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N
° 3190

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mars 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde,

par Mme  Chantal BOURRAGUÉ

Députée

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 345 (2009-2010), 123, 124 et T.A. 40 (2010-2011).

Assemblée nationale : 3076.

INTRODUCTION 5

I – L’INTENSITÉ DES RELATIONS ÉCONOMIQUES FRANCO-INDIENNES JUSTIFIE PLEINEMENT LA CONCLUSION D’UN ACCORD DE SÉCURITÉ SOCIALE 7

A – DES ÉCHANGES COMMERCIAUX BILATÉRAUX SOUTENUS MALGRÉ LE REPLI DÛ À LA CRISE 7

B – DES INVESTISSEMENTS FRANÇAIS EN INDE ET INDIENS EN FRANCE DYNAMIQUES 9

C – UN ACCORD POUR FACILITER L’INSTALLATION D’ENTREPRISES D’UN PAYS DANS L’AUTRE 10

II – LE CœUR DE L’ACCORD PORTE SUR LES RISQUES LONGS 13

A – UN CHAMP D’APPLICATION CENTRÉ SUR LES RISQUES LONGS 13

B – DES PRINCIPES CLASSIQUES, SAUF EN CE QUI CONCERNE LE DÉTACHEMENT 14

C – UN VOLET CONSACRÉ À LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE COTISATIONS ET DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE AUX PRESTATIONS SOCIALES 16

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

_____

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 25

Mesdames, Messieurs,

Les relations franco-indiennes se sont considérablement densifiées depuis une quinzaine d’années : les deux pays ont lancé un partenariat stratégique en 1998 et un dialogue stratégique un an plus tard. Ce dialogue repose sur des rencontres régulières de haut niveau. Nos relations sont dépourvues de tout irritant majeur et la France soutient la candidature indienne à un siège de membre permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et son aspiration à l’accession à une coopération nucléaire civile.

Depuis le début de son mandat, le Président Nicolas Sarkozy a œuvré à l’intensification de notre partenariat politique et de notre coopération dans de nombreux domaines. Il a effectué une visite d’Etat en Inde en janvier 2008 et une visite de travail en décembre 2010. Après un premier déplacement en France en septembre 2008, le Premier ministre Manmohan Singh a été l’invité d’honneur des cérémonies du 14 juillet 2009, pendant lesquelles quatre cents soldats indiens ont défilé sur les Champs-Elysées.

Ces visites ont été l’occasion de signer une série d’accords de coopération, à l’exemple de l’accord de coopération pour le développement des usages pacifiques de l’énergie nucléaire et de l’accord sur l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques, dont notre Assemblée a autorisé la ratification au cours de ces derniers mois. Le même jour, le 30 septembre 2008, a aussi été signé l’accord de sécurité sociale qui est l’objet du présent projet de loi.

C’est le développement des relations économiques franco-indiennes, et particulièrement celui des investissements réalisés par les entreprises de chaque pays dans l’autre, qui justifie la conclusion d’un accord visant à faciliter l’envoi croisé de salariés. Les stipulations de cet accord sont néanmoins centrées sur les mesures de coordination concernant les risques longs, afin d’éliminer tout risque de « dumping social » lié à la nette différence du niveau des cotisations sociales entre les deux pays.

I – L’INTENSITÉ DES RELATIONS ÉCONOMIQUES FRANCO-INDIENNES JUSTIFIE PLEINEMENT LA CONCLUSION D’UN ACCORD DE SÉCURITÉ SOCIALE

La part de marché française en Inde est de l’ordre de 1,7 %, ce qui fait de notre pays le 15ème fournisseur et le 11ème client de la Fédération. La France se situe en outre parmi les dix premiers investisseurs étrangers en Inde, avec un stock d’investissements directs de l’ordre de 750 millions de dollars américains.

A – Des échanges commerciaux bilatéraux soutenus malgré le repli dû à la crise

La crise économique et financière mondiale a dégradé le commerce mondial, qui a chuté de 12 % en valeur en 2009 selon l’Organisation mondiale du commerce. L’Inde n’a pas été épargnée, ses exportations étant pénalisées en début d’année par la forte baisse de la demande mondiale et ses importations faiblissant en valeur du fait du ralentissement de la demande intérieure et de la baisse des cours mondiaux des matières premières.

Les échanges franco-indiens ont aussi été touchés de manière significative. Au cours de l’année 2009, nos exportations ont diminué de 27 % en valeur et nos importations de 16 %, soit un repli global de nos échanges de 21,2 %. Le déficit du solde commercial bilatéral s’est creusé, passant de 121 millions d’euros en 2008 à 447 millions d’euros en 2009, pour un volume d’échanges de 5,4 milliards d’euros. Ce déficit reste néanmoins limité en comparaison de notre déficit bilatéral avec la Chine, qui atteint 21,9 milliards d’euros en 2009, pour un volume d’échanges de 37,6 milliards d’euros.

Néanmoins, depuis le dernier trimestre 2009, un net rebond du commerce extérieur indien se fait sentir. La reprise des importations (elles sont en hausse de 36 % entre janvier et décembre 2009) est plus rapide que celle des exportations (+ 13 % pendant la même période) en raison du dynamisme de la demande interne.

Le tableau de la page suivante met en évidence la composition par secteurs, en 2009, des exportations françaises vers l’Inde et de nos importations issues d’Inde.

LES ÉCHANGES COMMERCIAUX FRANCO-INDIENS EN 2009

 

Exportations vers l’Inde

Importations issues d’Inde

 

Proportions en 2009

(en %)

Evolution en 2009

(en %)

Proportions en 2009

(en %)

Evolution en 2009

(en %)

Prod. agricoles et agroalimentaires

1

– 51

9

– 10

Produits pétroliers raffinés et coke

1

16

10

– 55

Equip. mécaniques, électriques et informatiques dont :

36

– 4

10

– 19

Produits informatiques, électroniques et optiques

12

14

3

10

Machines industrielles et agricoles, machines diverses

16

– 11

4

– 32

Matériels de transports

22

– 63

8

77

Textiles, habillement, cuir et chaussures

1

– 1

43

– 1

Produits chimiques, parfums et cosmétiques

10

2

7

– 11

Produits pharmaceutiques

3

– 20

2

11

Produits métallurgiques et métalliques

15

45

4

– 25

Ensemble

2,5 milliards d’euros

– 27

2,9 milliards d’euros

– 16

Source : service économique de l’ambassade de France en Inde, à partir des informations fournies par les douanes françaises

Depuis 2005, nos exportations vers l’Inde ont bénéficié d’importantes ventes d’aéronautiques aux compagnies aériennes indiennes. En 2008, les exportations de matériel de transport, essentiellement des avions, représentaient 43 % de nos ventes. Ce poste a diminué de 63 % en 2009 et contribué à réduire de 27 points nos exportations vers l’Inde entre 2008 et 2009. En retirant ces biens du champ des exportations considérées, nos exportations augmenteraient de 1 %. Les perspectives pour les années à venir dans ce secteur sont néanmoins très encourageantes, comme en témoigne la signature, le 11 janvier 2011, d’un protocole d’accord entre Airbus et la compagnie indienne IndiGo pour la vente de 180 Airbus A320. Cette commande, qui est, selon l’avionneur européen, la plus importante de l’histoire de l’aéronautique en nombre d’appareils, est évaluée à plus de 12,5 milliards d’euros. La livraison des avions sera naturellement échelonnée au cours des prochaines années, d’autant que 150 des avions commandés sont d’un modèle, l’A320neo, dont le lancement n’est prévu qu’en 2016. Cette commande est néanmoins d’excellente augure pour l’évolution du commerce franco-indien au cours de la décennie qui s’ouvre.

Parmi les autres secteurs touchés par une évolution notable de nos exportations vers l’Inde, figurent les « produits métallurgiques et métalliques », qui augmentent de 45 % entre 2008 et 2009 et les « produits informatiques, électroniques et optiques », en progression de 14 % – principalement grâce aux équipements de communication –, alors que les « machines industrielles et agricoles et machines diverses » sont en repli de 11 %.

Nos importations issues d’Inde sont composées en grande partie de textile, d’habillement, de cuir et de chaussures : stables en volume entre 2008 et 2009, ces achats ont vu leur part relative croître nettement, de 36 % de nos importations en 2008 à 43 % en 2009. Entre 2006 et l’été 2008, les produits raffinés issus du pétrole avaient pris une part croissante dans la valeur de nos achats à l’Inde (19 % en 2008), principalement du fait de la hausse des cours. Avec le retournement des prix du pétrole, ces achats se sont réduits de 55 % en 2009, contribuant à hauteur de 10 points à la baisse de nos importations issues d’Inde. En revanche, nos importations de produits pharmaceutiques augmentent de 11 %, reflet du développement de la consommation de médicaments génériques en France.

Le commerce bilatéral s’est redressé en 2010, même si les données annuelles ne sont pas encore disponibles. Lors de sa visite d’Etat en janvier 2008, le Président Nicolas Sarkozy avait fixé, avec le Premier ministre indien, un objectif de 12 milliards d’euros d’échanges commerciaux à l’horizon 2012. Le ministère des affaires étrangères et européennes estime que le seuil des 10 milliards d’euros devrait être franchi à cette date, notamment grâce à la reprise des exportations aéronautiques. L’accord de libre échange entre l’Inde et l’Union européenne, s’il est conclu sans retard excessif, pourrait produire ses premiers effets à partir de 2015.

B – Des investissements français en Inde et indiens en France dynamiques

Si le rachat d’Arcelor par le groupe Mittal a suscité de vives réactions en France, il faut néanmoins garder à l’esprit le fait que les investissements directs français en Inde restent nettement supérieurs aux investissements directs indiens dans notre pays. Les flux dans les deux sens sont très dynamiques.

Ainsi, environ trois cents entreprises françaises disposent de 750 établissements permanents en Inde. Elles y créent un nombre d’emplois considérables : 50 000 en 2005, 180 000 en 2010 et vraisemblablement 200 000 fin 2011, selon le service économique de notre ambassade à New Delhi – mais seulement 40 000 selon le ministère des affaires étrangères et européennes. Le poids des sociétés de services informatiques et d’ingénierie est particulièrement important. Il faut souligner qu’une grande majorité des investissements directs a été réalisée par le biais d’acquisitions ou dans le but de conquérir des parts de marché en Inde, en Asie ou dans le Golfe persique ; seulement 5 % des emplois créés ont ainsi vocation à servir le marché français.

Pour l’année budgétaire indienne allant d’avril 2009 à mars 2010, la France a contribué à hauteur de 1,2 % aux flux entrant d’investissements directs étrangers en Inde (avec 303 millions de dollars), contre 1,7 % l’année précédente (467 millions de dollars). Sa part a atteint 3,2 % pour la période avril-juillet 2010. Elle occupait ainsi le 10ème rang des investisseurs étrangers, après avoir été à la 8ème place en 2008-2009. Ces données doivent néanmoins être relativisées : le ministère indien du commerce et de l’industrie traite en effet les flux d’investissements selon leur origine juridique, si bien que l’Ile Maurice et Singapour apparaissent de loin comme les premiers investisseurs en Inde (avec respectivement 10 376 millions de dollars et 2 379 millions de dollars investis en 2009-2010) du fait des avantages fiscaux qu’ils accordent. Ce sont en fait des plates-formes par lesquelles transitent les capitaux à destination de l’Inde.

Parallèlement, la France est une destination de plus en plus attractive pour les investisseurs indiens : alors qu’en 2005 l’Inde se classait au 69ème rang des investisseurs étrangers en France, elle s’est hissée au 45ème rang en 2009. Elle est le troisième pays d’accueil des investissements indiens en Europe pour la période 2003-2009, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Le stock des investissements directs indiens dans notre pays s’est élevé à 323 millions d’euros en 2009, soit 0,04 % des investissements accueillis en France, contre 91 millions d’euros, soit 0,02 % des investissements étrangers totaux, en 2005.

En 2009, on comptait ainsi 90 entreprises indiennes établies en France, représentant 8 000 emplois (1). Les secteurs les plus attractifs pour les investissements indiens sont la métallurgie et la fabrication de produits métalliques, les technologies de l’information et de la communication et l’industrie pharmaceutique. D’autres secteurs commencent aussi à retenir l’attention des investisseurs indiens : il s’agit de l’automobile et les énergies renouvelables.

C – Un accord pour faciliter l’installation d’entreprises d’un pays dans l’autre

Seule une petite partie des effectifs des entreprises françaises implantées en Inde et des sociétés indiennes installées en France est constituée, respectivement, de Français et d’Indiens. Mais étant donné le développement des investissements croisés et l’augmentation du nombre d’emplois en jeu, les personnels concernés ne sont pas négligeables.

En 2009, sur les 9 030 Français inscrits sur les registres des consulats de France en Inde, 4 800 étaient en âge de travailler. A l’exception de la communauté française et franco-indienne de Pondichéry (2), la durée moyenne de séjour de ces Français est inférieure à trois ans. Le ministère des affaires étrangères et européennes estime à environ 900 le nombre actuel des personnes qui pourraient bénéficier du statut de détachement. Les entreprises françaises développent principalement leurs investissements dans les secteurs de l’énergie (Areva), la téléphonie, l’environnement (Suez et Veolia) et les transports (Renault et Michelin) ; ce sont donc surtout les cadres français de ces secteurs qui bénéficieront des stipulations de l’accord.

Les données sont plus précises en ce qui concerne les Indiens qui travaillent en France. Depuis 2005, les Indiens figurent parmi les dix nationalités ayant bénéficié du plus grand nombre de titres de séjour pour motif professionnel. Leur ont été délivrés 489 titres en 2005, 626 en 2006, 736 en 2007, 1 039 en 2008 et 920 en 2009. Même si l’année 2009, sommet de la crise économique a été marquée par une baisse, le nombre de titres a donc plus que doublé depuis 2005. Le constat est le même si on se limite aux salariés détachés en France par des entreprises établies en Inde : ils étaient 206 en 2008, 413 en 2009 et 408 en 2010 (selon les données provisoires fournies par le ministère chargé de l’immigration). Le « stock » des titres les concernant serait ainsi passé de 522 en 2009 à 894 en 2010, ce qui témoigne bien du dynamisme des relations économiques franco-indiennes.

Relayant les observations de l’Agence français pour les investissements internationaux, le gouvernement a indiqué à votre Rapporteure qu’un certain nombre d’Indiens résidant et salariés dans d’autres pays de l’Union européenne ayant déjà conclu un accord de sécurité sociale avec l’Inde (comme la Belgique) se déplacent au sein de l’Union et travaillent en France en tant que prestataires de service. On peut supposer que l’entrée en vigueur du présent accord conduira les entreprises qui les emploient à s’installer directement dans notre pays.

Selon l’étude d’impact du projet de loi, côté indien, ce sont surtout des personnes employées par les entreprises spécialisées dans le domaine de l’informatique qui devraient profiter de la mise en œuvre de l’accord. Mais d’autres secteurs seront aussi concernés. De manière anecdotique, il a été signalé à votre Rapporteure que l’organisme indien qui participe au projet ITER de Cadarache attend l’entrée en vigueur de l’accord pour y détacher plusieurs de ses salariés.

L’accord vise donc à faciliter l’installation des entreprises françaises en Inde et vice-versa, grâce à une amélioration de la circulation des travailleurs. En effet, la mise à la disposition des entreprises de l’outil qu’est le détachement permettra d’établir une continuité d’affiliation aux risques longs et, en particulier, à leur assurance vieillesse d’origine que ce soit pour les salariés indiens détachés en France ou pour les salariés français détachés en Inde. Dans le premier cas, l’attractivité du territoire français sera renforcée pour les entreprises indiennes désireuses de s’établir en France. Le renforcement de la continuité des droits en matière de pensions rendra l’expatriation temporaire plus attractive pour les salariés français. La coordination en matière de pensions sera également de nature à faciliter la circulation des personnes et l’expatriation en évitant le morcellement des carrières (reconstitution facilitée, prise en compte des périodes cotisées dans l’autre régime).

L’étude d’impact du projet de loi n’avance aucune donnée chiffrée dans sa partie consacrée aux conséquences financières de l’accord. Elle se borne à observer que, suite à la mise en place du détachement, un certain nombre de salariés indiens ne seront pas affiliés au régime français pour les risques longs, tandis que les salariés français détachés en Inde seront affiliés au régime français pour ces mêmes risques. Par ailleurs, elle observe que la coordination des régimes de sécurité sociale peut représenter un gain non négligeable pour les ressortissants français qui ont cotisé successivement au régime indien et français.

Essayer de comparer les éventuelles pertes de recettes et les éventuels gains financiers qu’induira pour la sécurité sociale française l’entrée en vigueur de l’accord n’a en effet guère de sens. Il est d’abord difficile de prévoir précisément l’évolution des effectifs concernés, même si leur augmentation de part et d’autre est l’objectif même de l’accord ; ensuite, les Indiens détachés qui ne cotiseront pas au régime français ne toucheront pas non plus de prestations, contrairement aux Français qui continueront d’y être assujettis. En tout état de cause, étant donné l’ordre de grandeur limité des populations visées, l’application de cet accord ne contribuera aucunement au déséquilibre de nos comptes sociaux.

II – LE CœUR DE L’ACCORD PORTE SUR LES RISQUES LONGS

La France a conclu des accords de sécurité sociale avec plusieurs pays dans lesquels ses entreprises investissent et desquels sont originaires des investissements réalisés sur son sol : les Etats-Unis, le Japon et la Corée sont dans ce cas. Ce sont les mêmes raisons qui ont conduit à négocier un accord avec l’Inde. Néanmoins, par rapport aux Etats précités, l’Inde se caractérise par un très faible niveau de cotisations sociales : pour éviter tout « dumping social », la France a choisi de centrer le champ d’application de l’accord aux risques longs.

A – Un champ d’application centré sur les risques longs

Les accords de sécurité sociale signés par la France portent généralement sur les risques maladie-maternité, vieillesse et accidents du travail, seules les prestations à caractère non contributif en étant le plus souvent exclues. L’article 2 de l’accord franco-indien restreint son champ d’application aux législations relatives à ce que l’on appelle les risques longs, c’est-à-dire aux régimes d’assurance vieillesse, y compris les pensions de survivants, et à l’assurance invalidité. Côté français, toutes les catégories de salariés (même ceux des régimes spéciaux, sauf exception) et de non-salariés (3) sont visées ; côté indien, seuls les salariés sont concernés – car les non-salariés ne sont pas soumis à l’obligation de s’assurer.

Il est néanmoins prévu que l’accord s’applique à tout amendement ou élargissement de ces législations, y compris à l’élargissement des régimes existant à de nouvelles catégories de bénéficiaires (4), mais pas en cas de création d’une nouvelle branche de sécurité sociale, sauf si les autorités des deux Etats consentent à appliquer les stipulations de l’accord à cette nouvelle branche.

Les règles de coordination posées par l’accord portent ainsi exclusivement sur les prestations de vieillesse, de survivant et d’invalidité. Il en est de même des « dispositions spéciales » relatives au détachement dans un Etat contractant d’un salarié par un employeur de l’autre Etat (article 8) (voir infra).

Le champ d’application personnel de l’accord, fixé à l’article 3 inclut toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité, qui sont ou ont été soumises aux législations entrant dans le champ d’application matériel de l’accord, et à leurs ayants droit.

Le champ territorial de l’accord (article 1er) est conforme à l’usage selon lequel les accords de sécurité sociale ne s’appliquent qu’au territoire métropolitain et à celui des départements d’outre-mer, dans la mesure où les dispositions du code de la sécurité sociale ne sont elles-mêmes applicables qu’aux départements métropolitains et d’outre-mer, et pas aux autres territoires ultramarins.

B – Des principes classiques, sauf en ce qui concerne le détachement

L’article 4 énonce le principe qui fonde tous les accords de sécurité sociale auxquels la France est partie, celui de l’égalité de traitement ; il s’applique d’ailleurs à « l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires afférentes à la sécurité sociale en vigueur dans l’un et l’autre des Etats contractants » (article 1er b) premier tiret), et pas seulement à celles relatives aux assurances vieillesse et invalidité : toute personne qui est ou a été assujettie à la législation sociale française ou indienne et qui vit en France ou en Inde bénéficie du même traitement qu’un Indien vivant en Inde ou un Français vivant en France qui se trouve dans la même situation au regard de cette législation.

L’article 5 régit l’exportation des prestations : acquises dans un Etat, elles seront versées de la même manière si le bénéficiaire séjourne ou réside sur le territoire de l’autre Etat. S’il réside sur le territoire d’un Etat tiers, il se verra appliquer les mêmes règles qu’un ressortissant de l’Etat dans lequel il a cotisé résidant lui-même dans un Etat tiers.

Selon la même logique, il sera tenu compte des prestations versées, des revenus perçus ou d’une activité professionnelle exercée dans l’autre Etat lorsque les règles de l’Etat de cotisation prévoient de tenir compte de tels éléments pour réduire, suspendre ou supprimer le versement d’une prestation (article 6).

En application de l’article 7, et comme toujours dans les accords de ce type, les personnes qui travaillent dans un Etat – que leur activité soit salariée ou non salariée – sont soumises uniquement à la législation de cet Etat en ce qui concerne leur affiliation aux régimes sociaux. Ce principe s’applique à la couverture de tous les risques.

Il existe néanmoins une série de dérogations à ce principe :

– le personnel roulant ou naviguant d’une entreprise de transports internationaux est soumis à la législation de l’Etat contractant où se trouve le siège de cette entreprise ;

– les personnes travaillant à bord d’un navire qui bat le pavillon d’un Etat contractant sont considérées comme exerçant leur activité dans cet Etat, et donc assujetties à la législation de ce dernier ;

– très classiquement, l’article 9 précise que les fonctionnaires et personnel assimilé (y compris les personnels diplomatiques et consulaires) ainsi que les membres de leur famille sans activité professionnelle restent soumis à la législation de l’Etat dont dépend l’administration qui les emploie.

Par ailleurs, comme c’est toujours le cas dans ce type d’accords, l’article 10 permet aux autorités compétentes de prévoir, d’un commun accord, d’autres dérogations aux règles d’assujettissement, à condition que les intéressés soient assujettis à la législation de l’un ou l’autre des Etats contractants.

Les dispositions spéciales relatives aux situations de détachement d’un salarié, qui constituent l’article 8, sont en revanche inhabituelles. Généralement, les travailleurs salariés détachés demeurent placés sous les législations de leur pays d’origine pendant une certaine période (5). L’accord franco-indien limite cette exception aux législations relatives aux risques longs précités ; pour les autres risques, ces personnes cotiseront dans le pays où elles sont détachées, comme les autres salariés.

Cette « dissociation des risques » est une spécificité de l’accord franco-indien qui répond à une préoccupation de la France. L’exemption de contributions à la sécurité sociale française, dont le coût pour les entreprises est élevé, constituerait un avantage comparatif important pour des entreprises établies en Inde, où ces contributions sont de faible niveau, et créerait des risques de « dumping social ». En outre, s’agissant des risques courts (maladie et accidents du travail), une prise en charge insuffisante des travailleurs concernés par le système de protection indien ou une assurance privée serait susceptible de faire peser une charge indue sur les établissements de soins français qui seraient amenés à dispenser les soins. Ce double souci a conduit à limiter l’exemption aux risques longs, pour lesquels les détachés restent couverts dans leur pays d’origine – ce qui évite les périodes d’interruption dans la constitution des droits à pension – et pour lesquels une affiliation en France n’a qu’un intérêt limité pour les salariés indiens.

Les ressortissants français détachés en Inde seront donc affiliés au régime indien pour les risques maladie-maternité et accidents du travail, dont le niveau de protection est inférieur au régime français, mais cette affiliation ne sera évidemment pas exclusive d’une couverture financée par leurs employeurs ou d’une assurance volontaire, du type de celle offerte par la Caisse des Français de l’étranger.

L’article 15 précise que les salariés en détachement bénéficient des prestations familiales versées dans l’Etat où ils exercent leur activité. Cette stipulation ne s’appliquera en fait qu’au profit des salariés indiens détachés en France puisqu’il n’existe pas de prestations familiales en Inde, compte tenu de la croissance démographique du pays.

Les règles relatives au calcul des prestations, fixées dans la troisième partie de l’accord, sont classiques.

En application de l’article 11, lorsqu’un travailleur ne justifie pas de la durée d’assurance prévue par la législation de l’Etat d’affiliation pour l’ouverture ou le maintien d’un droit, il est fait appel aux périodes d’assurance accomplies sous la législation de l’autre Etat, à condition que les périodes ne se superposent pas. Les règles de prise en compte des périodes d’assurance accomplies au titre d’un régime spécial, notamment d’un régime de fonctionnaire, sont établies dans le même article. Pour le calcul des périodes d’assurance et du droit à pension, sont prises en compte les périodes accomplies dans des Etats tiers liés à l’un et à l’autre des Etats contractants par un accord de sécurité sociale. A ce jour, seules la Belgique, l’Allemagne et la Suisse remplissent cette condition (6).

Les règles précises de calcul du montant des prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants sont énumérées à l’article 12 et l’article 13 traite des cas dans lesquels sont prises en compte des périodes de cotisation inférieures à une année.

C – Un volet consacré à la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations sociales

La quatrième partie de l’accord, consacrées à des dispositions diverses, fixe le cadre d’une coopération bilatérale en matière de sécurité sociale.

Les autorités et les institutions compétentes des deux Etats collaborent pour la détermination des droits à prestation ou pour le versement de celle-ci (article 17). La procédure de reconnaissance et d’exécution des décisions de justice est décrite à l’article 20, que ces décisions portent sur des cotisations ou des prestations. En application des stipulations de cet article pourront aussi être récupérés les montants des prestations sociales indûment versées ou les cotisations impayées.

L’article 21 de l’accord prévoit une collaboration en matière de lutte contre la fraude : l’institution compétente d’un Etat peut interroger celle de l’autre Etat pour s’assurer de la réalité de la résidence d’une personne sur le territoire de l’un ou l’autre Etat ou connaître le niveau des revenus ou des ressources dont une personne bénéficie sur le territoire de l’autre Etat. L’institution interrogée est tenue de fournir les informations pertinentes dont elle dispose.

Ces échanges d’information doivent se faire dans le respect des règles de confidentialité qui figurent à l’article 19 de l’accord. Celui-ci souligne que les informations personnelles transmises par un Etat à l’autre seront utilisées exclusivement aux fins de l’application de l’accord. Une fois reçues, elles seront régies par les règles du pays de réception relatives à la protection de la confidentialité des renseignements personnels. Comme l’indique la Commission nationale Informatique et liberté (CNIL) sur son site, le niveau de protection des données personnelles en Inde n’est pas équivalent à celui de la France, bien que l’article 21 de la constitution de la Fédération constitue une base juridique pour la protection des données personnelles et que l’Information technology act de 2000 encadre la constitution de fichiers informatiques et la conservation des données personnelles. Un projet de loi relatif à la protection des données personnelles a été initié en 2006, mais il n’a pas encore été adopté. Il n’est donc pas certain que, en l’état actuel de la législation indienne, la France accepte de transmettre des informations personnelles aux autorités indiennes compétentes.

CONCLUSION

L’accord de sécurité sociale franco-indien est un outil qui doit contribuer à renforcer l’attractivité de la France pour les investisseurs indiens et de l’Inde pour les investisseurs français, principalement en facilitant l’envoi de salariés détachés d’un pays vers l’autre. Il tient néanmoins compte de la grande différence du niveau des cotisations et des prestations sociales entre les deux Etats en limitant aux risques longs le maintien du rattachement des salariés détachés au système de leur pays d’origine : ces risques sont ceux pour lesquels la continuité d’affiliation est la plus importante pour les personnes concernées et les conséquences en terme de « dumping social » sont les plus limitées.

L’Inde n’a pas à suivre de procédure particulière pour la ratification des accords internationaux et le Sénat a adopté le présent projet de loi le 22 décembre dernier. Le vote de notre Assemblée rendra donc possible une ratification rapide de l’accord par la France, condition de son entrée en vigueur, prévue le premier jour du troisième mois suivant la date de notification de cette approbation.

Votre Rapporteure est donc favorable à l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 2 mars 2011.

Après l’exposé de la Rapporteure, un débat a lieu.

M. Michel Terrot. Je poserai une question simple : le maintien de l’affiliation au régime français de sécurité sociale dispense-t-il de cotiser au régime de sécurité sociale indien pour les Français qui vivent en Inde ?

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Pour les risques longs, il y a une dispense de cotisation au régime indien pour les Français détachés en Inde par leur entreprise et qui cotisent en France.

M. Jean-Paul Dupré. Madame la Rapporteure, ce projet de loi a un caractère très social. Cela me conduit à vous demander si vous disposez d’éléments sérieux relatifs aux conditions de travail en Inde, notamment concernant la main d’œuvre infantile.

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Ce projet de loi traite de la question des Français qui travaillent en Inde et des Indiens qui travaillent en France. Nous ne disposons pas de renseignements particuliers sur les conditions de travail des uns et des autres. Les employeurs concernés sont en général de grandes entreprises, qui ont une politique correcte vis-à-vis des personnels.

M. André Schneider. Je souhaiterais aussi affiner la question. Il est bon que les Français cotisent au régime indien pour les risques courts, mais les conditions de prise en charge y sont beaucoup moins favorables qu’en France. Vous avez abordé cette question mais, concrètement, si des Français ont besoin de soins d’urgence, peuvent-ils bénéficier de remboursements complémentaires, sachant comment marche la médecine privée dans ces pays ?

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. La protection sociale pour les risques courts relève de la politique de chaque entreprise. Chacune reste libre de contracter des assurances complémentaires pour ses salariés qui sont en Inde, la couverture du risque maladie étant en Inde moins performante qu’en France.

M. Jacques Remiller. Je risque d’être hors sujet et de recevoir la même réponse que Jean-Paul Dupré. Il s’agit d’un pays où le travail des enfants est très répandu. Pouvez-vous apporter quelques réponses à ce sujet ?

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Cet accord n’aborde absolument pas cette question et je ne peux donc pas répondre.

M. le président Axel Poniatowski. C’est la seconde fois que la question est posée mais effectivement ce n’est pas du tout l’objet du projet de loi.

M. Robert Lecou. J’interviens, non pas pour poser une question, mais pour porter une appréciation sur ce projet de loi. Des pays comme l’Inde ou la Chine sont des pays en devenir. L’Inde sera la troisième économie du monde en 2050. Il me paraît important d’apporter notre approbation à un tel accord car cela permettra certainement aux expatriés français en Inde et aux expatriés indiens en France de travailler dans des conditions convenables.

M. Paul Giacobbi. Le rapport est tout à fait précis et le projet de loi est très important. Je voudrais souligner que ce n’est pas une question anecdotique, ni pour le présent ni pour le futur. Il est extraordinairement difficile de situer le niveau des investissements étrangers dans un pays. Pour donner une idée exacte de la réalité des investissements réciproques, au-delà des statistiques disponibles, qui sont très mauvaises, je signale par exemple que le groupe indien Tata a cent mille salariés en Europe, dont cinquante mille en Grande-Bretagne. Le groupe français Cap Gemini, à ma connaissance, a plus de salariés en Inde qu’en France.

J’indique que si le projet d’installation de deux réacteurs EPR à Jaitapur se concrétise, on imagine que la société Areva aura un certain nombre de salariés en Inde. Le groupe Tata va réaliser dans les deux ans 20 à 25 milliards d’investissements en Europe et il est très intéressé par les investissements qu’il pourrait réaliser en France. Je signale enfin qu’un des plus gros investissements étrangers en France de ces cinquante dernières années, bien qu’il n’entre pas dans les statistiques, a été effectué par une personne de nationalité britannique, mais qui possède la qualité de citoyen d’outre-mer de l’Inde : M. Mittal. Ce n’est donc pas une question théorique mais pratique.

J’ajoute que, sur le plan des échanges étudiants, qui restent extrêmement faibles malheureusement, il y a des difficultés pour l’obtention de titres de séjour et pour la prise en charge de sécurité sociale. Pourtant, une de nos écoles de management, HEC, est liée à la meilleure école de management de l’Inde, l’IIMA (Indian Institute of Management Ahmedabad).

Ce projet de loi vient à point nommé car, dans les cinq à dix prochaines années, les investissements réciproques vont augmenter considérablement. D’où la nécessité dès maintenant de disposer d’un outil de bonne qualité. Le problème de la prise en charge des soins en Inde est simple : la qualité des soins pour ceux qui ont de l’argent est tout à fait remarquable. L’ancien premier ministre Michel Rocard a été exceptionnellement bien soigné à Calcutta. Mais en réalité le coût des soins, nominalement beaucoup moins élevé qu’en France, n’est pas pris en charge par la sécurité sociale indienne.

M. François Rochebloine. J’aurais une question sur les conjoints : bénéficieront-ils des prestations de santé ? Par ailleurs, pendant combien de temps le statut de détaché peut-il s’appliquer ?

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Oui, les conjoints font partie des ayants droit, dans les régimes français et indien. Les personnels sont considérés comme détachés pendant cinq années au plus.

Suivant les conclusions de la Rapporteure, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 3076).

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La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde, signé à Paris le 30 septembre 2008.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 3076).

© Assemblée nationale

1 () Selon le service économique de notre ambassade en Inde ; le ministère des affaires étrangères et européennes parle de 70 entreprises, employant également 8 000 salariés, et évoque dix nouveaux projets et 200 emplois supplémentaires prévus pour 2009.

2 () Au 31 décembre 2009, 6 561 Français étaient enregistrés au consulat de Pondichéry.

3 () Seule les dispositions relatives aux régimes complémentaires de vieillesse des non-salariés des professions non agricoles sont exclues du champ d’application matériel de l’accord.

4 () A moins que l’Etat qui a amendé sa législation exprime une objection dans un délai de six mois après la publication de la nouvelle législation.

5 () La durée du détachement des salariés varie selon les accords : elle est par exemple de 36 mois, renouvelables une fois si les deux Etats en sont d’accord, dans les accords de sécurité sociale entre la France et la Corée et entre la France et la Tunisie, mais de cinq ans non renouvelables dans les accords conclus avec les Etats-Unis et le Japon ; c’est aussi la durée retenue dans le présent accord.

6 () Mais l’Inde a signé des accords avec sept autres Etats avec lesquels la France a établi des règles de coordination en matière de sécurité sociale : le Luxembourg, les Pays-Bas, la Hongrie, le Danemark et la République tchèque, parties au règlement communautaire n° 883 de 2004, la Norvège, partie au règlement n° 1408 de 1971, et la Corée du Sud, liée à la France par la convention bilatérale du 6 décembre 2004. Lorsque les instruments de coordination entre ces pays et l’Inde seront en vigueur, les périodes d’assurance pourront être prises en compte pour l’application du présent accord.