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N
° 2263

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 octobre 2014

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE
loi de finances pour 2015 (n° 2234),

TOME IV

DÉFENSE

PAR M. Guy TEISSIER

Député

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Voir le numéro 2260 (annexe n°10 et 11).

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. UN CONTEXTE STRATEGIQUE PRÉOCCUPANT, UN DISPOSITIF MILITAIRE EN SURTENSION 9

A. LA PROLIFERATION DES MENACES 9

1. La menace terroriste a pris une dimension inquiétante 9

a. La brutale expansion de Daech au Proche et Moyen-Orient 9

b. Le « hub » libyen et le renouveau des groupes terroristes sahéliens 10

c. La montée en charge de Boko Haram au Nigéria et au Cameroun 11

2. La fragilité des États, une vulnérabilité majeure 11

a. La paix introuvable en Centrafrique 11

b. Les incertitudes de la transition politique afghane 12

c. Le Libéria dévasté par Ébola 13

3. Des enjeux maritimes croissants 13

a. La piraterie évolue mais ne faiblit pas 13

b. La ZEE française toujours plus exposée 14

4. Des menaces proches du territoire national 15

a. À la frontière de l’Europe : la crise russo-ukrainienne 15

b. L’importation des menaces : les combattants étrangers 16

B. UN APPAREIL MILITAIRE EXTRÊMEMENT SOLLICITE 18

1. Les engagements extérieurs se multiplient 18

a. L’opération Sangaris en Centrafrique 18

b. Régionalisation du dispositif dans la bande sahélo-saharienne 19

c. Trois nouveaux théâtres à l’automne 21

d. La marine déployée tous azimuts 23

2. Le courage et la qualité de nos armées forcent l’admiration 27

a. Des engagements risqués, dans des conditions difficiles 27

b. Des compétences illustrées par quelques opérations emblématiques 27

c. Un outil de rayonnement dans le monde entier 28

3. Notre appareil militaire est surengagé au regard de ses moyens 29

a. Une tension très forte sur les matériels 29

b. Un équilibre dégradé pour les militaires 31

c. Un dérapage des coûts non assumé 34

II. BUDGET 2015 : L’IMPROBABLE STAGNATION 37

A. UNE STAGNATION APPARENTE 37

1. Les grandes masses du budget 37

2. Les secteurs prioritaires 38

a. La dissuasion 38

b. Le renseignement et la cyberdéfense 38

c. La recherche 40

d. L’entretien programmé des matériels 40

3. Les personnels toujours plus mis à contribution 40

a. La spirale de la déflation 40

b. Restructurations et désarmements 41

c. Les risques du dépyramidage 43

4. Des besoins en fonctionnement comprimés au maximum 44

5. Les grands programmes d’équipement 47

a. Les livraisons attendues 47

b. La poursuite des programmes clé 50

c. Le lancement de nouveaux programmes 51

B. DE LOURDES HYPOTHÈQUES 52

1. Les incertitudes de la fin de gestion 2014 52

a. L’impact de la fin de gestion 2013 52

b. L’impact du collectif budgétaire du 8 août 2014 52

c. Un inéluctable ajustement en fin de gestion 2014 53

d. Les programmes d’équipement en variable d’ajustement ? 53

2. L’épineux problème des recettes exceptionnelles en 2015 54

a. Des recettes indispensables 54

b. Des recettes introuvables 56

c. Le flou autour des « sociétés de projet » 57

3. L’enjeu critique des exportations d’armement 58

CONCLUSION 59

TRAVAUX DE LA COMMISSION 61

EXAMEN DES CRÉDITS 61

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 63

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La France peut être fière de ses armées. À une époque où les rapports de force économiques et politiques ne sont pas forcément à notre avantage, personne ne conteste à la France son statut de grande puissance militaire. Le courage, l’audace et le savoir-faire de nos armées suscitent partout l’admiration, y compris chez les Américains. Et les militaires sont d’excellents ambassadeurs de la France dans le monde : ils sont fiers de porter le drapeau.

Ce constat, le Président de la République le partage, puisqu’il n’hésite pas à déployer notre armée pour contrer les menaces, nombreuses et inquiétantes, de notre environnement international. Mali et Centrafrique en 2013, mise en place de Barkhane au Sahel et campagne aérienne en Irak en 2014 : nos militaires sont très engagés, souvent bien seuls, sur des théâtres risqués et dans des conditions difficiles.

Mais notre outil militaire atteint ses limites. Les équipements, fortement sollicités en OPEX, peinent à se régénérer, et les livraisons de nouveaux matériels, étalées dans le temps pour faire face à la baisse des budgets, sont trop lentes au regard des besoins. De manière plus inquiétante encore, les savoir-faire militaires menacent de s’éroder, en raison de l’insuffisance de l’entraînement générique. Pour le moment, nos armées vivent sur leurs acquis : mais cela ne pourra durer qu’un temps.

La loi de programmation militaire pour 2014-2019 a entériné la baisse du niveau d’ambition de notre défense. Il s’agissait du dernier repli du modèle d’armée complet qui, seul, permet à la France d’être une puissance à vocation mondiale. Pour cela, le budget de la défense ne devait pas descendre en-dessous de 31,4 milliards d’euros, avant de remonter en puissance à partir de 2016.

Le projet de budget pour 2015 affiche nominalement ce montant. Mais c’est un budget insincère : il manque à ce stade 2,1 milliards d’euros de recettes exceptionnelles. Le Gouvernement nous assure que la création de « sociétés de projet » – qui sont encore à l’étude ! – permettra de combler ce « trou ». Mais à l’heure du vote du budget, de lourdes incertitudes subsistent. Elles portent aussi sur la fin de l’exécution budgétaire pour l’année 2014 : les reports de charges des années antérieures, les surcoûts liés aux dysfonctionnements du logiciel Louvois et aux opérations extérieures sont autant de facteurs qui rendent plus qu’improbable une exécution conforme à la prévision.

Dans ce contexte, votre rapporteur ne peut qu’être inquiet, parce que les efforts de rationalisation et d’inventivité des militaires ne pourront pas indéfiniment compenser le manque chronique de ressources.

I. UN CONTEXTE STRATEGIQUE PRÉOCCUPANT, UN DISPOSITIF MILITAIRE EN SURTENSION

A. LA PROLIFERATION DES MENACES

S’il serait vain de dresser le tableau de l’ensemble des menaces qui caractérisent, aujourd’hui, notre environnement stratégique, certaines d’entre elles ont particulièrement retenu l’attention de votre rapporteur.

1. La menace terroriste a pris une dimension inquiétante

a. La brutale expansion de Daech au Proche et Moyen-Orient

L’expansion très rapide du groupe terroriste Daech en Irak et en Syrie a indéniablement représenté une surprise stratégique. Ce groupe, né en Irak pendant l’occupation américaine et issu d’Al-Qaïda, s’est en progressivement affranchi pour devenir l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), fortement implanté en Syrie à la faveur du chaos créé par la guerre civile, à partir de 2013. En 2014, la montée en puissance de Daech a été fulgurante. Cela tient au fait que le groupe utilise les opportunités qui se présentent avec une grande rapidité. Daech tire ainsi profit de la politique sectaire du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki pour s’allier les tribus sunnites laissées pour compte et mener une offensive sur le territoire irakien. Le 9 juin 2014, Daech parvient à s’emparer de Mossoul, et s’autoproclame « Etat islamique » le 29 juin, annonçant l’établissement d’un califat sur les zones contrôlées. Au mois d’août, Daech accroît le rythme de ses conquêtes territoriales et réussit des percées foudroyantes contre l’armée irakienne, mais aussi dans le Kurdistan irakien. Le groupe se livre à des exactions effroyables sur les populations des zones conquises, notamment les minorités chrétiennes, turkmènes et yézidis. À partir du mois de septembre, voyant sa progression ralentie en Irak, du fait notamment des bombardements aériens menés par les États-Unis, Daech accentue ses offensives en Syrie, prenant le contrôle de vastes zones au Nord et à l’Est du pays, et menaçant la ville kurde de Kobané, frontalière avec la Turquie. En Irak, le groupe tend à passer d’une logique de conquête territoriale à une logique plus asymétrique, se mêlant aux populations locales pour déjouer la campagne de bombardements aériens.

La montée en puissance de Daech est extrêmement préoccupante à plusieurs égards. En premier lieu, l’ambition de ce groupe, illustrée par le vocable « État islamique », est inédite. À la différence d’Al-Qaïda, Daech est dans une logique de conquête territoriale. C’est bien le sens du terme « califat », qui peut faire référence au califat de Bagdad, lequel s’étendait de l’Espagne à l’Iran avant sa chute au VIIIe siècle. Cette ambition territoriale couvre l’Irak et la Syrie, mais aussi la Jordanie, le Liban et la Palestine. En outre, Daech a les moyens de ses ambitions. Ses percées contre l’armée irakienne lui ont permis de mettre la main sur des équipements lourds et modernes. Il bénéficie de ressources financières substantielles, en stock et en flux, grâce à l’exploitation des puits de pétrole, des postes frontaliers ou des barrages sur lesquels il a mis la main. Par ailleurs, le groupe exerce une forte attraction sur les djihadistes du monde entier, qui rallient l’Irak et la Syrie par milliers. Et il parvient à nouer des partenariats, exploitant les intérêts en jeu. Il a ainsi obtenu le ralliement des tribus sunnites mises à l’écart par Nouri al-Maliki et d’anciens cadres du régime de Saddam Hussein. De la même façon, il parvient à obtenir le soutien des populations locales en organisant une vie sociale dans les territoires conquis.

Enfin, Avec Daech, se développe une nouvelle génération de terroristes, extrêmement radicalisés, utilisant la terreur et une violence totalement désinhibée contre leurs adversaires et les populations des territoires conquis. Ils exercent une forte influence sur les jeunes radicalisés dans le monde entier, et sur les autres mouvances terroristes, grâce à un usage intensif des moyens de communication modernes, en particulier les réseaux sociaux. Le spectre d’une jonction entre des groupes auparavant relativement indépendants les uns des autres, du Golfe de Guinée au Moyen-Orient, se dessine.

b. Le « hub » libyen et le renouveau des groupes terroristes sahéliens

L’effondrement de l’Etat libyen a entraîné un vide sécuritaire favorable à l’implantation de groupes terroristes de mouvances diverses, actives dans la bande sahélo-saharienne : Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al Mourabitoune, Ansar al-Charia... Le Fezzan, territoire du Sud libyen, sert ainsi de « hub » où les terroristes viennent s’approvisionner, y compris en armes, et se réorganiser, pour préparer de nouvelles opérations. Selon l’état-major des armées, on observe des flux de circulation importants sur l’« autoroute djihadiste » qui va du sud libyen au Nord-Mali. Une autre destination des terroristes qui transitent par la Libye est Boko Haram, au Nigéria. Le risque existe donc qu’une coordination voie le jour entre ces différentes mouvances terroristes. Par ailleurs, elles pourraient chercher à inscrire leur action dans le cadre des conflits locaux, comme c’était le cas au Mali avant l’opération Serval, et à prendre le contrôle des routes de trafics.

On observe d’ores et déjà une recrudescence de l’activité des groupes armés qui cherchent à se réimplanter au Nord-Mali, à la faveur de la régionalisation du dispositif militaire français (cf infra). La force de maintien de la paix des Nations Unies (MINUSMA) a ainsi été victime de plusieurs attentats meurtriers, plus particulièrement depuis la mi-septembre. Cela intervient dans un contexte où l’armée malienne semble encore loin d’être prête à assumer la sécurité du pays, comme l’a illustré le cuisant revers essuyé contre le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), en mai dernier, à Kidal, qui l’a contrainte à se retirer de certaines zones du nord du pays. Le processus de réconciliation nationale visant à apporter une solution politique au conflit malien est en cours, sous l’égide de l’Algérie. La situation sécuritaire reste néanmoins très fragile dans ce pays, et ne peut être traitée séparément du reste de la zone sahélienne, caractérisée par une extrême porosité de ses frontières.

c. La montée en charge de Boko Haram au Nigéria et au Cameroun

Boko Haram est initialement une secte issue de la mouvance salafiste, créée en 2002 par Mohammed Youssouf, à Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno, au nord-est du Nigéria. Le groupe, dont le nom signifie « l’éducation occidentale est un péché », prône l’établissement de la charia dans tout le pays. Au fil du temps, le mouvement va évoluer et se radicaliser, du fait notamment de la répression menée par le gouvernement nigérian. L’exécution de Mohammed Youssouf en 2009 représente à cet égard un tournant majeur. Un an plus tard, Aboubakar Shekau se proclame leader du groupe, qui multiplie les attaques et les attentats-suicides dans le pays, en particulier contre les populations chrétiennes, et persécute les musulmans dont l’interprétation de la charia n’est pas jugée conforme.

À partir de 2013, devant la montée en puissance des attaques de Boko Haram, le Président nigérian Goodluck Jonathan déclare l’état d’urgence dans le pays. Le groupe terroriste s’attaque à présent à des villages entiers, et procède à l’enlèvement de 276 lycéennes dans le nord-est du pays en avril 2014. Le 24 août 2014, Aboubakar Shekau proclame un califat islamiste dans la ville de Gwoza, dans le nord-est.

La montée en charge de Boko Haram est inquiétante à plusieurs égards. Premièrement, le Gouvernement nigérian ne semble pas en mesure de la contrer, malgré la présence de conseillers militaires américains déployés auprès des forces armées nigérianes, qui n’ont pour l’instant pas fait la preuve de leur efficacité sur le terrain. Par ailleurs, Boko Haram est une menace pour la stabilité du Cameroun, où il mène des attaques ponctuelles. La relative dissémination du groupe, qui semble avoir des partisans non seulement dans le nord du Nigéria, mais aussi au Tchad et au Niger, fait craindre une extension de son champ d’action. C’est d’autant plus préoccupant que des connexions pourraient s’établir avec d’autres mouvances terroristes, en particulier sahéliennes. D’ailleurs, l’équipement sophistiqué dont dispose Boko Haram pourrait provenir en partie de pillages de dépôts libyens : cela montre l’extrême mobilité des mouvances terroristes dans cette zone. En juillet 2014, Boko Haram a apporté son soutien à Daech, sans toutefois lui porter allégeance.

2. La fragilité des États, une vulnérabilité majeure

a. La paix introuvable en Centrafrique

Depuis l’automne 2013, une véritable guerre civile fait rage en Centrafrique entre les milices Séléka, à majorité musulmane et fidèles au Président Djotodia, et les milices d’autodéfense anti-balaka, à majorité chrétienne. Initialement, les milices anti-balaka se sont constituées en réponse aux multiples persécutions des Séléka au pouvoir. À compter de l’automne, la violence est la norme dans les deux camps qui se livrent à des exactions sur les populations, dans une spirale infernale d’attaques et de représailles qui font les milliers de morts et des centaines de milliers de réfugiés et déplacés. Le déploiement des troupes de la MISCA et de Sangaris à partir de décembre 2013 permet d’abaisser le niveau général des violences, mais la situation demeure très instable.

Sur le plan politique, la situation progresse très lentement. En janvier 2014, Michel Djotodia avait démissionné, laissant la place à Catherine Samba-Panza, chef d’État de transition de confession chrétienne, dans l’attente d’élections qui doivent être organisées lorsque la situation sécuritaire le permettra. Un accord de cessation des hostilités est signé le 23 juillet 2014 à Brazzaville entre les représentants des principales mouvances ex-Séléka et anti-balaka. Cependant les signataires ne contrôlent pas l’ensemble des mouvances qu’ils sont censés représenter, et cet accord ne tarde pas à être violé : violences et représailles se succèdent à nouveau. En août, la Présidente nomme un Premier ministre musulman, Mahamat Kamoun, chargé de constituer un gouvernement d’ouverture. Mais l’absence de progrès sur le terrain rend la perspective des élections présidentielles en février 2015, comme cela avait été initialement prévu, particulièrement irréaliste.

b. Les incertitudes de la transition politique afghane

L’année 2014 était marquée par ce qui devait être la première transition politique démocratique afghane depuis le renversement du régime des Talibans. Le 14 juin 2014, Ashraf Ghani sort vainqueur du second tour des élections présidentielles, devant Abdullah Abdullah, qui disposait pourtant d’une absence confortable au premier tour. Des soupçons de fraude massive pèsent sur ces élections, et un audit élargi des bulletins de vote est organisé. Abdullah Abdullah ne cesse néanmoins d’en dénoncer les insuffisances, et chaque camp continue de revendiquer la victoire. S’ensuivent trois mois de crise politique, qui font craindre que la transition ne s’enlise définitivement. Les deux camps parviennent finalement à un accord le 20 septembre. Le 29 septembre, Ashraf Ghani est investi Président de la République afghane, et Abdullah Abdullah devient le chef du Gouvernement. Les deux hommes se répartissent la nomination des membres du Gouvernement.

Si l’on peut se réjouir qu’un subtil équilibre ait pu être trouvé, la tâche qui attend le nouveau Gouvernement d’union sera ardue. En premier lieu, il devra faire face à l’insurrection des Talibans, qui a connu un regain d’ampleur depuis le mois de juin, tirant profit de la crise politique. Au cours de l’été, les Talibans ont grignoté du terrain face aux forces armées afghanes et fait des centaines de morts. Par ailleurs, le Gouvernement devra affirmer l’autorité de l’État, dans un pays où les provinces se sont toujours montrées rebelles à l’autorité centrale. Les forces armées afghanes semblent, malgré le soutien de la communauté internationale, bien en peine pour garantir la sécurité dans le pays, alors que l’essentiel des troupes de l’OTAN doit se retirer du pays à la fin de l’année 2014. Sitôt intronisé, Ashraf Ghani a signé deux accords de sécurité avec les États-Unis (traité BSA) et avec l’OTAN (traité SOFA), qui permettront de maintenir la présence de 12 500 militaires étrangers dans le pays en 2015, en appui aux forces armées afghanes.

En dépit du « sauvetage » de la transition politique, le contexte demeure ainsi particulièrement inquiétant, dans ce pays qui assure 90% de la production d’héroïne mondiale.

c. Le Libéria dévasté par Ébola

L’épidémie d’Ébola a conduit l’État libérien au bord de l’implosion. Elle exacerbe les difficultés de ce pays, longtemps déchiré par la guerre civile : institutions faibles, extrême pauvreté, sécurité précaire et corruption généralisée dans la sphère politique. Le système de santé de ce pays qui ne disposait que de 45 médecins pour 4,5 millions d’habitants, selon Médecins sans frontières (MSF), était ainsi particulièrement vulnérable.

Les autorités libériennes n’ont pris conscience de la gravité de la situation qu’au mois de juillet 2014, et ont été dans l’incapacité de déployer une réponse adéquate. Les laboratoires et centres d’isolation et de quarantaine se sont retrouvés complètement débordés dès le mois d’août. Les équipements médicaux qui faisaient cruellement défaut sur le terrain se sont entassés dans des locaux du ministère de la santé, faute de personnel pour les distribuer. Le système de santé libérien a cessé de fonctionner : les hôpitaux sont restés fermés, en raison de l’absentéisme des fonctionnaires, mal rémunérés et mal équipés. Cela a eu pour effet collatéral d’entraîner des décès habituellement évitables pour des pathologies autres qu’Ébola (paludisme, fausses couches, accidents de la route, etc.). Selon MSF, ces dysfonctionnements s’avèrent aussi létaux que l’épidémie en elle-même. Le Libéria est également dépourvu de personnel formé pour l’information et la communication envers les communautés et pour le suivi psychosocial, ce qui a beaucoup nui à la prise de conscience de la gravité de l’épidémie par la population, qui persiste dans un certain déni.

La dissolution de l’État libérien est inquiétante à plusieurs égards. Bien évidemment, elle fait craindre une propagation incontrôlable de l’épidémie aux pays voisins et au-delà, en dépit des mesures de confinement qui ont été adoptées. Par ailleurs, se dessine le dangereux spectre d’un vide sécuritaire dans cet État voisin de la Côte d’Ivoire et du Mali où nos forces sont engagées. La situation sanitaire a fait reculer la montée en puissance des forces de sécurité, qui ne peuvent plus ni recruter, ni former. Le déploiement des forces de police est d’ailleurs très faible à l’extérieur de Monrovia. Le niveau de violence dans le pays pourrait donc remonter en intensité, en dépit de la présence de la force des Nations Unies (MINUL), sur le terrain depuis 2003.

3. Des enjeux maritimes croissants

a. La piraterie évolue mais ne faiblit pas

L’opération Atalante, lancée en 2008 par l’Union européenne – et son pendant otanien Ocean Shield – pour lutter contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique, a porté ses fruits. Pour l’heure, le phénomène semble à peu près contenu. Cela tient aussi à la pression politique exercée sur les forces des États de la région et au recours généralisé à des équipes de protection armées à bord des navires marchands. Quelques attaques isolées ont cependant été recensées, illustrant le fait que les pirates ne tarderaient pas à reprendre leurs activités si la communauté internationale venait à abaisser son niveau de vigilance.

En revanche, la piraterie connaît un développement inquiétant dans le Golfe de Guinée. Il demeure difficile à apprécier, dans la mesure où, d’après les informations du bureau maritime international, la plupart des attaques ne sont pas rapportées. Le phénomène s’est beaucoup professionnalisé au cours des dernières années : les pirates ne se contentent plus d’arrêter les bateaux, mais tuent les équipages et prennent le contrôle des bâtiments. Le soutage illégal se développe, à la faveur des importations croissantes de pétrole raffiné, dont les pirates peuvent immédiatement tirer profit, à la différence du pétrole brut. L’on observe le même phénomène dans le détroit de Malacca, en Asie du Sud-Est. La marine française a en permanence un bâtiment dans le Golfe de Guinée dans le cadre de l’opération Corymbe, qui s’avère toutefois largement sous-dimensionnée au regard des enjeux.

Le développement de la piraterie est préoccupant dans cette région qui est, selon les termes du chef d’état-major de la marine, un « laboratoire de toutes les menaces auxquelles nous sommes confrontés » : pêche illégale, trafics en tous genres, terrorisme. Ces phénomènes risquent de se nourrir et de se renforcer mutuellement. Les actes de piraterie tendent à se concentrer au large du Nigéria, où sévit Boko Haram, de sorte qu’un scénario à la somalienne doit être redouté pour ce pays.

b. La ZEE française toujours plus exposée

Le France dispose du second domaine maritime du monde, avec 11 millions de km² de surface, grâce à ses possessions outre-mer. Or les fonds marins sont susceptibles de receler des ressources précieuses. La zone du canal du Mozambique, par exemple, où la France possède les Îles Éparses, pourrait devenir une nouvelle « Mer du Nord », en raison de ses réserves évaluées en hydrocarbures.

Or, les ressources des fonds marins suscitent de plus en plus de convoitises. Le développement considérable des marines illustre cette « maritimisation des enjeux », selon les termes de l’Amiral Rogel, chef d’état-major de la marine. Entre 2010 et 2013, la Chine aurait ainsi construit une frégate tous les trois mois. Et la Russie modernise activement ses forces sous-marines. Selon l’Amiral Rogel, il faut ainsi s’attendre à des rivalités croissantes au sujet des ressources des fonds marins, qui justifient que la France se donne les moyens de défendre sa zone économique exclusive (ZEE).

4. Des menaces proches du territoire national

a. À la frontière de l’Europe : la crise russo-ukrainienne

En avril 2014, la Russie a procédé à l’annexion unilatérale de la Crimée, région autonome ukrainienne à population russophone, en violation manifeste du droit international. Depuis, la guerre civile fait rage dans l’est de l’Ukraine entre les forces armées nationales et les rebelles pro-russes, soutenus par la Russie, en dépit de l’accord de cessez-le-feu signé le 5 septembre dernier à Minsk, sous la médiation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et malgré les sanctions économiques appliquées par les États-Unis et l’Union européenne à l’encontre de la Russie.

Si cette crise illustre avant tout la volonté de la Russie de reprendre la main sur son « étranger proche », elle n’en constitue pas moins une remise en cause de la souveraineté territoriale d’un État à la limite du territoire de l’Union européenne. Elle a rappelé à certains de nos alliés, en particulier orientaux et baltes, que la paix en Europe ne pouvait être considérée comme une donnée définitive. En conséquence, ceux-ci ont insisté pour que l’Alliance atlantique se recentre sur sa vocation initiale de défense collective contre les menaces extérieures, c’est-à-dire, dans leur esprit, contre la menace russe. Se posait aussi la question de l’adaptation de la posture militaire de l’Alliance à la « guerre hybride » menée par la Russie en Ukraine, caractérisée l’utilisation des moyens détournés, tels que des opérations de forces spéciales ou des campagnes d’information.

Le sommet de l’OTAN de Newport, les 4 et 5 septembre derniers, a entériné ce souci de recentrage de l’Alliance sur la défense collective, après deux décennies d’engagements extérieurs. Les alliés ont adopté un « plan d’action pour la réactivité », qui repose sur des mesures de réassurance à destination des alliés baltes et orientaux et sur l’adaptation de la posture militaire de l’Alliance de façon à la rendre plus réactive, avec la création d’une Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF), susceptible de se déployer en quelques jours.

Cependant, cette crise, qui a pour effet de recentrer l’attention des Européens sur leur propre continent, ne doit pas conduire à se détourner des menaces non moins réelles, et, pour certaines, non moins proches, qui sévissent sur les flancs sud et sud-est de l’Europe. Or, les soldats français se trouvent bien seuls sur les théâtres africains, sur lesquels nous avons du mal à mobiliser nos partenaires européens.

Par ailleurs, la crise ukrainienne pourrait écorner la crédibilité de la garantie nucléaire. En 1994, l’Ukraine avait en effet renoncé à son programme nucléaire contre la garantie de son intégrité territoriale par la Russie (traité de Budapest). La crise ukrainienne pourrait relancer la prolifération nucléaire, les Etats y voyant le seul moyen d’assurer leur sécurité.

b. L’importation des menaces : les combattants étrangers

Le phénomène des combattants étrangers connaît un développement exponentiel avec la montée en puissance de Daech, galvanisé par ses succès militaires, relayés par une propagande active sur Internet : 40 000 messages ont été envoyés sur Internet dans les deux heures qui ont suivi la prise de Mossoul ! Une forte proportion des combattants de Daech sont ainsi étrangers.

La France est particulièrement touchée par ce phénomène. Plus de 1000 Français sont actuellement suivis à ce titre par les services de renseignement français. Il s’agit d’une nébuleuse d’individus qui sont présents aux côtés de daceh en Irak ou surtout en Syrie, manifestent d’intention de s’y rendre, sont en transit ou en sont déjà revenus. Ils sont, pour certains, très aguerris, et représentent un réel danger pour la sécurité national, en raison des attentats qu’ils sont susceptibles de commettre sur le sol national.

Le danger des combattants étrangers pour la France vient aussi des combattants d’origine nord-africaine, nombreux sur le théâtre irako-syrien. Ceux-ci peuvent venir, à leur retour, renforcer les groupes armés terroristes avec lesquels nos soldats sont aux prises dans la bande sahélo-saharienne. Les combattants d’origine européenne en général doivent être considérés comme une menace, dans la mesure où les terroristes ne frappent pas nécessairement leur pays d’origine. C’est en Belgique qu’a sévi Mehdi Nemmouche, un terroriste français qui avait séjourné dans les rangs de Daech en Syrie, et a froidement abattu quatre personnes dans le Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014.

Le Gouvernement a cherché à renforcer le dispositif national de lutte contre le terrorisme. Par une action de prévention d’abord : une plateforme téléphonique a été créée pour permettre aux familles de signaler le risque de « basculement » d’un de leurs proches. Par ailleurs, le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (1), adopté en première lecture par les deux assemblées, instaure une autorisation administrative de sortie de territoire à l’encontre des individus suspectés de vouloir partir combattre aux côtés d’organisations terroristes. Il prévoit par ailleurs le blocage des sites diffusant des images et de la propagande terroristes, et crée une infraction d’entreprise terroriste individuelle, afin de pouvoir inculper les individus suspectés de préparer des actions terroristes en « loup solitaire ».

Cependant l’efficacité de ce dispositif reposera avant tout sur la capacité de nos services de renseignement, DGSI et DGSE, à identifier et surveiller les individus les plus dangereux. Le caractère massif du phénomène les oblige à prioriser leur action, ce qui comporte toujours une part de risque. Dans ce contexte, le renforcement de leurs effectifs et de leurs moyens est, plus que jamais, nécessaire (cf infra).

PRINCIPAUX PAYS DE DÉPART DES COMBATTANTS ÉTRANGERS DE DAECH

Pays de départ

Liban

Jordanie

Tunisie

Egypte

Maroc

France

Royaume-Uni

Allemagne

Belgique

Estimation des combattants présents sur le théâtre (mai 2014)

2000

2000

1500 à 2000

1000

800

300 à 400

300 à 400

300

200 à 300

Source : ministère de l’Intérieur

B. UN APPAREIL MILITAIRE EXTRÊMEMENT SOLLICITE

1. Les engagements extérieurs se multiplient

En 2014, environ 9000 militaires sont stationnés à l’étranger dans le cadre d’OPEX (cf tableau). On observe un recentrage des engagements français en Afrique, au profit d’opérations nationales, qui mobilisent 76% des effectifs déployés de l’armée de terre.

a. L’opération Sangaris en Centrafrique

Le 5 décembre 2013, la France a lancé l’opération Sangaris en République centrafricaine, pour mettre en fin aux exactions commises par les milices anti-balaka, de confession chrétienne, et ex-Séléka, de confession musulmane. Cette intervention a été autorisée par la résolution 2127 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a validé le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) pour mettre fin à « la faillite totale de l’ordre public, l’absence d’État de droit et les tensions interconfessionnelles » qui sévissent dans le pays. Selon cette résolution, la MISCA pourra être appuyée par les forces françaises, autorisées à prendre « toutes les mesures nécessaires ».

La force Sangaris compte environ 2000 hommes, répartis en un poste de commandement, trois groupements tactiques interarmes, un sous-groupement renseignement et un sous-groupement aéromobile. Ils ont pour mission de mettre fin aux violences et de rétablir un minimum de sécurité dans le pays, tout en appuyant la montée en puissance de la MISCA, puis de la force de maintien de la paix de l’ONU, la MINUSCA, à partir de septembre 2014. Inégalement dotée en équipements lors des premiers mois, Sangaris est à présent pourvue de matériels modernes (VBCI et bientôt Tigre), qui lui permettent de prendre l’ascendant sur l’adversaire lorsque c’est nécessaire. Elle bénéficie des moyens aériens déployés dans le cadre de l’opération Barkhane et gérés par un commandement centralisé (cf opération Barkhane).

La France se trouve bien seule en Centrafrique. Elle a eu beaucoup de difficultés à obtenir le déploiement d’une mission de l’Union européenne, EUFOR RCA, opérationnelle depuis le 14 juin. Cette force, qui a pour mission d’assurer la sécurité de l’aéroport et de certains quartiers de la capitale, Bangui, compte 750 soldats, dont plus de 300 Français. Sept autres nations fournissent des contingents : l’Espagne, la Pologne, l’Italie, l’Estonie, la Lettonie, la Finlande et la Géorgie. Le mandat d’EUFOR RCA a été prolongé jusqu’en mars 2015, pour appuyer la montée en puissance de la MINUSCA. Celle-ci devrait être pleinement opérationnelle en avril 2015. Elle reprend l’essentiel des contingents de la MISCA, et devrait être complétée par des contingents marocains, bangladeshis, pakistanais, zambiens ou encore par l’armée mauritanienne, qui pourrait à terme servir de force de réaction rapide.

Dans ce contexte, les effectifs de Sangaris devraient rester inchangés jusqu’à la fin de l’année, avant de décroître progressivement au cours de l’année 2015, dès que la situation le permettra, pour venir se placer en appui de la MINUSCA, dans une logique de force de réaction rapide. L’extrême instabilité du pays et la lenteur du processus de réconciliation nationale laissent cependant planer quelques doutes sur l’horizon auquel la MINUSCA sera en mesure d’assurer seule la sécurité, dans une optique de maintien de la paix.

b. Régionalisation du dispositif dans la bande sahélo-saharienne

Le 1er août 2014, les opérations Serval, au Mali, et Epervier, au Tchad, ont fusionné dans le cadre d’un dispositif régional contre les groupes armés terroristes portant sur l’ensemble de la bande sahélo-saharienne, l’opération Barkhane. Cette évolution devait initialement avoir lieu au mois de juin, mais avait été repoussée après la déroute de l’armée malienne à Kidal, en mai 2014. La force Barkhane doit se stabiliser autour d’un format de 3000 hommes, actifs sur une zone qui s’étend de la Mauritanie au Tchad. Sur de telles élongations, le succès de l’opération ne peut reposer sur les seuls militaires français. C’est pourquoi le dispositif vise à mettre en œuvre un partenariat élargi avec les forces armées africaines, chargées d’assurer la sécurité de leurs frontières. À ce titre, les accords de défense et de coopération liant la France aux pays de la région ont été revus. Les militaires français travaillent ainsi « main dans la main » avec les armées africaines, qu’ils forment, qu’ils aident et encadrent lors d’opérations communes, sur le terrain et à l’état-major.

L’opération Barkhane comprend un poste de commandement unique, situé à N’Djamenah, un dispositif aéroterrestre au Mali, centré sur Gao, un détachement interarmées axé sur le recueil du renseignement à Niamey, au Niger, un détachement de forces spéciales au Burkina-Faso, un dispositif aéroterrestre au Tchad, à N’Djamenah, et un petit détachement dédié à la formation des forces armées en Mauritanie. Le dispositif est adapté à l’immensité du territoire, qui nécessite plus d’hélicoptères, de drones et de coopération internationale. Les États-Unis apportent un appui précieux à nos armées, en particulier pour le renseignement et le ravitaillement en vol. Quatre drones Reaper américains effectuent ainsi des missions en soutien de l’opération Barkhane ; ils sont mis en œuvre aux côtés des deux drones Reaper Français, depuis la base de Niamey. Par ailleurs, Barkhane dispose d’une vingtaine d’hélicoptères, d’environ 200 véhicules logistiques et autant de véhicules blindés, de 6 avions de chasse, 7 avions de transports, ainsi que de deux drones d’ancienne génération Harfang aux côtés des Reaper.

Les moyens aériens et de renseignement déployés dans le cadre de l’opération Barkhane peuvent également être utilisés, en fonction des besoins, pour l’opération Sangaris en RCA. Le commandement des opérations aériennes s’effectue intégralement à distance, depuis la base aérienne enterrée de Mont-Verdun, à 20 km de Lyon. Elle assure ainsi une gestion centralisée des moyens aériens, qui peuvent utilisés en renfort de Barkhane ou de Sangaris dans la même journée.

La force Barkhane joue également le rôle de force de réaction rapide auprès de la MINUSMA, la force de maintien de la paix de l’ONU au Mali, en vertu de la résolution 2164 de l’ONU. La MINUSMA compte pour le moment 8200 militaires environ, et doit atteindre sa pleine capacité opérationnelle en 2015, avec un objectif de 11 200 soldats.

Le vide sécuritaire en Libye en fait un réservoir pour les groupes armés terroristes qui sévissent dans la bande sahélo-saharienne. Le dispositif de Barkhane va s’adapter en conséquence. Une base avancée temporaire est en train d’être créée à Madama, au Nord-Niger, à une centaine de kilomètres de la frontière libyenne. L’objectif est de pouvoir ainsi « cueillir » les terroristes qui circulent du Sud-Libyen au Nord-Mali, par la passe du Salvador. Cette base, qui rassemblera une cinquantaine de militaires français, sera colocalisée avec les forces armées nigériennes, et à proximité d’un regroupement d’une base américaine.

Par ailleurs, Boko Haram monte en puissance dans le dos et sur les flancs du dispositif Barkhane, et des risques de jonction existent entre les mouvances terroristes sahéliennes. L’armée réfléchit à adapter son dispositif à cette nouvelle donne. Selon le chef d’état-major de l’armée de terre, une solution serait de redéployer les hommes de Sangaris à la faveur de l’installation de la MINUSCA, pour couvrir le dispositif Barkhane sur une bande sahélo-saharienne élargie, où 4000 soldats seraient déployés.

LE DISPOSITIF BARKHANE DANS LA BANDE SAHÉLO-SAHARIENNE

ttp://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/images/operations/barkhane/barkhane-regionalisation-des-operations-et-dispositif-logistique/carte-logistique-bss/4306789-1-fre-FR/carte-logistique-bss.jpg

c. Trois nouveaux théâtres à l’automne

• L’opération Chammal en Irak

Devant les avancées de Daech en Irak et en Syrie, la France a accepté, à la suite des Etats-Unis, de participer à la campagne de bombardements aériens contre les positions de Daech en Irak. Cette intervention, lancée le 19 septembre dernier et baptisée Chammal, répond à une demande des autorités irakiennes, et vise à apporter un appui aérien aux troupes au sol, les forces armées irakiennes et les peshmergas kurdes. Plusieurs autres pays se sont ralliés à la campagne aérienne : outre les pays du Golfe, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark. Mis à part les Etats du Golfe, principalement les Emirats arabes unis, et les Etats-Unis, les pays circonscrivent pour l’instant leurs frappes au territoire irakien.

Pour la France, cette opération repose sur les moyens prépositionnés sur la base aérienne d’al-Dhafra, aux Emirats arabes unis, renforcés par quelques moyens en provenance de la métropole. Pour l’heure, Chammal dispose ainsi de neuf Rafale, d’un ravitailleur C-135FR, d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2, ainsi que de la frégate aérienne Jean Bart, qui s’intègre au dispositif allié – essentiellement américain – de contrôle aérien dans la zone.

La France doit pouvoir contribuer à la détermination de ses cibles. Des missions de renseignement sont donc menées quotidiennement afin de recueillir du renseignement autonome. Dans un premier temps, la contribution française à la campagne aérienne est restée modeste : seules deux frappes ont été menées au cours du premier mois, contre des dépôts logistiques et des véhicules de Daech. Cela tient au fait que l’organisation s’est adaptée à la campagne aérienne : elle a appris à se camoufler, et se mêle davantage à la population civile. Cela tient aussi à la difficulté de déterminer des cibles, dans un contexte où il est impératif de discriminer entre Daech et les tribus sunnites qui lui sont alliées. À défaut, les frappes auraient pour effet de resserrer cette alliance qui a été l’une des raisons du succès des terroristes. Cependant, le rythme des frappes s’est nettement accru compter du 19 octobre. Le 23 octobre, la France a participé à un raid massif de la coalition contre un camp djihadiste. Deux Rafale de l’armée de l’air étaient mobilisés ; ils ont largué chacun douze bombes guidées laser sur autant de bâtiments, avec succès, portant un coup certain à la logistique du groupe terroriste. La vieille, des Rafale avaient ouvert le feu sur des positions djihadistes au canon de 30 mm afin d’éviter les dommages collatéraux, ce qui les avait conduits à se rapprocher de leur cible, assumant ainsi des risques considérables.

• En Ukraine

Dans le cadre d’une coopération franco-allemande, des drones tactiques intérimaires devraient être déployés en Ukraine au profit de l’OSCE, aux côtés de drones allemands, afin de surveiller le respect du cessez-le-feu et de la zone tampon. Toutefois, le calendrier précis n’est pas encore connu, les discussions avec la Russie ayant entraîné un report de ces déploiements initialement prévus pour le mois d’octobre.

• La lutte contre Ébola au Nigéria

Trois pays sont particulièrement touchés par le virus Ébola : la Guinée Conakry, le Libéria et la Sierra Leone. En vertu d’une sorte de répartition des rôles fondée sur leurs liens historiques avec les pays concernés, la France intervient plus spécifiquement en Guinée, tandis que les États-Unis concentrent leurs efforts au Libéria, et le Royaume-Uni en Sierra-Leone.

La lutte contre Ébola engage le Service de santé des armées (SSA), sous la coordination du ministère des Affaires étrangères. Pour l’heure, il s’agit essentiellement de contribuer à l’installation d’un centre de soins en Guinée forestière, pilotée par la Croix Rouge. Votre rapporteur remarque que le Président de la République avait initialement évoqué la création d’un hôpital militaire dans ce pays, mais nous n’avons pas pu obtenir de renseignements sur les suites données à ce projet, qui semble avoir été abandonné.

Par ailleurs, le SSA assure, conjointement avec l’armée de l’air, le soutien des forces françaises projetées et Afrique et qui pourraient être menacées par l’épidémie (capacité Medevac). Si un cas de contagion se présentait, le SSA renforcerait sa présence sur le terrain, où il déploie en permanence près de 450 personnels. Pour cela, une unité médicale opérationnelle (UMO) est en cours de constitution et devrait être pleinement opérationnelle au début du mois de novembre. Le SSA contribue aussi à l’accueil des patients potentiellement infectés en métropole.

Des discussions seraient en cours pour déterminer les modalités d’un concours accru des forces armées à la lutte contre l’épidémie.

d. La marine déployée tous azimuts

L’une des caractéristiques de la marine est d’être déployée. Dans ce cadre, il est difficile de distinguer les opérations à l’extérieur qui relèvent d’une posture permanente, comme la police de l’Etat en mer, de l’engagement de la marine dans le cadre d’opérations extérieures, ou « OPEX ».

Le Livre Blanc de 2013, prenant acte de la réduction des moyens alloués, prévoyait que la marine passerait de trois à deux zones de déploiement dans le monde. Selon l’Amiral Rogel, chef d’état-major de la marine, les moyens de son armée sont actuellement déployés sur quatre zones : méditerranée orientale, golfe arabo-persique, océan Indien et mer noire. Par ailleurs, la marine mène dans le Golfe de Guinée l’opération Corymbe pour lutter contre la piraterie. Elle a procédé à l’évacuation des ressortissants français de Libye dans la nuit du 29 au 30 juillet. Par ailleurs, elle apporte sa contribution aux opérations extérieures terrestres : à Barkhane, avec ses commandos marine, et à Chammal, avec un Atlantique 2 et la frégate Jean Bart. La marine participe aussi à la neutralisation des engins explosifs, à la lutte contre l’immigration illégale et les narcotrafics, à la police de pêches et à la surveillance des menaces contre l’environnement.

Ainsi, à l’heure actuelle, 6000 marins sont en mer, et quarante-cinq bâtiments sont déployés, soit la moitié des bâtiments en possession de la marine, qui se trouve ainsi en situation de suremploi par rapport au contrat opérationnel fixé par le Livre Blanc de 2013.

EFFECTIFS OPEX

     

Effectifs moyens année 2013

Effectifs moyens prévisionnels année 2014

Zone

Théâtre

Opération

Terre

Air

Marine

Autres (1)

Total

Terre

Air

Marine

Autres (1)

Total

Europe

Kosovo

TRIDENT

282

3

3

27

315

84

2

/

20

106

Bosnie

ASTREE

                   
 

Côte d'Ivoire

LICORNE

ONUCI/CALAO

CORYMBE

472

53

227

40

792

517

29

179

45

770

Afrique

Tchad

EPERVIER

456

355

2

61

874

556

520

5

80

1 161

Sahel

SERVAL MISMA/MINUSMA

3777

435

8

206

4 426

1723

392

74

142

2331

EUTM MALI

135

/

/

/

135

85

1

/

/

86

RCA

SANGARIS

         

1968

114

41

171

2 294

EUFOR RCA

         

154

2

4

2

162

BOALI / MICOPAX

506

7

1

10

524

         

Océan Indien

ATALANTE

2

1

305

/

308

1

/

213

/

214

Asie / PMO

Liban

DAMAN

843

10

7

26

886

842

17

5

30

894

Afghanistan

PAMIR

HERACLES

EPIDOTE

592

175

282

76

1 125

204

70

343

36

653

Autres opérations

167

39

56

11

273

223

11

23

/

257

Total

7 232

1 078

891

457

9 658

6 357

1 158

887

526

8 928

Source : ministère de la défense

2. Le courage et la qualité de nos armées forcent l’admiration

a. Des engagements risqués, dans des conditions difficiles

Les théâtres d’engagement des forces armées françaises, spécifiquement au Mali et en Centrafrique, se caractérisent par un haut niveau de violence et des conditions rustiques et difficiles.

En Centrafrique, les premiers mois de l’engagement français se sont déroulés dans des conditions extrêmement « rustiques » : accès restreint aux douches, aux moustiquaires, aux médicaments, absence de repas chauds, manque d’équipements et singulièrement de véhicules blindés… La mission elle-même s’avérait particulièrement éprouvante : confrontation avec des groupes armés très violents, sous un climat difficile à supporter, avec une seule demi-journée de repos par semaine. Si les conditions de vie se sont progressivement améliorées, la mission des militaires engagés dans Sangaris reste singulièrement difficile, en raison d’un environnement complexe sur le plan politique, qui se traduit sur le terrain par le caractère imprévisible des mouvances ex-séléka et anti-balaka. L’instabilité et l’incertitude qui dominent imposent aux militaires français d’agir avec discernement et réversibilité, de façon à maintenir le niveau de violence au plus bas, tout en ne laissant jamais douter de la détermination de la force. Les soldats engagés dans Sangaris bénéficient du sas de décompression de Paphos, à Chypre, à leur retour de mission, ce qui s’avère indispensable au vu de la dureté de l’engagement.

Dans la bande sahélo-saharienne, la météo extrême et la rusticité des conditions de vie rendent l’engagement particulièrement exigeant pour les militaires sur le terrain. Psychologiquement, la situation est sans doute moins dure qu’en Centrafrique, dans la mesure où les militaires participent à l’action principale contre le terrorisme et en retirent un sentiment de fierté. Il n’en demeure pas moins qu’ils font face à des adversaires qui utilisent la terreur comme mode d’action, dans des conditions climatiques auxquelles ils ne sont pas habitués en métropole. Cela justifierait que les militaires de retour de Barkhane bénéficient eux-aussi d’un passage par le sas de décompression.

b. Des compétences illustrées par quelques opérations emblématiques

Le début de l’opération Serval, en janvier 2013, avait illustré les grandes qualités des forces armées françaises. Cet engagement se caractérisait en effet par son audace, le niveau de risque assumé étant élevé, et un savoir-faire que bien peu d’armées dans le monde auraient été capables de déployer.

Au cours de l’année 2014, ces qualités ont à nouveau été mises en valeur par de belles opérations. En particulier, votre rapporteur tient à revenir sur l’opération menée dans le Nord-Niger dans la nuit du 9 au 10 octobre dernier par les forces spéciales françaises. 25 militaires au total, commandos parachutistes de l’air et commandos marine, ont détruit un important convoi de djihadistes qui circulait entre le sud de la Libye et le nord du Mali. Outre la capture et la neutralisation d’une quinzaine de terroristes, cette opération a permis de mettre la main sur près de trois tonnes d’armement, notamment des systèmes anti-aériens SA-7, des canons de 23 mm, plusieurs centaines de roquettes anti-char, des mitrailleuses et plusieurs milliers de munitions de calibre 7.62 à 23 mm. Il s’agit de l’une des plus importantes prises d’armement dans la région depuis l’engagement des forces françaises au Mali en janvier 2013. Cette opération n’a fait aucun blessé côté français. Outre qu’elle illustre le savoir-faire des forces spéciales françaises, l’opération souligne la pertinence du dispositif Barkhane, et en particulier de la création d’une base avancée à Madama, dans le Nord-Niger, pour intercepter les terroristes circulant sur le long de la frontière algérienne.

La qualité des opérations militaires repose aussi sur la qualité du renseignement collecté en amont. De ce point de vue, votre rapporteur tient à saluer le travail des services de renseignement français, qui se fait, par essence, dans l’ombre. Une récente opération, dont certains éléments ont été communiqués, permet de mettre en valeur le travail de la Direction générale pour le renseignement extérieur (DGSE). Il s’agit de l’élimination du chef des shebabs somaliens, Ahmed Abdi Godane, par une frappe de drone armé américaine, le 1er septembre dernier. Cette opération a été rendue possible par le travail de renseignement réalisé en amont par la DGSE, pour localiser la cible, la suivre en permanence afin d’identifier ses habitudes de vie, et proposer aux Américains une frappe qui comporte toutes les garanties nécessaires, en termes d’identification de la cible et d’absence de potentiels dommages collatéraux. Par ailleurs, la DGSE est aussi intervenue en aval, pour s’assurer que la cible avait bien été atteinte.

c. Un outil de rayonnement dans le monde entier

Le savoir-faire et l’audace de nos armées fait de la France un partenaire crédible, reconnu et même admiré de par le monde. Cette crédibilité pèse dans la relation avec les États-Unis, pour qui la France est un partenaire militaire de premier plan. Une vraie relation de confiance s’est tissée entre les deux armées, illustrée par la coopération qui s’est mise en place dans la bande sahélo-saharienne. Les Américains s’en remettent à la France pour assurer la sécurité dans cette région, apportant un appui logistique précieux, en particulier pour le ravitaillement en vol et les drones. La relation avec les Britanniques est aussi marquée par cette confiance mutuelle et ce respect pour la qualité des militaires français. L’opération Serval a suscité beaucoup d’admiration chez les Britanniques, tant en raison des compétences déployées que de l’audace de l’engagement.

La crédibilité de la France à l’échelle du monde s’exerce aussi sur les mers. Comme le souligne l’Amiral Rogel, le déploiement d’un bâtiment de premier plan battant pavillon français a pour effet de rassurer nos partenaires. C’est particulièrement vrai avec le porte-avions Charles de Gaulle, qui a un effet dissuasif par sa seule présence, et permet de placer la France dans le « club » des grandes marines à vocation mondiale.

3. Notre appareil militaire est surengagé au regard de ses moyens

a. Une tension très forte sur les matériels

En dépit de la baisse du niveau d’ambition des contrats opérationnels élaborés par le Livre Blanc 2013, les baisses de cibles, reports et étalements dans le temps des programmes d’équipement, conjugués à un usage intensif, dans des conditions difficiles, des matériels militaires, font que le niveau de déploiement actuel suscite une trop forte tension capacitaire.

• La préoccupante attrition des matériels en OPEX

Cette attrition atteint des niveaux inquiétants dans l’armée de terre, qui doit prolonger des matériels déjà anciens, dont la forte sollicitation en OPEX accélère le vieillissement. Les principaux parcs sous tension sont les VAB, les blindés médians et les vecteurs logistiques.

Le cas des véhicules de l’avant-blindé (VAB) est particulièrement révélateur. Ceux-ci ont une moyenne d’âge de 31 ans, et 620 d’entre eux doivent faire l’objet d’une reconstruction chez l’industriel, de retour d’OPEX. Les véhicules usés par l’engagement au Mali se sont ajoutés au stock issu de l’intervention en Afghanistan. Selon le chef d’état-major de l’armée de terre, vingt mois au Mali auraient plus usé les véhicules que les dix ans passés en Afghanistan, tant les conditions sahéliennes sont extrêmes. La reconstruction chez l’industriel dure entre un et deux ans, et a été lancée trop tardivement. 102 véhicules ont déjà été rendus à l’armée de terre, les autres devraient l’être progressivement au cours des quatre prochaines années. Ce chantier se traduit par la très faible disponibilité des véhicules en garnison, la priorité étant donnée aux OPEX.

Les hélicoptères font aussi cruellement défaut sur les théâtres d’opération, toutes catégories confondues. Les Puma et les Lynx sont vieux, et ne seront pas remplacés. Les Caracal et les Tigre ont des problèmes techniques, et coûtent très cher en entretien, en raison des conditions d’emploi très dures. Au total, le manque de disponibilité des hélicoptères tient avant tout à la saturation des capacités de des outils de maintenance étatique et industriels.

• Des lacunes capacitaires persistantes

Ces lacunes sont un facteur limitatif pour tous nos engagements. C’est le cas du transport stratégique ; l’arrivée progressive des A400M (cf infra) devrait permettre d’améliorer progressivement la situation.

Le cas des ravitailleurs en vol est plus problématique encore : la commande des MRTT, attendue pour la fin de l’année (cf infra) n’a pas encore été lancée, et les premiers avions arriveront au plus tôt en 2018-2019. Dans l’intervalle, nos troupes sont extrêmement dépendantes des Etats-Unis pour cette capacité clé dans la bande sahélo-saharienne, caractérisée par des élongations immenses. La possibilité du ravitaillement en vol est un facteur dimensionnant pour les opérations que nos soldats peuvent entreprendre dans cette zone. Les forces spéciales ont ainsi dû, faute de ravitailleur, procéder au largage d’essence à mi-parcours pour entreprendre une mission au Mali depuis la base de N’Djamenah. Et il a fallu envoyer des troupes au sol pour s’assurer que la cargaison était arrivée à bon port, faute de quoi les avions engagés n’auraient pas pu revenir à leur base une fois leur mission terminée.

Enfin, les drones sont une capacité indispensable dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elle fait encore bien trop souvent défaut, en dépit de la livraison de deux drones MALE Reaper en 2014, aussitôt envoyés sur la base aérienne de Niamey. Les drones sont indispensables pour localiser les têtes de réseau terroristes, et surtout pour suivre les cibles 24h/24. Les terroristes se caractérisent par leur extrême mobilité : si l’on perd la cible, elle disparaît. Seul un drone peut effectuer cette surveillance en continu. Par ailleurs, il serait précieux que les futurs drones MALE bénéficient de la capacité électromagnétique en plus de la capacité imagerie, qui ne permet d’avoir qu’un champ de vision assez restreint sur un théâtre, « comme à travers un tuyau de paille ».

b. Un équilibre dégradé pour les militaires

Cet équilibre se caractérise en principe par un juste dosage entre l’entrainement, qui permet aux militaires d’entretenir l’ensemble des compétences et pas seulement celles sollicitées en OPEX, les déploiements, qui sont la finalité ultime, et la vie de famille. Le niveau actuel d’engagement ne permet pas de préserver cet équilibre, ce qui se traduit par des conditions de vie et d’exercice dégradées pour les militaires.

La tension sur les matériels engendrée par le sur-déploiement en OPEX a inévitablement des répercussions sur les matériels disponibles pour l’entraînement des militaires en garnison. Les véhicules font cruellement défaut, et les soldats doivent, faute de chars, s’entraîner sur des camions. La disponibilité des matériels retentit ainsi directement sur la qualité de l’entraînement.

Par ailleurs, les déploiements en OPEX conduisent à concentrer les moyens dédiés à l’entraînement sur la préparation opérationnelle spécifique, au détriment de la préparation opérationnelle générique. A cours terme, cette situation ne semble pas trop préjudiciable, dans la mesure où les militaires vivent sur leurs acquis. Mais à moyen terme, le niveau général de compétences risque de s’éroder, en particulier pour les spécialités qui ne sont pas ou pas assez pratiquées sur les théâtres d’OPEX. Ce risque est particulièrement prégnant dans l’armée de terre, qui risque de se retrouver avec des soldats aguerris, du fait du rythme des opérations extérieures, mais sous-instruits, faute de moyens suffisants dédiés à l’entraînement générique. La marine est moins exposée à ce problème, dans la mesure où il lui suffit de naviguer pour que tout le monde s’entraîne : entraînement et activité sont concomitants.

Enfin, les militaires peuvent avoir du mal à tenir le rythme opérationnel qui leur est imposé, en particulier pour certaines unités très sollicitées, comme les forces spéciales. Votre rapporteur a ainsi eu l’occasion de s’entretenir avec des militaires des forces spéciales de l’armée de l’air qui avaient été déployés 200 jours au cours de la dernière année. Il n’est pas surprenant que de tels rythmes soient difficilement compatibles avec une vie de famille.

Préparation des forces armées :

Une activité tirée par les OPEX

Les tableaux ci-dessous permettent de résumer l’activité opérationnelle et l’entraînement des forces armées, au regard des objectifs fixés par la loi de programmation militaire, lesquels sont alignés sur les standards de l’OTAN.

• Activité dans l’armée de terre

Le taux d’activité de l’armée de terre est évalué en JPAO (cumul des JAO et des JPO) et en heures de vol (HdV) pour les pilotes d’hélicoptères. Dans les deux cas, il s’agit d’une moyenne rapportée aux seules forces terrestres projetables. Les journées de préparation opérationnelle (JPO) assurent un niveau de préparation qui, ajoutées à l’expérience conférée par les journées d’activité opérationnelle (JAO), constituent l’aptitude opérationnelle globale.

Année

JPAO (JPO + JAO)

HdV

Objectifs LPM 09-14

150 JPAO

180 (simulation incluse)

Réalisé 2012

109 (77 + 32)

170 (simulation incluse)

Réalisé 2013

120 (79 + 41)

157 (hors simulation)

Objectifs LPM 14-19

90 JPO

180 (hors simulation)

Prévision 2014

83 JPO

156 (hors simulation)

Prévision 2015

83 JPO

156 (hors simulation)

Source : ministère de la Défense

• Activité dans la marine

 

Unités

2012
Réalisation

2013
Réalisation

2014
Prévisions

2015
Prévisions

Objectifs
LPM
2014-2019

Nombre de jours de mer par
bâtiment Marine
(bâtiments de haute mer)

Jour

89
(98)

90
(97)

86
(94)

86
(94)

100
(110)

Heures de vol par pilote de chasse
(qualifié appontage de nuit)

Heure
l

167
(196)

154
(207)

150
(180)

150
(180)

180
(220)

Heures de vol par pilote
d’hélicoptère marine

Heure

220

187

180

180

220

Heures de vol par pilote de
patrouille maritime marine

Heure

328

409

288

288

350

Source : ministère de la Défense

• Activité dans l’armée de l’air

Mesure

Objectifs LPM

2012

2013

Prévision

2014 actualisée au PAP 2015

Prévision

2015

Activité moyenne des équipages chasse

(heures de vol/an)

180

169

157

150

150

Activité moyennes équipages transport

(heures de vol/an)

400

265

276

260

260

Activités moyennes équipages hélicoptère (heures de vol/an)

200

199

191

170

170

Besoins activité totale AA en heures de vol

(heures de vol)

 

218 085

209 754

190 544

ND

Activité totale prévue (financée)

(heures de vol)

 

203 910

181 745

175 685

ND

Activité réellement effectuée

(heures de vol)

 

183 305

176 679

En cours

ND

 

Activité moyenne 2012

Activité 2012 réalisée en OPEX (en %)

Activité 2013 réalisée en OPEX (en %)

Chasse

169

16 %

26 %

Transport

265

25 %

44 %

Hélicoptère

199

17 %

16 %

Drone

72

20 %

100 %

Soutien Ops

   

71 %

Source : ministère de la Défense

c. Un dérapage des coûts non assumé

La provision pour les surcoûts liés aux OPEX s’est élevée, en loi de finances pour 2014, à 450 millions d’euros, en baisse par rapport à 2013, où 630 millions d’euros avaient été provisionnés. Cette baisse de la dotation initiale se fondait sur l’hypothèse, formulée par la loi de programmation budgétaire 2014-2019, d’une réduction des engagements extérieurs de la France, avec le désengagement du Kosovo en juin 2014, de l’Afghanistan en décembre 2014, la fermeture du centre médico-chirurgical en Jordanie en décembre 2013 et de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire au 1er janvier 2015, et la réduction de la participation française à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie dans l’océan Indien.

Or, l’année 2013 a été marquée par un engagement massif au Mali dans le cadre de l’opération Serval. Les surcoûts OPEX ont finalement largement dépassé la provision initiale, s’établissant à 1,250 milliards d’euros pour l’année 2013, soit un surcoût de 620 millions d’euros par rapport à la prévision. En 2014, l’opération Serval s’est poursuivie, avant d’être intégrée dans le cadre de l’opération régionale Barkhane à partir du 1er août. Par ailleurs, l’opération Sangaris a été lancée le 5 décembre 2013 en République centrafricaine. Au total, les surcoûts liés aux OPEX pour l’année 2014 devraient avoisiner les 1,128 milliards d’euros, soit 678 millions de plus que la prévision (cf tableau).

L’on peut certes arguer que cette sous-évaluation des surcoûts OPEX est favorable au budget de la défense, dans la mesure où les surcoûts au-delà de la provision font l’objet d’un financement interministériel. Il reste que la défense contribue à ce financement interministériel à raison de son poids dans le budget de l’Etat, soit environ 20%. Ainsi, en fin de gestion 2013, 650 millions d’euros ont été annulés sur le budget de la défense pour financer l’ensemble des dépenses faisant l’objet d’un financement interministériel, dont les OPEX, mais aussi celles des autres ministères. Ces 650 millions d’euros ont été prélevés sur le programme 146, destiné à l’équipement des forces. L’on voit bien la logique perverse qui est à l’œuvre : plus les forces françaises sont engagées, plus elles sont consommatrices de matériels militaires, plus les surcoûts OPEX sont élevés, plus le budget alloué aux équipements des forces est réduit. Il est évident que nos armées ne pourront pas tenir longtemps sur ce rythme. À l’évidence, le scénario est appelé à se répéter en 2014.

SURCOÛTS ANNUELS OPEX 2013-2014 (en M€ courants)

     

2013

Prévision 2014

Zone

Théâtre

Opération

Titres 2 et 3

Titre 6

Total 2013

Titres 2 et 3

Titre 6

Total 2014 (6)

RCS

Alim.

Fonct.

Sous Total

RCS

Alim.

Fonct.

Sous Total

Europe

Kosovo

TRIDENT

11,2

0,2

18,9

30,3

3,2

33,5

4,0

0,1

12,2

16,3

3,0

19,3

Bosnie

ASTREE

/

/

/

/

2,2

2,2

/

/

/

/

2,4

2,4

Afrique

RCI

LICORNE (1)

28,9

2,9

28,9

60,7

/

60,7

29,6

3,1

29,6

62,3

/

62,3

Tchad

EPERVIER (2)

30,9

1,0

73,7

105,6

/

105,6

43,0

4,6

142,1

189.7

/

189,7

Sahel

SERVAL (2) (3)

154,9

7,6

479,2

641,7

/

641,7

85,7

5,8

202,1

293,6

/

293,6

EUTM MALI

4,7

/

0,7

5,4

2,9

8,3

3,1

/

/

3,1

3,3

6,4

RCA

SANGARIS (4)

           

84,5

4,5

144,7

233,7

/

233,7

EUFOR RCA

           

6,0

/

4,3

10,3

4,8

15,1

BOALI

18,4

2,2

6,9

27,5

/

27,5

           

Océan Indien

ATALANTE (5)

10,8

0,7

6,8

18,3

1,0

19,3

7,9

0,9

4,0

12,8

1,1

13,9

Asie

Liban

DAMAN

31,8

2,0

22,7

56,5

/

56,5

33,8

2,5

21,1

57,4

/

57,4

 

Afgha-nistan

PAMIR HERACLES EPIDOTE

40,3

1,6

145,3

187,2

62,4

249,6

24,5

1,4

57,5

83,4

49,3

132,7

Autres opérations

9,6

5,2

29,3

44,1

1,3

45,4

9,4

4,0

76.9

90.3

2,2

92,5

Total

341,5

23,4

812,4

1 117,3

72,9

1 250,2

331,5

26,9

694,5

1 052,9

66,1

1 119

Source : ministère de la Défense

(1) Les surcoûts présentés sur la ligne "Licorne" englobent aussi ceux des opérations ONUCI/CALAO et CORYMBE

(2) L’opération EPERVIER et l’opération SERVAL, regroupées sur le plan opérationnel (opération BARKHANE) depuis le 1er août 2014 restent suivies séparément sur le plan financier durant toute l’année 2014.

(3) SERVAL + MISMA/MINUSMA

(4) SANGARIS + MISCA/MINUSCA

(5) Les surcoûts de l’opération "Atalante" englobent l’opération de l’UE Atalante et le volet français de l’opération consistant à fournir des équipes de protection embarquées (EPE) à certains navires.

(6) A cette prévision de surcoût s’ajoute la perte de recettes hospitalières du service de santé des armées en raison du niveau important de projection en OPEX des équipes chirurgicales. Cette perte est évaluée à 8,5 M€ pour 2014.

II. BUDGET 2015 : L’IMPROBABLE STAGNATION

A. UNE STAGNATION APPARENTE

1. Les grandes masses du budget

La loi de programmation budgétaire 2014-2019 a prévu que le budget de la défense serait reconduit à 31,4 milliards d’euros entre 2012 et 2015. Notons que cela conduit à faire payer aux armées le prix de l’inflation, dans un contexte où les équipements militaires sont toujours plus chers. Cette reconduction à 31,4 milliards est l’ambition affichée par le projet de loi de finances (PLF) pour 2015.

La mission défense comprend quatre programmes.

Le programme 144 (« environnement et prospective de la défense ») rassemble les crédits destinés au renseignement, à la prospective pour l’évolution du contexte stratégique et des systèmes de forces, et à la diplomatie de défense. Sa maquette est affectée cette année par la création d’une Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), constituée à partir de la Délégation aux affaires stratégiques, ainsi que d’éléments transférés de l’état-major des armées et de la Délégation générale à l’armement (DGA), pour ce qui relève de l’action internationale de la France. Le programme comprend par ailleurs deux autres volets : le renseignement et la prospective de défense. Son périmètre est affecté par le transfert de l’ensemble des dépenses de personnel de la mission au sein du programme 212 (« Soutien de la politique de défense »). À périmètre constant, le programme 144 connaît une légère hausse de ses autorisations d’engagement (+1,28%) et une quasi stabilité de ses crédits de paiement (+0,08%). Il sera ainsi doté de 1,35 milliards d’euros en AE et 1,33 milliards d’euros en CP.

Le programme 146 (« équipement des forces »), copiloté par le Délégué général à l’armement et le chef d’état-major des armées, rassemble les crédits visant à « mettre à la disposition des armées les armements et matériels nécessaires à l’accomplissement de leurs missions » (2). Cela inclut les actions dans le domaine de la cohérence capacitaire et du format des armées, de la recherche, de la coopération internationale d’armement et du maintien et du développement de la base industrielle de défense. La particularité de ce programme est qu’il doit être financé de manière substantielle par des recettes exceptionnelles, de nature extrabudgétaire : 2,1 milliards d’euros sont attendus en 2015, contre 1,5 milliards en 2014. Le périmètre du programme est affecté par le transfert des dépenses de personnel au programme 212. À périmètre égal, hors titre 2, les crédits de paiement sont quasi stables par rapport à 2014 : - 0,02%, soit 9,9 milliards d’euros, recettes exceptionnelles incluses.

Le programme 178 (« préparation et emploi des forces ») porte la finalité opérationnelle de la mission défense. Il est piloté par le chef d’état-major des armées et rassemble les crédits nécessaires à l’entretien des trois armées (entretien programmé des matériels, entraînement), au soutien interarmes (bases de défense, commissariat des armées, santé, pétrole, munitions), et à la planification et à la conduite des opérations (commandement, renseignement militaire, systèmes d’information). Par ailleurs, le programme contient la provision pour les surcoûts liés aux opérations extérieures, fixée à 450 millions d’euros par la loi de programmation militaire. Les dépenses de personnel ont été transférées au programme 212. À périmètre égal, les ressources du programme augmentent de 138 millions d’euros en crédits de paiement (+ 2%), pour s’établir à 7,1 milliards d’euros, traduisant principalement la hausse des moyens dédiés à l’entretien programmé des matériels (cf infra).

Le programme 212 (« soutien de la politique de la défense ») regroupe les fonctions de direction et de soutien mutualisées au profit du ministère de la défense (politique immobilière, systèmes d’information, d’administration et de gestion, ressources humaines, politique culturelle…), de même que l’ensemble des dépenses de personnel du ministère. Ces dernières s’élèvent au total à 18,7 milliards d’euros, pensions comprises. Hors titre 2, les crédits du programme augmentent de 192 millions d’euros en crédit de paiement et de 240 millions d’euros en autorisation d’engagement, pour atteindre 1,961 milliards et 2,597 milliards d’euros. Cette évolution s’explique par la hausse des dépenses d’infrastructure (infrastructures d’accueil des nouveaux équipements notamment), par le démarrage du projet de nouveau système pour le paiement des soldes successeur de Louvois) et par le versement de la première annuité du contrat de partenariat pour la gestion du site de Balard.

2. Les secteurs prioritaires

a. La dissuasion

L’effort en faveur du nucléaire doit être maintenu sur la durée de la loi de programmation militaire, de façon à permettre la modernisation des composantes et la préparation de leur renouvellement. Ainsi, pour 2015, les crédits de la dissuasion augmenteront en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ils permettront de financer la simulation du fonctionnement des armes nucléaires, les études amont en matière nucléaire, le maintien en condition opérationnelle de la flotte des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et l’adaptation du missile M51 au SNLE, les programmes de transmissions nucléaires ou encore les évolutions incrémentales du missile M51, les travaux de réalisation portant sur la troisième version de ce missile ayant été lancés en 2014.

b. Le renseignement et la cyberdéfense

Les crédits dédiés au renseignement connaissent une progression de 2,2 %, pour un total de 268 millions d’euros en crédits de paiement.

Ils comprennent les crédits alloués à la Direction générale pour la sécurité extérieure (DGSE), qui verra ses effectifs augmenter de 53 personnels en 2015, conformément aux objectifs fixés par la loi de programmation militaire, laquelle prévoit 284 créations nettes sur la durée de programmation. Au total, la DGSE emploiera environ 5300 agents, hors service action. Les recrutements représentent toujours un enjeu crucial pour la direction, qui recherche des compétences très pointues, et donc rares, et pour lesquelles elle se trouve fortement en concurrence avec le civil. Les linguistes peuvent être particulièrement difficiles à recruter pour certaines langues rares. Au total, la réputation de la DGSE lui assure un flux de recrutement de haut niveau, mais il n’est pas rare que les personnels n’aillent pas au-delà du CDD initial, poursuivant ensuite leur carrière dans le civil. Ce turnover important, qui est une richesse dans la mesure où il permet au service d’avoir une population jeune et dynamique, pose aussi des défis en termes de sécurité. La hausse des crédits affectés à la DGSE contribuera à couvrir l’augmentation des frais de mission associés aux activités opérationnelles de la direction, en lien avec l’accroissement des effectifs et des surfaces occupées.

Les moyens alloués permettront par ailleurs à la DGSE de continuer à investir dans ses infrastructures et dans les grands programmes techniques. Ces programmes, qui ont été une constante de la politique française depuis le début des années 2000, avec le lancement du programme de cryptologie, sont essentiels pour maintenir la France au meilleur niveau international. Ils sont pilotés par la DGSE mais communs à l’ensemble de la communauté du renseignement : direction générale pour la sécurité intérieure (DGSI), direction du renseignement militaire (DRM) et à présent aussi direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

La DPSD est le service de renseignement chargé d’assurer la sécurité des personnels, des informations, des matériels et des installations sensibles du ministère de la défense. 20 personnels supplémentaires viendront compléter les effectifs de la DSPD en 2015, les portant à 1100 personnels. Ces recrutements permettront d’accroître l’expertise de la direction en matière de contre-ingérence cyber et de cyber-défense. Les dépenses de fonctionnement et d’investissement de la DPSD seront globalement stabilisées, hors mesures de périmètre, à 10,69 millions d’euros.

Les crédits de la direction du renseignement militaire (DRM) sont portés par le programme 178, car il s’agit d’un renseignement à vocation opérationnelle. La DRM bénéficiera de 32 personnels supplémentaires en 2015, dont 20 au titre des créations de postes prévues par la LPM (75 sur la durée de la programmation), les autres étant transférés de l’armée de terre et de la DGSE. Cela portera ses effectifs à 1641 personnels. Ses ressources augmenteront de 0,2% en crédits de paiement et de 1% en autorisations d’engagement. Cette hausse lui permettra de continuer à financer certains programmes majeurs, comme le programme de drones MALE, critique pour les activités des forces armées dans la bande sahélo-saharienne.

c. La recherche

L’effort en matière de recherche est essentiel pour assurer la pérennité de la base industrielle de technologie et de défense (BITD). Il permet de garantir la capacité à répondre sur le long terme aux besoins des forces armées.

Les crédits de recherche et technologie (R&T) comprennent le financement des études amont (739 millions d’euros, contre 745 millions en 2014) et les subventions de recherche et technologie. Ils s’élèvent à 864 millions d’euros, en légère baisse par rapport à 2014.

En revanche, les développements réalisés dans le cadre des programmes d’armement, et financés par le programme 146, s’élèvent à 2, 1 milliards d’euros, en nette augmentation par rapport à 2014 (1,8 milliards).

Ce montant, additionné aux crédits pour les « études de défense » (qui incluent les études amont, les subventions aux organismes de recherche, les transferts de crédits au CEA, les crédits pour la recherche duale, les études technico-opérationnelles et les études prospectives et stratégiques) porte le montant total du budget R&D de la défense à 3,6 milliards d’euros, en augmentation de 2% par rapport à 2014.

d. L’entretien programmé des matériels

Les crédits dédiés à l’entretien programmé des matériels (EMP) des trois armées sont en hausse de 4,5% en 2015, pour un total de 3,2 milliards d’euros. Cela représente 147 millions d’euros en plus, dont 62 millions d’euros pour l’armée de terre, 16 millions d’euros pour la marine, et 69 millions d’euros pour l’armée de l’air. Cette hausse est salutaire, car elle devrait permettre d’améliorer la disponibilité technique de certains parcs, de façon à redresser l’activité opérationnelle des forces.

Dans l’armée de terre, les crédits dédiés à l’EMP augmenteront de 9 % pour les véhicules terrestres et de 7% pour les hélicoptères. Ils seront en grande partie absorbés, s’agissant des véhicules, par la régénération des VAB auprès de l’industriel (cf infra). Ainsi, ils ne permettront pas une remontée en puissance de l’activité, qui doit rester stable en 2015.

3. Les personnels toujours plus mis à contribution

a. La spirale de la déflation

Le ministère de la défense perdra 7500 personnels en 2015, après les 7952 suppressions de postes intervenues en 2014. La masse salariale afférente est estimée à 10,8 milliards d’euros (hors OPEX et hors pensions) contre 11 milliards en 2014. Sur ces 7500 postes, environ 7000 seront supprimés dans le périmètre de l’état-major des armées.

La cible de déflations est en forte augmentation pour l’armée de terre en 2015 : hors outre-mer et étranger, elle devra supprimer 3915 postes, dont 507 postes d’officiers, 1271 postes de sous-officiers et 2130 postes de militaires du rang. Les effectifs de l’armée de terre sont passés pour la première fois en dessous des 100 000 civils et militaires en 2014.

L’armée de l’air a perdu 16 000 personnels en 5 ans, et devra encore réduire ses effectifs de 4000 personnels sur la période de la loi de programmation. Pour 2015, la cible est de 1124 déflations, dont 191 postes d’officiers, 573 postes de sous-officiers et 317 postes de militaires du rang.

La marine doit réduire ses effectifs de 862 personnels en 2015, dont 107 officiers, 479 sous-officiers et 274 militaires du rang. La marine est une petite armée de 30 000 militaires, caractérisée par l’existence d’une myriade de petites spécialités nécessaires pour faire fonctionner un bateau. Par exemple, il n’existe au total que trois officiers d’appontage sur les porte-avions. La déflation en sera d’autant plus difficile, et ne pourra en aucun cas être homothétique.

Par ailleurs, le service de santé des armées perdra 242 postes, le service du commissariat des armées en perdra 64, et le service des essences 13.

b. Restructurations et désarmements

Les déflations d’effectifs se traduisent concrètement sur le terrain par des fermetures, transferts ou regroupements de sites ou d’unités militaires, toujours difficiles à faire accepter auprès des populations concernées.

C’est un sujet sensible, et l’exécutif peut être tenté de différer les annonces autant que possible. Le report des annonces au mois d’octobre cette année en est l’illustration. Pour autant, l’absence de visibilité est sans doute plus difficile à gérer encore pour les familles concernées.

D’autre part, ces annonces au fil de l’eau peuvent nuire à la cohérence de la copie d’ensemble du plan de stationnement des forces, et donc aux économies attendues des restructurations. Le chef d’état-major des armées a ainsi mis en garde contre la tentation de l’« échenillage », qui consisterait à réduire le format des différentes unités sans toucher aux implantations. Ce serait le cas si l’on supprimait une compagnie de combat par régiment, par exemple, sans toucher aux soutiens ni aux sites. Selon lui, une telle stratégie « désorganise l’outil de combat sans permettre les économies budgétaires attendues ».

Le ministre a évoqué l’idée d’une annonce anticipée de l’ensemble des restructurations sur la durée de la loi de programmation dès le début de l’année 2015. Votre rapporteur, sensible à la situation des militaires et de leurs familles et soucieux de l’efficience du dispositif, ne peut que souscrire à ce projet, sur lequel il n’a toutefois pu obtenir aucun détail.

• Dans l’armée de terre

L’armée de terre perdra en 2015 le 1er régiment d’artillerie de la marine (RAMa) de Châlons-en-Champagne, ainsi que l’état-major et la compagnie de commandement et des transmissions de la 1ère Brigade mécanisée de Châlons-en-Champagne, qui sera ainsi la ville la plus touchée, avec plus de 1000 postes supprimés. En revanche, les régiments de Carcassonne (3ème RPIMa), Brive (126ème RI) ou encore Colmar (152ème RI), dont le sort était incertain, ne seront pas concernés.

Par ailleurs, tous les régiments d’infanterie perdront leur section de reconnaissance, et trois régiments de cavalerie perdront leur escadron d’éclairage et d’investigation. Deux régiments du train perdront un escadron de transport. Le régiment médical perdra deux compagnies de décontamination NRBC et une compagnie de ravitaillement sanitaire. Enfin, certaines formations du génie, de l’artillerie et des transmissions équipées de matériels en fin de vie verront leurs effectifs réduits.

• Dans l’armée de l’air

La base aérienne 102 de Dijon va continuer à s’éteindre progressivement, puisqu’elle va se séparer du commandement des forces aériennes, qui rejoindra Bordeaux. Il ne restera donc plus à Dijon que l’Escadron de formation des commandos de l’air et du commando parachutiste de l’air (CPA 20), dans l’attente d’un nouveau point de chute. La base aérienne 117 de Paris fermera dans le cadre de « la mutualisation et de l’externalisation du soutien du site de Balard ». La base aérienne 901 de Drachenbronn, qui accueille notamment le centre de détection et de contrôle chargé de surveiller le ciel du nord-est de la France, verra ses effectifs réduits et sera transformé en « Elément air » rattaché à la base aérienne 133 de Nancy-Ochey. Enfin, la fermeture de la plateforme aérienne de la base aérienne 110 de Creil a été annoncée.

• Dans la marine

La réorganisation territoriale de la marine, concentrée autour des emprises de Toulon et Brest, a déjà pour l’essentiel été effectuée. Dans ce contexte, les déflations se traduisent par la fermeture de quelques emprises dispersées et par le désarmement de bâtiments. En 2015, la marine fermera ainsi la base navale de l’Adour, à Anglet, et le commandement maritime de Strasbourg. Cette fermeture n’est pas anodine, car elle facilitait le recrutement en Alsace-Lorraine, régions qui s’avéraient être de bons viviers pour les marins. Par ailleurs, la marine désarmera cinq bâtiments : la Meuse, un pétrolier-ravitailleur ; le patrouilleur austral Albatros ; les patrouilleurs de surveillance Athos et Aramis, et le Siroco. Ce dernier est un transport de chalands de débarquement (TDC) âgé de dix ans seulement ! Plusieurs pays auraient déjà fait part de leur intérêt pour le racheter.

c. Les risques du dépyramidage

Le Gouvernement veut contenir la masse salariale en dépyramidant les effectifs militaires et en favorisant le recrutement de civils. Votre rapporteur met en garde contre les effets destructurants de cette politique si elle est érigée en dogme et pratiquée sans discernement.

• Les objectifs

L’objectif est de réduire de 16% la proportion d’officiers d’ici à 2019, pour revenir au taux d’officiers de 2010. Par ailleurs, la loi de programmation militaire prévoit une montée en puissance du personnel civil. Les militaires supporteront ainsi 78% des déflations de personnels, et les civils 22%. En 2015, les civils ne supporteront que 15% des déflations, ce qui représente un rééquilibrage de 500 emplois par rapport au personnel militaire. Au total, on observe un effet de substitution entre les officiers militaires et le personnel civil de catégorie A. Cet exercice a cependant des limites.

• La situation par armée

Dans l’armée de terre, les cibles de déflation augmentent de 40% pour les officiers, 17% pour les sous-officiers et 25% pour les militaires du rang. Cela pose des difficultés, dans la mesure où les départs naturels d’officiers ne permettront pas d’atteindre les cibles. Dès lors, il faut absolument que les aides au départ proposées aux officiers produisent leur effet, faute de quoi il faudra réduire drastiquement les recrutements, déjà annoncés en baisse de 12% par rapport aux besoins.

Pour l’armée de l’air, la cible de dépyramidage est, selon son chef d’état-major, impossible à mettre en œuvre. L’armée est, de ce point de vue, dans une situation à part, car elle a beaucoup d’officiers personnels navigants, qui n’assument aucune fonction d’encadrement. Le dépyramidage est déjà effectif : en trois ans, le flux d’accès au grade de général a été divisé par deux, et le nombre de colonels a diminué de 30%. L’armée de l’air respecte son enveloppe de masse salariale et demande que la contrainte soit desserrée sur les officiers, de façon à pouvoir continuer à recruter de jeunes officiers.

Dans la marine, l’existence de diverses spécialités de pointe implique d’être prudent sur le dépyramidage. Le recrutement d’officiers a déjà été réduit de 20 %.

• Préserver le recrutement : une nécessité vitale pour l’armée

Il importe que les déflations d’officiers requis pour les forces armées ne conduisent pas à resserrer excessivement le flux des recrutements, sinon le dynamisme et la qualité de nos armées s’en trouveraient directement menacés.

Il est essentiel pour les armées de pouvoir continuer à recruter suffisamment de jeunes officiers. En premier lieu, ils font le dynamisme de l’armée, et sont ceux qui vont être amenés à être projetés en opération. En outre, ce sont des officiers qui coûtent relativement peu cher aux armées, par rapport aux officiers supérieurs. Enfin, le recrutement doit être suffisant pour permettre le renouvellement du vivier de compétences nécessaires aux armées qui, à défaut, perdraient leurs savoir-faire. C’est particulièrement prégnant pour la marine, en raison des multiples spécialités nécessaires pour faire tourner les bateaux.

Si les trois armées appellent à ne pas réduire davantage le recrutement, elles cherchent à favoriser la reconversion de leurs officiers, en les préparant, dès le début, à l’éventualité d’une deuxième carrière civile. Ce chantier semble plus facile à mettre en pratique dans la marine, où le sommet d’une carrière est perçu comme étant le commandement à la mer ; la conquête des « étoiles » n’y est pas un objectif en soi.

L’armée de l’air prépare de plus en plus ses jeunes officiers à passer dans le civil en deuxième partie de carrière, en faisant en sorte qu’il ne s’agisse pas d’une reconversion, mais d’une véritable progression de carrière. Lors de leur formation initiale, et par la formation continue, l’accent est mis sur les compétences permettant d’exercer des responsabilités dans le civil. Par ailleurs, l’armée de l’air développe des contacts avec les milieux civils qui se montrent intéressés par les compétences des aviateurs. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, ce ne sont pas toujours les milieux civilo-militaires qui offrent le plus de perspectives. La grande distribution en particulier présenterait des opportunités intéressantes.

4. Des besoins en fonctionnement comprimés au maximum

Les dépenses portant sur le fonctionnement courant et la maintenance des infrastructures sont fortement contraintes. Les efforts de rationalisation demandés sont compréhensibles dans un souci de bonne gestion des derniers publics, a fortiori en période de restriction budgétaire. Néanmoins, dans certains domaines, et singulièrement dans les armées, l’exercice est poussé trop loin, dans la mesure où la compression du besoin en fonctionnement impacte directement les conditions de vie et de travail des personnels.

• Une dégradation préoccupante des conditions de vie en garnison

La situation est particulièrement critique dans l’armée de terre, où les conditions de vie et de travail dans les garnisons se sont dégradées, influant directement sur le moral des personnels. En conséquence, le « fossé » ressenti par les militaires entre leur activité en OPEX – où ils sont bien payés, se sentent utiles et bénéficient de matériels en abondance – et le retour en garnison tend à s’accroître dangereusement.

L’armée de terre dispose d’un budget de 1,2 par m² pour assurer la maintenance de ses bâtiments, somme qui ne lui permet pas de les entretenir correctement ; les infrastructures se sont ainsi progressivement dégradées. Par ailleurs, la rationalisation des moyens de fonctionnement est telle que les militaires ont des difficultés à se procurer leur habillement : certains se sont ainsi résolus à le financer sur leur propre solde ! À ces désagréments, viennent s’ajouter d’autres problèmes d’« environnement », comme les dysfonctionnements de Louvois ou les errements du soutien (cf encadré), qui en se cumulant, ont des conséquences délétères sur le moral des troupes.

Selon le chef d’état-major des armées, desserrer un minimum le quotidien des militaires – par un effort sur les infrastructures, l’habillement, la restauration, etc. – ne coûterait pas très cher, au regard de l’effet que cela aurait sur leur moral. Le ministre a lui-même constaté « l’état de dégradation des conditions de vie et de travail des agents du fait du défaut d’entretien de certains bâtiments ». Au total, près de 700 « points noirs » ont été recensés ; 560 millions d’euros seront nécessaires pour y remédier.

• Les limites de la rationalisation du soutien

De manière plus générale, la logique budgétaire qui a présidé à la rationalisation des soutiens montre aujourd’hui ses limites. Cette rationalisation a reposé sur la mise en place des bases de défenses en 2011, dans une logique de mutualisation et d’« interarmisation » des soutiens. C’était une révolution pour les régiments qui, auparavant, assuraient eux-mêmes leur propre soutien.

Dans le même temps, les effectifs et moyens dédiés au soutien ont été fortement réduits : cette année encore, les 2/3 des déflations d’effectifs prévues porteront sur le soutien. Le budget 2015 prévoit néanmoins que les crédits des bases de défenses seront rehaussés de 14 millions d’euros, à 750 millions : cela correspond à une meilleure prise en compte de la réalité, les besoins ayant été sous-estimés par le passé.

L’intérêt d’économiser sur le soutien pour préserver l’opérationnel se conçoit bien. Mais il faut prendre garde à ne pas pousser trop loin cette logique : il est impératif que le soutien reste en mesure de soutenir effectivement l’opérationnel !

RESTAURER LE LIEN ENTRE SOUTENANT ET SOUTENU l’exemple de la base de défense d’Orléans

La base de défense d’Orléans assure le soutien de la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, mais aussi d’une multiplicité de structures variées : régiment de cuirassiers d’Olivet, service de santé des armées de Chanteau, base de soutien du matériel de Gien, centre national de soutien opérationnel, élément air rattaché de Châteaudun, DIRISI… Au total, si 40% du volume de l’activité de la base de défense est lié à la base aérienne, elle gère aussi plus de 1000 personnels de l’armée de terre, autant de civils et nombre de personnels du service de santé des armées.

De ce fait, il existe un vrai risque de décorrélation entre les soutenus et le soutien, dans la mesure où ce dernier n’est pas directement connecté à la mission opérationnelle, du fait de la diversité des soutenus, et donc des missions. Par ailleurs, le soutien est organisé en tuyaux d’orgue, selon une logique « de bout en bout », recentrée sur les chaînes métier. L’enjeu est alors de décloisonner les soutiens en les intéressant à l’opérationnel, en les rassemblant autour de la mission.

C’est un enjeu majeur pour le bon fonctionnement de la base aérienne d’Orléans. La mission ne peut être menée à bien si le soutien ne suit pas. L’arrivée de l’A400M rapprochera considérablement la base des théâtres d’opération : cela devra se traduire dans le soutien aussi. D’une certaine manière, la base aérienne peut s’estimer « chanceuse » : son commandant, le colonel Besançon, a la double casquette de commandant de la base aérienne et commandant de la base de défense (COMBdD). Ce n’est pas toujours le cas ! L’articulation entre soutenant et soutenu ne va pas de soi pour autant. Souvent, les soutenus ont l’impression qu’ils doivent participer au soutien, en plus de leurs missions opérationnelles. Les démarches à accomplir, ne serait-ce que pour obtenir une voiture, peuvent s’avérer très complexes. Pour les soutenants, la rupture du lien avec la mission risque d’être un facteur de démotivation, dans un contexte où leur moral peut être affecté par les multiples efforts demandés. La base de défense d’Orléans compte actuellement plus de 500 personnels, mais ses effectifs passeront en-dessous de 400 à l’horizon 2017. Il faudra donc faire mieux, avec moins : les militaires devront à nouveau se montrer inventifs !

• Des économies généralisées : l’exemple de la DGSE

Les secteurs « prioritaires » voient leurs effectifs et leurs moyens accrus en lien avec les nouvelles missions qui leur sont conférées. Cela ne les exonère pas des rationalisations et économies qui sont la norme pour l’ensemble du ministère.

Dans le secteur du renseignement, les créations de postes prévues par la loi de programmation ne suffisent pas à assurer la montée en puissance de certaines spécialités. Dès lors, pour dégager des marges de manœuvre leur permettant de recruter davantage, les services sont incités à rationaliser leur fonctionnement.

Les crédits de fonctionnement de la DGSE baissent de 4 % en 2015, malgré l’augmentation des effectifs et des surfaces occupées. Pour y faire face, la direction développe des partenariats avec les services étrangers pour réduire le volume des missions, tout en accroissant leur nombre. Par ailleurs, elle encourage la dématérialisation. Enfin, elle mène à bien un effort de rationalisation. Il consiste, d’une part, à replacer les personnels sur leur cœur de métier. D’autre part, la DGSE mettra en œuvre, à compter du 1er janvier 2015, une réforme des soutiens, auparavant dispersés dans plusieurs directions, qui lui permettra d’économiser des dizaines d’agents. Enfin, la DGSE veillera à réduire son taux d’encadrement : il y a pour le moment trop de niveaux hiérarchiques et trop de monde dans les états-majors.

5. Les grands programmes d’équipement

Le projet de loi de finances pour 2015 consacre 6,9 milliards d’euros aux opérations d’armement hors dissuasion, dont 5,7 milliards pour les programmes à effets majeurs. Votre rapporteur retrace ci-après les principales étapes de ces programmes prévues pour 2015.

a. Les livraisons attendues

L’armée de l’air devrait percevoir en 2015 quatre nouveaux avions de transport A400M, après la livraison d’un avion en 2013 et de cinq autres en 2014. Au total, elle devrait en avoir quinze à sa disposition en 2019. Cet avion vient combler une lacune très pénalisante pour les engagements extérieurs de la France. Pour l’heure, les appareils sont encore en période de rodage (cf encadré), et ne disposent pas encore de capacité de largage. Ils ne peuvent donc être utilisés que pour des missions logistiques. L’A400M a été mobilisé pour transporter du matériel sur la base aérienne d’al-Dhafra, dans le cadre de l’opération Chammal. Un seul A400M a pu transporter l’ensemble du matériel en une seule fois. À titre de comparaison, il aurait fallu mobiliser trois Transall pour accomplir la même mission, avec une escale pour chacun : cela donne une idée des possibilités offertes par cet appareil.

LA BASE AÉRIENNE 123 D’ORLÉANS-BRICY TIRÉE PAR L’A400M

Tous les A400M livrés à l’armée de l’air seront stockés sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy. L’ensemble du personnel, toutes catégories confondues, se trouve rassemblé autour de ce projet stimulant et fédérateur, qui donne un souffle nouveau à cette base.

Des travaux considérables ont été entrepris à cette fin : dépollution, adaptation de la centrale électrique, création de hangars pour stocker les aéronefs, de bâtiments de maintenance et de soutien, adaptation des pistes… Il a aussi fallu adapter la base aux capacités inédites de l’A400M, en augmentant la capacité du dépôt d’essence, ou encore des lieux de stockage pour le matériel à transporter.

L’A400M implique de repenser la façon dont se fait le transport militaire. Désormais, ce n’est plus l’avion qui va au fret, mais le fret qui converge vers l’avion, dont l’empreinte logistique sera concentrée à Orléans. Hommes et matériels à transporter seront donc acheminés vers la base. Celle-ci se trouve à proximité immédiate du réseau autoroutier, et potentiellement bientôt du réseau ferroviaire : c’est là un élément clé du dispositif.

L’ensemble du personnel est mobilisé autour de ce nouvel avion, qui a pour effet de rapprocher considérablement la base des théâtres d’opération, et ainsi de donner une dimension plus opérationnelle aux différents métiers. Les pilotes et mécaniciens appelés à travailler sur cet appareil bénéficient d’une formation spécifique, qui se déroule à Séville, en Espagne, entièrement en anglais. L’A400M transforme radicalement la relation des pilotes et mécaniciens avec l’appareil, où tout passe par l’électronique. Traditionnellement fondée sur des « ressentis », cette relation reposera à présent sur des rapports de panne, ce qui nécessite une expertise complètement différente.

L’A400M est un avion unique sur son créneau, en raison de son rayon d’action et de ses capacités tactiques. Toutefois les débuts s’avèrent difficiles : de nombreux problèmes logistiques, de maturité technique, des pannes, surtout pour les premiers appareils livrés, viennent en réduire la disponibilité, qui n’est pour l’heure que de 40%, loin de l’objectif de 80%. Airbus devra encore résoudre l’épineux problème du largage, le souffle des hélices ayant pour effet de rabattre les parachutistes sur l’arrière de l’appareil. Il s’est engagé à fournir cette capacité pour la fin de l’année 2015. Airbus se chargera de l’essentiel de la maintenance : ne seront conservées sur la base que les opérations de maintenance susceptibles d’être réalisées en opération.

L’A400M est une réussite européenne emblématique. La conception et la production de l’appareil sont européennes. Les formations aussi sont mutualisées. La France reçoit ainsi des pilotes allemands pour la formation tactique sur l’A400M, et enverra des pilotes français en Allemagne pour recevoir la formation basique. Une coopération est engagée avec les Britanniques pour le soutien de l’appareil. Et la base aérienne d’Orléans recevra en observation les primo-formateurs malaisiens – le pays touchera ses premiers appareils en 2015 – pour un premier retour d’expérience opérationnel. Enfin, l’A400M a vocation à être intégré à l’European air transport command (EATC). Ce commandement militaire intégré réunissant six pays (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Espagne et bientôt Italie) vise à optimiser l’utilisation des flottes de transport stratégique et de ravitaillement en vol. Jusqu’ici limitée par le manque d’aéronefs disponibles, cette structure pourrait connaître un nouvel élan avec l’arrivée de l’A400M.

L’année 2015 devrait voir la livraison de huit nouveaux hélicoptères NH90, dont 4 en version marine (NFH) et 4 en version terrestre (TTH). Il s’agit du premier hélicoptère au monde à être doté en série de commandes de vol électriques ; il présente par ailleurs des avancées significatives en matière de performance des systèmes embarqués (vision nocturne, détecteurs d’obstacles), de manœuvrabilité et de survivabilité. Un contrat portant sur la réduction de la cadence de production a été notifié le 3 juin 2014.

Le NH90 TTH a vocation à remplacer le Puma dans ses missions de transport tactique de matériels et de troupes en zone ennemie, par tous les temps. 68 TTH ont été commandés, dont 12 avaient été livrés au 8 août 2014. La cadence de livraison prévue paraît insuffisante au regard des engagements extérieurs de la France, dans un contexte où les Puma sont vieillissants.

La NH90 NFH est destiné à remplacer, dans la marine, le Super Frelon pour les missions de soutien de force navale à la mer et de sauvegarde maritime. À partir du même porteur doté de kits « combat » démontables, il remplacera aussi les hélicoptères Lynx afin d’assurer les missions de sûreté de la force navale à partir des futures frégates, dont la lutte anti sous-marine et anti-navires. La marine doit percevoir au total 27 appareils jusqu’en 2021. Elle en a pour le moment 12, dont 4 livrés en 2014. La mise en service complète des appareils ne devrait intervenir qu’en 2015, en raison de retards industriels.

L’hélicoptère de combat Tigre permet d’assurer, en appui à proximité immédiate des forces terrestres, des missions d’appui feu, d’attaque au sol, de reconnaissance et de protection contre la menace aérienne. Il est conçu pour être utilisé en dehors de toute infrastructure lourde, sa maintenance pouvant être assurée au plus près du terrain des combats. Les engagements récents ont montré les performances remarquables de cet appareil en termes de manœuvrabilité et de survivabilité. 4 Tigre en version HAD doivent être livrés en 2014, et 4 en 2015. Par ailleurs, la loi de programmation militaire prévoit une transformation progressive des premiers Tigre livrés au standard HAP en HAD.

Les armées doivent recevoir 11 Rafale en 2015, comme en 2014. Il s’agit là du nombre minimal d’appareils que Dassault peut produire par année. Cependant la loi de programmation militaire n’a prévu que 26 livraisons de Rafale sur la période 2014-2019. Il faudra donc impérativement que les exportations prennent le relai des commandes de l’armée française à partir de 2016 (cf supra). Par ailleurs, les premiers Rafale livrés au standard F1 sont progressivement rétrofités au standard F3. La livraison du premier Rafale rétrofité devrait intervenir à la fin 2014, quatre autres livraisons devant suivre rapidement.

La marine doit voir la mise en service d’une troisième frégate multi-mission (FREMM), la frégate Provence, en 2015, après la réception de la frégate Aquitaine en 2013 et celle de la frégate Normandie en 2014. La quatrième frégate de la série, la Languedoc, a été mise à l’eau pour la première fois en juillet 2014. Au total, 6 frégates devraient être livrées d’ici à 2019, sur les 11 frégates commandées. Les cinquième et sixième frégates devraient avoir une capacité de défense anti-aérienne étendue.

b. La poursuite des programmes clé

Le programme MRTT prévoit la réalisation de 12 avions multi-rôle de ravitaillement et de transport sur la période de la loi de programmation. La fin de l’année 2014 doit voir la notification d’un contrat portant sur le développement du programme et la commande d’un premier avion, pour une livraison en 2018. Les 8 avions suivants doivent être commandés en 2015, les trois derniers appareils ayant été placés en tranche conditionnelle. L’ancienneté et l’état très dégradé de la flotte actuelle de ravitailleurs (KC-135R et C-135 FR, en moyenne 60 ans d’âge au moment du retrait programmé) rendent cependant nécessaire la levée de cette conditionnalité, sous peine de ruptures de capacités. Les premiers avions commandés seront proches de la version export, avec en plus le système Morphée pour le transport sanitaire. En revanche, ils n’auront pas la capacité de fret en porte-cargo, même s’il sera toujours possible d’embarquer du fret en palette. Les MRTT maximisent l’espace disponible pour le transport en transportant le pétrole dans leurs ailes, et non dans leur fuselage. En fin de loi de programmation, des MRTT de standard 2 devraient être commandés, avec quelques améliorations, notamment sur les transmissions.

En 2015, l’acquisition de drones MALE Reaper américains devrait se poursuivre, après la livraison de 2 premiers vecteurs en 2014. Ces appareils ont fait la preuve de leur utilité au Sahel, où ils ont immédiatement été déployés. Mais il est urgent que de nouveaux appareils arrivent : l’armée français est très dépendante des moyens de renseignement apportés par les États-Unis dans la bande sahélo-saharienne, qui met à disposition quatre drones Reaper sur la base aérienne de Niamey. Un troisième vecteur devrait être livré à la fin de l’année 2014, et un deuxième système de drones, comprenant à nouveau trois vecteurs, devrait être commandé en 2015. En 2017, les armées devraient disposer de trois systèmes de trois vecteurs chacun. À terme, il sera important que ces drones disposent de la capacité électromagnétique, en plus de la capacité imagerie.

Le programme Scorpion est un système qui vise à améliorer l’efficacité et la protection des groupements tactiques interarmes. Il comprend le renouvellement des blindés, avec l’arrivée des véhicules blindés multi-rôles (VBMR), pièce maîtresse du programme, appelés à remplacer les VAB à partir de 2018, et les engins blindés de reconnaissance et de combat (ECBR). Par ailleurs, le programme prévoit la rénovation à minima de 200 chars Leclerc, le système de commandement qui met en réseau les blindés, les simulateurs d’entraînement, etc. Ces outils permettront aux soldats de partager une situation tactique en mettant en commun ce qu’ils voient : c’est un progrès considérable pour la manœuvre terrestre. Il est grand temps que Scorpion arrive : les matériels de l’armée de terre, vieux et fortement sollicités en OPEX (cf infra), sont à bout de souffle. Le marché principal de Scorpion, portant sur les principales têtes de série du VBMR (92 véhicules) et de l’ECBR (4 véhicules) et sur le développement, doit être notifié à la fin du mois d’octobre 2014. À terme, l’objectif est de disposer d’un parc de 980 VBMR et 110 EBCR. À côté de Scorpion, l’armée de terre attend en 2015 le lancement de plusieurs autres programmes, comme celui des véhicules forces spéciales (VHF), dont les 50 premiers doivent arriver en 2017.

Dans la marine, le programme Barracuda, qui prévoit la réalisation de quatre sous-marins nucléaires, se poursuivra en 2015. Le quatrième sous-marin a été commandé en juillet 2014. L’industriel procède à l’intégration des systèmes de combat sur le premier sous-marin (le Suffren), qui devrait être livré en 2017 ou 2018, pour une mise en service actif un an plus tard. Quant aux deux suivants, le Duguay-Trouin et le Tourville, la réalisation de la coque et des installations est en cours.

c. Le lancement de nouveaux programmes

Le programme COMSAT NG prévoit la réalisation d’un système de communication par satellite en remplacement du système SYRACUSE, à partir de 2021. Ce système, qui doit être lancé en 2015, permettra d’assurer les liaisons de « noyau dur » des armées, essentielles à la conduite des opérations qui ont des exigences de sécurité fortes.

Le programme CERES vise à disposer d’une capacité opérationnelle d’écoute spatiale en mesure d’intercepter et de localiser des émissions électromagnétiques, sur l’ensemble du spectre utilisé pour les systèmes de transmission, les radars, les conduites de tirs et les autodirecteurs de missiles. Il est constitué d’un segment spatial de plusieurs satellites et d’un segment sol pour préparer les missions des satellites et recevoir les données d’écoutes. Le programme doit être lancé en 2015, pour une mise en service en 2020.

Le programme système de drone tactique (SDT) doit remplacer à partir de 2017 le programme SDTI, en fonction depuis 2004 dans l’armée de terre. Il a vocation à être employé au niveau d’une brigade ou d’une task force terrestre, aux ordres du chef tactique de ce niveau. Il permet de mener, avec une grande réactivité, des missions de surveillance ou d’appui renseignement directement au profit des unités engagées au contact. Une trentaine de drones tactiques au total doivent être acquis sur étagère sur la période de la loi de programmation militaire. Son lancement est prévu pour 2015.

B. DE LOURDES HYPOTHÈQUES

1. Les incertitudes de la fin de gestion 2014

L’année 2014, première année de mise en œuvre d’une loi de programmation militaire 2014-2019 dont il a été maintes fois rappelé qu’elle ne pourrait pas supporter la moindre entorse, tant « le costume était juste », n’a pas tenu ses engagements. Il y a lieu d’être pessimiste pour la suite.

a. L’impact de la fin de gestion 2013

En premier lieu, l’annulation de 650 millions d’euros sur le programme 146 en fin de gestion 2013 a dégradé l’entrée en loi de programmation militaire.

Il a entraîné une augmentation du report de charges, lequel se traduit notamment par l’augmentation des factures impayées. Ainsi le report de charges pour la mission défense est passé de 3,2 milliards d’euros à la fin de l’année 2012 à 3,45 milliards d’euros en fin 2013.

Ce report de charges porte principalement sur le programme 146 (« équipement des forces »), à hauteur de 2,4 milliards d’euros fin 2013, contre 2,1 milliards fin 2012, soit une dégradation de 300 millions d’euros. Selon le Délégué général à l’armement, M. Collet-Billon, un report de charges stabilisé autour de 2 milliards d’euros sur la période de la loi de programmation supposait une « gestion tendue » mais était « tenable au vu des intérêts moratoires suscités ». C’était déjà largement au-dessus du report de charges considéré comme normal, l’équivalent d’un mois d’exécution budgétaire, soit 1 milliard d’euros pour le programme 146.

Avec un report de charges de 2,4 milliards d’euros, la Délégation générale à l’armement risque de ne plus pouvoir payer ses factures à partir du mois d’octobre 2014, ce qui pourrait compromettre les étapes des programmes d’armement prévus pour la fin de l’année.

b. L’impact du collectif budgétaire du 8 août 2014

Ce collectif a procédé à l’annulation de 201,7 millions d’euros sur le programme 146, et de 132 millions d’euros sur le programme 191 « recherche duale ».

Ces annulations ont été partiellement compensées par l’ouverture de 250 millions d’euros de crédits issus du Programme d’investissements d’avenir (PIA) sur le programme 402 (« excellence technologique des industries de défense »). Cette ouverture s’est fondée sur l’article 3 de la loi de programmation, qui prévoit que 500 millions d’euros de recettes exceptionnelles supplémentaires peuvent être mobilisés pour sécuriser les programmes d’armement.

Ces 250 millions d’euros ont compensé intégralement les 132 millions d’euros en faveur de la recherche duale, et à hauteur de 118 millions d’euros les crédits annulés sur le programme 146. Pour cela, les 132 millions ont été affectés au Centre national des études spatiales (CNES) pour financer des programmes de recherche duale. Et les 118 millions d’euros doivent financer des activités de développement, par l’intermédiaire de la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA/DAM), qui étaient auparavant financées sur le programme 146. Au terme de cette manœuvre, il manque donc 83,7 millions d’euros sur le programme 146, qui viennent s’ajouter aux 650 millions d’euros annulés à la fin de l’année 2013.

Le ministère a promis de mobiliser la deuxième tranche de 250 millions d’euros prévue par la clause de sauvegarde de la loi de programmation « d’ici la fin de l’année ». Toutefois, à ce stade, votre rapporteur ne dispose d’aucun élément concret à ce sujet. Par ailleurs, les règles du PIA prohibent de recourir à l’autofinancement ; seules les dépenses faites par des opérateurs sont éligibles à ces 250 millions d’euros, ce qui en complique nettement l’utilisation.

c. Un inéluctable ajustement en fin de gestion 2014

Pour la fin de gestion 2014, le budget de la défense est exposé aux aléas « classiques » que sont la levée des réserves de précaution, l’auto-assurance sur les dysfonctionnements du logiciel de solde Louvois, et le financement interministériel des OPEX.

Si la levée des réserves et le principe du financement interministériel des OPEX ne devraient pas être remis en cause, cela ne signifie pas que la fin de gestion ne sera pas problématique. Tout d’abord, les surcoûts liés aux dysfonctionnements de Louvois devraient se chiffrer à 150 millions d’euros, dont 90 millions d’euros d’indus non récupérés, et 35 millions d’euros d’avances versées. Les autres surcoûts tiennent aux réorganisations, aux mesures de correction et à la prolongation d’autres logiciels rendues nécessaires par les dysfonctionnements de Louvois.

En outre, les surcoûts OPEX au-delà de la provision initiale seront aussi élevés en 2014 qu’en 2013 : le ministère les estime à 678 millions d’euros, pour un surcoût OPEX total de 1,128 milliard d’euros. La défense financera les surcoûts OPEX, mais aussi les dépenses des autres ministères soumises au principe de la solidarité interministérielle, à hauteur de son poids dans le budget de l’Etat, soit environ 20%. Il est donc probable que la défense devra à nouveau annuler plusieurs centaines de millions d’euros de crédits à ce titre à la fin de l’année 2014.

d. Les programmes d’équipement en variable d’ajustement ?

La loi de programmation budgétaire sera donc remise en cause dès la première année d’exécution. À n’en pas douter, les programmes d’équipement devront à nouveau porter l’essentiel de l’effort. Et à court terme, il s’avère que les programmes impactés risquent précisément d’être ceux dont nos armées déployées sur le terrain ont le besoin le plus urgent.

En effet, le lancement des programmes prévus pour le second semestre 2014 se fait attendre. C’est le cas du programme MRTT, pour lequel le contrat est négocié, mais n’a toujours pas été notifié. Ce programme, crucial pour nos engagements extérieurs, devait déjà être lancé en 2013. Un report supplémentaire nuirait gravement aux capacités de nos armées, qui sont d’ores et déjà dans une situation de carence préjudiciable dans le cadre de Barkhane, et qui ne pourra que s’aggraver étant donné l’âge des ravitailleurs actuels (cf infra). Une commande fin 2014 permettra une livraison au plus tôt en 2018, nous sommes déjà au-delà du délai raisonnable.

Il en va de même pour le programme Scorpion, qui doit remplacer des équipements à bout de souffle dans l’armée de terre, et intensivement sollicités sur les théâtres d’opération (cf infra). La notification du contrat est annoncée pour la fin de l’année 2014 : votre rapporteur souhaite vivement que cela se concrétise.

Enfin, des livraisons d’équipement prévues à la fin de l’année pourraient être différées à 2015, en raison des difficultés de trésorerie qui ne manqueront pas de se manifester. Selon les informations dont dispose votre rapporteur, cela pourrait être le cas de la livraison du sixième A400M, lequel pourrait être livré à la place à l’un de nos partenaires européens. Nous attendrions alors 2015 pour percevoir un nouvel appareil. À court terme, cette perspective semble n’avoir pas que des inconvénients, dans la mesure où cela pourrait soulager les militaires français de n’être plus les seuls à « essuyer les plâtres » sur cet avion dont la mise en service semble complexe. Néanmoins, les décalages de livraison, surtout s’agissant d’un appareil aussi structurant, peuvent susciter une certaine désorganisation au sein de la base d’Orléans appelée à recevoir les A400M. Par exemple, cela pourrait conduire à ce qu’un excès de personnels reçoivent la formation A400M, qui s’avère coûteuse, au regard des appareils disponibles. De même, il est permis de douter qu’un troisième vecteur de drone MALE pourra être livré d’ici la fin de l’année, alors que cette capacité est critique pour notre engagement au Sahel.

2. L’épineux problème des recettes exceptionnelles en 2015

Le budget de la défense pour 2015 repose tout entier sur l’hypothèse de la réalisation de 2,3 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, qui représentent plus de 7% du budget.

a. Des recettes indispensables

Depuis le départ, votre rapporteur a insisté sur le fait que le recours massif aux recettes exceptionnelles prévu par la loi de programmation militaire 2014-2019 représentait une fragilité majeure, dans la mesure où ces recettes sont, par essence, imprévisibles. Cette fragilité a été renforcée par le nouveau budget triennal, qui en a encore accru le poids.

• Les recettes exceptionnelles prévues par la LPM

La loi de programmation militaire votée fin 2013 prévoit qu’un montant total de 6,1 milliards d’euros de recettes exceptionnelles doit venir abonder le budget de la défense entre 2014 et 2019, ainsi réparti :

Md€ courants

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Ressources exceptionnelles

1,77

1,77

1,25

0,91

0,28

0,15

Par ailleurs, l’article 3 de la loi de programmation militaire dispose que « le montant des recettes exceptionnelles peut être augmenté de 0,5 milliards d’euros afin de sécuriser la programmation des opérations d’armement jusqu’à la première actualisation de la programmation si la soutenabilité financière de la trajectoire des opérations d’investissement programmée par la présente loi apparaît compromise ».

Ces recettes pourront être tirées, sans que cela ne soit exhaustif :

– du produit de cessions d’emprises immobilières du ministère ;

– d’un nouveau programme d’investissement d’avenir au bénéfice de l’excellence technologique de l’industrie de défense ;

– du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquence comprise entre 694 et 790 MHz ;

– des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences déjà réalisées lors de la précédente programmation ;

– du produit de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques.

• L’impact du budget triennal 2015-2017

Le budget triennal 2015-2017, présenté en juillet 2014, retranche 500 millions d’euros du budget prévu pour la défense au cours des trois prochains exercices, soit 1,5 milliards d’euros au total. Cela porte le budget annuel de la défense à 30,9 milliards d’euros au lieu de 31,4 milliards pour les exercices 2015 à 2017.

Il est prévu que ces 500 millions d’euros annuels seront réintroduits dans le budget de la défense sous forme de recettes exceptionnelles. Par cette mesure, les risques pesant sur l’exécution de la loi de programmation militaire se trouvent ainsi considérablement renforcés.

Selon le budget triennal, les recettes exceptionnelles à percevoir sur la période de la LPM se répartissent désormais ainsi :

Md€ courants

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Ressources exceptionnelles

2,27 (3)

2,30

1,78

1,44

0,28

0,15

• Perspectives pour 2015

Dans la cadre du projet de loi de finances pour 2015, 2,27 milliards d’euros de recettes exceptionnelles sont nécessaires. Elles doivent en principe provenir :

– A hauteur de 0,20 millions d’euros, de la cession d’emprises immobilières du ministère ;

– A hauteur de 2,10 milliards d’euros, du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences dite des « 700 Mhz », ainsi que des redevances versées par les opérateurs au titre de cessions de fréquences déjà réalisées.

b. Des recettes introuvables

Il est désormais acquis que les 2,3 milliards d’euros de recettes exceptionnelles désignées par le projet de loi de finances pour 2015 ne seront pas au rendez-vous.

Certes, les recettes tirées de la cession d’emprises immobilières paraissent acquises. La vente de l’ensemble Penthemont-Bellechasse en 2014 a rapporté 230 millions d’euros, soit 30 millions de plus que la prévision.

En revanche, il est à présent certain que les recettes exceptionnelles issues de la vente des fréquences ne se concrétiseront pas avant fin 2016, au mieux. Premièrement, l’avenir dépend des décisions que doit prendre la Conférence mondiale des radiocommunications programmée en novembre 2015. En outre, deux questions devront être tranchées : à partir de quand l’usage de la bande des 700 Mhz sera-t-il autorisé pour la téléphonie mobile en Europe ? Sur quelle largeur de spectre de fréquences exactement cette autorisation sera-t-elle donnée ? Il faudra ensuite tenir compte des choix opérés par nos voisins, compte-tenu de possibles effets de brouillage si d’autres pays continuent à les utiliser pour la télévision. Par ailleurs, le réaménagement des fréquences aujourd’hui occupées par la télévision prend du temps, au moins trois ans selon le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Enfin, il n’est pas certains que les opérateurs de téléphonie mobile aient, à court terme, l’appétence ou les moyens d’investir dans de nouvelles fréquences, étant donnée la conjoncture économique de ce secteur.

c. Le flou autour des « sociétés de projet »

2,1 milliards d’euros restent ainsi à trouver pour 2015. Votre rapporteur tient à souligner qu’il est inacceptable de faire voter un budget lorsqu’une telle incertitude demeure sur le montant de ses recettes. Le ministère ne peut pas prétendre avoir été surpris par l’absence des recettes issues de la vente des fréquences en 2015 : lors du contrôle sur pièces effectué par nos collègues le 17 juin dernier, des documents ont été recueillis qui attestent que la direction du budget était informée de ce calendrier dès le premier trimestre 2013. Soit avant même le vote de la loi de programmation militaire !

Le Gouvernement dit à présent réfléchir, dans le cadre d’un groupe de travail rassemblant des membres des ministères de la défense et de l’économie, à un dispositif susceptible de permettre de mobiliser les ressources nécessaires. L’article 3 de la LPM autorise le ministre à utiliser les ressources issues de cessions de participations publiques dans des entreprises, mais celles-ci doivent obligatoirement financer des investissements en capital. D’où l’idée de créer des sociétés de projet, avec un capital public ou semi-public, constitué à partir de ces cessions d’actifs. Ces sociétés pourraient racheter les équipements militaires aux armées pour le leur louer ensuite. Il pourrait s’agir aussi d’équipements encore en construction chez l’industriel. Seraient potentiellement concernés les équipements qui n’impliquent pas systématiquement une action militaire létale : les A400M, les MRTT ou les hélicoptères de surveillance maritime seraient de bons candidats. Cependant, les modalités matérielles, financières, juridiques et techniques demeurent très floues. D’après le Gouvernement, elles sont encore à l’étude…pour un mécanisme qui a vocation à être opérationnel dès l’été prochain !

Cette solution peut raisonnablement susciter quelques inquiétudes, dont il serait souhaitable de débattre au moment du vote du budget. En premier lieu, de nouvelles incertitudes se font jour sur le calendrier : ce dispositif peut-il être fonctionnel à temps pour permettre la poursuite des commandes au second semestre 2015 ? Au-delà, le principe même de ces sociétés de projet doit être mis en question. Est-il bien raisonnable de placer nos équipements militaires sensibles aux mains d’une société semi-privée ? Cette solution ne nous engage-t-elle pas à long terme, alors qu’il s’agit pour le moment de répondre à un problème ponctuel, le décalage d’encaissement des recettes exceptionnelles ? La location de nos équipements militaires ne finira-t-elle pas par nous coûter très cher ? Autant de questions légitimes, dont il n’est pourtant pas permis de débattre à ce stade, au motif que la réflexion est encore en cours. C’est un recul bien regrettable du pouvoir budgétaire du Parlement.

3. L’enjeu critique des exportations d’armement

Les baisses de cibles et étalements des programmes d’armement dans le sillage de la dernière loi de programmation militaire sont susceptibles de mettre en difficulté notre base industrielle et technologique de défense, largement tributaire des commandes d’État.

En 2013, les industriels français ont enregistré un montant de prises de commandes de 6,87 milliards d’euros. En 2014, les principales réussites à l’exportation ont été la signature d’un gros contrat pour la rénovation des frégates saoudiennes, l’acquisition d’un satellite de communication par le Brésil, et la commande de quatre corvettes par l’Égypte. La région Proche et Moyen-Orient représente plus de la moitié des prises de commandes en 2013, suivie de la zone Asie-Pacifique (24%), de l’Europe (9%) et de l’Amérique latine.

Cependant, il reste, à la fin de l’année 2014, une question en suspens, qui n’est pas des moindres : celle de l’exportation du Rafale. C’est là une hypothèse structurante de la loi de programmation militaire : Dassault ne peut produire moins de 11 Rafale par an, la France n’en commandera que 26 sur la durée de la programmation : il faudra donc que Dassault en exporte au moins 40… À court terme, cela implique qu’au moins deux prospects exports se concrétisent, pour prendre le relai des commandes étatiques à partir de 2016. Les négociations sont bien avancées avec l’Inde et le Qatar. Concernant l’Inde, les militaires semblent acquis à la cause du Rafale ; c’est à l’échelle politique que les discussions traînent en longueur. Les Indiens semblent néanmoins avoir écarté les concurrents du Rafale, ce qui évidemment un signe encourageant. Il est indispensable que ces prospects se concrétisent avant la fin de l’année 2015. Dans un deuxième temps, les Émirats arabes unis, la Belgique ou encore la Malaisie seraient des clients potentiels, sur des volumes moindres.

Enfin, d’autres prospects pourraient se concrétiser au cours de l’année prochaine. Les frégates multi-missions (FREMM) sont proposées à l’Arabie saoudite, au Brésil et au Canada. Les sous-marins de type Scorpène, déjà acquis par le Brésil, l’Inde, le chili ou la Malaisie, intéressent désormais la Pologne et le Pérou ; l’Inde pourrait en outre commander des bâtiments supplémentaires. Enfin, le VBCI suscite l’intérêt des Émirats arabes unis, du Qatar, du Koweït et du Danemark.

Au-delà des enjeux de survie pour notre base industrielle de défense, les exportations d’armement représentent un vecteur stratégique essentiel. De plus en plus, les contrats d’armement incluent un coût complet équipement – formation des militaires – maintien en condition opérationnelle. Des armées dotées de matériels français sont aussi familiarisées avec la manière de penser française. De la sorte, la France se constitue des relais d’influence et des points d’appui à travers le monde, qui lui sont extrêmement précieux.

CONCLUSION

Le budget de la défense pour 2015 s’affranchit du cadre, déjà très contraint, des 31,4 milliards d’euros prévus par la loi de programmation militaire. 2,1 milliards d’euros manquent au compte ! Votre rapporteur, soucieux du respect du pouvoir budgétaire du Parlement, ne saurait cautionner ce qui s’apparente à un « chèque en blanc » au Gouvernement pour trouver, en cours d’année, des recettes qui sont, pour l’heure, indéterminées.

Dès lors, votre rapporteur ne pouvant émettre un avis favorable aux crédits de la mission « Défense » et souhaitant, malgré tout, apporter son soutien aux femmes et aux hommes appelés à servir notre pays, s’en remet à la sagesse de la Commission.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

EXAMEN DES CRÉDITS

À l’issue de la commission élargie (4), la commission des affaires étrangères examine pour avis les crédits de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2015

La commission émet un avis favorable à l’adoption de ces crédits.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

Mardi 30 septembre 2014

– Général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées

– Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air

Mercredi 1er octobre 2014

– Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine

Mardi 7 octobre 2014

– M. Christian Fournier, directeur financier de la Délégation générale à l’armement (DGA)

Mercredi 8 octobre

– M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure

Mardi 14 octobre

– Général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre

Dans le cadre d’une visite à la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy le 14 octobre 2014

Rencontre avec le Colonel Besançon, commandant de la base, et les personnels civils et militaires de la base 123, notamment :

Εσχαδρον δε τρανσπορτ Τουραινε συρ A400M 

– Escadron de transport Poitou (forces spéciales)

– Commando parachutiste de l’air n°10 (CPA 10, forces spéciales)

© Assemblée nationale

1 () Projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, n° 2110, déposé le 9 juillet 2014

2 () Projet annuel de performance pour 2015

3 () En incluant les 500 millions d’euros au titre de l’article 3 de la loi de programmation militaire, dont seuls 250 millions d’euros ont été effectivement versés

4 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2015/commissions_elargies/cr/C006.asp