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Commission des affaires étrangères

Mercredi 11 mars 2015

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 56

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente

– Audition de M. Jean-Louis Bianco, représentant spécial du ministre des Affaires étrangères et du Développement international, pour les relations économiques avec l’Algérie.

Audition de M. Jean-Louis Bianco, représentant spécial du ministre des Affaires étrangères et du Développement international, pour les relations économiques avec l’Algérie.

La séance est ouverte à neuf heures cinquante.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous avons le plaisir de recevoir ce matin notre ancien collègue Jean-Louis Bianco, aujourd’hui représentant spécial pour les relations économiques franco-algériennes auprès du ministre des affaires étrangères. M. Bianco succède dans cette mission à Jean-Pierre Raffarin, qui avait conduit depuis 2010 un important travail sur les grands projets d’investissement français en Algérie.

Les relations de notre pays avec l’Algérie connaissent heureusement une nouvelle dynamique depuis que la visite d’État faite par le Président de la République à Alger en décembre 2012 a conclu une période de refroidissement notoire, due à l’adoption par la France d’une loi soulignant « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » qui avait froissé, et c’est peu dire, les Algériens.

Nos relations économiques et commerciales avec l’Algérie ont beaucoup progressé depuis le début des années 2000 et la France est à présent le second partenaire de l’Algérie avec 11,4 % de part de marché. Elle a cependant perdu du terrain depuis 2012 au profit de la Chine, qui est maintenant le premier partenaire de l’Algérie avec 12,1 % de part de marché. Mais la France demeure le premier investisseur étranger en Algérie hors hydrocarbures et le second tous secteurs confondus. En tout, 450 entreprises françaises sont implantées en Algérie, ce qui génère environ 40 000 emplois directs et plus de 100 000 emplois indirects.

Ces chiffres ne sont cependant pas entièrement satisfaisants ; l’immense potentiel des relations économiques entre nos deux pays est encore assez largement inexploité. Ces relations peuvent s’appuyer sur un vivier très important de binationaux : quelque 32 000 Français sont installés en Algérie, dont 28 000 ont la double nationalité. De cette richesse, on ne parle pas suffisamment.

L’économie algérienne est très dépendante des hydrocarbures, qui représentent un tiers de son PIB et 97 % de ses exportations. La baisse des prix du pétrole resserre la contrainte budgétaire en Algérie et conduit le Gouvernement à afficher une forte volonté d’accélérer ses projets de diversification industrielle. Conscience avait déjà été prise de cette nécessité avant la chute du prix du baril, les autorités algériennes sachant la réserve de pétrole exploitable vouée à l’épuisement et l’absence de diversification, qui empêche un développement dynamique, à l’origine d’une série de problèmes intérieurs. Vous nous direz à quels obstacles cette volonté de diversification se heurte éventuellement.

Par ailleurs, la « loi du partenariat national majoritaire » dispose que les investissements étrangers dans le pays ne peuvent être réalisés que dans le cadre d’un partenariat avec un investisseur algérien qui détiendra au moins 51 % du capital. La révision de cette disposition ne me semble pas d’actualité.

Vous avez pour mission d’aider à résoudre les différends économiques bilatéraux et vous vous êtes rendu en Algérie la semaine dernière encore. Quels dossiers vous occupent ? Progressent-ils ? Comment évaluez-vous la motivation de vos interlocuteurs algériens pour lever les obstacles à l’implantation des investisseurs français ? Quels sont les nouveaux projets de coopération les plus prometteurs entre nos deux pays, et quel accueil leur réservent les autorités algériennes ? Quelle est l’incidence de la conjoncture économique défavorable pour l’Algérie avec la baisse du prix du pétrole ?

M. Jean-Louis Bianco, représentant spécial du ministre des affaires étrangères et du développement international, pour les relations économiques avec l’Algérie. Je vous remercie de l’invitation que vous m’avez faite, madame la présidente ; elle me donne l’occasion de retrouver des visages amis. M. Laurent Fabius m’a confié le soin de reprendre, avec un accent un peu différent, la mission engagée avec une grande efficacité par M. Jean-Pierre Raffarin. En ma qualité de représentant spécial du ministre des affaires étrangères, je dois bien sûr essayer d’aider à régler des conflits et des difficultés, mais aussi, les relations bilatérales étant entrées dans une phase nouvelle, contribuer plus que par le passé à l’aboutissement de projets de développement structurants.

Les propos tenus par les responsables algériens sur l’état de la relation franco-algérienne actuelle sont toujours très positifs et optimistes. En nous recevant, Laurent Fabius, Emmanuel Macron et moi-même, en novembre dernier, le président Bouteflika nous a dit que jamais, ou pas depuis très longtemps, les relations politiques entre les deux pays n’ont été aussi bonnes ; cela m’a été répété par le Premier ministre le week-end dernier. Et, au-delà des mots, on constate en effet les signes d’une évolution positive.

Il existe une mécanique de coopération franco-algérienne. Elle trouve sa traduction dans les réunions, au niveau des ministres, du Comité mixte économique franco-algérien (Comefa) et, au niveau des premiers ministres, dans celles du Comité inter-gouvernemental de haut niveau (CIHN). Ces deux instances se réunissent sur des bases très régulières : tous les deux ans en principe mais en pratique tous les ans pour le CIHN, tous les ans en principe pour le Comefa mais avec l’idée de faire des réunions d’étape chaque semestre. La réunion la plus récente du CIHN s’est tenue à Paris le 4 décembre 2014. Celle du Comefa a eu lieu, en partie à Oran et en partie à Alger, le 10 novembre ; un point d’étape a été prévu le 12 mai, date à laquelle M. Laurent Fabius et M. Emmanuel Macron se rendront en Algérie. Une nouvelle réunion des deux instances aura lieu au deuxième semestre 2015.

Certains responsables dont Abdeslam Bouchouareb, ministre de l’industrie et des mines, mon principal interlocuteur, et le Premier ministre, ont fait, avant même la baisse du prix du baril, la même analyse : la dépendance de l’économie algérienne aux recettes issues de la vente d’hydrocarbures et son corollaire, la faible diversification de l’économie et la destruction de filières entières – une proportion considérable des importations pourraient être produites localement – ne sont pas tenables sur le plan politique. Ils ont pris la mesure du défi : répondre aux attentes de la jeunesse algérienne, qui veut du travail, le plus vite possible.

La Chine a certes pris la première place en Algérie, mais dans ce pays comme ailleurs sur le continent africain, son image s’est dégradée. On reproche aux Chinois une arrogance croissante mais aussi, dans le secteur des travaux publics, la très fréquente médiocrité de leurs prestations.

Les dossiers contentieux sur lesquels j’interviens sont d’ordre très variés. Certains cas sont liés à des différends entre partenaires algériens et français. D’autres sont le fait de tracasseries administratives. Cela dit, j’ai constaté, lors de mon dernier voyage, un changement significatif, y compris pour des dossiers qui paraissaient bloqués il y a quelques semaines encore. On sent une bonne volonté des autorités algériennes et les choses évoluent.

En matière de co-développement, les joint-ventures sont préférées aux prises de participation d’entreprises étrangères. Plusieurs projets très intéressants sont à l’étude ; je n’ai aucun doute sur la volonté de les mener à bien même si des difficultés techniques ou administratives peuvent apparaître. Il y a d’abord – et c’était l’occasion de notre déplacement avec les deux ministres le 10 novembre dernier – une nouvelle usine Renault située à côté d’Oran, qui fabrique les versions haut de gamme de la Symbol destinées au marché algérien et, à terme, à d’autres marchés africains. L’usine, remarquable, a été construite rapidement et, à la satisfaction de tous, elle emploie beaucoup de jeunes et de femmes.

À la suite des visites en Algérie de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la forêt, des projets très ambitieux ont été évoqués, qui concernent en particulier la filière bovine, celle du lait et celle des semences. La société Bel est très présente en Algérie, où le succès de La Vache qui rit ne se dément pas ; elle a un très important projet de nouvel investissement qui sera décidé formellement dans les prochains mois et réalisé dans les toutes prochaines années.

En Algérie, pays qui est le premier marché de l’Aspegic, Sanofi a des projets pharmaceutiques importants et les contentieux auxquels elle pouvait faire face semblent en passe d’être résolus.

Une série de projets concernent le ferroviaire et les transports, domaines dans lesquels la compétence de nos entreprises est reconnue. Lors de la visite des ministres, le 12 mai prochain, devraient être inaugurés une usine Alstom et un cluster ferroviaire.

Les projets relatifs à la gestion de l’eau et au traitement des déchets, notamment par l’entremise de Suez Environnement qui est déjà très présent, ne manquent pas.

Pour la filière numérique, les autorités songent à équiper les universités de très gros calculateurs à la réalisation desquels participeraient Bull et Inria, puis de créer des partenariats entre universités et entreprises. L’aide à la création de start ups est également demandée par les chefs d’entreprises algériens, conscients du potentiel de créativité et d’innovation de la jeunesse algérienne.

Je ne conclurai pas sans évoquer aussi un projet, très intéressant sur le plan politique, de mobilité des jeunes actifs supposant la réciprocité entre l’envoi des volontaires internationaux en entreprise (VIE) français en Algérie et, pour un délai maximum de deux ans, de professionnels algériens en France. Les autorités algériennes sont intéressées mais souhaitent aboutir en parallèle à un accord sur la facilitation de la délivrance de visas de court séjour, sur lequel nos services travaillent à un projet qui serait conforme au cadre légal européen. J’espère que nous parviendrons à avancer rapidement.

Je souligne pour finir que la demande d’enseignement du français est considérable de la part de tous nos interlocuteurs, particulièrement les chefs d’entreprises. Les chefs d’entreprise demandent en particulier l’ouverture d’un deuxième lycée français à Alger. La demande est d’autant plus impressionnante qu’elle émane de tous les milieux, y compris de personnes qui ne sont pas forcément les plus francophiles.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Fin octobre, le Premier ministre Abdelmalek Sellal m’avait dit être favorable à l’abolition de la loi du partenariat national majoritaire ; quand a-t-il démenti son ministre de l’industrie à ce sujet ? Le contrôle de changes demeurestrict, toute sortie de capitaux supposant l’autorisation personnelle du gouverneur de la Banque d’Algérie ; une évolution est-elle envisagée ? Il avait été fait état, lors de la visite d’État du Président de la République en Algérie, d’un projet de construction de 6 000 km de voies ferrées, notamment vers le Sud, ce qui, en permettant de développer les oasis, aurait un intérêt géopolitique évident ; avez-vous entendu préciser ce projet ? Enfin, s’agissant du français, on constate, en Algérie comme au Maroc, une prise de conscience de l’erreur qu’a été l’arabisation forcée, puissant facteur d’inégalité, ceux qui parlent seulement l’arabe étant souvent cantonnés à des emplois subalternes.

M. Michel Destot. Quelle stratégie les entreprises françaises qui s’intéressent au marché algérien doivent-elles privilégier ? Faut-il généraliser la joint-venture comme l’a fait l’entreprise grenobloise Pomagalski ou peut-on s’attaquer à ce marché sans correspondants ou partenaires locaux ?

Peut-être l’image de la Chine s’est-elle détériorée en Algérie, mais elle y est présente. Faut-il aller à la concurrence frontale ou plutôt rechercher des alliances ?

En matière d’infrastructures urbaines, Grenoble étant jumelée avec Constantine, nous savons d’expérience que l’absence d’autorités municipales politiques de poids rend les choses très difficiles : il y a de l’argent, mais jamais de décisions, car elles dépendent du wali ou du gouvernement. Pourtant, les besoins sont immenses. Comment contourner ces difficultés politiques ?

L’Agence française de développement (AFD) peut-elle être un levier d’accompagnement efficace des intérêts économiques français en Algérie ?

M. Jean-Claude Guibal. N’est-ce pas pure nostalgie que ce regret du français supplanté par l’arabe ? À supposer même que l’on construise un deuxième établissement d’enseignement français à Alger et des centres culturels, le français a-t-il encore des perspectives de développement dans ce pays, étant donné le très grand nombre de jeunes Algériens qui ne parlent plus notre langue ?

La question sort du cadre de votre mission, mais que pouvez-vous nous dire du dialogue entre l’Algérie et ses voisins ? On sait les tensions historiques avec le Maroc ; quelle est la position du gouvernement algérien sur la situation en Lybie et dans le Sahel ? Cela influence-t-il sa conception de l’ouverture aux pays de la rive nord de la Méditerranée ?

M. Jean-Paul Dupré. Vous avez évoqué les fortes attentes de la jeunesse algérienne ; quels sont à votre avis les risques de déstabilisation politique et économique de l’Algérie par les affidés de Boko Haram avec le soutien des « barbus » ? Peut-on, d’autre part, apprécier le niveau de corruption en Algérie ?

M. Christophe Premat. L’Algérie n’est pas membre de l’Organisation internationale de la francophonie, mais celle-ci change de nature et l’on en vient davantage à une francophonie économique. Dans ce cadre, ne peut-on imaginer que l’Algérie, par pragmatisme, participe aux forums francophones régionaux économiques pour valoriser sa puissance économique ? D’autre part, sachant que l’Allemagne et la Russie ont signé des contrats militaires avec l’Algérie, quel est le rôle de l’armée et de l’industrie de l’armement ?

M. François Rochebloine. Les chiffres que vous avez cités, madame la présidente, disent que la présence française en Algérie est en réalité très faible. Si les relations politiques entre nos deux pays se sont améliorées au point d’être décrites comme très bonnes, les relations économiques, dans le tableau qu’en a brossé M. Bianco, demeurent compliquées, et les progrès lents. Quelles sont les relations entre les collectivités françaises et algériennes ? Le département de la Loire, qui tente d’entretenir des relations avec des collectivités algériennes, éprouve bien des difficultés ; les choses sont plus faciles avec d’autres pays d’Afrique. Quel est le sort réservé en Algérie aux entreprises françaises du bâtiment et des travaux publics ? En matière de visas pour les étudiants, il me semble y avoir à faire. Les chaînes de télévision France 24 et TV5 sont-elles visibles et regardées en Algérie ? Enfin, les « barbus » sont-ils nombreux en Algérie et risquent-ils de déstabiliser le gouvernement ?

M. Jacques Myard. Vous êtes donc, monsieur Bianco, représentant spécial du ministre des affaires étrangères et du développement international pour les relations avec l’Algérie ; cette qualité ne laisse pas d’intriguer sur l’évolution institutionnelle de notre politique des affaires étrangères. Ce qui aurait du sens serait de nommer un secrétaire d’État des affaires étrangères pour la Méditerranée.

Les relations entre la France et l’Algérie se caractérisent par un éternel : « Je t’aime, moi non plus »… Quant à l’« arabisation », elle a résulté, à la demande de Houari Boumediene, de l’envoi par Gamal Abdel Nasser de 4 000 Frères musulmans dont il s’est ainsi débarrassé. Ce n’est pas l’arabe que ces gens ont appris à leurs élèves mais le Coran, dans la version qui était la leur, provoquant dix ans plus tard la montée de l’intégrisme en Algérie. Si certains demandent l’ouverture d’un nouveau lycée français à Alger, on ne peut que s’en féliciter, mais cela ne suffit pas. Alors que 80 % des jeunes gens sortent des universités algériennes sans avoir d’emploi, le problème principal de l’Algérie est sa démographie. Le gouvernement algérien a pris conscience que cette croissance démographique est un fardeau dès lors qu’il n’y a pas de croissance économique ; quelles mesures prend-il pour contenir une démographie aux conséquences potentiellement explosives ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je ne doute pas que le Premier ministre trouvera dans le compte rendu de notre réunion matière à alimenter sa réflexion grâce aux propositions que Jacques Myard lui soumet aimablement.

Mme Françoise Imbert. J’ai participé il y a un an à une mission d’information parlementaire en Algérie. Le statut de la femme figurait au nombre des thèmes que nous avons abordés, dans ses différents aspects : accès à l’éducation, égalité entre hommes et femmes, place de la femme dans les milieux professionnels et sur la scène politique. Quelle est la situation actuelle ? Des mesures ont-elles été prises à ce sujet ou le seront-elles ?

Mme Chantal Guittet. Au contraire du Maroc et de la Tunisie, l’Algérie refuse d’appartenir à l’Organisation internationale de la francophonie. Des démarches sont-elles entreprises pour l’y faire adhérer ?

M. Kader Arif. Je confirme le réchauffement des relations franco-algériennes. L’évolution est particulièrement perceptible depuis un peu plus de deux ans à propos de la mémoire, nœud gordien, et le récent remaniement gouvernemental en Algérie a traduit la volonté d’une ouverture plus marquée que par le passé. Mais un fort sentiment nationaliste demeure et l’Algérie, qui aspire à devenir « l’Afrique du Sud » du Nord du continent africain, demande à ne pas être traitée comme les autres pays de la Méditerranée et, singulièrement, à ne pas être considérée seulement comme le « déversoir » de nos produits mais comme un partenaire économique de plein exercice. Les inconvénients dus à la dépendance aux hydrocarbures sont réels. Dans ce cadre, la volonté exprimée par le Gouvernement d’utiliser les réserves considérables de gaz de schiste découvertes au Sud du pays – volonté qui a suscité des manifestations – ne pourrait-elle avoir pour conséquence négative que le pays passerait d’une monoproduction à une autre ?

M. Didier Quentin. Le 1er mars, à Alger, le Gouvernement malien a signé avec six groupes armés du Nord un accord de paix et de réconciliation dont M. Laurent Fabius a souligné qu’il résulte de « la médiation efficace » de l’Algérie ; au-delà de cette coopération diplomatique, y a-t-il aussi renforcement des relations en matière de renseignement ? Quelle peut être l’évolution des relations entre l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental, le roi Mohammed VI ayant récemment déclaré que « le Maroc restera dans son Sahara et le Sahara demeurera dans son Maroc jusqu'à la fin des temps » ?

Mme Seybah Dagoma. L’Algérie veut donc diversifier son économie trop dépendante des hydrocarbures. Un des moyens de le faire consiste à développer les co-localisations fondées sur un meilleur partage de la chaîne de valeur, qui ont un très fort impact sur la formation et la professionnalisation de la main d’œuvre ; quelles filières industrielles pourraient être concernées à moyen et long terme ? On peut aussi faciliter la circulation des compétences en favorisant la mobilité ; dans cette optique, envisage-t-on un programme Erasmus euro-méditerranéen ?

M. Jean-Louis Bianco. Madame la présidente, le Premier ministre n’a pas fait état devant moi de ses intentions relatives à la règle des « 51/49 ».

Le Gouvernement algériena affiché de grandes intentions dans le domaine ferroviaire. Mais alors que la baisse du cours du pétrole contraint fortement le budget, je pense que certains investissements seront différés, ceux qui concernent le tramway en particulier ; j’espère, sans en être certain, que ce qui a trait au ferroviaire ne le sera pas. C’est pour tenter de concrétiser le plus de projets possible que nous avons mis à l’ordre du jour le cluster ferroviaire-transports.

J’ai le sentiment, monsieur Destot, que les Algériens préfèrent de beaucoup les joint-ventures, ce qui n’exclut pas d’autres initiatives. L’entreprise montée par Pomagalski dans ce cadre est un succès.

À mon sens, nos entreprises doivent contourner la présence chinoise en choisissant les domaines où elles ont un avantage comparatif, quel qu’il soit. Je ne connais pas d’alliances ou de projets d’alliance entre des entreprises françaises et des Chinois en Algérie ; je sais, en revanche, qu’Air Liquide porte un projet d’usine de production d’oxygène en partenariat avec Qatari Steel. Des partenariats se nouent donc naturellement.

L’AFD peut sans aucun doute être un levier d’accompagnement, mais je n’ai rien vu de concret à ce sujet dans les dossiers dont je me suis occupé.

Monsieur Guibal, ce sont des citoyens algériens qui affirment la volonté d’introduire l’enseignement de la langue française dans le secondaire, et évoquent le sujet spontanément quand ils nous demandent d’ouvrir de nouveaux lycées français à Annaba, Oran ou Alger.

La situation en Libye et au Sahel n’est pas au cœur des dossiers dont je traite mais je sais les autorités algériennes très préoccupées par l’évolution libyenne, et très vigilantes ; cela étant, elles déconseillent toute intervention militaire en Libye. Notre ambassade et le ministère des affaires étrangères jugent que l’Algérie a joué un rôle extrêmement positif au Mali, en étroite liaison avec la France. Notre ambassadeur a rendu un vif hommage à la médiation algérienne.

La même vigilance vaut, monsieur Dupré, pour contrer les risques de déstabilisation. La coordination entre les services de renseignement m’est décrite et du côté français et du côté algérien comme étant très bonne. Pour les frontières, les Algériens affichent à la fois préoccupations et confiance. À l’intérieur, le sujet n’est pas abordé avec moi, mais le traumatisme de la « décennie noire » est réel ; les Algériens considèrent qu’ils ont dû se battre seuls contre le terrorisme, qu’ils ont été abandonnés par tous les pays dont la France, et ils nous le reprochent.

Pour des raisons d’affichage, l’Algérie ne veut pas être membre de l’Organisation internationale de la francophonie, monsieur Premat, mais elle a manifestement envie d’en faire beaucoup plus au sein des forums régionaux parce qu’elle vise, comme l’a souligné M. Kader Arif, à devenir l’équivalent de l’Afrique du Sud au nord du continent.

Vous avez raison, monsieur Rochebloine, la présence des collectivités est très importante et des régions françaises collaborent efficacement et depuis longtemps avec l’Algérie. C’est le cas, en particulier, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, de communes et de départements. Le groupe d’amitié France-Algérie que préside Patrick Mennucci a lié des liens très étroits avec des élus algériens. Les autorités sont tout-à-fait conscientes de la nécessité de développer le secteur des PME algériennes et aussi de faciliter l’arrivée de PME étrangères, notamment françaises. Le processus de co-localisation est voulu des deux côtés de la Méditerranée, singulièrement pour la filière automobile, et l’on discute déjà, dans le cadre de la mission de M. Jean-Louis Levet, de savoir quels sous-traitants français pourraient s’implanter en Algérie, quels sous-traitants algériens pourraient être mobilisés, quelles co-productions seraient envisageables, quelle formation professionnelle est à prévoir pour les filières d’avenir.

Pour ce qui est du bâtiment et des travaux publics, le ministre du logement a demandé la coopération des entreprises françaises en novembre dernier ; je n’ai pas constaté d’évolution depuis lors car notre positionnement en termes de coût ne nous permet de couvrir qu’une partie du marché. Nos interlocuteurs algériens se plaignent des grands groupes français mais cherchent une collaboration avec des entreprises plus petites, capables d’industrialiser des bâtiments de taille moyenne. La volonté de coopération existe mais, de l’avis même des groupes français, les difficultés sont réelles.

La question de M. Myard sur le rôle exact des représentants spéciaux du ministre pour l’économie est justifiée. Notre mission est de donner un coup de pouce – un peu plus qu’un ambassadeur, un peu moins qu’un ministre – en accélérant les dossiers par l’événement politique ; mais la cheville ouvrière est exclusivement l’ambassade. Je ne fais rien sans avoir l’accord de l’ambassade, je prépare les entretiens avec elle et c’est elle qui est chargée du suivi quotidien. L’articulation des travaux se fait à la satisfaction mutuelle.

La croissance démographique est en effet importante en Algérie ; la question n’est pas abordée par la maîtrise des naissances mais par le biais de l’emploi : la préoccupation première est de donner un travail aux jeunes.

Madame Imbert, j’ai lu dans la presse algérienne les propositions du président Bouteflika tendant à améliorer les droits des femmes ; je n’en sais pas davantage.

Un changement est possible, madame Guittet, en matière de francophonie.

J’ai perçu comme vous, monsieur Arif, que ce qui a trait à notre mémoire commune évolue depuis deux ans, et cela a une grande importance. Comme vous l’avez souligné, l’Algérie ne veut pas être seulement le « déversoir » de nos produits, et je me félicite que les chefs d’entreprises français approchent le marché algérien avec humilité et persévérance, en disant leur volonté de coproduire.

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Lors du forum des chefs d’entreprises, Madame Dagoma, on m’a dit une certaine déception suscitée par le Medef international. Dans ce contexte, l’ambassadeur Bernard Emié et moi-même avons souligné l’efficacité des collectivités et de certaines chambres de commerce régionales – celle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur par exemple –, pour amener les entreprises locales sur les marchés étrangers.

Les Algériens ont évoqué l’extension du programme Erasmus à l’autre rive de la Méditerranée ; ce serait un projet magnifique. Il reste à le monter et il faut pour cela commencer par régler la question des visas à accorder aux jeunes actifs algériens en France.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie pour cet éclairage très intéressant. Il y aurait décidément beaucoup à dire à propos du Medef international, dont les représentants brillaient aussi par leur absence hier au Maroc où une rencontre était organisée avec des hommes d’affaires français. Les Marocains, qui souhaitent développer leurs investissements en France, se sont plaints devant nous de ne pas avoir d’interlocuteurs. Il conviendrait de faire savoir à M. Gattaz combien cette situation, qui semble généralisée, est préoccupante.

La séance est levée à dix heures cinquante-trois.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 11 mars 2015 à 9 h 45

Présents. - M. Kader Arif, M. Jean-Marc Ayrault, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean-Marc Germain, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Benoît Hamon, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Armand Jung, M. Bernard Lesterlin, M. François Loncle, M. Noël Mamère, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Destans, Mme Cécile Duflot, M. Hervé Gaymard, M. Philippe Gomes, M. Jean-Jacques Guillet, M. Meyer Habib, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. François Scellier

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat