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Commission des affaires étrangères

Mardi 12 novembre 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Vote sur les crédits de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables »……… …2

– Présentation de l’avis sur le projet de loi de programmation militaire 2014-2019, par M. Gwenegan Bui, rapporteur

Vote sur les crédits de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables »

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Mes chers collègues,

Avant de passer à notre ordre du jour, je souhaitais vous faire part de la raison qui a conduit à l’annulation du petit-déjeuner que nous avions programmé avec l’ambassadeur d’Iran, M. Ahani.

J’ai reçu hier un mail de M. Ahani, dont je vous cite un extrait :

« J’ai l’honneur de vous adresser ce courrier électronique afin de vous présenter mes excuses les plus sincères de ne pas pouvoir assister, comme convenu, et à mon très grand regret, au petit déjeuner-débat avec les membres de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française auquel j’avais eu le privilège d’être invité par vos soins et qui devait avoir lieu le mercredi 13 novembre 2013, et ceci en raison de mon rappel urgent à Téhéran par le Ministère iranien des affaires Etrangères pour consultation, ce qui m’amène à me rendre en Iran aujourd’hui jusqu’à jeudi. »

Il va de soi que ce petit-déjeuner sera reprogrammé, si possible avant la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.

Par ailleurs, je vous rappelle que nous auditionnons Laurent Fabius au plus tard le mercredi 11 décembre après-midi ce qui sera l’occasion de l’entendre sur cette question des négociations avec l’Iran. Je vais lui demander s’il est possible d’avancer cette audition.

*

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Les crédits de la mission « Ecologie » ont été discutés en commission élargie jeudi dernier mais le vote a été reporté à ce matin.

Par conséquent, je mets aux voix les crédits de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables» du projet de loi de finances pour 2014.

La commission émet un avis favorable sur les crédits de la mission Ecologie, développement et mobilité durables.

*

Présentation de l’avis sur le projet de loi de programmation militaire 2014-2019, par M. Gwenegan Bui, rapporteur

M. Gwenegan Bui, rapporteur. Nous examinons aujourd’hui, pour avis, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

Ce texte, adopté par le Sénat le 22 octobre dernier, comprend 51 articles. Tous ne relèvent pas de la « programmation » financière : plusieurs d’entre eux sont des dispositions normatives « ordinaires ». Le projet de loi est également complété par un rapport annexé d’une cinquantaine de pages, lequel précise les « orientations » et les moyens de notre politique de défense.

Bien entendu, j’ai cherché, dans cet avis, à me pencher sur les problématiques qui intéressent notre commission. Inutile de dupliquer l’œuvre de la commission de la défense !

Dans un premier temps, il m’a semblé utile de revenir sur le contexte stratégique actuel, au regard duquel a été élaboré le Livre blanc et, donc, le projet de loi.

Au-delà des considérations traditionnelles sur l’instabilité de notre environnement régional – je pense, bien entendu, aux menaces que font courir, pour notre sécurité, les troubles en Afrique, notamment au Sahel, la crise syrienne et les tensions à l’est de l’Europe – deux points doivent selon moi, être soulignés.

Tout d’abord, la nouvelle donne que constitue l’impact de la crise financière sur les budgets militaires en Europe combiné avec un pivot américain bien réel. Ce dernier conduit les États-Unis à redimensionner à la baisse leurs moyens militaires présents en Europe et à renforcer leurs capacités dans le Pacifique, dans une optique de « containment » chinois à peine subtil. La certitude d’une intervention américaine en Europe – ou dans sa périphérie, comme l’a montré l’épisode syrien – n’est plus aujourd’hui acquise. Tout simplement faute de matériel et de militaires sur notre continent.

Il y a là une invitation faite aux États européens à assumer leur propre défense qui ne trouve, malheureusement, aucun écho. Les contraintes budgétaires actuelles conduisent au repli sur soi et empêchent l’Europe de la défense d’avancer. Pour certains États, les questions de défense ne sont clairement pas une priorité. D’autres restent fondamentalement attachés à l’OTAN et demeurent extrêmement réticents à toute projection des forces en dehors du territoire européen. Ils espèrent aussi, sans le dire, pouvoir toujours se cacher derrière le bouclier américain. Il y a aussi une forme de « fatigue expéditionnaire » après une décennie 2000 marquée par des engagements intensifs sur des théâtres lointains en Afghanistan ou en Irak, qui ont épuisé les hommes, les budgets et les opinions publiques.

Le deuxième point que je compte brièvement évoquer est la source d’inquiétudes que représente l’Asie aujourd’hui. La Chine, le Japon, la Corée du Sud sont parmi les premiers pays au Monde en matière de dépenses militaires. Les sources de conflits sont multiples : Senkaku, Kouriles, Spratleys, Paracel… Le risque de conflits interétatiques majeurs y est relativement élevé. La France aurait beaucoup à perdre si un conflit ouvert devait éclater dans cette région, de par ses alliances mais aussi de par son économie qui serait durablement impactée par un conflit dans une zone où un quart du commerce mondial transite.

Au final, l’analyse du contexte stratégique met en évidence un très large spectre de risques et de menaces devant être pris en compte par notre pays et qui oblige à ne pas baisser la garde.

Tel est le rôle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié le 29 avril dernier. Le projet de loi de programmation militaire que nous examinons cet après-midi en constitue le support juridique.

Tout d’abord, ce texte maintient un effort de défense significatif, alors même que nous connaissons tous les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les finances publiques. Il prévoit le maintien des crédits de la mission « défense » à 31,4 milliards d’euros pour les années 2014, 2015 et 2016. Les ressources disponibles devraient ensuite augmenter par la suite pour atteindre 32,5 milliards en 2019, le terme de la LPM.

Les crédits de la défense sont donc stabilisés en valeur sur les trois premières années de la programmation. Nos armées contribueront donc à hauteur de l’inflation au redressement des finances publiques de notre pays, dont la dégradation est devenue, en elle-même, un enjeu de souveraineté.

Par ailleurs, le projet de loi militaire procède à un réajustement du format de nos armées même si, comme je vais avoir l’occasion de le préciser, cela n’implique pas d’abandon de capacités.

Par exemple, les forces terrestres passeront de 72.000 à 66.000 hommes projetables. Les forces aériennes de 300 à 225 avions de combat. En revanche les forces spéciales verront leur effectif augmenter d’un millier d’homme.

Le projet de loi confirme la réduction de 24.000 postes envisagée par le Livre blanc. Au total, entre 2014 et 2019, le ministère de la défense réduira ses effectifs de 34.000 personnes, un chiffre tenant compte des réductions encore à mener en application de la précédente LPM. C’est lourd et difficile.

En outre, le projet de loi reconduit les contrats opérationnels antérieurs en ce qui concerne la dissuasion et les missions permanentes de protection du territoire. En revanche, il procède à un resserrement des contrats opérationnels relatifs aux missions non permanentes, celles ayant trait aux opérations extérieures. Cela ne traduira pas, selon moi, une baisse des ambitions puisqu’il y a bien longtemps que les contrats opérationnels antérieurs n’étaient plus « tenables ».

Bien évidemment, je suis loin de minimiser les difficultés qui pèsent sur les missions que nos soldats doivent assumer. L’une d’elles me tient particulièrement à cœur. Il s’agit de la capacité de la Marine nationale à continuer à assurer, dans le temps, ses missions de souveraineté. Pour mémoire, notre Zone économique exclusive représente 11 millions de km².

En effet, on peut légitimement craindre que, dans ce domaine, la diminution constante des moyens, ces dernières années, ne fragilise quelque peu la capacité de la France à préserver sa souveraineté sur les espaces en sa possession mais aussi ne réduise qu’à peu de choses sa capacité à intervenir en cas de crise éloignée de la métropole. L’exemple du Pacifique me parait, à cet égard, particulièrement éclairant. En cas de crise grave, notamment en mer de Chine, nos moyens dans la région, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, seraient bien faibles. Il serait paradoxal qu’alors même que notre pays a la chance d’être présent sur tous les océans, il ne puisse se reposer que sur des unités basées en métropole avec les délais que cela engendrerait. Près de 30 jours ! Ici, beaucoup de questions restent en suspens. Nous devons être vigilants et exercer une amicale pression pour que les futurs arbitrages ne soient pas une nouvelle fois défavorable à ce secteur.

En matière d’équipements, il me semble utile de souligner que le projet de loi de programmation militaire entend combler trois lacunes connues depuis longtemps et qui ont été particulièrement criantes en Libye et au Mali. Il s’agit de la question des drones, du ravitaillement en vol et du transport.

Le projet de loi confirme l’acquisition de 12 drones Reaper. D’aucuns pourront critiquer l’achat sur étagère d’un produit américain. C’est vrai, notre pays ne manquait pas de ressources industrielles, intellectuelles, scientifiques et techniques pour produire ce type de matériel. Mais quinze années d’hésitations des états-majors, d’atermoiements des décideurs politiques et de luttes fratricides ont conduit à la persistance d’une lacune capacitaire sérieusement handicapante face à laquelle le gouvernement a pris ses responsabilités.

Il en va de même dans le domaine du ravitaillement en vol, avec la réalisation, enfin, du programme MRTT. Le premier Airbus entrera en service en 2018.

En matière de transport aérien tant stratégique que tactique, la confirmation et la sécurisation du programme A400M est une décision qui doit être saluée.

La LPM devrait donc clore ces lacunes. C’est une bonne chose.

Le projet de loi de programmation militaire a une ambition louable : celle de ne pas obérer l’avenir. En des temps budgétaires difficiles, il affiche la volonté de conserver l’ensemble des capacités aujourd’hui détenues par nos armées. Il ne préconise aucun renoncement. Nos ambitions sont intactes et il n’a pas été fait le choix d’un déclassement comme certains ont pu le prétendre. Bien sûr cela n’est pas acquis et il conviendra de veiller au respect de la trajectoire financière de la LPM, à l’euro près. Dans le cas contraire, il faudra s’attendre à de sérieuses difficultés avec le risque, pour le coup, de décrocher réellement et rapidement, à l’image, par exemple des Pays-Bas, un cas fréquemment cité par mes interlocuteurs au cours de mes auditions. Un Etat qui a conservé son « triple A » mais qui ne peut plus envoyer de frégate patrouiller dans les Antilles, une première en 400 ans d’histoire.

Par ailleurs ce souci de ne pas obérer l’avenir passe par un effort important sur les études amont – avec, in fine, la volonté de préserver notre outil industriel – et la préparation opérationnelle. Par exemple, en ce qui concerne cette dernière, le rapport annexé au projet de loi fixe des « normes » semblables à celle de la LPM 2009-2014 et prévoit que celles-ci soient atteintes à partir de 2016, au fur et à mesure de la réalisation du nouveau modèle d’armée, avec une attention soutenue en faveur de ce secteur d’ici-là.

Enfin, comme je l’ai déjà indiqué, le projet de loi contient toute une série de dispositions normatives – comme l’accompagnement social impératif pour la réussite du repyramidage de l’armée – que je compte décrire brièvement dans mon avis et qui, pour celles concernant notamment l’adaptation du cadre juridique du renseignement, ont fait l’objet d’une saisine pour avis de la commission des lois.

Au final, il me semble que compte tenu du contexte économique et budgétaire actuel, les choix opérés par la loi de programmation militaire sont certainement les meilleurs possibles. La stabilisation du budget pendant trois années, conjugué à un réajustement du format des armées et à d’autre mesures indispensables telles que la préservation d’une base industrielle performante, devrait permettre à nos forces de bénéficier d’un outil de défense de nature à concrétiser ses ambitions et à répondre aux menaces auxquelles notre pays est confronté.

Enfin, je ne pouvais pas conclure la présentation du projet de loi sans faire un petit exercice prospectif en m’intéressant à la prochaine programmation, celle qui couvrira la période post 2020. Car les choix de 2020 se préparent maintenant. D’ores et déjà, deux thèmes seront, selon moi, au cœur des débats et doivent être discutés sans tarder pour mieux préparer cette échéance.

Le premier de ces thèmes est la cyber-défense. Certes, ce sujet était déjà présent dans le Livre blanc de 2008 et occupe une place significative dans celui de 2013. L’actualité est brulante à ce sujet mais, en ce domaine, nous ne sommes qu’au début de l’histoire militaire. Le projet de loi contient plusieurs articles visant à adapter le droit aux nouveaux défis. Il prévoit aussi un effort marqué dans le développement de capacités militaires dans ce domaine. C’est très positif.

Mais la matière est en évolution constante et de nouvelles interrogations se font jour, lesquelles occuperont une place croissante à l’avenir comme celle de la définition d’un cadre pour nos capacités de cyberdéfense offensives. Il reste en particulier à identifier ou à définir une véritable doctrine française d’emploi de ces capacités, comme le cadre d’action – collectif ou pas – ainsi que le contrôle parlementaire de ce type d’actions offensives.

Surtout, un deuxième thème à approfondir d’ici 2020 est, selon moi, la dissuasion nucléaire. Vous savez tous qu’elle soulève de nombreuses questions. Est-elle utile ? Est-elle soutenable financièrement ? Deux composantes sont-elles nécessaires ? La France ne risque-t-elle pas d’être isolée en Europe sur ce sujet ? Quel lien avec le bouclier anti-missile ? Quelle position par rapport au désarmement nucléaire ? Or, ces questions ne font quasiment pas l’objet de débats, aujourd’hui en France. La commission chargée d’élaborer le dernier Livre blanc, par exemple, n’a pas eu à en débattre. Trop souvent, la prééminence du chef de l’État, la confidentialité de nombreuses informations et la nécessaire incertitude qui entoure la dissuasion, conduisent certains à considérer, à tort à mon avis, que cette dernière ne doit et ne peut être débattue. On se retranche alors derrière l’évidence d’un dogme établi et on recourt à l’invective pour décrédibiliser ses interlocuteurs. J’en ai fait la décevante expérience auprès de nos collègues de la commission de la défense lorsque j’ai voulu interroger Jean-Yves Le Drian sur ce sujet lors d’une audition.

Selon moi, il ne faut pas avoir peur de débattre de la dissuasion. Notre stratégie peut et doit faire l’objet de débats publics sur sa pertinence, sa crédibilité et ses évolutions et je le dis d’autant plus aisément qu’à titre personnel, je tiens à notre outil de dissuasion nucléaire.

Si l’on souhaite le consensus dans notre pays sur les forces nucléaires – et le renouveler pour les 50 prochaines années –, il doit reposer sur des arguments solides qui ne pourront convaincre qu’à l’issue d’un débat où toutes les positions auront pu s’exprimer et où chacun aura pu montrer la valeur de ses arguments.

Et puis, le débat doit également servir à anticiper les échéances puisque notre pays va devoir, dans les années qui viennent, prendre des décisions lourdes pour poursuivre la modernisation et le renouvellement de notre outil de dissuasion. Lourde financièrement. Lourde politiquement. C’est pour cela que je souhaite que le Parlement se saisisse, dans les modalités que nous trouverons les plus adéquates de ce gros sujet. Après, il sera trop tard.

Vous l’avez compris, j’émets un avis favorable sur ce texte tout en insistant, une nouvelle fois, sur l’obligation qu’il soit parfaitement exécuté dans sa dimension financière, qu’une vigilance absolue soit observée pour que le reclassement des militaires soit le plus efficace possible, qu’une nouvelle ère de débats entre l’exécutif et le législatif puisse s’ouvrir.

M. Philippe Baumel. Vous avez évoqué, les nécessités de rechercher un certain nombre d’économies. Je souhaiterais savoir si l’impact sur l’activité économique et industrielle de la baisse des commandes en matière de défense et notamment le fait d’en repousser un certain nombre a été évalué ? Va-t-il y avoir un impact sur des industries liées à l’armement ?

Mon autre question porte sur l’impact des économies sur les moyens projetés. Nous venons de traverser une période où l’armée française est intervenue fortement en Afrique. Voir diminuer nos effectifs de 30.000 à 15.000 hommes et nos avions de 70 à 45 unités m’inquiète en ce qui concerne nos capacités pour intervenir militairement.

M. François Loncle. J’aimerais remercier le rapporteur, dont le travail et le compte rendu sont à la fois précis et concis. Je voudrais vous poser deux questions. La question des drones, que vous avez évoquée, notre retard et les commandes en cours. Est-ce que, dans un délai proche, nos industries militaires seront capables de rattraper ce retard et de fabriquer des drones français ?

A la fin de votre propos, vous avez évoqué la nécessité d’un débat sur notre capacité nucléaire par rapport aux risques que vous avez énoncés, émis par un certain nombre de responsables dont un ancien ministre socialiste bien connu en s’appuyant sur les sondages et d’autres arguments. Je pense à la nécessité du débat à condition qu’il soit contenu et digne et que les Français soient en adéquation avec la poursuite de notre stratégie nucléaire.

Mme Nicole Ameline. Je souhaiterais remercier notre collègue. Je suis préoccupée par le récent sondage qui indique que les Français sont prêts à voir le budget de la défense réduit parmi l’ensemble des économies publiques à faire. Je pense qu’à la veille d’une année qui sera marquée par des commémorations extrêmement importantes, les enjeux stratégiques que notre rapporteur a rappelé en introduction de son propos sont essentiels : les risques, les menaces et les enjeux sont plus importants probablement que jamais. Ils ne sont pas à l’intérieur de l’Europe mais dans la périphérie immédiate pour certains et dans le monde globalisé pour les autres.

Dans cet esprit, je voudrais faire deux remarques. Lorsque vous dites « Pour la cyberdéfense, il faudra… », je pense qu’il faut, dès aujourd’hui, rattraper notre retard. La cybersécurité est probablement une clé de l’industrie à la fois civile et militaire. C’est un champ créateur à la fois de sécurité, cela va sans dire, mais également de ressources, d’emploi et d’indépendance nationale. Talleyrand disait : « Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard ». Les Américains réagissent, eux, rapidement.

Je n’entrerai pas dans le débat sur la dissuasion nucléaire. Je pense simplement que le nouveau concept stratégique de l’OTAN a bien acté l’importance de ce point.

En troisième lieu, vous n’avez pas prononcé une seule fois le mot « Europe ». Est-ce que dans le cadre des partenariats européens pragmatiques, dont je ne sous-estime pas du tout la difficulté de l’exercice, à l’image de Lancaster House, n’est-il pas possible à l’Europe de mettre en œuvre une politique commune de sécurité ? Je doute que la France puisse, seule, assumer à terme non seulement sa sécurité mais aussi celle des Européens.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Je vous rappelle que nous consacrerons bientôt une séance particulière à l’Europe de la défense.

Mme Chantal Guittet. Pour rebondir sur le partenariat européen, je voudrais d’abord savoir si le fait qu’on ait acheté des drones américains aura une incidence sur le fait d’avoir, plus tard, des drones européens.

Ma deuxième question porte sur les fermetures de sites. Il y a plusieurs sites qui vont être fermés et vous avez insisté sur le reclassement social du personnel, ce qui est important. Est-ce que le budget prévoit une restructuration de ces sites pour compenser la perte subie par les communes qui accueillaient ces militaires ?

M. Axel Poniatowksi. Personnellement, je ne vois pas comment nous pourrions approuver cette loi de programmation militaire. Elle acte un formidable décrochage de notre puissance militaire. La défense représente aujourd’hui 1,5% du PIB et on se dirige vers un taux de 1,3% en 2019, ce qui est un affaiblissement considérable. A terme, on va vers 1% du PIB, ce que nous reprochons collectivement à l’ensemble des pays de l’Union européenne. A ce niveau de moyens, nous ne sommes pas en mesure d’assurer notre défense or c’est le bras armé d’une politique étrangère digne de ce nom et nous vivons aujourd’hui dans un monde de plus en plus dangereux et instable. Diminuer ainsi les moyens alloués à la défense parait être une politique dangereuse à terme pour notre pays.

On sait bien que l’armée est essentiellement utilisée aujourd’hui non pour la défense de notre territoire mais pour les opérations extérieures. Or, je doute qu’avec des moyens tels que ceux décrits dans cette LPM nous puissions soutenir, à moyen terme, deux opérations extérieures de la France. Cela me parait improbable lorsque l’on voit la liste des équipements prévus. Je pense, par exemple, au nombre d’hélicoptères. On sait qu’ils sont en nombre insuffisants aujourd’hui et qu’ils seront encore moins nombreux en 2019. Cette loi m’inquiète beaucoup. Je pense que les arbitrages au niveau global du budget de la France ne vont pas dans le bon sens et, en tant que commissaire des affaires étrangères, je suis très inquiet par cette évolution, ou plutôt par cette diminution, des moyens alloués par la France à la défense.

M. Guy-Michel Chauveau. J’ai deux questions. La première est de savoir si le rapporteur ne pense pas que la prévision de 6,1 milliards d’euros de ressources exceptionnelles sur la période, n’est pas trop optimiste ?

Nos collègues du Sénat ont demandé plusieurs rapports d’étape. En lien avec la nouvelle diplomatie en Europe dans le domaine industriel (les initiatives de Lancaster House en Angleterre, la Déclaration de Weimar pour les Allemands), ne pourrions-nous pas, nous aussi, demander des rapports d’étape annuels dans la conduite du budget par l’exécutif ?

M. Jacques Myard. S’il est vrai qu’un certain nombre d’éléments prouvent que nous allons vers une rationalisation des choses avec la mutualisation, la baisse des commandes et programmes de recherche et développement sont préoccupants, de même que la baisse des effectifs. On joue avec le feu.

Je sais par ailleurs qu’au ministère de la défense on s’inquiète réellement du dialogue financier tenu avec Bercy. Mais on ne peut faire d’impasse sur ces questions-là car comme chacun sait il est difficile de remonter en puissance si on a perdu les capacités, surtout en matière de R&D. Les matériels qu’on commence à développer aujourd’hui ont été lancés dans les années 80, donc on ne peut faire l’impasse sur les lancements industriels des nouveaux programmes. Nous sommes les seuls en Europe à pouvoir encore réaliser un avion de chasse et nous devons tout faire pour conserver une industrie européenne d’armement crédible face aux velléités américaines qui souhaitent l’extinction de notre industrie militaire.

Dans les années à venir, je crains que nous ne dispositions que des moyens satellitaires de connaître les dangers qui nous guettent, mais nous n’aurons plus les moyens de réagir. Je lance un cri d’alarme à la simple idée que nous puissions en arriver dans quelques années à des dépenses militaires équivalentes à 1.3% du PIB. Nous sommes à l’étiage.

M. Serge Janquin. Cet excellent rapport ne masque rien des contraintes dans lesquelles nous nous trouvons. Je me félicite que le rapporteur ait l’ambition de poser clairement les données d’un débat, nécessaire, sur l’évolution de notre dispositif de dissuasion nucléaire. Par ailleurs, il ne serait pas inutile que nous ayons une réflexion, malgré l’affaire récente du Mali qui a mis en évidence les risques auxquels nous sommes confrontés, sur l’avenir de certaines de nos bases militaires en Afrique. Nous devons également nous interroger sur la capacité de mener, avec ou sans l’Europe, de telles opérations. Et surtout peut être devrions-nous faire porter à l’Europe un peu plus de sa part du fardeau. Voilà la réflexion que je suggère à notre rapporteur.

M. Gwenegan Bui, rapporteur. L’impact de la baisse des commandes sur le coût unitaire des matériels est bien réel et ancien. Je rappelle que la dernière LPM a fait glisser les investissements de 4 milliards d’euro. Donc on étire les délais de construction, et on ne peut pas faire d’économies d’échelle. Pour que cette LPM soit tenable, on doit pouvoir s’appuyer sur des grands contrats d’export, notamment pour le Rafale, et cela à des conséquences importantes sur la crédibilité de l’ensemble de l’équilibre budgétaire de la LPM. Sur l’impact économique de la diminution des moyens de projection, cette LPM a le mérite d’être réaliste. On s’est trop longtemps caché derrière les missions de Petersberg et les grandes déclarations, mais on a souvent été en difficulté lorsque l’OTAN, par exemple, nous demandait d’envoyer tel ou tel équipement sur zone alors même qu’il n’existait que sur le papier. Cette LPM dit la vérité. Elle dit notre capacité à projeter et notre volonté à faire comme nous avons pu le montrer avec Serval.

Sur les drones, depuis 15 ans, on se confronte à l’incapacité des industriels de s’accorder. Conflit après conflit, on s’est retrouvé à devoir aller voir les Etats-Unis ou le Royaume-Uni pour « avoir des yeux ». Cette situation n’était plus tenable et le ministre M. Le Drian a pris la décision d’acheter des drones américains sur étagère pour remédier à nos lacunes immédiates. Parallèlement, un « club » de pays utilisateurs vient de se constituer pour travailler sur un projet de drone européen MALE ayant pour échéance de mise en service, l’horizon 2025.

Sur la dissuasion, j’estime que notre capacité nucléaire est nécessaire et fondamentale. Pendant 50 ans on a accepté des décisions du chef de l’Etat s’imposant à tous. Aujourd’hui, à chaque fois qu’on parle de la LPM, j’entends dire qu’on pourrait se passer de la deuxième composante, qu’on pourrait se passer de tel sous-marin nucléaire lanceur d’engin. Or ces opinions reflètent plus une réflexion budgétaire que stratégique. D’autres nations font un effort de transparence, le Pentagone par exemple remet au Congrès un document sur les capacités et besoins en terme nucléaire. Au XXIème siècle, on est dans l’obligation de faire ce travail. Sans donner de détail stratégique, nous devons discuter de l’intérêt et du maintien de la force nucléaire française au risque de se retrouver face à une opinion publique qui rejettera cette arme nucléaire. On doit rappeler à l’opinion publique les difficultés du contexte stratégique et les difficultés de la mondialisation.

Sur les menaces, elles sont réelles. Si on n’avait pas un certain nombre de mouvements de troupes russes, beaucoup d’Etats européens n’auraient pas eu la prise de conscience de la nécessité d’avoir une réelle Europe de la défense. L’histoire récente peut encore inquiéter et cette inquiétude pourrait être le facteur du développement européen des questions de sécurité. Le Conseil européen de décembre pourrait être l’occasion de relancer un dossier qui patine depuis 10 ans. Il nous faut prendre en compte l’environnement proche et les menaces sur l’Asie, car un conflit en mer de Chine pourrait avoir des déflagrations sur toute l’économie européenne. Les diplomaties individuelles ne serviront à rien, nous devons avoir un message unique et fort pour peser sur les crises internationales.

Sur la cyberdéfense, sommes-nous en retard ? Oui et non. Des améliorations ont été apportées entre les deux lois de programmation militaire. Il y a eu une mobilisation sur les crédits, sur le numérique, les effectifs également comme sur les capacités offensives et défensives. Si l’on fait la comparaison avec les Etats-Unis, le ratio est de 1 à 100. La situation est d’autant plus inquiétante que c’est la même chose en ce qui concerne l’UE, à part quelques pays comme le Royaume-Uni. Quant à l’Allemagne, elle est le bon élève de l’Europe, mais en matière de cyberdéfense, elle n’en est qu’aux balbutiements. On ne constate pas de volonté de partenariat au sein de l’Europe, tout le monde reste sur son pré carré, alors qu’il faudrait développer les capacités de mutualiser nos efforts vis-à-vis des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, pour avoir une capacité de défense de nos intérêts stratégiques.

Quant à la question des partenariats stratégiques, il y a l’exemple de Lancaster House, qui marche bien. Il marque en effet notre relation traditionnelle avec le Royaume-Uni et notre volonté de travailler en commun. Mais cela n’est pas exclusif : l’exemple de la relation que nous développons aujourd'hui avec la Pologne est remarquable. Elle se traduit notamment par des rencontres régulières, au cours desquelles nous mettons en commun des moyens, des stratégies, des analyses. Aujourd'hui, des manœuvres communes sont effectuées sous l’égide de l’OTAN. L’exercice qui a été organisé la semaine dernière avec la participation de 1500 soldats français, alors qu’il n’y avait que 250 militaires américains, a été particulièrement bien perçu, alors même qu’il n’y avait pas d’Allemands. Cela devrait permettre des avancées bilatérales et de progresser sur des positions communes avec le Royaume-Uni dans la perspective du prochain Conseil européen.

La fermeture des sites est toujours un drame social, pour les familles, les emprises. Le « Fonds pour les Restructurations de la Défense » a été reconstitué à hauteur de 150 millions, pour venir en soutien des collectivités territoriales ; cela est confirmé dans la LPM.

M. Poniatowski s’est inquiété de l’affaiblissement de notre pays et des risques de déclassement. Je ne partage pas cette crainte. La LPM dit la vérité sans annoncer de chiffres non soutenables. Encore une fois, il reste 4 milliards de la précédente loi, non exécutés. Il faut combler les manques. La stratégie du ministre de la défense est de ne rien couper. Il y a un repli sur le dispositif numérique mais ce sont quelque 17 milliards par an d’investissements pour les équipements, qui sont injectés, sans se couper de rien, auxquels s’ajoutent près de 4 autres milliards en R&D, qui permettront à nos usines et nos laboratoires de travailler pour le futur.

Le Sénat a essayé de sécuriser les ressources exceptionnelles, faiblesse des LPM. Le ministre a pris divers engagements à ce sujet pour les sécuriser, mais s’il n’y a pas de suivi budgétaire de notre part à l’euro près, ce sera difficile. Vis-à-vis de Bercy, on sera toujours dans le gel, le surgel budgétaire et l’on manquera finalement toujours de moyens. Il nous faut nous mettre en situation de rapport de force avec Bercy pour aider le Gouvernement. Il faut aider la France à préserver son outil de défense. Il nous faut unir nos forces pour éviter de voir les inspecteurs généraux des finances prendre le pas sur les généraux. Sur le nucléaire, il ne serait pas compréhensible que nous n’ayons pas de débat sur ces questions au cœur de l’actualité.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Je remercie le rapporteur pour son très bon rapport, riche, précis et concis.

La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014-2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

La séance est levée à dix-sept heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 12 novembre 2013 à 16 h 45

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - M. Avi Assouly, M. Jacques Cresta, M. Michel Destot, M. Paul Giacobbi, M. Thierry Mariani, M. François Rochebloine, M. François Scellier, Guy Teissier