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N
° 1428

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2014 (n° 1395),

PAR M. Christian ECKERT,

Rapporteur Général

Député

——

ANNEXE N° 5

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Rapporteur spécial : M. Jean-François MANCEL

Député

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES BONNES INTENTIONS DU CICID IRONT-ELLES AU-DELÀ DE L’AFFICHAGE ? 10

A. UN EFFORT DE COHÉRENCE DANS LA POLITIQUE DU DÉVELOPPEMENT 10

1. La redéfinition des priorités 10

2. L’amélioration de la cohérence et le renforcement des principes transversaux 12

B. DE BONNES INTENTIONS MAIS DES OBJECTIFS PLÉTHORIQUES INCOMPATIBLES AVEC DES CRÉDITS EN BAISSE 13

II. LE PROJET DE BUDGET POUR 2014 : DES CRÉDITS EN BAISSE MALGRÉ LE RECOURS AUX FINANCEMENTS INNOVANTS 19

A. LE PROGRAMME 110 21

1. Une augmentation importante due exclusivement à la reconstitution triennale des Fonds multilatéraux de la Banque mondiale et du Fonds africain de développement 21

2. Des instruments multiples et épars, le déficit d’évaluation et d’information du Parlement sur les résultats ne permettent pas de relayer la politique d’aide au développement devant l'opinion publique 23

B. LE PROGRAMME 209 : LE DÉCLIN DE L’ACTION BILATÉRALE 25

1. L’AFD, l’opérateur pivot de l’aide au développement 28

2. Des financements innovants dédiés aux fonds spécialisés 29

3. L’APD par les collectivités décentralisées, l’exemple de l’eau 31

III. LE COMPTE SPÉCIAL PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS 33

A. LE PROGRAMME 851 : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS, DE LA RÉSERVE PAYS ÉMERGENTS, EN VUE DE FACILITER LA RÉALISATION DE PROJETS D’INFRASTRUCTURE 33

B. PROGRAMME 852 : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS POUR CONSOLIDATION DE DETTES ENVERS LA FRANCE 34

C. LE PROGRAMME 853 : PRÊTS À L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT EN VUE DE FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DANS DES ÉTATS ÉTRANGERS 35

D. LE PROGRAMME 854 : PRÊTS AUX ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE DONT LA MONNAIE EST L’EURO 35

EXAMEN EN COMMISSION 37

ANNEXE 1 : COMMENT GÉRER EFFICACEMENT L’AIDE AU MALI ? 39

ANNEXE 2 : AUDITIONS RÉALISÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL 47

L’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 46 % des réponses étaient parvenues au Rapporteur spécial.

INTRODUCTION

Il y a 50 ans, le 28 août 1963, Martin Luther King lançait son célèbre discours : « I have a dream » au Lincoln Memorial de Washington, avant d’être assassiné le 4 avril 1968.

Aujourd’hui, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, nigériane née en 1954, diplômée de Harvard et du Mit, nommée numéro 2 de la Banque mondiale en 1982, est ministre des Finances au Nigeria où elle s’attache à lutter contre la corruption. Le 16 octobre 2013, Mme Jennifer Semakula Musisi, maire de la capitale de Kampala en Ouganda, se déplace pour la première fois à Paris à la recherche d’entreprises françaises pour traiter les questions d’assainissement et d’environnement de l’agglomération, lutter contre la malaria, et organiser un festival de culture française dans ce pays de l’Afrique anglophone. Le parc éolien d’Ashegoda, qui est géré par le groupe français Vergnet, fait partie du programme énergie renouvelable de l’Éthiopie, un ambitieux plan de 111 milliards d'euros sur 20 ans. Il a été inauguré le 26 octobre 2013 et 30 éoliennes y ont déjà été installées.

Ces quelques exemples témoignent de la nouvelle Afrique.

En 1980, 41,6 % de la population mondiale vivait avec moins de 1 dollar (75 centimes d’euros) par jour. Aujourd’hui ce seuil de pauvreté n’affecte « plus que » 22 % de la population mondiale. Même si le dynamisme économique des nouveaux « lions » africains, comme la Côte d’Ivoire ou le Nigeria, ne doit pas faire oublier les zones de pauvreté rémanentes comme le Sahel, il est clair que le monde des pays émergents a changé très vite et qu’il va encore évoluer. L’Afrique est un continent d’une extrême jeunesse : 41 % de la population africaine,
– population qui dépasse le milliard – a moins de 15 ans, et l’on y compte 200 millions de jeunes entre 15 et 24 ans. Le boom et la spéculation sur les prix des matières premières, la croissance démographique, la croissance de plus de 5 % par an du PIB réel du continent africain depuis le début des années 2000, illustrée par les 650 millions de téléphones mobile en activité, l’abondance des matières premières et de l’énergie font de l’Afrique un continent pivot du XXIème siècle. Les nouveaux exportateurs de pétrole sont désormais le Tchad, l’Angola et la Guinée équatoriale, comme la Chine, la Corée et le Qatar sont les nouveaux investisseurs et les partenaires économiques de la croissance africaine.

Ces données ne sauraient pourtant occulter les graves carences sanitaires et alimentaires, les infrastructures insuffisantes, les considérables besoins en termes de scolarisation, de formation et d’assistance technique de populations très jeunes et les lacunes de gouvernance d’États fragiles auxquelles doivent s’adapter l’aide publique au développement, comme l’irremplaçable action des organisations non gouvernementales. L’intervention de la France au Mali et les drames récurrents des naufragés de Lampedusa fuyant l’Érythrée ou la Syrie illustrent la fragilité de ces zones – où la pauvreté engendre le terrorisme et l’exode – et les besoins criants des pays de l’Afrique subsaharienne.

À l’est, la mondialisation des échanges et la croissance de la Chine vont permettre la sortie de 600 millions de Chinois du dénuement.

Pour la première fois depuis la découverte du VIH, les pandémies du sida, de la tuberculose et du paludisme ont reculé en Afrique subsaharienne en 2013 (rapport Onusida de mai 2013). L’engagement massif de la France au service de la santé mondiale y a contribué. Ces résultats incontestables ne sont pas le seul fait de l’aide au développement, même si l’annulation des dettes souveraines des années 1980-1990 y a beaucoup contribué, mais ils incitent à poursuivre l’effort public pour aider à mettre en valeur le savoir-faire et les atouts français. Il faut désormais pallier la stagnation des crédits budgétaires, encourager les financements innovants que la France a lancés, accompagner la mutation de l’aide au développement en nouveaux partenariats économiques avec les grands pays émergents investisseurs, menés notamment avec l’Agence française de développement. Il faut également inciter les ONG françaises à se renforcer pour suivre ces évolutions. Il est enfin urgent, à l’instar de ce que vient de faire le gouvernement britannique, de communiquer sur les résultats et les réussites de l’aide publique au développement afin de mieux y associer la société civile française.

L’aide publique consacrée au développement, si elle a quasiment doublé au niveau mondial entre 2003 à 2012, passant de 69 541 millions de dollars à 125 912 millions de dollars, a diminué depuis 2011, année pendant laquelle un point culminant de 133 908 millions de dollars d’aide avait été atteint.

Ces sommes se partagent entre l’aide bilatérale pour 71 % (89 553 millions de dollars) et l’aide multilatérale pour 29 % (36 359 millions de dollars).

Le Rapporteur spécial souligne que l’aide privée recensée par le Comité d’aide au développement (CAD) talonne l’aide multilatérale, avec un montant de 31 969 millions de dollars en 2012. La fondation Gates dépense 3 milliards de dollars par an, soit le double des dépenses de l’Organisation mondiale de la santé.

En outre, il regrette que dans ce domaine, les engagements internationaux de la France ne soient pas toujours respectés, ni les promesses présidentielles concernant les financements innovants véritablement tenues. L’objectif fixé pour 2015, de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement, inscrit depuis le sommet du G8 de Gleneagles en juillet 2005, paraît hors d’atteinte : après avoir plafonné à 0,46 % du revenu national brut en 2011, ce pourcentage a diminué à 0,45 % en 2012. Pourtant la Grande-Bretagne, deuxième donateur du comité d’aide au développement, y a consacré 0,56 % de son RNB en 2012 avec l’objectif d’attendre 0,7 % dès 2013.

Peut-être faudrait-il renoncer à cet objectif en l’état actuel de notre budget, et mieux structurer notre aide. Les financements innovants, taxe sur les billets d’avions et taxe sur les transactions financières (285 millions d’euros prévus en 2014), au lieu de renforcer l’effort budgétaire, ne viennent finalement qu’atténuer la diminution des crédits qui est de 6 %. D’après le Comité d’aide au développement de l’OCDE, le montant de l’aide française à l’Afrique est inférieur en 2012 à celui de 2004, alors même que la priorité africaine est une constante de nos engagements politiques. L’aide à destination de l’Afrique subsaharienne (hors écolage et coûts d’accueil aux réfugiés) a également fortement baissé (- 28,3 % de 2010 à 2012), alors que d’autres pays comme la Corée du Sud, l’Australie, les États-Unis et le Canada ont accru fortement leur aide à cette région.

Seul, l’engagement présidentiel relatif au doublement des crédits destinés aux ONG sera tenu dans le budget de la mission présenté pour 2014.

Enfin, la controverse sur l’évaluation des montants véritables de l’aide publique au développement est toujours vivace.

Sur un montant total d’aide déclaré par le gouvernement français au Comité d’aide au développement de l’OCDE de 9, 358 milliards d’euros en 2012, le collectif d’ONG Coordination SUD estime que seule l’aide publique programmable rend compte de l’aide reçue et perçue comme la véritable aide au développement par les pays bénéficiaires – une fois déduites les dépenses humanitaires, les annulations de dettes, les dépenses d’écolage (693 millions d’euros en 2011) ou l’aide aux réfugiés. Pour 2012, Coordination SUD évalue donc l’aide publique programmable à 4 milliards d’euros. À titre de comparaison, pour le Comité d’aide au développement, l’aide publique totale déclarée par la France s’élève à 9 348 milliards d’euros en 2011, parmi lesquels l’aide publique programmable représente 5 286 millions d’euros.

Le schéma ci-après retrace, selon Coordination SUD, la déclinaison des différentes notions d’aide publique au développement et leurs montants respectifs.

LES DIFFÉRENTES NOTIONS DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

Source : DPT 2013 et Organisation Sud

APD déclarée : APD d’origine budgétaire + APD d’origine extrabudgétaire (annulations de dettes, refinancements nets, TTF, collectivités locales) : 9,8 milliards d’euros.

APD d’origine budgétaire : Politique transversale + contribution UE : 8,3 milliards d’euros, doit 84 % des 9,8 milliards d’euros déclarés.

Politique transversale en faveur du développement :

Mission APD + autres missions : 7,4 milliards d’euros, soit 75 % des 9,8 milliards d’euros déclarés.

Mission APD : 3,1 milliards d’euros, soit 32 % des 9,8 milliards d’euros déclarés.

Dons projets bilatéraux : 312 millions d’euros, soit 3,2 % des 9,8 milliards d’euros déclarés.

CHIFFRES CLÉS

La mission Aide publique au développement regroupe des crédits gérés conjointement par le ministère des Affaires étrangères (programme 209) et le ministère de l’Économie et des finances (programme 110). Les dépenses budgétaires de cette mission
– 2,9 milliards d’euros pour 2014 – ne représentent que 30 % des dépenses budgétaires totales consacrées à l’APD en 2014 (4,7 milliards d’euros), car la politique d’aide au développement est, en réalité, répartie sur une vingtaine de programmes qui sont recensés dans un document de politique transversale.

Alors que la Grande-Bretagne annonce atteindre un taux de 0,7 % de son revenu national brut consacré à l’aide publique au développement dès 2013, la France, tout en restant le quatrième contributeur mondial, n’atteindra pas cet objectif (0,45 % en 2012). Dans le projet de loi de finances pour 2014, les autorisations d’engagement des programmes 110 et 209 passent de 2,429 milliards d’euros demandés pour 2013 à 4,206 milliards d’euros, mais les crédits de paiement diminuent pour la deuxième année consécutive de presque 6 %, passant de 3,120 milliards d’euros demandés pour 2013 à 2,941 milliards d’euros pour 2014. Toutefois la France a triplé ses engagements en faveur de la santé de 2002 à 2011, de 251,9 millions d’euros à 793,3 millions d’euros.

Parmi les financements innovants, utilisés malheureusement en substituts à la baisse de crédits budgétaires, l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion permettra d’attendre des recettes évaluées à 185 millions d’euros pour 2013, et une fraction désormais fixée à 15 % de la taxe sur les transactions financières (100 millions) sera affectée au Fonds vert abrité par l’Agence française de développement en 2014, contre 10 % (60 millions) en 2013.

L’Agence française de développement, et sa filiale privée Proparco, est l’opérateur essentiel de l’aide publique au développement française, agissant comme une banque de développement dotée d’un statut particulier, sous la tutelle des ministères compétents. Le CICID de juin 2013 a élargi son champ d’action et conforté une politique de prêts qui doit respecter les priorités définies par l’État et les accords de Bâle sur la réglementation bancaire avec une forte progression des encours (18,6 milliards d’euros d’encours net des prêts pour compte propre en 2012, un résultat net de 88 millions d’euros et 55 millions de dividendes distribués à l’État).

Le compte de concours financiers qui recense les prêts à des États étrangers est composé de quatre sections, les programmes 851 Prêts à des États étrangers de la réserve pays émergents en vue de faciliter la réalisation de projets d’infrastructure, le programme 852 Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France, le programme 853 Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans les pays étrangers et le programme 854 Prêts aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro (qui concerne la Grèce). L’ensemble des crédits de paiement demandés pour 2014 s’élève à 1,49 milliard d’euros.

I. LES BONNES INTENTIONS DU CICID IRONT-ELLES AU-DELÀ DE L’AFFICHAGE ?

En 2013, les constats dressés par le Comité d’aide au développement de l’OCDE (CAD), la Cour des comptes, l’agence Ernst and Young, des rapports parlementaires et des ONG ont regretté unanimement la dispersion de l’organisation institutionnelle de l’aide publique française, la répartition des actions budgétaires entre une quinzaine de missions et un défaut général d’évaluation. La décision de réunir en juillet 2013 les ministres du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), après avoir tenu les Assises du développement au printemps 2013, pour donner une nouvelle impulsion et plus de cohérence à cette politique, va dans le bon sens, à condition que les moyens soient bien mobilisés.

Le communiqué du CICID du 31 juillet 2013 définit les quatre axes principaux de la politique du développement :

« – redéfinir les priorités géographiques et sectorielles ;

« – renforcer la cohérence de cette politique avec les autres politiques publiques ;

« – assurer une plus grande coordination de l'ensemble des acteurs du développement ;

« – améliorer l'efficacité, la redevabilité et la transparence de notre politique, domaines dans lesquels la France a réalisé d’importants progrès depuis un an. »

A. UN EFFORT DE COHÉRENCE DANS LA POLITIQUE DU DÉVELOPPEMENT

1. La redéfinition des priorités

Les nouvelles priorités, rappelées ci-dessous, résultent des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis en 2000 et de l’agenda du développement durable :

Décision n° 1. Associer lutte contre la pauvreté et développement durable dans ses trois composantes : économique, sociale et environnementale. Participer à l'effort international de lutte contre la pauvreté extrême et réduire les inégalités, en favorisant un développement économique équitable et riche en emplois, en préservant les biens publics mondiaux, en luttant contre le changement climatique et en promouvant la paix, la stabilité et les droits de l’homme. Promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Concourir au rayonnement culturel, diplomatique et économique de la France, avec une attention particulière à la francophonie.

Décision n° 2. Redéfinir les priorités géographiques de la politique de développement. Supprimer la Zone de solidarité prioritaire, qui a perdu sa cohérence et sa pertinence.

Cette redéfinition des priorités s’accompagne de la volonté de fonder l’attribution des aides sur des partenariats différenciés, reposant en particulier sur le niveau de revenu et la proximité géographique, culturelle et linguistique avec la France, selon les critères suivants :

– solidarité avec les pays les plus pauvres : la France concentrera ses subventions (la moitié des subventions de l’État et les deux tiers de celles mises en œuvre par l’AFD) sur un nombre limité de pays pauvres prioritaires (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Djibouti, Comores, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Tchad, Togo, Sénégal) ;

– priorité à l’Afrique subsaharienne et à la Méditerranée : consacrer au moins 85 % de l’effort financier de l’État en faveur du développement en Afrique subsaharienne (dons, aides budgétaires, prêts bonifiés ou non, souverains ou non, prises de participation garanties et autres financements innovants) et dans les pays voisins du Sud et de l’Est de la Méditerranée (dans la ligne du partenariat de Deauville, prêts et des actions culturelles, scientifiques et techniques) ;

– faire bénéficier les pays en crise et en sortie de crise ou en situation de fragilité, qui ne font pas partie des pays pauvres prioritaires, d’une attention particulière, notamment Haïti : les interventions de la France dans ces pays répondront prioritairement à leurs besoins en matière de développement humain, économique, et d’approfondissement de l’État de droit. Des instruments souples, principalement des subventions, seront utilisés ;

– dans le reste du monde, notamment les pays d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes, majoritairement des pays à revenus intermédiaires à croissance rapide ou émergents, rechercher des solutions partagées, promouvoir une « croissance verte et solidaire », en y favorisant notamment des partenariats économiques ;

– avec les pays très grands émergents, mobiliser les acteurs français sans coût financier pour l’État (hors expertise technique).

Les actions soutenant la gouvernance démocratique, les droits de l’homme, l’égalité femme-homme, et l’assistance technique seront possibles dans l’ensemble des pays d’intervention.

Décision n° 3. L’Agence française de développement (AFD), acteur pivot de l’aide, a vocation à intervenir dans l’ensemble des pays en développement (éligibles à l’aide au sens du CAD). Le secrétariat du CICID, réuni au niveau ministériel, réexamine périodiquement les évolutions du champ géographique des interventions de l’agence, qui sont ensuite soumises à son conseil d’administration.

Cela suppose de donner à l’AFD, acteur pivot de la politique de développement, les capacités financières d’exercer pleinement ses missions dans le cadre de ces nouvelles priorités, afin qu’elles soient déclinées dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2014 – 2016.

2. L’amélioration de la cohérence et le renforcement des principes transversaux

Décision n° 4. Affirmer le principe de cohérence de la politique de développement avec l’ensemble des politiques publiques.

Décision n° 5. Mettre les droits des femmes au cœur de la politique de développement, par la stratégie « genre et développement » pour la période 2013-2017, en insérant systématiquement l’objectif transversal « genre » dans les procédures d’élaboration, de suivi et d’évaluation des projets dans les partenariats différenciés, en particulier dans les pays pauvres. La nouvelle stratégie, mise en œuvre par l’ensemble des ministères traitant de politique de développement et tous les opérateurs, sera évaluée annuellement par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE).

Décision n° 6. Préserver une agriculture familiale, productrice de richesse et d’emplois, respectueuse des écosystèmes : agir sur la structuration des marchés agricoles, le développement de filières, l’appui aux organisations paysannes, la recherche de l’accès équitable à l’eau, la sécurisation du foncier et la lutte contre la dégradation des terres. En matière de pêche, renforcer l'aide à la protection des milieux et ressources marines et à la gestion durable des pêcheries des pays en développement.

Décision n° 7. Garantir l’accès à l’éducation, cœur des processus de développement et partie intégrante des objectifs du millénaire pour le développement.

Décision n° 8. Dans le domaine de la santé, combattre les trois grandes pandémies, le sida, la tuberculose et le paludisme, lutter contre les maladies négligées, améliorer la santé des mères et des enfants et promouvoir la couverture sanitaire universelle. Maintenir l’engagement de la France parmi les tout premiers contributeurs mondiaux à l’aide au développement en matière de santé.

Décision n° 9. Intégrer la responsabilité sociale et environnementale (RSE) à l’action de l'AFD pour la période 2014-2016. Lancer en 2013 une concertation pour une meilleure responsabilisation des entreprises multinationales et des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs filiales et de leurs fournisseurs situés dans les pays en développement.

Décision n° 10. Engager le processus formel d’adhésion à l’initiative sur la transparence dans les industries extractives (ITIE), conformément à l’annonce du Président de la République lors du sommet du G8 de Lough Earne, avec pour objectif d’adhérer à l’occasion de la prochaine conférence internationale de l’ITIE. Engager la transposition par la France des directives comptables contraignant les entreprises extractives européennes à publier, pays par pays et projets par projets, les revenus tirés de l’exploitation des ressources extractives versés aux États.

Décision n° 11. Encourager l’OCDE à poursuivre ses travaux sur l’initiative « inspecteur des impôts sans frontières ».

Décision n° 12. Concernant les financements innovants, augmenter à hauteur de 12,7 % en 2014, le montant de la contribution de solidarité sur les billets d’avion et affecter une part significative de la taxe sur les transactions financières au développement, notamment à la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement.

D’autres décisions du CICID vont dans le sens, bienvenu, de la transparence, de l’évaluation des résultats et de l’efficacité :

– la création au sein de l’AFD, d’un fonds d’expertise technique et d’échanges d’expériences, le FEXTE, doté de 20 millions d’euros ;

– l’élaboration d’une véritable stratégie d’orientation de l’aide transitant par le canal multilatéral ;

– la production tous les deux ans d’un rapport public sur les évaluations des résultats des interventions au titre de l’aide publique au développement française. Ce rapport présentera, outre une synthèse de ces évaluations, le programme d’évaluation pluriannuel consolidé des trois structures d’évaluation relevant du MAE, du MEF et de l’AFD ;

– l’amélioration de l’information des parlementaires et l’association des collectivités locales à la politique d’aide au développement.

B. DE BONNES INTENTIONS MAIS DES OBJECTIFS PLÉTHORIQUES INCOMPATIBLES AVEC DES CRÉDITS EN BAISSE

Le Rapporteur spécial observe que la somme des objectifs fixés, s’ils sont bienvenus, est trop ambitieuse pour être compatible avec les crédits budgétaires restreints qui s’annoncent dans le projet de budget de l’aide publique au développement pour 2014.

En prévision, l’APD française augmenterait à 0,47 % du RNB en 2013, puis se stabiliserait à 0,48 % en 2014 et 2015. Ces chiffres restent très éloignés de l’objectif de 0,7 % et l’on voit mal comment autant de bonnes intentions pourraient être concrétisées avec des moyens en baisse.

L’EFFORT D’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAIS EN POURCENTAGE DU REVENU NATIONAL BRUT

 

2012

2013

2014

2015

Aide publique au développement résultant des crédits budgétaires

6 979

7 513

6 938

7 641

(i) dont mission APD (hors aide à effet de levier)

2 756

2 824

2 622

2 724

(ii) dont prêts AFD (hors impact des refinancements)

2 076

2 549

2 220

2 812

(iii) dont autres

2 146

2 140

2 097

2 105

y. c. écolage et réfugiés

1 111

1 101

1 093

1 085

Opérations de prêts (prêts RPE et FMI)

-254

195

149

165

(i) dont prêts RPE

-322

65

71

101

Prélèvements sur recettes CE (quote-part de l’APD financée sur le budget communautaire)

1 050

1 026

1 020

1 020

Annulations de dettes et refinancements nets

1 080

607

1 579

1 104

Total État

8 855

9 341

9 686

9 930

Taxe de solidarité sur les billets d'avion

185

185

208

218

Taxe sur les transactions financières

0

60

100

160

Collectivités territoriales

63

65

70

70

Autres (agences eau, ressources propres AFD)

256

248

262

275

Total APD

9 358

9 899

10 327

10 652

Total APD (en % du RNB)

0,45 %

0,47 %

0,48 %

0,48 %

Source : direction du Trésor. En millions d’euros

Les orientations nouvelles du CICID appellent un certain nombre de remarques :

● Le nouvel objectif « genre » si bienvenu soit–il, n’est pas accompagné de crédits spécifiques et risque donc de nécessiter des redéploiements. En effet les projets financés par l’Agence française de développement consistent en des opérations d’électrification, d’infrastructures et d’aménagement des réseaux urbains qui, s’ils sont essentiels à la vie quotidienne des femmes, ne sauraient être pris en compte comme œuvrant directement en faveur de la condition féminine.

● L’élargissement du champ d’action géographique de l’Agence française de développement, s’il est souhaitable pour une banque de développement dynamique et efficace, risque de contredire la priorité affichée en direction des pays les plus pauvres. La revue de juillet 2013 de la politique d’APD par le CAD affirme ainsi que « la France doit veiller à ce que l’extension géographique de sa coopération ne se fasse pas au détriment de sa capacité d’engagement pour appuyer la lutte contre la pauvreté dans les pays pauvres prioritaires. »

● La définition des priorités régionales (Afrique subsaharienne, pays de la Méditerranée et solidarité avec les pays les plus pauvres – tous africains) est cohérente avec la stratégie antérieure mais sa mise en œuvre suppose des moyens budgétaires suffisants. Une des critiques principales faite à l’aide publique française, notamment par le CAD, porte, en effet, sur la prépondérance des prêts parmi les instruments de l’aide, prêts qui sont mal adaptés aux pays de l’Afrique subsaharienne. En outre, la Cour des comptes dans son rapport de juin 2012 sur l’aide publique au développement souligne que l’aide ne suit pas les zones prioritaires. À l’évidence, c’est le cas quand seulement 7 pays africains comptent parmi les 20 premiers récipiendaires de l’APD bilatérale française. Enfin, la priorité tendant à consacrer 85 % de l’effort financier au tandem Afrique subsaharienne et pays de la Méditerranée peut diluer la spécificité de la priorité à la zone subsaharienne, si tant est qu’elle soit respectée, comme le dénoncent, à juste titre, de nombreuses ONG.

● La priorité accordée à la croissance verte ne doit pas occulter la base incontournable de toute politique d’aide au développement et d’égalité des genres, qui réside dans le soutien massif à l’éducation primaire et secondaire de classes d’âge de plus en plus nombreuses dans les pays africains ou fragiles , où un certain rejet de la langue française est perceptible. Ainsi, au Sénégal, plus de 40 % des élèves abandonnent leurs études secondaires avant le brevet et seuls 3 à 4 % des enfants d’une classe d’âge atteignent le baccalauréat. Selon l’organisation Solidarité laïque, auditionnée par le Rapporteur spécial – ce qui a été corroboré par d’autres témoignages – les crédits « fléchés » vers l’éducation de base, l’enseignement secondaire et la formation des enseignants sont tous en baisse depuis 2009 et restent très insuffisants.

● Le Rapporteur spécial observe que l’attention aux migrations est définitivement abandonnée, alors que l’ancien programme 301 de la mission Développement solidaire et migrations, supprimé en 2012, témoignait de la nécessité de fixer les populations dans leur pays d’origine, avec des stratégies déterminées menées en concertation , ce que les naufrages successifs au large de Lampedusa mettent régulièrement et tragiquement en valeur.

● Le Rapporteur spécial rappelle la baisse des crédits d’APD alloués par les pays membres du Comité d’aide au développement à l’Afrique subsaharienne retracée dans le tableau ci-après.

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ACCORDÉE À L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE, 2010-12

(en millions d’euros)

Pays donateurs membres du CAD

2010

2011

2012

Variation

2011-12
en %

APD vers l’ASS/RNB 2012
en %

Allemagne

2 705

2 916

2 447

-16,1

0,09

Australie

346

396

534

34,8

0,05

Autriche

273

247

209

-15,3

0,07

Belgique

800

794

563

-29

0,15

Canada

1 635

1 522

1 704

12

0,12

Corée

179

204

308

50,8

0,03

Danemark

853

845

735

-13

0,29

Espagne

1 047

787

310

-60,6

0,03

États-Unis

7 570

7 613

8 569

12,6

0,07

Finlande

390

365

342

-6,1

0,18

France

3 422

3 128

2 241

-28,3

0,11

Grèce

93

73

57

-21,9

0,03

Irlande

392

370

344

-7

0,26

Islande

11

9

10

8,9

0,10

Italie

835

885

756

-14,6

0,05

Japon

2 597

2 386

2 550

6,9

0,05

Luxembourg

136

124

129

4

0,38

Norvège

1 122

1 118

1 033

-7,6

0,26

Nouvelle-Zélande

27

31

31

1,4

0,02

Pays-Bas

1 084

1 231

989

-19,7

0,16

Portugal

295

349

255

-27

0,16

Royaume-Uni

4 200

4 196

3 783

-9,8

0,20

Suède

1 196

1 455

1 222

-16

0,30

Suisse

495

525

515

-2

0,10

CAD dans son ensemble

31704

31570

29638

-6,1

0,09

UE 6 15

17723

17765

14384

-19

0,12

G7

22964

22647

22051

-2,6

0,08

Source : données préliminaires de l’OCDE (avril 2013).

● Wallis et Futuna, collectivité d’outre-mer, qui est le septième bénéficiaire de l’APD éducation, ne devrait pas être comptabilisé en aide publique au développement, comme Mayotte qui n’est plus comptabilisée dans l’APD éducation depuis 2011.

● Le Rapporteur spécial prend note avec satisfaction de la volonté de transparence et d’évaluation manifestée en réponse aux remarques réitérées du Parlement. Cependant, le document de politique transversale, qui seul rend compte de l’effort national et illustre d’ailleurs la complexité et l’opacité de l’organisation de l’aide publique au développement est souvent communiqué au Parlement tardivement. Enfin il serait souhaitable que les résultats annuels de la politique d’aide au développement – nombre d’enfants scolarisés en éducation primaire et au collège, nombre de personnes bénéficiant d’un accès à l’eau potable, de transports collectifs ou de réseaux sanitaires urbains, nombre de personnes bénéficiant d’un traitement rétroviral ou nombre d’enfants vaccinés – figurent dans les rapports fournis au Parlement au lieu d’être seulement accessibles dans les rapports des ONG. De même, la simplification et la transparence des crédits budgétaires n’ont pas progressé.

● Un projet de loi d’orientation et de programmation relatif au développement et à la solidarité internationale devrait solenniser les priorités du dernier CICID dans un texte législatif au début de l’année 2014 mais sans que sa traduction budgétaire ne soit programmée.

II. LE PROJET DE BUDGET POUR 2014 : DES CRÉDITS EN BAISSE MALGRÉ LE RECOURS AUX FINANCEMENTS INNOVANTS

Le projet de budget pour 2014 rappelé dans le tableau ci-dessous prévoit une augmentation importante des autorisations d’engagement de 73 %, due pour l’essentiel à la forte hausse (+ 478 %) des autorisations d’engagement du programme 110, qui passent de 495 millions d’euros prévus en 2013 à 2,365 milliards d’euros demandés pour 2014. Cette hausse est largement imputable (pour plus de 1 500 millions d’euros) à la reconstitution des fonds multilatéraux, phénomène triennal qui sera commenté dans l’analyse du programme 110.

Les crédits de paiement du programme 209 diminuent de 6 % pour la deuxième année consécutive.

Les financements innovants, hausse de la taxe sur les billets d’avion et taxe sur les transactions financières, viendront partiellement compenser ces baisses de crédits. La contribution de solidarité sur les billets d’avion, créée en 2006, sera réévaluée de 12,7 % cette année pour atteindre un montant estimé à 185 millions d’euros en 2013 et à 208 millions d’euros en 2014. La fraction affectée de la taxe sur les transactions financières au Fonds de solidarité pour le développement géré par l’Agence française de développement augmente de 60 millions d’euros en 2013 à 100 millions d’euros en 2014, le pourcentage de cette taxe affectée à l’APD va, en effet, passer de 10 à 15 %.

Le Rapporteur spécial observe que ces financements innovants ont été institués pour compléter les ressources destinées à financer l’aide publique au développement et non pour compenser la diminution d’un effort budgétaire qui est maintenu par d’autres pays, comme les Pays-Bas, le Luxembourg, et bientôt la Grande-Bretagne. De recettes additionnelles, les financements innovants sont devenus des recettes de substitution.

RÉCAPITULATION DES CRÉDITS PAR PROGRAMME ET PAR TITRE POUR 2014

(en euros)

 

Autorisations d’engagement

 

Crédits de paiement

 

Numéro et intitulé du programme
et du titre

Ouvertes en LFI
pour 2013

Demandées
pour 2014

 

Ouverts en LFI
pour 2013

Demandés
pour 2014

 

110 – Aide économique et financière au développement

495 007 313

2 365 654 044

+ 478 %

1 160 948 434

1 115 423 479

– 0,04 %

Titre 3. Dépenses de fonctionnement

8 306 400

6 906 400

 

7 406 400

7 306 400

 

Titre 6. Dépenses d’intervention

451 700 913

463 868 337

 

533 594 139

510 825 612

 

Titre 7. Dépenses d’opérations financières

35 000 000

1 894 879 307

 

619 947 895

597 291 467

 

209 – Solidarité à l’égard des pays en développement

1 934 503 626

1 840 872 810

– 0,05 %

1 959 271 131

1 826 561 353

– 7 %

Titre 2. Dépenses de personnel

210 085 603

206 180 672

 

210 085 603

206 180 672

 

Autres dépenses :

1 724 418 023

1 634 692 138

 

1 749 185 528

1 620 380 681

 

Titre 3. Dépenses de fonctionnement

32 177 450

30 978 870

 

37 577 450

36 480 757

 

Titre 6. Dépenses d’intervention

1 692 240 573

1 603 713 268

 

1 711 608 078

1 583 899 924

 

Total pour la mission

2 429 510 939

4 206 526 854

+ 73 %

3 120 219 565

2 941 984 832

– 6 %

Dont :

           

Titre 2. Dépenses de personnel

210 085 603

206 180 672

 

210 085 603

206 180 672

 

Autres dépenses :

2 219 425 336

4 000 346 182

 

2 910 133 962

2 735 804 160

 

Titre 3. Dépenses de fonctionnement

40 483 850

37 885 270

 

44 983 850

43 787 157

 

Titre 6. Dépenses d’intervention

2 143 941 486

2 067 581 605

 

2 245 202 217

2 094 725 536

 

Titre 7. Dépenses d’opérations financières

35 000 000

1 894 879 307

 

619 947 895

597 291 467

 


Source : PAP.

A. LE PROGRAMME 110

Des crédits qui traduisent des engagements internationaux, un pilotage difficile, des instruments épars et un déficit d’évaluation et d’information du Parlement ne permettent pas de véritablement relayer la politique d’aide au développement devant l'opinion publique, ce que l’on peut regretter.

1. Une augmentation importante due exclusivement à la reconstitution triennale des Fonds multilatéraux de la Banque mondiale et du Fonds africain de développement

Le programme 110 finance les principaux fonds concessionnels des Banques multilatérales de développement et notamment l’Association internationale de développement (AID), le Fonds africain de développement (FAD) et le Fonds asiatique de développement (FAsD).

Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit un montant total d’autorisations d’engagement de 2,4 milliards d’euros pour 2014, dont 1 174,5 millions d’euros pour la seule Association internationale de développement et 380 millions d’euros pour le Fonds africain de développement.

Leur principe général de fonctionnement est le suivant : ces banques offrent un guichet non-concessionnel (proposant des prêts à taux de marché) auquel sont éligibles les pays en développement dont le PIB/habitant est au-dessus d’un certain seuil et dont l’accès aux marchés financiers est suffisant ; et un guichet concessionnel, destiné aux pays plus pauvres et moins capables de se financer directement.

Le guichet non-concessionnel (BIRD pour la Banque mondiale, BAD pour la Banque africaine, BAsD pour la Banque asiatique) ne nécessite pas de contributions régulières : les banques le financent en empruntant sur les marchés à bas coût, grâce au capital fourni par leurs actionnaires (qui n’est augmenté que très rarement) et à leur notation AAA. En revanche, les guichets concessionnels (AID, FAD, FAsD) doivent être reconstitués tous les trois ans, c’est-à-dire que les pays donateurs doivent se réengager budgétairement, parce qu’ils fournissent des dons et des prêts à taux proches de zéro aux pays concernés.

Le montant des autorisations d’engagement en 2014

L’accroissement des autorisations d’engagements (AE) du programme 110 entre 2013 et 2014 s’élève à 1,9 milliard d’euros (les autorisations d’engagement passant de 500 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2013 à 2,4 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2014), à destination des deux institutions multilatérales, l’Association internationale de Développement (AID) et la Banque africaine de développement (BAfD) sous deux formes :

● La reconstitution triennale des fonds concessionnels des deux institutions pour 1,6 milliard d’euros en 2014 (action 1 Aide économique et financière multilatérale du programme 110) ; les autorisations d’engagement de cette reconstitution sont ainsi identiques à celles de 2011 (et, toutes choses égales par ailleurs, seront les mêmes en 2017 et suivantes) ;

● La compensation des annulations de dette multilatérale de l’AID et du FAD pour + 300 millions d’euros en 2014 (action 3 Traitement de la dette des pays pauvres » du programme 110), conformément à l’Initiative d’annulation de la dette multilatérale (IADM) ainsi qu’aux engagements pris lors du sommet de Gleneagles (2005) visant à annuler la dette de pays pauvres très endettés (PPTE) et à la rendre « soutenable ».

La France comme tous les États contributeurs prend un engagement additionnel, généralement tous les deux ans, recouvrant la période décennale nécessaire à ces deux institutions pour assurer la visibilité de leur capacité d’engagement à dix ans.

Le montant restant, 500 millions d’euros d’autorisations d’engagement reconduits chaque année, permet de couvrir les aides bilatérales de la France, soit : pour les 4/5ème, les dépenses annuelles de « l’aide financière et économique bilatérale » (action 2 ; aides budgétaires générales, bonifications de prêts de l’AFD, coopération technique via le FASEP, etc.) , et pour le 1/5ème restant, les annulations de dette bilatérale décidées au Club de Paris.

● L’AID, guichet concessionnel du Groupe de la Banque mondiale.

L’AID offre des prêts concessionnels à 82 pays dans le monde. C’est le plus grand des fonds concessionnels, avec près de 50 milliards de dollars de ressources pour le 16e cycle de l’AID (« AID-16 », 2012-2014). La moitié de ses engagements concernent l’Afrique subsaharienne. La France a contribué à l’AID-16 à hauteur de 1,7 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros), ce qui la place, avec une part de 5,02 %, en 5e position des contributeurs derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et l’Allemagne. Du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, première année du cycle de l’AID-16, les 158 nouveaux engagements de l’AID ont représenté 14,8 milliards de dollars, dont 49 % en Afrique subsaharienne et 37 % en Asie du Sud. Les projets régionaux se sont élevés à 1,4 milliard de dollars. Les décaissements ont représenté 11,1 milliards de dollars, dont 52 % en Afrique subsaharienne. Les discussions relatives au 17e cycle (2015-2017) sont en cours et devraient s’achever en décembre.

● Le FAD, guichet concessionnel de la Banque africaine de développement.

Ce Fonds propose des prêts très concessionnels à 40 pays d’Afrique subsaharienne. La France a contribué au 12e cycle du FAD (2011-2013) à hauteur de 550 millions de dollars environ (coût budgétaire de 380 millions d’euros), ce qui la place, avec 8,71 %, en quatrième position derrière le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne. Pour la dernière réunion de reconstitution du 13e cycle du FAD (2014-2016) et malgré les fortes contraintes budgétaires auxquelles de nombreux bailleurs sont confrontés, le total des contributions en dons a été maintenu, à 5,7 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros). En raison de la priorité donnée à l’Afrique subsaharienne, la France s’est engagée à maintenir sa contribution à environ 550 millions de dollars.

Il convient de noter le décalage calendaire entre FAD et AID : en raison des calendriers des reconstitutions et des paiements, les autorisations d’engagement doivent être inscrites en 2014 pour les deux fonds, mais les crédits de paiement correspondants commenceront en 2014 pour le FAD et en 2015 seulement pour l’AID (les crédits de paiement 2014 de l’AID correspondent donc à la dernière tranche de la reconstitution précédente).

Plus précisément, les crédits de paiement prévus pour 2014 en direction de l’AID (400 millions d’euros) correspondent à la troisième et dernière échéance de la précédente reconstitution.

Les autorisations d’engagement (à hauteur de 380,92 millions d’euros) et les crédits de paiement pour 2014 (101,47 millions d’euros) ont été budgétés au titre de l’engagement de la France à la 13ème reconstitution du FAD (FAD-13) et du paiement de la première échéance.

2. Des instruments multiples et épars, le déficit d’évaluation et d’information du Parlement sur les résultats ne permettent pas de relayer la politique d’aide au développement devant l'opinion publique

Une des finalités du programme 110 consiste à « faire valoir les priorités stratégiques françaises au sein des banques et fonds multilatéraux, notamment les priorités géographiques et sectorielles ».

Chaque année, le Rapporteur spécial relève la discordance entre l’indicateur 1, qui fixe la cible de la part des ressources subventionnées affectées aux zones géographiques prioritaires à 55 % pour l’Afrique subsaharienne, et la priorité de 85 % affichée en faveur de cette zone par le CICID. Comme le reconnaît le gestionnaire du programme 110 à propos de cet indicateur, « son évolution est principalement déterminée par les décisions stratégiques de différentes institutions que la France ne maîtrise pas totalement. » Le Rapporteur spécial s’interroge sur la corrélation entre l’importance des crédits mobilisés et l’influence de la France dans les institutions bénéficiaires. Il est indispensable d’apporter des réponses à cette question , qui passent par une meilleure articulation entre les actions bilatérales et multilatérales, appuyées par l’excellent savoir-faire français dans ce domaine.

L’aide multilatérale de la France est répartie entre cinq blocs d’organisations internationales de développement :

– les institutions de l’Union européenne, qui représentent en moyenne sur la décennie passée, près de 60 % du total de l’aide multilatérale. Depuis 2006, leur part a significativement baissé, passant de 72 % à 52 % en 2010. Il s’agit exclusivement des contributions de la France au budget de la Commission européenne (pour la partie allouée au développement) et au Fonds européen de développement (FED) ;

– le groupe Banque mondiale dont la part dans l’aide multilatérale oscille durant les dix dernières années entre 11 % et 19 %. La grande majorité de nos financements directs concernent l’Association internationale de développement (AID), soit 1,17 milliard d’euros pour la dix-septième reconstitution de l’AID évoquée plus haut ;

– les agences des Nations Unies dont la part dans l’aide multilatérale a été divisée par deux entre 2000 (10 %) et 2010 (5 %) ;

– les banques régionales et les huit fonds sectoriels du FMI, avec pour 2014 : 380, 92 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour le Fonds africain de développement en 2014 et 101 millions d’euros de crédits de paiement ;

– le Fonds international de développement agricole (11,7 millions d’euros de crédits de paiement) ;

– les autres agences multilatérales dont les principales institutions sont le Fonds monétaire international, le Fonds pour l’environnement mondial, le Protocole de Montréal.

– l’initiative santé, avec 32,5 millions d’euros de crédits demandés pour la Facilité financière internationale pour la vaccination IFFIm. Selon l’Organisation mondiale pour la santé, ces investissements dans les programmes de vaccination auront contribué à éviter le décès de plus de cinq millions d’enfants d’ici à 2015, soit la moitié du quatrième OMD (réduction de deux tiers du taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans). Le Rapporteur spécial estime que ce vecteur doit être privilégié.

Comme l’année précédente, le Rapporteur spécial regrette la dispersion des fonds et l’absence de résultats concrets indiqués dans le projet annuel de performances. Le programme 110 se borne à énumérer les crédits importants versés par la France aux trois fonds environnementaux – Fonds francais pour l’environnement mondial FFEM (28 millions d’euros), Fonds pour l’environnement mondial (FEM : 33 millions d’euros), Fonds multilatéral pour le protocole de Montréal : (7 millions d’euros) – sans tenter de convaincre ou d’informer la représentation nationale des résultats, à la différence d’IFFIm qui peut avancer le bénéfice des vaccinations d’enfants. L’arrêt de la contribution française à l’Onudi (Organisation des Nations Unies pour le développement industriel) n’a pas été annoncé au Parlement et n’est pas même mentionné dans le projet annuel de performances pour 2014.

Les dépenses d’intervention (action n° 2) se partagent entre les bonifications de prêts de l’Agence française de développement (379,5 millions d’euros), les aides budgétaires globales (60 millions d’euros) et les crédits de la coopération technique (26 millions d’euros).

En ce qui concerne l’action n° 3, Traitement de la dette des pays pauvres, les 161 millions d’euros de crédits de paiement prévus pour 2014 se partagent entre les annulations de dette multilatérale (102 millions d’euros) ou bilatérale (59,2 millions d’euros) initiées par le Club de Paris à la fin des années 80, et relayée par l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés) au G7 de 1996, dont la France est le premier contributeur.

B. LE PROGRAMME 209 : LE DÉCLIN DE L’ACTION BILATÉRALE

Les crédits de paiement demandés pour le programme 209 se montaient à 2,13 milliards d’euros en loi de finances 2013. Les crédits ouverts en 2013 ont finalement été de 1,959 milliard d’euros ; ils diminuent en 2014 à 1,826 milliard d’euros (– 14 %).

Ce programme participe au financement de l’action européenne et multilatérale de la France

Il sert à financer le Fonds européen de développement (FED), instrument de la coopération entre l’Union européenne et le groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et dont la France est le deuxième contributeur. Or la communication de la Commission du 14 mai 2011 reconnaît que l’engagement de 2005, accroître l’APD au bénéfice de l’aide subsaharienne et affecter au moins 50 % de l’augmentation de l’aide au développement, n’a été tenu que partiellement. En 2011, 40 % de l’APD nette de l’Union a été dédiée au continent africain et 36 % à l’Afrique subsaharienne. Entre 2004 et 2011, l’aide au développement de l’Union a augmenté de 18 milliards d’euros dont 3,8 milliards d’euros seulement pour l’Afrique subsaharienne. Que fait la France pour obtenir de l’Europe un ajustement de sa contribution aux pays les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne ?

Le programme 209 participe également au financement de plusieurs fonds sectoriels, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Par ailleurs, il contribue aux engagements pris par la France en tant que membre de l’organisation des Nations unies, sous la forme de contributions à des fonds et programmes, dont les financements proviennent exclusivement de contributions volontaires. La France contribue principalement au PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), au HCR (Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés), à l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) et à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). Un effort de concentration de ces contributions volontaires a été réalisé et sera poursuivi.

Le tableau ci-après décrit la répartition des crédits du programme 209 entre ses différents instruments.

ÉLÉMENTS TRANSVERSAUX AU PROGRAMME

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Numéro et intitulé de l’action / sous-action

Titre 2
Dépenses de personnel

Autres titres

Total

Titre 2
Dépenses de personnel

Autres titres

Total

02

Coopération bilatérale

 

598 033 112

598 033 112

 

568 719 768

568 719 768

05

Coopération multilatérale

 

323 804 026

323 804 026

 

329 305 913

329 305 913

07

Coopération communautaire

 

710 855 000

710 855 000

 

710 855 000

710 855 000

08

Dépenses de personnels concourant au programme « Solidarité à l’égard des pays en développement »

206 180 672

0

206 180 672

206 180 672

0

206 180 672

09

Actions de co-développement

 

2 000 000

2 000 000

 

11 500 000

11 500 000

Total

206 180 672

1 634 692 138

1 840 872 810

206 180 672

1 620 380 681

1 826 561 353

Source : PAP. En euros

Ce tableau met en évidence, notamment, la réduction des aides bilatérales, qui diminuent de 604 à 568 millions d’euros (– 5 %). Cette réduction conforte les critiques des ONG, qui sont hostiles à une politique s’appuyant de plus en plus sur un système de prêt à fort effet de levier, au détriment de subventions, de dons ou d’aides – instruments mieux adaptés aux pays d’Afrique subsaharienne.

Dans ce sens, la revue de juillet 2013 du Comité d’aide au développement émet les observations suivantes : « Les deux tiers de l’APD française transitent par le canal bilatéral. Toutefois, une faible part de cette aide bilatérale est constituée de dons programmables. En effet, 40 % de l’aide bilatérale est constituée d’éléments non programmables (frais d’écolage, annulations de dette, coût des réfugiés). Par ailleurs, la part des prêts dans l’aide bilatérale a fortement progressé depuis 2008, au point de représenter 40 % des engagements en 2011 (14 % en 2005). Ces prêts financent essentiellement l’appui aux secteurs productifs et la lutte contre le changement climatique dans les pays à revenu intermédiaire. Il s’ensuit qu’en 2011, 67 % de l’APD brute bilatérale de la France ciblait ces pays et qu’un seul pays à faible revenu (la République démocratique du Congo) figurait dans les dix premiers bénéficiaires de l’aide française. Ces prêts vont générer des flux d’APD négatifs croissants au fur et à mesure des remboursements.

« La baisse des dons, en valeur absolue et relative, menace sérieusement la capacité d’intervention de la France dans les pays pauvres ou en crise (par exemple les pays du Sahel) et la met en marge des efforts de la communauté internationale qui ciblent la lutte contre la pauvreté. Redonner à la France les moyens d’intervenir de façon substantielle sous forme de dons dans les pays les plus pauvres ou en crise nécessitera, soit d’augmenter sensiblement le volume de dons alloués via le canal bilatéral, soit de revoir l’équilibre entre les dons bilatéraux et les dons alloués à travers le canal multilatéral, soit enfin de modifier l’équilibre des allocations entre le coût-État des prêts et les dons. »

Après l’intervention francaise au Mali, il va être indispensable de mobiliser dans les plus brefs délais des moyens importants pour restaurer l’État et l’économie malienne. On ne peut être que sceptique sur la capacité des institutions internationales à atteindre ces objectifs dans le cadre des seuls financements multilatéraux. C’est la raison pour laquelle la France doit engager une action bilatérale forte, associant moyens financiers et savoir-faire français pour dynamiser et canaliser les efforts multilatéraux. Votre Rapporteur spécial suggère que la France, à l’instar de la Grande-Bretagne, accorde ses actes avec ses engagements pour privilégier véritablement l’Afrique subsaharienne en limitant quelques engagements non stratégiques pour orienter son action vers les zones sensibles – comme le Mali – et vers l’aide bilatérale au Sahel. (1)

Si l’aide bilatérale diminue, en revanche, il faut noter que les ONG voient leurs crédits transférés par l’AFD progresser de 9 millions d’euros en autorisations d’engagement dans le projet de loi de finances pour 2014 conformément aux promesses présidentielles. L’engagement en leur faveur passe ainsi de 45 millions d’euros en 2012 à 63 millions d’euros en 2014 et devrait atteindre 90 millions d’euros en 2017.

1. L’AFD, l’opérateur pivot de l’aide au développement

Le dernier CICID du 31 juillet 2013 a consacré le rôle du principal opérateur de l’aide au développement, l’AFD qui est un établissement public industriel et commercial doté d’un statut d’institution financière spécialisée, et lui a donné un mandat universel : l’action de l’AFD s’adressera désormais aux pays dits fragiles et non plus aux PPTE, ce qui aura pour effet de rendre le cadre géographique de son action évolutif et lui permettra de poursuivre sa coopération avec les pays arrivés au terme de l’initiative PPTE.

Ce nouveau cadre permet à l’Agence de mener une politique de coopération dans tous les pays en développement (PED), y compris en Asie et en Amérique latine en privilégiant la logique de co-développement, la recherche d’intérêts réciproques (en particulier économiques et commerciaux) et d’un modèle de croissance durable « verte et solidaire ». Il s’agira ainsi de répondre à une « demande de France » de la part de ces pays dans les domaines d’expertise reconnue de l’Agence (ville, infrastructures, eau, transports, santé…).

Plus concrètement, l’AFD veut être pionnière dans les domaines de l’innovation et cherche à diversifier les acteurs qu’elle soutient. Pour ce faire, elle compte renforcer la partie non souveraine de son action (entreprises publiques et privées, villes et collectivités locales) ainsi que les cofinancements avec les investisseurs privés, notamment grâce à son fonds de garantie pour l’Afrique, le FISEA (Fonds d’investissement et de soutien aux entreprises en Afrique).

L’AFD reste, malgré sa qualité opérationnelle sur le terrain, plus centralisée avec ses 71 agences et représentations en 2012 que le MAE avec ses 163 ambassades, ce qui minore ses charges de fonctionnement et ses frais généraux. Les besoins en fonds propres de l’Agence, qui font l’objet de négociations avec le ministère de l’Économie et des finances, résultent de deux éléments : d’une part, de l’augmentation de l’activité qui accroît le besoin en fonds propres pour pallier la hausse des expositions financières ; d’autre part, de la directive CRD 4, issue des accords de Bâle III, qui impose une augmentation des fonds propres à toutes les institutions financières.

Tout en restant en accord avec les nouvelles réglementations en vigueur, l’AFD dispose de trois leviers pour retrouver une situation d’équilibre :

– concentrer l’effort d’économies sur le budget administratif et la gestion de l’agence ;

– augmenter la part du résultat dégagé qui abonde les fonds propres ;

– modifier la nature juridique de certaines ressources afin qu’elles puissent être éligibles aux règles instaurées par la directive CRD 4.

Enfin, le Rapporteur spécial observe que l’État peut également minorer son prélèvement sur les résultats de l’Agence. En tout état de cause, ce débat devra s’achever dans des délais compatibles avec le dynamisme necéssaire à l’engagement de l’AFD.

2. Des financements innovants dédiés aux fonds spécialisés

L’engagement de la France dans le secteur de la santé est une des réussites de l’aide publique au développement, grâce à l’ancienneté de nos engagements, la puissance de nos contributions, l’innovation financière dans la recherche des financements (taxe sur les billets d’avion et taxe sur les transactions financières) et enfin les résultats obtenus au cours des dernières années. Le Rapporteur spécial l’a répété, les actions de GAVI Alliance, Unitaid, IFFim et du Fonds mondial contre le Sida, la tuberculose et le paludisme ont permis, d’une part à Gavi Alliance d’atteindre ses objectifs ambitieux qui consistent à aider les pays en développement à vacciner 370 millions d’enfants supplémentaires et contribuer ainsi à éviter près de quatre millions de décès d’enfants supplémentaires d’ici à 2015, et d’autre part à diversifier et augmenter le nombre des pays producteurs de vaccins qui sont désormais la Russie, les États-Unis, l’Indonésie, l’Inde et le Brésil en plus de la France, de la Belgique et de la Corée et d’en abaisser le coût, tout en aidant à renforcer les systèmes de santé des pays aidés.

Les principales réalisations d’Unitaid de 2006 à 2012 ont été :

– la création d’un marché jusqu’alors totalement inexistant de médicaments pédiatriques anti-VIH et baisse jusqu’à 80 % du prix de ces médicaments. Alors que seulement 10 000 enfants étaient sous traitements en 2006, ils sont près de 600 000 fin 2012 ;

– la baisse jusqu’à 50 % du coût des traitements anti-VIH de deuxième ligne ;

– la fourniture de près de 300 millions de traitement à base d’artemisinine, le traitement le plus efficace contre le paludisme aujourd’hui, ainsi que 20 millions de moustiquaires imprégnées, et la distribution de 15 000 traitements contre la tuberculose multirésistante dans les pays en développement,

– le financement d’infrastructures de laboratoire de pointe pour la détecter dans 8 pays à prévalence élevée.

D’autre part le Fonds mondial dont la contribution a été fortement augmentée lors du quinquennat précédent et maintenue depuis, comme le souhaitait votre Rapporteur spécial, a permis de faire progresser les traitements antirétroviraux administrés à 18 millions de personnes, contribué à sauver 200 000 personnes infectées par le paludisme, et 6 millions de personnes par la tuberculose, en recevant 2,5 milliards d’euros de la France depuis des débuts. Notre pays s’est engagé à hauteur de 360 millions d’euros par an pour le triennum 2011-2013, dont 60 millions en 2014 en provenance de la taxe sur les billets d’avion.

Toutefois, malgré la place prééminente que la France occupe parmi les pays contributeurs, elle ne valorise pas cet atout pour affirmer son leadership. Un article d’août 2013 de la revue britannique The Lancet qui fait autorité en matière médicale, vante l’originalité de la contribution française à la santé mondiale avec la taxe sur les billets d’avion, la réussite d’Unitaid et un engagement financier, tout en s’étonnant d’un pilotage politique et d’une visibilité française décevants face à l’hégémonie américaine.

Par ailleurs, le Rapporteur spécial s’étonne et condamne la diminution des crédits de 10 millions d’euros alloués à GAVI pour 2014. Compte tenu de l’importance des montants alloués au Fonds mondial (360 millions) et de l’urgence du combat mené par GAVI et Iffim pour la mise à disposition de vaccins contre les maladies infectieuses des jeunes enfants et des femmes enceintes qui font l’objet d’un OMD N° 4, il aurait été préférable que cette économie s’applique sur l’un des multiples fonds de développement du programme 110.

3. L’APD par les collectivités décentralisées, l’exemple de l’eau

Les collectivités décentralisées sont des partenaires engagés, efficaces et investis dans l’aide publique au développement. Leur effort d’APD est estimé à 65 millions d’euros en 2013. La loi « Oudin Santini » n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, a institué un fort effet de levier à une époque de stabilisation des autres concours des collectivités locales. Or les villes et les collectivités connaissent bien ce secteur, qui est un problème clé de la croissance des villes des pays émergents.

Faisant déjà suite à une hausse continue (+ 22 %) des montants affectés à la coopération décentralisée dans les domaines de l’eau et de l’assainissement entre 2007 et 2009, l’engagement dans le secteur de l’eau s’est renouvelé fortement à partir de 2010 et 2011, et cette tendance s’est confirmée en 2012. Le secteur public est en effet engagé à hauteur de 28,3 millions d’euros dans des actions de coopération dans ces domaines, soit une augmentation d’environ 40 % entre 2009 et 2012. Cette évolution est due à une hausse significative des engagements des agences de l’eau déjà amorcée en 2010, qui compte pour près de 55 % du total des engagements financiers. Les collectivités et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) spécialisés – syndicats des eaux et de l’assainissement - restent quant à eux engagés, puisqu’ils ont décaissé 12 600 000 euros en 2011 et 2012. On peut estimer que 80 % de la contribution totale (28,3 millions d’euros) soit plus de 22 millions d’euros (agences de l’eau et collectivités confondues), ont été mobilisés en 2012 grâce au dispositif Oudin Santini. Si l’on ne considère que les contributions des collectivités locales (12,6 millions d’euros), elles se répartissent à 55 % sur la loi Oudin et 45 % sur le budget général.

La part des contributions des agences de l’eau, qui était de 40 % en 2007-2009, dépasse progressivement la part des contributions des collectivités depuis 2011.

RÉPARTITION DES CONTRIBUTIONS PAR TYPE D’ORGANISME EN 2012

– Agences de l’eau : 55 % ;

– Villes et agglomérations (une centaine) : 19 % ;

– Syndicats : 14 % (chiffre constant) ;

– Conseils régionaux : 7 % (5 % les années précédentes) ;

– Conseils généraux : 5 % (forte baisse par rapport à 2009 avec 12 %).

III. LE COMPTE SPÉCIAL PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Outils importants de l’aide publique au développement de la France, les prêts à des États étrangers font l’objet d’une mission du budget de l’État et composent un seul et même compte de concours financier. Ils sont dotés de crédits évaluatifs en application de l’article 24 de la LOLF. Leurs objectifs divers, qu’il s’agisse de financer directement des projets de développement ou de contribuer à la soutenabilité d’une dette publique jugée trop lourde, permettent une division des prêts français en quatre sections ou programmes.

Le Nigéria, la République démocratique du Congo, le Congo et la Côte d’Ivoire ont été les pays bénéficiaires les plus concernés par les annulations ou les rééchelonnements de dette depuis le début des années 2000.

A. LE PROGRAMME 851 : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS, DE LA RÉSERVE PAYS ÉMERGENTS, EN VUE DE FACILITER LA RÉALISATION DE PROJETS D’INFRASTRUCTURE

Le programme 851 retrace les prêts de la Réserve pays émergents qui ont pour but de faciliter la réalisation des projets d’infrastructure. Cette aide économique participe au développement des pays émergents, tout en faisant appel à des biens et services français pour leur réalisation. Ce programme est doté de montants estimés à 447 millions d’euros en crédits de paiement et de 380 millions d’euros en autorisations d’engagement dans le projet de loi de finances pour 2014.

Ces crédits doivent respecter les règles de l’OCDE en matière de crédits d’aide, qui fixent notamment des niveaux minima de concessionnalité pour les financements octroyés. Dans ce cadre, les décisions de financement sont prises par le ministre de l’Économie sur avis d’un comité interministériel. Ainsi, en 2012, des protocoles ont été signés sur des projets de montants importants avec l’Équateur (tramway de Cuenca) et la Jordanie (réhabilitation de réseaux d’eau potable). Un important projet de protocole de 70 millions d’euros avec le Pakistan (station de traitement des eaux) a toutefois été abandonné. Sur la période 1999-2012, le volume de prêts versés au titre de la Réserve pays émergents s’est élevé à 1,8 milliard d’euros.

Les demandes de crédits de paiement reposent sur des estimations des tirages au titre des protocoles déjà signés, dont les projets sont en cours de réalisation ou en passe d’être engagés. Pour 2013, outre le projet de LGV au Maroc, les principaux décaissements prévus concernent les projets des métros du Caire et de Hanoï, les tramways de Rabat au Maroc et de Cuenca en Équateur, un projet de ponts métalliques au Sri Lanka et l’assainissement de villes en République dominicaine.

B. PROGRAMME 852 : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS POUR CONSOLIDATION DE DETTES ENVERS LA FRANCE

Ce programme retrace les contributions financières de la France au rétablissement d’un niveau d’endettement soutenable, soit pour les pays pauvres éligibles à l’initiative internationale en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) lancée en 1996, soit pour les pays en développement dans le cadre de l’approche définie au sommet d’Évian. Il est doté de 703 ,6 millions d’euros en autorisation d’engagement et en crédits de paiement pour 2014.

L’initiative PPTE a pour objectif de restaurer la solvabilité des pays bénéficiaires par une double politique d’annulation et de refinancement des dettes. Cette initiative englobe 39 pays dont 32 ont déjà atteint leur point d’achèvement. Le Burkina Faso, le Burundi, encore la Gambie, Haïti, la République Démocratique du Congo et Sao Tomé sont considérés comme à fort risque de crédit et aucun élément ne permet d’envisager une amélioration de la situation. La France met en œuvre des traitements de dettes en faveur de ces pays dans le cadre multilatéral du Club de Paris, qui regroupe les créanciers publics les plus importants, et a ainsi l’occasion de procéder à des annulations de dettes qui relèvent du programme 110 Aide économique et financière au développement. D’autre part, elle mène aussi, au titre du programme 852, des opérations de refinancement qui consistent à rembourser un prêt ancien au moyen d’un prêt nouveau accordé aux conditions négociées en Club de Paris. Les prêts nouveaux ainsi octroyés constituent les dépenses relatives au présent programme. Les prévisions sont établies au vu des accords susceptibles d’être conclus au cours de l’année à venir, et en fonction de la situation économique des pays concernés.

Les montants des crédits demandés pour le projet de loi de finances pour 2014 correspondent pour l’essentiel :

– au traitement de la dette du Zimbabwe qui pourrait intervenir en 2014 dans le cadre de la reprise du dialogue entre les autorités zimbabwéennes et les institutions financières internationales, marquée par la conclusion en juin 2013 d’un programme de référence avec les services du FMI. Ce traitement de dette supposera cependant au préalable l’apurement des arriérés importants accumulés par le Zimbabwe vis-à-vis des institutions financières internationales ;

– au traitement de la dette du Soudan, l’un des derniers pays éligibles à l’initiative PPTE n’ayant pas encore atteint la première étape de l’initiative PPTE appelée « point de décision ». Ce traitement pourrait, comme dans le cas du Zimbabwe, intervenir au second semestre 2014.

– au traitement de la dette de la Somalie, dans le cadre de l’initiative PPTE, à laquelle la Somalie est éligible. Des progrès pourraient en effet être enregistrés au cours de l’année 2014 suite à l’élection d’un nouveau gouvernement, dans un contexte de forte mobilisation en soutien à la Somalie (G8, Union européenne) qui pourrait conduire la Somalie à atteindre le « point de décision ».

C. LE PROGRAMME 853 : PRÊTS À L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT EN VUE DE FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DANS DES ÉTATS ÉTRANGERS

Ce programme participe, par le biais du financement de l’AFD, à l’action de la France en matière d’aide économique et financière aux pays en développement. Il comporte une action unique par laquelle l’État octroie, à des termes très préférentiels, des prêts à l’AFD. Cette ressource à condition spéciale (RCS) permet à l’AFD d’octroyer des prêts concessionnels, souverains ou non. En crédits de paiement, les montants demandés pour 2014 s’élèvent à 370 millions d’euros. Ces crédits correspondent principalement à la mise en œuvre d’engagements antérieurs.

D. LE PROGRAMME 854 : PRÊTS AUX ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE DONT LA MONNAIE EST L’EURO

Le programme 854, créé par la loi n° 2010-463 du 7 mai 2010 de finances rectificative pour 2010, correspond à une quatrième section du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». L’objectif de ce programme consiste à assurer la stabilité financière de la zone euro grâce à des prêts bilatéraux consentis par la France à un autre État membre de cette zone. Le Rapporteur spécial remarque qu’il ne s’agit en aucun cas d’aide publique au développement.

Ce programme a été mobilisé en mai 2010 pour financer des prêts bilatéraux à la Grèce (16,8 milliards d’euros d’autorisations d’engagement votés en loi n° 2010-463 du 7 mai 2010 de finances rectificative pour 2010, dont seuls 11,4 milliards d’euros ont été effectivement utilisés : les 5,4 milliards d’euros restants seront annulés en loi de règlement 2013).

Il ne devrait plus être mobilisé à l’avenir, du fait de la mise en place du Fonds européen de stabilité financière (FESF) en mai 2010, puis du Mécanisme européen de stabilité (MES) en octobre 2012. Après une opération de régularisation de 17 millions d’euros en 2013, aucun autre mouvement ne devrait intervenir sur ce compte avant le premier remboursement en capital de la Grèce, attendu en 2020. Le compte est donc mis en sommeil.

EXAMEN EN COMMISSION

Après l’audition de MM. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement, et Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des finances, chargé de l’Économie sociale et solidaire, lors de la commission élargie du 24 octobre 2013 à 21 heures (2), la commission des Finances examine les crédits de la mission Aide publique au développement et du compte spécial Prêt à des États étrangers.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur spécial. J’étais tenté de donner un avis défavorable, car l’évolution des crédits est extrêmement inquiétante au regard de la responsabilité éminente de la France en matière d’aide publique au développement. S’agissant cependant d’un des honneurs essentiels de notre pays, ce sont des crédits qui doivent nous réunir et je veux donc éviter toute polémique. Je m’abstiendrai donc, mais l’année prochaine, si les crédits devaient encore baisser, je ne pourrai plus continuer de m’abstenir.

La Commission adopte les crédits de la mission Aide publique au développement puis du compte spécial Prêt à des États étrangers.

La Commission examine ensuite l’amendement n° CF–II-103 du Gouvernement, portant article additionnel avant l’article 62 et visant à rétablir l’article 36, supprimé par l’Assemblée nationale.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur spécial. Je m’abstiendrai également à titre symbolique, car nous avons désormais affaire à des financements innovants de substitution qui ont perdu tout caractère d’additionnalité, alors que c’était leur fondement initial. Nous devons marquer très fortement notre regret face à ce dévoiement des financements innovants qui a été évoqué par Jean-Louis Christ lors de la réunion de la commission élargie.

M. Pierre-Alain Muet, président. Je rappelle que c’est la majorité actuelle qui a décidé de l’affectation d’une partie du produit de la taxation sur les transactions financières, introduisant ainsi un véritable changement, précurseur en Europe.

La Commission adopte l’amendement.

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ANNEXE 1 :
COMMENT GÉRER EFFICACEMENT L’AIDE AU MALI ?

Olivier Lafourcade & Serge Michailof (3

I.– Positionnement du problème

1. La stabilisation du Nord du Mali exige, après la phase d’intervention militaire, la mise en place d’un vaste programme de développement. Dans un contexte marqué par un effondrement de l’économie rurale alors que la population double tous les 20 ans, iI n’y aura pas en effet de sécurité et de paix durable au Mali sans développement. Mais réciproquement il n’y aura pas non plus de développement sans sécurité. Or pour des raisons politiques évidentes, ce programme devra couvrir l’ensemble du pays et non seulement le nord.

2. Deux priorités revêtent une urgence et une importance particulières : (a) la nécessité d’occuper au plus vite les jeunes désœuvrés ou sous-employés, afin de réduire leurs incitations à rejoindre les rangs des fauteurs de troubles, des trafiquants de drogue et d’armes, ou de joindre toute autre activité illicite ; et (b) la nécessité de relancer l’économie dans les zones rurales les plus touchées par l’instabilité et le sous-emploi ; d’où la priorité à donner au développement rural.

3. La situation au Mali est maintenant perçue comme en voie de normalisation (conduite des élections, etc.). Ceci est probablement légitime après la période excessivement troublée de ces derniers mois. La sécurité et la stabilité apparemment restaurées, bien que fragiles et encore menacées, conduisent à la perte du sentiment d’urgence devant les défis qui se posent. Rien n’est plus trompeur, rien n’est plus porteur de risques. Il convient aujourd’hui de traiter certains problèmes urgents de court terme, tout en s’attaquant résolument aux questions fondamentales de plus long terme.

4. Le programme de développement envisagé devra viser l’efficacité et non l’agitation médiatique. C’est le succès de ses réalisations concrètes qui importe pour le succès de la stabilisation et non les annonces de financement dans la presse. L’aide internationale dont le rôle sera fondamental devra accepter de se porter en priorité sur des domaines qu’elle délaisse fréquemment, tels le développement rural, les petites infrastructures économiques, le soutien à la décentralisation et le renforcement de l’appareil d’État.

5. Ce programme doit en particulier comporter un vaste chantier de reconstruction des institutions maliennes, tant les institutions régaliennes (armée, gendarmerie, administration territoriale, justice, finances etc.) que celles à vocation technique et économique (agriculture, travaux publics, énergie, hydraulique etc.). Or les performances des principales agences d’aide internationales en ce domaine ont été historiquement décevantes.)

6. La mise en œuvre de ce programme exigera un doublement des moyens financiers et techniques d’aide consacrés actuellement au Mali pour atteindre un montant de l’ordre de 2 milliards de dollars par an pendant au moins 5 ans, ceci hors financement des dépenses de sécurité. À cet égard les annonces faites lors de la conférence de Bruxelles constituent un bon point de départ.

7. Mais l’expérience révèle que la concrétisation des promesses faites lors de ce type de conférence est souvent difficile et que ces promesses comportent souvent un mélange d’engagements passés et de dépenses de toute nature et qu’il est très difficile de les traduire en un échéancier précis d’argent frais. Or ces financements devront être mis en place très rapidement car la gestion du temps est fondamentale dans ce type de situation. Ils devront en outre être gérés de manière plus professionnelle et avoir une plus grande efficacité que l’aide dont a bénéficié ce pays ces dernières années.

8. La France ne dispose plus de ressources d’aide bilatérale qui lui permettraient d’intervenir dans un pays pauvre déstructuré comme le Mali. Elle a en effet depuis ¼ de siècle progressivement confié la plus grande part de ses ressources d’aide « effective » (4) aux institutions multilatérales et européennes qui vont encore bénéficier en 2014 de l’essentiel des efforts budgétaires que consentira notre pays pour l’aide au développement soit 2,6 milliards d’euros sur un total de 4,2. Par ailleurs, la majeure partie de son aide bilatérale est consentie sous forme de prêts de l’AFD qui sont pour leur quasi-totalité (5) inadaptés aux besoins de reconstruction du Mali, ou affectée à des actions liées à des annulations de dettes selon le mécanisme dit du C2D dont les pays sahéliens ne peuvent bénéficier que très marginalement. Au total les montants destinés à financer sur subvention des actions bilatérales dans les pays pauvres sont dérisoires. Ils seront en 2014 de 217 millions pour l’aide projet gérée par l’AFD et de 50 millions pour les FSP, montants qui seront répartis entre une vingtaine de pays.

9. Ce choix privilégiant excessivement l’aide multilatérale et cet éparpillement de notre aide bilatérale destinée aux pays les plus pauvres est à juste titre critiqué par les quatre derniers rapports parlementaires consacrés à l’aide française. Cette situation ne permet de conduire en bilatéral que de petites actions dont l’impact est in fine essentiellement d’ordre médiatico- politique. Cet état de fait a quatre conséquences malencontreuses pour la stabilisation du Mali :

a) Alors que l’aide à la reconstruction du Mali va essentiellement provenir des institutions européennes et multilatérales, la France a perdu sa capacité à orienter grâce à des cofinancements l’action des grands donateurs multilatéraux. À titre d’exemple, l’aide bilatérale française consacrée au développement rural des 5 pays sahéliens a représenté en moyenne au total pour les 5 pays environ 15 millions d’euros par an ces trois dernières années, soit 1,5 millième de l’APD de 10 milliards d’euros affichée par la France. Notre aide bilatérale n’ayant pu jouer en ce domaine comme autrefois un rôle d’entraînement, le développement agricole du Sahel n’a pas fait l’objet de l’attention et des financements internationaux qui s’imposaient à l’évidence dans ces pays encore essentiellement agricoles.

b) Les aides multilatérales sont excessivement focalisées sur le thème de la réduction de la pauvreté par des mécanismes de transfert sociaux, sans qu’une priorité suffisante soit accordée au développement économique et au renforcement de l’appareil d’État. Fondamentalement, dans ces pays en grande fragilité la relance de l’économie et le rétablissement de la sécurité par la reconstruction des institutions régaliennes nationales doivent passer avant la santé et l’éducation. Sans ordre, sans stabilité et sans relance économique, les services sociaux financés à grands frais par les donateurs reposent sur du sable.

c) Dans les pays dont l’appareil d’État est comme au Mali incapable d’assurer un pilotage cohérent de l’aide internationale (6), les institutions multilatérales ont fait la preuve sur longue durée et dans de multiples circonstances (7) de leur incapacité à coordonner efficacement leurs actions et à éviter une pagaille généralisée, voire un véritable chaos. Notons à ce propos l’absence de résultats significatifs obtenus avec le milliard de dollars d’aide dont le Mali a bénéficié en moyenne chaque année des institutions d’aide dans le passé. Ce phénomène s’explique largement par l’incapacité d’une administration malienne très faible, à gérer et coordonner cette aide et l’égale incapacité de donateurs très fragmentés à se coordonner, définir des priorités claires et gérer de manière stratégique des ressources somme toute limitées (8).

d) Cette inefficacité de l’aide européenne et multilatérale dans les pays à très faible capacité est bien connue des spécialistes et documentée (9). Elle risque fort d’être accrue au Mali par suite d’une grande ignorance de cette région par ces institutions, de leur manque de personnel francophone, de leur désinvestissement en terme de savoir-faire depuis plus de 20 ans en matière de développement rural, de la dégradation de leurs capacités techniques pour des raisons explicitées en annexe et enfin de leurs modes d’intervention. Notons que, sous couvert d’une dimension affichée de solidarité médiatiquement légitimée, une action désordonnée des collectivités locales françaises et des ONG dans un tel contexte risque fort d’ajouter à la confusion. Un échec de l’aide au Mali serait de nature à rapidement mettre en péril le processus de stabilisation, tout comme l’échec de l’aide en Afghanistan a contribué au désastre en ce pays.

10. Au bout du compte, il nous semble que, à situation exceptionnelle, ce qui est le cas au Mali et plus largement dans l’ensemble du Sahel, il convient de donner une réponse exceptionnelle. Nonobstant la réponse financière indéniablement importante consentie par la communauté internationale à l’instigation de la France, la structure et la méthodologie proposées pour la gestion de cet effort exceptionnel sont tout sauf… exceptionnelles. Dans leurs formes actuelles, il s’agit fondamentalement de « business as usual ». Les précédents notoires montrent les limites et les dangers d’une telle approche.

11. Le paradoxe est donc que c’est la France qui se trouve sans ressources financières pour intervenir au Mali qui a conservé une forte expertise technique sur ce pays et de façon générale dans le Sahel, ceci grâce à l’AFD et à ses instituts de recherche. Une analyse des avantages et désavantages comparatifs des partenaires multilatéraux et européens dans une situation telle que celle du Mali montrerait sans ambiguïté le caractère incontournable de la présence de l’aide française due à l’expérience et l’expertise unique accumulée dans cette région. Ceci est évidemment à mettre en parallèle avec les risques d’accusation de néo-colonialisme adressés à la France.

12. Le défi dans ces conditions est de tenter de combiner l’expertise française, avec les ressources financières multilatérales et européennes, sachant que les grands discours auxquels nous ont habitués depuis 10 ans les agences d’aide en matière de coordination et d’efficacité de l’aide ne débouchent sur rien de concret dans les pays fragiles comme le Mali.

Nos recommandations pour tenter de sortir de cette impasse sont dans ces conditions :

a) De négocier avec les grandes institutions multilatérales pour qu’une partie significative des ressources que la France apporte chaque année à la Banque Mondiale, aux instances d’aide européennes et à la Banque Africaine de Développement soient affectées à un fonds fiduciaire multibailleurs qui devrait de préférence être géré par l’AFD, ou si cela s’avère vraiment impossible au minimum piloté par un comité directeur où la France devrait jouer un rôle de facto dirigeant, ceci en s’appuyant sur une équipe technique permanente de haut niveau constituée pour l’essentiel d’experts de l’AFD et des instituts de recherche français.

b) De se persuader qu’une telle négociation est possible et peut parfaitement aboutir mais exigera en revanche une intervention des autorités politiques françaises à haut niveau et un changement de culture actuellement marquée par trop de complaisance et beaucoup de faiblesse dans nos relations avec ces institutions (10). Un montant minimum de l’ordre de 500 millions d’euros annuel soit la moitié de l’aide additionnelle annuelle au Mali devrait être fixé comme objectif pour ce fonds fiduciaire. Pour justifier le rôle qu’elle entend y mener, la France devrait participer financièrement pour environ 20 % à ce fonds ce qui suppose des réallocations budgétaires au sein des budgets d’aide de l’ordre de 100 millions d’euros (soit 1 % de notre APD !), réallocations qui resteraient modestes, mais qui imposent néanmoins une très ferme volonté politique compte tenu des rigidités et de la force de certains lobbys (11). L’expérience laisse penser qu’une intervention personnelle du Président de la République sera sans doute nécessaire pour provoquer cet arbitrage (12).

c) D’imposer à nos partenaires de faire de ce fonds fiduciaire multibailleur le réceptacle de la quasi-totalité de l’aide projet au Mali portant sur les secteurs où l’aide française dispose d’une compétence technique avérée, ceci en attendant la construction d’une capacité autonome malienne de coordination et de pilotage technique de l’aide qui peut prendre plusieurs années. Les secteurs correspondants devraient être ceux où l’expertise des multilatéraux est particulièrement faible et l’expertise française bien assurée (en particulier développement rural et municipal, hydraulique, développement institutionnel). L’objectif devrait donc être de tenter de faire assurer le pilotage par des experts français via ce fonds fiduciaire, d’une partie de l’aide multilatérale au Mali, sachant qu’il vaut finalement mieux une aide plus faible mais bien gérée et bien ciblée que de gros volumes qui risquent de rester à l’état de promesses ou qui se perdront dans les sables. Une aide trop abondante mal gérée peut en outre avoir un effet destructeur sur un tissu économique local fragile (phénomène du syndrome hollandais).

d) De faire assurer la coordination sur d’autres secteurs par certains multilatéraux jouant un rôle de chef de file sectoriel. Mais ces responsabilités ne devraient être confiées à certains bailleurs qu’en fonction de leurs compétences techniques avérées (par exemple les travaux routiers pour l’Union Européenne, les secteurs sociaux et certaines grandes infrastructures pour la Banque Mondiale etc.) Il faudra ici veiller à tenir à distance la cinquantaine de fonds des Nations Unies (PNUD, FAO etc.) dont l’inefficacité est proverbiale et qui ne peuvent que créer des problèmes dans les chaînes de décision en tentant de prendre le leadership dans des domaines où ils disposent parfois d’une légitimité théorique mais ont de longue date prouvé leur incompétence. Il faudra ici aussi faire preuve de beaucoup de fermeté. Notre jugement est que la présence à Bamako de la plupart de la cinquantaine des fonds spécialisés des Nations Unies qui envisagent d’y développer leur activité n’aura aucun impact sur le développement et la stabilisation du pays et contribuera au contraire à y entretenir faux espoirs et confusion.

e) De limiter strictement le montant des aides budgétaires au Mali, domaine cher à l’Union Européenne, ceci tant que la chaîne de la dépense publique malienne n’a pas été sécurisée et purgée de la corruption qui la gangrène, tâche qui peut prendre plusieurs années. Cette recommandation vise à privilégier dans un premier temps des aides projets ou programmes qui impliquent pour leur préparation des appuis techniques externes que nous pensons la plupart des donateurs multilatéraux et européens peu à même d’apporter, ce qui renforce le rôle technique que doit jouer l’aide et de façon plus générale l’expertise française. Il faut éviter une situation où paradoxalement le manque d’expertise technique conduit à privilégier des instruments budgétaires qui sont en fait profondément inadaptés au contexte.

f) De susciter au plus vite la création d’une structure malienne de pilotage stratégique et de coordination de l’aide qu’il incombera de situer à un niveau approprié (Cabinet du Premier Ministre ?) et de renforcer techniquement dès que possible.

g) De lancer au plus vite, compte tenu des délais de préparation et de négociation avec les autorités maliennes, la préparation d’une série de programmes d’action ambitieux destinés à être financés par le fonds multibailleurs. Il importe en effet de préparer et programmer dès maintenant les actions de développement de moyen terme, ceci en parallèle de la conduite des actions d’urgence (qui portent sur la sécurisation de la prochaine campagne agricole, la remise en route des centrales électriques etc.). Les capacités techniques de l’AFD et du CIRAD et de façon générale de l’expertise française, associées aux ressources humaines maliennes, doivent être pour ce faire mises à contribution au plus vite, en espérant mobiliser d’ici l’été les premières ressources du fonds multibailleurs. Des instructions fermes devraient être données à la direction de l’AFD qui devrait assurer le rôle de chef de file technique dans la mobilisation de cette expertise.

h) En terme de contenu, les actions de développement qui devraient être préparées pour être présentées au financement du fonds fiduciaire devraient porter en priorité : (i) Sur une série de programmes de développement agricoles et pastoraux en commençant par les zones sud non marquées par l’insécurité où la relance du développement cotonnier est un bon vecteur, (ii) un ambitieux programme national de fonds de développement rural et municipal visant à confier de petites subventions aux municipalités et communautés de base pour réaliser des équipements collectifs et renforcer leurs capacités techniques, (iii) un programme de renforcement des institutions maliennes, sachant qu’un tel programme exigera au-delà des traditionnels appuis techniques et financiers, le remplacement des responsables incompétents ou corrompus ce qui supposera des dialogues politiques « francs » à haut niveau. Progressivement ces divers programmes pourront éventuellement bénéficier de contributions directes hors fonds multibailleurs de divers partenaires, à condition toutefois que ces derniers acceptent de s’inscrire dans une approche coordonnée cohérente. Des mécanismes incitatifs sont en ce domaine tout à fait possibles.

i) De constituer au plus vite au niveau parisien une structure de coordination associant les ministères du développement, des affaires étrangères, de la défense et des finances pour assurer la cohérence des efforts qui seront nécessaires pour obtenir des résultats concrets en matière d’aide pour le développement et la stabilisation au Mali. Il est ici symptomatique de remarquer que les 114 pages de l’annexe au projet de loi de finances 2014 pour l’aide publique au développement ne mentionnent nulle part les mots Mali ou Sahel ! Il est navrant de constater que le sentiment d’urgence face à la crise au Mali et de façon générale au Sahel ne s’est pas encore imposé dans l’ensemble des administrations concernées qui semblent encore fonctionner en silo. Il ne s’est en tout cas pas imposé lors de la préparation du document budgétaire qui reste marqué par le « business as usual » et se trouve en totale déconnexion avec les deux remarquables rapports parlementaires portant sur les crises au Sahel et au Mali présentés par MM Chevènement et Larcher.

j) Il serait enfin bien sûr très souhaitable de tenter de créer un fonds fiduciaire analogue avec les bilatéraux européens concernés et les États Unis pour le financement de la difficile réforme du secteur de la sécurité où la France devra également jouer un rôle déterminant pour éviter les dérives passées. Rappelons pour mémoire en ce domaine une aide militaire américaine qui a constitué des unités ethniquement homogènes qui ont déserté en masse et l’apport de matériel militaire sans conditions par certains pays à une armée malienne que l’on savait de plus en plus gangrenée par la corruption et l’incompétence… Un tel fonds fiduciaire « sécurité » serait particulièrement utile pour veiller à la cohérence des approches. Mais c’est un domaine où les bilatéraux concernés préfèrent malheureusement en général garder leur indépendance.

II.– Pourquoi s’inquiéter de l’efficacité des aides multilatérales et européennes dans le processus de stabilisation du Mali ?

Les grandes banques de développement multilatérales comme en particulier la Banque Mondiale sont des institutions remarquables où se trouvent des compétences multiples sur des thématiques les plus diverses. Leur expérience cumulée depuis des décennies est tout à fait considérable. Pour autant leur expertise dans les pays largement déstructurés et ne disposant que d’une faible capacité administrative est très récente et leur connaissance des problématiques sahéliennes est limitée (13).

De façon générale, les principes généraux déterminant les règles d’allocation des ressources d’aide dans les institutions multilatérales privilégient systématiquement les pays les mieux gérés et tendent à délaisser les pays fragiles. Le désintérêt relatif de ces institutions pour ces pays se traduit dans la faiblesse des budgets administratifs qui leur sont consacrés et se retrouve fréquemment dans la qualification plus faible de leur personnel affecté à ces pays.

Dans le cas du Mali cette inefficacité proviendra du cumul des raisons suivantes : (i) Le manque d’expérience sahélienne des principales institutions multilatérales (FED/UE et Banque Mondiale), (ii) le désinvestissement massif auquel toutes les institutions multilatérales ont procédé depuis 20 ans en matière de savoir-faire dans le domaine agricole, (iii) le faible nombre de cadres francophones en leur sein, (iv) le mode de désignation de leurs cadres techniques de plus en plus choisis en fonction de critères de nationalités et non de compétence, (v) la faiblesse technique de la Banque Africaine de développement malgré de louables efforts récents, (vi) l’inefficacité consternante sur le terrain de la plupart des agences spécialisées des Nations Unies ( PNUD, FAO, etc.), (vii) la véritable destruction de la capacité technique de la région Afrique de la Banque Mondiale provoquée par les choix malencontreux effectués par l’ancien Président Wolfowitz maintenus par son successeur et dont la correction prendra plusieurs années et enfin (vii) les modes opératoires de ces institutions qui reposent sur la mise en place de structures de projets éphémères qui « doublonnent »les administrations et contribuent à leur affaiblissement.

Nous sommes en particulier persuadés sur la base de notre connaissance des erreurs commises par ces institutions dans de multiples cas que la pagaille à laquelle il faut s’attendre s’accompagnera: (i) De la non prise en compte de priorités évidentes comme le développement rural (14), le développement municipal ou la formation professionnelle ; (ii)  d’approches inefficaces en matière de reconstruction des institutions régaliennes; (iii) d’erreurs techniques graves en matière de développement agricole dans les zones très fragiles au plan agronomique que sont les régions du nord Sahel, et enfin (iv) de distorsion de l’économie locale liées au phénomène de syndrome hollandais systématiquement provoqué par des afflux financiers abondants mal gérés. Dans un tel contexte de désordre probable, l’appui des collectivités locales françaises et d’ONG non encadrées risquerait aussi d’ajouter à la pagaille.

Au total, dans le cas du Mali, confier sans un contrôle étroit les tâches de pilotage et de gestion de l’aide aux institutions multilatérales et européennes garantit une grande inefficacité dans l’usage des ressources correspondantes. Cette inefficacité a toutes chances de provoquer comme on le constate aujourd’hui en Afghanistan et en Haïti, un rejet par les populations des donateurs occidentaux jugés inutile et ce qui est plus grave, à l’échec très probable du processus de stabilisation qui doit faire suite à l’intervention militaire.

III.– Quelques éléments sur le manque de cohérence entre les choix budgétaires historiques de l’aide française et les défis géopolitiques auxquels nous sommes confrontés

La France consacre des ressources importantes à l’aide au développement, son APD représentant près de 10 milliards d’euros en 2013 ce qui en fait le 3ème ou 4ème donateur mondial selon les années.

Mais d’une part ce concept d’APD est trompeur car si l’on enlève les habillages statistiques qui permettent de gonfler ce chiffre (15), les montants effectivement disponibles pour conduire des actions de développement dans les pays du Sud sont seulement de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros ces dernières années (16). D’autre part les choix portant sur l’affectation de ces ressources n’obéissent à aucune rationalité répondant à nos intérêts géostratégiques, mais sont le produit d’une stratification de décisions largement fondées sur une conception caritative de l’aide.

Perçue comme relevant d’une charité sans grande utilité elle est ainsi à des hauteurs variant selon les années de 50 à 60 %, confiée aux institutions multilatérales et européennes qui en font l’usage qu’il leur plaît de conduire. Le reste pour un montant d’environ 2 milliards est géré par l’Agence Française de Développement sous forme de prêts qui sont pour l’essentiel inadaptés à des interventions dans les pays pauvres comme au Sahel. Il reste ensuite des montants variables destinés à couvrir les opérations d’annulation de dettes françaises dans le cadre des C2D qui sont naturellement ciblés sur des pays à revenu intermédiaire comme le Cameroun et la Côte d’Ivoire.

Au final les montants destinés à financer sur subvention des actions bilatérales dans les pays pauvres sont dérisoires, de l’ordre de 200 millions répartis entre une vingtaine de pays, ce qui permet juste de conduire de petites actions dont l’impact est essentiellement d’ordre médiatico-politique. Cette démarche qui est très particulière à la France, a été conduite depuis un quart de siècle dans un contexte marqué par une grande fragmentation des instances de décision et une perte de contrôle du politique. Elle nie le rôle qu’historiquement l’aide bilatérale peut jouer en tant qu’instrument de politique étrangère comme elle l’a démontré dans le contexte de la guerre froide par exemple à Taiwan et en Corée, lors de la décolonisation dans nos anciennes colonies africaines, pour la stabilisation de crises politiques comme dans les Balkans ou financières comme en Afrique francophone dans les années quatre-vingt.

Le raisonnement fréquemment cité selon lequel les ressources affectées par la France aux acteurs multilatéraux permet de bénéficier d’importants effets de levier, chaque euro confié par exemple à la Banque Mondiale permettant de faciliter la mobilisation d’une douzaine d’euros est non pertinent ; car à la différence par exemple de la Grande Bretagne, la France ne dispose pas d’une forte présence physique au sein des institutions multilatérales ni des multiples fonds fiduciaires qui permettent effectivement à certains pays de largement piloter l’aide multilatérale en fonction de leurs propres objectifs. En réalité cet effet de levier ne peut jouer efficacement que par l’utilisation judicieuse de cofinancements bi/multi et la gestion de fonds fiduciaires que le manque de ressources en subventions bilatérales ne permet pas à la France de conduire efficacement.

ANNEXE 2 :
AUDITIONS RÉALISÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

– M. Marc Dybull, directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et Mme Mireille Guigaz, vice-présidente du conseil d’administration du Fonds mondial, Mme Nelly Comon, MM. Lelio Marmora, Patrick Bertrand, Bruno Rivalan, Alix Zuighedeau, Mme Sylvie Chantereau. Représentants du ministère des Affaires étrangères (DGM) : MM. Gustavo Gonzales-Canali, Emmanuel Lebrun Damiens, Pierre Lacroix, Mme Marina Hue ;

– Voyage d’étude du Rapporteur spécial au Bénin, sur le sujet du Fonds mondial ;

– Mme Florine Pruchon, Solidarité laïque ;

– M. Jean Michel Severino, ancien directeur de l’Agence Française de développement, gérant de « Investisseurs et partenaires conseil » ;

– Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française de développement (AFD) et M. Hervé Gallèpe, directeur de la communication à l’AFD ;

– M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement, et certains membres de son cabinet : Mme Sandrine de Guio, M. Vincent Dalmais, Mme Élise Beretz ;

– M. Anthony Requin, chef de service à la direction du Trésor ;

– M. Frédéric Glanois, adjoint chef de bureau à la direction du Trésor ;

– M. Serge Michailof, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) ;

– M. Olivier Lafourcade ;

– Mme Anne-Marie Descotes, directrice générale de la mondialisation au ministère des Affaire étrangères et européennes ;

– M. Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Sénégal ;

– Coordination SUD, ONG.

© Assemblée nationale

1 () Voir annexe 1 : Comment gérer efficacement l’aide au Mali, par Olivier Lafourcade et Serge Michailof.

2 () Le compte rendu de la commission élargie peut être consulté sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2014/commissions_elargies/cr

3 () Anciens directeurs opérationnels à la Banque Mondiale, anciens membres du comité exécutif de l’AFD en tant respectivement que conseiller de JM Severino (OL) et directeur des opérations de l’AFD(SM).

Ces opinions n’engagent que leurs auteurs.

4 () Ce que nous appelons aide « effective » correspond aux financements permettant de mettre en œuvre des programmes de développement concrets. Le montant est de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros chaque année pour un total d’APD proche de 10 milliards. La différence entre l’aide « effective » et l’APD s’explique par des habillages statistiques et la prise en compte de dépenses diverses telles que frais d’écolage, annulations de dettes, frais administratifs etc. La différence entre cette aide « effective »et le cout budgétaire s’explique principalement par l’effet de levier que permet l’instrument « prêt ».

5 () L’AFD dispose depuis peu de prêts à très faibles taux (1 %), longue durée (30 ans) et important différés (10 ans) appelés PTC ou PTCC qui peuvent être mobilisés sur les pays sahéliens mais de préférence bien évidement sur des projets à rentabilité directe.

6 () Le Mali dispose encore de quelques ilots d’efficacité administrative, par exemple au ministère des finances. Mais ses services agricoles sont par contre dans un état pitoyable.

7 () Afghanistan, Congo RDC, Cambodge, Haïti etc.

8 () Notons que sur ce montant une partie des financements provenait de bailleurs arables et ont été mis en place en fonction de logiques politiques avec un faible souci d’efficacité en terme de développement.

9 () Cf entre autres : « Le défi de la reconstruction des États Faillis : Quelles leçons tirer des erreurs commises en Afghanistan », FERDI Février 2011.

10 () Il faudra veiller à ne pas laisser cette négociation à la seule responsabilité de la direction du Trésor qui a parfois été trop complaisante à l’égard des institutions multilatérales. Un tel changement de culture s’est avéré nécessaire par le passé lors de la dévaluation du Franc CFA en 1993 /94, opération à laquelle nous avons été étroitement associés lorsque nous étions à la Banque Mondiale. (Le pilotage de cette opération difficile a été alors assuré par Matignon….)

11 () Rappelons par exemple que la participation de la France au fonds mondial SIDA est de 360 millions d’euros par an ce qui est disproportionné par rapport à nos ressources d’aide projet globales bilatérales en subvention (200 millions pour une vingtaine de pays). D’autres exemples de choix contestables peuvent être aisément identifiés pour peu que l’on veuille procéder à une analyse rigoureuse.

12 () Une alternative peu satisfaisante mais sans doute envisageable en cas de blocage sur ce point consisterait à doter ce fonds multibailleurs d’un montant plus réduit de subventions et à compléter notre apport par un prêt de l’AFD type PTC à très faible taux, longue durée et important différé.

13 () N’oublions pas que la Banque Mondiale au cours des années 90 a largement démantelé pour des raisons absurdes une bonne partie des filières coton sahéliennes qui constituaient à la fois un très grand succès de la coopération française et une source d’emplois et de revenus considérable.

14 () Qui par exemple en Afghanistan n’a bénéficié que de 5 % des flux d’aide entre 2002 et 2007 (ceci pour un pays comme le Mali à 75 % rural).

15 () Frais d’écolage, annulations de dettes, frais divers, etc.

16 () 2010 et 2011, dernières années pour laquelle nous disposons de chiffres précis.