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N° 3530

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2011.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

sur le projet de loi (N° 3373), adopté par le Sénat
après engagement de la procédure accélérée,
relatif à la
répartition des contentieux et à l’allègement
de
certaines procédures juridictionnelles,

PAR M. Alain MARTY,

Député.

——

Voir les numéros :

Sénat : 303, 344, 367, 394, 395 et T.A. 99 (2010-2011).

Assemblée nationale : 3373.

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. —  LA JUSTICE MILITAIRE EN FRANCE AUJOURD’HUI 7

A. UN LENT RAPPROCHEMENT AVEC LA JUSTICE DE DROIT COMMUN 7

B. LE RÉGIME ACTUELLEMENT APPLICABLE AUX MILITAIRES 9

1. En temps de paix 9

a) Sur le territoire de la République 9

b) Hors du territoire de la République, la compétence du TAAP 10

2. En temps de guerre 13

C. COMPARAISONS EUROPÉENNES 14

1. En Allemagne 14

2. En Belgique 14

3. En Espagne 15

4. En Italie 15

5. Au Royaume-Uni 15

6. En Suisse 16

II. — MODERNISER SANS FRAGILISER LA JUSTICE MILITAIRE 17

A. LES GRANDS AXES DU CHAPITRE IX DU PROJET DE LOI 17

B. MAINTENIR LA PRISE EN COMPTE DE LA SPÉCIFICITÉ MILITAIRE 18

1. Des personnels spécialisés 18

a) La formation des magistrats 18

b) Les greffiers militaires 20

2. La nécessaire adaptation aux contraintes opérationnelles 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

Chapitre IX : Aménagement des compétences juridictionnelles en matière militaire 24

Article 23 : Suppression du tribunal aux armées de Paris et reconnaissance d’une compétence au pôle spécialisé en matière militaire du tribunal de grande instance de Paris pour les infractions commises par ou à l’encontre des militaires en temps de paix et hors du territoire de la République 25

Article 23 bis (nouveau) : Clarification des règles de compétence pour les infractions commises à bord des navires et des aéronefs militaires 30

Article 23 ter (nouveau) : Avis du ministre de la défense en cas de poursuites pénales à l’encontre d’un militaire à la suite d’une plainte contre personne non dénommée ou d’un réquisitoire supplétif 30

Article 24 : Suppression du caractère automatique de la perte de grade pour le militaire faisant l’objet d’une condamnation pénale et suppression de la substitution de la peine d’emprisonnement à une peine d’amende 31

Article 24 bis (nouveau)  : Clarification et harmonisation de la définition de la désertion sur le territoire national et à l’étranger 32

Chapitre X : Dispositions diverses 35

Article 26 : Entrée en vigueur 35

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 37

ANNEXES 39

I. — AUDITIONS DU RAPPORTEUR 39

II. — TRAITEMENT DES AFFAIRES PAR LE TAAP 40

INTRODUCTION

Le projet de loi n° 3373 relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles marque par son chapitre IX une nouvelle étape dans le traitement des affaires militaires. Adopté par le Sénat le 14 avril 2011, il comporte en effet un certain nombre de dispositions réformant la justice militaire, en particulier la suppression du tribunal aux armées de Paris (TAAP), des évolutions de procédure ainsi que la refonte du droit sanctionnant la désertion.

Les dispositions relatives au contentieux militaire y ont été introduites tardivement, intégrant l’essentiel de celles contenues dans la proposition de loi déposée par le sénateur Marcel-Pierre Cléach relative à l’aménagement des compétences juridictionnelles en matière militaire et à la simplification de plusieurs dispositions du code de justice militaire, déposée le 11 février 2011.

Ce projet intervient près de trois décennies après la dernière grande réforme de la justice militaire. En 1982, le législateur avait supprimé les juridictions militaires en temps de paix pour les infractions commises sur le territoire national par ou à l’encontre de militaires, pour les confier aux tribunaux de grande instance (TGI). Le projet de loi poursuit donc cette réforme en l’étendant aux infractions commises à l’étranger.

L’ensemble du contentieux militaire en temps de paix sera désormais confié à des juridictions de droit commun. Pour autant, un certain nombre de garanties maintiendront un traitement spécifique de ces affaires. Celles actuellement traitées par le TAAP le seront par une chambre spécialisée, a priori composée d’un personnel au fait des affaires militaires. Garantie supplémentaire, l’avis du ministre interviendra plus systématiquement dans les affaires mettant en cause un militaire.

Mais, au-delà, le rapporteur a observé au cours de ses auditions à quel point le bon traitement de ces affaires dépendait également de la mobilisation et du parcours des personnes chargées d’en connaître. Le corps des greffiers militaires est ainsi d’un apport indispensable pour éclairer l’analyse des cas d’espèce. La spécialisation des magistrats est elle aussi fondamentale. En outre, la bonne collaboration des forces armées pour élucider les affaires a été régulièrement soulignée. Si ces éléments d’organisation ne transparaissent pas directement dans le texte examiné ici, ils n’en seront pas moins fondamentaux pour la réussite de cette nouvelle réforme.

I. —  LA JUSTICE MILITAIRE EN FRANCE AUJOURD’HUI

A. UN LENT RAPPROCHEMENT AVEC LA JUSTICE DE DROIT COMMUN

La suppression du tribunal aux armées de Paris peut être considérée comme l’aboutissement du processus de rapprochement de la justice des affaires militaires avec la justice de droit commun.

La justice militaire a été, dès l’origine, une justice d’exception. Elle juge en effet de crimes particulièrement graves, la faute d’un soldat pouvant compromettre la sécurité ou les intérêts du pays. L’existence de juridictions autonomes s’est donc justifiée par l’application de sanctions appropriées, a priori plus sévères, et traitées par les forces armées elles-mêmes, mais aussi par la volonté de préserver les forces régaliennes de l’immixtion du pouvoir judiciaire.

C’est à l’époque de la guerre de Cent ans que la justice militaire française a pris forme, le roi Philippe VI de Valois soustrayant à la justice de droit commun les sergents et soldats préposés à la garde des châteaux. En 1467, l’ordonnance du Plessis-les-Tours prise par le roi Louis XI a isolé les délits militaires des délits non militaires. Cet équilibre préfigurait les distinctions juridiques actuelles, en séparant la faute commise dans l’exercice de fonctions, que le droit administratif moderne assimilerait à une faute de service, de celle commise en dehors de l’activité en tant que telle, la faute personnelle contemporaine.

Le XVIIe siècle a vu le développement d’une véritable procédure pénale militaire, avec la création des conseils de guerre en 1665. D’emblée, les cours militaires étaient composées d’officiers.

C’est également sous l’Ancien régime que s’est affirmé le rôle des prévôts, encore en vigueur, en charge de veiller à la bonne application du droit dans les garnisons et de recueillir les éléments de preuve nécessaires au traitement de l’action judiciaire.

Ce privilège de juridiction a été confirmé après 1789, en particulier sous le Directoire, à la faveur des guerres révolutionnaires. La loi du 18 septembre 1795 a institué des tribunaux révolutionnaires militaires, bientôt remplacés par des conseils de guerre permanents (loi des 13 et 21 brumaire an V). Ceux-ci étaient exclusivement composés de militaires et étaient dotés d’une compétence s’étendant au-delà des seuls soldats, incluant notamment les populations de territoires occupés ainsi que les activités d’espionnage.

Face aux abus et aux accusations d’inéquité, des conseils de révision ont rapidement été créés afin de garantir le respect d’une procédure plus équilibrée (lois du 17 germinal an IV puis du 18 vendémiaire an VI).

L’adoption d’un code de justice militaire a contribué à étayer l’idée que les affaires militaires répondaient à des impératifs et à des contraintes spécifiques, confirmant à l’époque la nécessité d’en détacher du droit commun non seulement le jugement et la procédure, mais aussi le droit applicable. Le premier code de justice militaire, adopté en 1857, rend un conseil de guerre compétent pour traiter de toutes les infractions commises par des militaires, y compris de droit commun. L’esprit de ce code était particulièrement répressif : les infractions commises par les soldats en dehors de l’exercice de leurs fonctions relevaient également de la cour militaire.

Ces cours ont généralement fait preuve d’une grande rigueur, au point d’être régulièrement contestées pour leur arbitraire. L’affaire Dreyfus a révélé que la justice héritée du code de 1857 n’avait pas suivi la démocratisation de la société. Pour autant, cette affaire n’a pas ébranlé une institution dont la sévérité semblait garantir la discipline militaire, dans un pays en partie occupé et menacé par l’Allemagne.

C’est finalement le traumatisme de la Première guerre mondiale, avec le souvenir des conseils de guerre spéciaux et de leur rigueur, qui a certainement poussé à la réforme.

La loi du 9 mars 1928 a modifié le code de justice militaire dans un sens plus libéral. Elle a remplacé les conseils de guerre, institués par le code de 1857, par des tribunaux militaires. Ceux-ci étaient, en temps de paix, présidés par un magistrat civil. Il a fallu également tirer les conséquences de l’évolution de la guerre en étendant le champ d’application du code à l’armée de l’air (1934) ainsi qu’à la marine (1938). L’instauration de ces tribunaux militaires a également traduit le rapprochement avec la justice de droit commun. En particulier, des magistrats civils présidaient les chambres en temps de paix.

Au lendemain des guerres coloniales, la réforme du 8 juillet 1965 a mis en place des juridictions spécifiques appelées « tribunaux permanents des forces armées ». Le législateur a réaffirmé la pertinence d’un code pénal particulier pour juger des infractions commises par les militaires dans l’exercice de leurs fonctions ou dans une enceinte militaire, qu’il s’agisse ou non d’infractions liées à leurs fonctions. Les tribunaux permanents étaient habilités à juger des affaires commises sur le territoire national ou à l’étranger. Des magistrats civils étaient détachés par le ministère de la justice auprès des huit tribunaux ainsi créés pour couvrir l’ensemble des régions militaires et y constituer une magistrature mixte, aux côtés de magistrats militaires. Un haut tribunal permanent des forces armées permettait quant à lui de juger les officiers généraux.

Deux autres institutions ont complété ce dispositif : des tribunaux militaires aux armées permettant de juger en temps de paix des actes commis au sein d’une force stationnée hors du territoire national ainsi que des tribunaux prévôtaux, relevant de la gendarmerie et compétents pour juger in situ de délits mineurs relevant de la contravention.

Ce régime demeurait rigoureux. Il n’existait pas de degré d’appel ni de jury populaire. Le ministre de la défense conservait d’importantes prérogatives : faculté de suspendre une peine ou encore monopole de la mise en mouvement de l’action publique.

C’est donc un contexte marqué à la fois par le maintien d’une spécificité forte de la justice militaire et par son inexorable rapprochement avec la justice civile qu’est intervenue la réforme de 1982.

B. LE RÉGIME ACTUELLEMENT APPLICABLE AUX MILITAIRES

1. En temps de paix

La loi du 21 juillet 1982 (1) a profondément modifié le système juridictionnel concernant les infractions commises sur le territoire de la République. Jusqu’au présent projet de loi, le régime applicable à l’étranger avait quant à lui connu peu de modifications.

a) Sur le territoire de la République

Souvent présentée comme une rupture, la loi du 21 juillet 1982 constitue surtout un premier aboutissement du processus de rapprochement vers les juridictions civiles. Elle a supprimé les tribunaux permanents des forces armées en temps de paix. Le contentieux a été confié à des chambres spécialisées au sein de 33 juridictions de droit commun. Ainsi, une infraction commise sur le territoire national relève du code de procédure pénale et est traitée par la chambre spécialisée dans les affaires militaires du tribunal de grande instance désigné par la loi. Cette évolution semble avoir stabilisé la recherche ancienne d’un équilibre entre la nécessité de s’adapter à la banalité des infractions commises par les militaires en temps de paix, qui peuvent logiquement relever du droit commun, et l’indispensable reconnaissance de la spécificité du contexte militaire, que garantit la création de chambres spécialisées.

Le code de procédure pénale s’appliquant, les militaires se voient offrir des garanties plus importantes, sous réserve de certaines spécificités. Le code de procédure pénale rend les juridictions civiles compétentes en matière militaire (articles 697-1 à 697-3), tout en organisant une procédure spécifique, prévue par les articles 698-1 à 698-9. Si aucun militaire ne prend part au jugement, les magistrats sont spécialisés dans ces affaires et sont souvent éclairés dans leurs travaux par la présence de greffiers militaires.

La procédure connaît ainsi certains aménagements. Ainsi, la loi de 1982 a mis fin au monopole du ministre pour l’engagement de l’action publique, transférant cette faculté au Procureur de la République. Toutefois, cette disposition est strictement encadrée par l’instauration d’une dénonciation préalable de l’infraction par l’autorité militaire (article 698-1 CPP). Prévu au même article, l’avis du ministre offre une garantie précieuse, y compris pour la défense de l’accusé : il éclaire précisément les magistrats sur les circonstances de l’espèce et indique les sanctions disciplinaires qui ont pu être prises. Cet avis ne lie pas les magistrats, il ne fait que les éclairer.

S’y ajoutent d’autres aménagements de procédure liés au contexte militaires. En particulier, la nécessité de préserver la confidentialité de certaines informations peut justifier l’absence de jury populaire dans une configuration de cour d’assise (698-7). De même, le respect de la confidentialité des enceintes militaires explique le régime de réquisitions préalables à l’entrée dans ces enceintes (698-3). Enfin, les militaires doivent être détenus dans des locaux séparés (698-5).

Les militaires font généralement l’objet d’une procédure disciplinaire préalablement ou parallèlement à la procédure judiciaire. Lorsqu’ils sont condamnés à des mesures disciplinaires privatives de liberté, ils voient leur temps de détention s’imputer à la durée d’emprisonnement ferme que pourrait décider le tribunal.

b) Hors du territoire de la République, la compétence du TAAP

Le législateur a permis en 1982 la création de tribunaux aux armées pour juger les infractions commises par les militaires en temps de paix en dehors du territoire national. On observe que la situation était complexe. Ainsi, le tribunal des forces armées de Paris créé par la loi du 21 juillet 1982 était compétent pour juger des infractions commises par des militaires dans des États liés à la France par certains accords de défense. Par ailleurs, le tribunal militaire aux armées de Baden-Baden visait les infractions commises par les troupes stationnées en Allemagne. Par défaut, les juridictions de droit commun spécialisées étaient compétentes.

La loi du 10 novembre 1999 (2) a simplifié ce dispositif en créant une nouvelle juridiction militaire pour traiter des infractions commises en temps de paix par ou à l’encontre de militaires hors du territoire national : le tribunal aux armées de Paris. Celui-ci est uniquement composé de magistrats civils détachés par le ministère de la justice auprès du ministère de la défense, qui pourvoit aux frais de fonctionnement de la juridiction. La réforme a par ailleurs rapproché la procédure prévue par le code de justice militaire de celle du code de procédure pénale : création d’un deuxième degré de juridiction (Cour d’appel de Paris) et instruction après avis du ministre des plaintes déposées avec constitution de partie civile.

Par ailleurs, la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004 (3) a autorisé le Gouvernement à réformer le code de justice militaire par voie d’ordonnance, ce qui a permis notamment de refondre en quatre livres le code de justice militaire, d’organiser les conditions de nomination des magistrats en charge des affaires militaires, ainsi que de préciser les modalités d’appel des décisions rendues par le TAAP.

Depuis sa création, le TAAP a connu une activité réelle, comme l’illustre le tableau ci-après.

Nombre de dossiers ouverts depuis 2001 au TAAP

2001

1 800

2002

1 712

2003

1 493

2004

1 693

2005

1 537

2006

1 643

2007

1 632

2008

1 692

2009

1 570

2010

1 242

Source : TAAP.

Le nombre de dossiers ouverts chaque année est conséquent, la France entretenant en permanence entre 10 et 15 000 soldats à l’étranger.

Le contentieux provient surtout des forces stationnant en Allemagne et à Djibouti, bien davantage que des différents théâtres d’opérations extérieures (OPEX), ce qu’illustre le tableau ci-après.

Origine des procédures ouvertes au taap en 2010

Allemagne

343

Djibouti

267

Afghanistan

129

Tchad

125

Sénégal

90

Côte d’Ivoire

64

Liban

58

Ex-Yougoslavie

48

Gabon

37

RCA

32

Émirats arabes unis

10

Haïti

9

France

7

Tadjikistan

7

Belgique

1

Chypre

1

Inde

1

Lituanie

1

Oman

1

Pakistan

1

Source : TAAP.

Bon nombre d’affaires traitées ressemblent à celles que connaissent les tribunaux civils (un tiers d’atteintes aux biens, un sixième d’atteintes aux personnes). Seules 14 à 17 % des affaires sont des infractions militaires à proprement parler.

10 % des affaires donnent lieu à un jugement, comme l’indique le tableau ci-après.

Nombre de jugements du taap

Année

Jugements

2001

154

2002

166

2003

100

2004

164

2005

138

2006

182

2007

198

2008

176

2009

193

2010

111

2011

62

Moyenne

160

Source : TAAP.

Le TAAP tire sa force de sa connaissance réelle des affaires militaires, permise par une spécialisation de fait : là où certaines chambres spécialisées ne traitent que de quelques dizaines d’affaires chaque année, le TAAP en connaît plusieurs centaines. Par ailleurs, il existe une réelle collaboration avec les forces armées qui mettent par exemple gracieusement à disposition des magistrats du TAAP des moyens militaires, tels que des liaisons par avion militaire ou hélicoptères, pour les besoins de l’enquête. Cela semble logique, le TAAP relevant organiquement de la direction des affaires juridiques du ministère de la défense. On observe que le ministère sera en droit de refacturer au ministère de la justice le coût de ces opérations lorsque, comme le prévoit le projet de loi, les affaires traitées par le TAAP le seront par des TGI, qui relèvent du ministère de la justice.

2. En temps de guerre

La guerre est un temps justifiant des mesures d’exception. La réforme de 1982 n’a ainsi pas touché au dispositif du code de justice militaire de 1965. En temps de guerre, les pouvoirs de poursuites basculent du ministère de la justice vers celui de la défense. Les tribunaux militaires sont instaurés selon le schéma conçu en 1965 : tribunaux territoriaux des forces armées sur le territoire national (article L. 112-1 du code de justice militaire) et tribunaux militaires aux armées en dehors (L. 112-27 à 112-29), présidés par un magistrat de l’ordre judiciaire assisté de quatre juges militaires. Sur le territoire national, un haut tribunal des forces armées est compétent pour juger les plus hauts gradés ainsi que les contrôleurs généraux des armées (L. 113-3).

Le ministre de la défense engage les poursuites, le commissaire du Gouvernement, équivalent du Procureur de la République dans l’ordre judiciaire, n’émettant qu’un avis. Les délais de garde à vue sont plus longs : 48, voire 72 heures. Le contexte de guerre justifie également la possibilité offerte par l’article L. 222-19 d’interdire la publication de tout ou partie du compte rendu des débats.

La réforme de 2006 a toutefois apporté quelques évolutions modernisant le droit applicable, compte tenu notamment des exigences de la convention européenne des droits de l’homme. Les jugements rendus par les tribunaux militaires doivent désormais être systématiquement motivés. Les décisions rendues en première instance peuvent être contestées en appel. En outre, il a été mis fin à l’imprescriptibilité des peines prononcées par défaut pour désertion en bande armée, à l’ennemi ou en présence de l’ennemi.

Les situations de guerre sont aujourd’hui rares sur le plan juridique, le Parlement devant autoriser la déclaration de guerre selon l’article 35 de la Constitution. En dehors de ces situations, le Gouvernement peut mettre en œuvre tout ou partie des dispositions relatives à la justice militaire dans les situations d’état de siège, d’état d’urgence, de mobilisation ou encore de mise en garde.

C. COMPARAISONS EUROPÉENNES

Les relations qui unissent la justice militaire avec la justice civile se caractérisent par une proximité plus ou moins importante selon les pays d’Europe.

1. En Allemagne

En Allemagne, la justice militaire en temps de paix a été supprimée. Les infractions pénales militaires sont jugées par les juridictions de droit commun.

Néanmoins, l’article 96 de la Loi fondamentale prévoit l’institution de tribunaux pénaux militaires en temps de guerre pour les forces militaires. Ces tribunaux spéciaux relèvent du ministère de la justice, les juges devant simplement « satisfaire aux conditions requises pour l’exercice des fonctions de juge ». De plus, selon la Loi fondamentale « la Cour fédérale de justice fait fonction de cour suprême pour ces tribunaux ».

2. En Belgique

En Belgique, la loi du 20 avril 2003 a supprimé les juridictions militaires en temps de paix et précisé que les juridictions de droit commun sont compétentes pour statuer sur les infractions commises par des militaires.

Néanmoins, cette loi spécifie également qu’en temps de guerre, des tribunaux militaires permanents peuvent être institués ainsi qu’une cour militaire dont le siège et le ressort sont fixés par décret royal.

En temps de paix comme en temps de guerre, les règles appliquées par les différentes juridictions sont celles du droit commun.

3. En Espagne

En Espagne, l’article 117-5 de la Constitution de 1978 précise que « la loi réglementera l’exercice de la juridiction militaire dans le domaine strictement limité à l’armée et dans le cas d’un état de siège, conformément aux principes de la Constitution ». L’entrée en vigueur de la Constitution a été suivie par l’adoption de quatre lois organiques entre 1985 et 1989 concernant une réforme de la justice militaire dont celle du 15 juillet 1987 qui détermine la compétence et l’organisation de la justice militaire.

Outre l’appel des sanctions disciplinaires, les compétences des juridictions militaires varient selon qu’elles interviennent en temps de paix ou de guerre. En temps de paix, elles ne connaissent que des infractions touchant à la défense ou à la sécurité nationales, telles que la trahison ou l’espionnage. En temps de guerre en revanche, elles traitent de l’ensemble des infractions du code pénal.

4. En Italie

En Italie, l’article 103 de la Constitution précise que « les tribunaux militaires, en temps de guerre, exercent la compétence fixée par la loi. En temps de paix, celle-ci se limite aux délits militaires commis par les membres des forces armées ».

Les juridictions militaires italiennes sont des juridictions spéciales. La loi du 7 mai 1981 a modifié l’organisation de la justice militaire pour la rapprocher de la justice ordinaire, et offert aux magistrats militaires les mêmes garanties d’indépendance qu’aux magistrats ordinaires.

En temps de paix, les tribunaux militaires constituent les juridictions pénales militaires du premier degré. Leurs magistrats, qui sont spécialisés, ne jugent que des infractions purement militaires. En temps de guerre, les tribunaux militaires ordinaires sont remplacés par les tribunaux militaires de guerre dont les compétences sont étendues.

L’appel ressort de la cour militaire d’appel. Il n’existe pas de code de procédure pénale militaire et c’est le code de procédure pénale de droit commun qui s’applique devant les juridictions militaires.

5. Au Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, le traitement du contentieux militaire est relativement complexe. Chaque armée dispose de ses propres cours et applique son propre code. Il existe cependant une juridiction de second degré unique, le conseil de guerre d’appel.

Les tribunaux militaires ne sont pas permanents. C’est le service de l’administration centrale en charge de la justice militaire qui, en cas de besoin, réunit le tribunal.

Les juridictions militaires sont en principe les mêmes en temps de paix et en temps de guerre. Néanmoins, face à une situation d’urgence, un conseil de guerre de campagne peut être convoqué.

6. En Suisse

Au terme de la loi du 23 mars 1979, la Suisse dispose d’une justice militaire indépendante. Cependant, celle-ci fonctionne selon les principes en vigueur pour la justice de droit commun.

Les cours militaires sont essentiellement composées d’appelés effectuant leur service militaire. Ils relèvent d’une formation spéciale de l’armée helvétique. Les cours sont organisées selon trois degrés de juridiction : huit tribunaux militaires, trois tribunaux militaires d’appel et un tribunal militaire de cassation.

II. — MODERNISER SANS FRAGILISER LA JUSTICE MILITAIRE

Le présent projet de loi s’inscrit dans la continuité des modifications opérées en 1982 et 1999 : il réduit au strict minimum les procédures dérogatoires applicables aux militaires, sans pour autant remettre en cause la spécificité de leur métier.

A. LES GRANDS AXES DU CHAPITRE IX DU PROJET DE LOI

Le projet de loi, largement complété par le Sénat, poursuit trois objectifs majeurs : simplifier les procédures, harmoniser la pratique du droit pénal militaire et renforcer son efficacité.

Le projet de loi supprime ainsi le tribunal aux armées de Paris et transfère cette compétence à une formation spécialisée du TGI de Paris. La poursuite et le jugement des infractions commises sur le territoire de la République restent quant à elles du ressort des juridictions de droit commun spécialisées. Selon les informations transmises au rapporteur, le président du TGI de Paris et le Procureur de la République envisage de constituer une section nouvelle qui traiterait des affaires pénales militaires. Il serait utile que cette section ne soit pas compétente pour d’autres dossiers : si tel était le cas, les affaires militaires risqueraient d’être « noyées dans la masse » et leur traitement en souffrirait. Le rapporteur encourage les autorités compétentes à isoler les affaires militaires dans une formation spécifique et à y affecter des magistrats et des greffiers à temps plein.

Le projet de loi prévoit par ailleurs une modernisation assez conséquente du régime de la désertion. Le Sénat a ainsi réorganisé le droit applicable en harmonisant les régimes en vigueur selon que la désertion a lieu sur le territoire de la République ou à l’étranger. Cette réforme semblait d’autant plus nécessaire que la professionnalisation s’est paradoxalement accompagnée d’un accroissement marqué des cas de désertion. Près de 2 400 cas ont été recensés en 2006, contre moins de 500 en 1997, soit une multiplication par cinq. Cette tendance s’explique tout d’abord par une banalisation de l’engagement militaire, de plus en plus vécu tel un contrat comme un autre : une grande partie des cas observés concerne des jeunes engagés ayant trouvé un emploi dans le secteur civil et commençant leur nouvelle carrière avant l’expiration de leur engagement militaire. Une autre explication tient certainement au fait que les cas de désertion sont peu poursuivis, ce qui peut entretenir un sentiment d’impunité. Le rapporteur le regrette et souhaite que les aménagements législatifs adoptés au Sénat constituent un signal fort envoyé à tous les acteurs pour juguler cette banalisation.

Le projet de loi pose également la compétence du tribunal de ressort des ports d’attache des bâtiments militaires ou des aérodromes de rattachement des aéronefs militaires pour traiter les affaires qui y surviennent.

Il élargit par ailleurs des cas dans lesquels l’avis du ministre est obligatoire avant l’engagement de toute poursuite. Il s’agit d’une garantie heureuse qui devrait maintenir une bonne prise en compte des spécificités militaires.

Enfin, il permet de moderniser le régime de sanction dont les militaires sont passibles en cas de condamnation pénale. En particulier, le caractère automatique de la destitution est supprimé.

L’ensemble de ces dispositions devrait donc améliorer le fonctionnement de la justice militaire sans pour autant la faire tomber dans le régime ordinaire. Si le rapporteur adhère à cette évolution dans son principe, il note toutefois que le calendrier retenu est contraignant et pourrait générer des retards dans le traitement des dossiers alors même que le tribunal aux armées de Paris s’est toujours distingué par un taux de traitement élevé, qu’il s’agisse de l’enregistrement, de l’instruction ou du jugement des affaires.

B. MAINTENIR LA PRISE EN COMPTE DE LA SPÉCIFICITÉ MILITAIRE

La disparition du TAAP ne constitue pas un affaiblissement de la justice militaire dans la mesure où l’ensemble des compétences est repris par une formation spécialisée du TGI de Paris. Pour autant, si ce transfert s’inscrit dans une évolution naturelle et souhaitable, il convient de s’assurer que les conditions de sa mise en œuvre assureront une prise en compte de la spécificité du métier militaire. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de mettre l’accent sur la formation et sur la valorisation de la carrière des personnels spécialisés. Il faut aussi expliquer la nouvelle procédure, notamment en ce qui concerne les poursuites sur les théâtres d’opération afin d’assurer la continuité des actions pénales et de garantir un transfert efficace des dossiers en cours.

1. Des personnels spécialisés

Lors de ses auditions, il est apparu au rapporteur que les infractions et procédures militaires sont globalement mal connues de l’ensemble des personnels de la justice, qu’il s’agisse des magistrats, des greffiers, des enquêteurs…, sauf à ce qu’ils aient l’occasion d’intervenir au profit de juridictions spécialisées ou qu’ils aient une appétence particulière pour les questions militaires. Ils n’ont en effet, dans leur cursus ordinaire, pas d’occasion de découvrir et d’appréhender ces enjeux particuliers. La réforme engagée doit être l’occasion de combler cette insuffisance en renforçant la formation initiale et continue des magistrats d’une part, et en maintenant et consacrant le rôle central des greffiers militaires d’autre part.

a) La formation des magistrats

À la différence de certains pays comme les États-Unis ou l’Italie, la France ne dispose plus d’un corps de magistrats militaires depuis la loi du 29 décembre 1966 qui dispose que « les fonctions de magistrats du parquet et de l’instruction auprès des juridictions des forces armées sont exercées […] par des magistrats du corps judiciaire placés, sur leur demande, en position de détachement auprès du ministre chargé de la défense » (4). En revanche, le ministère de la justice détache auprès du ministère de la défense des magistrats qui reçoivent alors un grade d’assimilation et sont soumis au statut général militaire et, partant, à la discipline générale des armées. Leur nomination intervient par un décret du Président de la République, le ministre de la défense étant l’autorité d’affectation de ces magistrats.

Ces magistrats peuvent être affectés au sein de la division des affaires pénales militaires de la direction des affaires juridiques du ministère de la défense ou au sein du tribunal aux armées de Paris. Dans le premier cas, ils assurent une mission d’assistance et de conseil au profit du ministre : ils sont notamment chargés de traiter les demandes d’avis préalable, celles de déclassification ainsi que toutes les questions d’expertise comme par exemple lorsqu’un projet de loi a un impact sur la justice pénale militaire. Au sein du tribunal aux armées, trois magistrats (deux magistrats du Parquet et un juge d’instruction) traitent à temps plein d’infractions impliquant, en tant que victime ou auteur, des militaires.

Pour autant, toutes les juridictions peuvent être amenées à connaître d’affaires impliquant des militaires, au premier rang desquelles les juridictions de droit commun à travers leurs chambres spécialisées. Ces formations n’ont aucun caractère permanent : elles ne sont constituées qu’en cas de besoin. De ce fait, la connaissance du droit pénal militaire ne repose que sur l’expérience de quelques magistrats et leur intérêt pour ces sujets, surtout si l’activité du tribunal en la matière est réduite ou rare.

En effet, la justice militaire ne constitue pas un module de la formation initiale des magistrats, que ce soit au cours de leurs études universitaires ou lors de leur cursus à l’école nationale de la magistrature.

Pour améliorer cette situation, le ministère de la défense a institué il y a trois ans une session annuelle de formation d’une semaine pour les magistrats. Durant une semaine, une vingtaine de magistrats suivent des cours pour se familiariser avec les spécificités procédurales, les techniques militaires mais aussi pour mieux connaître le monde militaire. La disparition du service national rend cette sensibilisation d’autant plus nécessaire que les jeunes magistrats ignorent souvent tout du fonctionnement des armées et de la défense nationale. Cette initiative annuelle peut être complétée, le cas échéant, par des modules ponctuels ou des échanges informels. La direction des affaires juridiques participe par exemple à des colloques sur la piraterie maritime ou l’action de l’État en mer. Des réunions sont également organisées avec les Procureurs des chambres spécialisées des juridictions de droit commun.

Si ces avancées sont positives et doivent être encouragées, elles restent insuffisantes. Dans une matière aussi difficile d’accès puisqu’il n’existe aucun manuel de référence, il est indispensable que la transmission des savoirs soit mieux assurée. Le rapporteur du Sénat soulignait qu’un effort doit être fait en la matière : il semble en effet indispensable qu’au moins un module de la formation initiale à l’école nationale de la magistrature (ENM) aborde cette question, charge ensuite au ministère de la justice et à celui de la défense de former plus spécifiquement les magistrats qui seront affectés dans les formations spécialisées compétentes en matière militaire.

b) Les greffiers militaires

Les magistrats ne sont toutefois pas totalement démunis lorsqu’ils ont à connaître d’un dossier pénal militaire : ils peuvent s’appuyer sur les greffiers militaires.

Le corps des greffiers militaires est soumis aux dispositions du décret du 12 septembre 2008 (5). Il compte à ce jour un peu plus de 120 militaires, la moitié étant affectée dans les greffes des juridictions spécialisées, l’autre moitié servant en administration centrale. Le tribunal aux armées dispose quant à lui de sept greffiers (deux officiers et cinq sous-officiers).

Le corps est constitué des officiers greffiers et des sous-officiers commis greffiers. Les premiers assurent des missions de chef de greffe ou de conseiller juridique des commandants militaires. Ils sont un intermédiaire précieux entre les différentes parties : ils peuvent en effet expliquer aux militaires les contraintes de la procédure pénale et aux magistrats les spécificités des armées et de l’engagement opérationnel. Les seconds remplissent l’ensemble des fonctions de greffier ordinaire.

Les greffiers sont recrutés parmi les militaires de carrière par la voie d’un concours. Une fois en poste, ils restent soumis aux obligations militaires tout en étant astreints au secret professionnel et à la déontologie du monde judiciaire. Ce statut original pourrait apparaître contraignant ; il est, bien au contraire, une richesse qu’il faut impérativement préserver.

Les greffiers militaires constituent en effet la base des juridictions qu’il faudrait mettre en place en temps de guerre.

Le ministère de la défense indique que la suppression du TAAP ne devrait, à ce stade, pas avoir d’effet sur l’existence du corps, ni sur sa structure. Le rapporteur relève cependant que le recrutement est actuellement arrêté et que la formation continue des greffiers militaires a cessé à l’été 2010. De même, d’aucuns envisageraient de fusionner les deux composantes en un seul corps. Cette solution n’apparaît pas indispensable et surtout ne répondrait à aucune nécessité pratique.

Selon les informations qui lui ont été transmises, deux des greffiers affectés au TAAP devraient être mis à la disposition du TGI de Paris. Les demandes d’affectation des autres greffiers seront traitées en priorité. À ce jour, seul un des sept greffiers a reçu confirmation formelle et connaît sa future affectation. Par ailleurs, il apparaît que les greffiers affectés au TGI de Paris pourraient remplir des missions sans lien avec les dossiers militaires ; il serait contre-productif de se priver de leurs compétences et de ne pas les affecter auprès de la nouvelle formation spécialisée. Ces décisions relevant du pouvoir d’organisation du chef de juridiction, le rapporteur ne peut que souligner l’utilité de ces personnels très qualifiés et expérimentés.

Au-delà des enjeux immédiats, le rapporteur considère, comme l’a fait le rapporteur du Sénat, que le statut et l’existence des greffiers militaires doivent être préservés.

2. La nécessaire adaptation aux contraintes opérationnelles

L’engagement croissant de nos forces sur des théâtres d’opérations de plus en plus éloignés peut rendre le travail des magistrats plus difficile. Outre l’éloignement, il est parfois difficile de communiquer avec les militaires déployés ou de coopérer avec la justice locale de pays parfois peu stables. Lors de ses auditions, le rapporteur a été particulièrement alerté sur ces deux points : à ce jour le TAAP bénéficie d’un accès à l’ensemble des services informatiques de la défense (intranet notamment) et surtout peut utiliser les moyens de communication militaire indispensables pour joindre les forces déployées en particulier en Afghanistan. Il n’est pas prévu que ces moyens soient mis à la disposition de la formation spécialisée du TGI, ce qui constituerait un frein majeur au travail des magistrats. Les moyens de communication doivent donc suivre le transfert des dossiers et la défense doit continuer à mettre à la disposition des magistrats du TGI de Paris les moyens actuellement affectés au TAAP.

On observera que la connaissance du milieu militaire, de ses évolutions, de ses réformes ne peut se faire qu’au travers de la lecture régulière de l’ensemble des publications internes et externes du ministère, ce qui nécessite un accès à ces informations. Le système, pour perfectible qu’il est aujourd’hui puisque les magistrats peinent par exemple à se faire communiquer tous les textes militaires de référence (6), éclaire toutefois les personnels du TAAP sur l’actualité militaire.

La coopération avec les forces de justice ou de police du pays dans lequel l’infraction a été commise est également déterminante. Aujourd’hui, le TAAP peut s’appuyer sur le relais précieux des prévôts et des missions militaires qui ont souvent des contacts facilités avec les autorités locales, surtout dans des pays où l’ambassade française n’a pas nécessairement d’attaché de sécurité. Cette action des militaires déployés se justifie souvent par l’existence d’accords de défense qui comportent parfois des stipulations propres à l’action pénale et à la coopération judiciaire. Ces documents sont toutefois généralement classifiés et seuls des militaires peuvent y avoir accès. Le transfert au TGI de Paris pourrait fragiliser la pratique actuelle : faute d’avoir accès aux informations et d’entretenir des relations avec les militaires déployés, les magistrats pourraient être contraints d’emprunter la voie ordinaire de coopération judiciaire qui est longue et souvent peu efficace. Il conviendrait donc de maintenir le régime actuel et d’établir une coopération formelle entre le ministère de la défense et le ministère de la justice sur ce point.

Le projet de loi maintient certes l’avis préalable du ministre de la défense, mais ce document reste formel et n’apporte pas la connaissance du contexte global qui est aujourd’hui transmise aux magistrats notamment par les prévôts. Le contact avec le monde militaire doit être constant et dépasser les seuls échanges formels.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 15 mai2011.

Un débat suit l’exposé du rapporteur pour avis.

Mme Michèle Alliot-Marie. Je félicite le rapporteur pour la clarté de son rapport.

Lorsque j’ai été saisie de ce projet en tant que ministre de la défense, ma première réaction a été négative en raison de la spécificité des engagements militaires, notamment dans les opérations extérieures (OPEX), même si la loi tend à s’appliquer de manière uniforme aux militaires et aux civils. Après en avoir ensuite beaucoup parlé, en tant que ministre de la justice, avec l’état-major des armées qui est très demandeur de ce projet, et m’être rendue au TAAP, je me suis non seulement ralliée à l’idée, mais j’ai engagé une partie des réflexions et des travaux préparatoires. Autant techniquement qu’en termes d’image, le fait de ne plus avoir un tribunal spécifique mais une section du TGI de Paris est une bonne chose : il permet de conserver une spécialisation, à l’instar de la section antiterroriste. Les affaires seront jugées par des magistrats de l’ordre judiciaire dotés d’une formation et d’une expérience leur permettant d’avoir une compétence particulière. Je ne peux donc que partager la position du rapporteur ; je suis favorable au texte.

M. Daniel Boisserie. La caserne de Reuilly qui abrite le TAAP doit être vendue : la suppression du TAAP n’est-elle pas une conséquence directe de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?

Par ailleurs, les magistrats de la formation spécialisée du TGI de Paris seront-ils, comme par le passé, assistés de spécialistes militaires ?

M. Alain Marty, rapporteur pour avis. Il est possible que la vente de la caserne de Reuilly ait contribué à accélérer le processus de réforme, mais il n’en a pas été le facteur déclencheur.

Je rappelle que le TAAP a fonctionné en toute indépendance et qu’il ne s’est pas montré favorable aux militaires, bien au contraire ! Il a d’ailleurs engagé davantage de poursuites à l’encontre des déserteurs que les autres juridictions. Le projet de loi cherche à montrer qu’il n’existe pas de justice spéciale pour les militaires en les soumettant en conséquence à un tribunal de droit commun, tout en maintenant certaines garanties juridictionnelles propres à leur engagement et nécessaires au maintien de la chaîne de commandement.

Cela dit, la RGPP n’est pas sans incidence. Au sein de la formation spécialisée du TGI de Paris, on retrouvera peut-être les mêmes magistrats, mais sans doute moins de greffiers militaires : à ce stade, il est prévu l’arrivée de deux d’entre eux, les autres étant déployés vers d’autres activités.

Les magistrats du TGI acquerront une connaissance du métier militaire, comme le font déjà ceux qui statuent dans les juridictions de droit commun spécialisées pour les crimes et délits accomplis par des militaires sur le territoire national.

Sur les 33 TGI concernés, trois ont un volume d’activité important. Les autres ne traitent que quelques dossiers par an : on peut d’ailleurs se demander si les magistrats qui y travaillent ont de ce fait une connaissance suffisante de la spécificité du métier de militaire.

La chambre spécialisée du TGI de Marseille, qui a le plus grand nombre de dossiers en raison de la base navale de Toulon et de la présence de plusieurs régiments dans son ressort, est un exemple utile, tout le monde s’accordant à reconnaître que cette formation fonctionne bien

M. Gilbert Le Bris. J’étais déjà membre de la Commission lors de la réforme de 1982 : on cherchait alors à « civilianiser » la justice militaire, arguant du fait que « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique » !

Il est bon que le contentieux militaire fasse l’objet d’un traitement spécifique, de même est-il souhaitable d’attribuer une compétence en fonction des ports et aéroports de rattachement pour les infractions commises à bord des navires et aéronefs militaires : trop de centralisation nuit à la connaissance et à la poursuite des faits. La simplification proposée par le texte va également dans le bon sens.

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La Commission procède ensuite à l’examen des articles du projet de loi concernant la justice militaire.

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Chapitre IX

Aménagement des compétences juridictionnelles en matière militaire

Ce chapitre comportait initialement deux articles, auxquels ont été ajoutés par voie d’amendements au Sénat les articles 23 bis, 23 ter et 24 bis.

Article 23

Suppression du tribunal aux armées de Paris et reconnaissance d’une compétence au pôle spécialisé en matière militaire du tribunal de grande instance de Paris pour les infractions commises par ou à l’encontre des militaires en temps de paix et hors du territoire de la République

Articles 697-1, 697-4, 697-5, 698, 698-6 et 706-16 du code de procédure pénale ; articles L. 1 à L. 3, L. 111-1 à L. 111-17, L. 112-22, L. 121-1, L. 121-6 à L. 121-8, L. 123-1, L. 123-4, L. 211-1, L. 211-3, L. 211-4, L. 211-7, L. 211-8, L. 211-10 à L. 211-12, L. 211-14, L. 211-15, L. 211-17, L. 211-24, L. 211-25, L. 221-1, L. 221-2, L. 221-4, L. 231-1, L. 233-1, L. 241-1, L. 261-1, L. 262-2, L. 265-1, L. 265-3, L. 271-1 du code de justice militaire

Cet article opère le transfert des compétences du tribunal aux armées de Paris vers une formation spécialisée du tribunal de grande instance de Paris. Il comprend deux parties principales : le I (alinéas 1 à 14) modifie le code de procédure pénale (CPP) et le II (alinéas 15 à 59) le code de justice militaire (CJM).

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Le I modifie le chapitre du CPP (I) qui prévoit une procédure spécifique pour les infractions impliquant des militaires. Dans les intitulés du code, il est désormais fait référence aux « infractions militaires » au sens large ; jusqu’ici une distinction était en effet opérée entre, d’une part, la procédure applicable aux contraventions et, d’autre part, celle applicable aux crimes et délits.

L’actuel article 697 du CPP dispose que « dans le ressort de chaque cour d’appel, un tribunal de grande instance est compétent pour l’instruction et, s’il s’agit de délits, [du] jugement des infractions mentionnées à l’article 697-1 » du même code. L’article 697-1 renvoie pour sa part au code de justice militaire et prévoit que les juridictions mentionnées dans ledit code sont compétentes pour connaître des « infractions militaires [… et] des crimes et délits de droit commun commis dans l’exécution du service par les militaires ». Le code de procédure pénale actuel ne fait pas de différence selon le lieu de commission de l’infraction, le CJM précisant ce point. Le projet de loi supprime ce système de renvoi : le CPP fixe désormais l’ensemble du dispositif. La nouvelle rédaction du premier alinéa de l’article 697-1 prévoit ainsi que les juridictions de droit commun spécialisées (JDCS) sont compétentes pour les « crimes et délits commis sur le territoire de la République dans l’exercice du service ». Les contraventions ne relèvent pas des JDCS, cela aurait en effet forcé les parquets ou les officiers du ministère public à se dessaisir systématiquement de toutes les procédures de contraventions au profit des parquets des JDCS. Cette solution apparaissait disproportionnée et non souhaitable, le texte restreint donc le régime aux seuls crimes et délits.

Pour traiter des infractions commises hors du territoire de la République, le projet de loi crée deux nouveaux articles au sein du CPP. Le nouvel article 697-4 (alinéa 7) dispose que les JDCS qui ont « leur siège à Paris sont […] compétentes pour connaître des crimes et délits commis hors du territoire par les membres des forces armées » ou à leur encontre. Le terme de juridiction renvoie aussi bien aux membres du Parquet qu’aux magistrats du siège ou au juge d’instruction, ce dernier étant considéré comme une « juridiction » au sens du code de procédure pénale (7).

Il s’agit ici de la reprise des compétences du TAAP. La rédaction a toutefois été modernisée dans la mesure où il est fait référence non plus aux seuls militaires mais aux « membres des forces armées ». Cette modification permet d’inclure dans le champ de compétence de la nouvelle formation les personnels civils employés à titre statutaire ou contractuel par les forces armées ainsi que les personnes à leur charge lorsqu’elles accompagnent ledit personnel. Cette rédaction permet de faire bénéficier ces catégories de personnes du privilège de juridiction et assure donc un traitement égal des personnels de la défense devant la loi pénale.

Les magistrats affectés à cette formation peuvent également être chargés du jugement des contraventions commises dans des circonstances similaires car il n’existe aucun tribunal de police compétent en la matière.

Le nouvel article 697-4 (alinéa 8) prévoit que le président du TGI de Paris et le Procureur de la République de ce tribunal désignent respectivement un ou plusieurs juges d’instruction et magistrats du parquet chargés « spécialement de l’enquête, de la poursuite et de l’instruction » de ces infractions. Cette disposition a pour vocation de constituer au sein du TGI de Paris un pôle de compétence en matière militaire, charge aux autorités juridictionnelles de l’organiser.

Le nouvel article 697-5 prévoit quant à lui que le TGI de Paris peut, pour le jugement des délits et des contraventions militaires, instituer, temporairement, une chambre détachée hors du territoire de la République. Cette disposition vise à maintenir un lien de proximité entre le lieu de commission et le lieu de jugement de ces infractions. Cette possibilité n’a pas été étendue aux crimes car cela nécessiterait de déplacer les jurés et l’ensemble des experts, ce qui est apparu démesuré par rapport à l’effet recherché. Le projet de loi précise en outre que cette possibilité n’intervient que dans les conditions prévues par « les traités et accords internationaux ».

L’article 698 est modifié pour tirer les conséquences de la disparition du TAAP et matière de poursuite des infractions. Ordinairement, les poursuites sont exercées par le « Procureur territorialement compétent » (8), sauf pour les infractions hors du territoire qui relève du Procureur près le TAAP.

Le nouvel article renvoie désormais aux articles 697 et 697-4. Le Procureur de la JDCS saisie sera donc compétent pour les infractions commises sur le territoire et celui du TGI de Paris pour les infractions commises hors du territoire de la République. L’alinéa renvoie aux dispositions particulières des articles 698-1 à 698-9 du CPP qui prévoient notamment que les poursuites ne peuvent être engagées qu’après que le Parquet a sollicité l’avis du ministre de la défense.

L’article 698-5 renvoie quant à lui à plusieurs articles du CJM ; il apparaît toutefois que la modification des références prévue à l’article 2 de l’ordonnance n° 2006-637 du 1er juin 2006 portant refonte du code de justice militaire a omis de corriger le code de procédure pénale. Sans que cela génère de difficulté ni d’ambiguïté, il apparaîtrait souhaitable de mentionner les références actuelles du CJM.

L’article 698-9 prévoit quant à lui que les audiences peuvent se tenir à huis clos ; cette disposition s’appliquera bien aux nouvelles formations de jugement qui pourront toujours statuer à huis clos dès lors que « la publicité risque d’entraîner la divulgation d’un secret de la défense nationale ».

Le projet de loi complète enfin l’article 706-16 du CPP relatif à la poursuite des actes de terrorisme. Il prévoit que le régime est applicable aux actes de terrorisme commis par des militaires français ou à l’encontre des forces armées hors du territoire de la République. La formulation retenue peut surprendre car il apparaît peu probable que des militaires français se rendent coupables d’un acte de terrorisme. Les articles 421-1 à 421-6 du code pénal prévoient en effet que l’acte de terrorisme suppose préméditation et intention avec l’objectif de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (9). Il semble difficile que des militaires puissent répondre à cette définition. Le ministère de la justice a toutefois choisi la formulation la plus large possible et a souhaité conserver un parallélisme des formes avec la rédaction de dispositions pénales similaires.

Plus globalement, le texte actuel devait être précisé dans la mesure où aucune disposition pénale ne donne de compétence à la formation spécialisée du pôle antiterrorisme compétente pour connaître d’affaires commises par des militaires. Lorsque les forces armées sont victimes de tels actes, ledit pôle est compétent si des ressortissants français sont impliqués, mais cette base reste peu solide et pourrait poser problème dès lors que sont concernés des militaires servant la France à titre étranger. La nouvelle rédaction résout ces difficultés et donne compétence à une seule juridiction.

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Le II modifie le code de justice militaire pour tirer les conséquences de la suppression du TAAP. Toutes les mentions du tribunal aux armées sont ainsi remplacées par un renvoi aux dispositions du code de procédure pénale qui donne compétence au TGI de Paris.

Le 1°du II (alinéa 16) supprime le 1° de l’article L. 1 du CJM qui prévoit que la justice militaire est rendue en temps de paix, hors du territoire, par le TAAP. La mention de la juridiction compétente pour connaître d’infractions impliquant des militaires hors du territoire de la République se fait désormais à l’article L. 2 qui renvoie à l’article L. 111-1 du même code.

Le second alinéa du nouvel article L. 2 précise que la procédure applicable dans ces cas est celle du code de procédure pénale, sous réserve des dispositions particulières prévues par les articles 698-1 à 698-9, c’est-à-dire les articles qui imposent au Procureur de solliciter l’avis du ministre de la défense avant d’engager toute poursuite. Cette disposition est importante dans la mesure où elle montre bien que la justice militaire se rapproche de la justice civile ordinaire et que les militaires ne sont pas soumis à des procédures trop dérogatoires. Elle maintient toutefois, et fort judicieusement, l’avis préalable du ministre, ce qui permet au magistrat d’être toujours éclairé sur la spécificité de l’action militaire.

Le nouvel article L. 111-1 du CJM (alinéas 24 à 25) dispose que les JDCS mentionnées à l’article 697 du CPP sont compétentes pour connaître de toutes les infractions commises par des militaires dans l’exercice du service, en temps de paix et sur le territoire de la République. Le deuxième alinéa renvoie à l’article 697-4 du CPP qui donne compétence au TGI de Paris pour les infractions commises hors du territoire. Les règles de fonctionnement de ces juridictions sont celles du code de procédure pénale.

Compte tenu de cette modification, les articles précédemment numérotés L. 111-1 à L. 111-17 deviennent les articles L. 112-22-1 à L. 112-22-8 de façon à intégrer toutes les dispositions relatives à la composition, au fonctionnement, aux personnels… de ces juridictions dans le chapitre consacré plus globalement aux juridictions compétentes en temps de paix. Le code actuel réservait en effet un chapitre entier au TAAP, ledit chapitre étant renommé, il n’était plus nécessaire d’y conserver pareilles dispositions.

Le Sénat a par ailleurs complété le projet de loi en veillant à ce que les articles L. 112-22-1, L. 112-22-3, L. 112-22-4 et L. 112-22-6 à L. 112-22-8, qui mentionnent actuellement le TAAP, renvoient désormais au tribunal territorial des forces armées, c’est-à-dire soit la JDCS soit le TGI de Paris en fonction du lieu considéré.

Le c) du 5° (alinéa 30) est également issu d’un amendement sénatorial : en temps de guerre, le Procureur de la République est en effet appelé commissaire du Gouvernement. L’alinéa 31 du projet de loi supprimant les dispositions qui faisaient état de cette spécificité à l’article L. 112-22, il convenait de les rétablir au sein des articles L. 112-22-3, L. 122-22-4 et L. 112-22-7.

Les 7° à 10° (alinéas 32 à 35) se contentent de remplacer la mention du TAAP par un renvoi au TGI de Paris en veillant à ce que ces renvois soient bien conformes aux nouvelles dispositions relatives au JDCS.

En application de l’article L. 211-1 du CJM, le Procureur près le TAAP reçoit l’ensemble des plaintes et dénonciations en matière militaire ; cette compétence est désormais dévolue au Procureur près le TGI de Paris. Le nouvel article L. 211-1 dispose également que ce magistrat dirige l’action de l’ensemble des officiers de police judiciaire des forces armées, au premier rang desquels figurent les prévôts.

L’article L. 211-8 (alinéa 39) autorise le Procureur du TGI de Paris, ou le juge d’instruction, à déléguer sa compétence en matière de garde à vue au Procureur ou à un juge d’instruction du tribunal de grande instance dans le ressort duquel ladite garde à vue est mise en œuvre. Il s’agit d’une mesure de simplification destinée à éviter la multiplication de commissions rogatoires.

Les 13° et 14° (alinéas 40 et 41) opèrent des corrections formelles au sein du CJM.

Le nouvel article L. 211-25 vise à faciliter la présence d’un défenseur auprès d’un militaire poursuivi pour une infraction. La distance ne permet généralement pas aux soldats de se faire assister par un avocat ; aussi est-il prévu qu’ils puissent requérir l’aide d’un autre militaire à partir d’une liste établie et validée par le président du TGI de Paris. Cette faculté existe déjà, la liste étant établie par le président du TAAP qui est un magistrat appartenant à la cour d’appel de Paris.

Les 16° à 25° (alinéas 46 à 57) remplacent dans l’ensemble du CJM la référence au TAAP par une mention des juridictions spécialisées en matière militaire en ce qui concerne les infractions sur le territoire et par la mention du TGI de Paris pour les infractions hors du territoire.

Le dernier alinéa de l’article prévoit enfin de maintenir l’exception existant aujourd’hui en ce qui concerne le secret de l’enquête et de l’instruction : l’article 11 du code de procédure pénale permet en effet au Procureur de « rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause » afin d’éviter « la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ». Cette possibilité ne s’appliquerait cependant pas en temps de guerre, comme c’est actuellement le cas, afin de ne pas fragiliser le dispositif national ou pour éviter de donner des informations à des forces ennemies.

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La Commission est saisie de l’amendement DF 1 du rapporteur.

M. Alain Marty, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement de coordination. L’ordonnance n° 2006-637 du 1er juin 2006 ayant procédé à la refonte du code de justice militaire, il convenait de modifier tous les renvois à ce code pour tenir compte de la nouvelle numérotation. L’article 698-5 du code de procédure pénale n’ayant cependant pas été modifié, le présent amendement procède à cet ajustement.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle donne un avis favorable à l’adoption de l’article ainsi modifié.

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Article 23 bis (nouveau)

Clarification des règles de compétence pour les infractions commises à bord des navires et des aéronefs militaires

Article 697-2 nouveau du code de procédure pénale

Cet article, introduit par voie d’amendement au Sénat, vise à inscrire dans la loi la pratique selon laquelle les juridictions du lieu de l’affectation d’un bâtiment militaire ou de son débarquement sont compétentes pour connaître des infractions commises à leur bord. Cette précision inclut les aéronefs militaires.

L’article 697-2 du code de procédure pénale prévoit désormais que les juridictions mentionnées à l’article 697 du même code, à savoir les TGI, ainsi que leurs chambres spécialisées, en l’occurrence dans les affaires militaires, sont ainsi explicitement compétentes.

Il s’agit d’éviter une éventuelle concurrence entre les TGI et la chambre spécialisée de Paris qui héritera du contentieux actuellement traité par le TAAP.

Cette mesure est de bon sens, les juridictions du ressort des bases navales ayant notamment acquis une expertise solide dans ce domaine. Elle permet également de faire débuter une éventuelle garde à vue lors du débarquement, plutôt que de la suspendre le temps du transfert vers Paris.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 23 bis sans modification.

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Article 23 ter (nouveau)

Avis du ministre de la défense en cas de poursuites pénales à l’encontre d’un militaire à la suite d’une plainte contre personne non dénommée ou d’un réquisitoire supplétif

Article 698-1 du code de procédure pénale

Cet article, introduit par voie d’amendement au Sénat, permet d’élargir les cas dans lesquels le ministre doit émettre un avis sur l’opportunité de poursuites concernant un militaire.

Actuellement, l’article 698-1 du code de procédure pénale prévoit que sous peine de nullité des poursuites, le Procureur de la République demande préalablement à leur engagement l’avis du ministre de la défense ou de l’autorité habilitée sur l’opportunité d’en connaître, hors cas de flagrance ou dénonciation.

Cet avis ne lie pas le Procureur, qui apprécie souverainement l’opportunité d’engager ou des poursuites. Il vise simplement à éclairer le Parquet le plus complètement possible sur les circonstances de l’affaire, le contexte opérationnel, la personnalité du militaire concerné. Il doit également renseigner l’autorité judiciaire sur les impératifs et les risques encourus par les militaires lors des missions qui leur sont assignées ainsi que, dans le cas d’espèce, de la conjonction des chaînes de décision. Il constitue donc une garantie fondamentale de la prise en compte par la justice de la spécificité du métier des armes.

Selon la nouvelle rédaction, le Procureur de la République devra solliciter l’avis préalable du ministre de la défense ou de l’autorité habilitée lorsque des poursuites pourraient être engagées à la suite d’une plainte contre une personne non dénommée, d’une plainte avec constitution de partie civile ou encore à l’occasion d’un réquisitoire supplétif.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 23 ter sans modification.

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Article 24

Suppression du caractère automatique de la perte de grade pour le militaire faisant l’objet d’une condamnation pénale et suppression de la substitution de la peine d’emprisonnement à une peine d’amende

Articles L. 311-7, L. 311-8 et L. 311-1 du code de justice militaire

Cet article modifie certaines des peines encourues par les militaires en cas d’infractions relevant du code de justice militaire.

Le I modifie l’article L. 311-7 de ce code en lui substituant la rédaction à la fois plus simple et moins sévère.

Il précise ainsi que toute condamnation à une peine d’interdiction des droits civiques ou une interdiction d’exercer une fonction publique entraîne la perte du grade. Cela supprime la perte de grade automatique prévue dans l’actuelle version de l’article L. 311-7 en cas de condamnation pour crime, mais, pour autant, n’interdira pas au juge de décider d’une telle peine, au cas par cas.

Il prévoit une sanction adaptée pour la catégorie particulière des militaires commissionnés. Il s’agit de militaires recrutés sur contrat avec un grade d’officier ou de sous-officier pour l’exercice d’une compétence très particulière et qui ne sont pas propriétaires de leur grade. Ceux-ci sont donc révoqués en cas de condamnation pénale.

Enfin, le II de l’article supprime l’article L. 311-8 du code de justice militaire qui porte sur l’automaticité de la perte de grade, désormais organisée au premier alinéa de l’article L. 311-7 nouvellement rédigé (cf. supra, alinéa 2 du présent article). Il supprime également l’article L. 311-11 du même code qui permet aujourd’hui à un tribunal de substituer à une peine d’amende une peine d’emprisonnement de six mois au plus, « lorsque la peine d’amende est prononcée pour une infraction de droit commun contre des militaires ou assimilés n’ayant pas rang d’officier », même si le condamné conserve la faculté de payer l’amende au lieu de subir l’emprisonnement. Supprimer cette disposition semble bienvenu, celle-ci ne correspondant pas à l’organisation des peines prévues par le code pénal actuel, qui ne permet plus de substituer un emprisonnement à une peine d’amende.

Dans l’ensemble, cet article aligne la situation des militaires sur celle des autres agents de la fonction publique s’agissant des conséquences d’une condamnation pénale sur leur situation administrative.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 24 sans modification.

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Article 24 bis (nouveau)

Clarification et harmonisation de la définition de la désertion sur le territoire national et à l’étranger

Articles L. 321-2 à L. 321-10 du code de justice militaire

Cet article a été introduit au Sénat par voie d’amendement. Il clarifie et harmonise les dispositions relatives à la désertion, selon qu’elle intervient en France ou à l’étranger.

Il modifie ainsi le code de justice militaire, plus particulièrement l’article L. 321-2, dont les cinq premiers alinéas doivent être remplacés par huit nouveaux.

L’alinéa 3 du présent article correspond donc au futur alinéa premier de l’article L. 321-2 du code de justice militaire et porte sur la définition du « déserteur à l’intérieur », dont l’infraction intervient en temps de paix. Deux critères permettent de la définir. Le premier, général, est celui du rattachement à une formation située sur le territoire de la République. Il doit se conjuguer à un autre critère, parmi les trois identifiés aux alinéas suivants.

L’alinéa 4 (1°) rassemble les situations où le militaire ne se trouve pas dans son unité sans motif valable ; s’il s’absente sans autorisation ou s’il ne rejoint pas sa formation de rattachement au moment convenu. Cette dernière hypothèse peut résulter d’un refus de la rejoindre ou encore d’une absence, volontaire ou non, au terme d’une permission ou d’un congé. Tous les types de congés sont concernés, qu’ils aient été accordés pour maladie, maternité, paternité, etc.

Le second cas de figure (alinéa 5, 2°) couvre l’éventualité où un militaire serait parti pour rejoindre sa formation se trouvant hors du territoire national sans pour autant s’y rendre in fine.

Enfin, la dernière configuration possible concerne les militaires devant quitter le territoire national à bord du navire auquel ils se rattachent ou bien de l’aéronef dont ils relèvent (alinéa 6, 3). Leur absence au moment de l’embarquement peut être constitutive d’une désertion. La rédaction de cet alinéa devrait être précisée afin d’expliciter le fait que le territoire visé est bien le territoire national.

La définition de la « formation de rattachement » est donnée à l’alinéa 7, où sont énumérées les différentes entités dont les militaires peuvent relever, qu’il s’agisse aussi bien de bases, de corps, de bâtiments ou encore d’établissements de santé ou pénitentiaires. Elle inclut les forces de gendarmerie. Cette rédaction soulève toutefois une difficulté : il convient de préciser que seuls les bâtiments militaires sont concernés.

Cette définition permet, à l’alinéa 8, de définir la juridiction compétente pour connaître des faits de désertion selon un critère géographique. C’est la juridiction de ressort de la formation de rattachement qui est compétente. Il s’agit d’un choix logique, qui permet par exemple de préserver la compétence acquise par certains TGI, tels que celui de Marseille. Pour autant, il conviendra d’engager une réflexion afin d’harmoniser au mieux les pratiques des différentes juridictions, inégalement portées à poursuivre cette infraction.

L’alinéa 9 facilite le décompte du délai de six jours à partir desquels un militaire doit être considéré comme déserteur. Ce délai de six jours permet d’unifier des délais aujourd’hui très hétérogènes, selon le type d’absence constatée ou encore l’ancienneté de l’engagement du militaire considéré. Le décompte commence le lendemain du moment auquel il devait se trouver dans sa formation. Cela évite certaines complications qu’impliquerait par exemple la prise en compte de demi-journées en fonction de l’horaire que fixerait une convocation.

Au terme de l’alinéa 10, les cas décrits aux alinéas 5 et 6 (futurs 2° et 3° de l’article L. 321-2) ne sont susceptibles d’aucun délai de grâce. Cela se fonde sur leur gravité particulière, contrevenant directement à une mission.

L’alinéa 11 modifie l’article L. 321-3 qui porte sur la sanction de désertion à l’intérieur. Le projet de loi modifie tout d’abord le premier alinéa de cet article, en maintenant la peine de trois ans d’emprisonnement encourue pour toute désertion à l’intérieur en temps de paix, mais insère une peine plus lourde pour quiconque désertera et quittera le territoire national ou se maintiendra en dehors, avec une peine d’emprisonnement portée de trois à cinq ans.

Le projet de loi prévoit que les officiers pourront perdre leur grade en cas de désertion. Cette disposition se substitue à la peine précédente qui prévoyait la destitution.

La seconde partie de l’article 24 bis complète le dispositif en ce qui concerne la désertion à l’extérieur, ce qui conduit à modifier les articles L. 321-5 et L. 321-7 du code de justice militaire.

Ainsi, elle reprend, pour les formations situées en dehors du territoire de la République, le système de double critère, similaire à celui retenu pour la désertion de l’intérieur aux alinéas 3, 4, 5 et 6 du présent article. La gravité supérieure des circonstances décrites en 2° et 3° justifie également l’absence de délai de grâce.

Les délais aux termes desquels le militaire est déclaré déserteur sont réduits à trois jours à l’étranger, voire à un seul en cas de guerre. Comme à l’intérieur, le décompte commence le lendemain du constat de la carence.

Elle retient une définition quasi symétrique de la formation de rattachement, à l’exception des établissements de santé pour lesquels la seule circonstance d’hospitalisation peut constituer un rattachement.

En revanche, la définition de la compétence juridictionnelle diverge, seule la chambre spécialisée du TGI de Paris étant compétente (article 697-4 du code de procédure pénale).

La peine encourue en cas de désertion à l’étranger est de cinq ans d’emprisonnement, portés à dix si le déserteur est officier, mais réduit à trois si le déserteur retourne sur le territoire national ou s’y maintient. Il se déduit de ces dispositions que les officiers voient leur peine alourdie dans le cas d’une désertion à l’étranger – ce n’est pas le cas à l’intérieur – mais que dans l’hypothèse où ce même officier rejoindrait par lui-même le territoire de la République, il bénéficierait comme les autres militaires d’une peine allégée à trois années d’emprisonnement.

Le projet de loi institue la possibilité d’infliger des peines alourdies lorsqu’un militaire déserte à l’extérieur et qu’il en emporte des armes ou du matériel de l’État, ou bien qu’il se trouve en état de service, ou encore qu’il déserte en complotant. Cette notion de complot est définie : il s’agit d’une désertion impliquant plus de deux individus qui se sont concertés.

Enfin, l’article 24 bis abroge des articles devenus caducs, portant sur les délais de décompte de la désertion (article L. 321-8) et sur les peines d’emprisonnement prévues en cas de désertion à l’étranger (L. 321-9 et L. 321-10).

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La Commission est saisie de l’amendement DF 2 du rapporteur.

M. Alain Marty, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement de précision tendant à insérer, à l’alinéa 6, après le mot « territoire », le mot « national ».

M. Michel Grall. On trouve dans le texte les notions de « territoire national » et de « territoire de la République » : sont-elles différentes d’un point de vue juridique ?

M. Alain Marty, rapporteur pour avis. Les deux termes sont synonymes.

La Commission adopte l’amendement DF 2 ainsi que l’amendement rédactionnel DF 3 du rapporteur.

Puis elle donne un avis favorable à l’adoption de l’article ainsi modifié.

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Chapitre X

Dispositions diverses

Le chapitre X comporte notamment les dispositions régissant l’entrée en vigueur de la réforme.

Article 26

Entrée en vigueur

Cet article organise l’entrée en vigueur du texte dans son ensemble, ce qui inclut les dispositions particulières à la réforme de la justice militaire.

Le II régit tout d’abord l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 23, fixée « au 1er janvier 2012 ».

À cet égard, la vente de la caserne de Reuilly-Diderot où se trouve le TAAP constitue un enjeu. Il s’agit d’un site de grande taille, situé dans le XIIe arrondissement de Paris. Sa vente s’inscrit dans le cadre du programme de cession d’actifs immobiliers du ministère de la défense, censé abonder le budget du ministère de la défense en tant que ressource exceptionnelle. Or, on ne pourrait que regretter que la vente de la caserne intervienne dans le calendrier de la réforme.

Le II organise par ailleurs le transfert de l’activité du TAAP vers le TGI de Paris : des citations et comparutions devant le TGI de Paris pourront être délivrées avant le 1er janvier 2012, tandis que les parties dont une affaire est aujourd’hui pendante seront informées des conséquences pratiques du transfert.

Le dernier alinéa traite quant à lui du transfert des archives et des minutes du greffe du TAAP vers le greffe du TGI de Paris pour préciser que cette opération sera financée sur le budget du ministère de la justice.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 26 sans modification.

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AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement DF1 présenté par M. Alain Marty, rapporteur

Article 23

Après l’alinéa 11, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

« c) bis L’article 698-5 est ainsi rédigé :

« Les articles L. 123-1 à L. 123-5, L. 211-12, L. 211-13, L. 211-22, L. 221-3, L. 261-6, L. 262-2, L. 264-3, L. 264-5, L. 265-1, L. 265-3, L. 266-2, L. 267-1, L. 267-2, L. 268-2 et le deuxième alinéa de l’article L.311-2 du code de justice militaire sont applicables. Conformément à l’article L. 211-21 de ce même code, la personne mise en examen, le prévenu ou le condamné militaire doit être détenu dans des locaux séparés. » ; ».

Amendement DF2 présenté par M. Alain Marty, rapporteur

Article 24 bis

À l’alinéa 6, après le mot « territoire », insérer le mot « national ».

Amendement DF3 présenté par M. Alain Marty, rapporteur

Article 24 bis

À l’alinéa 7, à la première occurrence, remplacer le mot « militaire » par le mot « militaires ».

ANNEXES

I. — AUDITIONS DU RAPPORTEUR

Le rapporteur a successivement entendu :

- Le général Patrick Pacorel de l’état-major des armées, accompagné du commissaire-colonel Pierre Ferrand ;

- M. Fabien Ganivet, conseiller juridique du ministre de la défense, et M. Patrick Mairé, magistrat général, chef de la division des affaires pénales militaires ;

- Mme Alexandra Onfray, Procureur de la République près le tribunal aux armées de Paris, Mme Nathalie Tomi, vice-procureur, M. Frédéric Digne, juge d’instruction, le commandant Philippe Guerrini, chef de greffe, le capitaine Francine Calvet, chef de greffe adjoint, l’adjudant-chef Céline Letilleul, président des sous-officiers et chef du bureau d’ordre de la juridiction ;

- M. Marc Trévidic, président du syndicat des magistrats instructeurs.

II. — TRAITEMENT DES AFFAIRES PAR LE TAAP

Traitement des affaires susceptibles d’être poursuivies

du 1er Janvier au 31 Décembre 2010

Source : TAAP.

Nature de la réponse pénale (2010)

Source : TAAP.

© Assemblée nationale

1 () Loi n° 82-621 du 21 juillet 1982 relative à l’instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l’État et modifiant les codes de procédure pénale et de justice militaire.

2 () Loi n° 99-929 du 10 novembre 1999 portant réforme du code de justice militaire et du code de procédure pénale.

3 () Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

4 () Article 1er de la loi n°66-1037 du 29 décembre 1966 relative à l’exercice des fonctions judiciaires militaires.

5 () Décret n° 2008–930 du 12 septembre 2008 portant statut particulier du corps d’officiers greffiers et de commis greffiers du service de la justice militaire.

6 () En l’espèce, il s’agit souvent des règles propres à un théâtre ou des textes toutes armes (TTA) qui réglementent un domaine d’action spécifique.

7 () Le chapitre 1er du titre III du livre Ier qualifie le juge d’instruction de « juridiction d’instruction du premier degré ».

8 () Article 698-1 du CPP.

9 () Article 421-1 du code pénal.