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Commission des affaires étrangères

Mardi 7 octobre 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 3

Présidence Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières, sur l’épidémie d’Ebola

Audition, ouverte à la presse, de M. Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières, sur l’épidémie d’Ebola

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir de nouveaux membres : Cécile Duflot, Jean-Marc Germain, Linda Gourjade, Benoît Hamon, Armand Jung, Marie-Line Reynaud et Gérard Sebaoun, venus rejoindre Jean-Marc Ayrault et Valérie Fourneyron, qui sont des nôtres depuis peu. Je leur souhaite la bienvenue dans cette commission.

Nous accueillons cet après-midi M. Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières. Cette audition sera consacrée à l’épidémie d’Ebola, qui frappe depuis plusieurs mois l’Afrique de l’ouest, et plus particulièrement trois pays : le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée.

Monsieur le président Terzian, je veux tout d’abord rendre hommage à votre organisation, saluer le courage de vos volontaires qui ont été les premiers, et longtemps les seuls, sur le terrain, et qui se battent dans des conditions extrêmement difficiles. Nous nous réjouissons de la guérison de l’infirmière française contaminée par le virus, qui est sortie de l’hôpital il y a quelques jours. Depuis le mois de mars, seize membres de Médecins Sans Frontières ont été contaminés, dont neuf sont malheureusement décédés, malgré les précautions que vous avez déployées pour protéger ceux qui interviennent auprès des malades.

Cette épidémie, qui a déjà tué environ 3 500 personnes, menace d’être beaucoup plus meurtrière à court et à moyen terme. Les projections, comme celles des Nations unies, sont effrayantes. La perspective la plus communément évoquée est qu’Ebola fasse 20 000 morts d’ici à la fin de l’année, et beaucoup plus d’ici à un an.

Monsieur le président, vous nous ferez part de l’appréciation que vous portez sur la situation des pays où vous intervenez et sur la façon dont elle évolue. Au-delà des chiffres terrifiants que je viens de rappeler, cette épidémie pose des défis considérables à la communauté internationale, car ce n’est pas seulement une crise sanitaire, mais bien comme l’a souligné la directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, mais bien une crise humanitaire, alimentaire, sociale, économique et politique, qui aura des conséquences majeures et durables.

La Banque mondiale annonce l’hypothèse d’une chute de dix à douze points de croissance pour des pays déjà exsangues, qui comptent parmi les plus fragiles et les plus déshérités d’Afrique. La résolution 2177, que le Conseil de sécurité a adoptée à l’unanimité, le 18 septembre, a qualifié l’épidémie de menace pour la paix et la sécurité internationale – ce qui est une première, s’agissant d’une crise sanitaire.

Depuis, des moyens importants ont été mis en œuvre pour répondre à des besoins que le secrétaire général Ban Ki-moon a chiffrés à un milliard de dollars pour les six prochains mois. L’ensemble des bailleurs y participe : les institutions multilatérales, avec l’OMS, la Banque mondiale, l’Union européenne et la Banque africaine de développement. Toutes ces institutions se sont mobilisées, et de plus en plus de pays, dont trois, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, sont les chefs de file dans les pays les plus touchés, la France en Guinée, les États-Unis au Liberia et le Royaume-Uni en Sierra Leone.

Vous nous direz également, monsieur le président, comment vous jugez la réaction de la communauté internationale face à cette crise sans précédent. Vous avez lancé un appel aux gouvernements, en leur demandant de renforcer leur présence sur le terrain plutôt que de continuer à faire des dons à MSF. Vous pourrez nous dire aussi votre sentiment sur ce que révèle cette épidémie sur les capacités des pays les plus pauvres à faire face à des catastrophes d’une telle ampleur et sur l’efficacité des politiques d’aide au développement, notamment lorsqu’elles interviennent – ou pas, d’ailleurs – sur le renforcement des systèmes de santé. Car ce qui frappe tous les spécialistes, c’est que c’est précisément dans les pays où les systèmes de santé étaient quasiment inexistants, ou extrêmement faibles, que cette épidémie a pu se développer. Elle a pris tout le monde de court et oblige la communauté internationale à réagir dans l’urgence. On ne peut pas manquer de se demander si, depuis quarante ans, on n’aurait pas pu mieux anticiper : avant l’épidémie, le Liberia ne comptait en tout et pour tout que quarante-cinq médecins pour 4,5 millions d’habitants…

Demain, nous recevons Annick Girardin, Secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie, qui s’est rendue en Guinée. J’ai indiqué ce matin, à la Conférence des présidents, que j’avais l’intention de poursuivre les auditions avec la commission des affaires sociales, et notamment avec des instituts de virologie, pour apprécier à sa juste mesure l’intensité du phénomène et les risques de propagation : l’important est de ne pas minimiser ces risques, mais d’adopter des réactions qui leur soient proportionnées.

M. Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières. Effectivement, madame la présidente, nous étions, il y a peu, les seuls acteurs concernant l’épidémie d’Ebola. En 1976, les premiers cas sont apparus au Zaïre, puis en Ouganda et au Soudan du sud. Médecins Sans Frontières était la seule organisation à déployer des équipes dès le début de chaque épidémie pour organiser les opérations de secours, notamment dans ces trois pays. En collaborant avec les ministères de la santé de ces pays, MSF arrivait, en l’espace de quelques semaines, à contenir l’épidémie et à contrôler la situation. Notre dispositif traditionnel consiste à installer des centres d’isolement, à organiser le suivi des individus en contact avec les patients et à distribuer des kits d’hygiène et de protection.

Les premiers cas d’Ebola, rapportés par le ministère de la santé guinéen, sont apparus en Guinée forestière, dans le district de Guéckédou. Même si le ministère de la santé de ce pays n’a pas l’expérience pour gérer une telle épidémie, nous espérions, en installant notre dispositif traditionnel, pouvoir gérer la situation. Mais l’épidémie de la Guinée forestière s’est peu à peu propagée vers la capitale, Conakry, à partir du mois d’avril 2014. En mai, le ministre de la santé du Liberia m’a appelé à Paris pour m’informer que des cas d’Ebola avaient été signalés dans sa capitale Monrovia.

Avons-nous sous-estimé la situation en nous croyant capables de la gérer ? Nous avons déployé nos équipes un peu partout, en Guinée forestière et dans la capitale et, au mois de mai, nous avons dépêché des équipes à Monrovia. Nous avons également envoyé des équipes en Sierra Leone pour organiser les secours. Le 23 juin, nous avons constaté que notre dispositif traditionnel ne fonctionnait pas. Faute de place, nous avons pour la première fois refusé d’hospitaliser de nouveaux patients qui arrivaient dans les centres d’isolement et nous les avons renvoyés chez eux. Au mois de mai, tous les lits de nos cinq centres d’isolement étaient remplis, à tel point que nous n’arrivions plus à assurer le suivi des individus qui étaient en contact avec les patients. En juin, nous étions débordés et nous avons annoncé, le 23, que l’épidémie était hors contrôle.

Nous avons fait quelques déclarations publiques pour alerter la communauté internationale. Il y a eu peu, voire pas de réactions, jusqu’au mois de septembre. Pendant ce temps, la situation empirait. De 100 cas d’Ebola confirmés en mars, nous sommes passés à 2 000 en août et à plus de 3 000 en septembre, sachant que le nombre de morts annoncé par l’OMS est sous-estimé. Dans ces trois pays, le nombre de cas a été multiplié par vingt ou trente depuis le mois de mars. Le Sénégal et le Nigeria ont également signalé quelques cas.

En septembre, la situation s’est dégradée et l’aide n’était toujours pas à la hauteur. Il n’y avait presque pas d’acteurs sur le terrain, à l’exception de MSF. C’est à ce moment que nous avons demandé à la communauté internationale et au Conseil de sécurité des Nations unies d’intervenir en envoyant, si possible, des unités médicales des armées ou des médecins experts capables de gérer de telles situations.

La communauté internationale a fini par réagir et le déploiement a commencé à la mi-septembre dans les trois pays les plus affectés, Liberia, Sierra Leone et Guinée. Le Gouvernement français a envoyé des médecins pour intervenir en Guinée forestière, avec la Croix-Rouge française, qui créera un centre d’isolement dans le district de Macenta. Nous n’avions, dans cette ville, qu’un petit centre de transit pour transférer les patients en vue d’une hospitalisation dans une autre ville, dans des conditions très difficiles, du fait du manque d’ambulances et de personnel. Les premiers renforts français sont arrivés en Guinée Forestière. J’espère que d’ici à quelques jours, la Croix-Rouge française sera opérationnelle. Nous pourrons ainsi concentrer nos efforts sur d’autres villes en Guinée forestière.

Des militaires ont été envoyés par les États-Unis au Liberia et par le Gouvernement britannique en Sierra Leone pour installer des centres d’isolement supplémentaires. D’autres pays, comme Cuba ou l’Allemagne, ont annoncé qu’ils allaient envoyer des ressources humaines pour pouvoir gérer plus de centres d’isolement dans ces trois pays. Mais pour le moment, le déploiement est très lent. Nous manquons toujours de lits, de centres d’isolement, de moyens pour transporter les patients dans les centres d’isolement et de travailleurs communautaires pour aller à l’extérieur distribuer les kits d’hygiène ou de protection. Le déploiement des médecins militaires ou d’autres personnels envoyés par les différents gouvernements est trop lent.

À Monrovia, il faut créer huit centres d’isolement supplémentaires pour répondre aux besoins. J’espère qu’ils seront bientôt fonctionnels sur le plan logistique, mais nous savons que quatre de ces centres ne seront pas opérationnels faute d’organisation identifiée pour les gérer et de personnel, même si les Américains les installent assez rapidement.

C’est la même chose en Sierra Leone où le Gouvernement britannique construit des centres. Il collabore avec l’ONG anglo-saxonne Save the Children afin de les préparer à recevoir des patients. Mais, comme partout ailleurs, une seule organisation non gouvernementale ne suffira pas à aider le ministère de la santé sierra léonais et MSF à contenir l’épidémie.

En Guinée, où MSF est encore l’un des rares acteurs présents, la situation est moins dramatique. Nous espérons, avec l’aide du Gouvernement français, que la Croix-Rouge sera très prochainement opérationnelle. Si, en Guinée forestière, le nombre de cas commence à diminuer, à Conakry, on constate depuis quelques jours une augmentation.

Même si le plan de secours présenté par l’Organisation mondiale de la santé et les gouvernements, en lien avec MSF et d’autres acteurs, permet d’espérer que tout ira bien, que le personnel sera déployé et que tous les centres prévus seront très prochainement fonctionnels, je reste pessimiste : l’épidémie sera difficile à contenir. La zone affectée est très large et, sans l’introduction rapide d’un vaccin de prévention, d’abord pour le personnel, puis pour les populations dans les zones à risque – si nous disposons d’une quantité suffisante de vaccins –, je ne vois pas comment nous pourrons définitivement contrôler l’épidémie en Afrique de l’ouest.

Les raisons de cet échec sont d’ordre scientifique : nous n’avons pas de médicaments, pas de vaccins disponibles, pas de tests diagnostiques. Le seul test correct qui existe n’est pas adapté aux besoins, car même s’il est rapide, il faut tout de même trois heures pour savoir si le patient est atteint par le virus.

Il y a plusieurs années, le Brésil a subi une épidémie de méningite de grande ampleur. À l’époque, la Fondation Mérieux, à Lyon, a réussi un exploit, en fournissant assez rapidement les premiers vaccins anti-méningite. On a ainsi pu contrôler la situation. J’espère qu’un exploit similaire se produira en Afrique de l’ouest, avec l’introduction d’un vaccin anti-Ebola.

Nous sommes également confrontés au problème de l’évacuation du personnel médical venu d’Europe ou des États-Unis. Médecins Sans Frontières compte 300 personnes de différentes nationalités, venues de l’Union européenne – notamment de France – et des États-Unis. Il nous est très difficile d’organiser l’évacuation d’un patient en Europe. Deux intervenants de MSF ont récemment été atteints par le virus Ebola, dont une collègue française, qui est sortie guérie de l’hôpital samedi dernier. Une autre de nos collègues vient d’être hospitalisée en Norvège ; reste qu’il faut quarante-huit heures pour transporter et évacuer un travailleur humanitaire contaminé vers son pays d’origine. Il faut savoir que, dans le cadre de cette épidémie, une personne infectée par Ebola sur dix est un personnel de santé. Environ 160 personnes travaillant dans le domaine médical ou paramédical sont ainsi mortes depuis le mois de mars. Le personnel médical est très touché et l’organisation de traitements, pour ce personnel comme pour tous les patients, est un problème.

Les gouvernements américain et britannique comptent installer de petits centres d’isolement de vingt-cinq lits, dédiés aux travailleurs humanitaires, autochtones ou étrangers. Pour le moment, un tel plan n’est pas prévu en Guinée. Le Gouvernement français – ou celui d’un autre pays – pourra-t-il installer un centre dédié au personnel de santé ? Il faut y réfléchir. Les autorités françaises nous ont promis de faire de leur mieux pour organiser une coordination afin de transférer le plus rapidement possible des patients étrangers dans leur pays d’origine, mais, pour le moment, ce n’est pas encore le cas. Nous avons organisé nous-mêmes l’évacuation de nos deux patientes atteintes par Ebola avec l’aide de compagnies privées. Les mesures de protection ont été respectées dans l’avion et, pour l’une d’entre elles, durant le transport de l’aéroport vers l’hôpital, situé en banlieue parisienne. Tout s’est bien passé, mais nous avons agi par nos propres moyens. J’espère que les gouvernements s’impliqueront davantage pour organiser l’évacuation des travailleurs humanitaires, en créant des centres d’isolement et de traitement pour les humanitaires autochtones ou étrangers, surtout dans les trois pays affectés. Il faut également accélérer le déploiement des secours, augmenter le nombre d’ambulances et de centres d’isolement, et élargir la distribution des kits de protection et d’hygiène.

Enfin, les gouvernements occidentaux doivent convaincre les compagnies pharmaceutiques de ne pas entrer en compétition. Une politique de collaboration est indispensable pour accélérer la production de vaccins et de traitements.

M. Philippe Baumel. Monsieur le président, comment analysez-vous la réaction des États-Unis qui semblent vouloir engager énormément de moyens, mais aussi avoir une vision relativement militaire de l’action à programmer pour endiguer l’épidémie ? Ils disent eux-mêmes avoir une vision de bio-sécurité, considérant que c’est par le biais de leurs armées qu’ils doivent intervenir sur le terrain. Comment allez-vous conjuguer vos efforts avec les leurs ? Quelle est, à votre avis, la coordination la plus utile que pourraient envisager les Nations unies en la matière ? Il semblerait effectivement que cette coordination soit malheureusement très déficiente.

Voyez-vous une corrélation entre le fait que les trois pays les plus affectés aujourd’hui par la maladie viennent de sortir d’une opération de préservation de la paix où les Nations unies étaient elles-mêmes fortement impliquées, mais qui n’a pas produit les effets escomptés ? On voit bien, tant en ce qui concerne l’appareil d’État que sur le plan sanitaire, que ces opérations de paix n’ont pas été suffisamment efficaces. L’appareil sanitaire y est tellement dégradé qu’il est totalement impuissant.

M. Mego Terzian. Lors des événements biologiques, les unités médicales des armées et les militaires en général sont les plus adaptés pour organiser rapidement l’installation de centres d’isolement et la protection sanitaire des travailleurs. Je trouve donc tout à fait normal que les États-Unis, par exemple, envoient des militaires parce qu’ils ont des moyens logistiques. Face à un virus comme Ebola, la logique est plus ou moins la même que pour répondre à un événement biologique : les militaires sont les seuls à pouvoir construire très rapidement des centres d’isolement et organiser le circuit des patients pour éviter la contamination. Les kits de protection dont ils disposent en cas d’événements biologiques sont plus ou moins similaires à ceux utilisés aujourd’hui en Afrique de l’ouest contre Ebola. Les militaires américains ont tous les moyens logistiques et d’expertise pour agir plus rapidement que les organisations non gouvernementales qui, à l’exception de MSF, n’ont pas d’expérience. Elles doivent apprendre, découvrir où acheter, en Europe ou ailleurs, les kits de protection pour organiser les secours, ce qui prend beaucoup de temps. Je me félicite donc que l’armée américaine ait décidé d’intervenir.

Toutefois, si les Américains vont contribuer à la construction de onze centres d’isolement planifiée par l’Organisation mondiale de la santé au Liberia, ils ne veulent pas gérer les centres avec leurs propres ressources humaines. Ils ont l’intention d’entraîner 500 personnes par semaine pour organiser les secours dans les centres d’isolement, ainsi qu’en externe. C’est totalement impossible : sachant que l’on compte au Liberia, un médecin pour 100 000 habitants, comment pourront-ils trouver autant de médecins ? Sur 500 personnes, il leur faudra au moins dix médecins libériens. Même s’ils parviennent à recruter autant de monde, il n’est pas réaliste d’imaginer les entraîner en une semaine. Les Américains sont capables d’installer les centres et d’apporter tout ce qui est nécessaire pour que le dispositif soit opérationnel, mais je doute fortement de leur stratégie en matière de ressources humaines.

L’OMS est une instance de conseil auprès des ministères de la santé dans les pays africains. Elle n’a pas l’expérience opérationnelle pour organiser des secours à grande échelle. Sans vouloir stigmatiser l’organisation, sa tentative pour coordonner les efforts de MSF et des autorités de santé locales s’est soldée par un échec. L’OMS a dû annoncer en août qu’elle ne parvenait pas à contrôler la situation.

Depuis quelques jours, une coordination militaro-humanitaire s’est mise en place. Le secrétaire général de l’ONU a dépêché un coordinateur humanitaire d’urgence accompagné d’une équipe pour les trois pays. Nos équipes nous rapportent que les choses se passent beaucoup mieux depuis l’installation de cette coordination.

Si la pacification de ces pays est l’un des rares succès à mettre au crédit de l’ONU, il n’en a pas été de même pour leur développement sanitaire.

Au Liberia, les membres du personnel médical, quand ils ne sont pas morts, ne viennent plus travailler – à Monrovia-ville, la quasi-totalité des hôpitaux et la moitié des centres de santé sont fermés : aujourd’hui, il y a paradoxalement beaucoup plus de morts par tuberculose ou diarrhée aiguë pour que du fait d’Ebola, tout simplement parce que les patients ne sont plus soignés et que les traitements sont interrompus, qu’il s’agisse d’un malade du sida ou d’une femme enceinte nécessitant une césarienne. MSF peine à organiser des soins autres que le traitement des malades d’Ebola pour résoudre ce problème. En Sierra Leone, certains hôpitaux commencent également à fermer leurs portes. Seule la Guinée tient bon – les travailleurs de santé continuent à soigner –, les deux autres pays sont en grande difficulté.

M. Jean-Paul Bacquet. Je tiens à féliciter vos équipes qui travaillent dans des conditions difficile et au péril de leur propre vie.

Pourquoi tant de retard à l’allumage dans l’aide de la part des pays occidentaux ? Est-ce parce que les maladies infectieuses ne font plus partie de la culture occidentale ? L’exemple de la grippe aviaire le montre : la vaccination de masse de Roselyne Bachelot a provoqué l’hilarité générale, le risque n’a pas été compris ; pire, si demain le cas se reproduisait, il est à craindre que les gens refusent de se plier aux prescriptions sanitaires. Les maladies comme la tuberculose, la diphtérie ou la poliomyélite, ont disparu de l’inconscient collectif. Les gouvernements ne subissent aucune pression de l’opinion publique pour une action forte en la matière. Qu’en pensez-vous ?

Médecin comme vous, je sais d’expérience que l’épidémiologie est une science très inexacte. Un récent article du Monde retraçait l’histoire du sida, apparu dès 1920 en République démocratique du Congo, en passant par Haïti, jusqu’à sa découverte dans les pays occidentaux en 1983. Aujourd’hui les choses seraient différentes car la mobilité des populations facilite la propagation rapide des épidémies. Il ressort néanmoins de cet historique l’inconscience totale du monde politique, l’incompétence majeure du monde médical et le catastrophisme des épidémiologistes. Si on les avait écoutés, il n’y aurait plus aujourd’hui un homme sur la planète ! Pourtant l’incertitude est inhérente à la médecine ; nous savons qu’une épidémie est faite de pics et de baisses qui ne s’expliquent pas toujours.

Sur la propagation du virus Ebola, certains estiment que la France sera rapidement menacée quand d’autres contestent cette analyse. Où est la vérité ?

Je suis admiratif de ce que vous faites, mais souvenons-nous que l’épidémie de fièvre jaune à Madagascar n’a laissé qu’un seul survivant parmi les médecins. Quant à la diphtérie en Alaska, elle a été endiguée grâce à une mobilisation de l’ensemble de la population. Il serait utile de rappeler ces expériences qui nous enseignent la nécessité de la solidarité et le caractère imprévisible de certaines situations.

M. Mego Terzian. Je ne peux pas avancer de raison qui explique le retard dans la réaction de la communauté internationale. L’absence de cas dans les pays occidentaux explique peut-être la faible mobilisation.

Depuis 1976, des laboratoires, comme l’Institut Pasteur et le centre de recherches du ministère de la défense américain, analysent des prélèvements pour mettre au point un traitement et un vaccin, mais chacun a malheureusement travaillé dans son coin. À leur demande, les équipes de MSF ont transporté des prélèvements, mais jamais elles n’ont été informées de l’avancement des travaux. On peut regretter le manque de collaboration entre les laboratoires internationaux et avec MSF. Résultat : on se croirait lors d’une épidémie de peste au Moyen Âge…

Depuis la contamination de l’infirmière espagnole, on constate un sentiment de panique. Mais, logiquement, dès lors que les mesures de sécurité sanitaire et de protection sont respectées, l’accueil de personnes infectées, que ce soit aux États-Unis, en France ou en Norvège, ne présente pas de risques. Dans la prise en charge de la volontaire française de MSF, les personnels de santé ont été formés à se protéger et les mesures de décontamination et de stérilisation ont été respectées. J’ai du mal à imaginer que plusieurs cas se déclarent dans les pays occidentaux.

La fièvre jaune est un bon exemple : c’est la seule fièvre hémorragique pour laquelle nous disposons d’un vaccin. On recense toujours 200 000 cas par an, dont 30 000 morts ; mais 90 % de ces individus n’avaient pas été vaccinés. Cet exemple démontre qu’une vaccination de masse permet de contrôler plus ou moins la situation – il en est de même pour la diphtérie.

Pour endiguer l’épidémie d’Ebola, j’espère donc un exploit et la mise au point d’un vaccin. En l’absence de vaccin, le virus deviendra endémique avec des pics de temps en temps, comme ce fut le cas pour le choléra en Haïti : MSF a traité des patients pendant deux ans après l’annonce officielle de la fin de l’épidémie par le ministère de la santé. Sans vaccin, j’ai peur que nous soyons obligés de rester longtemps… D’ores et déjà, MSF a planifié un budget d’intervention pour deux ans pour traiter les cas d’Ebola en Afrique de l’Ouest.

M. Thierry Mariani. Je souhaite rendre hommage aux membres de MSF et des organisations humanitaires qui travaillent dans des conditions particulièrement difficiles.

Je suis frappé par l’impuissance totale de l’OMS. Si les pandémies ont disparu des consciences occidentales, elles continuent de faire partie de la réalité mondiale. Je m’étonne donc de l’absence de planification : il me semblait pourtant que les organisations internationales avaient pour mission de préparer des réactions à ce genre de situation. Vous avez souligné l’insuffisance de la réaction en l’espèce, réduite à une action militaro-humanitaire de certains États. Je retiens également votre pessimisme.

Que peuvent faire de plus les nations occidentales, comme les y exhorte Barack Obama ? La France est-elle assez préparée ? Les précautions prises sont-elles suffisantes ?

Mme Seybah Dagoma. Je vous remercie pour votre action et celle de vos équipes ainsi que pour vos propos.

J’ai été frappée par le pessimisme dont vous faites preuve, pessimisme fondé sur le nombre insuffisant de médecins ainsi que l’absence de test de diagnostic et de vaccin. Or l’infirmière française a, semble-t-il, été guérie grâce à des traitements expérimentaux. Disposez-vous d’informations sur ces traitements ?

Les rites funéraires contribuent à la propagation de l’épidémie en Afrique. Quel dialogue entretenez-vous avec les populations réticentes pour les convaincre de changer leurs pratiques ?

S’agissant de la coopération, vous avez cité l’action de la Chine. Que peut-on espérer de sa part et des autres pays émergents ?

Mme Valérie Fourneyron. Je tiens à mon tour à saluer le travail de MSF et des autres organisations humanitaires.

Je vous remercie pour la grande transparence de vos propos dans lesquels vous avez reconnu le retard collectif dans la prise de conscience de la gravité de la situation.

Chacun aura noté que le virus s’est propagé dans les trois pays dont les indicateurs de santé sont les plus dégradés.

Vous avez cité la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et l’Allemagne. Comment la feuille de route pour la riposte au virus Ebola de l’OMS est-elle appliquée sur le terrain ? Sa mise en place effective et une véritable coopération permettraient sans doute d’améliorer la situation, s’agissant d’Ebola et plus généralement des systèmes de santé.

Un virus cousin d’Ebola, le virus de Marburg, a causé la mort d’une personne en Ouganda. Quels risques ce virus fait-il courir par rapport à Ebola ?

M. Mego Terzian. Je précise qu’une personne sur dix infectées est un personnel médical ou paramédical. MSF vient d’annoncer son seizième cas déclaré et son dixième mort depuis le début de l’épidémie. Il ressort des enquêtes réalisées sur chaque décès que, dans la majorité des cas, la contamination s’est produite en dehors du lieu de travail, sauf pour l’infirmière française.

L’OMS joue traditionnellement le rôle de conseiller technique des ministères de la santé. En cas d’événement majeur ou de catastrophe, l’OMS n’est pas censée organiser des opérations de secours ; au demeurant, elle n’en a pas les moyens. Elle se cantonne généralement au conseil technique ; elle peut être amenée à faire de la coordination, mais ce n’est pas son rôle.

Dès les premiers jours, l’organisation a tenté d’organiser des réunions de coordination et d’installer des centres de traitement en liaison avec les ministères de la santé. Mais la réaction a été lente et insuffisante.

Je ne veux pas stigmatiser l’OMS. Mais je regrette qu’elle ait mis tant de retard à annoncer que l’épidémie était hors de contrôle, l’annonce étant intervenue plus de deux mois après celle de MSF. Or, l’OMS est davantage prise au sérieux par la communauté internationale. Sa voix porte plus que celle d’une petite association de médecins qui a de surcroît la réputation d’être grande gueule… Cette annonce tardive de la part de l’OMS est l’une des raisons pour lesquelles la communauté internationale a réagi avec retard.

MSF ne dispose pas de toutes les informations sur la situation en France. Nous savons qu’une dizaine d’hôpitaux ont été identifiés pour recevoir des patients atteints d’Ebola. S’agissant de l’infirmière française, les autorités ont rapidement acheminé les traitements, qui provenaient d’Allemagne.

Je reste pessimiste, je l’ai dit, pour plusieurs raisons : premièrement, les promesses des gouvernements en matière de secours ne sont pas honorées. Onze centres de traitement d’Ebola devaient être installés au Liberia ; il faudra encore plusieurs semaines pour qu’ils soient opérationnels. Le déploiement est très lent. Les activités externes, comme le transport de patients, restent problématiques. En Guinée, cent cinquante ambulances supplémentaires seraient nécessaires.

Vous avez évoqué le rôle des coutumes, notamment lors des enterrements. Les problèmes de sensibilisation et d’éducation des populations demeurent. Je ne suis pas sûr que la réponse autoritaire du gouvernement sierra-léonais soit appropriée : on ne peut pas changer en quelques semaines les traditions et les habitudes de ces populations.

Même si la feuille de route est miraculeusement respectée et malgré les mesures autoritaires, je reste pessimiste ; je place mes espoirs dans la mise au point d’un vaccin dans les semaines à venir pour parvenir à contrôler la situation.

Les Cubains ont annoncé l’envoi de 296 médecins et infirmiers en Guinée et en Sierra Leone, mais ils ne sont pas encore arrivés. Les Chinois ont les moyens d’apporter leur aide – ils ont déjà montré leurs capacités de réaction, impressionnantes, face aux situations d’urgence dans leur pays. Mais pour l’instant, malgré les promesses, ils ne se sont pas déployés de manière significative.

À l’exception des États-Unis, les réactions des autres pays sont timides et lentes. J’espère que les choses vont s’améliorer dans les jours à venir.

Ebola capte l’attention mais, au Liberia notamment, la situation sanitaire générale est dramatique : 90 % des hôpitaux et plus de 50 % des centres de santé sont fermés à Monrovia par peur de la contamination sur le lieu de travail. La Sierra Leone semble prendre le même chemin. Sans disposer de chiffres exacts, nous estimons que le nombre de morts à cause d’autres pathologies, faute de soins – ruptures de traitement, interruption du suivi des maladies chroniques, absence de chirurgie d’urgence – en vient à dépasser significativement le nombre de victimes d’Ebola.

Pour le virus de Marburg, comme pour Ebola, il n’existe ni traitement ni vaccin disponible. MSF procède exactement de la même manière : installation de centres d’isolement et traitement symptomatique – lutte contre la fièvre, la déshydratation, etc., en espérant que le patient s’en sortira. La section française de MSF a traité une épidémie de Marburg pour la dernière fois en Angola en 2005 : la grande majorité des patients – pratiquement 90 % – sont décédés.

En Ouganda, MSF a commencé à organiser les secours. Nous avons mis en place un suivi des 80 personnes ayant été en contact avec les patients décédés. Nous espérons que la situation n’évoluera pas de manière aussi dramatique qu’en Afrique de l’Ouest, d’autant que le cas rapporté se trouvait à Kampala : on sait que les risques sont très élevés en milieu urbain.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le président, nous vous remercions. Nous retenons trois points de votre intervention : vous restez inquiet en raison de la propagation du virus et des conséquences sur les autres pathologies ; vous soulignez le retard à la fois dans la prise de conscience de la gravité de la situation et dans le déploiement des secours ; enfin, vous fondez votre espoir sur un vaccin pour lequel la communauté internationale doit se mobiliser afin d’inciter les laboratoires à coopérer afin de trouver une réponse dans un délai record.

Cette épidémie doit également nous interroger sur la pertinence de l’aide publique au développement que nous apportons dans ces pays.

Transmettez notre estime, notre admiration et nos encouragements à vos équipes, ainsi que nos condoléances aux familles.

Un dernier mot sur les risques en France : il faut se garder de créer une psychose. Pour lutter efficacement contre cette épidémie, il faut prendre la juste mesure des choses. Quand les protocoles sont respectés, les risques sont maîtrisés. Il semble que les cas en Espagne et aux États-Unis soient dus à un dysfonctionnement du système sanitaire. Il ne faut pas céder à la panique, mais poursuivre un travail sérieux afin de réussir à maîtriser une situation très inquiétante.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 7 octobre 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Jean-Claude Buisine, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, Mme Linda Gourjade, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. François Loncle, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, Mme Odile Saugues

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Patrice Martin-Lalande, M. François Rochebloine, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle