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Commission des affaires étrangères

Mercredi 5 décembre 2012

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente, de Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.

– Audition, conjointe avec les commissions des affaires européennes et de la défense, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique européenne de défense (ouverte à la presse)

Audition, conjointe avec les commissions des affaires européennes et de la défense, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique européenne de défense

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

Mme la présidente Danielle Auroi. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation à cette audition, que je suis heureuse de coprésider avec Mme Patricia Adam et Mme Elisabeth Guigou – vous voyez que la parité progresse ! Ce travail en commun, nous pouvons et devons le développer pour que l’Assemblée tout entière prenne conscience des enjeux européens. Nous avons souhaité vous entendre sur la vision et les priorités du Gouvernement en matière de politique européenne de défense. Notre commission a engagé la réflexion sur ce sujet en confiant à nos collègues Joaquim Pueyo et Yves Fromion la préparation d’un rapport d’étape qu’ils nous présenteront dès la semaine prochaine.

Nous avons déjà constaté avec plaisir combien la relance de l’Europe de la défense vous tenait à cœur. Depuis votre nomination au Gouvernement, vous n’avez en effet pas ménagé vos efforts, allant à la rencontre de nos partenaires européens pour les convaincre de poursuivre avec nous cet objectif énoncé par François Hollande lorsqu’il était candidat. Ces efforts ont porté leurs fruits puisque vous avez rallié plusieurs de nos partenaires à l’idée d’une opération au Nord-Mali début 2013. À propos de ce sujet sensible, nous pourrions réfléchir ensemble aux moyens de tirer l’Afrique de plusieurs mauvais pas.

Plus généralement, avec vos homologues de la défense et les ministres des affaires étrangères du groupe « Weimar+ » – qui réunit l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et la Pologne –, vous avez abouti à une déclaration commune sur la nécessité de relancer l’Europe de la défense, déclaration qui témoigne d’une ferme volonté politique de développer la coopération en Europe. De fait, cette volonté, couronnée par le prix Nobel décerné à l’Union, contribue bien plus que l’approche budgétaire à dessiner l’avenir que nous devons bâtir ensemble. « Si vis pacem, para bellum », disaient les Romains ; mais nous devons aujourd’hui contribuer d’abord à la paix.

Je souhaite vous interroger en premier lieu sur le rôle de la Grande-Bretagne qui reste, avec la France, la principale puissance militaire européenne. Les Britanniques ont-ils manifesté le souhait de s’associer à la relance de l’Europe de la défense ? Dans bien des domaines, ils donnent plutôt l’impression de vouloir de nouveau se mettre en retrait. La Grande-Bretagne s’est toutefois fermement engagée aux côtés de la France, de la Suède et d’autres pays européens lors des discussions relatives au traité sur le commerce des armes, en vue de réguler le commerce licite et de lutter contre le commerce illicite des armes classiques.

À ce propos, je souhaite également vous interroger sur les dégâts effroyables causés par les armes de petit calibre sur les civils et régulièrement dénoncés par les ONG, en particulier par Handicap International. Où en sont les négociations sur les engagements français et européens en la matière ?

Où en sont enfin les réflexions sur le lancement d’opérations de prévention des conflits à l’échelle européenne ? Le rapport de Catherine Lalumière avait en son temps proposé des pistes très convaincantes en vue d’instaurer une force d’interposition européenne. Cette idée est-elle encore à l’ordre du jour ? Est-elle définitivement abandonnée ? Va-t-elle renaître sous d’autres formes ?

Écologiste, venue comme telle de la culture pacifiste, consciente du fait que l’Europe est un espace de paix à construire jour après jour, j’aimerais que vous nous assuriez de la volonté européenne de parler d’une seule voix en matière de politique de défense.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le ministre, nous avons auditionné avant vous, selon la même procédure conjointe, M. Jean-Marie Guéhenno, au sujet du Livre blanc, et M. Pierre Vimont, à propos du Service européen d’action extérieure. Vous avez longtemps été membre de notre commission ; nous n’avons donc pas à vous convaincre du rôle essentiel que les parlementaires ont à jouer dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation de notre politique de défense. Les députés français s’y emploient de longue date au niveau national mais, avec le développement progressif d’une politique de sécurité et de défense commune, la question du contrôle parlementaire de la politique de défense se pose désormais aussi à l’échelon européen, non seulement pour le Parlement européen mais aussi pour les parlements nationaux. J’espère d’ailleurs que notre rencontre avec nos homologues allemands en compagnie de nos collègues sénateurs, prévue lundi prochain, nous permettra d’appuyer votre démarche. La première réunion, les 9 et 10 septembre derniers, de la Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune – PESC – et la politique de sécurité et de défense commune – PSDC –, où l’Assemblée nationale était représentée par Daphna Poznanski-Benhamou, constituait déjà un progrès sur cette voie. Nous aimerions donc vous entendre sur la participation des parlements à la construction de l’Europe de la défense.

Dans les démarches que vous avez entreprises, quels États membres vous ont paru prêts à suivre la France et quels sont ceux qui résistent ? Par ailleurs, quelles pourraient être au cours des mois à venir les conséquences concrètes du sommet que l’OTAN a tenu à Chicago au printemps dernier et qui a conclu à l’importance d’une implication accrue des Européens dans l’Alliance, soutenue par les Britanniques et les Américains ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, je me réjouis moi aussi que nos trois commissions vous entendent conjointement sur ce sujet d’intérêt commun – et que ce soient trois femmes qui président la réunion, chose inhabituelle en ces lieux.

L’Europe de la défense a une longue histoire, très contrastée. Après l’échec de la CED, en 1954, il a fallu attendre quarante ans pour que l’on recommence à envisager une politique étrangère et de défense européenne, avec le traité de Maastricht. Alors que celui-ci n’offrait guère de moyens juridiques à la mesure de ses grandes ambitions, nous avons progressé en la matière à chaque nouveau traité – Amsterdam, Nice, Lisbonne. Par le dispositif des coopérations structurées, ce dernier permet aux États membres qui le peuvent et le souhaitent d’avancer à quelques-uns. En outre, l’initiative franco-britannique de Saint-Malo, en 1998, a débouché sur une coopération bilatérale très fructueuse sur laquelle vous pourriez faire le point pour nous, monsieur le ministre, et levé l’opposition britannique aux progrès des discussions entre États membres sur l’Europe de la défense. Au cours des deux ou trois années qui ont suivi, des fusions industrielles ont eu lieu, qui ont donné naissance à EADS, et des initiatives souvent françaises, mais très suivies par nos partenaires, ont abouti à des décisions importantes aux Conseils européens d’Helsinki et de Cologne. Les attentats du 11 septembre 2001 ont donné un coup d’arrêt brutal à cette évolution, l’Europe se focalisant tout à coup, à la suite des Américains, sur la seule lutte contre le terrorisme au détriment de toute initiative visant à développer l’Europe de la défense. Ont ainsi été abandonnées nombre de coopérations engagées pour atteindre les objectifs précis découlant d’Helsinki et de Cologne, dont la constitution d’une armée de 100 000 hommes dotée de 400 avions de combat.

Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous repreniez ce flambeau. Ce ne sera pas simple, car comme l’ont confirmé les auditions d’Hubert Védrine et de Jean-Marie Guéhenno, en dépit d’avancées juridiques non négligeables dans les traités, des divergences très nettes demeurent. Nous aimerions donc savoir lesquels de nos partenaires sont selon vous prêts à avancer avec nous pour relancer l’Europe de la défense. À cet égard, nous avons noté avec un grand intérêt les conclusions de la réunion de Weimar+. Je ne crois pas que l’on puisse prendre le prétexte de la crise économique dans laquelle notre continent est malheureusement encore englué pour se détourner de cet objectif, car si l’Europe montre qu’elle peut jouer un rôle au niveau mondial, cela contribuera à résoudre ses difficultés.

Quelle est votre appréciation des menaces pesant sur l’Europe ? Il est regrettable que le document stratégique très intéressant publié en 2003 par Javier Solana n’ait pas été mis à jour depuis.

Les États-Unis semblent aujourd’hui désireux de nous voir prendre non seulement notre part du fardeau, mais aussi nos responsabilités, comme on l’a vu en Libye. Que pensez-vous de cette évolution ?

Après la triste histoire de l’avion de combat européen, où en sont les perspectives de coopération industrielle en Europe, en vue de nous doter d’armements et d’équipements communs ?

Enfin, monsieur le ministre, j’aimerais que vous fassiez le point sur la crise malienne. Un concept d’intervention éventuelle – puisqu’il faut laisser toute leur place aux négociations politiques et à l’aide humanitaire – a été défini au niveau européen. Quel est votre sentiment ? Pourriez-vous nous préciser la nature et le calendrier de cet engagement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Mesdames les présidentes, je vous remercie de votre invitation. Je vais m’efforcer de répondre à vos questions.

L’Europe de la défense est une question majeure pour le Président de la République et pour la France. Le moment est favorable à sa relance puisque le président du Conseil européen, M. Van Rompuy – que j’ai rencontré à deux reprises, assez longuement, à ce sujet –, vient de décider de proposer au Conseil européen de décembre d’intégrer à ses conclusions une feuille de route d’un an qui devrait aboutir fin 2013 à de nouvelles orientations de l’Union en matière de défense et de sécurité . En outre, à l’initiative du commissaire Barnier soutenu par le président Barroso, la Commission européenne a installé une task force sur la défense qui rendra ses conclusions mi-2013. Nous devons nous inscrire dans cette évolution favorable et la nourrir par un engagement politique sans faille.


L’ambition que je porte est d’abord celle du Président de la République appelant, dans son discours du 11 mars, à une relance de la construction européenne en matière de défense. De fait, la démarche bilatérale de Lancaster House, que je ne juge pas antinomique avec le projet européen, avait suscité des interrogations, voire des incompréhensions chez plusieurs de nos partenaires ; j’ai pu le mesurer lors de rencontres bilatérales avec mes homologues. On attendait donc de nous que nous réaffirmions la priorité européenne mise en avant, de façon continue et obstinée, par plusieurs Présidents de la République et gouvernements successifs, en particulier depuis la fin de la guerre froide et les initiatives franco-allemandes qui conduisirent au traité de Maastricht. Aujourd’hui, une conviction nous rassemble autour de l’objectif de construction européenne en matière de défense, et nous retrouvons le cours naturel de la vision de la France dans ce domaine.

Je suis conscient de l’engagement de vos trois commissions sur ce sujet, des auditions que vous menez et de votre travail conjoint avec vos collègues du Parlement européen, que je souhaite rencontrer au premier semestre 2013. Je salue également l’important travail en cours de vos collègues MM. Pueyo et Fromion. Votre contribution à la préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale sera également essentielle, car l’Europe de la défense et la question de notre pleine participation à l’OTAN en constituent deux éléments structurants. Vous aurez d’ailleurs observé la novation que constitue la participation directe de nos principaux partenaires européens aux travaux du Livre blanc : la commission compte un Britannique et un Allemand, et elle a auditionné de nombreuses personnalités européennes, qui en ont été honorées et y ont vu la marque de notre engagement dans le projet d’Europe de la défense.

Les mots ont leur importance. Je préfère parler d’« Europe de la défense » plutôt que de « défense européenne », notamment parce que cette dernière expression renvoie à la manière dont les Européens se défendent collectivement en cas de menace ou d’agression directe. Or soyons réalistes et pragmatiques : comme l’a souligné Hubert Védrine dans son rapport au Président de la République, si nous pouvons nourrir l’ambition à très long terme de confier à l’Union européenne la défense militaire de l’Europe contre des menaces militaires directement tournées contre elle, cette fonction est aujourd’hui assumée par les États, avec l’aide des Etats-Unis, dans le cadre de l’OTAN. Le traité de Lisbonne reconnaît lui-même cette complémentarité dans la clause d’assistance mutuelle.

L’Europe de la défense, quant à elle, vise à faire de l’Union européenne un acteur crédible et efficace en matière de défense, pour qu’elle puisse intervenir dans des zones ou sur des sujets qui mettent directement en jeu les intérêts des Européens en matière de sécurité. C’est d’autant plus essentiel que cela conduit les Européens à définir ces intérêts communs, à déterminer les zones où ils sont en jeu ou peuvent être menacés, bref à poser les fondements même d’une politique commune. En témoigne la mobilisation européenne sur les enjeux de sécurité au Sahel et l’engagement qui se dessine au Mali – j’y reviendrai.

L’Europe de la défense comporte aussi un volet industriel : disposer, à l’échelle européenne, d’un tissu industriel composé de grands groupes, comme de PME robustes, innovantes et compétitives au niveau international. Il y va de l’autonomie stratégique européenne.

Dès lors – je m’appuie ici sur les conclusions du rapport Védrine, que j’approuve pleinement –, notre démarche en matière de défense en Europe doit suivre deux axes d’égale importance. D’une part, une pleine participation à l’Alliance atlantique qui implique d’y développer notre vision, en fonction de nos intérêts et de ceux de l’Union, en lien avec nos partenaires et en association avec les États-Unis, qui continueront de jouer un rôle majeur dans la défense du continent européen et avec lesquels nous devons rester capables d’agir militairement. D’autre part, un engagement permanent, concret et volontariste dans l’Europe de la défense telle que je viens de la définir.

Sur le premier point, la France devra défendre sa vision au sein de l’Alliance sans complexe et en totale solidarité avec elle, comme l’a fait le Président Hollande dès le sommet de Chicago, quelques jours après son investiture. Car la France y est chez elle : c’est, comme il l’a souligné, « notre » Alliance. N’oublions jamais, en effet, que cette alliance représente d’abord un engagement à la défense collective conclu entre les deux rives de l’Atlantique, que nous avons choisi librement et qui est structurant ; ensuite, c’est le cadre normal des actions militaires conjointes des Américains et des Européens lorsqu’ils veulent ensemble défendre des intérêts communs ; enfin, c’est l’un des outils de notre partenariat stratégique transatlantique. Cette vision claire, nous devons la promouvoir activement et en faisant preuve de volonté. Puisque nous y sommes, pourrait-on résumer, autant y être pleinement.

Deuxièmement, la France doit développer avec ses partenaires, dans un cadre bilatéral ou multilatéral, un projet pragmatique visant à construire l’Europe de la défense. Dans tous les pays de l’Union européenne, en effet, les politiques de défense sont à la croisée des chemins. Du point de vue géostratégique, la diversité, l’intensité et l’imprévisibilité des menaces nous commandent d’évoluer sans baisser la garde ; du point de vue économique, les tensions budgétaires auxquelles nous sommes soumis appellent des efforts partagés par l’ensemble des missions de l’État. Dans ce double contexte connu de tous les Européens et où chacun doit faire mieux avec moins, l’Europe de la défense se présente à la fois comme une nécessité et comme une chance unique. En d’autres termes, le désir devrait naître de la nécessité.

J’aimerais développer ce point en revenant sur trois raisons qui fondent notre démarche européenne en matière de défense.

Premièrement, nous devons tirer les enseignements du rééquilibrage des intérêts stratégiques américains vers la région Asie-Pacifique – pivot to Asia – affiché le 5 janvier dernier et exposé par le secrétaire à la défense Leon Panetta aussi bien dans les différents entretiens que j’ai eus avec lui, que publiquement, par exemple à Singapour et lors des dernières rencontres de l’OTAN à Bruxelles. Cette nouvelle donne doit conduire l’Europe à cesser d’être un consommateur de sécurité pour devenir un producteur de défense, au profit des États européens, mais aussi dans une logique de responsabilité régionale et internationale, vers le Sud et vers l’Est. Les Américains sont d’ailleurs aujourd’hui beaucoup plus favorables à l’Europe de la défense, ce qui comporte des avantages et des inconvénients : d’un côté, on nous laisse le champ libre mais de l’autre, nous sommes placés face à nos responsabilités. Tel est le sentiment que m’ont inspiré mes échanges avec l’ancienne administration Obama, la nouvelle n’est pas encore installée, mais il me semble qu’elle devrait reprendre une vision similaire.

Deuxièmement, plusieurs des menaces auxquelles nous sommes confrontés justifient, au-delà du cadre des États, des réponses multinationales. L’Union européenne est la première d’entre elles. Elle dispose d’une palette d’outils unique pour faire face aux menaces qui pèsent sur notre sécurité commune. Je songe, au-delà de l’action proprement militaire, à la lutte contre les trafics, à la formation en matière de police, de renseignement ou de sécurité civile, à la coopération sanitaire, à l’aide au développement. Mais il reste à coordonner ces outils et surtout à développer une vision politique globale qui fasse enfin de l’Europe un acteur reconnu des relations internationales.

Troisièmement, les contraintes budgétaires qui grèvent les budgets de défense de tous les États membres nous semblent pouvoir et devoir être compensées par une coopération accrue. L’enjeu consiste à maintenir certaines capacités, à en développer d’autres, à éviter les duplications – de capacités comme d’outils industriels –, à accroître nos interdépendances et à parer ainsi au risque de déclassement stratégique.

Au moment où nombre de pays européens s’apprêtent à renoncer à des capacités qu’ils ne sont plus à même de développer et d’entretenir à l’échelle nationale, il est vital d’organiser, à l’échelle de l’Union, des interdépendances capacitaires mutuellement consenties. Je sais les réticences que cela peut susciter, et je connais l’histoire de nos différents partenaires. À nous de leur faire comprendre que, pour certaines capacités, l’alternative est claire : nous les partagerons ou nous y renoncerons.

Voilà, en quelques mots, les fondements de notre démarche. Je ne la conçois pour ma part que concrète, pragmatique. Jusqu’à présent, les différentes tentatives de relance de l’Europe de la défense ont été d’ordre déclaratif ou institutionnel. Cette dernière approche a un moment recherché un quartier général commun, mais cette étape importante n’a pas été franchie. Il importe désormais de construire l’Europe de la défense par l’action. À cette fin, nous poursuivrons le travail engagé par le Gouvernement dans la perspective du Conseil européen de décembre 2013, qui comporte trois objectifs : le volet opérationnel, le volet capacitaire et le volet industriel.

Sur le premier aspect, il est clair que notre ambition n’a de sens que si nous nous projetons réellement afin que l’Union européenne soit enfin un acteur majeur, reconnu comme tel, dans la gestion de crises internationales. Sur cette question en particulier, il faut partir d’une analyse géopolitique commune. Pour les Européens, quelles sont les zones de crise ? Nos visions sont-elles, comme on le dit trop souvent, opposées, ou, comme je le crois, largement convergentes lorsque nous étudions avec lucidité nos intérêts en matière de sécurité ? Nous devons aussi être capables de ne pas fermer les yeux sur les points de crispation. Je songe en particulier aux groupements tactiques, ces réservoirs de forces terrestres interarmes composés de 1 500 hommes, armés par des contributions volontaires d’un ou plusieurs États membres et prenant chacun leur tour d’alerte semestriel. Déclaré opérationnel avec enthousiasme en 2007, ce dispositif permet de disposer en permanence d’une force militaire de réaction rapide, déployée dans les dix jours suivant la décision politique. Il pourrait constituer une réponse à la question que vous m’avez posée sur la prévention, madame Auroi. Nous constatons malheureusement que cette belle idée est restée sans effet, la veille des groupements tactiques étant inexistante ou partielle et ces groupements n’ayant encore jamais été projetés, ce qui démotive les contributeurs éventuels. Faut-il continuer ? La question reste à l’ordre du jour. Je pense également à la mission EULEX au Kosovo, qui doit faire l’objet d’un retour d’expérience. L’Europe de la défense ne saurait transférer une partie de ses responsabilités à la KFOR, dont ce n’est pas la mission première.

Mais il faut aussi mettre en valeur ce qui fonctionne. L’exemple de la piraterie, au large de la Corne de l’Afrique, montre ainsi que lorsque l’analyse est commune, l’Europe sait se doter des moyens d’agir et faire la preuve de sa valeur ajoutée en matière de défense. Depuis le début de l’opération Atalante, aucune attaque n’a visé les navires du Programme alimentaire mondial et de l’AMISOM et le taux de réussite des attaques connaît aujourd’hui une baisse significative.

Notre deuxième objectif est d’accroître la disponibilité des capacités militaires en Europe. La volonté de se projeter ne fait pas tout ; pour y parvenir, il faut disposer de moyens militaires crédibles. Je l’ai dit, l’équation budgétaire pourrait menacer le développement et l’entretien de capacités nationales. Si nous voulons tenir notre rang stratégique, nous devons donc européaniser certains moyens.

Pour ce faire, il faut avoir le réflexe de mutualisation et de partage capacitaire – le pooling and sharing de l’Agence européenne de défense –, y compris pour la conception des futurs programmes d’armement. C’est une dynamique européenne que nous devons viser, à travers des coopérations concrètes à même d’intéresser tous les États, y compris ceux dont les capacités sont plus modestes.

Enfin, le troisième axe de notre action est la consolidation de l’industrie européenne, pour relever le défi de la projection et contribuer au développement de nos entreprises. Il nous faut réfléchir aux synergies industrielles qui nous permettraient d’être plus compétitifs. Malgré l’échec de la fusion entre EADS et BAE, le seul fait que cette initiative ait été possible nous montre la voie, même s’il y va d’abord de la responsabilité des entreprises. Nous devons également valoriser les PME. De ce point de vue, la création de la task force au sein de la Commission européenne est un signal fort et devrait nous être très utile à l’avenir.

L’approche pragmatique que je défends depuis sept mois suppose que nous soyons ouverts à toutes les initiatives. Ainsi, nous entendons bien poursuivre notre coopération avec les Britanniques sur la base des traités de Lancaster House ; le Président de la République l’a confirmé au Premier ministre Cameron et nous l’avons également dit à nos autres partenaires européens. Mais cela suppose que la relation ne soit pas exclusive ; voilà la nouveauté.

Soyons là encore pragmatiques. Dans le traité de Lancaster House, le volet nucléaire, essentiel à notre sécurité, est mis en œuvre de manière satisfaisante puisque l’on peut dire, même si le sujet est pour partie confidentiel, que le projet Teutates évolue favorablement. D’autres coopérations fonctionnent bien du point de vue opérationnel. Ainsi avons-nous pu constater récemment la qualité de l’exercice Corsican Lion. Nous constituons une force expéditionnaire commune interarmées qui sera dotée de sa pleine capacité opérationnelle en 2016. En matière de capacité et d’armement, nous avons conclu plusieurs accords sur les drones, notamment sur le drone tactique Watchkeeper et sur une étude relative au futur démonstrateur de drone de combat. Nous voulons progresser sur chaque dossier, y compris ceux qui sont plus difficiles comme la coopération de nos groupes aéronavals.

En outre, en informant tous nos partenaires de notre action, nous avons été à l’origine de la relance de Weimar+, dont la dynamique, engagée il y a quelques années, avait ensuite été stoppée, en particulier par la signature de Lancaster House. Nous avons ainsi réuni à Paris, il y a quelques jours, les ministres des affaires étrangères et de la défense des États concernés afin de formuler la déclaration dont vous avez eu connaissance, et qui témoigne de notre volonté de relancer l’Europe de la défense dans les trois domaines précédemment évoqués – toujours sans exclusive et en tenant les Britanniques informés.

J’aimerais dresser un bilan de l’action que nous avons menée depuis six mois dans ces trois domaines – opérations, capacités, industrie.

S’agissant des opérations, j’évoquerai d’abord le Mali sur lequel vous m’avez interrogé. C’est à l’initiative de la France qu’a été lancée, lors de la réunion informelle des ministres de la défense à Chypre, une dynamique qui laissait nombre d’observateurs sceptiques. Grâce à elle, pourtant, les vingt-sept ministres des affaires étrangères ont pu examiner le 15 octobre un concept de gestion de crises qui devrait déboucher, lundi prochain, sur un accord visant à lancer une opération de formation et de soutien à la reconstitution d’une armée malienne, indispensable à la sécurisation durable du pays et à la reconquête de son intégrité territoriale. Il convient de distinguer, d’une part, la MISMA, principale force permettant de soutenir la reconquête de l’intégrité malienne, qui devrait être mandatée dans quelques jours par les Nations Unies et réunira plusieurs pays de la CEDEAO, de l’Ouest africain et de l’Union africaine, mais à laquelle l’Europe contribuera sans doute également sous une forme à déterminer, et, d’autre part, l’EUTM Mali, mission proprement européenne qui se concentrera sur la reconstitution des forces armées maliennes et dont la France est la nation-cadre.

Toujours en vue de construire l’Europe de la défense par l’action – par la preuve, si l’on veut –, nous avons réexaminé lors de la réunion de Weimar+ le problème débattu depuis longtemps de la génération de forces aux Balkans, afin de proposer une stratégie européenne ambitieuse et concrète dans la région. La France est prête à consacrer sa réflexion et ses moyens à ce secteur. Enfin, nous avons commencé de réfléchir au rôle que pourrait jouer l’Europe dans une stratégie de sortie de crise en Syrie, dans les jours d’« après ».

En matière de capacités, nous avons cherché à faire progresser concrètement les onze dossiers identifiés dans le cadre du pooling and sharing de l’Agence européenne de défense. Notre potentiel de construction capacitaire commune est réel. Vous connaissez notre action en matière de transports, avec l’EATC – European Air Transport Command. Nous avons beaucoup œuvré pour que le ravitaillement en vol soit progressivement mutualisé et nous avons signé le 19 novembre, aux côtés de la Belgique, de l’Espagne, de la Grèce, de la Hongrie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal et de la Norvège, une lettre d’intention afin de lancer une coopération européenne dans ce domaine où nous souffrons d’un déficit capacitaire significatif qui nous rend dépendants des Américains. Nous commençons par la mutualisation, chaque pays disposant d’un droit de tirage sur le ravitaillement en vol fourni par les autres, ce qui est tout à fait nouveau. Les acquisitions viendront ensuite. Les autres dossiers concernent notamment le système d’information maritime Marsur, l’interopérabilité de nos communications tactiques, l’observation spatiale, les missiles sol-air.

Ces opérations d’échange ou d’acquisition capacitaire peuvent tout à fait réunir un nombre limité de partenaires, au sein de l’Agence européenne de défense, afin de bénéficier du label européen. Tout cela exige de la détermination, du temps, des compromis, chaque question appelant une réponse spécifique. Ainsi avons-nous progressé sur plusieurs sujets lors du sommet franco-italien qui s’est tenu à Lyon lundi, comme en témoigne une déclaration commune malheureusement un peu éclipsée par l’actualité.

En matière industrielle, enfin, nous devons nouer des relations et faire preuve d’imagination afin de réinvestir le champ ouvert par l’opération avortée entre EADS et BAE, par exemple en matière terrestre ou maritime. Sans doute est-il quelque peu prématuré d’en parler. Nous avons toutefois décidé avec nos amis italiens, lors du même sommet, de conduire une investigation sur la manière dont nous pourrions associer nos entreprises de défense dans plusieurs domaines, notamment spatial, afin de développer nos capacités et d’améliorer nos performances au niveau européen. C’est une nouveauté.

Telle est la méthode que je souhaite développer, tels en sont les premiers résultats. Le travail sera long. À mon sens, la dimension institutionnelle viendra ensuite, lorsque la situation sera mûre. Nous disposons d’une boîte à outils qui nous offre toutes les possibilités institutionnelles d’agir. N’en créons pas une autre, mais commençons par mettre en œuvre, par-delà les difficultés et les incompréhensions, un processus que les institutions viendront parachever. La France, qui a toujours été à l’initiative de la construction européenne, doit l’être plus que jamais pour bâtir l’Europe de la défense.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. À mon avis, cette méthode est la bonne. Elle renoue d’ailleurs avec une tradition qui a connu quelque succès dans le passé. Les traités actuels nous offrant des marges de progression qui n’ont pas été utilisées au cours des dernières années, rien ne sert de se lancer dans des innovations institutionnelles : progressons concrètement et nous verrons si des changements institutionnels sont nécessaires. Cela vaut de la défense comme d’autres domaines.

M. Joaquim Pueyo. Merci, monsieur le ministre, de votre intervention. L’Europe de la défense, que vous êtes manifestement décidé à faire progresser, est une nécessité dans le contexte actuel de contrainte budgétaire en Europe et de réorientation stratégique des États-Unis vers l’Asie.

Je souhaite vous poser deux questions. Premièrement, l’opération prévue au Sahel en 2013 ne pourrait-elle s’appuyer sur la coopération structurée permanente permise par le traité de Lisbonne ? Deuxièmement, vous avez annoncé, le 27 novembre, le lancement d’un « pacte défense PME » composé de quarante mesures visant à faciliter l’accès des PME aux marchés publics de la défense. La mesure n° 18 tend à soutenir les PME au niveau européen et s’intitule « Prendre des initiatives au sein de la task force ». Quelles initiatives avez-vous à l’esprit ? Plus généralement, quelles retombées les PME pourraient-elles escompter d’une relance de l’Europe de la défense ?

M. Yves Fromion. Monsieur le ministre, je me félicite de vos propos sur les conclusions du rapport Védrine à propos de la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN. Il est heureux que cette initiative reçoive aujourd’hui l’approbation générale ; cela confirme que les déclarations qu’elle a d’abord inspirées à certains n’étaient guère de bonne foi. On constate la même évolution au sujet de l’accord franco-britannique et du volet nucléaire qui en est le cœur : tous perçoivent aujourd’hui sa portée concrète pour les Britanniques et – surtout – pour nous.

De nombreuses initiatives ont été prises en matière de défense européenne au cours des dix dernières années, mais elles ne sont pas visibles. Les lecteurs du rapport d’étape que j’ai préparé avec Joaquim Pueyo seront ainsi surpris du nombre d’actions concrètes, et souvent fructueuses, que nous avons identifiées. Nous ne sommes pas dans un paysage de terre brûlée et l’Europe de la défense n’est pas une expression sans contenu que nous remâcherions tristement depuis une décennie.

Sur l’aspect institutionnel, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. S’il ne faut assurément pas inventer pour le plaisir un nouveau cadre institutionnel, c’est bien dans le traité de Lisbonne, et notamment dans son protocole sur la coopération structurée permanente, que nous trouverons un outil doté de la souplesse et du pragmatisme que vous défendez et qui donnera visibilité et crédibilité à toutes les initiatives en la matière. C’est en quelque sorte le principe actif de la PSDC. Il suscite d’ailleurs un grand intérêt en Europe, comme mon collègue Pueyo et moi-même en avons fait l’expérience. Ne devrions-nous pas être plus pédagogues à ce sujet ? Précision essentielle : la coopération structurée permanente n’est pas antagoniste de l’OTAN.

Mme Daphna Poznanski-Benhamou. Lors de la réunion de la Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), à Chypre, la présidence chypriote a repoussé sans explication tous les amendements au règlement intérieur que les délégations française et allemande avaient préparés comme on le leur avait demandé, n’acceptant – sans s’expliquer davantage – que les amendements britanniques. Le diable se nichant dans les détails, je vous l’indique, monsieur le ministre, afin que nous puissions comprendre les raisons de cet escamotage.

Je souhaite par ailleurs vous poser une question. La semaine dernière, le président du Burkina-Faso, M. Blaise Compaoré, a reçu à Ouagadougou toutes les factions maliennes, y compris les mouvements que nous considérons comme terroristes, dont Ansar Eddine. Ces factions ont fait part de leur attachement aux frontières actuelles du Mali, ce qui est plutôt sympathique, mais aussi, de manière surprenante, de leur rejet du terrorisme. Dès lors, quel crédit accorder à ce type de réunion et de déclaration ? Ne s’agit-il pas simplement de diluer la volonté d’intervenir des Européens et des Africains ?

M. Philippe Baumel. Le continent africain accueille aujourd’hui une grande partie des opérations de maintien de la paix de l’ONU. L’Europe est impliquée en Somalie et s’apprête à l’être au Mali. Pourtant, il semble difficile d’avancer : la France et le Royaume-Uni sont en pointe, mais peinent à entraîner les autres pays de l’Union.

Or les États-Unis, suivant leur stratégie de rééquilibrage, regardent ailleurs et souhaitent nous déléguer certaines interventions dans des zones où l’on ne peut plus laisser la situation perdurer.

Comment voyez-vous, dans ces conditions, l’avenir de la politique européenne de sécurité et de défense en Afrique ? Comment l’Europe pourra-t-elle agir efficacement au Sahel ? Est-elle susceptible d’intervenir dans d’autres régions du continent, en particulier dans l’est de la République démocratique du Congo où le Rwanda et le M23 occupent une partie du territoire ? L’ONU n’ayant pas montré une grande efficacité, ne conviendrait-il pas de « muscler » la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC) en lui adjoignant des forces européennes ?

M. Christophe Léonard. Pourriez-vous préciser votre analyse de la stratégie « dichotomique » poursuivie par la France en matière d’Europe de la défense ? D’un côté, notre pays veut aller plus loin dans l’intégration de ses forces conventionnelles au sein du groupe « Weimar + » ; de l’autre, il signe les accords de Lancaster House pour établir avec les Britanniques une coopération stratégique en matière nucléaire.

Le mouvement vient en marchant, dit-on. Pour s’assurer un bon équilibre, mieux vaut, certes, marcher avec les deux pieds. Encore faut-il que leurs mouvements soient coordonnés ! Bref, quelle est votre stratégie pour mettre en synergie institutionnelle et opérationnelle les deux éléments essentiels de l’Europe de la défense que sont Weimar + et Lancaster House, et faire ainsi émerger une politique européenne de défense intégrant tous les paramètres qui conditionnent son efficacité ?

M. William Dumas. La crise économique européenne ayant contraint les États membres à restreindre leurs budgets, la défense est reléguée au second plan. Cette réduction ne risque-t-elle pas de conduire au déclin stratégique de l’Union européenne ? De nombreux spécialistes pensent que l’on pourrait pallier cette baisse si une véritable défense européenne intégrée se faisait jour.

Par ailleurs, la France a confirmé récemment sa participation au centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN. Pourriez-vous nous donner des informations à ce sujet ?

M. Daniel Boisserie. La réunion à laquelle vous avez participé le 15 novembre avec vos collègues européens de la défense et des affaires européennes aura été fructueuse en matière de défense.

Depuis, l’OTAN a fait savoir qu’elle allait déployer des batteries de missiles Patriot en Turquie. L’Allemagne et les Pays-Bas sont parties prenantes. Ce déploiement a-t-il fait l’objet d’une concertation ? Une participation de nos forces sur ce territoire est-elle possible ?

Mme Marie Récalde. L’Asie investit aujourd’hui plus que l’Europe dans ses budgets militaires. La crise économique, le rôle stratégique des grands pays émergents et les changements de la politique extérieure américaine obligent les Européens à repenser leur place. Dans sa volonté de promouvoir une Europe ambitieuse, le Président de la République a fait de la relance de l’Europe de la défense une priorité et nous nous en félicitons.

Or, comme le souligne le rapport Védrine, si le retour dans le commandement intégré de l’OTAN a permis à la France d’exercer un rôle stratégique croissant, les investissements gigantesques de l’industrie militaire américaine placent de nombreux partenaires européens dans une situation de dépendance technologique. Selon les industriels auditionnés par la Commission de la défense, les achats de certains de nos partenaires européens relèvent d’une volonté de protection : il s’agirait de se placer de fait sous le parapluie américain.

Déterminer le cadre d’une nouvelle politique de sécurité et de défense commune suppose la mise en œuvre d’une stratégie industrielle coordonnée au niveau européen. Dans vos discussions avec vos homologues, l’angle industriel apparaît-il comme un facilitateur dans la recherche d’une stratégie commune ?

M. Gilbert Le Bris. Je souscris à votre postulat, monsieur le ministre : de consommateur de sécurité, il faut devenir producteur de défense. À cet égard, un projet pragmatique et concret se présente à nous, celui de la défense antimissile balistique, la DAMB. Il faut un pilier européen dans ce domaine comme il y aura un pilier américain, sachant qu’il existe deux logiques très différentes : la défense de théâtre, qui est plutôt la logique européenne, et la défense de territoire, qui est plutôt la logique américaine puisque les États-Unis, situés entre deux océans, bénéficient de milliers de kilomètres de profondeur stratégique – ils n’ont en outre qu’un seul décideur, leur président.

La question est de savoir si le système DAMB sera réellement européen ou s’il sera seulement installé en Europe. Il est important que notre contribution soit constituée de briques technologiques et pas seulement d’un apport financier. Où en est-on en la matière ?

M. Nicolas Dhuicq. Le Premier ministre britannique a récemment proposé la vente de l’Eurofighter à la Jordanie et à Oman, avec l’appui de l’Arabie Saoudite. Que vous inspire cette démarche quant au soutien politique à nos exportations d’armement ?

M. Damien Meslot. En matière de défense comme sur un plan général, l’Europe a toujours avancé grâce à l’axe franco-allemand. Le groupe « Weimar + » s’est réuni récemment et il semble que certaines divergences et incompréhensions se fassent jour entre les positions allemande et française. Pourriez-vous faire le point sur les positions de nos deux pays concernant l’Europe de la défense ?

Mme Chantal Guittet. Vous avez souligné l’importance de la mutualisation et du partage capacitaire pour construire l’Europe de la défense. Y incluez-vous la mutualisation et le partage de l’investissement humain, notamment en matière de formation ?

Même si certains projets ont été de grands succès, ne voyez-vous pas des limites dans ce partage ? Il est à mon sens plus facile de partager des moyens de défense que des moyens offensifs. Aller au bout de l’Europe de la défense n’implique-t-il pas de constituer une Europe politique, donc, pour la France, de renoncer à une certaine indépendance ? Enfin, l’objectif de partage et de mutualisation se rapproche-t-il du concept de smart defence défendu par l’OTAN ?

M. Axel Poniatowski. Je partage globalement vos vues sur la poursuite de la construction de l’Europe de la défense : il est difficile d’envisager que celle-ci devienne plus globale et plus intégrée tant qu’il n’existe pas d’Europe politique. La semaine dernière encore, les États européens se sont prononcés de manière différente lors du vote sur la reconnaissance de l’État palestinien. La France, à raison, a voté pour, les Britanniques se sont abstenus et certains pays européens ont même voté contre.

La poursuite de l’Europe de la défense à travers les coopérations renforcées est donc la bonne solution, en particulier en matière industrielle où nous sommes depuis longtemps trop timides.

En revanche, vos propos sur le Mali m’inquiètent. Vous êtes visiblement en train de préparer quelque chose et j’aimerai en savoir plus. Si je comprends bien ce que vous dites, la France pourrait participer d’une façon ou d’une autre aux initiatives des États africains de la CEDEAO sous le couvert de l’ONU. Elle contribuerait également à la réorganisation de l’État malien et au rétablissement de ses grandes fonctions régaliennes.

Il faut faire attention, car la problématique est fondamentalement régionale. Si la France montait en première ligne, ce serait en totale contradiction avec la position que le ministre des affaires étrangères a défendue devant nous, il y a quinze jours, en expliquant que s’il ne s’était pas rendu au sommet de Tombouctou, c’était pour que la France n’apparaisse pas comme étant en première ligne dans l’intervention qui se prépare.

Bref, je suis inquiet de ce que vous annoncez et préparez au sujet du Mali.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je n’ai pas entendu la même chose, mais toutes les questions sont légitimes.

M. le ministre. Je veux dissiper toute ambiguïté.

J’ai parlé du Mali en termes d’exemple de contribution à la constitution de l’Europe de la défense. J’ai rappelé la première initiative que nous avons prise, lors de la réunion informelle des ministres de la défense en septembre à Chypre pour discuter du sanctuaire terroriste qui était en train de se former au nord du Mali. Au cours de cette réunion, j’ai indiqué que la question me semblait être européenne puisque, à terme, la sécurité de l’Europe pouvait être menacée.

Ensuite, les ministres des affaires étrangères des vingt-sept sont convenus qu’il fallait élaborer un concept de gestion de crise au Mali.

Parallèlement, les Nations unies ont rendu, à la demande des États africains, une décision visant à prévoir une intervention des pays de la CEDEAO et de l’Union africaine pour reconquérir le nord du Mali.

Ce qui se prépare n’est nullement une intervention de la France au Mali : c’est une intervention de l’Europe en soutien de la reconstitution de l’armée malienne, laquelle devra participer à l’action que mèneront les pays d’Afrique de l’Ouest en fonction d’objectifs que les Nations unies devraient prochainement valider.

Il ne s’agit donc pas de se mettre en première ligne. Le fait est que l’Europe prend ses responsabilités pour assurer la reconstitution d’une armée qui n’est pas aujourd’hui en situation d’accomplir ses missions. Nous ne serons en aucun cas en première ligne : nous assurons un soutien de formation.

M. Axel Poniatowski. On verra bien qui est l’Europe au Mali !

M. le ministre. Lundi prochain, les ministres des affaires étrangères de l’Union valideront une feuille de route pour la gestion de la crise, après quoi il sera fait appel aux partenaires qui voudront bien envoyer des formateurs auprès de l’armée malienne sur le terrain. Le nombre de ces formateurs devrait être d’environ 250. La France a déjà indiqué, comme d’autres pays, qu’elle serait présente.

En parallèle, l’Union européenne sera amenée à participer, toujours en soutien, à la bonne articulation de la mise en œuvre des forces des pays africains concernés.

Je tenais à faire cette mise au point. Si vous avez compris que nous devions nous retrouver en première ligne, c’est que j’ai dû très mal m’exprimer.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Si un doute avait pu subsister, il était bon de le dissiper.

M. Alain Lamassoure, député européen. Je partage votre philosophie, monsieur le ministre.

Dans l’Europe de la défense, ce qui a manqué jusqu’à présent aux dirigeants est le sens de l’urgence. La montagne a accouché d’un grand nombre de souris, de beaucoup de bureaucratie et d’états-majors. Mais nous avons laissé passer les grandes occasions qu’ont constitué la fin de la guerre froide et la tragédie de 2001. Nous avons aussi manqué, d’une certaine manière, l’occasion présentée par le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.

Survient aujourd’hui une nouvelle occasion formidable : nous sommes ruinés ! Comme non seulement nous n’avons plus d’argent mais nous n’avons plus d’ennemis, tous les pays font porter leur effort d’économies d’abord sur le budget de la défense.

Il y a dès lors deux options. Soit nous continuons la réduction des budgets nationaux engagée depuis plusieurs années, et nous nous retrouverons bientôt avec vingt-sept armées d’opérette incapables de mener le moindre combat. Soit nous essayons de mutualiser. Nous nous réjouissons que vous vous engagiez dans cette voie.

Cela étant, il est clair qu’on ne peut aller très loin en ce sens dans le cadre de l’Union des 27. Il faut faire de la coopération structurée. J’ai du mal à comprendre, à cet égard, votre méthode et votre calendrier. Le document adopté par le groupe « Weimar + » est une liste de tâches, ce n’est pas une analyse commune des menaces. Or cette analyse est la première chose à mutualiser, pour en déduire ensuite une stratégie et l’établissement d’un programme d’action, d’un calendrier, d’une méthode de travail et d’une structure de travail et de décision.

La France a par ailleurs engagé la rédaction d’un Livre blanc qu’il aurait mieux valu placer dans le cadre d’un Livre blanc européen. Elle s’apprête à mettre en place une programmation d’équipement sans attendre un accord plus vaste, si bien qu’elle imposera à ses partenaires ses propres choix.

Bref, je discerne mal la cohérence de cette démarche. Les souris précédemment mentionnées ne donneront pas tout de suite un tigre, certes. Mais si l’on pouvait arriver à un chat, ce serait déjà un progrès !

M. Pierre Lequiller. Avant de passer à l’institutionnel – que nous n’utilisons pas assez, du reste –, il faut du concret, notamment en matière industrielle. De ce point de vue, votre propos manque de précision. Sachant que, dans le domaine de l’industrie militaire, la programmation doit se faire très en amont, de nouveaux programmes européens de construction militaire ont-ils été définis ?

Seules des coopérations structurées permanentes permettront d’aboutir. Ces coopérations sont le fait de ceux qui le veulent et qui le peuvent, comme dirait Jacques Delors. Nous savons quels sont ces pays, pourtant nous n’avons pas donné de traduction écrite aux projets. Quand le ferons-nous ?

Je remarque enfin que vous n’avez cité à aucun moment le nom de Mme Ashton. Est-ce un hasard ?

M. Jacques Myard. Je salue le réalisme du ministre face aux difficultés quotidiennes pour « faire avancer le Schmilblick ». Il faut bien sûr mener des projets industriels à deux ou trois pays, mais à condition qu’il y ait un pilote dans l’avion. Lorsqu’il y a une cohérence et un maître d’œuvre, cela peut marcher. Mais ce n’est pas en additionnant les canards boiteux qu’on aura un canard valide !

Nos camarades européens ont aliéné leur volonté de défense en la plaçant entre les mains des Américains. Les États-Unis sont le passager clandestin de la défense européenne. Même lorsque nous coopérons avec les Britanniques en matière nucléaire, nous savons que les Américains sont au fond de la salle avec leur veto.

Il nous appartient donc de forcer les choses dans différents domaines. Cela suppose que nous ayons des projets définis et crédibles et arrêtions de soutenir des coopérations structurées dont personne ne veut.

La question fondamentale, de ce point de vue, est celle du bouclier antimissile. Je n’arrive plus à discerner la position de la France à ce sujet. Si c’est pour être les porteurs de valises des Américains, plions les gaules !

Mme Nicole Ameline. Entre l’institutionnel et le concret, le politique a son importance. Comme vous l’avez dit, il faut redéfinir et réévaluer les enjeux relatifs à la sécurité de l’Europe dans à un monde qui change, qui se réarme et dont les Américains ont déjà anticipé l’évolution. Quels instruments doit-on envisager pour cette réévaluation commune des enjeux sans laquelle on ne peut fonder une démarche opérationnelle ? La cyberdéfense ne constitue-t-elle pas un élément fédérateur qui pourrait amener l’Europe à prendre conscience de sa propre sécurité collective ?

Par ailleurs, le rééquilibrage entre les États-Unis et l’Europe rend nécessaire le renforcement du lien transatlantique. Faut-il rapprocher davantage l’Agence européenne de défense et l’OTAN ? Comment jugez-vous le nouveau partenariat qui semble trouver sa première traduction dans la smart defence mais qui pourrait aussi se dessiner dans ce que Mme Clinton appelle le smart power ? Ne pourrait-on imaginer une plus grande cohérence entre les politiques de développement et les politiques de défense en matière de prévention des conflits et de reconstruction des nations en sortie de crise ? Selon la nouvelle conception américaine, il faut davantage lier les différentes politiques.

M. Philippe Folliot. Contrairement à la grande majorité des États membres, qui sont uniquement continentaux, la France – tout comme l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas et la Grande Bretagne – a un caractère ultramarin. Les progrès de l’Europe de la défense ne représentent-ils pas un risque pour ce trait spécifique de notre souveraineté ? A-t-on mis en place des garde-fous ? C’est en effet une chance pour notre pays que de disposer du deuxième domaine maritime au monde, avec 11 et bientôt 12 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.

M. le ministre. Au sujet du Mali, je précise que seuls le MNLA et Ansar Eddine ont participé à la rencontre organisée par le président Compaoré. Si une avancée politique permet d’éviter une situation de conflit, tant mieux. Du reste, cette initiative a été prise parce que l’Union européenne d’une part, le Conseil de sécurité de l’ONU d’autre part, avaient clairement montré la perspective vers laquelle nous nous dirigeons.

Notre politique au Sahel repose sur deux piliers : un objectif militaire, pour lutter contre le terrorisme, et un objectif de solution politique avec les groupes du Nord à condition que ceux-ci rejettent tout à la fois le terrorisme et l’idée d’une partition du Mali. Nous restons vigilants car ce n’est pas la première fois que ces groupes font les déclarations que vous mentionnez, Madame Poznanski-Benhamou.

Concernant le traité sur le commerce des armes, madame la présidente Auroi, la France a adopté une position très en pointe, comme je l’ai exposé lors de mon audition devant les commissions de la défense et des affaires étrangères sur les exportations d’armes. L’Assemblée générale des Nations unies s’est prononcée pour la tenue d’une conférence finale en 2013. Un accord en la matière est indispensable.

Comme vous le soulignez, les armes de petit calibre sont aujourd’hui celles qui tuent le plus de personnes. L’Union européenne est très active dans différents programmes visant à les contrôler et à les retirer des théâtres de crise. La France veillera à ce qu’elle continue de financer ces initiatives qui permettent le désarmement des milices, le retrait des armes et la démobilisation.

La question se pose tout particulièrement en Libye, où l’Europe de la défense a une opportunité de mener des actions de prévention à caractère civil. L’Union européenne, je le répète, dispose d’une panoplie de capacités complémentaires pour mener une action globale dans ce pays. Après les missions de diagnostic qui ont été menées, peut-être sera-t-il possible de mener une mission civile plus large afin que l’Union européenne soit plus active dans la gestion post-conflit. Le sujet, qui relève plus de la compétence du ministre des affaires étrangères que de la mienne, est d’actualité.

Oui, monsieur Dumas, la cyberdéfense est un sujet majeur pour l’avenir. Nous apporterons notre contribution au centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN de Tallin en y envoyant des officiers, dont un cadre juriste.

Pour en revenir aux questions, notamment celle de M. Fromion, portant sur l’articulation avec l’OTAN, l’idée du rapport Védrine est que, puisque nous sommes dans l’OTAN et que nous n’en sortons pas, nous devons y prendre notre place sans complexe et y afficher notre volonté européenne. C’est ce que nous faisons et allons faire. L’exemple de la cyberdéfense montre que l’on peut agir de manière européenne au sein de l’OTAN.

S’agissant des coopérations renforcées et de la coopération structurée permanente, nous sommes d’accord sur les concepts mais, en l’état actuel des positions des différents pays, l’adoption de ces formules ne permettrait pas d’aboutir. Là encore, il faut être pragmatique. La réunion de Weimar + a déjà demandé beaucoup de compréhension et de discussions, d’autant qu’il existait une certaine amertume à notre égard concernant les accords de Lancaster House, passés alors que d’autres initiatives existaient par ailleurs. Nous avons réuni Weimar + quelques jours seulement après l’exercice Corsican Lion. C’est à nous de dire à nos partenaires que nous travaillons avec les Britanniques dans le cadre de Lancaster House et que, parallèlement, nous nous engageons dans la construction progressive et pragmatique l’Europe de la défense. Les coopérations structurées sont une bonne réponse, mais elles sont aujourd’hui prématurées.

J’en viens aux questions sur la défense antimissile. L’accord intervenu à Chicago prend en compte notamment quatre points que nous avons fait valoir : premièrement, la défense antimissile ne remet pas en cause la dissuasion ; deuxièmement, les coûts doivent être maîtrisés sans extension du financement commun ; troisièmement, le contrôle politique des décisions doit être respecté ; quatrièmement, on ne s’interdit pas une coopération future avec la Russie.

Le concept de défense antimissile adopté au sommet de l’OTAN de Lisbonne a ajouté la notion de défense de territoire à celle de défense de théâtre, comme l’a dit M. Le Bris. Le système intérimaire mis en œuvre aujourd’hui est essentiellement américain. Nous n’avons décidé de nous engager financièrement que sur le C2, c’est-à-dire le système de commandement et de contrôle. Nous avons indiqué que nous envisagions par la suite une contribution en nature grâce à notre système sol-air de moyenne portée terrestre (SAMP-T) et au dispositif d’alerte avancée que nous pourrons mettre en œuvre, tout en gardant le contrôle de nos propres moyens.

Le processus est donc engagé. L’objectif est de protéger nos territoires d’agresseurs potentiels qu’il est assez aisé d’identifier, sans que soient reniés les « fondamentaux » que j’ai mentionnés. Le rapport Védrine, certes, se demande pendant combien de temps ces fondamentaux ne seront pas remis en cause. Mais pour l’instant, nous nous en tenons à cette contribution et à cette affirmation de nos principes et de notre identité de décision.

Par ailleurs, le déploiement des missiles Patriot en Turquie a été validé hier par la réunion des ministres des affaires étrangères de l’OTAN. Je précise que c’est une mesure uniquement défensive et que seuls les États-Unis, l’Allemagne et le Pays-Bas sont impliqués..

Au sujet des projets de ventes d’Eurofighter par les Britanniques, monsieur Dhuicq, j’ai indiqué à la Commission de la défense lors d’une audition récente qu’il ne fallait pas confondre les rôles en matière d’exportation de matériel militaire. Les responsables politiques doivent créer les conditions politiques permettant à l’industriel de faire son commerce, et non pas l’inverse. On a pu constater par le passé que la confusion des genres menait à l’échec. En revanche, lorsque les conditions sont réunies, on peut réussir. Au Brésil, où je me suis rendu récemment, un vrai partenariat stratégique nous a permis de vendre six sous-marins et de participer à la réalisation d’une base navale pour les accueillir.

J’ai constaté comme vous les démarches récentes effectuées pour promouvoir l’Eurofighter, mais elles avaient déjà commencé au salon aéronautique de Dubaï, à un moment où une situation de crise affectait un autre avion. Je pense que notre démarche actuelle est bien comprise, y compris par les responsables politiques des pays avec lesquels nous souhaitons collaborer. En Inde, par exemple, les discussions se passent bien. Je me rendrai sur place quand le moment sera opportun. Là encore, je veux que mon action soit pragmatique.

Entre les deux notions de smart defence et de pooling and sharing, que plusieurs intervenants ont évoquées, nous soutenons le pooling and sharing dans le cadre de l’Agence européenne de défense, où nous sommes impliqués dans plusieurs projets.

Le pooling and sharing doit également être envisagé en matière d’acquisitions. Nous nous réjouissons à cet égard de l’accord intervenu entre l’Agence européenne de défense et l’OCCAR (Organisme conjoint de coopération en matière d’armement), la première identifiant le manque capacitaire et élaborant avec les États la manière d’y remédier, la seconde, dans le rôle d’une sorte de « DGA européenne », se chargeant de l’acquisition. La France est pleinement partenaire de l’OCCAR, qui intervient dans une bonne partie des programmes qu’elle partage avec d’autres pays.

La smart defence relève d’une logique différente. Elle a été élaborée après que l’Europe se fut dotée de l’Agence européenne de défense et de la stratégie du pooling and sharing, puis confirmée à Chicago. L’OTAN ayant constaté des insuffisances capacitaires dans différents programmes, vingt-six initiatives ont été lancées afin de trouver les voies et moyens pour y remédier. La France est présente dans quatorze de ces vingt-six groupes de travail et en préside deux.

Notre volonté reste néanmoins d’établir une complémentarité entre la smart defence et le pooling and sharing. C’est la condition pour que l’Europe de la défense prenne toute sa place dans ce dispositif. Tel n’est pas toujours le cas. Nous devons veiller à ce que la smart defence ne devienne pas une démarche commerciale d’industriels américains.

La force de l’Europe, madame Ameline, est de proposer une réponse globale. Le dispositif Atalante mis en place dans la corne de l’Afrique en est une bonne illustration. Six bateaux européens (espagnol, italien, maltais, français, portugais, roumain) et quatre avions de surveillance maritime assurent une présence permanente dans la zone. Le quartier général de l’opération est situé en Grande-Bretagne et le commandement en est assuré par un Britannique. En outre, l’Europe mène un programme de formation de l’armée somalienne destiné à structurer l’État somalien et à permettre à ce pays d’exercer lui-même ses propres responsabilités dans la zone. Enfin, la mission EUCAP-Nestor aide les pays de la corne de l’Afrique à se doter des moyens maritimes et juridiques pour lutter contre la piraterie. Elle est dirigée par un amiral français.

La globalité et la coordination de toutes ces actions donnent à l’intervention européenne une grande force.

Parmi les programmes européens en cours, monsieur Lequiller, celui qui me préoccupe le plus est celui des drones. L’Europe ne doit pas manquer cette opportunité considérable. Tous les pays susceptibles d’être intéressés par cette capacité n’en sont pas au même degré de préparation, qu’il s’agisse de la volonté d’acquisition, de la volonté d’agir en commun ou de l’état capacitaire propre. Mais les divergences ne sont pas assez importantes pour bloquer l’éventualité d’une action commune. J’espère que le travail bilatéral que nous menons actuellement pourra ensuite s’élargir.

D’autres projets se dessinent, notamment en matière spatiale. Pour la succession du satellite militaire Hélios, la France est en pointe mais il serait utile que plusieurs pays envisagent ensemble cette nouvelle génération satellitaire. Il y a là des perspectives de coopération prometteuses.

La question de la guerre des mines pourrait elle aussi donner lieu à des initiatives communes.

En tout état de cause, il existe de nombreuses perspectives d’action et de coopération pour structurer l’industrie européenne.

M. Christophe Léonard m’interroge sur la compatibilité entre Weimar + et Lancaster House. La dissuasion nucléaire ne se partage pas, mais l’accord « gagnant-gagnant » passé avec les Britanniques est une avancée majeure. Pour le reste, aucune des orientations décidées n’est exclusive de l’autre. Ceux qui le veulent doivent pouvoir rejoindre l’initiative franco-britannique ; de même, les Britanniques doivent pouvoir prendre part aux initiatives du groupe « Weimar + ». C’est cela, l’Europe pragmatique qui avance par l’action. Toutes les participations – qu’il s’agisse des drones ou d’autres sujets – seront autant de briques dans la construction de l’Europe de la défense. Nous ne mettons aucune exclusive car nous savons que c’est ce qui a entravé jusqu’à présent les avancées souhaitables.

En matière de coopération des industries de la défense, l’OCCAr est un outil important. Différents partenariats n’en devront pas moins être engagés avec des pays européens. Certains projets d’accord ont failli aboutir, d’autres pourront se faire demain. Les gouvernements, par le biais de la task force ou de rencontres bilatérales approfondies, peuvent essayer d’établir des connexions. En matière maritime, terrestre ou satellitaire, les perspectives de coopération sont importantes pour peu qu’elles soient soutenues par une volonté politique.

La France n’est pas la seule en Europe, monsieur Folliot, à disposer d’un espace maritime important. De plus, l’outre-mer est une chance pour nous dans le débat européen puisqu’il ouvre de grandes possibilités de développement, y compris en matière de défense. Je suis persuadé que l’enjeu maritime sera déterminant pour l’Europe de la défense. On voit d’ailleurs qu’une des opérations européennes les plus efficaces aujourd’hui est maritime.

Pour ce qui est d’un éventuel Livre blanc européen, monsieur Lamassoure, je place beaucoup d’espoirs dans l’approche de M. Van Rompuy. J’ai rencontré le président du Conseil européen par deux fois et j’ai trouvé qu’il était en phase avec les initiatives françaises. Le dossier de l’Europe de la défense va monter dans l’échelle des priorités. L’exigence est d’aboutir à un dispositif qui ait du sens avant la fin de l’année 2013, parallèlement aux travaux de la task force.

Cela se traduira peut-être par l’élaboration d’un Livre blanc, peut-être par la réactualisation du paquet défense en identifiant les menaces et les risques sécuritaires et en affirmant une volonté commune, pour peu que les États membres s’accordent sur l’initiative Van Rompuy.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. M. Védrine a souligné dans son rapport et dans des propos qui ont été relevés outre-Rhin qu’il était nécessaire que l’Allemagne s’engage davantage. Je ne doute pas de la qualité de vos relations avec M. de Maizière. Néanmoins, comment ressentez-vous la position de nos partenaires à ce sujet ?

M. le ministre. Je prendrai un exemple. En dépit d’une histoire différente et alors que l’on pouvait s’interroger sur leur attitude, les Allemands se sont montrés actifs dans l’initiative européenne prise à Chypre sur le Mali. Ils sont cependant contraints à une certaine réserve en matière d’intervention et de projection, puisque leur Constitution limite fortement la capacité de décision de leur gouvernement dans ce domaine.

Mais l’effort de défense allemand reste significatif. Nous avons une brigade franco-allemande. Nos rencontres sont fréquentes. L’anniversaire du traité de l’Élysée, en janvier prochain, sera l’occasion de souligner que l’Allemagne est un acteur à part entière de l’Europe de la défense. Moins sévère que M. Védrine, j’appelle à une plus grande collaboration.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre, d’avoir été si disponible pour répondre à des questions aussi vastes.

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères :

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Jacques Cresta, M. Jean-Louis Destans, Mme Marie-Louise Fort, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. Laurent Kalinowski, M. Thierry Mariani, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, Mme Odile Saugues, M. François Scellier

Commission de la défense :

Présents. - M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Luc Chatel, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, M. Nicolas Dhuicq, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, M. Gilbert Le Bris, M. Christophe Léonard, M. Damien Meslot, M. Philippe Nauche, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset

Excusés. - M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Jean-Claude Gouget, M. Christophe Guilloteau, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Maurice Leroy, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Commission des affaires européennes :

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jacques Cresta, M. Yves Daniel, M. William Dumas, Mme Marie-Louise Fort, M. Yves Fromion, Mme Chantal Guittet, M. Christophe Léonard, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Joaquim Pueyo, M. Didier Quentin

Excusés. - M. Philip Cordery, M. Bernard Deflesselles, Mme Annick Girardin, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, Mme Axelle Lemaire

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Assistait également à la réunion : M. Alain Lammasoure, député européen