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N° 3401

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2011.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

sur le projet de loi (N° 3385), adopté par le Sénat,
autorisant la ratification du traité entre la République française et le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes

PAR M. Marc Joulaud,

Député.

——

Voir les numéros :

Sénat : 322, 386, 387 et T.A. 104 (2010-2011).

Assemblée nationale : 3385, 3386.

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. —  ENTRETENIR ET DYNAMISER LA COOPÉRATION DE DÉFENSE
FRANCO-BRITANNIQUE
7

A. MALGRÉ DES DIVERGENCES, DEUX PARTENAIRES NATURELS 7

1. Le Royaume-Uni, un allié ancien de la France devenu un partenaire de premier plan 7

2. Des orientations stratégiques divergentes après la crise de Suez 8

3. Après la guerre froide : des puissances européennes comparables 9

B. LA CONVERGENCE POLITIQUE DES DEUX PAYS, VECTEUR D’UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LEUR PARTENARIAT 10

1. Entre OTAN et construction européenne : un pragmatisme également
partagé
10

2. Le sommet de novembre 2010 : une nouvelle étape 12

II. —  LE NUCLÉAIRE MILITAIRE, NOUVEL AXE DE LA COOPÉRATION 15

A. UNE COOPÉRATION ÉTENDUE EN RAISON DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE 15

1. Un contexte budgétaire contraint, y compris pour le nucléaire militaire 15

2. Partager les coûts induits de la dissuasion 16

B. ÉTAT DES LIEUX DES CAPACITÉS NUCLÉAIRES NATIONALES 17

1. Les capacités françaises 17

a) La composante aéroportée 17

b) La composante océanique 18

c) Les transmissions 18

d) Les autorités et installations nucléaires 19

2. Les capacités britanniques 19

a) La composante océanique 19

b) Les autorités et installations nucléaires 20

C. L’INTÉRÊT D’UNE COOPÉRATION EN TERMES DE RECHERCHE ET
D’INNOVATION
20

1. La confrontation scientifique et le nucléaire militaire 20

2. Partager des programmes convergents 21

III. —  LA COOPÉRATION PRÉVUE PAR LE TRAITÉ 23

A. DES INSTALLATIONS COMMUNES ET UN FINANCEMENT PARTAGÉ 23

1. L’installation ÉPURE 23

a) Les expériences menées dans ÉPURE 23

b) Les infrastructures 24

c) Le cycle de vie d’ÉPURE 25

2. L’installation TDC 25

3. Un financement partagé 25

B. LA GARANTIE DE L’INDÉPENDANCE ET DE LA CONFIDENTIALITÉ DES
EXPÉRIENCES
26

1. Des travaux menés en toute indépendance et en toute confidentialité 26

2. La protection des informations confidentielles 27

C. UN CADRE JURIDIQUE SOLIDE 28

1. Les garanties du respect de l’interdiction des essais nucléaires 28

2. Les garanties du respect des normes de sûreté nucléaires 28

3. Les régimes de responsabilité et les conditions de règlement des différends 29

a) Responsabilité pour dommage causé à des biens, blessure ou décès 29

b) Responsabilité pour dommage nucléaire 30

c) Responsabilité des déchets 30

d) Les modalités de règlement des différends 30

4. Les modalités de retrait du traité 31

TRAVAUX DE LA COMMISSION 33

ANNEXE : AUDITIONS DU RAPPORTEUR 37

INTRODUCTION

Le 31e sommet franco-britannique de novembre 2010 a été l’occasion de donner une nouvelle impulsion à la coopération militaire et à la lutte contre le terrorisme. S’inscrivant dans la continuité des rapprochements antérieurs, les traités qui ont été signés à cette occasion ouvrent cependant de nouvelles perspectives. Le contexte financier contraint nécessite en effet de mutualiser plus qu’auparavant des ressources devenues rares. Le développement de la coopération militaire internationale, que ce soit dans le cadre de l’Union européenne ou de l’Alliance atlantique, favorise également les rapprochements.

Pour la première fois, les deux États ont décidé de faire entrer le nucléaire militaire dans le champ de la coopération bilatérale. Cette nouvelle étape prolonge naturellement les engagements internationaux des deux pays que ce soit en matière de lutte contre la prolifération ou d’interdiction des essais nucléaires.

La coopération ne conduit cependant pas à une mise en commun des arsenaux nucléaires ni à un partage de l’emploi des dissuasions nationales. Le traité ne remet nullement en cause la souveraineté des deux États. Il se contente de créer une coopération scientifique et technologique afin de faciliter les simulations et les campagnes de tests. Cette coopération n’est pas exclusive des autres partenariats noués par la France et le Royaume-Uni.

Le traité apparaît donc comme une avancée pertinente et prometteuse, sans pour autant fragiliser l’autonomie militaire d’un des deux pays signataires. Il est également une source d’économies conséquentes et un élément dynamique pour l’ensemble du monde nucléaire militaire.

I. —  ENTRETENIR ET DYNAMISER LA COOPÉRATION DE DÉFENSE FRANCO-BRITANNIQUE

L’accord à l’étude est l’aboutissement d’un processus de rapprochement ancien. Les deux pays ont commencé à coopérer au XIXsiècle et ont combattu ensemble au cours des deux guerres mondiales.

Ce sont aujourd’hui les deux seules grandes puissances européennes. Elles ont pris l’habitude de travailler ensemble dans le domaine de la défense et une relation de confiance s’est nouée au point de partager aujourd’hui certaines installations liées à la dissuasion nucléaire.

A. MALGRÉ DES DIVERGENCES, DEUX PARTENAIRES NATURELS

1. Le Royaume-Uni, un allié ancien de la France devenu un partenaire de premier plan

La notion d’entente cordiale est apparue à l’époque de la monarchie de Juillet pour désigner le rapprochement stratégique entre la France et le Royaume-Uni. Tout en demeurant rivales, les deux puissances se sont rapprochées et ont amorcé une convergence sur de nombreuses questions, tenant notamment à l’équilibre européen. Menée conjointement, la guerre de Crimée (1853-1856) a illustré cette alliance, les deux grandes puissances européennes la menant ensemble pour défendre un empire ottoman moribond face à l’expansionnisme russe. L’époque victorienne est celle d’un premier rapprochement entre les deux pays, même s’il n’était que partiel, comme l’a illustré l’incident de Fachoda qui les a quasiment conduits à la guerre en 1898.

C’est au XXe siècle que leur convergence s’est précisée et a pris tout son sens. Les deux pays ont combattu ensemble au cours des deux guerres mondiales, avec les mêmes alliés, au premier rang desquels les États-Unis. Cela a forgé une communauté de valeurs et parfois même d’intérêts. Les deux puissances ont partagé de nouveaux enjeux, en particulier celui du positionnement vis-à-vis du grand allié américain, et cela dès la fin de la Première guerre mondiale.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les deux pays concurrencés par les deux Grands (États-Unis et Union Soviétique) doivent assumer une difficile reconstruction, faire face à la décolonisation et affronter la menace communiste. Leur réponse commune a d’abord été de favoriser l’alliance des Européens par le traité de Bruxelles de 1948 puis la fondation de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) en 1954. Parallèlement, ils ont cherché à ancrer les États-Unis dans la défense de l’Europe en œuvrant à la création de l’Alliance atlantique en 1949, dont Paris accueillait le siège.

Au vu de ces éléments, il convient de battre en brèche les stéréotypes selon lesquels la France et le Royaume-Uni divergeraient intrinsèquement, la première conduisant ses partenaires européens dans l’opposition à l’Alliance atlantique et la seconde réservant sa défense à la seule « relation spéciale » entretenue avec les États-Unis. Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, la réalité est nuancée, de part et d’autre de la Manche.

Dès cette époque, la convergence franco-britannique s’illustre dans leur collaboration pour fonder l’Organisation des Nations unies (ONU) : les deux puissances étant d’un poids comparable, notamment par rapport aux États-Unis et à l’URSS. Chaque pays a toujours accordé une grande importance à la présence et à l’activité de l’autre. Dès l’origine, les deux puissances sont les animatrices les plus actives du Conseil de sécurité dont elles rédigent aujourd’hui près de 80 % des résolutions.

Il en va de même s’agissant de la dissuasion nucléaire : elles partagent un intérêt similaire à affirmer la légitimité de leurs arsenaux réduits à la stricte suffisance.

2. Des orientations stratégiques divergentes après la crise de Suez

Seules grandes puissances européennes au lendemain de la guerre, liées par des intérêts communs en Égypte, la France et le Royaume-Uni sont intervenus conjointement pour faire valoir leurs droits à la suite de la nationalisation du canal de Suez décidée par Gamal Abdel Nasser le 26 juillet 1956.

L’expédition militaire engagée par les deux pays s’est soldée par un échec politique relativement lourd : l’URSS a menacé de recourir à l’arme atomique contre eux, tandis que les États-Unis exigeaient le retrait de leur force, exerçant notamment des pressions monétaires sur la Livre sterling. Les deux pays ont tiré des conclusions divergentes de cette crise : les Français ont souhaité promouvoir la construction d’une Europe autonome, y compris sur le plan militaire, tandis que le Royaume-Uni intensifiait son rapprochement avec les Américains.

La France a entendu renforcer les capacités militaires européennes. À la suite de l’échec de la communauté européenne de défense (CED) en 1954, elle a décidé une relance de la construction européenne, à laquelle le Royaume-Uni ne participait pas, qui s’est traduite par la signature des traités de Rome. L’un d’entre eux fonde la communauté européenne de l’énergie atomique, dite Euratom, qui organise notamment une mise en commun de la recherche nucléaire civile. Par ailleurs, la France s’est efforcée de nouer des relations stratégiques de défense avec différents partenaires européens et notamment avec l’Allemagne se traduisant par des intentions de coopération affichées dans le traité de l’Élysée, ou par le développement commun de l’avion de transport Transall. Ces tentatives n’ont cependant pas abouti aux résultats espérés, la dissuasion nucléaire demeurant exclue de toute coopération.

De son côté, le Royaume-Uni a poursuivi son rapprochement avec les États-Unis, y compris dans le domaine nucléaire militaire. Par les accords de Nassau du 21 décembre 1962, suivis du Polaris Sale Agreement signé le 6 avril 1963, le Royaume-Uni a accepté de coopérer étroitement avec les États-Unis pour l’équipement de sa force de dissuasion, au point d’acquérir sur étagère les vecteurs nécessaires à ses sous-marins. En 1968, le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) fut mis en service, emportant des missiles américains Polaris, dotés de têtes nucléaires de fabrication britannique. Cet équilibre s’est maintenu, la dissuasion nucléaire britannique étant aujourd’hui assurée par quatre SNLE de classe Vanguard équipés de missiles Trident de fabrication américaine.

Pour autant, ces options divergentes n’ont pas exclu la poursuite de la coopération entre la France et le Royaume-Uni. Par exemple, le 17 mai 1965, les ministres de la défense français et britannique se sont accordés pour le développement d’un avion de combat et d’appui tactique, le Jaguar.

3. Après la guerre froide : des puissances européennes comparables

Le Royaume-Uni et la France sont aujourd’hui des puissances comparables : elles jouissent toutes deux d’un statut de puissance mondiale hérité de la Seconde guerre mondiale. Elles disposent d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et font partie des cinq puissances que le traité de non prolifération nucléaire (1) de 1968 reconnaît comme dotées de l’arme nucléaire. À ce jour, les deux pays disposent de capacités proches, même si la dissuasion britannique ne repose que sur la seule composante océanique, la France ayant fait le choix de conserver une composante aéroportée. Leurs doctrines d’emploi de l’arme nucléaire sont comparables.

Au-delà de la dissuasion, leurs outils militaires sont globalement de taille similaire. Les deux États investissent environ 40 milliards d’euros par an dans leur outil de défense, y compris les pensions, soit près de 2 % du PIB. Ces sommes alimentent des bases industrielle et technologique de défense (BITD) particulièrement riches. L’industrie de défense britannique, très performante à l’exportation, génère un chiffre d’affaire de l’ordre de 20 milliards d’euros par an, contre 15 milliards d’euros pour l’industrie française. Il s’agit de près de 200 000 emplois directs dans chacun des deux pays. Le Royaume-Uni et la France sont respectivement les troisième et quatrième exportateurs d’armement.

Jusqu’en 2008, les deux pays ont consenti la moitié de l’investissement de défense européen, soit près de 10 milliards d’euros sur un total européen cumulé de près de 40 milliards d’euros. Ils représentent désormais un poids accru alors que leurs partenaires ont fortement réduit les budgets de défense à la suite de la crise financière et budgétaire. La France a consenti des efforts importants pour maintenir le cap malgré la crise, tandis que le Royaume-Uni a décidé fin 2010 d’une diminution progressive de 7,5 % du budget de la défense d’ici 2015, ce qui devrait néanmoins le maintenir dans des proportions comparables à celui de la France. Pour les seules dépenses de recherche et technologies (R&T), la France et le Royaume-Uni assument à eux seuls près des deux tiers des efforts consentis par les Européens.

Sur le plan opérationnel, de nombreux groupes de travail et structures communes ont été créés. Ils permettent un dialogue et des exercices communs entre nos armées, qu’il s’agisse du domaine naval (Lettre d’intention de 1996), aérien (Lettre d’intention de mars 2007), ou encore terrestre, avec, par exemple, le futur exercice Flandres (juin 2011) qui renforcera l’interopérabilité des forces.

En outre, depuis la fin de la menace soviétique, les deux États ont régulièrement réformé leurs armées pour les rendre plus projetables. Après les États-Unis, il s’agit des deux puissances déployant le plus de soldats en opérations extérieures, avec actuellement plus d’une dizaine de milliers de soldats chacune. Souvent projetées sur les mêmes théâtres (Kosovo, Afghanistan…), nos forces armées sont habituées à travailler ensemble.

Sur le plan technique, cette coopération traduit la bonne interopérabilité des matériels et des équipes. Mais, surtout, sur le plan humain, cela entretient des relations de confiance très solides entre les responsables politiques et militaires des deux pays. Loin d’être négligeable, cet aspect des choses se révèle fondamental dans l’aboutissement du présent traité : c’est la relation de confiance entre deux partenaires se connaissant et partageant un même rapport au monde qui leur permet aujourd’hui de coopérer dans le domaine le plus sensible.

Au final, malgré des conceptions divergentes de la relation atlantique ainsi que de la construction d’une Europe de la défense, la France et le Royaume-Uni sont des partenaires naturels dans le domaine de la défense, en particulier dans le secteur nucléaire. C’est fort de ce constat que les deux partenaires se sont efforcés de surmonter pragmatiquement leurs divergences en intensifiant leur coopération de défense au cours des dernières années.

B. LA CONVERGENCE POLITIQUE DES DEUX PAYS, VECTEUR D’UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LEUR PARTENARIAT

1. Entre OTAN et construction européenne : un pragmatisme également partagé

Lors du sommet de Saint-Malo des 3 et 4 décembre 1998, les deux pays ont clairement affirmé leur volonté de contribuer à la défense commune européenne. Cette approche était le fruit d’évolutions profondes intervenues des deux côtés de la Manche. La France acceptait d’inscrire plus explicitement la défense de l’Union dans une perspective atlantique, en reconnaissant le rôle éminent que devait y jouer l’OTAN. Le développement de capacités européennes n’avait pas vocation à dupliquer et encore moins à concurrencer les moyens de l’Alliance.

Pour sa part, le Royaume-Uni reconnaissait l’intérêt de construire des capacités de défense européennes autonomes.

Cette dynamique n’est pas demeurée cantonnée à la seule constitution de capacités militaires de l’Union. De nombreux projets concrets ont illustré ces avancées. À cet égard, la constitution du groupe MBDA en 2001 est emblématique, ses deux principales composantes étant le français Matra défense et le Britannique BAe Dynamics. Le groupe MBDA est aujourd’hui codétenu par BAe Systems, EADS et l’italien Finmeccanica. D’autres rapprochements industriels illustrent cette consolidation, tels que l’expansion du groupe Thales au Royaume-Uni.

Après la parenthèse de l’intervention anglo-américaine en Irak (2003), la maturation du partenariat entre la France et le Royaume-Uni s’est poursuivie au cours des dernières années. Publié en 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (2) a souligné l’importance de la défense européenne pour notre pays, en insistant sur l’utilité des coopérations avec le partenaire naturel qu’est le Royaume-Uni. En outre, la France a annoncé le 11 mars 2009 son souhait de réintégrer les structures de commandement intégrées de l’OTAN. L’objectif était notamment de mettre fin aux doutes que certains de nos partenaires européens émettaient quant à la sincérité de notre engagement atlantique. Ce climat devait permettre une relance de l’Europe de la défense.

Par ailleurs, la coopération ouverte avec les autres partenaires européens de la France, et notamment l’Allemagne, n’a pas toujours fonctionné de façon optimale comme l’illustrent les difficultés de l’A400M ou encore l’échec du programme EuroMALE. De plus, l’enjeu pour nos pays est bien de préserver et de développer notre BITD, ce qui peut contredire les besoins d’une coopération trop ouverte, dans laquelle chaque partenaire attend des retombées technologiques proportionnelles à son investissement. Enfin, il faut constater qu’ailleurs en Europe, la diminution des crédits et des ambitions en matière de défense amenuise les perspectives de projets communs. En somme, si le partenariat franco-britannique ne doit pas être exclusif, il est plus que jamais évident que le Royaume-Uni doit être le partenaire naturel de la France dans le domaine de la défense.

Du côté britannique, le Livre vert publié par le Royaume-Uni en 2010 a marqué un cap dans la stratégie de défense britannique : tout en réaffirmant le primat de la relation spéciale avec les États-Unis, il ménage une place conséquente à la défense européenne en plaçant la France comme partenaire européen privilégié. L’optique britannique en Europe est avant tout bilatérale et d’abord tournée vers la France.

Coopérer avec la France constitue un enjeu de souveraineté pour le Royaume-Uni qui souhaite rééquilibrer ses partenariats de défense.

Le Livre vert britannique

Équivalent du Livre blanc français pour la réflexion stratégique (il ne comporte pas de préconisations), il est intitulé Adaptability and Partnership : Issues for the Strategic Defense Review. La démarche de conception est proche de celle du Livre blanc, ce qui explique le relatif consensus entourant sa publication.

Il identifie des enjeux communs au Livre blanc : continuum entre sécurité et défense, développement des menaces asymétriques, nécessité de lutter contre le terrorisme, les trafics divers, etc.

Le Livre vert insiste sur la nécessité de renforcer les partenariats pour faire face aux menaces qu’il identifie. Compte tenu notamment de leur grande diversité ainsi que des contraintes budgétaires, le Royaume-Uni ne peut agir seul. Il doit agir dans le cadre de l’OTAN, « pierre angulaire » de la sécurité britannique, mais aussi dans le cadre de l’Union européenne.

L’Europe est toutefois conçue comme un facteur de renforcement des relations avec les États-Unis qui demeurent le partenaire principal.

De son côté, la France, est identifiée comme « un partenaire clé pour une grande variété d’activités de défense ».

Comme la France, le Royaume-Uni insiste sur le rôle de l’ONU, incontournable pour la gestion des crises.

Le Livre vert a été logiquement suivi en 2010 par la Strategic Defense Review, document relatif à la réforme de la stratégie d’acquisition en matière de défense. Celui-ci fait état d’une surchauffe des engagements britanniques dans le domaine de la défense, plaidant pour la réalisation d’importantes économies. Il s’agit d’un facteur favorable à la mutualisation de moyens, démarche au cœur du traité dont le projet de loi autorise la ratification.

2. Le sommet de novembre 2010 : une nouvelle étape

Le sommet franco-britannique de novembre 2010 est intervenu dans ce contexte. Il traduit la maturité du partenariat entre les deux pays. Cette étape est d’autant plus crédible qu’elle est non seulement portée par des motivations stratégiques, mais également budgétaires.

Cette collaboration se veut large et ambitieuse : elle concerne des domaines variés et porte des projets touchant au court comme au moyen et long termes.

Les différents accords conclus lors du sommet portent en particulier sur les champs suivants :

- coopération dans le domaine nucléaire : construction d’une installation commune à Valduc et création d’un centre de recherche à Aldermaston ;

- instauration d’une force expéditionnaire commune interarmées pouvant mener des opérations de maintien de la paix aussi bien que des combats de haute intensité. Elle ne sera pas permanente mais disponible sous préavis court ;

- création d’une force aéronavale d’attaque intégrée avec deux porte-avions à catapulte (un britannique et un français), cette technologie permettant d’accueillir les avions de combat français ;

- réflexion et conduite de projets sur la guerre des mines marines ;

- développement de formations communes (notamment pour le futur A400M) ;

- étude et développement en commun des futures générations de sous-marins nucléaires, des satellites de communication militaire, de drones MALE (voire de drones de combat) et de missiles ;

- utilisation par la France des capacités britanniques excédentaires de ravitaillement en vol (MRTT).

En outre, les domaines touchant davantage à la sécurité ne sont pas oubliés ; sont notamment mentionnées la cyber-sécurité et la lutte contre le terrorisme.

Partager des installations de recherche nucléaire est évidemment la plus sensible de ces décisions et certainement la plus emblématique de la maturité du partenariat. L’élargissement du spectre de la coopération et la définition d’objectifs communs en font une nouvelle étape particulièrement riche et structurante pour l’avenir de la défense européenne.

II. —  LE NUCLÉAIRE MILITAIRE, NOUVEL AXE DE LA COOPÉRATION

Si la coopération de défense structure historiquement les relations franco-britanniques, elle n’a jamais concerné le nucléaire militaire. La récente crise économique et financière a cependant diminué les ressources des États au point qu’ils acceptent désormais de travailler ensemble dans des domaines jusqu’alors considérés comme inséparables de la souveraineté nationale. Pour le nucléaire militaire, cette évolution est facilitée par le fait que la France et le Royaume-Uni disposent de capacités proches. Par ailleurs, une coopération scientifique et de recherche constituerait un élément moteur pour l’ensemble des acteurs du secteur nucléaire militaire.

A. UNE COOPÉRATION ÉTENDUE EN RAISON DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE

La France et le Royaume-Uni sont confrontés aux mêmes difficultés budgétaires et cherchent à limiter leurs dépenses publiques en mettant en commun certaines opérations. La défense peut constituer un champ d’application de cette logique même si cela semble a priori délicat à mettre en œuvre dans le domaine nucléaire. Une coopération sur les programmes d’environnement et de support permettrait toutefois de générer des économies d’échelle sans avoir à partager les savoir-faire militaires.

1. Un contexte budgétaire contraint, y compris pour le nucléaire militaire

En octobre 2010, le Chancelier de l’Échiquier britannique a présenté un plan quadriennal de réduction des dépenses publiques, la défense participant à l’effort à hauteur de 4,3 milliards de livres d’ici à 2015. Ces orientations se traduisent notamment par le démantèlement du porte-avions HMS Ark Royal ou par la suppression de 25 000 emplois civils. En matière de dissuasion, le Royaume-Uni a décidé de ne pas renouveler immédiatement son parc de SNLE en prolongeant la durée de vie des bâtiments actuellement en service. De même, il va faire passer son stock de 160 à moins de 120 têtes nucléaires. Le nombre de têtes embarquées sur chaque bâtiment va également être réduit de 48 à 40 têtes. Enfin les futurs SNLE ne comporteront plus que 12 tubes au lieu de 16.

La France fait face aux mêmes impératifs budgétaires. Le ministère de la défense s’est engagé dans une modernisation très importante de ses structures afin de réduire ses dépenses de personnel et de fonctionnement pour dégager des marges de manœuvre sur l’équipement. La crise économique et financière a déstabilisé ce schéma et a conduit le Gouvernement à mettre en place des mesures palliatives au premier rang desquelles figure le plan de relance. La défense a largement profité de cet abondement même s’il ne suffit pas à couvrir tous les besoins. Comme le notait François Cornut-Gentille dans son avis sur les crédits d’équipement des forces et de la dissuasion, « le schéma financier prévu par la loi de programmation militaire ne pourra pas être respecté en l’état » (3). Les insuffisances devaient être partiellement compensées par des recettes exceptionnelles. Il relevait ainsi que le financement de la dissuasion française repose en partie, pour l’année 2011, sur le produit des cessions de fréquences. Ce complément reste cependant incertain ; le ministère de la défense doit donc chercher d’autres sources d’économies.

En termes financiers, le maintien d’une capacité nucléaire militaire représente en effet un effort annuel de l’ordre de 3 milliards d’euros pour le Royaume-Uni (4) et de près de 3,5 milliards d’euros pour la France (5). Dans les deux pays, la dissuasion représente un investissement compris entre 5 et 10 % de l’effort total de défense. Compte tenu de l’importance des masses en jeu, il semble difficile de sortir la dissuasion de l’effort global de réduction des dépenses publiques. Pour autant, il convient de souligner la très forte interdépendance des différents programmes : la remise en cause d’un seul élément peut fragiliser tout l’édifice. Pour préserver la crédibilité et le caractère opérationnel de la dissuasion, il faut donc maintenir les compétences, les économies devant être réalisées autrement qu’en reportant ou en annulant des opérations.

2. Partager les coûts induits de la dissuasion

Pour dégager des ressources, d’aucuns évoquent parfois la mise en commun de toutes les composantes des dissuasions française et britannique. Cette solution doit être résolument écartée notamment pour des raisons opérationnelles. Comme le souligne Francis Gutman, « on ne peut pas être plusieurs à “appuyer sur le bouton”, ne serait-ce que parce que toute concertation préalable serait incompatible avec la crédibilité d’une riposte immédiate» (6). Néanmoins, un partage des dépenses induites, et notamment des dépenses de recherche fondamentale doit être étudié.

Outre la maîtrise des armements nucléaires au sens strict, la crédibilité de la dissuasion repose en effet sur la capacité technologique, industrielle et scientifique d’un pays. Cet élément est devenu d’autant plus important que la plupart des pays dotés de l’arme nucléaire ont ratifié le traité d’interdiction des essais nucléaires (TICE) (7). Faute de pouvoir vérifier l’efficacité d’un mécanisme nouveau par un essai réel, les pays signataires doivent désormais se contenter d’une validation par la simulation. Les principales évolutions apportées aux armes portant sur les matériaux utilisés ou sur la structure des têtes, il faut notamment s’assurer de leur comportement mécanique dans des conditions extrêmes. La validation de ces modifications nécessite des compétences très développées en physique fondamentale et en mécanique. Même si ces technologies n’ont pas de lien direct avec la réaction nucléaire au sens strict, elles sont sensibles : la communication de ce type d’éléments à des pays non dotés pourrait faciliter leur accès à une capacité nucléaire.

Les modalités de validation et les procédés de tests pourraient néanmoins être échangés entre la France et le Royaume-Uni sans que les deux pays aient besoin de communiquer des informations liées à la technologie nucléaire. Il s’agirait bien de discussions portant sur des protocoles scientifiques et sur une démarche plus que sur une technologie. Ce partage n’aurait cependant qu’un impact financier limité.

En revanche, cette coopération permettrait une exploitation commune des installations nécessaires à ces tests ou à ces simulations. Compte tenu du coût d’investissement que représentent ces installations radiographiques, il pourrait être envisagé de les mettre en commun, et ainsi de réduire les dépenses initiales d’investissement et les besoins de fonctionnement courant.

Cette solution ne peut cependant apparaître que si la France et le Royaume-Uni disposent de capacités militaires nucléaires suffisamment proches pour que des coopérations scientifiques et technologiques aient du sens.

B. ÉTAT DES LIEUX DES CAPACITÉS NUCLÉAIRES NATIONALES

1. Les capacités françaises

a) La composante aéroportée

Le volet aérien de la dissuasion est confié aux forces aériennes stratégiques (FAS), réparties sur six bases aériennes : Taverny, Saint-Dizier, Luxeuil, Avord, Istres et Mont de Marsan.

« Les [forces aériennes stratégiques], ce sont 2 000 personnes soit environ 3 % des effectifs de l’armée de l’air. Pour les moyens aériens, 50 Mirages 2000 N armés du missile ASMP ou ASMP-A ; 14 ravitailleurs de type C-135 et un certain nombre de Rafale F3 biplaces armés de l’ASMP-A. […] Notre contrat […] nous impose d’être capables de tirer dans les mêmes délais que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Les atouts de la composante aéroportée sont sa souplesse, sa précision, sa réactivité, un mode de pénétration des défenses atypique et sa visibilité qui permet de renforcer par des mesures démonstratives le discours du Président » (8).

Les FAS sont progressivement équipées des missiles ASMP-A, porteurs des nouvelles têtes nucléaires aéroportées (TNA), qui elles-mêmes remplacent les TN 81. Fabriqués par MBDA, les premiers exemplaires ont été livrés en 2009.

b) La composante océanique

La force océanique stratégique (FOST) met en œuvre les équipements développés par la direction de programme Coelacanthe de la direction générale à l’armement (DGA). Elle comprend notamment quatre sous-marins SNLE ainsi qu’une escadrille de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). Le continuum entre les SNLE et SNA est crucial, notamment en termes de formation des équipages.

Les SNLE, à l’exception du Terrible, sont actuellement équipés de missiles M 45 comprenant des têtes nucléaires TN 75. Le programme d’adaptation M 51 permettra, à terme, d’équiper l’ensemble des SNLE de la FOST avec des missiles de nouvelle génération plus volumineux. En outre, à partir de 2015, les TN 75 seront progressivement remplacées par les têtes nucléaires océaniques (TNO).

c) Les transmissions

Comme le rappelle le Livre blanc, « la crédibilité de la dissuasion repose […] sur la garantie donnée au Président de la République qu’il peut, à tout moment, donner des ordres aux forces nucléaires. Les moyens de transmission utilisés pour acheminer ces ordres doivent donc répondre à des exigences très élevées de sûreté, de disponibilité permanente et de résistance à toute forme d’agression. Cette capacité repose sur des réseaux fixes d’infrastructure, des stations d’émission vers chacune des composantes et un système de dernier recours » (9).

La France dispose ainsi de trois réseaux distincts pour assurer la transmission des ordres éventuels : Ramses III et IV et Syderec (système en dernier recours) qui doit permettre d’acheminer les informations y compris en cas de neutralisation des autres moyens de communication. Thales Communications est en charge du maintien en condition opérationnelle de l’ensemble de ces réseaux qui doivent garantir la totale confidentialité des informations échangées et être en mesure de résister à tous types d’attaques notamment électromagnétiques.

d) Les autorités et installations nucléaires

La défense est l’un des quatre domaines privilégiés d’action du commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Conformément à la loi de programmation militaire (LPM), le CEA veille, au travers de sa direction des applications militaires (DAM), au développement et au maintien dans le temps des capacités de dissuasion françaises, en partenariat avec le ministère de la défense.

Plusieurs installations sont utilisées dans le cadre du programme nucléaire français. Les têtes nucléaires sont construites sur le site de Valduc où le CEA gère l’ensemble des matériaux nucléaires utilisés. Le maintien en condition opérationnelle ainsi que le démantèlement des composantes nucléaires des armes est également assuré sur ce site.

Le site de Valduc s’insère dans un plus vaste réseau d’installations dédiées qui permet à la France de disposer de tous les éléments pour effectuer les tests de simulation nécessaires à la certification de ses armes. Le réseau comprend notamment le supercalculateur TERA 100, mis en service début 2011 à Bruyères-le-Châtel, l’accélérateur à induction de radiographie pour l’imagerie X (AIRIX) situé à Moronvilliers et le laser mégajoule (LMJ) installé sur le site du centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine (CESTA).

2. Les capacités britanniques

À la différence de la France, le Royaume-Uni ne dispose que d’une composante océanique pour sa dissuasion. Dans ce domaine le Royaume-Uni a une forte tradition de coopération avec les États-Unis, formalisée en 1958 par un accord de défense mutuelle (10) qui a entériné une coopération bilatérale dans le domaine des armes nucléaires. En 1962, les accords dits de Nassau (Statement on Nuclear Defence Systems) ont prévu l’abandon par les Britanniques des missiles Skybolt en échange de la livraison de missiles Polaris destinés à équiper leurs sous-marins.

a) La composante océanique

La Royal Navy a eu accès aux missiles balistiques sous-marins de type Polaris depuis 1968, ce qui a conduit en 1969 au retrait des bombardiers de classe V (V-bombers). Les missiles Polaris équipaient quatre SNLE de classe Resolution à raison de 16 missiles par sous-marin. Ces SNLE ainsi que les têtes nucléaires étaient conçus et construits au Royaume-Uni. En 1982, les têtes nucléaires Polaris ont été remplacées par des têtes Chevaline. La même année, les missiles Polaris ont été abandonnés au profit des Trident II.D5 plus performants. Ce choix a permis par ailleurs de réaliser des économies d’échelle conséquentes puisque ce missile est également utilisé par la marine américaine.

À partir de 1994, la Royal Navy a entrepris de remplacer ses SNLE de classe Resolution par des Vanguard. La marine britannique possède également des SNA de type Astute. Deux d’entre eux ont déjà été livrés, un troisième devrait l’être courant 2012. Ils sont construits au Royaume-Uni par BAe Systems. Le Royaume-Uni a rencontré des difficultés relativement significatives sur cette opération mais il semble que ces problèmes soient liés à la technologie sous-marine et non à celle des armes nucléaires.

Si la composante océanique de la dissuasion nucléaire britannique repose à l’heure actuelle pour partie sur les relations de coopération établies avec les États-Unis, en ce qui concerne les missiles Trident II D5 qui sont achetés sur étagère aux États-Unis, le Royaume-Uni a maintenu et développé son savoir-faire dans les autres domaines. Les SNLE sont exclusivement conçus et construits au Royaume-Uni, de même que la charge (partie active délivrant l’énergie) qui se trouve contenue dans la tête nucléaire des missiles. Ces charges sont en effet conçues et fabriquées par l’Atomic Weapon Establishment (AWE), équivalent britannique de la direction des applications militaires du CEA.

b) Les autorités et installations nucléaires

L’AWE est l’autorité de référence pour tous les programmes relatifs à la technologie nucléaire de défense au Royaume-Uni. Elle dispose de plusieurs sites répartis sur le territoire britannique, les deux principaux étant Aldermaston et Burghfield. À Aldermaston sont regroupées toutes les installations ayant pour but de soutenir et de participer au programme britannique relatif aux têtes nucléaires (recherche fondamentale, conception et fabrication). Le site de Burghfield est réservé à l’assemblage final des composants et à la maintenance des têtes qui sont mises en service, le site pouvant également être utilisé lors de leur démantèlement.

La France et le Royaume-Uni ont donc en commun de posséder une composante océanique de dissuasion nucléaire et des savoir-faire concernant la conception et la construction des têtes nucléaires.

C. L’INTÉRÊT D’UNE COOPÉRATION EN TERMES DE RECHERCHE ET D’INNOVATION

1. La confrontation scientifique et le nucléaire militaire

● Le monde du nucléaire militaire est par définition extrêmement confidentiel et les scientifiques n’échangent pas ou très peu d’informations entre eux. Pourtant, la démarche scientifique impose de confronter ses analyses, théories, expérimentations… avec d’autres acteurs du secteur.

L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a d’ailleurs adopté cette méthode, le rapporteur de chaque étude devant « recueillir, sans exclusive, les opinions de toutes les personnes et de toutes les organisations concernées » (11). Cette logique d’échange, d’évaluation et de confrontation s’est d’ailleurs institutionnalisée au travers d’un réseau de concertation et d’échange d’information, l’European Parliamentary Technology Assessment (EPTA), qui regroupe les organismes européens chargés de conduire les évaluations scientifiques et technologiques pour les Parlements nationaux et pour le Parlement européen.

● Ce principe structurant est néanmoins difficile à mettre en œuvre pour le nucléaire militaire. Il n’est bien évidemment pas envisageable que des informations liées au caractère opérationnel des armes nucléaires soient échangées. En revanche, l’ensemble des sous-jacents physiques pourrait utilement faire l’objet d’une discussion plus ouverte. Les questions soulevées par le nucléaire militaire ont d’ailleurs souvent trait à des réflexions plus larges touchant à la mécanique, au comportement des matériaux ou à la physique des particules.

Les scientifiques français et britanniques en charge du nucléaire militaire appellent de leurs vœux cette structuration des échanges. Cette confrontation n’a cependant de sens que si les interlocuteurs disposent d’un niveau d’expertise similaire et s’ils travaillent sur des projets suffisamment proches pour pouvoir être comparés. En d’autres termes, et indépendamment de toute considération relative à la préservation de la confidentialité des informations, cette démarche de confrontation scientifique ne peut concerner que les pays dotés de l’arme nucléaire et disposant d’installations techniques et scientifiques de haut niveau.

Le traité ouvre ainsi la voie à des échanges très fructueux qui devraient stimuler les chercheurs français et britanniques. Toutes les personnes auditionnées par le rapporteur ont insisté sur la pertinence humaine de ce projet et sur les perspectives nouvelles qu’il ouvre.

2. Partager des programmes convergents

La coopération scientifique entre la France et le Royaume-Uni apparaît d’autant plus pertinente qu’avant la conclusion du traité, les deux pays avaient lancé des programmes hydrodynamiques voisins et selon un calendrier très proche. Le projet français ÉPURE devait être opérationnel à partir de 2015 et le projet britannique Hydrus devait être mis en exploitation à partir de 2017.

ÉPURE est une installation permettant de conduire des expériences d’hydrodynamique et de réaliser des mesures par radiographie. TDC, reprenant les fondamentaux du programme Hydrus, vise à développer les moyens expérimentaux mis en œuvre dans ÉPURE, qu’il s’agisse par exemple des machines radiographiques ou des détecteurs. Le procédé consiste à tester des maquettes de têtes nucléaires composées de matériaux « fantômes » ou réels pour mesurer, par radiographie, le comportement mécanique des différents éléments aux moments clés du processus de déclenchement de l’arme.

Les technologies développées ne sont pas strictement identiques mais reposent sur les mêmes principes directeurs. Une utilisation partagée des installations permettrait justement de confronter les tests et de soumettre les systèmes d’un État à la procédure de validation de l’autre État. Le rapporteur souligne que cette démarche ne conduit en aucun cas au partage des résultats ni des analyses : seuls les moyens sont mis en commun, chaque État restant maître de son protocole. La coopération pourrait également permettre de doter les deux pays d’une installation de taille plus conséquente que si elle avait été développée nationalement.

L’installation commune participera ainsi au développement par chaque pays d’un système de simulation plus robuste et renforcera encore la crédibilité des deux dissuasions.

III. —  LA COOPÉRATION PRÉVUE PAR LE TRAITÉ

L’article unique du projet de loi autorise la ratification du traité qui comporte 20 articles. Ils fixent les modalités selon lesquelles la France et le Royaume-Uni partageront la construction et le financement des installations communes. Cette collaboration ne portera pas atteinte à l’indépendance des travaux menés par les deux parties ni à la protection des données confidentielles.

Par ailleurs, ce traité définit de manière précise les régimes de responsabilité et garantit le respect du traité d’interdiction complète des essais nucléaires et des normes de sûreté nucléaire.

A. DES INSTALLATIONS COMMUNES ET UN FINANCEMENT PARTAGÉ

Le traité recouvre plusieurs opérations réunies sous le terme générique de programme TEUTATES. Ce programme prévoit que la France et le Royaume-Uni construiront et exploiteront conjointement une installation radiographique et hydrodynamique dénommée ÉPURE et coopéreront à un programme commun de technologies radiographiques et diagnostiques dans une installation commune dénommée « Centre de développement technologique TEUTATES » (TDC).

La réalisation d’infrastructures communes devrait permettre un partage des coûts qui engendrerait une économie de 450 millions d’euros pour chacune des deux parties.

1. L’installation ÉPURE

L’article 2 du traité indique que l’installation ÉPURE est construite en France, sur le site de Valduc de la DAM.

a) Les expériences menées dans ÉPURE

Les expériences réalisées dans ÉPURE seront des expériences de simulation (reproduction en laboratoire d’expériences simulant une partie des explosions nucléaires). La simulation consiste à reproduire par le calcul, grâce à l’outil informatique, les différents phénomènes concourant à l’explosion d’une arme nucléaire et à valider, phénomène par phénomène, ces équations mathématico-physiques grâce à des expériences de laboratoire.

Selon l’article 4 du traité, ÉPURE sera constituée à terme par une plate-forme d’expérience (dite pas de tir) autour de laquelle se trouveront trois machines radiographiques ainsi que par un deuxième pas de tir associé à des moyens de mesure plus légers que le premier et qui permettra de réaliser des expériences de physique des matériaux. Les pas de tir sont les endroits où les montages expérimentaux sont positionnés après avoir été assemblés et où les expériences sont réalisées.

La première machine radiographique proviendra de l’installation AIRIX du site de Moronvilliers. Selon l’article 4 du traité une seconde machine radiographique sera construite par le Royaume-Uni, d’ici 2019. Enfin, la troisième machine sera construite en commun par la France et le Royaume-Uni d’ici 2022.

Les expériences effectuées sur AIRIX utilisent des matériaux tels que le tantale ou le plomb en substitution du plutonium. Ces matériaux seront également utilisés pour les expériences réalisées dans ÉPURE, qui offrira une capacité supplémentaire par rapport à AIRIX car il sera aussi possible d’y utiliser des matières fissiles (en faibles quantités sans aucun dégagement d’énergie nucléaire). On pourra y faire évoluer ces matériaux de leur état nominal vers des conditions extrêmes de densité, de vitesse et de pression, équivalentes à celles rencontrées dans les armes nucléaires lors de la phase initiale de fonctionnement, c’est-à-dire avant la fission. La mise en mouvement de la matière sera produite par de l’explosif chimique analogue à celui utilisé dans les armes. L’expérimentation radiographique qui sera réalisée dans ÉPURE consiste à faire interagir des rayons X avec la matière. Plus la matière est dense, plus le rayonnement sera absorbé. La radiographie permettra de remonter aux différentes densités de la matière obtenues lors de l’expérience. Des mesures de chronométrie et de vitesse de la matière en mouvement seront également réalisées.

Alors qu’il n’y a qu’une machine radiographique dans AIRIX, il y en aura trois dans ÉPURE, ce qui permettra d’effectuer des radiographies sous trois axes de vue différents. Il sera donc possible, si l’on effectue les radiographies en même temps, d’obtenir une vue tridimensionnelle et interne de l’objet expérimenté ou, si l’on effectue les radiographies à des temps différents, de suivre l’évolution temporelle.

Les mesures effectuées lors des expériences seront confrontées aux simulations de ces mêmes expériences réalisées grâce aux grands calculateurs du CEA. Cela permettra la validation de l’outil numérique qui vise à reproduire par le calcul les différentes phases de fonctionnement d’une arme nucléaire et donc de garantir le fonctionnement et la sûreté des armes nucléaires sans réaliser d’essai nucléaire, conformément au TICE.

b) Les infrastructures

Outre les deux plates-formes de tir et les machines radiographiques, qui correspondent à la partie commune de l’installation, ÉPURE comprendra des locaux propres à chaque pays où les équipes pourront, en toute souveraineté, préparer les dispositifs expérimentaux et les placer dans des cuves étanches qui assurent un confinement total des produits de l’expérience.

Ces locaux propres incluent également des espaces de bureaux et des systèmes d’acquisition des mesures réalisées pendant les expériences.

Par ailleurs, une installation de traitement des déchets sera construite d’ici 2022.

c) Le cycle de vie d’ÉPURE

L’article 4 du traité indique que l’installation ÉPURE sera construite en deux phases. Au cours de la première phase, le premier pas de tir sera réalisé. Il comprendra la machine radiographique provenant de l’installation AIRIX ainsi que le hall d’assemblage français qui sera mis en service d’ici 2014. La seconde phase comprendra le hall d’assemblage britannique (mis en service d’ici 2016), la machine radiographique britannique (mise en service d’ici 2019), la machine radiographique franco-britannique, le second pas de tir et une installation de traitement des déchets qui seront réalisés d’ici 2022.

L’article 17 du traité prévoit que le cycle de vie total, y compris la conception, la construction, l’exploitation, l’arrêt définitif et le démantèlement, des installations ÉPURE et TDC est de 50 ans, durée parfaitement adaptée au cycle de vie d’une telle installation qui se décompose en trois phases : une phase de construction de 10 ans, une phase d’exploitation de 25 à 30 ans et une phase de déconstruction de 10 ans. Le démantèlement de l’installation est donc prévu entre 2065 et 2081.

2. L’installation TDC

L’article 2 du traité indique que l’installation TDC est construite au Royaume-Uni sur le site de l’Atomic Weapons Establishment d’Aldermaston.

Selon l’article premier du traité, les technologies nécessaires à l’adaptation de l’installation ÉPURE tout au long de sa vie opérationnelle seront développées dans TDC. Il s’agit des machines radiographiques et des détecteurs associés, ainsi que d’autres types de mesures comme la chronométrie et la vélocimétrie.

TDC sera constitué d’un laboratoire et de locaux de bureaux associés. Des chercheurs français et britanniques y travailleront, l’objectif de l’AWE et du CEA étant d’y rassembler les équipes et d’y constituer une équipe de recherche-développement de niveau mondial.

L’article 4 du traité indique que TDC doit être mis en service d’ici 2014. L’installation abritera entre 2015 et 2017 la machine radiographique de conception britannique qui constituera, à partir de 2017, le second axe de visée radiographique d’ÉPURE. Par la suite, la machine radiographique franco-britannique y sera élaborée.

3. Un financement partagé

L’alinéa 6.2 de l’article 6 prévoit que la France prend en charge les coûts de la phase 1 de l’installation ÉPURE, le Royaume-Uni ceux de l’installation TDC. À partir du 1er janvier 2015, les parties partagent à parts égales les coûts et les bénéfices résultant de leur participation au programme commun, y compris tous les coûts administratifs et indirects associés, à l’exception des travaux entrepris exclusivement dans le cadre de programmes nationaux.

Selon les informations qui ont été communiquées au rapporteur, la prise en charge par la France de la réalisation de la phase 1 d’ÉPURE et la prise en charge par le Royaume-Uni de la réalisation du TDC et de la deuxième machine radiographique, correspondent à des dépenses du même ordre. Par la suite, toutes les dépenses seront partagées équitablement.

Selon l’étude d’impact, le partage des infrastructures générerait pour la France une économie de 200 millions d’euros pour la période 2015-2020 et de 200 à 250 millions d’euros pour la période comprise après 2020. Les économies sont également estimées à 450 millions d’euros pour le Royaume-Uni.

B. LA GARANTIE DE L’INDÉPENDANCE ET DE LA CONFIDENTIALITÉ DES EXPÉRIENCES

Bien que les installations soient communes à la France et au Royaume-Uni, le traité assure l’indépendance des expériences réalisées par chacune des deux parties. Le Royaume-Uni n’aura pas accès aux travaux réalisés par la France et inversement. Par ailleurs, le traité assure la protection des informations confidentielles.

1. Des travaux menés en toute indépendance et en toute confidentialité

Les termes du traité, la conception même de l’installation ÉPURE et son mode d’exploitation préservent l’indépendance nationale de chacune des parties.

En ce qui concerne les travaux réalisés dans ÉPURE, l’alinéa 2.3 de l’article 2 du traité prévoit que « chacune des Parties peut réaliser de façon indépendante dans l’installation ÉPURE les essais hydrodynamiques indépendants nécessaires à ses programmes nationaux dans les conditions de sûreté et de sécurité requises ».

La configuration des bâtiments permettra d’assurer cette indépendance. En effet, le hall d’assemblage français ne sera accessible qu’au personnel français, l’alinéa 5.8 de l’article 5 du traité prévoyant que « la zone française de l’installation ÉPURE est accessible exclusivement au personnel français. L’accès à cette zone est soumis à l’accord préalable de l’autorité de sécurité de la République française ». Le hall d’assemblage britannique ne sera accessible qu’au personnel britannique selon l’alinéa 5.7 qui stipule que « la zone britannique de l’installation ÉPURE est accessible exclusivement au personnel britannique. L’accès à cette zone est soumis à l’accord préalable de l’autorité de sécurité du Royaume-Uni ».

De ce fait, s’il est prévu à l’article 8 du traité que les autorités de sûreté française et britannique pourront inspecter conjointement, pour les installations situées en France, les locaux du Royaume-Uni afin de s’assurer qu’ils sont conformes aux exigences de sûreté, l’autorité de sûreté française n’aura accès à aucune information sur les édifices expérimentaux britanniques, de manière à assurer la confidentialité des travaux.

Par ailleurs, l’article 14 du traité prévoit que « les entreprises françaises et britanniques et européennes bénéficient des mêmes possibilités de soumissionner à tous les contrats liés à l’installation TDC ou à la Phase 2 de l’installation ÉPURE ». Ce qui concerne les expérimentations elles-mêmes fait l’objet d’une protection pour la confidentialité et n’est pas ouvert à l’international. Pour la réalisation de phase 2 d’ÉPURE, ce qui n’est pas confidentiel ou spécifique, comme par exemple les infrastructures, sera ouvert à la concurrence européenne.

Enfin, les personnels britanniques n’auront pas accès aux autres installations du site de Valduc. En effet, ÉPURE sera située dans un espace spécifique, séparé par une clôture réglementaire du reste du centre du CEA. L’accès à ÉPURE ne donnera accès pour les Britanniques qu’à la cantine du centre et au centre médical.

Le traité ouvre cependant la voie à un partage des travaux entre Français et Britanniques. En effet, l’alinéa 2.5 de l’article 2 stipule que « l’utilisation conjointe des installations n’implique pas que tous les travaux menés par les Parties soient partagés».

Selon les informations communiquées au rapporteur par la partie française, un tel partage n’est pas identifié à l’heure actuelle. En revanche, un partage d’expériences de physique fondamentale pourrait voir le jour à long terme.

2. La protection des informations confidentielles

L’article 12 du traité prévoit que les parties concluent des arrangements en vue de l’échange d’informations et notamment d’informations classifiées.

Cependant, selon les informations fournies au rapporteur, les échanges d’informations classifiées ne sont pas au cœur du traité qui assure au contraire le respect de la souveraineté de chacun des deux partenaires et la protection des informations qui lui sont propres.

Dans l’installation ÉPURE, les moyens expérimentaux et de logistique (machines radiographiques, installation de traitement et de conditionnement des déchets, pas de tirs…) seront partagés et ne seront pas a priori classifiés. Chaque pays disposera d’une zone propre et de moyens d’acquisition des résultats expérimentaux propres, ces données étant classifiées. En pratique, les informations qui seront échangées sont des informations relatives aux installations ÉPURE et TDC qui concerneront l’installation en elle-même, les techniques expérimentales mises en œuvre, les dispositifs de diagnostics et de mesures ainsi que la sûreté et la sécurité de l’installation. Aucune information relative aux systèmes d’armes opérationnelles ne sera échangée en vertu du traité.

Le contrôle et la gestion des informations classifiées seront réalisés suivant les règles en vigueur dans chacun des deux pays. Pour la France, le contrôle des informations sera réalisé par les autorités en charge du secret de la défense nationale et notamment par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

C. UN CADRE JURIDIQUE SOLIDE

1. Les garanties du respect de l’interdiction des essais nucléaires

Selon l’article premier du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), « chaque État partie s’engage à ne pas effectuer d’explosion expérimentale d’arme nucléaire ou d’autre explosion nucléaire et à interdire et empêcher toute explosion de cette nature en tout lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle. […] Chaque État partie s’engage en outre à s’abstenir de provoquer ou d’encourager l’exécution - ou de participer de quelque manière que ce soit à l’exécution - de toute explosion expérimentale d’arme nucléaire ou de toute autre explosion nucléaire».

Le préambule du présent traité indique que les parties réaffirment « leurs engagements en vertu du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, signé le 10 septembre 1996 ».

En effet, selon des informations communiquées au rapporteur, la plupart des expériences utiliseront des matériaux de substitution au plutonium (comme le tantale, le plomb ou l’uranium appauvri). Dans les quelques cas où les matières nucléaires seront utilisées, il s’agira d’expériences sous-critiques où les quantités de matière fissile qui seront utilisées seront très basses afin de garantir qu’il n’y aura aucun dégagement d’énergie nucléaire. Aucune arme nucléaire ne sera jamais testée au sein d’ÉPURE ou de TDC. Il n’y aura pas de reproduction contrôlée d’explosions nucléaires. ÉPURE permettra des opérations de simulation qui sont autorisées par le TICE

2. Les garanties du respect des normes de sûreté nucléaires

L’installation ÉPURE est une installation française qui sera régie par la réglementation française. À ce titre, l’ensemble des locaux, y compris ceux propres à chaque partie, respectera la norme française en matière de sûreté et les édifices expérimentés seront garantis par l’autorité de sûreté britannique comme respectant toutes les règles de l’installation ÉPURE.

L’alinéa 8.1 de l’article 8 du traité dispose que l’autorité de sûreté de l’installation ÉPURE est l’autorité de sûreté française chargée de toutes les applications nucléaires de défense, en l’espèce le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités intéressant la défense, et que les règlements français sont applicables à l’installation ÉPURE. Le directeur du site de Valduc du CEA est juridiquement responsable de l’installation ÉPURE et de son exploitation devant l’autorité de sûreté selon l’alinéa 8.2 de l’article 8.

Enfin, les opérations menées dans la zone britannique de l’installation ÉPURE ne pouvant être accessibles à la partie française, l’alinéa 8.3 de l’article 8 dispose qu’« un arrangement de sûreté est conclu entre le CEA-DAM et le Ministère de la Défense du Royaume-Uni pour permettre au CEA-DAM de s’assurer que les normes de sûreté françaises sont respectées lors des opérations menées par le Royaume-Uni dans l’installation ÉPURE. Des inspections mixtes de sûreté sont menées par les autorités de sûreté française et britannique».

Les équipes de l’AWE et de la DAM, ainsi que les autorités de sûreté française et britannique, se sont entendues sur les règles de sûreté qui seront mises en œuvre pour les expériences faites dans l’installation. Il est apparu que les deux pays respectaient des règles quasiment identiques.

Selon les informations qui ont été transmises au rapporteur, le directeur du site de Valduc aura l’assurance de la part du Royaume-Uni que chaque expérience respecte bien les règles de sûreté qui sont admises par les deux parties. Cette assurance sera donnée par l’autorité de sûreté britannique au vu du dossier de sûreté rédigé par l’AWE.

3. Les régimes de responsabilité et les conditions de règlement des différends

a) Responsabilité pour dommage causé à des biens, blessure ou décès

L’alinéa 13.1 de l’article 13 prévoit qu’ « en cas de dommage causé à des biens ou de blessure ou de décès résultant d’un acte ou d’une omission volontaire ou d’une négligence grave » commis par l’une des parties, son personnel ou ses agents, cette partie est pleinement responsable de la satisfaction ou du traitement du toute demande d’indemnisation.

Dans les autres cas, l’alinéa 13.2 prévoit que la responsabilité en cas de blessure ou de dommage causé à des biens résultant d’ « opérations britanniques menées par le personnel britannique soit dans la zone du Royaume-Uni, soit dans les zones communes de l’installation ÉPURE ou dans l’installation TDC », relève du Royaume-Uni exclusivement.

De même, l’alinéa 13.4 stipule que la responsabilité en cas de blessure ou de dommage causé à des biens « résultant d’opérations françaises menées par le personnel français soit dans la zone française, soit dans les zones communes de l’installation ÉPURE ou dans l’installation TDC » relève de la République française exclusivement.

L’alinéa 13.3 de l’article 13 prévoit quant à lui que la responsabilité en cas de blessure ou de dommage causé à des biens « résultant d’opérations communes menées par la République française et par le Royaume-Uni dans la zone commune de l’installation ÉPURE ou dans l’installation TDC » relève conjointement de la République française et du Royaume-Uni.

b) Responsabilité pour dommage nucléaire

L’alinéa 13.5 de l’article 13 prévoit que la responsabilité civile pour des dommages nucléaires résultant d’opérations menées dans l’installation ÉPURE relève du CEA en sa qualité d’exploitant nucléaire.

Cependant, le CEA dispose d’un droit de recours à l’encontre du Royaume-Uni si l’incident ou le dommage est imputable à une négligence ou à une violation des obligations légales, des règlements ou des procédures par le personnel du Royaume-Uni.

c) Responsabilité des déchets

L’article 10 du traité prévoit que les déchets provenant des essais et expériences demeurent la propriété et la responsabilité du pays d’origine.

Les déchets provenant des essais réalisés par le Royaume-Uni dans l’installation ÉPURE demeurent sa propriété et lui sont restitués après traitement et conditionnement. De même, les déchets provenant des opérations françaises dans l’installation TDC demeurent la propriété de la République française à laquelle ils sont restitués.

Ces déchets sont des produits et matières explosifs issus du dispositif expérimental. Il s’agira très majoritairement de mélanges entre les résidus de la détonation de l’explosif (produits à base de carbone, d’azote d’oxygène et d’hydrogène) et les matériaux de substitution (plomb, tantale, acier). Il ne s’agira pas de déchets nucléaires. Tous ces matériaux seront confinés dans les cuves expérimentales qui seront nettoyées et les déchets seront évacués comme des déchets ordinaires.

Pour les quelques expériences où l’on utilisera des matières nucléaires, celles-ci seront extraites dans une partie spécifique de l’installation ÉPURE et les cuves pourront être évacuées dans une dépose existante. Une installation de traitement des déchets sera mise en place à partir de 2022.

d) Les modalités de règlement des différends

L’article 16 du traité dispose que tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application du traité est réglé dans la mesure du possible par voie de consultations entre les parties. Si un différend ne peut être réglé par voie de consultations, les parties peuvent décider de s’en remettre à un mécanisme de règlement des différends de leur choix.

Le caractère sensible du domaine concerné par le traité explique que la France et le Royaume-Uni n’aient pas prévu de recourir à un mécanisme externe de règlement des différends.

Étant donné qu’il existe une très large convergence d’idées sur les projets ÉPURE et TDC, il n’apparaît pas à ce jour de source de différends potentiels.

4. Les modalités de retrait du traité

L’article 18 du traité prévoit qu’à la suite de la réception des approbations définitives de l’investissement national autorisant le lancement de la phase 2 de l’installation ÉPURE, chacune des parties peut se retirer du traité moyennant un préavis de 10 ans. Le préavis est d’un an seulement si une partie désire se retirer pour cause clauses conflictuelles d’un traité futur.

Si le Royaume-Uni se retire du traité au cours de la période d’exploitation de l’installation ÉPURE, la France aura la pleine utilisation opérationnelle d’ÉPURE et le Royaume-Uni devra payer pour son démantèlement pro rata temporis à la fin de sa vie opérationnelle. Si la France se retire de l’installation ÉPURE durant les 25 années suivant l’entrée en vigueur du traité, le Royaume-Uni pourra récupérer la totalité du capital qu’il aura investi dans l’installation.

Si la République française se retire de l’installation TDC au cours de la période d’exploitation de cette installation, le Royaume-Uni en aura la pleine utilisation opérationnelle et la France devra payer pour son démantèlement pro rata temporis. Si le Royaume-Uni se retire de l’installation TDC durant les 25 années suivant l’entrée en vigueur du traité, la France pourra récupérer la totalité du capital qu’elle aura investi dans l’installation.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 10 mai 2011.

Un débat suit l’exposé du rapporteur pour avis.

M. Jean-Jacques Candelier. Derrière le titre très technique de ce traité, il y a la perspective d’une coopération en matière d’ogives nucléaires, dont je crains qu’elle ne marque la fin de l’autonomie nationale.

En outre, ces recherches communes reviennent à moderniser et à renforcer notre arsenal nucléaire. Elles sont donc en contradiction avec le principe de stricte suffisance et contreviennent au traité de non-prolifération nucléaire qui interdit la recherche de nouveaux systèmes d’armes.

En conséquence, je voterai contre la ratification.

M. le rapporteur pour avis. Il ne s’agit nullement de travailler sur les ogives.

Après l’arrêt des essais nucléaires, la France et le Royaume-Uni se sont trouvés dans une situation comparable : les deux pays souhaitaient maintenir une dissuasion nucléaire en se dotant, selon des calendriers quasi identiques, de nouvelles installations visant à assurer la sécurité et le développement de leurs outils nucléaires. C’est ainsi que des discussions sont intervenues pour travailler en commun, non pas sur les têtes nucléaires, mais sur la phase en amont du déclenchement de l’arme. Les recherches qui auront lieu sur le site de Valduc sont de nature scientifique et technologique ; elles ne concernent pas la phase nucléaire proprement dite. En outre, si l’installation est partagée, les résultats des expériences ne le sont pas et la souveraineté de chaque pays est protégée. Le traité ne vise en aucun cas à mettre en commun la politique de dissuasion : il s’agit bien de recherche fondamentale, les travaux d’ÉPURE participeront d’ailleurs au programme français de simulation qui fait intervenir le laser mégajoule et les calculateurs du CEA.

M. le président Guy Teissier. Ce sont les systèmes de mesure et non la construction des missiles que nous mettons en commun. J’ajoute que les outils de simulation ne sont pas tous partagés, le laser mégajoule restant par exemple sous le seul contrôle de la France. Chacun a pris soin de préserver ses propres intérêts. Les essais nucléaires réels ayant cessé, il s’agit de procéder à des mesures scientifiques sur les processus conduisant à l’explosion nucléaire elle-même. On en reste au domaine de la recherche.

M. Michel Grall. Je tiens à féliciter le rapporteur pour avis, qui a su rendre très compréhensible un texte assez ardu.

Ce traité va dans le bon sens, mais je m’interroge sur les réactions de nos principaux partenaires européens.

M. le rapporteur pour avis. C’est effectivement une question que je me suis posée en procédant aux auditions. J’ai observé que tout s’était fait dans la transparence à l’égard de nos alliés européens qui n’ont formulé aucune réserve, ni aucune objection à ce traité. Ils ont même témoigné un intérêt pour cette démarche très novatrice, mais sans aller plus loin.

Les États-Unis n’ont pas davantage cherché à freiner le projet, alors qu’on aurait pu penser qu’ils s’étonneraient de voir le Royaume-Uni s’engager dans cette coopération nouvelle et si importante. La nouvelle administration américaine est peut-être plus ouverte que la précédente.

M. Damien Meslot. Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la démarche en établissant un seul site ou en mettant en commun l’ensemble des calculs, étant entendu que la construction des ogives est exclue de la coopération ?

M. le rapporteur pour avis. Pour le moment, il ne s’agit que de mettre en commun une installation tournée vers l’analyse et le développement de la phase initiale des armes et non de leur partie strictement nucléaire. Comme je l’ai indiqué, la coopération s’engage pour des raisons budgétaires et de calendrier, mais aussi dans le but de maintenir le niveau de performances et de connaissances des deux côtés.

D’autres rapprochements sont toutefois envisageables : le traité est conclu pour une durée de 50 ans, et si l’article 2 prévoit que les résultats resteront sous la souveraineté de chaque pays, il n’interdit pas d’éventuels échanges volontaires d’information, exception faite du volet industriel. Les Britanniques ont réaffirmé leur souhait que les missiles Trident continuent à équiper leurs sous-marins, y compris ceux de nouvelle génération.

M. Philippe Folliot. Merci, monsieur le président, d’avoir rendu à notre collègue Françoise Olivier-Coupeau l’hommage qu’elle méritait J’avais moi aussi apprécié sa compagnie lors de notre déplacement en Afghanistan et je n’oublie pas la qualité de ses interventions. Je pense en particulier à la conviction dont elle fait preuve sur le texte relatif à la gendarmerie.

La France est un des seuls pays au monde à disposer d’un potentiel de recherche assez développé pour maîtriser la technologie nucléaire et nous pouvons en être fiers. Si nous en sommes capables, c’est grâce à plusieurs décennies de travaux et d’avancées technologiques et scientifiques.

S’il existe un certain consensus national en matière de défense, c’est avant tout sur la nécessité de maîtriser le nucléaire pour assurer notre indépendance. Or nous allons mutualiser, pour la première fois, les processus nucléaires avec un tiers, même si ce sera de façon très limitée. Bien que le rapporteur pour avis nous ait partiellement rassurés, chacun connaît la relation de coopération historiquement très privilégiée entre les États-Unis et le Royaume-Uni dans ce domaine. Là où la France a fait le choix de l’indépendance, nos voisins ont fait celui de la dépendance. Disposons-nous vraiment de toutes les garanties nécessaires ? Quand on utilise une plateforme commune, même si c’est à tour de rôle ou de façon totalement indépendante, on ne peut pas exclure la possibilité de porosités, voulues ou subies.

M. le rapporteur pour avis. Je rappelle que cette coopération ne portera que sur des sujets très scientifiques. ÉPURE est une installation commune permettant à chaque pays de réaliser ses propres essais.

M. le président Guy Teissier. Au demeurant, n’y aura-t-il pas une duplication ? Il y aura d’abord une installation en France puis les Britanniques construiront son pendant.

M. le rapporteur pour avis. L’ensemble des essais sera réalisé en France ; le site britannique servira à la construction, au suivi et au développement des outils radiographiques utilisés dans le cadre d’ÉPURE. Il n’existera pas de centre de simulations et d’essais au Royaume-Uni.

Il y aura certes un site commun et des machines communes à Valduc, mais les halls d’assemblage, où chacun préparera ses maquettes d’armes, resteront strictement nationaux. Il en sera de même pour les dispositifs informatiques et scientifiques d’analyse des essais. Chaque pays conservera donc une pleine maîtrise sur les essais menés, sur leurs résultats, sur leur analyse, ainsi que sur les déchets produits.

Il est vrai que rien n’interdira aux Britanniques de communiquer aux États-Unis des données concernant les essais réalisés à Valduc pour leur propre compte, ainsi que leurs analyses et leurs interprétations. En revanche, ils ne pourront pas transmettre d’informations sur les essais ou les simulations réalisés par la France.

M. Guillaume Garot. Pourriez-vous replacer ce traité dans le paysage de la coopération avec le Royaume-Uni en matière de défense ? En quoi constitue-t-il une étape ? Existe-t-il une continuité ?

M. le rapporteur pour avis. Le rapport retrace les grandes étapes des relations franco-britanniques en matière de défense.

Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, plusieurs accords ont été signés à la fin de l’année 2010 entre la France et le Royaume-Uni. Le traité que nous examinons aujourd’hui s’inscrit donc dans un cadre plus large visant à développer considérablement les coopérations entre les deux pays aux plans opérationnel et industriel.

Les accords de novembre prévoient par exemple de mieux partager nos capacités aéronavales y compris par la présence de militaires britanniques sur le porte-avions Charles de Gaulle. Je note également que le Royaume-Uni a prévu que ses futurs porte-avions seront équipés de catapultes, ce qui assure une parfaite interopérabilité avec les avions français.

D’autres axes de progrès ont été identifiés, qu’il s’agisse des sous-marins, de la guerre contre les mines maritimes ou des drones. J’ajoute qu’un corps expéditionnaire commun devrait être constitué. Vous le constatez, le champ de la coopération est large avec des avancées très significatives.

M. Nicolas Dhuicq. En dépit de certains fantasmes, le traité ne vise absolument pas le nombre de têtes nucléaires, ni leur arrangement dans les missiles embarqués sur nos sous-marins nucléaires lanceurs engins, ni leur furtivité.

Je tiens par ailleurs à rappeler avec force que la France est le seul pays européen totalement autonome en matière de dissuasion. Celle-ci ne peut pas se partager avec un autre pays car elle relève de la responsabilité ultime du chef de l’État.

M. le rapporteur pour avis. Je reviens sur la question des têtes nucléaires dans mon rapport : pour la France, leur nombre est d’environ 300. Le stock britannique comprendra à moyen terme environ 120 têtes.

M. Nicolas Dhuicq. Il me semble que les Britanniques sont en train d’abandonner leur dissuasion nucléaire qui n’est plus assurée que par trois sous-marins, ce qui est insuffisant.

M. le rapporteur pour avis. Ils n’ont d’ailleurs pas l’ambition de se doter à nouveau d’une composante aérienne. La coopération technique et scientifique qui s’engage aujourd’hui est sans doute utile pour éviter une perte de connaissances et de capacités. Au demeurant, tous les acteurs français considèrent que l’installation du site en France est une reconnaissance de notre savoir-faire.

M. le président Guy Teissier. Cette coopération est l’occasion pour nos deux pays de maintenir savoir-faire et compétences.

*

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Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

ANNEXE : AUDITIONS DU RAPPORTEUR

Le rapporteur a successivement entendu :

– M. Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires du commissariat à l’énergie atomique, accompagné de M. Jean-Pierre Vigouroux, chef du service des affaires publiques du CEA ;

– M. Philippe Bertoux, sous-directeur du désarmement et de la non-prolifération nucléaires au ministère des affaires étrangères, accompagné par Mme Anne Lazar-Sury ;

– M. le général Frédéric Castay, chef de la division forces nucléaires de l’état-major des armées, accompagné de l’ingénieur en chef de l’armement Jérôme Avrin, adjoint programmes-finances.

L’ambassade du Royaume-Uni en France a par ailleurs transmis une contribution écrite en réponse au questionnaire que lui avait adressé le rapporteur.

© Assemblée nationale

1 () Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) a été ouvert à la signature le 1er juillet 1968 à Londres, Moscou et Washington. Il est entré en vigueur le 5 mars 1970. Le Royaume-Uni l’a ratifié le 5 mars 1970 et la France le 3 août 1992.

2 () Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, juin 2008.

3 () Avis n° 2862 tome 7 sur le projet de loi de finances pour 2011 de M. François Cornut-Gentille sur l’équipement des forces et la dissuasion, octobre 2010, p. 37.

4 () Il n’existe pas d’agrégat complet retraçant l’ensemble des dépenses liées à la dissuasion britannique, il n’est possible que de raisonner par grandes masses. Pour plus de précisions, on pourra se reporter à Keith Hartley, « The economics of UK nuclear weapons policy », in International Affairs 82: 4, 2006, The Royal Institute of International Affairs.

5 () Avis n° 2862 tome 7, op. cit., p. 195.

6 () Francis Gutman, « Pour la bombe », in Revue Défense nationale, juin 2010, n° 371, pp. 17 à 22.

7 () Le TICE a été conclu le 10 septembre 1996 et ratifié par la France et le Royaume-Uni le 6 avril 1998. Aujourd’hui signé par 182 États, ce traité n’est toujours pas entré en vigueur, seuls 35 pays, sur les 44 nécessaires, l’ayant ratifié. Parmi les États non-signataires ou n’ayant pas ratifié le texte figurent les États-Unis, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, Israël, la Chine, l’Égypte et la Corée du Nord.

8 () Entretien avec le général Paul Fouillaud, commandant des FAS, Air et Cosmos n° 2 226 du 9 juillet 2010.

9 () Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, op. cit.

10 () Le Mutual Defence Agreement (MDA) a été signé en 1958. Il est renouvelé par accord tacite tous les dix ans, la validité actuelle courant jusqu’en 2014.

11 () http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/choix-scientifiques.asp#conseil