujours en séance, par coordination avec les dispositions précédemment modifiées, un amendement de M. Jean-Pierre Leleux a précisé que l’article 5 s’appliquait aux détaillants proposant des livres numériques à des acheteurs situés en France. Comme les deux précédents, cet amendement a été adopté avec l’avis favorable de la commission, le Gouvernement s’en remettant à la sagesse des sénateurs.

*

La Commission examine l’amendement AC 9 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Ayant beaucoup travaillé, notamment dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie (LME), je m’interroge sur cet article qui autorise les marges arrière. Cela ne pose pas de problème quand le fournisseur domine la relation commerciale avec le distributeur ; la difficulté survient lorsque le distributeur est en mesure d’imposer le niveau de la marge. Or le secteur de la distribution numérique risque d’être dominé par trois opérateurs américains – Google, Apple et Amazon – qui ne feront, on s’en doute, aucun cadeau aux fournisseurs de contenus. La règle du prix unique sera alors vidée de sa substance. Il faut donc imposer aux marges arrière des gardes fous qui font actuellement défaut dans le texte, d’où cet amendement de suppression.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement, de même que l’amendement AC 10 de M. Lionel Tardy.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels AC 14 et AC 15 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 5 ainsi modifié.

Article 5 bis

Rémunération des auteurs

L’article 5 bis est issu d’un amendement de M. David Assouline, adopté en séance par les sénateurs, contre l’avis du Gouvernement. La rapporteure de la Commission de la culture s’en était remis à la sagesse des sénateurs alors que M. Jacques Legendre, président de la Commission, s’était déclaré favorable à l’amendement.

Le dispositif complète l’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle pour prévoir une juste rémunération des auteurs lorsque l’exploitation numérique d’une œuvre déjà publiée sous forme imprimée engendre une économie pour l’éditeur.

En l’état actuel du droit, les contrats d’édition sont encadrés par les articles L. 131-1 à L. 131-8 et L. 132-1 à L. 132-17 du code de la propriété intellectuelle, dont les dispositions sont principalement issues de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. Un « code des usages en matière de littérature générale », qui a été annexé au code de la propriété intellectuelle en 1981, est venu en préciser l’application concernant l’édition ou la traduction d’œuvres de littérature générale.

Par ailleurs, dans sa rédaction actuelle, l’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que le contrat d’édition signé par un auteur peut prévoir soit une rémunération proportionnelle aux produits d’exploitation, soit une rémunération forfaitaire, dans des cas bien précis, notamment s’agissant de certains types d’ouvrages (article L. 132-6 du code de la propriété intellectuelle) ou lorsque le calcul d’une rémunération proportionnelle est rendu particulièrement complexe (article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle).

La disposition votée au Sénat, qui modifie cet article du code de la propriété intellectuelle, vise à garantir aux auteurs, selon les termes de M. Assouline, « une rémunération juste et équitable dans le cadre de l’exploitation de leur œuvre sur support numérique » (28), au motif que les dispositions de la proposition de loi visent à faire bénéficier de l’évolution technologique considérable que constitue le numérique l’ensemble de la filière du livre, du libraire à l’imprimeur, tout en oubliant les auteurs, alors qu’ils sont « à l’origine de la chaîne ! ».

Dans son avis du 18 décembre 2009 portant sur le livre numérique, l’Autorité de la concurrence évoquait cette question de la rémunération des auteurs dans le monde numérique, estimant qu’elle pourrait être réglée d’ici un à deux ans. Selon M. Assouline, « pour les éditeurs, les économies de coût engendrées par l’édition numérique seront de l’ordre de 40 %. Il convient de s’assurer que les auteurs bénéficieront de la manne au titre de leur cession de droits aux éditeurs » (29).

Il convient malgré tout de préciser que, si les économies des éditeurs seront réelles à terme, pour le moment, les frais de numérisation, les coûts de recherche et développement, couplés à la faiblesse des ventes, engendrent plus de coûts pour les éditeurs que d’économies.

Les tensions qui existent actuellement entre certaines sociétés d’auteurs et les éditeurs sont principalement le fait de pratiques, d’ailleurs souvent antérieures à l’arrivée du numérique, parfois constatées au sein de l’édition et que dénonce notamment la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Dans son « Baromètre des relations auteurs/éditeurs » publié en 2010, celle-ci pointait par exemple l’usage abusif qui serait fait par certains éditeurs de la rémunération forfaitaire des auteurs, alors que le code de la propriété intellectuelle réserve cette pratique à certaines conditions particulières et fixe comme règle générale de l’exploitation des droits d’auteur le principe de la rémunération « proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation », selon les termes de l’article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle. De même, la SCAM souligne le fait que l’obligation de reddition de comptes faite à l’éditeur par les articles L. 132-13 et L. 132-14, qui consiste à remettre à l’auteur, « au moins une fois l’an (…) un état mentionnant le nombre d’exemplaires fabriqués [et] le nombre des exemplaires vendus », ne serait pas systématiquement respectée. Les tensions, récurrentes, entre auteurs et éditeurs ont été ravivées par le contexte des perspectives offertes par le développement numérique.

Ce contexte a en outre fait apparaître de nouveaux points de désaccord entre auteurs et éditeurs sur la question des droits numériques et sur les conditions d’exploitation des œuvres dans cet univers. Certains éditeurs ne font pas de distinction entre l’édition imprimée et l’édition numérique d’une œuvre, considérant que l’une et l’autre pourraient être exploitées sous un contrat unique, alors que les auteurs, qui ont tendance à considérer que le modèle économique actuel sur lequel repose le marché, encore embryonnaire, du livre numérique est très instable et en tout état de cause inadapté aux évolutions technologiques prévisibles, se montrent réticents à céder leurs droits pour l’exploitation numérique de leurs œuvres dans les mêmes conditions – taux de rémunération, durée de cession, etc. – que celles auxquelles ils ont consenti à le faire pour une exploitation au format imprimé.

Afin que soit mieux prises en compte les spécificités de l’édition numérique, certains groupes d’auteurs proposent d’apporter des modifications au code des usages professionnels. Ces revendications ont été relayées par la pétition baptisée « L’appel du numérique des écrivains et illustrateurs de livres », lancée le 20 mars 2010 par le groupe « Bande dessinée » du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC), rejoint par douze organisations professionnelles représentant des auteurs, tous secteurs éditoriaux confondus. Cette pétition a recueilli à ce jour près de 1 400 signatures. Ses principales revendications portent sur les points suivants :

– la durée de cession des droits : les signataires souhaiteraient, pour l’exploitation numérique, un abaissement de la durée légale, qui est actuellement de 70 ans post mortem, ce qui leur semble trop long en raison des évolutions des techniques et des usages numériques sur lesquels actuellement la visibilité est limitée ;

– la possibilité pour l’auteur de récupérer ses droits : l’auteur a actuellement la possibilité de récupérer ses droits dans le cas où l’éditeur ne procéderait pas à une exploitation permanente et suivie de l’œuvre pour laquelle il les lui a cédés. L’auteur pourrait se voir privé de ce droit dans l’univers numérique, dans la mesure où la disponibilité indéfinie de l’œuvre publiée en ligne pourrait être considérée comme une forme d’« exploitation permanente et suivie » ;

– l’assiette de rémunération de l’auteur : celle-ci est généralement comprise entre 10 et 12 % des recettes provenant de la vente ou de l’exploitation de l’œuvre dans l’univers physique. Elle pourrait être redéfinie afin que de mieux tenir compte de l’évolution des différentes possibilités d’exploitation qui s’offrent actuellement ou s’offriront dans l’avenir au format numérique ;

– la distinction des contrats d’exploitation selon les modes de diffusion : les signataires réclament la généralisation de contrats distincts pour l’exploitation d’une œuvre au format numérique (comme c’est par exemple actuellement le cas pour l’exploitation audiovisuelle d’une œuvre imprimée, qui fait généralement l’objet d’un avenant au contrat d’édition). Des contrats distincts laisseraient ainsi à l’auteur la possibilité de négocier l’exploitation numérique et l’exploitation imprimée de son œuvre avec des éditeurs différents.

Si les discussions semblent susceptibles de progresser positivement à moyen terme sur les trois premiers points, en revanche, le dernier point suscite de vives réticences de la part des éditeurs, qui craignent de se voir écartés de la possibilité d’exploiter au format numérique une œuvre pour lesquels ils disposent des droits d’exploitation au format imprimé. Ce débat a d’ailleurs dépassé à l’été 2010 le simple cadre national, après que l’agent littéraire américain Andrew Wylie eut indiqué être entré en négociation avec la société Amazon pour la diffusion numérique de certains titres publiés au format imprimé par l’éditeur Random House, ce qui a déclenché de vives réactions chez plusieurs éditeurs américains.

Des discussions ont été engagées entre la Société des gens de lettres (SGDL) et le Syndicat national de l’édition (SNE). Un projet d’accord avait même été évoqué, qui prévoyait :

– le recours à des avenants pour les contrats anciens ne disposant pas de clause d’exploitation numérique ;

– l’inclusion de clauses d’exploitation numérique au sein des nouveaux contrats d’édition (plutôt que des contrats distincts) ;

– la généralisation de la rémunération proportionnelle de l’auteur pour l’exploitation numérique, à un taux au moins égal à celui proposé pour l’exploitation papier ;

– l’inclusion dans les contrats d’une clause de rendez-vous renouvelable tous les cinq ans, permettant aux parties de renégocier les clauses financières du contrat ;

– la création d’une instance de liaison juridique permanente entre le SNE et la SGDL, destinée à suivre l’évolution des pratiques dans l’univers numérique.

Ces discussions n’ont toutefois pas permis à ce jour d’aboutir à un accord. Le dialogue est d’autant plus complexe que, si les éditeurs sont regroupés au sein du SNE, la représentation des auteurs est plus dispersée et des divergences de positions subsistent entre les différentes organisations. Les discussions devraient toutefois être relancées très prochainement dans le cadre de rencontres prévues entre le SNE et le Conseil permanent des écrivains, au sein duquel sont représentés les différents syndicats professionnels d’auteurs.

En séance publique au Sénat, le ministre de la culture a indiqué qu’il n’appartenait pas au législateur de déterminer les conditions de rémunération des acteurs privés de la chaîne du livre, ce type de dispositions relevant plutôt du niveau contractuel.

Pour autant, il a estimé que, si « une amélioration importante des marges est prévisible, (…) l’économie générée par le recours à l’édition numérique doit être répercutée sur le prix de vente des livres numériques ». Il s’agit selon lui d’un prérequis nécessaire au développement d’un marché légal du livre numérique.

Le rapporteur partage ce point de vue. S’il convient de laisser toutes ses chances à la négociation interprofessionnelle, d’autant plus que ces dispositions relèvent très clairement de relations contractuelles entre partenaires privés, le législateur ne peut malgré tout se désintéresser de ce problème, d’autant plus que les dispositions de la proposition de loi visent à faire bénéficier l’ensemble de la filière de l’évolution technologique considérable que constitue le numérique. Quoi qu’il en soit, la clause de rendez-vous prévue à l’article 7 permettra de faire un point au bout d’un an et d’envisager une évolution législative dans le cas où la situation de blocage perdurerait.

*

La Commission examine les amendements identiques de suppression de l’article AC 26 du rapporteur et AC 11 de M. Lionel Tardy.

M. le rapporteur. Ma proposition de suppression de l’article ne traduit nul dédain à l’égard des auteurs qui, étant à la base de la création culturelle, doivent être rémunérés en conséquence. Mais il existe aujourd’hui un débat, légitime, entre les éditeurs et les auteurs sur la question de la rémunération de la vente des fichiers numériques des œuvres.

Le livre numérique génère des économies puisqu’il réduit le nombre d’intermédiaires entre l’auteur et le lecteur. Il fait certes apparaître de nouveaux coûts, de production des fichiers, d’exploitation et de maintenance, plus importants qu’il ne semble, mais la marge à distribuer devrait néanmoins s’accroître. Les auteurs souhaitent donc légitimement bénéficier d’un taux de rémunération supérieur en pourcentage à celui du livre imprimé.

L’article 5 bis introduit par un amendement au Sénat appelle l’attention sur cette question. Je partage le souhait des auteurs d’établir une relation plus équilibrée avec les éditeurs s’agissant du livre numérique mais il serait hasardeux de la prévoir dans ce texte.

Par un amendement à l’article 7, je proposerai que cette question figure explicitement parmi celles qui seront examinées lors du prochain rendez-vous législatif, d’autant que des discussions sont en cours entre les éditeurs, les auteurs et leurs syndicats.

Mme Monique Boulestin. La rémunération équitable des auteurs est une question essentielle. Dans la mesure où l’État s’est engagé sur le prix unique du livre numérique, nous devons mener une réflexion à ce sujet car le marché n’existe pas encore. Les éditeurs ont sans doute beaucoup investi afin que le livre numérique voie le jour. Toutefois, ne pouvant savoir ce que sera l’évolution du marché, il serait sage de maintenir une disposition précisant que les cessions de droits numériques seront accompagnées de clauses de rendez-vous afin de prendre en compte cette évolution quand elle se dessinera.

M. Marcel Rogemont. Il serait regrettable, en effet, de ne pas aborder la question de la rémunération équitable des auteurs. Le livre numérique la pose naturellement. Nous y tenons d’autant plus que nous avions déposé des amendements destinés à préciser davantage le principe de cette rémunération. Nous sommes donc opposés à la suppression de l’article car il touche à l’essentiel et il nous faut lever les incertitudes. Même si des rendez-vous annuels sont prévus à cet égard, il est important que le principe même figure dans la loi.

M. Lionel Tardy. Mon amendement vise également à supprimer cet article car il subordonne la rémunération supplémentaire des auteurs à une éventuelle économie générée pour l’éditeur grâce au passage au numérique. Or rien ne prouve qu’une économie sera dégagée, surtout pas à court terme, le numérique exigeant au début des investissements importants en matériels, en logiciels et en formation des personnels.

De plus, pourquoi lier deux choses qui sont juridiquement sans rapport : la situation économique de l’édition et la rémunération des droits de propriété intellectuelle des auteurs ?

La question de l’exploitation des droits numériques est un sujet sensible, il n’est pas nécessaire que le législateur s’en mêle, surtout quand des négociations sont en cours.

M. Michel Françaix. Nous nous enfermons dans une contradiction. Si l’on en croit Talleyrand, il y a ceux qui ont l’esprit des affaires et ceux qui ont les affaires de l’esprit... Nous voulons mettre l’accent sur la thématique culturelle et on essaye continuellement de nous ramener à une thématique économique.

Nous ne sommes pas pour autant naïfs et nous savons que les deux se gèrent de concert. Mais la thématique de l’esprit doit passer en premier. Il me semble excessif de prétendre que l’économie résultant pour les éditeurs du passage au numérique ne serait pas avérée. Il faut tout repenser en fonction de l’auteur et de sa création et supprimer cet article serait donc une erreur.

M. le rapporteur. La question de la relation entre l’auteur et l’éditeur se pose depuis toujours. Dans les années 1920 et 1930, une maison d’édition aujourd’hui disparue, Nourrit, suscitait ce jeu de mot : « nourrit mal ses auteurs »…

La table ronde de la semaine dernière a évoqué la question, régie depuis 1957 par la loi sur le droit d’auteur, qui a institué un certain équilibre, que complète la liberté conventionnelle des parties.

Rappelons des choses simples : un éditeur n’existe pas sans auteurs et les auteurs ont besoin d’éditeurs, y compris à l’ère numérique et même si l’autoédition est facilitée. Dès lors, loin de moi l’idée, en proposant la suppression de cet article ajouté par le Sénat, de nier la rémunération équitable de la création. Mais je crois que légiférer à ce sujet serait prématuré. C’est pourquoi je propose d’y faire référence à l’article 7. Nous verrons, l’année prochaine, comment les choses auront évolué, et nous rectifierons la loi en tant que de besoin. L’esprit de la loi est bien que les auteurs puissent bénéficier d’une meilleure rémunération sur les fichiers numériques. Mais laissons se dérouler les négociations en cours. Nous en étudierons ensuite les résultats.

Mme Marie-Hélène Thoraval. La dématérialisation du livre réduisant son coût, l’auteur devrait pouvoir prétendre à une meilleure rémunération. Celui-ci aura également moins d’investissements à accomplir pour la promotion de son œuvre que dans le cas du livre imprimé.

Quelles que soient les perspectives de l’autoédition, une publication, même dématérialisée, ne rencontrera vraiment de succès qu’en s’appuyant sur la notoriété d’un éditeur.

M. le rapporteur. Vous venez de dire quelque chose de très important. Notre débat soulève beaucoup de questions auxquelles nous n’avons pas les réponses.

En matière de promotion, la plupart des éditeurs, y compris les Anglo-Saxons, très investis dans le numérique, expliquent que la meilleure façon de faire connaître une œuvre reste la table et les rayonnages du libraire, bien plus efficaces que les écrans, nécessairement plus réduits. La promotion du livre numérique sur internet est encore dans les limbes.

Les fichiers numériques donnent lieu, ou non, à des transferts de charges entre éditeur et auteur. Car si le premier exige du second la livraison d’un fichier achevé, on ne se trouve plus dans la même configuration que lorsque l’auteur remettait un manuscrit.

Nous touchons donc à un grand nombre de questions très techniques sur lesquelles nous ne pouvons pas légiférer. Le modèle économique de la relation entre l’auteur et l’éditeur va devoir, à l’ère du numérique, prendre en compte tous ces paramètres.

La Commission adopte les amendements et l’article 5 bis est ainsi supprimé.

En conséquence, l’amendement AC 18 de M. Marcel Rogemont devient sans objet.

Après l’article 5 bis

La Commission examine ensuite plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 5 bis.

Elle examine tout d’abord l’amendement AC 19 de M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. Il s’agit de transposer dans l’ère du numérique l’exception pédagogique et de recherche reconnue à des fins d’illustration de l’enseignement et de la recherche.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Il ne convient pas, à ce stade, de toucher au code de la propriété intellectuelle.

La Commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements AC 20 et AC 21 de M. Marcel Rogemont.

Elle examine ensuite l’amendement AC 22 de M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. Avec l’ère du numérique, un livre ne sera jamais épuisé. Dès lors, la récupération éventuelle des droits par l’auteur lorsque l’édition est épuisée ne peut plus avoir lieu. Il s’agit donc ici de préciser le régime des cessions de droit dans le cadre du numérique.

M. le rapporteur. Avis défavorable. La question de l’épuisement de l’œuvre est réelle mais ne doit pas être traitée, je le répète, de façon prématurée. En la matière, on ne peut régir de la même façon le support papier et le support numérique.

La Commission rejette l’amendement.

Article 6

Sanctions

En l’état actuel du droit, pour le livre papier, l’article 10 bis de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, créé par l’article 2 de la loi n° 85-500 du 13 mai 1985 modifiant la loi n° 81-766, prévoit un dispositif de peines et d’amendes contraventionnelles en cas d’infractions aux dispositions de la loi de 1981.

Ces amendes sont régies par le décret n° 85-556 du 29 mai 1985 relatif aux infractions à la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre.

Sur le même modèle, l’article 6 de la proposition de loi prévoit des sanctions pénales, sous la forme d’amendes contraventionnelles, en cas d’infraction aux dispositions prévues par la proposition de loi, tout en renvoyant à un décret en Conseil d’État la détermination des peines.

D’après les informations fournies au rapporteur, le décret devrait prévoir une amende de troisième classe, soit 450 euros au maximum, à l’instar des sanctions appliquées en cas de violation de la loi de 1981.

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

*

La Commission adopte l’article sans modification.

Article 7

Rapport au Parlement

L’article 7 de la proposition de loi dispose que le Gouvernement devra présenter tous les ans au Parlement un rapport sur l’application de la proposition de loi, en prenant en compte l’évolution du marché du livre numérique. Ce rapport devra par ailleurs comporter une étude d’impact économique sur l’ensemble de la filière.

Cette clause de rendez-vous est indispensable compte tenu des évolutions très rapides du marché du livre numérique.

Dans sa rédaction initiale, l’article prévoyait uniquement la remise d’un rapport d’application au Parlement un an après l’entrée en vigueur du texte. La commission de la culture a adopté un amendement visant à transformer ce rapport ponctuel en rapport annuel afin « de permettre un suivi dans la durée de l’écosystème très évolutif du livre numérique » et afin « d’identifier les éventuelles adaptations ou compléments législatifs qui s’avéreraient nécessaires » (30).

Puis, en séance, avec l’avis favorable du Gouvernement, les sénateurs ont adopté un amendement de la rapporteure prévoyant que le rapport devra comporter une étude d’impact économique, afin que soient évaluées les conséquences de la loi sur l’ensemble des acteurs – auteurs, éditeurs, libraires, imprimeurs, industrie du papier, etc. En fonction des effets ainsi clairement évalués, le rapport pourra donc donner lieu, le cas échéant, à des préconisations.

La volonté du législateur est donc double :

– bénéficier d’une information annuelle sur l’évolution du marché du livre numérique et sur l’application de la loi – effets de contournement notamment – afin de l’amender éventuellement ;

– obtenir régulièrement une étude beaucoup plus large sur les grandes tendances de la filière du livre – comprise comme allant jusqu’à l’industrie du papier – en articulation avec la mise en application de la loi.

*

La Commission examine l’amendement AC 27 du rapporteur et le sous-amendement AC 30 de M. Lionel Tardy.

M. le rapporteur. J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises cet amendement qui prévoit et précise le rendez-vous législatif annuel, avec un comité de suivi composé de parlementaires désignés par les Commissions des affaires culturelles des deux assemblées.

Son deuxième alinéa mentionne explicitement la question de la rémunération des auteurs.

M. Lionel Tardy. La création d’un comité de suivi se justifie-t-elle ? En matière de suivi d’application des lois, nous disposons déjà de nombreux instruments. Ainsi, le rapport sur l’application de la loi, rédigé par son rapporteur et par un député de l’opposition un an après l’entrée du texte en vigueur, a un caractère systématique. Si des problèmes particuliers se posent, une mission d’information peut être créée. Je me méfie tant de ces comités dont le terme n’est pas défini et qui se transforment en « hauts conseils », que de ces rapports annuels qui ne sont rendus que les deux premières années…

Dans la proposition de loi de simplification du droit dont nous avons débattu hier soir, un article fixe une limite de cinq ans pour l’ensemble des rapports que le Gouvernement doit remettre au Parlement. Plutôt qu’un rapport annuel supplémentaire, mieux vaudrait une clause de revoyure qui oblige le Gouvernement à se présenter à une date précise afin de dresser le bilan d’application de la loi et de proposer d’éventuelles modifications.

Enfin, bien que la Commission des affaires culturelles soit parfaitement légitime pour examiner au fond un texte sur l’édition et le livre, la Commission des affaires économiques aurait été fondée à s’en saisir puisque l’essentiel du texte porte sur les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et qu’il y est autant question d’économie que de culture. Il serait donc peut-être juste qu’une place lui soit faite dans le comité de suivi, pour permettre un suivi plus fin des questions de nature commerciale.

M. le rapporteur. Avis défavorable. La Commission des affaires culturelles étant saisie au fond, il me paraît normal que le parlementaire appelé à suivre l’application de la loi en soit membre.

La Commission rejette le sous-amendement AC 30.

Puis elle adopte l’amendement AC 27 du rapporteur.

Elle adopte enfin l’article 7 modifié.


Article 8


Application outre-mer

La rédaction initiale de la proposition prévoyait que ses dispositions seraient applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

À juste titre, l’article initial ne respectant pas la répartition des compétences entre l’État et les territoires concernés, la Commission de la culture du Sénat en a modifié la rédaction pour limiter l’application de la proposition de loi à la Nouvelle-Calédonie.

En effet, comme la rapporteure du Sénat l’a clairement exposé, à Wallis et Futuna, « la compétence de l’État en matière de protection de la propriété intellectuelle se heurte à la compétence locale en matière de prix », selon les termes de l’article 8 du décret n° 62-288 du 14 mars 1962 fixant les attributions du Conseil territorial des îles Wallis et Futuna, qui dispose que le conseil territorial est compétent en matière de « réglementation économique du commerce intérieur, des prix et des loyers ». C’est donc lui, et non l’État, qui est compétent s’agissant de la régulation du prix des livres numériques.

En ce qui concerne la Polynésie française, les autorités locales sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas expressément attribuées à l’État en vertu de l’article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française. Cet article attribue à l’État compétence en matière de communication audiovisuelle et de garantie des libertés publiques. Mais le conseil des ministres de Polynésie est quant à lui compétent pour « crée[r], réglemente[r] et fixe[r] les tarifs des organismes chargés des intérêts des auteurs, compositeurs et éditeurs », en vertu du 2° de l’article 91 de cette même loi organique. Sur le fondement de cette disposition et de sa compétence en matière de droit commercial, la compétence de la Polynésie française en matière de propriété intellectuelle a finalement été reconnue par le Conseil d’État dans un avis émis en 2007 sur un projet de décret, devenu depuis le décret n° 2007-510 du 4 avril 2007 relatif à l’Autorité de régulation des mesures techniques instituée par l’article L 331-17 du code de la propriété intellectuelle. On ne peut donc prévoir une disposition contraire dans la loi ordinaire.

Dans les TAAF, l’État est compétent de plein droit pour intervenir tant en matière commerciale qu’en matière de propriété intellectuelle, ce qui rend une disposition spécifique inutile.

À l’inverse, en Nouvelle Calédonie, où l’État est compétent s’agissant de la protection des libertés publiques et les autorités locales compétentes en matière de fixation des prix et d’organisation des marchés, il est possible, ainsi que le note la rapporteure du Sénat de « justifier un bloc de compétences de l’État, ce dernier ne pouvant en effet protéger les droits d’auteurs sans encadrer la fixation des prix du livre numérique. L’encadrement de ces prix apparaît donc indissociable de la protection des droits d’auteurs » (31).

*

La Commission adopte l’article 8 sans modification.

M. Marcel Rogemont. Sur l’ensemble de la proposition de loi, les commissaires du groupe SRC s’abstiendront.

Mme Marie-George Buffet. Les commissaires du groupe GDR feront de même.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

En conséquence, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte adopté par le Sénat

___

Propositions de la Commission

___

 

Proposition de loi relative

au prix du livre numérique

Proposition de loi relative

au prix du livre numérique

 

Article 1er

Article 1er

 

La présente loi s’applique au livre numérique lorsqu’il est une œuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs et qu’il est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et publié sous forme imprimée ou qu’il est, par son contenu et sa composition, susceptible de l’être, nonobstant les éléments accessoires propres à l’édition numérique.

La …

… susceptible d’être imprimé, à l’exception des éléments…

… numérique.

Amendements AC 12 et AC 13

 

Un décret précise les caractéristiques des livres entrant dans le champ d’application de la présente loi.

Alinéa sans modification

 

Article 2

Article 2

 

Toute personne qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public.

Toute personne établie en France qui …

… commerciale est tenue …

… public.

Amendements AC 23, AC 4, AC 28 et AC 29

 

Ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage.

Alinéa sans modification

   

Le premier alinéa ne s’applique pas aux livres numériques, tels que définis à l’article 1er, lorsque ceux-ci sont intégrés dans des offres proposées sous la forme de licences d’utilisation et associant à ces livres numériques des contenus d’une autre nature et des fonctionnalités. Ces licences bénéficiant de l’exception définie au présent alinéa doivent être destinées à un usage collectif et proposées dans un but professionnel, de recherche ou d’enseignement supérieur, dans le strict cadre des institutions publiques ou privées qui en font l’acquisition pour leurs besoins propres, excluant la revente. 

Amendement AC 24

 

Un décret fixe les conditions et modalités d’application du présent article.

Alinéa sans modification

 

Article 3

Article 3

 

Le prix de vente, fixé dans les conditions déterminées à l’article 2, s’impose aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France.

Le …

… personnes établies en France proposant …

… France.

Amendement AC 25

 

Article 4

Article 4

 

Les ventes à primes de livres numériques ne sont autorisées, sous réserve des dispositions de l’article L. 121–35 du code de la consommation, que si elles sont proposées par l’éditeur, tel que défini à l’article 2, simultanément et dans les mêmes conditions à l’ensemble des personnes mentionnées à l’article 3.

Sans modification

 

Article 5

Article 5

 

Pour définir la remise commerciale sur les prix publics qu’il accorde aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France, l’éditeur, tel que défini à l’article 2, doit tenir compte, dans ses conditions de vente, de l’importance des services qualificatifs rendus par ces derniers en faveur de la promotion et de la diffusion du livre numérique par des actions d’animation, de médiation et de conseil auprès du public.

Pour …

… l’article 2, tient

compte …

… services qualitatifs

rendus …

… public.

Amendements AC 14 et AC 15

Code de la propriété intellectuelle

Article 5 bis

Article 5 bis

Art. L. 132-5. – Le contrat peut prévoir soit une rémunération proportionnelle aux produits d'exploitation, soit, dans les cas prévus aux articles L. 131-4 et L. 132-6, une rémunération forfaitaire.

L’article L. 132–5 du code de la propriété intellectuelle est complété par une phrase ainsi rédigée :

Supprimé

 

« Lorsqu’une œuvre étant publiée sous forme imprimée est commercialisée sous forme numérique, la rémunération de l’auteur au titre de l’exploitation numérique est fixée en tenant compte de l’économie générée, pour l’éditeur, par le recours à l’édition numérique. »

Amendements AC 26 et AC 11

 

Article 6

Article 6

 

Un décret en Conseil d’État détermine les peines d’amende contraventionnelle applicables en cas d’infraction aux dispositions de la présente loi.

Sans modification

 

Article 7

Article 7

 

Le Gouvernement présente au Parlement un rapport annuel sur l’application de la présente loi au vu de l’évolution du marché du livre numérique, comportant une étude d’impact économique sur l’ensemble de la filière.

Un comité de suivi composé de deux députés et deux sénateurs, désignés par les commissions chargées des affaires culturelles auxquelles ils appartiennent, est chargé de suivre la mise en œuvre de la présente loi. Après consultation du comité de suivi et avant le 31 juillet de chaque année, le Gouvernement présente au Parlement un rapport annuel sur l’application de la présente loi au vu de l’évolution du marché du livre numérique, comportant une étude d’impact sur l’ensemble de la filière.

Ce rapport vérifie, notamment, si l’application d’un prix fixe au commerce du livre numérique permet une rémunération de la création et des auteurs compatible avec l’objectif de diversité culturelle poursuivi par la présente loi. 

Amendement AC 27

 

Article 8

Article 8

 

La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie.

Sans modification

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° AC 1 présenté par M. Lionel Tardy

Article 1er

À l’alinéa 1, substituer au mot : « livre », le mot : « contenu ».

Amendement n° AC 2 présenté par M. Lionel Tardy

Article 1er

Après les mots : « de l'être », supprimer la fin de l'alinéa 1.

Amendement n° AC 3 présenté par M. Lionel Tardy et Mme Marie-José Roig

Article 1er

Supprimer l'alinéa 2.

Amendement n° AC 4 présenté par M. Lionel Tardy

Article 2

À l'alinéa 1, après le mot : « personne », insérer les mots : « établie en France ».

Amendement n° AC 5 présenté par M. Lionel Tardy

Article 2

Après l'alinéa 2, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux licences d'accès aux bases de données ».

Amendement n° AC 6 présenté par M. Lionel Tardy

Article 2

Après l'alinéa 2, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux offres proposées à des fins d'usage collectif ou professionnel. »

Amendement n° AC 7 présenté par M. Lionel Tardy et Mme Marie-José Roig

Article 3

Substituer aux mots : « aux acheteurs situés en France », les mots : « destinées au marché français ».

Amendement n° AC 8 présenté par M. Lionel Tardy

Article 4

Supprimer cet article.

Amendement n° AC 9 présenté par M. Lionel Tardy

Article 5

Supprimer cet article.

Amendement n° AC 10 présenté par M. Lionel Tardy et Mme Marie-José Roig

Article 5

À l'alinéa 1, substituer aux mots : « aux acheteurs situés en France », les mots : « destinées au marché français ».

Amendement n° AC 11 présenté par M. Lionel Tardy

Article 5 bis

Supprimer cet article.

Amendement n° AC 12 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 1er

À l’alinéa 1, substituer aux mots : « de l’être », les mots : « d’être imprimé ».

Amendement n° AC 13 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 1er

À l’alinéa 1, substituer aux mots : « nonobstant les », les mots : « à l’exception des ».

Amendement n° AC 14 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 5

Dans cet article, substituer aux mots : « doit tenir compte », les mots : « tient compte ».

Amendement n° AC 15 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 5

Dans cet article, substituer au mot : « qualificatifs », le mot : « qualitatifs ».

Amendement n° AC 16 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article 2

Après l’alinéa 2, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas aux licences d’accès aux bases de données ou aux offres associant des livres numériques à des contenus d’une autre nature ou à des services et proposées à des fins d’usage collectif ou professionnel, ou à toute diffusion commerciale autorisant, sans limitation quantitative, la copie et la redistribution du livre par tout acquéreur. »

Amendement n° AC 17 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article 2

Après l’alinéa 2, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux offres proposées à des fins d'usage collectif ou professionnel. »

Amendement n° AC 18 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article 5 bis

Rédiger ainsi cet article :

« Lorsqu’une œuvre est commercialisée ou diffusée sous une forme numérique, son exploitation doit générer au profit de l’auteur de celle-ci une rémunération proportionnelle d’un montant par exemplaire au moins égal à celui perçu pour la forme imprimée de l’édition première.

« À défaut de pouvoir garantir à l’auteur que le produit du pourcentage prévu au contrat générera une rémunération au moins équivalente, l’éditeur doit s’engager à verser à l’auteur un minimum garanti par exemplaire commercialisé ou diffusé sous une forme numérique.

« Des minima, par secteur de l’édition, seront fixés par une négociation professionnelle collective entre représentants des éditeurs et des auteurs, organisée par le ministère de la culture. »

Amendement n° AC 19 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article additionnel après l’article 5 bis

Au e) du 3° de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, les mots: « et des œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit » sont supprimés.

Amendement n° AC 20 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article additionnel après l’article 5 bis

L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les cessions portant sur des droits d’exploitation sous une forme numérique d’un livre, dont la première édition envisagée dans des conditions professionnelles l’est sous une forme librairie et nécessitant une adaptation de tout ou partie de l’œuvre à la diffusion sous forme numérique, doivent faire l’objet d’un contrat écrit séparé sur un document distinct du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’œuvre imprimée. »

Amendement n° AC 21 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article additionnel après l’article 5 bis

L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la première édition envisagée dans des conditions professionnelles l’est pour une forme numérique, elle doit faire l’objet d’un contrat écrit, adapté à l’exploitation numérique envisagée, séparé de celui proposé aux auteurs pour l’édition en librairie. »

Amendement n° AC 22 présenté par MM. Marcel Rogemont, Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin et les commissaires SRC de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Article additionnel après l’article 5 bis

L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le contrat distinct ou le document distinct prévu aux 4 et 5 ci-dessus devra prévoir dans le détail : la durée déterminée et précise de cession, les conditions de rémunération proportionnelle de l’auteur ou des coauteurs de l’œuvre, les conditions d’exploitation du livre numérique ou de l’adaptation dans sa forme numérique du livre papier et les modalités de redditions de comptes à l’auteur pour ces exploitations. »

Amendement n° AC 23 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 2

À la première phrase de l’alinéa 1, après les mots : « Toute personne », insérer les mots : « établie en France ».

Amendement n° AC 24 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur, et M. Franck Riester

Article 2

Après l’alinéa 2, insérer l’alinéa suivant :

« Le premier alinéa ne s’applique pas aux livres numériques, tels que définis à l’article premier de la présente loi, lorsque ceux-ci sont intégrés dans des offres proposées sous la forme de licences d’utilisation et associant à ces livres numériques des contenus d’une autre nature et des fonctionnalités. Ces licences bénéficiant de l’exception définie au présent alinéa doivent être destinées à un usage collectif et proposées dans un but professionnel, de recherche ou d’enseignement supérieur, dans le strict cadre des institutions publiques ou privées qui en font l’acquisition pour leurs besoins propres, excluant la revente. »

Amendement n° AC 25 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 3

Après le mot : « personnes », insérer les mots : « établies en France ».

Amendement n° AC 26 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 5 bis

Supprimer cet article.

Amendement n° AC 27 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 7

Rédiger ainsi cet article :

« Un comité de suivi composé de deux députés et deux sénateurs, désignés par les commissions chargées des affaires culturelles auxquelles ils appartiennent, est chargé de suivre la mise en œuvre de la présente loi. Après consultation du comité de suivi et avant le 31 juillet de chaque année, le Gouvernement présente au Parlement un rapport annuel sur l’application de la présente loi au vu de l’évolution du marché du livre numérique, comportant une étude d’impact sur l’ensemble de la filière.

« Ce rapport vérifie, notamment, si l’application d’un prix fixe au commerce du livre numérique permet une rémunération de la création et des auteurs compatible avec l’objectif de diversité culturelle poursuivi par la présente loi. »

Amendement n° AC 28 présenté par M. Hervé Gaymard, rapporteur

Article 2

À la première phrase de l’alinéa 1, après les mots : « diffusion commerciale », supprimer les mots : « en France ».

Amendement n° AC 29 présenté par M. Lionel Tardy

Article 2

À l'alinéa 1, après les mots : « diffusion commerciale », supprimer les mots : « en France ».

Sous-amendement n° AC 30 présenté par M. Lionel Tardy à l’amendement n° AC 27 du rapporteur

Article 7

À l'alinéa 1 de l’amendement, supprimer les mots : « auxquelles ils appartiennent ».

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

Ø Mme Anne Perrot, vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, et M. Fabien Zivy, chef du service du président

Ø Mme Françoise Benhamou, économiste, auteur de l’étude : « Modèles économiques d’un marché naissant : le livre numérique », réalisée pour le ministère de la culture (2010)

Ø M. Bernard Fixot, président de XO Éditions, et Mme Édith Leblond, directeur général

Ø M. Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livre, et Mme Laure Darcos, directrice des relations institutionnelles

Ø Mme Sabine Zylberbogen, directeur juridique France/Luxembourg de Amazon, M. Andrew Cecil, directeur des affaires publiques Europe, et Mme Victoria Hayes, consultante en affaires publiques

Ø M. Jörg Hagen, président-directeur général de France Loisirs, et Mme Emmanuelle Farrandon, directrice juridique

Ø M. Antoine Gallimard, président du Syndicat national de l’édition (SNE), et Mme Christine de Mazières, déléguée générale

© Assemblée nationale

1 () Hervé Gaymard, Situation du livre – Évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives. Rapport à la ministre de la culture et de la communication, mars 2009.

2 () Source : Arnaud Nourry,  « Le livre numérique prendra 15% du marché », le Nouvel Observateur, 27 mai 2010.

3 () Source : http://www.thebookseller.com/blogs/99527-the-kindle-has-landed.html.

4 () Source : F. Benhamou, O. Guillon, « Modèles économiques d’un marché naissant : le livre numérique », Culture prospective, 2010-2.

5 () Source : MCG Consultants pour le ministère de la culture, Étude sur les perspectives économiques du livre numérique en Allemagne et au Royaume-Uni, 2010.

6 () Le compte rendu de cette table ronde figure ci-après.

7 () Arrêt du 15 janvier 2002 de la CJCE, affaire C-439/99, Commission/Italie, point 22.

8 () Arrêt du 30 novembre 1995 de la CJCE, affaire C-55/94, Gebhard, point 37.

9 () Arrêt du 10 janvier 1985 de la CJCE, affaire 229/83, Leclerc, point 30.

10 () Arrêt du 25 juillet 1991, affaire C-288/89, Collectieve Antennevoorziening Gouda ou affaire C-355/89, Pays-Bas/Commission.

11 () Arrêt du 28 novembre 1989, affaire 379/87, Groener.

12 () Arrêt du 26 juin 1997, affaire C-368/95, Familiapress.

13 () Affaire C-531/07 LIBRO.

14 () Sur le texte de la proposition de loi initiale, qui prévoyait uniquement l’application des dispositions aux entreprises établies en France.

15 () Hervé Gaymard, Situation du livre - Évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives. Rapport à la ministre de la culture et de la communication, mars 2009.

16 () Instruction fiscale n° 3 C-4-05 du 12 mai 2005.

17 () Idem.

18 () Voir à ce sujet Françoise Benhamou, Olivia Guillon, Modèles économiques d’un marché naissant : le livre numérique. Culture Prospective n° 2010-2, études du DEPS, ministère de la culture, juin 2010.

19 () Hervé Gaymard, rapport précité.

20 () Hervé Gaymard, rapport précité.

21 () Rapport n° 50 de Mme Colette Mélot sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique, commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Sénat, 20 octobre 2010.

22 () Rapport précité.

23 () Compte rendu des débats en séance publique au Sénat, 26 octobre 2010.

24 () Hervé Gaymard, rapport précité.

25 () Hervé Gaymard, rapport précité.

26 () http://www.sne.fr/editeurs/vendre-un-livre/usages-commerciaux.html. Cité dans le rapport Mme Colette Mélot précité.

27 () Voir à cet égard l’étude de la commission des usages commerciaux (http://www.syndicat-librairie.fr/fr/l_esprit_du_protocole_sur_les_usages_commerciaux).

28 () Compte-rendu des débats en séance publique au Sénat, 26 octobre 2010.

29 () Idem.

30 () Rapport de Mme Colette Mélot précité.

31 () Conformément à un avis du Conseil d'État du 10 juin 2010.