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Commission des affaires étrangères

Mercredi 17 juin 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 89

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente

– Examen de la proposition de résolution européenne de M. Joaquim Pueyo et Mme Marie-Louise Fort sur la révision de la politique européenne de voisinage (n° 2772) – M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur 2

– Examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (n° 2184) – M. Philip Cordery, rapporteur.

Examen de la proposition de résolution européenne de M. Joaquim Pueyo et Mme Marie-Louise Fort sur la révision de la politique européenne de voisinage (n° 2772) – M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur.

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous examinons, sur le rapport de M. Pierre-Yves Le Borgn’, la proposition de résolution européenne de M. Joaquim Pueyo et Mme Marie-Louise Fort sur la révision de la politique européenne de voisinage (n° 2772).

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur. La proposition de résolution qui a été adoptée par la commission des affaires européennes s’inscrit dans le processus de révision de la Politique européenne de voisinage lancé par les institutions européennes. Elle répond en particulier à un document de consultation sur cette politique qui a été élaboré par la Commission européenne et la Haute représentante. La communication finale suite à cette consultation devrait être rendue publique en fin d’année. La position que présentera notre Assemblée, comme d’autres parlements nationaux, est donc importante et, je l’espère, attendue.

Pour faire un bref rappel historique, la Politique de voisinage a été conçue en 2003 en vue d’offrir une alternative à l’élargissement de l’Union, alors en cours – on était en train de passer de 15 à 27 –, mais qui ne pouvait pas être envisagé indéfiniment. Son objectif a été formalisé à l’occasion du traité de Lisbonne : il s’agit «  d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l’Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération ».

La Politique de voisinage englobe, au sud : l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, la Palestine, la Syrie et la Tunisie ; à l’est: l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Elle a d’abord suivi la voie d’accords bilatéraux signés avec les pays du voisinage. À partir de 2008, ont été promus des processus régionaux, le Partenariat euro-méditerranéen et, en 2009, le Partenariat oriental. La Politique de voisinage a également été dotée de moyens budgétaires, soit plus de 15 milliards d’euros pour la période 2014-2020.

La Politique de voisinage a-t-elle atteint ses objectifs, c’est-à-dire constituer un cercle d’amis de l’Union, stables, prospères, vivant en bon voisinage, partageant ses valeurs ? Malheureusement non. Peut-être ces objectifs étaient-ils assez irréalistes dès le départ. En tout état de cause, ils ont été bousculés par l’Histoire récente. Permanence du conflit israélo-palestinien, Printemps arabe, guerres civiles en Syrie et en Libye, terrorisme et extrémisme religieux, explosion des flux migratoires incontrôlés, crises politiques et guerres en Géorgie puis en Ukraine, montée de la confrontation avec la Russie, la liste est longue des événements qui ont marqué notre voisinage ces dernières années, parfois positivement mais le plus souvent dramatiquement.

Bien sûr, la Politique de voisinage n’est pas responsable de tout cela, mais dans un cas au moins elle me semble avoir une part de responsabilité. Et partout ailleurs, elle a assisté largement impuissante aux événements.

Le cas où la manière dont la Politique de voisinage a été conduite peut vraiment être mise en cause est celui de l’Ukraine. Je souhaiterais développer un peu ce point, car il est très significatif des défauts de cette politique.

Je rappelle qu’un accord d’association avait été proposé à ce pays, dans le cadre de la Politique de voisinage, dès 2007 et un premier texte finalisé dès 2012. Cependant, entre-temps, les élections présidentielles de 2010 avaient vu la défaite des partis pro-européens issus de la « Révolution orange » de 2004 et amené au pouvoir le président Ianoukovytch, représentant du « Parti des régions », implanté dans l’est et le sud russophones du pays, lequel parti a ensuite remporté les élections législatives de 2012. Le président Ianoukovytch était tiraillé entre, d’une part les intérêts économiques et la sensibilité de ses mandants, d’autre part la détermination pro-européenne de l’autre partie de l’opinion ukrainienne. Il a probablement cru qu’il pourrait louvoyer entre Bruxelles et Moscou pour tirer le meilleur parti de l’« hésitation » ukrainienne entre ces deux pôles d’influence.

Cette politique qui se voulait habile a sans doute été encouragée par la position dure alors adoptée par l’Union, laquelle, tandis même que l’accord était finalisé, a décidé en décembre 2012 de subordonner sa signature définitive à un certain nombre de concessions du pouvoir ukrainien, telles que la fin de la « justice sélective » qui avait conduit l’ancienne première ministre Ioulia Tymochenko en prison et l’amélioration du système électoral. Ces demandes étaient légitimes dans leur principe, mais ont entretenu le climat de marchandage et de tension au cours de l’année 2013.

Par ailleurs et surtout, le projet d’accord d’association proposé à l’Ukraine était, du fait d’un volet commercial très exigeant qui intégrait en pratique celle-ci au « marché unique » européen, incompatible avec l’offre économique concurrente de la Russie, l’Union économique eurasiatique, et remettait en cause la profonde imbrication entre les économies russe et ukrainienne héritée de l’URSS.

Tout cela s’est achevé par l’annonce, le 21 novembre 2013, juste avant le sommet de Vilnius, que le gouvernement ukrainien suspendait le processus d’association, ce qui a déclenché les manifestations qui devaient conduire à la révolution de Maïdan en février 2014 et à la chute du président Ianoukovytch, à son tour suivie par l’annexion brutale et contraire au droit international de la Crimée par la Russie et par la rébellion dans le Donbass.

Les responsabilités principales sont en Ukraine et surtout à Moscou. Mais la manière maladroite dont l’Union a agi a contribué au déclenchement des événements, que personne n’a su ou voulu anticiper à Bruxelles.

Pour le reste des événements qui agitent dramatiquement notre voisinage, la Politique de voisinage y assiste le plus souvent sans apporter de contribution décisive. Donbass, Syrie, Palestine, lutte contre Daesh et le djihadisme au Sahel, soutien à la jeune démocratie tunisienne : qui agit ou cherche à agir sinon quelques États membres seuls ou de concert, au premier rang desquels la France ?

Les défauts de la Politique de voisinage sont maintenant bien identifiés.

D’abord, dès ses origines, la confusion entre voisinage et élargissement. Cette confusion est maintenue dans la Commission actuelle, où le commissaire Hahn cumule les deux casquettes.

Ensuite, cette dérive trop fréquente qui consiste à afficher des objectifs exagérément vagues et ambitieux – la paix, la prospérité – et des priorités multiples, de sorte qu’en fin de compte on n’a pas de véritable cible susceptible d’être atteinte, pas de possibilité d’évaluer les résultats.

Derrière cela, il y a eu une gestion souvent bureaucratique, technique, de cette politique et un manque évident de coordination avec la politique étrangère de l’Union et celles des États membres. L’on a fait mine de croire que tous nos voisins partageaient au fond nos valeurs et souhaitaient se rapprocher de nous ; l’on a proposé à peu près la même chose à tout le monde ; l’on a ignoré les spécificités et les sensibilités des partenaires, leurs intérêts économiques et géopolitiques, leurs relations avec leurs propres voisins, ceux que l’on appelle les « voisins des voisins ».

Bref, fondamentalement, la Politique de voisinage a manqué de vision et de leadership. Non seulement elle n’a pas construit l’espace de paix et de prospérité annoncé, mais elle n’a même pas apporté de contribution réelle au règlement des multiples crises qui frappent notre voisinage, quand elle n’a pas contribué à les créer.

Après de tels constats, vous comprendrez que le texte que je vous propose demande une complète refondation de la Politique européenne de voisinage. Une réforme de façade, comme celle faite en 2011 dans le contexte du Printemps arabe, n’y suffira pas.

J’ai le sentiment que nos collègues Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort partagent au fond mes observations, car le rapport d’information qu’ils ont co-signé il y a quelques semaines est non seulement très complet et très informatif, mais aussi tout aussi sévère que je le suis. Je cite leur excellente introduction : la Politique de voisinage souffre de « flou conceptuel, de la tension perpétuelle entre valeurs politiques et intérêts économiques, de la modestie des crédits au regard des enjeux, de lourdeurs bureaucratiques, mais aussi des différences de positionnement stratégique et des divergences politiques – voire des conflits – entre les seize pays partenaires. Au final, après une décennie d’existence, elle ne s’est pas imposée comme antidote à la multiplicité de problèmes institutionnels, politiques, économiques, sociaux, environnementaux, migratoires et sécuritaires dont souffrent les pays de notre voisinage et dont l’Union européenne subit le contrecoup direct. Finalement, seuls quatre pays (…) peuvent faire état de progrès notables pour atteindre les objectifs fixés par l’Union européenne (…) ». Tout est dit.

Mais il m’a semblé que le texte de leur proposition de résolution ne rendait pas assez compte de l’échec de la Politique de voisinage. Si nous voulons être entendus à Bruxelles, nous devons dire clairement ce que nous pensons.

Le texte que je vous propose donc par voie d’amendements reprend l’essentiel des préconisations du texte de la commission des affaires européennes :

– le principe d’unicité de la stratégie de voisinage ;

– mais l’exigence d’une forte différenciation selon les partenaires ;

– la nécessaire association plus grande des sociétés civiles et des collectivités locales, afin que la Politique de voisinage soit mieux appropriée par les partenaires ;

– la prise en compte des « voisins des voisins » ;

– l’établissement d’une distinction claire entre partenariat et élargissement ;

– le recentrage des priorités ;

– dans ce cadre, le renforcement du volet sécuritaire, en lien avec une véritable réflexion stratégique ;

– le principe de juste répartition des moyens entre les flancs Sud et Est, qui renvoie au principe « deux tiers/un tiers » auquel la France est attachée.

Je vous propose d’ajouter à ces recommandations quelques compléments, notamment la nécessité de coordonner politique de voisinage et politique de développement et surtout, point central, la question du leadership politique, qui devrait reposer sur la Haute représentante.

Par ailleurs, la rédaction que je vous soumets enrichit surtout les considérants de la résolution : il faut dire clairement que la Politique de voisinage a échoué, pourquoi, et ce que sont à la fois les intérêts essentiels et les attentes de l’Union européenne et plus particulièrement de la France dans cette politique. J’espère que nous aboutirons à un texte par lequel nous montrerons le haut niveau d’ambition qui est celui de l’Assemblée nationale pour une Politique de voisinage refondée.

Mme Élisabeth Guigou, présidente. Je suis en parfait accord avec votre diagnostic et vos préconisations.

Mme Nicole Ameline. L’échec de la politique de voisinage est malheureusement patent et il est important de réagir. Je suis d’accord avec le texte que vous proposez. Peut-être faudrait-il actualiser le rapport que nous avions fait ensemble sur le SEAE, car sans vision politique et stratégique, la politique de voisinage est erratique. Il est essentiel que nous ayons des objectifs communs à l’Europe, même s’ils sont restreints, avec une vision commune.

En second lieu, il y a une urgence économique et politique sur le sud, sur lequel il faut insister. La réorientation de la politique de voisinage doit s’accompagner d’une nouvelle articulation des fonds d’intervention nationaux, européens et multilatéraux. Il faut aussi repenser la structure de l'aide au développement, car il y a une déperdition d’énergie. Il faut enfin refonder cette politique indispensable pour lui donner de l’efficacité. Elle est indispensable, cela doit être souligné pour la protection de nos intérêts et pour proposer un modèle soutenable vis-à-vis de nos périphéries.

M. Kader Arif. Je parlerai de manière sans doute plus brutale. Dans le débat sur la politique de voisinage, le sud a perdu par rapport à l’est : la répartition entre deux-tiers au sud et un-tiers à l’est n’a en fait jamais existée. L’Allemagne, entre autres, a beaucoup fait pour tourner cette politique en direction de ses intérêts à l’est et cela a contribué à un abandon de plus en plus perceptible du sud.

En second lieu, je suis d’accord avec l’idée de rapprocher politique de voisinage et politique d’aide au développement, mais celle-ci n’est pas budgétisée et la commission du développement du parlement européen n’a pas de mot à dire sur cette question ; il faut revenir sur cela et insister.

Ensuite, la prise en compte des « voisins des voisins » représente une approche juste mais, quand il y a eu des débats sur la Libye au Parlement européen concernant le régime Kadhafi, il a été impossible de prendre des sanctions. La Libye nous servait alors à nous protéger des migrants d'Afrique subsaharienne et on lui a demandé de régler la question sur son sol avant qu’ils ne soient en mer.

Il faut aussi rapprocher la politique de voisinage de la politique commerciale. Cela a été oublié. Quand la Commission a proposé les accords de partenariats économiques, on est allé à l’échec compte tenu de l’hétérogénéité des pays concernés et de l’absence de compensation des pertes de recettes subies. Les intérêts de l’UE ont toujours été défendus, de sorte que l’impact sur le développement des partenaires n’est pas évident.

Enfin, s’agissant du SEAE, il faut faire attention : il a été affaibli par la volonté des États membres et la marge de manœuvre est réduite pour la Haute représentante. Il faudrait aussi s’appuyer sur les commissions du Parlement européen pour une parole démocratique plus forte.

M. Guy-Michel Chauveau. C’est un excellent rapport. En ce qui concerne la politique de voisinage, l’association avec la société civile et la coopération décentralisée, avec les acteurs locaux d’une manière générale, sont essentielles et n’ont pas été assez prises en compte jusqu’à aujourd’hui.

Pour ce qui est des « voisins des voisins », tout le monde reconnaît maintenant la faillite de cette politique car on n’y a pas associé ceux avec qui on aurait dû travailler. Il y a l’exemple de la Russie, mais il y en a d’autres aussi. Il faudrait insister sur la Méditerranée et le flanc sud, plus que ne le fait le rapport de Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort – Michel Vauzelle le dit souvent, à juste titre. Il faudrait compléter l’axe « 5 + 5 » pour en faire un axe « 5 + 5 + 5 » qui inclue le sud du Sahara. Sur les problématiques sahéliennes, on a vu que divers pays européens ne se sentaient pas concernés. Si on avait eu cette politique des « voisins des voisins », les choses auraient été sans doute différentes.

Enfin, en ce qui concerne le SEAE, il y a aujourd’hui une lettre de mission sur la réforme, nécessaire, et sur les stratégies à mener. Vis-à-vis du sud, quand il n’y a pas de quantitatif, il faut mettre du qualitatif ; mais ce n’est pas le cas.

M. Jacques Myard. Il y a ambigüité car l’ambiguïté vient de l’Union européenne elle-même ! Jacques Delors nous a dit ici même qu’il n’y aurait jamais de politique étrangère commune car l’Europe puissance est un mythe. Il avait raison. La politique de voisinage est un ersatz de politique étrangère. Ça ne peut fonctionner car, à 28, et même à 6, on n’est pas d’accord sur les crises ; la politique étrangère est l’affaire des États, pas de l’UE.

S’agissant de la politique d’aide au développement, elle a été corrélée avec le voisinage des pays en crise. L’UE est devenue une vache à lait, qui ne cesse par exemple de reconstruire sans arrêt ce qui est régulièrement détruit à Gaza. L’ambigüité relève donc de l’UE elle-même : elle est tout à fait légitime sur des questions comme l’ouverture des marchés, mais sur le traitement des crises et le développement, il faut faire autre chose de plus efficace en rapatriant les financements de la politique de voisinage au niveau des États dans une politique multi-bilatérale. Sinon, on n’y arrivera jamais, car le problème est structurel.

M. Christophe Premat. Je suis d’accord avec la clarification que propose ce rapport après un diagnostic radical. La politique de voisinage contribue à l’invisibilité de la politique extérieure de l’UE, qui se situe aussi au niveau des ambigüités lexicales. La proposition fait par exemple la distinction entre partenariat et élargissement. Il y a eu aussi le partenariat privilégié, dont la Turquie n’a jamais voulu, pour cette raison. Le rapport à l’adhésion est donc fondamental et il y a malheureusement beaucoup d’ambiguïtés lexicales. Comment appréhender ces questions ? La proposition de résolution va dans le sens d’une clarification opportune que je salue.

M. Philip Cordery. Je voudrais revenir sur le principe de différenciation, car il doit y avoir une différence entre les pays de l’est et ceux du sud, qu’on ne peut pas traiter de manière équivalente. En ce sens, la politique méditerranéenne est du devoir de la France, car personne ne la fera à sa place. Il est essentiel de recentrer les priorités. La politique de voisinage c’est de la stabilité, de la sécurité, des partenariats économiques. Il y a par exemple la politique énergétique à renforcer.

Enfin, en ce qui concerne l’élargissement, les idées de François Mitterrand sur les cercles concentriques restent d’actualité et doivent être remises à l’ordre du jour, car les vocations des différents pays vis-à-vis de l’UE sont différentes. Cela étant, je regrette que l’amendement 2 du rapporteur réécrive toute la proposition initiale. On aurait pu préférer de simples ajouts, qui auraient mieux rendu compte de la qualité du travail fait par Marie-Louise Fort et Joaquim Pueyo en commission des affaires européennes.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. La commission des affaires européennes pourrait sans doute se rapprocher de nous en amont, au lieu de nous envoyer des textes que nous découvrons ; cela éviterait une réécriture complète. Ce n’est pas la première fois qu’un tel cas se présente. Parfois nous avons laissé passer, mais là le sujet est trop important. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer à la présidente de la commission des affaires européennes, notre commission n’est pas une commission d’enregistrement.

M. Jean-Pierre Dufau. Je partage totalement les objectifs tels qu’ils ont été clarifiés par le rapporteur, en particulier la nécessité d’une unité de la stratégie de voisinage, mais aussi d’une mise en œuvre différenciée. Il convient également de faire la distinction entre la notion de partenariat et celle d’élargissement, afin d’éviter des situations où chacun n’entend que ce qu’il souhaite.

Il faut aussi insister sur la question de la répartition des fonds, dont les deux tiers doivent aller aux pays du sud. Lorsque l’Union pour la Méditerranée a été lancée, chacun se souvient de la réaction des pays du nord de l’Europe qui voulaient être totalement associés, considérant que cette politique ne devait pas concerner uniquement les pays riverains, mais l’Europe entière. Il faut traduire ces discours en actes.

Le fait que l’Europe ait dicté ses conditions lors de la négociation des accords de partenariat et de coopération avec d’autres pays, notamment en Afrique, présentant les accords comme à prendre ou à laisser, explique l’échec de cette politique placée sous l’autorité de la direction générale du commerce de la Commission européenne. Nous devons repartir sur de nouvelles bases, comme le propose cette résolution européenne.

Quant à la nouvelle forme de coopération inventée par Jacques Myard, à la fois multi et bilatérale, il faut reconnaître que notre aide au développement se perd parfois dans l’anonymat. Il conviendrait parfois de la réorienter vers une action bilatérale beaucoup mieux identifiée. L’argent étant rare, il conviendrait d’engager une réflexion sur cette question.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Sur la longueur de l’amendement 2, qui commence à l’alinéa 9 pour aller jusqu’à la fin de la proposition de résolution, je voudrais dire qu’il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur le travail accompli par Joaquim Pueyo, Marie-Louise Fort et plus généralement la commission des affaires européennes. Cela traduit plutôt la volonté de vous proposer un ensemble cohérent au lieu d’une multitude d’amendements ponctuels. J’ai dit à quel point le diagnostic de nos collègues me paraît juste, en ajoutant seulement quelques éléments complémentaires dans mon propos.

Nicole Ameline soulignait la nécessité de réécrire le rapport sur le SEAE qu’elle avait précédemment co-écrit. C’est probablement nécessaire au vu des développements récents.

Vous avez été nombreux à insister sur le sud. C’est pour cette raison que je souhaitais mettre l’accent sur la différenciation, qui vaut autant entre l’est et le sud qu’entre pays. On ne peut pas considérer de la même manière des régions aussi différentes.

S’agissant des notions de partenariat et d’élargissement, tant que l’on choisira de ne pas choisir et que l’on projettera une sorte de halo étrange en la matière, en laissant entendre que le partenariat est une sorte d’antichambre de l’élargissement, on ne prendra pas les décisions qui s’imposent et l’on ne mènera pas les politiques nécessaires. L’élargissement conduit à balayer un spectre considérable de sujets, alors qu’il faudrait se recentrer sur des priorités moins nombreuses mais plus fortes afin d’éviter le saupoudrage. Philip Cordery a raison de dire que l’une d’entre elles devrait être la politique de l’énergie, en particulier avec les partenaires du sud.

Le sud a-t-il perdu par rapport à l’est ? Il a certainement moins bénéficié de la politique de voisinage qu’il n’aurait dû. Mais la répartition « deux tiers/un tiers » a-t-elle jamais vraiment existé ? C’est une règle ardemment défendue par la France, mais je n’ignore pas, comme l’observait Kader Arif, les jeux d’influence, notamment au sein de la Commission.

Il faut bien sûr rapprocher la politique de voisinage et celle de développement. A défaut de budgétisation, en effet, il est très difficile d’avoir le contrôle parlementaire qu’il faudrait. Il faut aussi un rapprochement avec la politique commerciale. On ne peut pas se permettre des logiques de silos parallèles à destination des mêmes zones.

L’absence d’association des sociétés civiles est peut-être l’un des défauts les plus marquants de la politique de voisinage. On ne parle pas aux gens et, au-delà des sociétés civiles, à tous ceux qui font vivre l’économie, la société, la culture dans chacun de ces pays. On ne peut pas en rester à un exercice « top-down ». L’association des sociétés civiles, mais aussi des collectivités locales, me paraît l’accroche d’une politique de voisinage refondée.

On n’a pas assez pris en compte les « voisins des voisins », à l’évidence. Je n’ai parlé que de la Russie, afin d’être concis, mais j’aurais pu parler aussi du Sahel.

Pour Jacques Myard, la politique de voisinage est vouée à l’échec parce qu’il s’agit d’un ersatz de politique étrangère européenne, laquelle par définition ne peut pas exister. C’est un débat qui n’est pas médiocre mais sur lequel nous pourrions sans doute être d’accord sur notre désaccord. Je ne crois pas que la politique de voisinage soit condamnée à l’échec. Une politique recentrée sur des priorités moins nombreuses et affichant clairement la couleur peut être couronnée de succès. Mais cela implique des changements majeurs.

Christophe Premat a évoqué la question des ambiguïtés lexicales et s’est interrogé sur la définition du partenariat privilégié. Il faudrait peut-être commencer par dire aux pays de l’extrême est de l’Europe, en particulier dans le Caucase, que la perspective d’une candidature n’est pas proche, ni même peut-être souhaitable à ce stade, pour nous comme pour eux, et qu’il est possible de réaliser dans le cadre de la politique de voisinage les pas nécessaires, notamment le développement de l’économie. Si j’ai mis l’accent sur cette question, c’est qu’il y a l’emploi derrière elle, en particulier l’emploi des jeunes. Cela me paraît plus efficace qu’une perspective fumeuse, lointaine et arbitraire d’entrée dans l’Union.

Comme Philip Cordery l’a rappelé, la Méditerranée et le sud en général ne sont pas la priorité de tous. Il ne faut pas se cacher derrière la réalité. C’est le rôle de la France et de ce Parlement de mettre l’accent sur une préoccupation et des objectifs méditerranéens.

La théorie des cercles concentriques, qui nous ramène à l’époque du Président Mitterrand, après la chute du mur de Berlin, reste profondément actuelle.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je partage les vues du rapporteur. Il me semble pour ma part que la politique de voisinage doit répondre à quatre exigences.

La première, c’est la clarification entre voisinage et élargissement, à l’est et au sud. Il faut certes se résigner à un certain flou car nous ne pouvons dénier à des pays souverains le droit d’avoir des aspirations européennes, mais il faut aussi savoir adapter notre politique à ceux qui n’ont pas vocation à intégrer l’Union européenne, ou ne le souhaitent pas. Raison de plus pour entretenir un véritable partenariat. C’est une des raisons fondamentales pour lesquelles on ne peut traiter de la même façon est et sud. A l’est, les pays des Balkans ont vocation à devenir des États membres de l’Union, cela a été confirmé par plusieurs conseils européens. Encore faut-il qu’ils puissent remplir les conditions. La Turquie, même si cela est parfois contesté, est aussi engagée dans le processus d’adhésion. Pour les autres, tout dépend des conditions géopolitiques. L’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie sont des pays européens, qui peuvent donc être considérés comme de possibles candidats à l’adhésion. A l’Union européenne d’apprécier si cela est possible et souhaitable, en fonction de facteurs géostratégiques tels que l’évolution de nos relations avec la Russie.

Il y a par ailleurs une question de méthode. L’Union européenne doit définir des priorités qui ne peuvent se limiter à la seule politique commerciale, ou aux investissements croisés. Il me semble également crucial de se concerter d’avantage avec nos partenaires, leurs sociétés civiles.

Troisièmement, l’articulation de la politique de voisinage avec la politique de développement et la politique extérieure et de défense commune doit être renforcée. Cela pose un problème de financement, car il ne faudrait pas que l’aide apportée à l’Ukraine, au demeurant légitime, se fasse au détriment des crédits apportés au sud. Pourquoi les outils de financement de la BEI sont-ils par exemple adaptés au sud ? C’est une vraie question. Je ne reviens pas sur la question fondamentale des « voisins de nos voisins », mais aussi veiller à l’équilibre entre notre voisinage est et sud, ou encore adapter nos outils à un monde qui change.

Enfin, la nouvelle stratégie que nous devons définir devra s’articuler autour de quelques priorités et donner lieu à des initiatives concrètes et tangibles, auxquelles il faut donner le plus de visibilité possible, dans des domaines qui répondent à de réels besoins tels que l’énergie, la circulation des personnes.

Il est évident que l’on ne peut traiter ces questions de manière univoque et bureaucratique, sans vision stratégique. La prise de conscience est là, reste à la traduire dans les faits et à encourager Federica Mogherini, qui a clairement marqué sa volonté de coordonner l’action des différents commissaires, à s’en donner les moyens. Ce n’est pas demain que l’Union européenne sera dotée d’une politique étrangère, il faut se garder de faire de grandes déclarations sur le sujet. La remise à jour des travaux de M. Solana devrait y contribuer.

Enfin, en termes de méthode, il me semble qu’il serait judicieux de travailler en meilleure intelligence avec la commission des affaires européennes. Je ne doute pas que nous puissions à l’avenir mieux coordonner nos travaux sur des sujets qui concernent nos deux commissions. Cela nous évitera des malentendus. Je remercie notre collègue pour l’important travail qu’il a effectué.

La commission est saisie de l’amendement AE1.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Mon premier amendement est très court, il vise à faire mention du document «  Une Europe sûre dans un monde meilleur – Stratégie européenne de sécurité » du 12 décembre 2003 rédigé sous l’autorité du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.

M. Jacques Myard. Simple remarque formelle, les visas ne peuvent viser que des textes législatifs, des traités, non des documents administratifs.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. N’est-ce pas là une approche trop bureaucratique ? En matière de textes européens, il me semble que nous ne sommes pas tenus par de telles règles.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Le paragraphe suivant du texte initial fait état des communications de la Commission européenne. Il me semble utile de mentionner ces documents importants.

La commission est saisie de l’amendement AE2.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Le deuxième amendement vise à reprendre l’essentiel des préconisations de la proposition de la commission des affaires européennes, tout en y ajoutant notamment la nécessité de coordonner politique européenne de voisinage et politique de développement ainsi que la question du nécessaire leadership politique, qui devrait reposer sur la Haute représentante. Par ailleurs, la rédaction enrichit les considérants de la résolution. 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements AE1 et AE2.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte la proposition de résolution européenne (n° 2772) ainsi modifiée.

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Examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (n° 2184) – M. Philip Cordery, rapporteur.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous examinons, sur le rapport de M. Philip Cordery, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.

M. Philip Cordery, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes saisis d’un accord entre la France et la Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Tournai le 18 mars 2013. Une fois qu’il sera entré en vigueur, ce texte remplacera et abrogera un précédent accord avec la Belgique, signé le 5 mars 2001. Je commencerai par vous présenter le cadre actuel de la coopération avec notre voisin belge, puis les raisons qui ont conduit à négocier un nouvel accord, avant d’exposer les principales avancées qui sont attendues de ce texte.

La coopération transfrontalière entre la France et la Belgique repose aujourd’hui sur deux piliers principaux, qui ont été mis en place par l’accord de Tournai de 2001 : d’une part, un centre de coopération policière et douanière (CCPD), installé à Tournai ; d’autre part, le développement d’une coopération directe entre les services, y compris au niveau des unités opérationnelles.

Le CCPD de Tournai fonctionne comme un service d’échanges d’informations et de coordination dans la zone frontalière, sans avoir vocation à effectuer de manière autonome des interventions à caractère opérationnel. Le CCPD contribue par ailleurs à la préparation et à l’exécution des opérations de remise d’étrangers en situation irrégulière, à l’aide à la préparation et au soutien des observations et des poursuites transfrontalières prévues dans le cadre de la convention d’application de l’accord de Schengen, ainsi qu’à la coordination de mesures conjointes de surveillance.

Le centre fonctionne 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Les effectifs déployés à Tournai sont au nombre de 43, dont 28 fonctionnaires français et 15 agents belges. Un renfort de deux agents belges supplémentaires a été décidé en 2013, mais cette mesure reste à mettre en œuvre. En ce qui concerne l’activité du CCPD, la répartition des saisines entre la France et la Belgique tend à s’équilibrer, alors que les saisines étaient aux deux tiers d’origine belge en 2013. Elles concernent pour l’essentiel les infractions contre les biens, les infractions routières et les stupéfiants.

Outre la création du CCPD de Tournai, l’accord de mars 2001 a consacré la possibilité d’une coopération directe entre les services – police nationale, gendarmerie nationale et douane pour la partie française ; police locale, police fédérale, administration des douanes et accises pour la partie belge.

L’accord prévoit notamment des contacts périodiques, le détachement réciproque d’agents de liaison, ainsi que des consultations régulières pour élaborer et mettre à jour des schémas d’intervention commune de part et d’autre de la frontière, pour mettre au point des plans de recherche, pour organiser des patrouilles mixtes, de même que pour programmer des exercices frontaliers communs.

Le premier accord de Tournai a été complété par un échange de lettres signées à Paris et à Bruxelles le 10 juin 2002 pour la mise en œuvre des patrouilles mixtes transfrontalières. Cet échange de lettres autorise les agents concernés, tant français que belges, à porter leur uniforme national ainsi que leurs armes de service et à en faire usage en cas de légitime défense.

L’utilité d’un cadre rénové pour la coopération transfrontalière entre la France et la Belgique s’est imposée au regard de deux évolutions distinctes.

La première évolution est la perception d’un regain de délinquance en zone frontalière durant la période 2010-2012, avec un certain nombre de faits divers qui ont particulièrement frappé l’opinion publique et les acteurs locaux, en particulier dans la zone frontalière autour de Lille, Courtrai et Tournai.

Une deuxième raison qui a poussé à adapter et à renforcer le cadre juridique établi en 2001 est le développement, depuis une dizaine d’années, de nouveaux outils juridiques, plus ambitieux, dans le cadre d’autres accords de coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signés plus récemment que l’accord de 2001 avec la Belgique, mais aussi dans le cadre de l’Union européenne. Sur ce point, permettez-moi de vous renvoyer à mon rapport écrit.

L’accord qui nous est soumis a été négocié en quelques mois, à la suite d’une rencontre à Paris, le 5 septembre 2012, entre Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, et Joëlle Milquet, qui était vice-première ministre belge et ministre de l’intérieur. Le nouvel accord a finalement été signé à Tournai le 18 mars 2013 par ces deux mêmes ministres.

Il s’inscrit dans le cadre plus large d’un plan d’action qui a été approuvé le même jour et dont la mise en œuvre devait permettre de renforcer la coopération dans la zone frontalière en attendant la ratification du nouvel accord de Tournai.

En termes de volume de projets, 75 % des mesures envisagées dans le cadre de ce plan d’action ont été réalisés, en particulier l’analyse de la délinquance transfrontalière dans quatre bassins traversant la frontière, au moyen d’un suivi mensuel, le développement des patrouilles mixtes, la promotion de la coopération directe, le développement de doctrines communes de gestion des incidents, ou encore la mise en place de colloques sur des problématiques communes, telles que la lecture automatisée des plaques d’immatriculation.

J’en viens aux stipulations les plus significatives du nouvel accord qui nous est soumis. Il comporte plusieurs avancées importantes qui devraient permettre de renforcer le centre de coopération policière et douanière de Tournai, de développer davantage la coopération directe dans la zone de compétence commune, notamment les patrouilles mixtes, et d’améliorer les capacités opérationnelles des services et unités concernés.

En ce qui concerne le centre de Tournai, son implantation est confirmée, même si la porte n’est pas fermée à la création d’autres CCPD franco-belges, ni à la modification de leur localisation par la voie d’accords d’exécution ou d’arrangements techniques. A ce stade, l’évaluation des besoins n’a pas conduit à remettre en cause le dispositif actuel, qui repose sur deux centres, celui de Tournai et celui de Luxembourg. Pour des raisons d’efficacité, les acteurs de terrain sont d’ailleurs opposés à la multiplication des CCPD.

Outre celui de Tournai, proprement bilatéral, il existe en effet un autre centre qui associe la France, la Belgique, l’Allemagne et le Luxembourg. Il s’agit du CCPD quadripartite de Luxembourg, créé par un accord de 2008 que nous avons examiné en mai dernier, sur le rapport de notre collègue André Schneider.

L’accord qui nous est aujourd’hui soumis consacre de nouvelles missions confiées au CCPD de Tournai en matière de veille et d’anticipation des phénomènes criminels, ainsi qu’en matière de rapprochements d’informations. Le nouvel accord de Tournai établit aussi de manière précise les modalités selon lesquelles les données à caractère personnel sont collectées, consultées, exploitées, transmises, conservées et protégées dans le cadre d’un fichier commun, en apportant des garanties utiles sur tous ces points.

En ce qui concerne la coopération directe, l’accord de 2013 élargit tout d’abord la « zone de compétence commune ». Du côté français, outre l’Aisne, les Ardennes, la Meurthe-et-Moselle, la Meuse et le Nord, directement limitrophes du territoire belge, la « zone de compétence commune » est étendue à 4 départements supplémentaires : la Marne, la Moselle, le Pas-de-Calais et la Somme. Ces départements ont été choisis dans une logique de traitement global de la délinquance en zone frontalière, avec le souci de conserver une aire géographique cohérente et d’éviter une dilution de la spécificité de la zone transfrontalière. Du côté belge, la « zone de compétence commune » comprend l’ensemble du territoire, alors que l’accord de 2001 se limitait aux provinces de la Flandre occidentale, du Hainaut, de Namur et de Luxembourg.

Il faut noter que la compétence géographique du CCPD de Tournai est un peu plus restreinte. Du côté français, elle englobe certes l’ensemble des 9 départements que j’ai cités, mais elle est limitée du côté belge aux 4 provinces limitrophes initialement concernées en 2001.

L’article 13 du nouvel accord, relatif aux patrouilles communes, permettra aux agents d’une Partie présents de l’autre côté de la frontière d’exercer des prérogatives de puissance publique, sous la direction et en présence d’agents de la Partie sur le territoire de laquelle la patrouille a lieu.

Un agent présent de l’autre côté de la frontière pourra appréhender une personne prise en flagrant délit de commission ou de participation à la commission d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement, sans la présence d’agents du territoire concerné. La personne appréhendée devra ensuite être remise aux autorités territorialement compétentes.

L’article 14 autorise l’intervention, de l’autre côté de la frontière, de la patrouille la plus proche en cas d’urgence ou d’accidents graves mettant en cause des personnes ou des biens et nécessitant une intervention rapide des forces de police.

Les possibilités de déplacement de part et d’autre de la frontière sont également renforcées. Si l’agencement des voies de circulation l’exige, les agents d’une Partie pourront circuler sur le territoire de l’autre Partie, jusqu’à ce qu’ils puissent faire demi-tour. Des policiers qui auront effectué une arrestation sur l’autoroute à proximité de la frontière pourront ainsi franchir cette frontière afin de prendre la sortie la plus proche. En cas de besoin, il sera également possible de traverser le territoire de l’autre Partie pour se rendre d’un point à l’autre de son propre territoire. Cela permettra, par exemple, aux policiers belges d’éviter de contourner la botte de Givet.

L’article 25 invite à la recherche de synergies matérielles et logistiques entre les unités et services des deux Parties, notamment par la mise à disposition ou l’acquisition conjointe de véhicules et d’équipements, sur la base d’un accord d’exécution ou d’un arrangement technique.

Je me suis rendu ce lundi à Tournai pour visiter le CCPD, dont j'ai pu rencontrer notamment les responsables français et belges, ainsi que notre ambassadeur en Belgique, l'attaché de sécurité intérieure, le bourgmestre de Tournai, ainsi que le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais et celui du département du Nord. J'en retiens principalement six éléments.

Premièrement, le fait que l’accord de « Tournai II » répond à une attente forte des acteurs locaux au regard de l'ampleur des défis dans la zone frontalière. Ce texte permettra de mieux y répondre.

Ensuite, si les attentes sont importantes, il ne s'agit que d'un texte complémentaire d'autres formes de coopération, notamment en matière d'immigration et de lutte contre le terrorisme. Cet accord concerne principalement la petite et la moyenne délinquance dans la zone frontalière.

Troisièmement, il faut apporter des réponses mieux adaptées au développement de phénomènes nouveaux en lien avec la présence de la frontière, notamment un proxénétisme qui accueille de nombreux clients français et qui a tissé des connections avec le trafic de drogues et d'autres trafics encore, ainsi que la place importante de la Belgique dans la circulation des armes à feu.

Quatrièmement, il faudra veiller à consacrer des efforts en matière de personnel pour assurer une bonne application de ce texte. Il s'agira notamment d'assurer une formation des agents à la législation et aux pratiques en vigueur de l'autre côté de la frontière et de se rapprocher de la parité numérique dans les effectifs déployés au CCPD de Tournai par la Belgique et la France.

Cinquièmement, j'ai constaté que les acteurs locaux attendent désormais un accord de « Tournai III » pour franchir des étapes supplémentaires, en particulier l'octroi d'un pouvoir d'interpellation véritablement autonome aux agents étrangers, ce qui pose un problème constitutionnel en France, l’interconnexion des fichiers en matière de dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI), ce qui nécessiterait une harmonisation entre la CNIL et son homologue belge, la création de brigades anti-criminalité (BAC) mixtes transfrontalières et le développement d'un réseau de communication commun.

Enfin, au regard de ces différents éléments, je crois qu'il serait opportun de réaliser une première évaluation complète de l'application du présent accord de « Tournai II » dans un délai d'un an, pour formuler si nécessaire de nouvelles propositions en vue de renforcer encore la coopération bilatérale.

Mes chers collègues, voilà les principales observations dont je souhaitais vous faire part. Malgré certaines limites, le nouvel accord de Tournai permettra de rénover et de consolider le cadre de la coopération transfrontalière entre la France et la Belgique en matière policière et douanière. Ce texte confortera l’action des forces de police et des douanes françaises et belges, et il contribuera ainsi à améliorer la sécurité des populations vivant et travaillant de part et d’autre de la frontière.

La Belgique ayant achevé sa procédure d’approbation parlementaire dans de brefs délais, au mois d’avril 2014, il nous revient de faire de même sans tarder davantage. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie, cher collègue, pour cet important rapport. Nous traitons trop peu souvent de coopération transfrontalière. Son application en matière policière et douanière est évidemment un enjeu essentiel pour les populations concernées au premier chef.

M. François Loncle. Merci pour ce rapport. Dans le fond, c’est une démonstration allant à l’encontre de ceux qui critiquent l’espace Schengen et qui souhaitent sa transformation totale, voire sa suppression. Les règles de Schengen n’ont jamais empêché de tels accords, y compris quand ils sont aussi précis.

Existe-t-il le même type de dispositifs pour les autres frontières françaises, notamment celles avec l’Italie et l’Espagne ?

M. Christophe Prémat. Merci, Monsieur le rapporteur, pour votre exposé. Je n’ai que quelques questions à vous poser.

Il y a toujours eu, me semble-t-il, une organisation des douanes volantes assez efficace en termes de contrôles. Le développement de la coopération bilatérale a-t-il des conséquences en termes de transformation de notre outil douanier ?

S’agissant des patrouilles mixtes, que vous avez évoquées, est-il prévu d’aller plus loin en matière de mobilité du personnel et de formation ?

Enfin, concernant le transfert des données, même s’il n’y a pas de difficulté particulière, à condition d’une harmonisation entre la CNIL et son équivalent belge, y aura-t-il une adaptation à réaliser avec les règlements européens en cours de discussion ?

M. Philip Cordery, rapporteur. Il existe aujourd’hui dix centres de coopération policière et douanière à nos frontières – un avec la Suisse, un avec l’Allemagne, un avec la Belgique, quatre avec l’Espagne, deux avec l’Italie et un centre quadripartite situé à Luxembourg que j’ai mentionné tout à l’heure. Il y a donc une coopération intense avec nos voisins.

La particularité de la frontière franco-belge est qu’il n’existe ni montagne, ni fleuve. C’est une frontière urbaine, ce qui nécessite davantage de coopération en matière policière et douanière. On passe de l’autre côté de la frontière comme on passe de l’autre côté de la rue. C’est une des raisons pour lesquelles l’approfondissement de la coopération a paru nécessaire.

Comme l’observait François Loncle à juste titre, ce dispositif est basé sur les accords de Schengen. C’est une sorte de « Schengen + », prévoyant une plus grande coopération.

Les douanes ont dû se réorganiser depuis la disparition du dernier poste douanier entre la France et la Belgique, qui date d’il y a un an et demi, me semble-t-il. Une évolution était nécessaire, en particulier sur les axes menant aux Pays-Bas, qui constituent d’importants axes de trafic de drogue. L’article de l’accord qui permet aux services des douanes de continuer sur l’autoroute de l’autre côté de la frontière, jusqu’à la première sortie, présente un intérêt particulier, de même que l’extension de la coopération directe sur l’ensemble du territoire belge.

La question de la formation du personnel est essentielle. C’est le droit du pays où l’on se trouve qui s’applique. Un policier français opérant du côté belge devra respecter le droit et les pratiques d’interpellation de la Belgique.

Je voudrais saisir cette occasion de saluer tous les agents des services français et belges qui font un travail remarquable pour la sécurité de nos concitoyens de part et d’autre de la frontière. Les agents qui travaillent au CCPD de Tournai sont de vrais Européens. Des Français et des Belges, des services de police, de gendarmerie et de douanes vivent et travaillent ensemble, en très bonne intelligence.

L’utilité d’aller plus loin dans la coopération peut être illustrée par une récente descente de policiers français et belges à Bruxelles pour lutter contre le proxénétisme. On estime en effet que la moitié des clients est de nationalité française à Bruxelles. Voir un policier en uniforme français a un effet dissuasif beaucoup plus important sur eux.

S’agissant des échanges d’informations, je voudrais souligner qu’il n’y a pas à ce stade d’interconnexion des traitements dits « LAPI » de lecture automatisée des plaques d’immatriculation. Les acteurs de terrain le souhaitent, mais la loi ne le permet pas et cet accord ne l’autorise pas non plus.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte, sans modification, le projet de loi (n° 2184).

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 17 juin 2015 à 16 h 30

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Kader Arif, M. Philippe Baumel, M. Guy-Michel Chauveau, M. Philip Cordery, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Élisabeth Guigou, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. François Loncle, M. Jacques Myard

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, Mme Françoise Imbert, M. Patrice Martin-Lalande, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot