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Commission des affaires étrangères

Mardi 2 décembre 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 27

Co-Présidence de M. Paul Giacobbi, vice-président et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

– Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de son Exc. M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles

Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de son Exc. M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles.

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

La Présidente Danielle Auroi. La commission des Affaires étrangères et la commission des Affaires européennes sont heureuses d’être réunies pour vous recevoir, Monsieur l’ambassadeur, renouant ainsi avec une bonne habitude prise lors de votre précédent séjour à Bruxelles de 2002 à 2009. Cette audition est donc la première d’une longue série. Votre connaissance fine et approfondie des affaires européennes ne peut que nous aider dans cette période compliquée de l’histoire de l’Union, au lendemain d’élections européennes difficiles pour les partisans de l’Europe.

Les sujets d’actualité européenne à la veille du Conseil européen des 18 et 19 décembre sont nombreux : je me contenterai par souci de brièveté de mentionner le plan d’investissement pour l’Europe, la gouvernance économique, le pacte de stabilité et de croissance, le lancement du semestre européen pour 2015, l’achèvement de l’union bancaire, le climat, le projet d’union de l’énergie, la politique sociale, le projet de budget et le budget rectificatif, ainsi que l’harmonisation fiscale.

De surcroît, l’Europe connaît à ses frontières une situation nouvelle et très dangereuse, qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de la Méditerranée. Depuis la mission que j’ai eu l’occasion de conduire à Kiev et à Odessa au début du mois de juillet, la démocratie ukrainienne a fait des progrès, mais la situation ne s’est guère améliorée, malgré l’annonce d’un nouveau cessez-le-feu.

Dans ce tourbillon d’actualités, je souhaiterai cependant vous interroger sur quelques sujets clés. Nous avons pris connaissance avec intérêt des propositions de M. Juncker concernant la création d’un fonds européen pour les investissements stratégiques. Si l’annonce est séduisante, les sommes qui y sont consacrées sont modestes et de nombreuses questions subsistent sur les modalités d’application.

Quelles seront les prochaines étapes ? Sur quels projets concrets la France pourrait-elle solliciter ce fonds ?

La Commission propose de réserver un traitement particulier dans l’appréciation des déficits budgétaires aux éventuelles contributions additionnelles des États. Cette question a suscité de vifs échanges lors de la dernière conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) à Rome. La Lituanie et la Lettonie ont déposé un amendement appelant à supprimer cette souplesse, soutenu par le Bundestag et la Pologne. À l’issue d’un débat, qui se rapprochait d’une opposition entre Nord-Sud, l’amendement a été repoussé. Cet épisode laisse entrevoir toutefois la fragilité de l’édifice. Devons-nous rester vigilants à cet égard ou faut-il attribuer cet épisode à un simple mouvement d’humeur de quelques parlements nationaux ?

Enfin, alors que la conférence des parties (COP 20) a commencé à Lima, le plan adopté par le dernier conseil européen vous paraît-il suffisant pour agir dans le domaine du climat et de l’énergie ? L’approfondissement de l’union économique et monétaire peut-il nous aider à répondre à l’urgence climatique ?

M. Paul Giacobbi, Président. Votre audition vient à point nommé, Monsieur l’ambassadeur, l’Union européenne vivant une période de transition importante, qui n’est pas seulement due au renouvellement de la Commission.

On a le sentiment que la Commission navigue entre deux eaux pour ce qui est de sa doctrine économique. Après plusieurs années d’échec patent de la politique menée en Europe et dans d’autres parties du monde, les interrogations sont légitimes. Comment analysez-vous le changement de pied tant de la Commission que de la Banque centrale européenne (BCE) en matière de politique économique ?

Dans les 315 milliards d’euros du plan Juncker, quelle est la part de recyclage de l’argent existant et la part de ressources nouvelles ?

En matière de politique extérieure – pour autant qu’elle existe –, quelle doit être l’attitude de l’Union européenne à l’égard de la Russie ?

Enfin, quel regard portez-vous sur la nouvelle Commission dans laquelle se conjuguent peut-être évolution de la doctrine économique et renouvellement des personnes ?

M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. C’est pour moi un grand privilège que de vous retrouver.

Je commencerai en évoquant les propos du souverain pontife devant le Parlement européen. Le pape a exprimé sa déception vis-à-vis de l’Europe – cette grand-mère fatiguée et absente –, mais aussi une attente et un besoin d’Europe, qui sont ressentis ailleurs dans le monde.

La déception est d’abord liée à la situation économique. Comme l’a indiqué l’été dernier le Fonds monétaire international, l’Europe se distingue aujourd’hui au regard des autres régions du monde par une faible croissance et de fortes difficultés économiques, au point qu’elle est devenue un sujet d’inquiétude pour l’économie mondiale. Elle se voit en outre reprocher son manque de projection et d’action sur les grands enjeux.

La présence du pape devant les nouvelles institutions – Parlement et Commission – est toutefois la marque de l’intérêt qu’il leur porte. Elle témoigne aussi de ce que le système institutionnel est en place. Ce constat est important, car, au printemps, l’état de l’Europe et les dissensions entre États faisaient douter de la capacité à assurer le renouvellement des institutions selon le calendrier prévu par les traités. Or les institutions – président de la Commission, président du Conseil européen, Commission, Parlement européen – ont été installées à la date prévue, ce qui avait rarement été le cas par le passé.

Après quelques semaines de fonctionnement de la nouvelle Commission, il est incontestable que l’architecture dessinée par Jean-Claude Juncker est intéressante. Jusqu’à présent, la Commission s’était heurtée à deux problèmes : d’une part, les vingt-huit commissaires étaient placés sur un pied d’égalité alors que la Commission ne comptait pas autant de portefeuilles de substance et de compétences ; la gageure consistait donc à concilier l’égalité prévue par le traité et la réalité des missions de la Commission. D’autre part – la commission Barroso en a été la parfaite illustration –, la Commission avait tendance à fonctionner de manière excessivement verticale, favorisant une insuffisance de coordination et un manque de cohérence globale. L’organisation de la nouvelle commission, avec un petit nombre de vice-présidents, témoigne d’un effort pour surmonter la verticalité, améliorer la coordination et la cohérence, mais aussi mettre en avant les priorités de l’agenda stratégique arrêté en juin par le Conseil européen.

Comment la Commission fonctionnera-t-elle en pratique ? Cela dépendra des relations personnelles entre les vice-présidents et les commissaires, les premiers étant chargés de coordonner l’action des seconds, sans aucun lien hiérarchique. Cela dépendra aussi de la volonté de Jean-Claude Juncker de déléguer certaines de ses compétences aux vice-présidents. Cela a rarement été le cas par le passé, mais M. Juncker semble désireux de s’y essayer au profit du premier vice-président. M. Timmermans est appelé à jouer un rôle important pour assurer la sélectivité des actions de la Commission et la mise en œuvre de l’agenda de simplification destiné à répondre aux critiques que l’opinion adresse à l’Union européenne.

Autre question essentielle pour l’avenir de l’Union européenne, sommes-nous capables à vingt-huit, compte tenu des divisions et des conflits d’intérêts qui peuvent exister, de décider sur des sujets importants ? Il nous faut le démontrer.

Cela vient d’être le cas avec le paquet énergie-climat ; l’accord obtenu au Conseil européen d’octobre n’a pas été suffisamment souligné, car il a été éclipsé par d’autres sujets d’actualité. Pourtant, le résultat est très remarquable. Face aux difficultés économiques que traverse l’Europe, beaucoup doutaient de la volonté des Européens de s’engager sur un agenda aussi ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique et de la possibilité d’arracher un accord à l’unanimité un an et demi avant la conférence de Paris. Nous y sommes parvenus.

Cet accord est remarquable à un triple titre : par son niveau d’ambition, par le consensus qui l’a porté, et par les leçons qu’il tire des difficultés dans la mise en œuvre du précédent paquet énergie-climat.

Ces ratés relatifs, qui n’hypothèquent toutefois pas les chances d’atteindre les objectifs fixés pour 2020, sont imputables à l’équilibre imparfait entre les enjeux fondamentaux que sont le climat, la sécurité d’approvisionnement et la compétitivité, cette dernière en ayant fait les frais au détriment de l’économie européenne et des entreprises.

En outre, les trois objectifs, les fameux « trois fois vingt » pour 2020, étaient placés sur un pied d’égalité. Or leur mise en œuvre réclame nécessairement une hiérarchisation qui place au premier rang la réduction des émissions, les deux autres, l’efficacité énergétique et la part des énergies renouvelables, étant des moyens pour y parvenir. L’accord obtenu en tire les conséquences en établissant une différenciation entre les objectifs.

Enfin, le dernier paquet énergie-climat a souffert d’un déficit dans son exécution. Celle-ci s’est heurtée à la contradiction, inhérente à toute politique commune de l’énergie et du climat – qui devra être dépassée dans le projet d’Union européenne de l’énergie –, entre le besoin évident d’une stratégie européenne intégrée et la souveraineté de chaque État membre dans la définition de son mix énergétique.

Cet accord est à marquer d’une pierre blanche, car il représente une tentative de surmonter les difficultés passées pour mener une politique plus cohérente. Reste maintenant à le mettre en œuvre. Il faut en premier lieu convaincre nos grands partenaires de nous suivre. À cet égard, la décision de l’Union européenne n’est sans doute pas étrangère à l’accord intervenu entre les États-Unis et la Chine.

Ensuite, il faut entretenir la dynamique engagée en mettant en œuvre rapidement les décisions entérinées. Dans cette perspective, la Commission doit présenter des propositions législatives à partir du premier semestre. Il convient, enfin, de placer cette politique énergétique et climatique plus ambitieuse au cœur de l’action extérieure. La Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité semble décidée à mettre davantage en avant cette priorité et à en faire un objectif de politique étrangère.

Plus que jamais, l’Union européenne doit avoir comme priorité le retour de la croissance et la création d’emplois, mais il lui faut en même temps éviter la dispersion de ses initiatives, tendance naturelle tant les sollicitations de la part des États membres sont multiples. Le Conseil européen de juin a mis l’accent sur ces préoccupations qu’il nous faut à présent traduire en actes.

Depuis l’été, l’Union européenne peut s’appuyer sur un diagnostic partagé : la situation économique, particulièrement dans la zone euro, n’est pas satisfaisante et appelle une action résolue. Ce diagnostic n’avait rien d’évident jusqu’au printemps dernier. Certains de nos partenaires considéraient en effet que le rétablissement de l’économie était en cours et que l’aveu du caractère préoccupant de la situation aurait un effet anxiogène.

Un autre consensus émerge sur la définition d’une politique économique caractérisée par un meilleur équilibre entre quatre principes : une consolidation budgétaire à un rythme et dans des conditions compatibles avec la priorité donnée à la croissance ; une politique monétaire poursuivant l’élan que lui a imprimé Mario Draghi ; une action de soutien de la demande et, en particulier, de l’investissement, point qui était très loin de faire l’unanimité ; la poursuite des réformes structurelles pour renforcer le potentiel de croissance et améliorer l’emploi. Il s’agit d’arrêter le policy mix économique européen prenant en compte ces quatre facteurs avec la pondération la plus efficace.

La France souhaite faire de l’emploi en Europe le cœur des politiques européennes. Ce discours n’est plus inaudible à Bruxelles. Il peut paraître banal. Mais, pendant longtemps, l’Europe a privilégié un autre paradigme, celui du consommateur à qui elle se devait d’apporter une liberté de choix, au moindre coût possible, parfois au détriment de l’emploi. Aujourd’hui, nous sommes en train de rebâtir un paradigme centré sur l’emploi.

Le plan Juncker constitue la première expression de la volonté d’agir en faveur de la croissance et de l’emploi. Il est aussi la conséquence du consensus sur le soutien de la demande et le besoin d’investissement pour remédier à la gravité de la situation économique en Europe, en particulier dans la zone euro. L’investissement a chuté dans la zone euro de 15 % depuis 2007 alors que le PIB est presque revenu à son niveau d’alors.

Le plan Juncker est le premier acte de la nouvelle Commission, ainsi que le souhaitait son président. Sa présentation intervient dans un délai remarquable, trois semaines seulement après la prise de fonction des commissaires.

Son volume représente 315 milliards d’euros d’investissements additionnels. Il ne s’agit pas nécessairement de ressources, mais bien d’investissements supplémentaires. Je ne m’étends pas sur les techniques d’ingénierie financière qui permettent de passer d’une contribution du budget européen et de la BCE de 21 milliards à une capacité d’investissements additionnels de 315 milliards. . Sans doute peut-on revoir à la marge certains raisonnements et certains chiffres, mais l’objectif est là.

Comment échapper aux défauts qui ont conduit certains plans précédents à rester lettre morte ? L’objectif premier de ce plan est de surmonter le déficit de confiance qui mine l’investissement en Europe. Les projets et les liquidités existent, mais l’aboulie en matière d’investissement est provoquée par ce déficit. La Commission cherche donc à restaurer un climat de confiance pour relancer l’investissement et produire un effet d’entraînement. Le manque de confiance est la principale explication avancée par les analystes à la faiblesse chronique de l’investissement en Europe.

Comment éviter les travers du passé ? Les faiblesses des plans précédents résident, d’une part, dans une répartition rigide par enveloppes sectorielles et, d’autre part, dans l’obsession du juste retour qui se traduit par la définition d’enveloppes nationales. Le plan Juncker essaie d’y remédier en s’appuyant sur les secteurs prioritaires définis par le Conseil européen de juin dernier sans pour autant déterminer des enveloppes sectorielles pré-identifiées. Il prévoit une pondération des modalités de financement à hauteur de trois quarts pour le prêt et d’un quart pour l’equity, autrement dit l’apport de capitaux propres aux entreprises, proportion que nous estimons au demeurant souhaitable d’élargir.. Ensuite, le plan prend soin de ne pas fixer d’enveloppes nationales afin d’éviter des négociations à vingt-huit pour se répartir la manne.

Cette nouvelle méthode devrait permettre d’alléger le travail législatif nécessaire pour mettre en place le fonds. On peut donc espérer un démarrage aussi rapide que possible, au début de l’année prochaine. La Commission prévoit que les premiers projets seront financés à partir de juillet prochain.

Les projets sont soumis à une task force réunissant États membres, Commission et Banque européenne d’investissement. D’après les dernières indications, 2 000 projets ont déjà été recensés. Il est difficile à ce stade de savoir s’il s’agit de projets additionnels et si ces projets auraient été réalisés sans le plan.

Peut-on faire davantage ? Certains considèrent que le montant de 315 milliards est faible au regard du PIB européen et insuffisant pour enclencher la dynamique souhaitée.

Outre l’effet psychologique, tout ce qui pourra être mis au pot, en subvention ou en garantie, augmentera l’effet de levier et accroîtra donc la capacité d’investissement. D’où peuvent provenir ces ressources additionnelles ? Des États membres, mais ces derniers sont soumis à la contrainte budgétaire – le plan a précisément été mis en place pour pallier l’insuffisance de capacité budgétaire des États à financer de l’investissement. Je précise que la Commission ne prévoit pas explicitement, à ce stade au moins, d’exonérer les contributions additionnelles dans le calcul du déficit ; elle s’est engagée à réserver un traitement favorable à ces dépenses, ce qui revient à une forme d’incitation. Le budget européen pourrait également être une source de financements additionnels, mais les marges sont très limitées. L’utilisation d’une partie des crédits consacrés à la recherche ou aux fonds de cohésion suscite une réticence de la part de certaines délégations, notamment pour ceux de ces crédits qui faisaient l’objet d’une répartition nationale, car elle est contraire à l’esprit du plan Juncker qui est de s’extraire des logiques nationales. La France plaidera pour que ce fonds puisse, à partir de ce point de départ, progresser en volume d’interventions au cours des années à venir.

En matière de politique extérieure, la Haute Représentante insiste beaucoup, ce qui n’était pas le cas de son prédécesseur, sur son rôle de vice-présidente de la Commission. La France s’en réjouit, car cela correspond à la conception de ce poste qu’elle défendait lorsque celui-ci a été créé à son initiative. L’objectif n’est pas tant, ou pas seulement, de bâtir une politique étrangère européenne que de faire en sorte d’améliorer la cohérence, l’efficacité et la coordination des politiques européennes qui revêtent une dimension extérieure – ce qui est le cas pour la plupart d’entre elles. Jusqu’à présent, cette coordination a été insuffisante ; l’impact global de ces politiques n’a pas été à la hauteur de ce que représente l’Union européenne dans le monde en matière de capacité normative, de capacité financière ou de puissance commerciale.

Mme Mogherini est très attachée à cette fonction de mise en cohérence de la dimension extérieure des politiques européennes. Ainsi, elle réunit tous les commissaires dotés d’une compétence « relations extérieures », et elle accorde une grande importance à la lutte contre le changement climatique, dont elle entend faire l’un des axes de son action. Elle manifeste également un intérêt marqué pour les affaires de sécurité et de défense, et a présidé le premier conseil de défense. Nous avons salué ce changement. Fidèle à sa philosophie du poste, elle a également participé à la réunion des ministres du commerce extérieur.

Sa définition de la politique étrangère de l’Union européenne correspond bien aux besoins et aux réalités du moment. Celle-ci doit être un plus pour les politiques étrangères des États membres. Cette conception – qui pourrait a pparaître à première vue réductrice - est en réalité à la fois très sage, très réaliste et très ambitieuse. La définition d’une stratégie européenne vis-à-vis de la Russie sera la première occasion de mettre cette conception à l’épreuve.

M. Joaquim Pueyo. Depuis plusieurs mois, la Libye est au bord du chaos, avec deux parlements, deux gouvernements, des villes aux mains des djihadistes et une situation de non-droit caractérisée.

Le 1er octobre, le Conseil de l’Union a pris connaissance d’un document préparé par le service européen d’action extérieure ayant pour objet à la fois d’évaluer la stratégie actuelle de l’Union européenne, de dresser un bilan de la situation et de proposer des pistes pour une nouvelle approche en se fondant sur trois scénarios possibles.

Le document relève les manques de la communauté internationale et les risques d’une véritable dégradation de la situation dans le pays. Parmi les pistes proposées pour répondre au défi libyen figurent une meilleure coordination avec l’ONU, une nouvelle mission de politique de sécurité et de défense commune, une adaptation de la mission d’assistance aux frontières EUBAM (European Union Border Assistance Mission to Moldova and Ukraine) ou encore un soutien au processus de désarmement par le biais du maintien de l’aide humanitaire.

Quelles sont les avancées sur ce dossier ? En septembre dernier, notre ministre de la défense a rappelé la nécessité d’agir en Libye et de mobiliser l’Union européenne et la communauté internationale. Peut-on espérer une position commune forte de la part de l’Union alors que la Libye est reléguée au second plan par les crises au Proche Orient et en Ukraine ?

M. Charles de La Verpillière. Alors que les cabinets des commissaires sont en cours de constitution, avez-vous des indications sur leur composition et sur la place qu’y occupent les Français ?

Fort de votre expérience de près de trente ans à Bruxelles, observez-vous une évolution de la présence des hauts fonctionnaires français au sein des institutions européennes ? Qu’en est-il également de l’usage de la langue française ?

Quelle action mène la représentation permanente pour promouvoir l’usage du français et favoriser la présence de hauts fonctionnaires français dans les institutions européennes ?

Mme Valérie Fourneyron. Alors que, après les parlements britannique, irlandais et espagnol, l’Assemblée nationale vient d’adopter une résolution portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine et que le Parlement européen devait examiner une résolution sur le même sujet avant qu’elle ne soit reportée au mois de décembre, quelle est, à Bruxelles, la perception de ces initiatives ?

La nouvelle Haute Représentante s’est également prononcée en faveur d’un État palestinien. Comment cette idée progresse-t-elle au sein de la Commission ? La France joue-t-elle un rôle particulier ?

Quant au plan Juncker, nous sommes impatients d’entrer dans la phase opérationnelle. Comment la proposition initiale sera-t-elle peaufinée ? Quel sera le calendrier, notamment pour les projets ?

M. Jacques Myard. Le plan Juncker est un cautère sur une jambe de bois. Le montant envisagé correspond à peine à un point de PIB pour l’ensemble de l’Union européenne. Seule la monétisation de la dette vis-à-vis de la BCE – institution certes indépendante, mais que vaut l’indépendance en temps de crise ? –, c’est-à-dire les avances directes aux États, produirait un effet, immédiat de surcroît. Cette solution rencontre-t-elle un écho au sein de la Commission ?

M. Michel Destot. Je rejoins les propos de Valérie Fourneyron : il faut y voir clair sur le plan Juncker. La France essaie-t-elle d’influencer le choix des secteurs prioritaires dans un sens favorable à notre pays ? Comment peut-on articuler ce plan avec les efforts des métropoles et des régions en matière de développement économique ?

À tort ou à raison, le traité transatlantique apparaît comme l’alpha et l’oméga des négociations commerciales menées par l’Union européenne, ce qui suscite des craintes, voire des critiques, notamment sur le manque de transparence.

Une vision plus globale, multipolaire, de l’action commerciale de l’Union européenne ne serait-elle pas préférable ? Le président chinois a dit récemment que les 50 000 étudiants chinois accueillis prochainement en France sont une chance pour la Chine en Afrique… Cinquante ans après que le général de Gaulle a déclaré que l’Algérie était la porte du Sud, qu’attendons-nous pour mener, en Afrique, une véritable politique économique et commerciale au profit des pays européens ?

M. Michel Herbillon. Monsieur l’ambassadeur, vous êtes un fin connaisseur des questions européennes. Par rapport à votre précédent séjour qui a pris fin il y a cinq ans, quelle ambiance, si j’ose dire, avez-vous retrouvé à Bruxelles ? Depuis 2009, l’Europe a subi la crise économique, la panne de croissance, la hausse des flux migratoires ainsi que des tensions à ses portes. On observe une montée de ce qui n’est plus seulement de l’euroscepticisme, mais de « l’eurohostilité ». Quels sont les points de continuité et les points de rupture que vous avez pu identifier ?

L’Europe a besoin d’un nouveau souffle, il faut bâtir un nouveau projet européen, entend-on. Au-delà de ces formules convenues, la nécessaire remobilisation des citoyens français et européens autour d’une ambition pour l’Europe est une condition essentielle pour redonner confiance à l’Union européenne. Quel peut-être, selon vous, le cadre de ce nouveau projet ? Or il nous faudra bien reprendre ce chantier car, selon la formule parfois attribuée à Georges Pompidou, « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance ».

M. Pierre Sellal. En Libye, la situation n’est pas maîtrisée – et c’est peu dire. Le diagnostic est partagé, Monsieur Pueyo : l’enjeu fondamental est de constituer un État qui n’existe plus. C’est d’autant plus difficile que toute action sur place se heurte à des problèmes de sécurité qui font douter les États européens les plus déterminés de l’opportunité d’envoyer des personnels, ne serait-ce que pour former les forces de l’ordre. L’hypothèse d’une opération militaire européenne, un moment évoquée, n’a jamais prospéré ; il n’y a certainement pas de consensus à ce sujet entre les États membres et, compte tenu des diverses sensibilités qui existent en Libye et à sa périphérie, une telle opération serait difficile à mettre en œuvre aujourd’hui.

La première nécessité est donc que tous ceux qui sont déterminés à tenter de consolider la situation de ce pays en voie de déréliction veillent à agir dans le même sens et à coordonner leurs actions. C’est dire l’importance, tout autre que rhétorique, d’assurer cette coordination sous l’égide de l’Organisation des Nations unies ; nous nous y employons.

Nous devons aussi mener des actions ponctuelles ou sectorielles pour faire face aux risques auxquels nous expose la situation en Libye. Le trafic d’et l’immigration illégale sont les domaines qui appellent l’action la plus résolue, la mieux coordonnée et la plus efficace. C’est largement sur une initiative franco-allemande que les ministres de l’intérieur de l’Union ont défini un plan destiné à assurer un contrôle plus efficace des frontières extérieures de l’Europe. Nous apprécierons cette semaine, lors de la réunion du conseil des ministres de l’intérieur, l’état d’avancement de ce mécanisme que l’incapacité de la Libye à assurer quelque contrôle que ce soit des flux migratoires vers l’Europe a rendu indispensable.

M. Destot a évoqué l’angle commercial de la politique extérieure européenne et particulièrement le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Cette négociation sera sans doute plus longue qu’on ne l’envisageait à l’origine. Du côté européen, l’essentiel est de faire preuve de la plus grande détermination et d’éviter d’évaluer a priori les bénéfices attendus d’un accord dont on ignore quels seront les termes. Le moins que l’on puisse dire est que, en l’état, les offres ou les réponses américaines sont insuffisantes au regard de ce que les Européens sont disposés à envisager. À ce stade, nous avons une exigence de principe, celle d’une réciprocité réelle dans les offres et les engagements des deux parties ; dès lors que, du côté américain, on ne s’engagerait pas pour les entités fédérées, les États et les entités autonomes, cet équilibre n’existerait pas.

Ensuite, pour permettre aux gouvernements et aux parlements européens de suivre le déroulement de cette négociation, il faut renforcer la transparence, sur deux plans. D’une part, il serait normal que les États membres aient un accès plus large aux actes et aux documents de la négociation ; comme ce n’est pas encore tout à fait le cas, c’est ce que nous demandons à la Commission européenne et c’est ce que nous obtiendrons. D’autre part, une affaire qui soulève tant de préventions, de préjugés, voire d’inquiétudes, rend indispensable d’expliquer, de rassurer et surtout de justifier nos positions en montrant que, aussi importante soit la négociation, il n’est pas question que nous bradions nos intérêts essentiels.

Je vous ai dit les ambitions de Federica Mogherini en matière de politique commerciale. La négociation d’accords de libre-échange avec deux grands partenaires se poursuit. L’accord avec le Canada est intéressant et considéré comme plutôt positif par les milieux économiques français. Nous devons nous attacher à ce que l’accord avec le Japon, dont la discussion est engagée, repose sur les mêmes principes ; nous n’en sommes pas encore tout à fait à ce point.

Dans le même temps, l’accord intervenu il y a quelques jours entre l’Inde et les États-Unis a permis de débloquer un chapitre important de la négociation engagée dans le cadre du cycle de Doha. Peut-être y a-t-il là matière à espérer une revitalisation du multilatéralisme, mais, pour l’instant, l’actualité est encore faite des grands accords régionaux. Plus que jamais, nous devons être attachés au principe de la réciprocité, tout en sachant que le constat, encore fait lors du dernier conseil des ministres du commerce, est que l’Union européenne est en excédent commercial vis-à-vis du reste du monde.

Comme vous l’avez souligné, madame Fourneyron, le vote intervenu à l’Assemblée nationale française à propos de la Palestine est très important, mais il n’est pas singulier ; il y a une tendance en ce sens en Europe, et certains États membres, surtout parmi les nouveaux, avaient reconnu la Palestine depuis très longtemps. Sur ce dossier, une conviction partagée se double de consternation. La conviction, c’est que nous connaissons tous la solution – la coexistence de deux États – et les paramètres nécessaires à sa mise en œuvre. La consternation vient de ce qu’il est impossible de nouer la négociation qui permettrait d’aboutir. Il en résulte l’idée que le statu quo qui se prolonge ne sert pas ces objectifs partagés. Comment susciter une dynamique ? Ce qui a été voté par votre Assemblée et qui est envisagé ailleurs peut contribuer à relancer une négociation susceptible d’aboutir. Il est plus difficile d’imaginer une démarche équivalente au niveau européen, car les sensibilités diffèrent. J’ignore quel serait le résultat d’un vote au Parlement européen si la question lui était posée dans les termes où elle a été soumise à votre Assemblée. Je sais en revanche que c’est un sujet à propos duquel le consensus ne sera pas aisément trouvé, sinon pour dire que l’Europe devrait probablement contribuer plus effectivement à la recherche de la solution dont les principes sont connus, tant il est clair que, laissés à eux-mêmes, les protagonistes en sont incapables et que la seule action des États-Unis s’est révélée impuissante.

Le plan Juncker est une base de travail, et même un peu mieux que cela : parvenir à proposer un tel plan en trois semaines est une performance remarquable. Et, puisque ce plan découle d’une idée, d’une initiative et d’un projet français, ne faisons pas la fine bouche et considérons que c’est la reconnaissance d’une priorité : le besoin d’investissement et celui de surmonter le déficit de confiance qui explique la situation économique, la faiblesse de la croissance et celle de l’investissement. Ensuite, tout ce qui pourra enrichir ce plan sera bienvenu, et nous allons y travailler.

Pour ce qui est de la sélection des projets, nous devons être capables de rassembler tout ce qui est susceptible d’une réalisation rapide, notamment au niveau régional ; c’est l’exercice qui a été mené. Ensuite, il y aura une compétition : puisqu’il n’y a pas de répartition a priori en enveloppes nationales ou par secteur, la formule utilisée par la Commission est celle d’un « pipeline » de projets qui sera alimenté en permanence par un dispositif d’ingénierie financière destiné à évaluer les projets susceptibles de démarrer au plus vite pour apporter un regain d’activité à l’Europe. Seules notre organisation et la qualité de la présentation de nos projets nous permettront d’être parmi les premiers à bénéficier de ce qui se met en place. Ce que propose la Commission sur les plans juridique et financier devrait garantir, si les décisions sont prises dans trois semaines par le Conseil européen, un démarrage effectif avant l’été prochain.

J’en viens à la présence française au sein des institutions européennes et aux changements que j’ai constatés depuis mon retour à Bruxelles. Je n’ai pas connu l’Europe des Six, mais j’ai connu celle des Neuf, juste avant l’adhésion de la Grèce. Si l’on cherche à apprécier l’évolution de l’influence de la France au fil des décennies, il est évident que sa place différait dans l’Europe des Six de ce qu’elle est dans l’Europe des Vingt-Huit ; mais la France représente cependant plus qu’un vingt-huitième de l’Union européenne, et certaines choses doivent être relativisées.

Pour vous répondre plus précisément, Monsieur Herbillon, trois principaux changements m’ont frappé, et en premier lieu l’ambiance générale. On ressent, dans le fonctionnement des institutions et dans l’attitude des délégations, le poids d’une double réalité. D’abord, la situation économique pèse sur l’ensemble des activités ; il est très différent d’être le concepteur et le gestionnaire d’une politique européenne dans une phase de prospérité et d’expansion, et de l’être dans la situation actuelle. J’ai également ressenti le sentiment de défiance, de désintérêt et parfois de rejet exprimé par beaucoup d’Européens, comme cela s’est manifesté aux élections européennes. Un autre changement tient à ce que, si je puis dire, nous sommes vraiment vingt-huit. Lorsque j’ai présidé le Comité des représentants permanents (Coreper) pour la dernière fois, en 2008, une assez nette différence de comportement et de priorités était perceptible entre les anciens et les nouveaux États membres. Cette distinction s’est vraiment estompée, et le fait que le président du Conseil européen soit, depuis hier, l’ancien président du Conseil des ministres de Pologne consacre cette évolution. Le troisième changement perceptible, c’est le renforcement des compétences et des pouvoirs du Parlement européen. Cela s’est manifesté avec beaucoup d’éclat lors de la composition de la nouvelle Commission et des auditions des commissaires pressentis.

Pour en revenir à la place de la France au sein de l’Union européenne, il serait vain de nier que la situation économique a un lien avec l’influence. M. Laurent Fabius l’a souvent dit, et je souscris à ses propos : sans rétablissement d’une situation économique solide, il n’est pas de rayonnement international possible. L’influence d’un pays reste corrélée moins à la puissance qu’à la performance économique.

Dans le même temps, la France demeure dans une position singulière dans le système européen, en raison de sa centralité géographique, politique et économique, et aussi parce que nous sommes le seul des grands États membres à participer à chacune des politiques européennes. D’autres font l’impasse sur telle politique ou sur telle autre, ou s’abstiennent d’y participer – je pense évidemment au Royaume-Uni pour ce qui est de l’espace Schengen ou de la zone euro. La France a également gardé le goût de faire des propositions et de prendre des initiatives : ainsi du plan Juncker, issu pour une part d’idées françaises, ou encore de la priorité conférée au plan énergie-climat, qui procède également d’une volonté française.

De manière plus quotidienne, il y a aussi cette propension et cette capacité françaises à avancer des idées qui correspondent à ses intérêts propres, mais qui, aussi, agrègent autour d’elles des consensus et des majorités. C’est encore plus efficace dans une configuration franco-allemande : quand un accord franco-allemand se fait, les deux tiers du travail collectif sont réalisés ; à l’inverse, quand ce n’est pas le cas, les choses sont beaucoup plus difficiles. Ce fait demeure et n’a été remis en cause ni par l’élargissement ni par l’évolution relative de l’Allemagne et de la France.

La présence française dans les cabinets des commissaires européens n’est pas aussi médiocre que cela a pu être dit. Selon mon dernier pointage, il y aura vingt-huit ou vingt-neuf Français dans les cabinets de commissaires, soit au moins autant que lors des collèges précédents, et même un petit peu plus. Il n’y a donc pas d’effondrement. De plus, la présence française est très diversifiée. Notre objectif était que des Français soient présents dans le plus grand nombre de cabinets possibles ; ce sera le cas, puisque l’on en comptera dans vingt et un ou vingt-deux cabinets.

Mais il faut toutefois constater une faiblesse qualitative : la nouvelle Commission compte très peu de chefs de cabinet ou de chefs de cabinet adjoints français, à la différence de ce qui vaut pour les Allemands, qui sont un peu moins nombreux que les Français mais qui occupent des positions plus fortes. À cela, l’explication est assez simple : c’est le Parlement européen. Étant donné ce qu’il représente et la manière dont se déroulent les auditions, il était compréhensible que chaque futur commissaire se prépare à répondre aux questions qui lui seraient posées par le groupe national le plus important numériquement et le mieux organisé – la représentation allemande. Pour un commissaire qui doit veiller à entretenir la relation la plus fluide et la plus efficace avec le Parlement européen, un chef de cabinet ou un chef de cabinet adjoint allemand facilite le contact avec le Parlement européen. Si, donc, il y a un handicap, que je ne cherche pas à nier, c’est dans notre situation actuelle auarlement européen, qui n’est pas la plus favorable.

Pour ce qui est de l’usage de la langue française, nous ne sommes plus dans la situation qui était la nôtre lorsque l’Union européenne comptait six membres. Le moment le plus difficile pour la place et la pratique du français dans les institutions européennes fut celui de l’élargissement à Quinze – davantage que lors de l’élargissement à Vingt-cinq. Certes, il y a eu une érosion de la pratique du français, mais la cause n’est en rien désespérée. J’observe que, après quelque temps à Bruxelles, ville francophone, et dans un système européen profondément imprégné de francité, les nouveaux membres se mettent au français. Il ne faut donc pas renoncer. Pour ma part, je veille scrupuleusement à intervenir dans notre langue, et à encourager la pratique du français. À cette fin, nous devons pouvoir offrir aux fonctionnaires des nouveaux États membres et aux commissaires eux-mêmes des formations au français ; c’est ce que nous mettons en place à Bruxelles. Je suis profondément attaché à cette cause, et je crois à son avenir.

M. Jean-Paul Dupré. À plusieurs reprises, les représentants du secteur du BTP ont appelé notre attention sur la nécessité de veiller au respect, par les travailleurs venus de plusieurs États membres du Sud et de l’Est de l’Europe, des dispositions de notre code du travail. En effet, ces règles ne sont pas toujours respectées sur nos chantiers, on l’a constaté bien souvent. Cette forme de concurrence déloyale, notamment dans le cadre de l’attribution des marchés, est préjudiciable au devenir de notre économie et au maintien de l’emploi dans les entreprises du secteur.

M. Pierre Lequiller. Vous jugez intéressante l’architecture de la nouvelle Commission européenne. Aura-t-elle, selon vous, un effet sur la collégialité des décisions ? L’Union européenne est à un tournant et, s’il est mal pris, nous nous enfoncerons dans l’euroscepticisme : une réflexion est-elle engagée sur la gouvernance, notamment sur celle de la zone euro ? M. François Hollande avait parlé à ce sujet d’un « président stable ». Quelle position la France défend-elle en ce domaine ? D’autre part, quelle solution propose-t-elle en matière d’harmonisation fiscale, notamment pour l’impôt sur les sociétés ? M. Hollande a aussi évoqué « l’Airbus de l’énergie » ; que faut-il entendre par là, sur un plan pratique ? Pensez-vous que l’on puisse se dispenser de réviser entièrement les accords de Schengen ? A-t-on conscience, au niveau européen, que l’on donne l’impression aux citoyens que les frontières extérieures de l’Union ne sont pas défendues ?

Alors que M. Cameron a promis l’organisation d’un référendum sur le maintien de son pays au sein de l’Union européenne, le fait que le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) ait gagné une deuxième élection législative partielle suscite une inquiétude réelle à l’idée que le Royaume-Uni pourrait sortir de l’Union. En parle-t-on, et si oui, en quels termes ? Les Britanniques ont dit qu’ils exigeraient la renégociation des traités ; que fera-t-on ? Chacun est conscient que le Royaume-Uni doit rester au sein de l’Union européenne et que sa sortie serait une perte très sérieuse pour l’Europe, mais chacun est tout aussi conscient que l’on ne doit pas céder au chantage de M. Cameron. Où en est la réflexion à ce sujet ?

M. Jacques Cresta. Le 25 avril dernier, M. Donald Tusk, qui était encore président du Conseil des ministres polonais, a eu, au terme d’un entretien avec le président François Hollande, des mots très forts au sujet de la nécessité pour l’Europe de diversifier son approvisionnement en ressources énergétiques, notamment pour pallier une dépendance au gaz qui importe au premier chef à la Pologne. Pour la France, une Union européenne de l’énergie doit impérativement inclure une dimension environnementale ; que, dans la Commission nouvellement installée, le commissaire chargé de l’énergie soit devenu le commissaire chargé de l’action pour le climat et l’énergie est, au-delà du symbole, une mesure dans la bonne direction. Mais, en septembre dernier, une réunion de ministres de l’environnement de six pays d’Europe centrale, dont la Pologne, a émis de sérieux doutes sur l’objectif européen de réduction des gaz à effet de serre. Je m’interroge donc sur la détermination du nouveau président du Conseil européen à défendre effectivement la mise en place d’une politique européenne coordonnée de l’énergie. Ne peut-on craindre que M. Tusk ne cède à la tentation de défendre la politique voulue par les pays d’Europe centrale ?

M. Christophe Premat. Quelle sera la position européenne commune à la vingtième conférence des Nations unies sur le climat, à Lima ? Dans un autre domaine, quels sont les progrès réalisés à propos des ressources propres de l’Union ? Plusieurs pistes ont été envisagées au fil des ans : impôt direct européen, TVA, taxe sur les transactions financières, taxe sur le transport aérien, ressources issues de la bourse d’échanges des quotas de CO2, euro-obligations… Que penser enfin des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni qui, par la voix de son Premier ministre, a remis en cause la libre circulation des personnes, qui est un droit européen ?

M. Yves Daniel. En janvier 2014, alors secrétaire général du ministère des affaires étrangères et auditionné par la commission des affaires étrangères de notre assemblée, vous avez indiqué vouloir susciter des démarches de filières pour favoriser les exportations des PME et des ETI. Quelles actions ont été menées et avec quels résultats ? Comment comptez-vous poursuivre cet effort dans vos fonctions actuelles ?

M. Michel Piron. Je vous remercie, Monsieur l’ambassadeur, pour la précision nuancée de vos propos. J’aimerais savoir quelle action mène le Triangle de Weimar sur la question ukrainienne.

M. Pierre Sellal. La répression des trafics de main d’œuvre est une priorité de l’Union européenne, Monsieur Dupré. Le dernier conseil des ministres de l’emploi et de la politique sociale a entériné la création d’une nouvelle plateforme visant à mieux prévenir et à décourager ces comportements concurrentiels déloyaux. Il s’agit de collecter le plus d’informations possible sur ces pratiques, insupportables économiquement et socialement et le plus souvent illégales au regard du droit communautaire, afin de détecter les situations inacceptables et de mettre au point, dans un second temps, les outils qui permettront de les réprimer.

M. Juncker, c’est indéniable, veut relancer la collégialité, qui n’était pas le fort du collège sortant, Monsieur Lequiller. Sans doute le fera-t-il en rassemblant les vice-présidents en configurations à géométrie variable, selon les sujets traités, pour restaurer une coordination et une cohérence qui faisaient défaut.

La réconciliation des opinions publiques avec le projet européen est intimement liée au retour de la prospérité. En 2005 déjà, le refus du traité constitutionnel était lié à la situation économique, et la crise qui a suivi n’a rien amélioré. Au-delà, il faut tirer les enseignements des événements de ces dernières années et renforcer les convergences, pour ne pas dire l’intégration. Dans un premier temps, pour tenir compte d’un ensemble de considérations nationales, il faut travailler à traité constant, en recensant tout ce qui peut être fait pour renforcer la coordination et la cohérence de l’action européenne, sans nécessairement modifier le droit primaire. Le sommet des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro, en octobre, a confié l’élaboration de propositions en ce sens à un groupe constitué des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne, de la BCE et de l’Eurogroupe. Je citerai pour seul exemple la nécessité de rendre plus efficaces, transparents, rationnels et compréhensibles les mécanismes qui régissent le Semestre européen, entrelacs de procédures absconses difficilement intelligibles même pour les initiés.

M. Cresta appelle de ses vœux une Union européenne de l’énergie. Le caractère stratégique de l’approvisionnement énergétique et du coût de l’énergie pour l’activité économique n’a jamais été ressenti avec autant de force qu’aujourd’hui. La difficulté est de parvenir à concilier la nécessité d’une action collective et des situations nationales très contrastées. Elles diffèrent en effet par les ressources dont disposent – ou ne disposent pas – les États, par le degré de dépendance des uns et des autres à l’égard de fournisseurs extérieurs, et aussi par les choix de politique énergétique, qu’il s’agisse du recours au nucléaire ou de l’autorisation de l’exploration, préalable à l’exploitation, de gaz de schiste et d’autres ressources en hydrocarbures non conventionnels.

Il faut tenir compte de cette diversité pour redéfinir la politique européenne de l’énergie selon cinq axes : la constitution d’un mix énergétique européen aussi faible en carbone que possible ; la prise de conscience que l’énergie est un facteur majeur de compétitivité pour l’économie européenne ; le renforcement de la recherche-développement pour identifier les ressources énergétiques de demain ; une organisation efficace du marché intérieur, une action collective pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement européen, ce qui peut passer par la prise en charge au niveau européen d’une plus grande proportion des relations avec les fournisseurs.

Dire que la constitution du marché intérieur n’exclut pas une telle démarche signale en creux l’insuffisance de la politique suivie jusqu’à présent : de fait, par « politique européenne de l’énergie », on a longtemps entendu « marché intérieur de l’énergie » et rien d’autre. Il est important de prendre conscience qu’un marché interconnecté, fût-il réglementé par des dispositions juridiques parfaites, n’assure spontanément ni la sécurité de l’approvisionnement et sa compétitivité, ni la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne a maintenant la volonté de dépasser la vision excessivement restreinte qui a été la sienne jusqu’à présent. Que cela puisse entraîner la constitution de grands groupes énergétiques européens sera l’affaire des entreprises ; pour l’instant, il faut offrir un cadre juridique et politique aussi cohérent que possible, dans la ligne de ce que j’ai décrit.

J’en viens aux positions prises par le Royaume-Uni, particulièrement en matière d’immigration. Les principes rappelés par M. Lequiller sont les bons : l’Union européenne serait différente sans le Royaume-Uni, et le projet européen serait abîmé si ce pays devait quitter l’Union ; il revient au Royaume-Uni d’en décider ; il ne nous appartient pas de payer d’un prix excessif le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union, et certainement pas au détriment de nos intérêts ou de l’intégrité du projet européen. Mais il est intéressant de lire de discours de M. Cameron entre les lignes. En effet, le Premier ministre britannique exprime des revendications précises à propos de la circulation des personnes, notamment des travailleurs issus des nouveaux États membres, mais il se garde de toute déclaration qui aurait immédiatement rendu la discussion impossible. Ainsi n’a-t-il pas formulé la demande de fixation de quotas d’immigration strictement définis, ni celle, un moment agitée par le parti conservateur, d’un « frein d’urgence » qu’il faudrait serrer à tout moment où la pression migratoire serait devenue excessive pour arrêter les mouvements de personnes entre les États membres.

On ne peut donc dire que le principe fondamental de la libre circulation des personnes soit directement contredit par ce discours, mais l’on perçoit que le sujet est difficile et que nos amis britanniques chercheront à restreindre l’application de certaines règles – et cela, même si l’arrêt de la Cour de justice européenne relatif à l’affaire Dano, publié le 11 novembre, a opportunément rappelé que la libre circulation des personnes n’a jamais été absolue en Europe et que, comme toute liberté, elle est susceptible d’abus. La Cour a, avec pertinence, rappelé que les États peuvent appliquer des conditions de ressources et ne pas permettre l’accès aux prestations non contributives, dans les conditions définies par le droit européen.

Ma conclusion sur ce point est que le Royaume-Uni cherchera, dans les domaines qu’il considère comme les plus sensibles pour lui, à négocier très strictement les règles, qu’à ce jour M. Cameron n’a pas commis l’irréparable et qu’il y aura donc un espace de négociation. La discussion va commencer ; ce sera l’affaire des deux prochaines années. Pour des raisons de politique intérieure, M. Cameron s’expose à des difficultés considérables, mais tel est son choix.

Ce que l’on peut attendre de la conférence de Lima, qui n’est pas considérée comme décisive, c’est qu’elle ouvre la voie à l’adoption d’un nouvel accord mondial sur le climat, aussi juridiquement contraignant et aussi complet que possible, lors de la conférence de Paris, l’année prochaine.

M. Mario Monti s’est vu confier la présidence d’un groupe de réflexion sur le mécanisme des ressources propres de l’Union. La particularité de ce groupe est qu’il est constitué des meilleurs spécialistes de la question et que son président, outre qu’il connaît bien les contraintes du système européen, est un homme très réaliste. J’en veux pour preuve la question qu’il a posée aux membres de son groupe et au Coreper : « Quels sont les défauts du système actuel, qui a toujours permis, jusqu’à présent, le financement et le fonctionnement des politiques communes ? » En d’autres termes, nous savons ce que nous avons, évitons de décrire ce système comme entièrement défectueux au risque d’être incapables d’inventer quelque chose de radicalement nouveau. Le fait même que nous disposions d’un long inventaire des ressources propres que l’on pourrait imaginer substituer aux ressources actuelles montre combien il est malaisé de trouver une base taxable aussi homogène que désirable pour assurer le fonctionnement des politiques communes dans des conditions équitables, transparentes et politiquement acceptables. Toutefois, l’opacité et la complexité du système ont été à nouveau démontrées il y a quelques semaines, quand on a découvert qu’il convenait de revoir les contributions nationales en raison de l’ajustement des assiettes TVA et PNB. Cette réflexion est donc nécessaire.

L’harmonisation fiscale, ou à tout le moins la lutte contre les comportements d’optimisation ficale agressive et contre l’érosion des bases taxables, sera l’un des grands enjeux des années à venir. Dans une situation difficile pour les budgets nationaux, la concurrence inégale, l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale agressive sont intolérables pour les opinions publiques ; il faut agir. Ce sera la tâche du commissaire français, et c’est une très bonne chose. L’« affaire luxembourgeoise » confirmée ces dernières semaines a eu une première conséquence positive : il y a une bonne chance, et nous y travaillons activement, pour que le prochain conseil pour les affaires économiques et financières (ECOFIN) adopte une directive dont l’objet est d’interdire les techniques d’optimisation fiscale agressive par des montages reposant sur les prix de transfert au sein des groupes. J’ai observé que, le contexte aidant, quelques réserves exprimées sur le texte ont été levées ; il en subsiste une ou deux, et j’espère que nous pourrons progresser. D’une manière générale, il y a un vent favorable à l’harmonisation fiscale et à la lutte contre l’évasion fiscale. J’espère que nous en profiterons au niveau européen.

Les réflexions sur la taxe sur les transactions financières continuent, dans le cadre d’une coopération renforcée. Nous cherchons à définir l’assiette fiscale la plus efficace d’un point de vue budgétaire et assurant la plus grande égalité entre les États qui participent à la coopération renforcée. La question est difficile sur le plan technique, mais les ministres des finances ont collectivement renouvelé leur engagement d’aboutir avant la fin de l’année.

La Présidente Danielle Auroi. Puis-je rappeler que la question devait être réglée l’année dernière déjà ?

M. Pierre Sellal. C’est vrai, mais, cette fois, l’engagement d’aboutir a été pris en mai et confirmé en octobre ; on y reviendra probablement lors du prochain conseil ECOFIN. Je ne cache pas que le sujet reste difficile.

Enfin, Monsieur Piron, j’ai constaté la nouvelle vitalité du triangle de Weimar. C’est important, parce que cela participe de l’avènement du nouveau statut européen de la Pologne. Il va de soi que, lorsqu’il s’agit de redéfinir une stratégie vis-à-vis de la Russie, de construire une authentique stratégie de voisinage à l’Est et de réfléchir aux moyens de régler la crise ukrainienne, la configuration franco-germano-polonaise est sans doute la meilleure pour parvenir à des solutions susceptibles de rallier ensuite l’ensemble de nos partenaires.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, Monsieur l’ambassadeur, pour la précision de vos réponses. J’aurais souhaité vous interroger sur bien d’autres sujets, notamment sur la pauvreté en Europe, mais le temps nous manque aujourd’hui pour cela. Nous vous inviterons donc à nouveau, pour entretenir un dialogue régulier qui contribue utilement à notre réflexion commune.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 2 décembre 2014 à 17 h 30

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Christian Bataille, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. Michel Vauzelle

Assistaient également à la réunion. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jacques Cresta, M. Yves Daniel, M. Bernard Deflesselles, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Jean-Patrick Gille, M. Michel Herbillon, M. Marc Laffineur, M. Charles de La Verpillière, M. Rémi Pauvros, M. Michel Piron, M. Christophe Premat, M. Joaquim Pueyo, M. Gilles Savary