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Commission des affaires étrangères

Mercredi 25 juin 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 75

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la transition énergétique dans l’Union européenne, en présence de M. Claude Mandil, ancien directeur général à l’Agence Internationale de l’Énergie, et de Mme Cécile Maisonneuve, conseiller au Centre « Énergie » de l’IFRI

Table ronde, ouverte à la presse, sur la transition énergétique dans l’Union européenne, en présence de M. Claude Mandil, ancien directeur général à l’Agence Internationale de l’Énergie, et de Mme Cécile Maisonneuve, conseiller au Centre « Énergie » de l’IFRI.

La séance est ouverte à neuf heures cinquante.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous accueillons M. Claude Mandil et Mme Cécile Maisonneuve, qui vont nous donner leur analyse de la politique européenne en matière d’énergie et de climat : ce qui a été fait et ce qui reste à faire, les perspectives.

D’une part, la politique climatique semble piétiner. L’objectif des « trois fois vingt » du paquet énergie climat de 2008 pourrait être atteint en 2020. Cependant, les récents développements appellent à la vigilance. En Allemagne, qui a amorcé son « tournant énergétique », les émissions de CO2 sont à la hausse.

La politique énergétique, d’autre part, se heurte à d’importantes difficultés dans trois domaines : celui du marché du gaz, faute d’avoir su créer les conditions de la sécurité énergétique et de la diversification ; celui de l’électricité, faute pour certains pays, l’Allemagne, notamment, mais aussi l’Espagne, d’avoir su maîtriser le coût et les implications techniques d’un développement à marche forcée des renouvelables ; enfin celui du carbone, avec un prix de la tonne de CO2 beaucoup trop faible pour inciter les industriels à faire les investissements nécessaires à la poursuite de la baisse des émissions via le progrès technologique.

L’actuelle politique européenne de l’énergie est également prise en défaut par l’insuffisance de ses résultats en matière de prix, ce qui menace la compétitivité européenne. Notons également que les énergéticiens européens soulignent l’insuffisance des investissements.

Dans l’ensemble, cette schizophrénie européenne à vouloir traiter le climat sans aborder avec suffisamment de clarté la question énergétique ne menace-t-elle pas la réussite de sa transition énergétique et par conséquent, ce qui serait désastreux, la capacité de l’Europe à ouvrir la voie au reste du monde pour parvenir à l’horizon 2050 à l’économie décarbonée indispensable à la maîtrise de l’élévation des températures terrestres ?

Comment peut-on alors remettre la transition énergétique européenne sur une trajectoire soutenable avec notamment quatre conditions clefs : un niveau de prix adapté qui soit supportable pour le consommateur et qui ne menace pas l’avenir des entreprises européennes ; un développement maîtrisé des renouvelables dont le niveau de subvention ne produise pas les effets contraires à ceux recherchés ; un coût de la tonne de CO2 significatif ; enfin une coordination des Etats membres alors que le traité de Lisbonne leur laisse la responsabilité de leur mix énergétique.

Ce dernier point n’est pas le moindre comme l’illustre le cas de la politique allemande. La décision allemande de sortir rapidement du nucléaire par appel au charbon et au développement des énergies renouvelables a en effet la double conséquence de compromettre les objectifs climatiques européens et de poser de graves problèmes aux réseaux électriques du fait du caractère intermittent des nouvelles énergies.

Enfin, ne convient-il pas que l’Europe adopte une vision plus large de la transition énergétique, en donnant à sa stratégie une dimension industrielle que les seuls mécanismes du marché intérieur ne lui apportent pas et qu’elle se dote, d’une part, des outils donnant aux énergéticiens les conditions et la visibilité indispensables à leurs investissements d’avenir, et, d’autre part, d’un volet recherche et investissement très intégré en faveur des nouvelles technologies qui ne sont pas encore matures comme le solaire ?

Ce sont des questions massives et un vaste programme, mais je fais confiance à nos intervenants pour les traiter. Claude Mandil a en effet rédigé une note remarquable pour le think tank Synopia et les rapports de Cécile Maisonneuve sont également de très grande qualité.

M. Claude Mandil. Le sujet étant vaste, je vais concentrer mon propos sur le marché de l’électricité. Je partage votre constat alarmant car les résultats que nous avons obtenus sont le contraire de ce qui était espéré.

On avait dit – je le pensais aussi lorsque j’étais directeur général de l’énergie – que les prix allaient baisser grâce à l’établissement d’une concurrence européenne ; or, les prix payés par les consommateurs ne cessent d’augmenter. On avait dit aussi qu’un marché concurrentiel allait permettre le développement des investissements. Mais le niveau de ceux-ci n’a jamais été aussi bas, car les prix de gros sont en revanche très faibles, ce qui décourage l’investissement. On constate la fermeture de centrales à gaz, alors même qu’elles sont nécessaires pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables.

De même, on espérait que la sécurité énergétique allait être plus grande. Or, elle ne cesse de se détériorer, le problème principal n’étant d’ailleurs pas la sécurité des approvisionnements – si on pense par exemple à la question du gaz russe –, mais l’instabilité du réseau.

On pensait enfin que les émissions de CO2 allaient baisser. Or, elles augmentent car le développement de la production de gaz de schiste aux Etats-Unis conduit à l’exportation du charbon américain vers l’Europe.

De tels résultats mettent en cause la crédibilité de la politique européenne de l’énergie.

Il convient de ne pas se tromper sur le diagnostic des raisons de cette situation. Elle résulte des contradictions entre les différentes politiques européennes. Les décisions prises par l’Union vont en effet dans des sens contradictoires. On a ainsi décidé de créer un marché intérieur de l’électricité, mais, juste après – pour des raisons politiques parfaitement compréhensibles –, on a établi l’objectif « trois fois vingt », qui est contradictoire avec l’idée de marché unifié. En effet, se fixer un objectif en termes d’énergies renouvelables, qui sont les plus chères, impliquait un accès prioritaire au réseau et un prix d’achat artificiel pour ces énergies, ce qui va à l’encontre du fonctionnement d’un marché. C’est comme si l’on disait qu’il existe un marché de l’automobile, mais que les voitures d’une marque y sont prioritaires et bénéficient d’une prime…

Ce mode de fonctionnement explique que les prix de gros de l’électricité soient bas, car le prix de rachat garanti pour les énergies renouvelables a conduit à des investissements massifs dans ce secteur et donc une production souvent surabondante. Et le coût de ce dispositif étant financé par un prélèvement sur la facture des consommateurs finaux, le prix que paient ces derniers est en revanche élevé.

La situation a été aggravée par l’effondrement du marché des permis d’émission de CO2. Cet effondrement est la conséquence de la crise économique de 2008-2009, mais aussi du fait que l’Union européenne a mis en place ce marché sans se doter d’instruments de gestion. C’est en conséquence le seul grand marché public mondial qui ne soit pas doté d’une autorité de gestion. Quand il s’est effondré, il n’y avait donc aucun instrument permettant d’essayer de le sauvegarder.

Que faut-il faire ? Je pense qu’il faut conserver le principe d’un marché intérieur unifié. Le système des permis d’émission peut également fonctionner s’il n’est pas soumis à d’autres contraintes. Nous ne devrions soumettre le marché de l’énergie qu’à la contrainte des émissions de CO2. Pour le reste, on peut bien sûr se fixer des objectifs politiques, mais pas plus.

Par ailleurs, les coûts doivent être au centre du système. Actuellement, les énergies renouvelables ne paient pas réellement les coûts qu’elles entrainent (coût de raccordement, coût de l’intermittence) et bénéficient de prix garantis. Le tarif de rachat doit être supprimé. Je ne suis d’ailleurs pas seul à avoir cette idée, qui circule beaucoup actuellement. Cette évolution n’interdirait pas de continuer à aider les énergies renouvelables qui ont de l’avenir telles que l’énergie photovoltaïque.

Enfin, l’Europe doit se doter d’une autorité de gestion du marché des permis d’émission de CO2.

J’aurais aussi quelques mots à dire sur la sécurité de l’approvisionnement gazier ou encore la solidarité entre les Etats membres, mais j’y reviendrai en répondant à vos questions.

Mme Cécile Maisonneuve. Je partage totalement le constat alarmant qui vient d’être fait, il y a effectivement urgence. C’est un enjeu géopolitique mais aussi géoéconomique. L’IFRI a conduit une étude sur les conséquences sur la pétrochimie européenne de ce qui se passe aux Etats-Unis. Les coûts des produits pétrochimiques y étaient autrefois les mêmes qu’en Europe, cependant que les coûts au Moyen-Orient étaient très bas et en Chine très élevés. Aujourd'hui, les Etats-Unis ont rejoint le Moyen-Orient et l’Europe a rejoint la Chine. En d'autres termes, dans la mesure où il s’agit d’un secteur en amont de la chaine de valeur, on peut craindre, à terme, de sérieux problèmes de compétitivité pour l’industrie européenne. L’AIE dit la même chose et estime de son côté que d’ici 20 ans, certains, l’UE et le Japon, vont perdre des parts de marché industriels, quand d’autres, les émergents et les Etats-Unis, en gagneront. Grâce aux hydrocarbures non conventionnels, les Etats-Unis sont en train de devenir le premier producteur de gaz et de pétrole de schiste, et d’avoir des coûts industriels en forte baisse grâce à la diminution de ceux des intrants. Il y a donc urgence à réfléchir à la remise sur les rails de la politique énergétique européenne.

Trois conditions sont nécessaires pour qu’elle soit plus efficace : une vision commune, une gouvernance efficace et une volonté des Etats membres.

La vision commune fait aujourd'hui défaut : les Allemands considèrent la transition énergétique comme signifiant plus de renouvelable et moins de consommation ; les Anglais la traduisent par moins de CO2, quels que soient les moyens pour parvenir à ce résultat ; les Polonais ou les Bulgares, entre autres, privilégient la diversification des sources d’approvisionnement, pour garantir leur sécurité. On en est là, et il n’y a pas de vision commune européenne sur un objectif. Les 3x20 ont caché ces divergences sur ce que doit être la transition énergétique. On oppose souvent les pays d’Europe centrale et orientale aux pays d’Europe occidentale, qui ont des histoires différentes, la question ukrainienne l’a encore prouvé, mais des lignes de fractures fortes existent aussi au sein des pays d’Europe occidentale et il y a encore beaucoup de géopolitique entre eux.

Deux grands modèles s’opposent à Bruxelles. Le modèle allemand, qui a choisi le développement des énergies renouvelables, dans une démarche industrielle et commerciale, avec le développement de filières d’exportation ; le modèle britannique, en vogue à Bruxelles, tourné sur la baisse du CO2, quels que soient les moyens utilisés, qui se traduit par une substitution du charbon par le gaz, par l’utilisation de technologies à bas carbone qu’il s’agisse de l’énergie renouvelable, par le développement de l’éolien off shore et du solaire, ou du nucléaire.

La question nucléaire n’est jamais abordée de front, mais elle est toujours présente. Il ne faut surtout par l’aborder sous l’angle franco-allemand car les deux pays sont sur des positions radicalement différentes. Il faut traiter la question au niveau européen, en remettant le Royaume-Uni dans le jeu, qui a un énorme programme éolien off shore et souhaite aussi développer le gaz de schiste, pour tenter de compenser la baisse de la production du gaz off shore.

Quant à la gouvernance, on est longtemps resté sur le fil conducteur de la concurrence, du marché intérieur. C’est nécessaire, comme l’a dit Claude Mandil, mais la concurrence n’est pas conçue pour renforcer la sécurité des approvisionnements, d’où qu’ils proviennent et quels que soient les modes de transport. La concurrence est également neutre sur le caractère plus ou moins carboné des énergies. Le marché a été mis en place dans le cadre d’un développement de l’énergie fossile, il n’est pas adapté au profil d’investissements pour le bas carbone, très capitalistique avec des coûts opérationnels faibles. Or, quand on veut investir dans le bas carbone, il faut re-réguler, et paradoxalement, le meilleur exemple est ici la Grande Bretagne qui a été le chantre du marché et qui aujourd’hui re-régule son marché de l’électricité sans se l’avouer. Il faut aussi avoir conscience que la question de la gouvernance est un enjeu d’appareils à Bruxelles, où il n’y a pas une seule vision. Quatre directions générales, au moins, sont en charge du dossier : la DG Concurrence, la DG Energie, ainsi que la DG Environnement, très puissante, et la DG Entreprises qui, compte tenu des incidences sur la compétitivité, est entrée en scène à la faveur de la crise. On a manqué à Bruxelles d’une vision européenne articulée sur l’intérêt général entre ces différentes lignes en compétition. Il faudrait aujourd'hui réfléchir à un « Monsieur » ou une « Madame » transition énergétique, qui soit vice-président de la Commission ou super commissaire, chargé de ces questions Energie/Concurrence/Industrie, pour gérer les thématiques telles que la sécurité des approvisionnements et les coûts.

Quant à la volonté de coopération des Etats membres, elle a fait défaut, au moment même où le Traité de Lisbonne entrait en vigueur ! Il faut regarder comment les États mettent en œuvre leur politique énergétique. L’Allemagne a fait de l’énergie le pivot de sa politique économique. Elle a opéré un tournant, une véritable transformation du système économique qui n’est pas une simple transition. La question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’une sorte d’avant-garde de ce que peut être la politique énergétique européenne ou un ferment de désintégration. Il faut savoir que, en Allemagne, il s’agit d’un projet national de très grande ampleur, mais qui n’est possible que parce que l’Allemagne a des voisins qui ne suivent pas la même politique. Quand la production massive d’énergie renouvelable est très supérieure à la demande, elle est évacuée vers l’Est et vers l’Ouest. Mais dans le système européen, les réseaux de transit ne sont pas rémunérés. En d'autres termes, les pays voisins supportent des coûts du fait de la décision d’accélérer la transition que l’Allemagne a prise seule après Fukushima. La transition énergétique allemande ne doit pas être traitée comme les autres.

En conclusion, il faut réfléchir à la méthode pour remettre la politique énergétique sur les rails en s’intéressant au reste du monde. On aurait dû, après l’échec de Copenhague, se pencher sur le rythme de la transition alors que les autres pays ne nous suivaient pas ; on aurait dû revoir le système du marché de CO2 après la crise car il ne marche pas ; on devrait se pencher sur les questions de compétitivité, compte tenu de ce que font les Etats-Unis ; on aurait dû se pencher sur la question du prix du gaz liquéfié après Fukushima qui a fortement augmenté en Asie, ce qui a détourné les flux de GNL vers ce marché.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Les deux interventions de M. Claude Mandil et de Mme Cécile Maisonneuve nous ont donné un aperçu remarquable d’un enjeu décisif pour l’avenir de l’Union Européenne.

La Commission des Affaires Etrangères s’intéresse depuis longtemps à ces questions énergétiques à travers des avis budgétaires et une mission conduite par André Schneider et Christian Bataille sur les enjeux géopolitiques de l’énergie. En outre, le rapport de M. Pierre-Yves Le Borgn’ portant sur le projet de ratification d’amendement au Protocole de Kyoto, fera l’objet d’un examen au mois de septembre prochain. Par ailleurs, plusieurs membres de la Commission ont été désignés pour participer au groupe de travail sur la préparation de la conférence sur le changement climatique. A ce propos, le Ministre des affaires étrangères, a raison de considérer que parler de « COP21 » ne fait plus sens et qu’il est plus significatif d’évoquer la « Conférence du climat 2015 ». Enfin, nous avons l’intention d’auditionner le Ministre des affaires étrangères, la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ainsi que Mme Tubiana, représentante spéciale pour la Conférence Paris Climat 2015.

M. André Schneider. Christian Bataille et moi-même travaillons actuellement sur un rapport sur cette question. J’ai également en charge un rapport à la Commission des Affaires Européennes, commencé il y a dix ans avec le Livre vert et le partage patrimonial.

Je voudrais revenir sur les questions franco-allemande et polonaise. Avant- hier, nous avons rencontré un responsable allemand à Strasbourg sur cette question. L’Allemagne n’a pas l’intention de changer de point de vue. Ils ont beaucoup de charbon.

Que faut-il faire aujourd’hui pour tenter d’impulser une politique énergétique ? Le régulateur européen de l’énergie et la séparation patrimoniale avaient suscité beaucoup d’espoir mais la politique en la matière a beaucoup changé entre-temps. Aussi, comment selon vous, pourrions-nous rapidement mettre au point une politique européenne de l’énergie digne de ce nom ?

M. Michel Destot. M. Mandil a mentionné l’instabilité des réseaux comme étant peut-être une faille du dispositif européen supérieure au problème de sécurité énergétique. S’agit-il d’un problème technique d’interconnexion des réseaux ou d’un problème tarifaire et de coûts de régulation entre les différents pays ?

Mme Maisonneuve a parlé de « vision commune » en matière d’énergie. Faut-il comprendre que, compte-tenu d’importantes divergences de conception entre l’Allemagne et la France, il vaudrait mieux établir un arrangement avec le Royaume-Uni pour en faire le nouveau moteur des objectifs énergétiques au niveau du marché européen?

Près de 70% des émissions de CO2 relèvent des territoires, tout particulièrement de l’urbain, en lien avec les problèmes de déplacement, de l’habitat et de la concentration de l’industrie et des services dans les grandes métropoles. Au niveau européen, et sachant que cette proposition avait échoué lors de la Conférence de Copenhague, ne faudrait-il pas imaginer une meilleure articulation entre l’Europe, ses pays et ses territoires décentralisés ? Dans le cas contraire, je crains que les objectifs européens de l’énergie soient inatteignables.

En ce qui concerne la France, quels secteurs mettriez-vous en tête quant à notre capacité à améliorer notre balance commerciale dans le domaine de l’énergie ? Le nucléaire ou bien d’autres secteurs de l’énergie dans lesquels la France serait éventuellement plus performante ?

M. Philippe Cochet. Je salue la capacité de M. Mandil à reconnaître que les experts se sont trompés. Je relève aussi dans vos propos qu’il y a moins d’idéologie et plus de pragmatisme en matière de politique énergétique européenne, ce qui est heureux.

Des interrogations se posent aujourd’hui, s’agissant de la qualité du réseau de transport d’électricité (RTE) français et sur les investissements qu’il faudrait réaliser.

A propos du gaz de schiste, il se pourrait que l’on rate un train et nous affronterons alors de grandes difficultés à l’avenir.

Enfin, eu égard aux politiques énergétiques européenne et française, existe-t-il un risque de fragilisation de nos leaders nationaux, que ce soit dans le domaine du nucléaire, de l’électricité ou d’autres domaines ?

M. Noël Mamère. La position des écologistes sur le nucléaire et la politique énergétique de notre pays, entre autres sur la question du gaz de schiste, est très différente de celle exprimée au sein de cette commission. M. Mandil a été un artisan de la politique énergétique de la France dans les hautes fonctions qu’il a occupées en qualité d’ingénieur des Mines, un corps qui a la haute main sur cette politique. Cette influence s’est reflétée dans le choix du gouvernement de laisser à EDF le soin de décider de la fermeture ou de l’ouverture de centrales nucléaires.

Le Premier Ministre, dans sa Déclaration de politique générale, a réduit la transition énergétique à une simple stratégie de bas-carbone. C’est également ce que M. Mandil et Mme de Maisonneuve viennent d’exposer et de défendre devant nous.

La question du nucléaire ne se résume pas à un débat entre la France et l’Allemagne. Il n’est pas possible de parler de politique européenne si l’on réduit la question du nucléaire à ces deux pays. L’Allemagne n’a pas décidé seulement une politique d’énergies renouvelables mais également une politique d’efficacité énergétique et d’économie d’énergie. L’on souligne que l’Allemagne a été contrainte de recourir aux mines de charbon depuis qu’elle a décidé d’abandonner le nucléaire, mais je voudrais rappeler aussi que l’Allemagne consomme 20% d’énergie de moins que la France.

Nous venons d’assister à une grande opération politico-médiatique sur le rachat d’Alstom par la Société générale électrique qui remet totalement en cause le discours du Président de la République sur l’Airbus de l’énergie. Aujourd’hui, au regard des disparités qui existent entre les différent pays européens et en raison de politiques contradictoires, il n’est pas possible de soutenir une politique énergétique européenne, ni de mettre en place, comme le souhaiterait le Président de la République, un Airbus des économies de l’énergie.

Je ne suis pas d’accord avec M. Mandil lorsqu’il explique que le marché du permis à polluer a échoué à cause de la crise : son échec est dû à un prix non attractif de sept euros. Comment voulez-vous qu’à ce prix- là et dans de pareilles conditions, le marché de réduction du carbone fonctionne ?

J’entends parler de surproduction d’énergie de l’Allemagne qui le vend in fine à son hinterland, c’est-à-dire aux pays anciennement contraints par le Pacte de Varsovie. Je rappelle que la production nucléaire française n’est pas souple et qu’il a donc fallu mettre en place les tarifs heures pleines et heures creuses. Le premier exportateur net d’électricité en Europe est l’Allemagne, or la France profite de cette exportation.

En outre, M. Mandil nous explique que finalement, il faudrait cesser de soutenir les énergies renouvelables qui auraient profité d’une bulle financière. Toutefois, il faudrait préciser aux Français que l’énergie nucléaire, ce sont nous, nos parent et nos grands-parents, qui la payons depuis qu’un ingénieur des Mines, Pierre Guillaumat, et le général de Gaulle ont décidé de donner de l’importance au Commissariat à l’énergie atomique et ont lancé la construction de centrales nucléaires en 1973.

Enfin, je terminerai par l’évocation des gaz de schistes. On ne peut pas expliquer qu’il faudrait changer de logiciel, c’est-à-dire ne plus dépendre des énergies fossiles, et nous expliquer que le gaz de schiste, c’est l’avenir. Quand l’homme est passé de l’âge de pierre à l’âge de fer, ce n’est pas parce qu’il manquait de pierres mais parce qu’il a décidé de changer de logique. Ainsi, nous pourrions avoir des tonnes de gaz de schiste sous nos pieds sans que pour autant, il faille entrer dans une logique de transition énergétique qui passe par une efficacité énergétique impliquant une moindre dépendance aux énergies fossiles.

Je ne pense pas que la discussion que nous avons aujourd’hui s’inscrive dans ce que nous les écologistes nous entendons par « transition énergétique ». Notre conception est très éloignée de celle du Gouvernement qui, hier soir, a déposé un amendement pour tordre le cou à la « polytaxe » sur les camions qui, in fine, est devenue une taxe qui va apporter encore plus de camions sur nos routes.

M. Axel Poniatowski. Des deux présentations des intervenants, je retire l’impression que finalement, l’objectif des « trois fois vingt » est un objectif recevable mais qui présente un problème de suivi et de gouvernance.

Les énergies renouvelables ne payent par leur coût. Ce coût est aujourd’hui absolument extravagant. Aussi, les intervenants ont évoqué le fait qu’il faudrait retenir celles qui offrent les avancées technologiques les meilleures et les plus intéressantes pour pouvoir diminuer ce coût. Que pensez-vous de l’éolien ? Ne devrait-on pas nous en retirer ? Il me semble en effet que l’on ne parviendra jamais à des coûts qui nous permettront d’être compétitifs dans ce domaine.

Enfin, Mme Maisonneuve a souligné que les Américains sont autosuffisants en énergie grâce au gaz de schiste et qu’ils exportent leur production de charbon vers l’Union Européenne en particulier l’Allemagne. Or, lorsqu’en France, notamment en région parisienne, nous atteignons des pics de pollution, une des causes provient des émanations des centrales thermiques allemandes. Pourrait-on avoir votre appréciation, non idéologique, au sujet du gaz de schiste? Quelle est la vision de votre think tank sur la question ?

M. Christian Bataille. Les interventions de M. Mandil et de Mme Maisonneuve démontrent qu’il n’y a pas d’Europe de l’énergie car ce qui prime est la dispersion et la disparité des points de vue. Les Allemands ont relancé le « tout charbon », tandis que d’autres comme les Anglais, s’interrogent. L’hydraulique en mer suscite de grands espoirs. J’ai en tête le projet proposé par l’ingénieur Lempérière qui est un projet prométhéen et qui pourrait prendre la place de plusieurs centrales nucléaires. Toutefois, ce projet se heurtera immanquablement aux défenseurs de la nature car il suppose, tout comme les barrages, une modification de l’ordre naturel.

S’agissant des gazs de schiste, il me semble que l’on devrait plutôt parler d’hydrocarbure non-conventionnels. Les Américains cherchent du pétrole et, subsidiairement, sont autosuffisants en gaz de schiste. Il y a actuellement un débat aux Etats-Unis afin de décider d’une éventuelle exportation sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) de ce gaz.

La France se trouve dans une situation aberrante puisqu’elle est le seul pays européen, excepté la Bulgarie, qui pris la décision stupide d’interdire la fracturation hydraulique, et même la recherche dans ce domaine. Les autres pays européens ont une politique différente. Les Allemands et les Anglais sont plus réalistes et vont explorer leurs sous-sols.

Le sujet tabou aujourd’hui, c’est le nucléaire. Le nucléaire est la grande réussite énergétique de la France. Cependant, la France se demande aujourd’hui avec quels partenaires continuer dans cette voie. Seul, la tâche est difficile mais certains partenaires sont à éviter comme la Chine qui escompte absorber notre savoir-faire afin de nous battre sur le marché mondial. Le partenaire russe est périlleux, tandis que les Américains se sont désormais tournés vers le gaz de schiste. Il reste le partenariat franco-britannique qui pourrait être intéressant.

Le long terme en matière d’énergie représente une dimension qui dépasse largement la perspective d’un mandat législatif ou présidentiel. En effet, les décisions que l’on prend aujourd’hui ne produiront pas leurs effets en 2017 ou en 2022 mais bien plus tard. Ainsi, le rôle de l’État et du Parlement est de réfléchir autrement que selon une logique de marché qui veut que l’on pense dans une perspective à court-terme, soit de cinq ans, et de relancer une forme de planification énergétique de moyen et de long-terme.

Mme la présidente. Nous ne forcerons personne à modifier son mix énergétique. Mais arriverons-nous à avoir une politique européenne cohérente, régulée, compétitive, qui remplisse nos objectifs en termes de transition énergétique ? C’est le principal sujet pour les cinq ans à venir, les Britanniques en sont conscients, nous le sommes aussi. C’est pour cela que la France estime qu’il faudrait former un pôle de compétences sur ces sujets au sein de la Commission européenne.

M. Jean-Paul Baquet. Merci beaucoup pour vos exposés, qui m’ont appris beaucoup et qui montrent la vérité des enjeux, au-delà des effets de mode médiatiques. On retrouve en France les problèmes évoqués à l'échelle de l’Europe : nous n’avons pas de vision commune. L’échelle de temps de la politique énergétique est au minimum de cinquante ans, alors que celle de notre action est bien souvent celle des médias, qui se situe dans l’immédiateté. Sommes-nous capables de définir une véritable ligne politique en la matière, indépendamment des pressions des lobbys ?

M. Patrice Martin-Lalande. L’essor du gaz de schiste induit un bouleversement considérable. Cela fait baisser le prix du charbon, et l’on se retrouve à fermer des centrales à gaz plutôt que des centrales à charbon, ce qui met fondamentalement en cause la logique environnementale de la politique énergétique. Disposez-vous d’éléments nouveaux qui permettraient d’espérer obtenir un accord, aussi imparfait soit-il, lors du COP 21 ?

M. Philippe Cordery. La politique énergétique est une priorité pour la France dans l’Union européenne, et c’est un vecteur de développement potentiel. Quels pourraient être les apports du partenariat méditerranéen dans ce cadre ? La proximité de ces pays, leurs réserves importantes et leur potentiel solaire en font des partenaires intéressants pour notre politique énergétique.

Mme Cécile Maisonneuve. L’Energiewende allemande est présentée de manière caricaturale en France. On occulte à quel point le consensus national qui l’entoure est fort. Par exemple, on a rapporté que Sigmar Gabriel avait qualifié de « folie » l’Energiewende ; en réalité, il parlait simplement du développement de l’autoconsommation. Il ne faut donc pas voir ce projet avec nos yeux de Français ; les Allemands ne reviendront pas au nucléaire : le sentiment anti-nucléaire est profondément ancré, il a des origines historiques et anciennes. L’Energiewende est un projet complexe, qui associe plusieurs dimensions : la baisse de la consommation d’énergie primaire, la baisse de la consommation d’électricité, le développement des énergies renouvelables et la baisse des émissions de CO2. Les Allemands débattent actuellement pour réviser leur loi dite EEG, afin de rapprocher le financement des énergies renouvelables des mécanismes de marché, c’est-à-dire d’aller des tarifs de rachats vers des appels d’offre. Par ailleurs, le Ministre Sigmar Gabriel mène une négociation compliquée sur l’assiette de financement du projet ; le consommateur allemand paie un prix très lourd, et le but est d’y associer davantage la grande industrie exportatrice.

Le sujet n’est pas de savoir si c’est un exemple à suivre ou non. Il s’agit plutôt de voir les enseignements que l’on peut tirer de cette Energiewende. L’organisation de leur gouvernance, au niveau territorial et au niveau politique, est très intéressante. Elle conduit à donner une responsabilité spécifique au SPD pour la mise en œuvre du projet. Leurs travaux sur la question du financement des renouvelables – le coût du capital étant très élevé – peuvent aussi nous inspirer.

Il est stérile d’opposer systématiquement la France à l’Allemagne. Comment réduire l’empreinte environnementale de nos consommations ? C’est là le vrai problème. De ce point de vue, la démarche de la Commission, qui consiste à demander que chaque pays se fixe un objectif propre en matière d’énergies renouvelables, est intéressante. Si l’on impose le même objectif à tout le monde, on se retrouve avec une production d’énergie renouvelable qui ne correspond pas aux besoins.

Au sujet de la gouvernance, les énergies renouvelables imposent d’avoir un nouveau modèle qui associe mieux les territoires. A cet égard, l’exemple allemand est intéressant.

Pour ce qui est de la position de la France, nous avons eu un grand débat sur la transition énergétique, qui a permis de dégager des orientations traduites dans le projet de loi qui va être examiné à la rentrée. La France doit être active au niveau européen sur ce sujet, qui sera un enjeu pour les négociations relatives à la composition de la future Commission.

M. Claude Mandil. Je reviens sur les risques liés aux réseaux d’électricité. En raison de l’intermittence des énergies renouvelables, par exemple de l’éolienne, ces réseaux sont soumis à des stress nouveaux, en particulier en Europe du Nord. Comme, par ailleurs, il faut dix ans pour construire une ligne à haute-tension, dont neuf ans de consultations et de procédures, on se trouve face à un hiatus. L’Italie du Sud ne peut pas transporter son énergie photovoltaïque vers le nord du pays ! Un risque sérieux pèse donc sur les réseaux pour les années à venir.

Les coûts des énergies renouvelables sont très hétérogènes. Je signale au passage qu’il est difficile de connaître les coûts de rachat en réponse aux appels d’offre : il y en a eu un récemment pour l’éolienne off shore, il m’a été impossible d’obtenir l’information, qui semble gardée comme un secret d’Etat. Peut-être la représentation parlementaire aurait-elle un rôle à jouer pour obtenir plus d’informations à ce sujet. Toujours est-il que les coûts varient beaucoup d’une énergie à l’autre. L’énergie éolienne on shore n’est pas loin d’être compétitive : son prix de rachat est modéré. La contrepartie est qu’elle nuit aux paysages. Le photovoltaïque pourrait aussi, au vu des rapides progrès enregistrés, devenir compétitif, surtout dans les régions ensoleillées. En revanche, l’éolien off shore est très loin de l’être, et je ne comprends pas l’engouement du Royaume-Uni pour cette énergie.

Au sujet de la prochaine conférence Climat de Paris, je suis plutôt optimiste, car elle est entre les mains de la France. J’ai cependant une inquiétude, si l’objectif est de parvenir à un traité. En effet, le Congrès américain, dans sa composition actuelle, ne ratifiera jamais un engagement contraignant en matière environnementale. De même, la Chine refusera probablement de se lier.

Pour ce qui concerne l’Europe de l’énergie, je suis d’accord avec la présidente, nous ne ferons pas changer les autres d’avis. Mais comment améliorer la situation d’ensemble ? Les Allemands avaient le droit de renoncer au nucléaire et de développer les énergies renouvelables, mais ils n’auraient pas dû prendre ces décisions aussi brutalement, sans la moindre consultation, alors même qu’elles avaient des conséquences lourdes pour leurs voisins. Comme Cécile l’a bien dit, leur projet fonctionne uniquement parce que nous ne faisons pas la même chose. Pour ne pas que ce genre de situations se reproduise, je proposerais volontiers un mécanisme de soft power inspiré de mon expérience à l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Les pays seraient libres de faire ce qu’ils veulent en matière énergétique dans le cadre du traité de Lisbonne, mais devraient veiller à la cohérence de leurs décisions avec celles de leurs voisins. Cela se ferait par un mécanisme de peer review, débouchant sur des rapports publics qui permettraient de faire progressivement prendre conscience des impératifs européens. Au sein de l’AIE, ce mécanisme donne un levier important sur les décisions des Etats membres.

Au sujet des territoires, je suis d’accord avec Michel Destot. Nous ne regardons pas assez ce qui se fait à l’étranger. Par exemple, il existe une organisation très active, le « C40 » (Cities Climate Leadership Group), qui regroupe les plus grandes villes du monde, dont Paris – entre parenthèse, les données concernant Paris ne sont pas disponibles ! Cette organisation fait un travail considérable de réflexion en commun sur la transition énergétique en associant divers domaines : urbanisme, transport, labellisation. Tous les labels, ou presque, sont proposés par le C40 et décidés par des organisations anglo-saxonnes.

La présidente Mme Elisabeth Guigou. Merci beaucoup pour vos points de vue lumineux sur un sujet très complexe. Nous allons transmettre votre message au sujet des données de Paris à Anne Hidalgo.

La séance est levée à onze heures treize.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 25 juin 2014 à 9 h 45

Présents. - M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Philip Cordery, M. Édouard Courtial, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Noël Mamère, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Danielle Auroi, M. Patrick Balkany, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean Glavany, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. François Lamy, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Patrick Lemasle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier