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Commission des affaires étrangères

Mardi 7 juillet 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n°94

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente

– Audition de Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du Développement (AFD).

– Informations relatives à la commission

Audition de Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du Développement (AFD).

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, c’est avec plaisir que nous accueillons à nouveau Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du développement, pour une audition aujourd’hui consacrée à la mise en œuvre de la stratégie opérationnelle de l’AFD. Je rappelle que l’activité de l’agence est encadrée par deux textes : d’une part, la loi d’orientation et de programmation promulguée il y a un an ; d’autre part, le contrat d’objectifs et de moyens signé à la fin de l’année dernière, qui donne à l’agence sa feuille de route pour les années 2014 à 2016.

Nous allons faire le point sur les réalisations de l’agence dans ce cadre, et je souhaite, madame, que vous concentriez votre propos sur trois sujets principaux. Le premier est celui des pays méditerranéens, tous confrontés à des défis très lourds en matière économique, sociale – qui ont, pour une grande part, été à l’origine des printemps arabes – et de sécurité. Nous souhaitons que vous nous parliez plus particulièrement de la Tunisie, qui a réussi sa transition politique et institutionnelle, mais doit encore entreprendre de difficiles réformes économiques et sociales pour devenir un modèle de développement : le processus de transition institutionnelle n’est pas encore tout à fait terminé, et les attentes sociales insatisfaites suscitent nombre de revendications. La Tunisie étant l’un des principaux États partenaires de l’AFD, pouvez-vous nous dresser un panorama des actions que votre agence y a entreprises, des financements que vous y consacrez, ainsi que du bilan et des perspectives que vous en tirez ?

Le deuxième sujet que je vous demanderai de développer est celui de l’Afrique subsaharienne, qui constitue le cœur de cible de notre politique d’aide au développement et de l’action de l’AFD et comporte également des défis considérables. À moins d’une semaine de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement qui va se tenir à Addis-Abeba, et à quelques semaines du sommet des Nations unies sur la définition des nouveaux objectifs du développement, pouvez-vous nous indiquer comment vous envisagez ces rendez-vous et quelles positions la France y défendra ?

Enfin, le troisième sujet que je souhaite voir aborder est celui des partenariats différenciés. Qu’ont-ils changé aux méthodes de l’agence, et quels sont vos engagements, notamment vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne et des seize pays pauvres que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet 2013 a définis comme prioritaires pour l’AFD ?

Par ailleurs, il serait intéressant d’approfondir la question du poids de la démographie, notamment en Afrique subsaharienne, que vous aviez commencé à évoquer lors de votre audition de mars dernier.

Je vous laisse maintenant la parole pour un exposé liminaire, avant que les membres de notre Commission ne vous posent quelques questions.

Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du Développement (AFD). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous nous sommes vus en décembre 2014, puis en mars 2015, pour une audition consacrée spécifiquement au climat et aux pays en situation de crise ou de post-crise. Aujourd’hui, je vais vous rendre compte de la mise en œuvre des orientations de la loi et du contrat d’objectifs et de moyens, qui décline les orientations de la loi pour 2014 et l’année en cours. À la veille de la conférence d’Addis-Abeba, j’évoquerai également le positionnement général de la France sur le financement du développement et son action bilatérale dans ce cadre.

En décembre 2014, je vous avais indiqué les chiffres prévisionnels de l’année 2014. Nous disposons désormais des chiffres définitifs et je suis donc en mesure de vous confirmer que la quasi-totalité des indicateurs du contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française de développement ont été atteints pour 2014 : vingt-six indicateurs sur vingt-neuf sont atteints ou dépassés ; deux sont très proches de la cible ; enfin, en ce qui concerne le montant des financements outre-mer, nous avons réalisé 1 548 millions d’euros au lieu des 1 500 millions d’euros prévus – la cible est donc manquée, mais par excès. Des documents reprenant l’ensemble des indicateurs 2014 vous ont été distribués, et je me tiens à votre disposition pour les commenter ou répondre à d’éventuelles questions.

D’une manière générale, la loi que vous avez votée l’année dernière nous confie un mandat de contribution à la promotion du développement durable. L’AFD, outil bilatéral de la France, a pour mission de faire émerger et de financer de nouveaux modèles de croissance. Qui contribuent à assurer davantage de paix et de prospérité dans le monde – et donc davantage de paix et de prospérité pour la France – tout en luttant contre la pauvreté et les inégalités. Mais qui privilégient des trajectoires de développement plus sobres en carbone et plus résilients, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique et à la préservation de l’humanité – car, comme l’a dit récemment Erik Orsenna, ce n’est pas tant la survie de la planète qui est en jeu, mais celle de l’humanité.

Pour faire émerger ces nouveaux modèles de croissance, nous avons mis en œuvre des partenariats différenciés, qui impliquent que l’on ne travaille pas avec les mêmes modalités, ni avec les mêmes outils financiers, avec tous les États : les leviers d’action que nous utilisons dépendent de leur niveau de développement et de leur proximité historico-géographique avec la France.

Concrètement, en 2014, sur un volume global d’autorisations de financement de 8,1 milliards d’euros, nous avons réalisé un petit milliard en Amérique latine et un milliard en Asie sur un mandat qui, dans le cadre de ces partenariats différenciés, est un mandat de « croissance verte et solidaire ».

C’est bien dans une logique de bénéfice mutuel que nous intervenons dans les pays émergents de ces régions - c’est-à-dire des pays à potentiel économique important et à croissance rapide - mais aussi dans les pays moins avancés (PMA), notamment le Bangladesh. Nous travaillons soit dans l’objectif d’avoir des impacts positifs sur le climat – 70 % de nos financements en Asie et en Amérique latine présentent un co-bénéfice d’atténuation au d’adaptation au changement climatique, en plus de leur impact de développement –, soit dans un objectif de promotion des normes sociales, en particulier des systèmes de protection sociale. Ainsi, l’année dernière, nous avons fait un prêt à la Colombie pour l’amélioration de son système de protection sociale, en particulier de l’assurance maladie. Je reviens justement de Colombie, où j’ai accompagné le Premier ministre et signé un prêt climat destiné à permettre à ce pays de financer des politiques répondant aux besoins économiques et sociaux tout en se rapprochant de modèles de croissance plus sobres en carbone.

Si l’aspect économique est important, lors de chacune de nos interventions en Asie et en Amérique latine, nous nous efforçons également de projeter l’expertise et le savoir-faire français car ces pays qui sont très en demande de France. Nous sommes un vecteur de la relation bilatérale et, autant que nos financements, c’est la relation avec la France et ses acteurs publics et privés que nos partenaires étrangers viennent chercher. Cela posera, dès 2016, la question du renouvellement de l’enveloppe de financement qui avait été mise à notre disposition par le ministère des finances dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens : cette enveloppe de 20 millions d’euros, intitulée « Fonds d’expertise technique et d’échanges d’expériences » (FEXTE) nous a été allouée une fois pour toutes, à titre expérimental, et constitue la seule ressource de l’agence pour financer de l’expertise, de la coopération technique, des bureaux d’études privés ou des assistants techniques, en Asie ou en Amérique latine. Ces 20 millions d’euros sont engagés pour des projets pré-identifiés à hauteur de 16 millions d’euros et, dès l’année prochaine, va se poser la question d’un éventuel renouvellement de notre capacité de financement d’expertise, qui constitue le nerf de la guerre dans les géographies où nous intervenons.

Nous avons en Méditerranée une activité de longue date, pour laquelle nous mobilisons tous les moyens disponibles. Alors qu’en Asie et en Amérique latine, nous travaillons avec des prêts peu, voire pas bonifiés – l’aide aux très grands émergents ne mobilise pas un euro provenant du contribuable français –, en Méditerranée – exception faite de la Turquie, considérée comme un très grand émergent –, nous travaillons avec des prêts de concessionnalité moyenne, adaptés notamment au niveau de développement du Maroc et de la Tunisie, et avec des subventions pour les territoires en situation de crise ou de post-crise, comme les territoires palestiniens. Nous y poursuivons des objectifs de création d’emplois et d’insertion de la jeunesse sur le marché du travail – une thématique essentielle pour la stabilité, y compris politique – et travaillons également à la cohésion sociale et à la préservation des ressources naturelles. En plus de ces grands axes communs à tous les pays de la Méditerranée, il existe des caractéristiques propres à certains pays.

La Tunisie, un pays exemplaire du point de vue de sa transition politique, où l’AFD est restée constamment mobilisée depuis les printemps arabes, est actuellement soumise à de graves menaces terroristes, mais aussi à des tensions et des défis économiques et sociaux. Dans ce pays, nous travaillons à la poursuite et à l’approfondissement des dispositifs de formation et d’insertion professionnelle, mais avons également mis en œuvre des projets d’appui aux collectivités locales, ainsi qu’un projet de développement rural à l’intérieur du pays ; ces deux types de projets visent bien à répondre à la disparité entre les territoires en favorisant la cohésion sociale et territoriale, notamment entre les territoires urbains et ruraux. En termes de volume, nous sommes en mesure de mettre en place en Tunisie des financements à hauteur de 170 millions d’euros de prêts souverains par an. Ce volume nous est permis par le renforcement des fonds propres que l’agence a reçus l’année dernière de la part du Gouvernement. C’est une évolution très positive par rapport à la situation antérieure, car nous étions complètement bloqués : compte tenu des règles prudentielles et bancaires s’appliquant à l’AFD, nous avons dû faire une année blanche en Tunisie en 2013, et aurions été limités à une cinquantaine de millions d’euros par an si le renforcement de nos fonds propres n’était pas intervenu.

Cela dit, à l’heure actuelle, nous ne pouvons pas aller au-delà de la somme de 170 millions d’euros en Tunisie – et il en est de même dans d’autres pays tels que la Colombie ou le Maroc –, les règles prudentielles qui s’appliquent à nous limitant le volume global de prêts que nous pouvons consentir en pourcentage de nos fonds propres. Avec 170 millions d’euros, nous faisons le maximum de ce que nous pouvons faire en Tunisie, et c’est bien plus que ce que nous aurions fait sans le renforcement de nos fonds propres.

Les partenariats différenciés, c’est aussi la priorité africaine. Notre mandat est large, puisqu’il va de la lutte contre la pauvreté à la promotion d’une croissance durable. Pour 2014, le montant total de nos financements en Afrique s’est élevé à 3,7 milliards d’euros, dont 2,5 milliards d’euros en Afrique subsaharienne. Ces montants sont en augmentation par rapport à l’année précédente et vont continuer à croître en 2015. Nous sommes donc bien sur le chemin que nous avions tracé et qui doit aboutir à un total de 20 milliards d’euros sur la période 2014-2018 pour le continent africain, conformément à l’engagement du Président de la République.

Outre les volumes, le deuxième élément traduisant la priorité africaine est celui de la concentration de l’effort provenant directement du budget de l’État, c’est-à-dire les subventions d’une part, les bonifications de prêts d’autre part, qui, conformément à la loi et au contrat d’objectifs, sont prioritairement dirigés sur l’Afrique. L’effort financier de l’État a été de 92 % en Afrique en 2014, c’est-à-dire plus que l’objectif de 85 % qui nous était assigné.

Tout ce que l’Agence peut faire en Afrique, elle le fait. Cela signifie que l’essentiel des dons va à l’Afrique, et que nous faisons feu de tout bois pour réaliser le maximum de volume en prêts. Le prêt n’est pas l’ennemi du don : il est bon pour les pays pouvant s’endetter de jouer à la fois sur le don et sur le prêt. Cependant, la capacité des pays à s’endetter a une limite. Certains, qui risquent de s’endetter trop lourdement, sont classés « orange » ou « rouge » au regard du cadre de soutenabilité de la dette et ne peuvent se voir accorder de nouveaux prêts en l’état, car il est hors de question que nous contribuions à les engager dans un nouveau cycle de surendettement et de désendettement.

Si nous ne faisons pas plus de prêts en volume à l’Afrique, ce n’est pas parce que nous faisons des prêts à l’Asie ou à l’Amérique latine, mais parce que les pays d’Afrique ne peuvent pas emprunter davantage : il n’y a pas de concurrence entre ce que nous faisons sur les différents continents. Aujourd’hui, la principale limite à notre activité en Afrique réside d’une part dans la taille de l’enveloppe de don, d’autre part dans la capacité d’endettement des pays concernés.

Le plus souvent possible, nous nous efforçons de nouer des partenariats permettant de projeter les acteurs et l’expertise française, y compris les acteurs publics. Récemment, j’ai signé un prêt avec la ville de Johannesburg pour un projet de développement urbain comportant des aspects sociaux et relatifs au climat, qui bénéficie du soutien des villes de Paris et Lille.

Il existe à l’intérieur de l’Afrique un sous-ensemble constitué des seize pays les plus pauvres, considérés comme prioritaires. L’objectif de concentration des subventions sur ces seize pays a été atteint, puisque nous avons consacré 71 % de l’enveloppe de subventions aux seize pays pauvres prioritaires (PPP), qui sont tous des pays africains situés au sud du Sahara, et quasiment tous francophones – cela représente 8 % de plus qu’en 2013. Les seize PPP, en plus des dons qu’ils reçoivent, bénéficient en plus pour certains de Contrats de désendettement et de développement (C2D), qui s’adressent cependant plutôt à des pays à revenu intermédiaire – par exemple, la Côte d’Ivoire et le Cameroun –, et de prêts. Au total, en 2014, notre activité auprès des PPP s’est élevée à 871 millions d’euros, en croissance uniquement grâce aux C2D et aux prêts – l’enveloppe de dons étant, elle, stabilisée. Nous ne pouvons pas augmenter les volumes d’intervention concernant ces pays, du fait des limites à leur capacité d’endettement et de la stabilité de l’enveloppe de dons.

Certains des pays en crise se trouvent parmi les seize pays pauvres prioritaires, et sont donc inclus dans les chiffres que je viens d’évoquer. D’autres n’y sont pas : chaque année, on en compte quatre ou cinq en plus des PPP, qui émargent sur l’enveloppe de dons du programme 209.

D’une manière générale, la loi nous invite à contribuer directement au rayonnement de la France. Nous le faisons au moyen de la contribution à l’influence économique. La feuille de route mise en œuvre en 2014 et 2015 prévoit une concertation renforcée et systématique avec les entreprises françaises à tous les niveaux, de la direction générale jusqu’aux équipes techniques, au siège et en agence, au cours de rencontres thématiques. Hier, j’ai ouvert l’une de ces rencontres avec le Syndicat des énergies renouvelables et Business France, qui faisait suite à la conclusion d’un partenariat rapproché avec l’un et l’autre.

En pratique, nous avons atteint et même dépassé l’objectif de positionnement des entreprises françaises sur les appels d’offres internationaux que nous finançons. En 2014, 82 % des marchés financés par l’AFD et ayant fait l’objet d’un appel d’offres international ont donné lieu au dépôt d’au moins une offre française – et nous espérons être dans un trend croissant, même si nous sommes déjà situés à un niveau très élevé.

Cette contribution à l’influence économique se fait aussi en promouvant l’expertise. Comme je vous l’ai dit, nous avons quasiment utilisé en deux ans l’enveloppe de 20 millions d’euros dédiée à l’Asie et à l’Amérique latine. Ailleurs, c’est-à-dire en Afrique et en Méditerranée, le financement de l’expertise s’impute sur l’enveloppe de dons-projets de 200 millions d’euros, qui doit également aller aux seize pays pauvres prioritaires pour plus des deux tiers, et aux pays en crise pour 10 %.

Nous menons également une action très déterminée en matière de partenariats. Le premier exemple que je peux vous en donner consiste à développer des partenariats de recherche avec les acteurs français de la recherche en développement. L’année dernière, nous avons renforcé notre partenariat avec le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), avec lequel nous menons des actions communes, à la fois opérationnelles et de recherche. Par ailleurs, je suis en discussion avec la nouvelle équipe à la tête de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) dans le but de renouer un partenariat plus substantiel. Cela ne nous interdit pas, tout au contraire, de travailler également avec les chercheurs du Sud ou d’autres pays européens.

Nous avons signé en 2010 une dizaine de nouveaux accords avec des collectivités territoriales et allons en signer autant en 2015, afin de valoriser leurs actions ou celles de leurs opérateurs. Là encore, notre action relève aussi de l’influence économique ou de la promotion de normes environnementales et sociales. Syndicats des eaux, agences d’urbanisme et parcs naturels régionaux sont autant d’acteurs publics répondant directement à la demande de nos partenaires, qui souhaitent être mis en relation avec des acteurs français.

L’influence de la France, c’est aussi celle qu’elle exerce sur l’agenda international du développement et auprès des autres bailleurs. En appui au ministère des finances et au ministère des affaires étrangères, nous apportons notre contribution à la structuration du Fonds vert, auprès duquel nous espérons être très prochainement accrédités en tant qu’institution pouvant servir de relais pour mettre en œuvre les fonds du Fonds vert. Le cas échéant, nous mettrons ces fonds en œuvre dans le cadre des priorités que vous avez fixées dans la loi en termes de géographie, de pays et de thématiques prioritaires.

Par ailleurs, nous contribuons à la modernisation des facilités européennes. L’Union européenne va annoncer à Addis-Abeba une augmentation probablement forte – on parle d’un quadruplement – des facilités, notamment celle pour l’Afrique ; j’y vois la preuve que ces facilités fonctionnent et créent des effets de levier à partir des financements provenant des dons de l’UE, mais aussi d’institutions publiques telles l’AFD ou l’une des agences allemandes d’aide au développement, la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW), ou encore d’autres institutions extra-européennes et de financements privés.

Plusieurs thématiques figurent au centre de la loi et concernent à la fois les sujets du développement durable et de la transparence. Notre objectif qu’au moins 50 % de nos financements en subventions et prêts dans les États étrangers aient un co-bénéfice climat est désormais atteint. Nous avons également renforcé notre approche « genre » : en 2014, plus de la moitié de nos projets avaient un objectif explicite sur le genre. Par ailleurs, comme elle s’y était engagée, l’AFD a mis en place un dispositif systématique d’avis « développement durable » dans le cycle d’instruction de ses projets, ce qui constitue une originalité par rapport à d’autres bailleurs.

Nous avons été certifiés A+ par le Global Reporting Initiative (GRI) pour notre politique de responsabilité sociale des organisations. De même, l’année dernière, nous avons été notés très favorablement lorsque nous avons procédé à une émission obligataire « climat ». Pour ce qui est de la transparence, nous avons engagé une politique de mise à jour très volontariste en accroissant considérablement le champ des informations fournies, d’ores et déjà données au format IATI (International Aid Transparency Initiative) sur l’Afrique et la Méditerranée. De ce fait, nous avons amélioré la note que nous attribue l’organisation Publish What You Fund (Publiez ce que vous financez), passée de poor (médiocre) à fair (correct), et nous espérons faire encore mieux après ce premier progrès.

Nous pouvons donc considérer nous être pleinement inscrits dans la mise en œuvre des orientations de la loi. Nous l’avons fait avec un effort particulier de maîtrise du budget. Nous avions même un objectif de montant de résultat net, que nous avons atteint en 2014, avec une augmentation du résultat de 30 %. La mise en réserve de ce résultat à hauteur de 80 % nous permet de renforcer nos fonds propres et d’agir davantage en Tunisie, au Maroc ou en Colombie, par exemple.

Pour 2015, les tendances sont bonnes et s’inscrivent dans la continuité de nos résultats actuels. Nous visons une activité globale de 8,3 milliards d’euros. Les montants d’autorisations d’engagements inscrits en loi de finances 2015 sont stables pour les dons-projets. Comme vous le savez, il s’agit d’un arbitrage au sein d’un programme que vous votez globalement, l’une des lignes de ce programme nous étant ensuite attribuée. Les engagements de stabilité sur cette enveloppe pour la part qui nous est déléguée par le ministère des affaires étrangères ont été respectés ; quant aux enveloppes de bonification qui, elles, font partie du programme 110 du ministère des finances et de la ressource à condition spéciale (RCS), l’hypothèse sous-jacente du contrat d’objectifs et de moyens était que cette ressource resterait stable. En pratique, en 2015, il y a 50 millions d’euros de moins sur la RCS – 400 millions d’euros au lieu des 450 millions d’euros sur lesquels reposait le contrat d’objectifs et de moyens. La bonification, elle s’établit bien au niveau prévu, soit 250 millions d’euros.

En dépit des 50 millions d’euros qui nous manquent, nous avons réussi, au prix d’un travail d’horloger, à élaborer pour cette année une prévision d’activité qui remplira tous les objectifs, à savoir les volumes Afrique et les 20 milliards pour le continent, la priorité donnée aux seize pays pauvres prioritaires, et les objectifs climat. Je peux vous assurer que faire tout cela avec 50 millions d’euros de ressources de bonification en moins n’a pas été évident – et que si nos ressources devaient faire l’objet d’un gel, nous n’y arriverions plus, comme nous l’avons dit à nos deux ministères de tutelle, notamment à Bercy.

J’en viens à la conférence d’Addis-Abeba et à notre place dans le financement global du développement. L’année 2015 verra se succéder trois séquences d’événements : Addis-Abeba dans quelques jours, le sommet spécial de l’ONU sur le développement durable en septembre à New York, enfin la COP21 qui s’ouvrira à Paris le 30 novembre. La cohérence de ces trois agendas doit être soulignée. L’idée consiste à trouver des chemins de développement et de croissance répondant aux besoins économiques et sociaux – on ne parle pas de croissance zéro pour les pays du Sud –, d’une manière favorisant la cohésion sociale et tout en préservant l’avenir de la planète. En pratique, on peut concilier développement et lutte contre le changement climatique, comme le prouve toute l’action de l’AFD – je vous renvoie à notre réalisation de 53  % de projets à co-bénéfice climat.

Nous devons donc avoir une approche globale du financement du développement, intégrant l’aide publique au développement (APD) dans un ensemble plus vaste. L’ensemble du financement de l’agenda du développement durable comprend l’APD, mais aussi des financements bilatéraux et multilatéraux, publics et privés, du Nord et du Sud. Pour cela, nous devons nous appuyer sur les acteurs locaux et produire un effet levier optimal sur chaque euro du contribuable, afin de multiplier le volume des financements pour le développement. Les acteurs locaux, les collectivités locales, les États, mais aussi les banques locales et les banques régionales des pays dans lesquels nous travaillons, constituent des relais pour mettre en œuvre un développement efficace au plus près des besoins, mais aussi pour produire la mobilisation et les effets de levier que nous recherchons.

Je vous ai parlé des mixages prêts-dons de l’Union européenne. Entre 2007 et 2014, 2 milliards d’euros de dons des facilités européennes ont mobilisé 19 milliards d’euros de financements d’institutions européennes telles que l’AFD, la KFW ou la Banque européenne d’investissement (BEI) et, parallèlement, 23 milliards d’euros de financement provenant d’organismes extérieurs, publics ou privés. Comme vous le voyez, les effets de levier sont bien réels, et doivent être mis en œuvre dans tous les secteurs de l’aide au développement, y compris dans le cadre du Fonds vert. Il faut promouvoir une vision large des financements qui permet avec un euro du contribuable de mobiliser des financements publics et privés – à travers des partenariats publics privés ou l’entreprenariat social (sujet sur lequel nous avons beaucoup fait depuis 2014) ; une vision qui permet de valoriser et de s’appuyer sur l’ensemble des ressources et des acteurs.

Je suis convaincue que les priorités thématiques ou géographiques de la France ne peuvent être durablement portées dans le cadre de cet agenda international et sur le terrain que si nous disposons pour cela d’un outil bilatéral suffisamment fort. Aujourd’hui comme hier, notre action connaît un certain nombre de limites. La première limite concerne l’Afrique et réside dans la capacité d’endettement des pays : nous devons accompagner la croissance tout en restant prudents. La deuxième limite est la taille de l’enveloppe de dons : les 200 millions d’euros dont nous disposons doivent servir à tous les secteurs, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, de l’énergie, de l’accès à l’eau ou encore de l’agriculture, dans les seize pays pauvres prioritaires et les quatre ou cinq pays en crise ne figurant pas parmi les seize. En outre, c’est sur cette enveloppe de 200 millions d’euros que l’on doit trouver les fonds pour financer des études, de l’expertise et de la coopération technique pour toute l’Afrique et la Méditerranée – étant précisé que les 20 millions d’euros réservés à l’Asie et à l’Amérique latine sont quasiment épuisés.

Il apparaît clairement que ces 200 millions d’euros ne sont pas suffisants au regard des enjeux. Si, dans le contexte budgétaire actuel, il n’est pas jugé possible d’accroître globalement l’enveloppe de dons sur le programme 209 – ce que je peux comprendre –, il faut s’interroger sur la répartition de l’enveloppe entre le bilatéral et le multilatéral. Pour mémoire, la somme des contributions françaises aux différents fonds verticaux « santé » représente plus de 500 millions d’euros par an. À mon sens, il existe un réel risque de décrochage, notamment par rapport à l’Allemagne (si je prends l’Allemagne c’est qu’elle est la plus comparable à bien des égards), qui vient d’annoncer une hausse substantielle de son APD. Pour un volume de prêts comparable au nôtre, la KFW dispose chaque année de 1,5 milliard d’euros de subventions – avant le renforcement de 500 millions d’euros qui va être effectué prochainement. L’autre organisme d’aide au développement allemand, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), dispose d’ores et déjà de presque 2 milliards d’euros. Étant réaliste, je ne rêve pas que nous obtenions des sommes de cet ordre, mais j’insiste sur le fait que l’AFD fait le maximum de ce qu’elle peut faire avec les 200 millions d’euros dont elle dispose : pour faire plus, et puisque nous ne pouvons endetter davantage les pays concernés, il faudrait disposer d’une enveloppe de dons bilatérale plus conséquente.

La France doit être fière de ce qu’elle a fait pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, auquel elle contribue à hauteur de 360 millions d’euros. À la fin des années 1990, elle a été pionnière dans ce domaine, alors même que certains pays affirmaient qu’il était impossible d’apporter des traitements au sud du Sahara – ce qui était faux et scandaleux. Nous avons montré la voie en aidant des pays qu’il était, pour nous, « hors de question de laisser tomber ». Aujourd’hui, la démonstration est faite qu’il était possible d’agir, et de nombreux bailleurs nous ont suivis. Il est donc permis de se demander s’il ne serait pas possible aujourd’hui de déplacer notre effort, par exemple vers le Sahel. Si la France ramenait ses contributions au Fonds mondial de lutte contre le sida de 12 % à 6 % – ce qui est le niveau habituel de positionnement de la France –, nous dégagerions 500 millions d’euros sur trois ans, qui pourraient être redéployés par exemple sur l’initiative Sahel.

Notre volume global d’action bilatérale toutes géographies confondues est très significatif : nous réalisons 6,5 milliards d’euros de financements par an dans les Etats étrangers, et pesons sur de nombreux agendas, nationaux et internationaux. Si nous voulions faire plus, il faudrait travailler sur deux aspects. Premièrement, le financement de l’expertise – c’est le nerf de la guerre en matière de renforcement de capacité dans les pays pauvres comme en matière d’influence, toutes géographies confondues – doit être plus important, car il est essentiel, pour servir nos priorités, de disposer d’instruments nous permettant d’exercer une influence indirecte. Deuxièmement, il faudrait envisager de revoir le cadre prudentiel s’appliquant à l’AFD, la taille de nos fonds propres délimitant à la fois un volume global de financement et un volume par pays. Notre capacité d’intervention s’est trouvée accrue du fait du renforcement de fonds propres intervenu l’année dernière, mais reste limitée.

En conclusion, pour peser sur l’agenda international et pouvoir atteindre les priorités que l’on s’est fixées, il me semble important de maintenir un outil bilatéral significatif et suffisamment fort pour pouvoir porter localement et globalement les priorités de la France.

M. Jean-Luc Bleunven. À côté des engagements gouvernementaux qui seront pris dans le cadre de la COP21, des actions de coopération décentralisée, mises en œuvre par les collectivités – des maires vont prendre part à cette conférence – vont également être définies, qu’il serait intéressant de mettre en valeur. J’aimerais savoir comment vous pourriez donner plus de visibilité – et peut-être de moyens – à cette coopération décentralisée.

M. François Rochebloine. Je me félicite de l’action accomplie en faveur de l’aide aux pays en voie de développement, mais que pouvez-vous nous dire sur le problème des mines antipersonnel, qui touche de vastes zones en Afrique, notamment en Angola et au Sénégal ? Je considère pour ma part que ce qui est actuellement fait en la matière par les ONG est tout à fait insuffisant.

M. Jean-René Marsac. Vous nous avez dit qu’en 2014, l’AFD avait consacré 71 % de ses subventions à l’aide aux seize pays pauvres définis comme prioritaires, soit plus que l’objectif initialement défini. Cela dit, les sommes allouées à certains de ces pays restent d’un montant très réduit – tout au plus quelques centaines de milliers d’euros –, et ne peuvent pas être complétées par des prêts. Au-delà de l’affichage, il me semble que nous sommes donc bien loin de ce dont ces pays ont besoin.

Pour ce qui est des obligations bancaires et de la consolidation des fonds propres, nous sommes bien conscients de la priorité absolue que constitue l’obligation de maintenir certains résultats en fonds propres. Pouvez-vous nous éclairer sur les tendances à venir en matière de résultats en fonds propres, dividendes et autres usages de ces résultats ?

Enfin, je constate que l’expression « entreprenariat social » est utilisée de plus en plus fréquemment. Alors que nous venons de voter non seulement une loi sur la politique de développement, mais aussi une loi sur l’économie sociale et solidaire, il me semble que nous devons nous efforcer d’être précis sur les concepts et outils dont nous parlons. La notion d’entreprenariat social, à laquelle on se réfère très couramment au niveau européen, me paraît devoir être employée pour ce qu’elle est, à savoir seulement l’un des aspects de l’économie sociale et solidaire. J’insiste également – comme l’a fait récemment le secrétariat général des Nations unies – sur l’importance de soutenir le mouvement coopératif en tant qu’outil de développement, mais aussi de partenariat économique d’un type nouveau entre le Nord et le Sud.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. C’est effectivement important, notamment en matière de climat.

M. Michel Terrot. Vous avez répondu avec beaucoup de franchise sur la politique du don de l’AFD, ce qui fait que je n’ai plus besoin de vous poser les questions que j’avais préparées sur ce point.

Il est indiscutable que nos principaux partenaires, en particulier l’Allemagne et, à un degré moindre, la Grande-Bretagne, font beaucoup mieux que nous en matière d’influence exercée en Afrique subsaharienne : les 210 millions d’euros que la France répartit sur seize pays francophones parmi les plus pauvres au monde, c’est ridiculement peu, même si le montant alloué a été augmenté d’une dizaine de millions d’euros entre 2013 et 2014 – pour 2015 et 2016, vous nous avez dit qu’il n’y avait pas grand-chose à espérer.

Le don est la forme d’intervention qui nous donne le plus de visibilité et de crédibilité auprès de nos partenaires. Nous devons le rééquilibrer en nous posant la question du dosage entre aide multilatérale et aide bilatérale. En ce qui concerne le Fonds mondial de lutte contre le sida, il me semble que nous sommes allés trop loin et que nous pourrions dégager de nouvelles marges de manœuvre dans ce domaine : dans le prochain budget, une réduction du montant des crédits alloués au Fonds pourrait permettre d’affecter davantage au bilatéral, en particulier au don.

Il est également permis de s’interroger sur le service rendu par certaines agences onusiennes, notamment celles situées en Autriche : sans doute les fonds qui leur sont alloués pourraient-ils être mieux utilisés ailleurs.

En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières, il était initialement prévu qu’elle soit affectée en totalité aux objectifs du millénaire. Or, seuls 15 % des recettes de cette taxe ont actuellement cette destination, le reste tombant dans le puits sans fonds du budget de l’État. Ce n’est pas du tout ce qui avait justifié l’instauration de cette taxe, et mettre en œuvre ce qui avait été prévu au départ permettrait de récupérer des fonds d’un montant non négligeable.

Enfin, en cette période de pénurie, on constate que le don va aussi bien à l’équipement qu’à l’éducation ou à la santé, en un saupoudrage tout à fait inefficace. Pour moi, l’urgence consiste avant tout à maintenir la défense de la langue française dans les pays francophones. S’il faut faire des choix, nous pouvons considérer que le secteur de la santé relève plus du multilatéral que du bilatéral et qu’à l’inverse, aucun autre État que la France ne prendra la défense du français en Afrique si elle ne le fait pas elle-même. En d’autres termes, l’aide bilatérale apportée par la France devrait être affectée essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, au secteur de l’éducation.

M. Philippe Baumel. Je partage votre constat quant au fait que nous nous sommes engagés trop longuement et surtout trop fortement en matière de lutte contre le sida. Ne pensez-vous pas que le moment soit venu de rééquilibrer nos aides dans le secteur sanitaire, en les réorientant au profit de la lutte contre les pandémies dont meurent actuellement les Africains, en particulier les enfants – je pense notamment au paludisme et à la tuberculose ? Ces pandémies anciennes qui continuent de faire des ravages mériteraient que la France leur consacre des moyens plus importants et joue en cela un rôle moteur, similaire à celui qu’elle a joué des décennies durant pour le sida.

Pour ce qui est de la COP21, je suis assez confiant au vu des annonces qui ont été faites par plusieurs grandes puissances au sujet des gaz à effet de serre. Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste l’aide apportée par l’AFD dans ce domaine, notamment pour ce qui est du montage des dossiers de certains pays souffrant d’une certaine déficience en matière d’organisation étatique ? J’ai reçu ici même, il y a quinze jours, le ministre de l’environnement de la République démocratique du Congo, qui nous a expliqué être pour le moment dans l’impossibilité de travailler à la constitution du dossier de présentation des objectifs de son pays en vue de la COP21, et a demandé à bénéficier d’un renfort technique de l’AFD sur ce point. Les engagements que le Gouvernement avait pris en la matière sont-ils concrets ?

En raison des contraintes budgétaires, le Gouvernement s’apprête à annoncer une nouvelle réduction du budget de l’aide au développement. Pouvez-vous nous préciser si cette réduction a, ou non, un impact pour l’AFD, et pourquoi ?

Il est accablant de constater que, soixante ans après les indépendances africaines, la liste des pays les plus pauvres est restée inchangée. Comment une telle chose est-elle possible en dépit des efforts accomplis en matière d’aide au développement – étant précisé que l’AFD, elle, est présente depuis moins de soixante ans ?

Enfin, en ce qui concerne la croissance de l’Afrique, il existe deux camps : d’un côté, les afro-optimistes considèrent que ce continent est en pleine croissance, et qu’il va véritablement émerger au xxie siècle, comme l’ont fait l’Inde et d’autres territoires au cours du xxe siècle ; de l’autre, les afro-pessimistes estiment que la croissance de l’Afrique repose essentiellement sur le marché des matières premières et qu’il n’y a pas de création de richesses sur ce continent, en particulier en Afrique centrale. Quelle est votre analyse en la matière, et estimez-vous qu’il faille voir, dans les 10 % de croissance dont bénéficient certaines régions de l’Afrique, un voyant passé au vert, ou un simple indicateur qu’il convient de relativiser ?

M. Jacques Myard. Madame la directrice générale, vous est-il venu à l’esprit que si l’Allemagne arrive à dégager des surplus pour faire de l’aide au développement, c’est qu’elle bénéficie d’une monnaie sous-évaluée, ce qui lui permet d’obtenir des surplus en commerce extérieur ? C’est tout le contraire de la France, avec un euro surévalué qui freine ses exportations et lui impose une purge budgétaire.

Vous nous dites que 58 millions d’euros sont consacrés aux ONG françaises, ce qui représente une hausse de 19 %. Cela me paraît beaucoup : pour ma part, je ne suis pas convaincu que la politique française doive se faire par l’intermédiaire des ONG, un tel choix entraînant une balkanisation et une déperdition de notre effort, et j’estime qu’il serait préférable de recentraliser les moyens entre vos mains.

Enfin, chacun sait que les efforts en matière de maîtrise de la croissance démographique ne produisent leurs fruits que bien longtemps après avoir été accomplis : quel est votre programme dans ce domaine ?

M. François Loncle. Je commencerai par m’associer aux remarques de Michel Terrot relatives à la taxe sur les transactions financières et à la priorité qui doit être donnée à l’éducation, ainsi qu’à ce qu’a dit Jacques Myard au sujet des ONG.

Si je suis de ceux qui considèrent que l’on pourrait rééquilibrer prêts et dons, j’estime que les dons nécessitent un contrôle et une évaluation stricts. Tant que ceux-ci ne seront pas réalisés de manière rigoureuse, nous continuerons de nous poser des questions au sujet des dons et de leur efficacité.

Pour ce qui est du sida, il est exact que la situation a évolué dans le bon sens au cours des dernières années. Cela dit, je précise que le Fonds mondial n’est pas seulement consacré à la lutte contre le sida, mais aussi à celle contre le paludisme et la tuberculose.

M. Philippe Baumel. Pas dans les mêmes proportions.

M. François Loncle. Un rééquilibrage est peut-être nécessaire, mais le fait est que le Fonds mondial n’est pas consacré uniquement à la lutte contre le sida.

Pouvez-vous nous préciser ce que vous attendez de la conférence d’Addis-Abeba qui va commencer lundi, et si vous avez l’intention de délivrer un message au cours de cette conférence ?

Mme Seybah Dagoma. Madame la directrice générale, je souhaite tout d’abord vous assurer de mon soutien à l’analyse que vous faites de la nécessité d’opérer un redéploiement de notre aide multilatérale au profit de notre aide bilatérale. Si, en tant qu’élus responsables, nous sommes tous conscients de la réalité économique et financière de notre pays, nous devons également faire face à une réalité internationale marquée par de nouveaux enjeux, notamment celui des migrations, qui prend une importance croissante.

Nous devons réfléchir à des solutions au niveau européen, mais pas seulement, puisque les migrants viennent également de la Syrie et d’autres pays. Je plaide donc pour que des initiatives soient prises au niveau international, et que davantage de pays prennent leurs responsabilités. En tout état de cause, nous devons privilégier une approche globale et une intervention à la racine du problème, en faisant en sorte de favoriser le développement économique de ces pays – je pense notamment au Sahel.

Ma question est relative à la bataille mondiale des normes. En janvier dernier a été créée Expertise France, la nouvelle agence française d’expertise technique internationale, qui réalise 120 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 50 000 heures d’expertise effectuées par un vivier de 10 000 experts dans plus de quatre-vingts pays. Avec votre agence, elle forme le deuxième pilier de l’État dans le secteur de l’expertise, puisque son rôle est d’accroître la réactivité et l’efficacité de l’action de l’État à l’international, et d’offrir aux administrations des pays en voie de développement une capacité accrue de réponse à leurs besoins. Vous avez cité les limites de l’AFD en matière d’expertise technique ; considérez-vous qu’avec Expertise France, notre pays est désormais armé pour rivaliser avec des pays tels que l’Allemagne ou le Royaume-Uni ?

Mme Anne Paugam. Pour ce qui est de la coopération décentralisée, vous avez raison de souligner que certains acteurs vont avoir énormément de choses à apporter et à montrer dans le cadre de la COP21. L’AFD est partie prenante d’un certain nombre de réseaux, rattachés notamment aux grandes villes et métropoles, et membre d’une alliance visant à soutenir le financement des initiatives des villes du Nord et du Sud en faveur d’aménagements urbains s’inscrivant dans l’objectif de la ville durable. Dans le cadre du sommet mondial Climat et Territoires qui s’est tenu à Lyon il y a quelques jours, j’ai annoncé que, d’ici 2020, l’agence allait soutenir cent villes – comme elle l’a déjà fait pour Johannesburg ou Medellin – dans leurs projets d’aménagement urbain, répondant aux besoins économiques et sociaux de leurs habitants tout en remplissant les critères de la ville durable.

D’autres actions en matière de coopération décentralisée ne sont pas uniquement en lien avec la COP21, mais s’inscrivent dans des coopérations anciennes avec des villes de pays subsahariens. Enfin, certaines coopérations s’inscrivent dans une logique de coopération entre régions sur des thématiques plus économiques. Ainsi la Facilité de financement des collectivités territoriales françaises (FICOL) est-elle destinée à financer des projets de développement à l’international, dont l’initiative et la mise en œuvre reviennent à des collectivités territoriales françaises : dans ce cadre, nous avons financé des partenariats entre régions – par exemple entre la Bretagne et la région Centre du Burkina Faso, afin de soutenir un projet de structuration d’une filière maraîchère. L’AFD est extrêmement active sur ces sujets et fait travailler plusieurs de ses agents à temps plein sur la coordination de ces actions et le financement des projets correspondants – notre agence est par ailleurs l’une des rares à disposer d’une division dédiée à la ville, contrairement à celles privilégiant une approche thématique sectorielle. Nous accordons beaucoup d’’importance à la coopération décentralisée.

Pour ce qui est des mines antipersonnel, elles constituent non seulement une atteinte aux personnes, mais aussi un frein au développement économique de certaines régions : des zones agricoles entières ne sont pas remises en culture, leurs populations ne pouvant s’y rendre. Sur ce point, nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens dont nous disposons. Certaines ONG, en particulier Handicap international, s’attaquent au problème, et je me demande comment nous ferions si elles n’étaient pas là.

M. François Rochebloine. C’est insuffisant.

Mme Anne Paugam. Sans doute, mais je vous renvoie aux 200 millions de dons dont je dispose pour intervenir auprès de seize pays pauvres prioritaires et quatre ou cinq pays en crise et effectuer l’expertise de toute l’Afrique. J’ai fait partie du récent voyage présidentiel en Angola, un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, qui pourrait consacrer une part de sa dépense publique à ce type d’investissement, en bénéficiant de notre accompagnement. Il existe une demande angolaise et nous devrions prochainement pouvoir travailler avec ce pays en lui accordant des prêts avec un niveau réduit de bonification, compte tenu de son niveau de développement – conformément à la logique des partenariats différenciés, qui veut que l’effort de solidarité soit plus important pour les pays les plus pauvres.

M. François Rochebloine. Il n’y a pas de déminage industriel, cela se fait toujours à la fourchette !

Mme Anne Paugam. Sans doute faut-il que de nouveaux acteurs émergent dans ce domaine. Je rappelle que, pour notre part, nous ne sommes pas compétents sur les sujets se rattachant strictement à la gouvernance ou à la sécurité. En revanche, nous pouvons être amenés à traiter ce problème par le biais du soutien à un projet agricole.

Pour ce qui est de la taxe sur les transactions financières (TTF), force est de constater qu’une partie seulement de ses recettes est affectée aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), mais ce choix résulte de l’ensemble de l’équation des finances publiques. Ce que je regrette surtout, c’est que cette part ne soit plus du tout bilatérale. Une somme de 30 millions d’euros devait nous être confiée afin de poursuivre l’effort en faveur de la santé de la mère et de l’enfant dans les pays sahéliens ; cette somme a finalement été ramenée à 24 millions d’euros, et ne sera pas renouvelée. M. Michel Terrot. C’est tout bonnement scandaleux.

Mme Anne Paugam. Nous ne pourrons donc pas compter sur ce qui était censé constituer l’amorce d’un effort de rééquilibrage entre le bilatéral et le multilatéral, ce que j’ai déploré auprès de mes ministres de tutelle. En effet, si une ressource nouvelle constitue toujours l’opportunité de pousser un peu le curseur, le redéploiement sur des ressources existantes est plus difficile.

Les moyens que nous pouvons consacrer à l’éducation ou à la démographie seront toujours contenus par les ressources dont nous disposons. Cela dit, en matière de démographie, tout ne se résume pas aux moyens, et nous sommes en train de réfléchir à ce que pourrait être la déclinaison opérationnelle de l’adaptation à la situation au Sahel. Nous avons l’intention de donner la priorité à la prolongation de l’éducation des filles – ce qui a un lien très direct avec la précocité des maternités et leur nombre –, ainsi qu’à l’accès à l’emploi ou à des opportunités économiques pour les femmes, au moyen de la microfinance et des programmes de développement rural que nous mettons en œuvre.

En matière d’accès à la santé, un travail général doit être fait pour le renforcement des systèmes de santé. Cela me donne l’occasion de répondre à la question sur les priorités : certes, la tuberculose et le paludisme sont au moins aussi menaçants que le sida dans certaines zones d’Afrique, mais j’appelle votre attention sur le fait que le Fonds mondial n’a pas vocation à lutter uniquement contre le sida, mais aussi contre ces deux maladies.

Ce qui manque aujourd’hui, c’est un renforcement transversal des systèmes de santé, au niveau des infrastructures comme du personnel formé, des intrants, du matériel, et du travail social. Cet aspect n’étant pas suffisamment couvert par les grands fonds verticaux, le bilatéral a, en la matière, vocation à intervenir en bonne articulation avec le multilatéral. La vaccination constitue également un domaine où de grands efforts restent à faire. Ce qui s’est passé avec Ebola a bien montré que, dès lors qu’un système de santé ne fonctionne pas, une épidémie suffit à produire un effondrement généralisé.

En ce qui concerne les obligations bancaires, nous devrions – à moins d’un événement inattendu – tenir les objectifs fixés sur le plan financier, consistant en une maîtrise très forte des charges et un revenu en légère hausse. Conformément à l’engagement pris par le Gouvernement, 80 % du résultat est mis en réserve afin de renforcer les fonds propres. Il est prévu qu’à partir de 2016, nous arrivions à 8,5 milliards d’euros d’autorisations d’engagements annuelles – et y restions jusqu’à 2020. Il n’y a pas aujourd’hui d’autres possibilités en l’état de la réglementation bancaire qui s’applique à nous. Nous sommes une banque comme les autres, qui se voit appliquer toute la loi bancaire, comme si nous étions la Société Générale ou BNP Paribas –, à savoir Bâle III, et peut-être Bâle IV demain. De ce point de vue, nous constituons une exception unique au monde, puisque ce n’est pas le cas des agences japonaise – la Japan International Cooperation Agency (JICA) – et allemande – la KFW – qui, compte tenu des spécificités de leur mission, sont considérées comme des établissements bancaires bénéficiant d’une réglementation bancaire adaptée à leur mission. M. Jacques Myard. On n’en rate pas une !

Mme Anne Paugam. La situation n’est pas nouvelle et, si l’on veut changer les choses, il faut se demander si la totalité des règles qui nous sont applicables sont pertinentes au regard de ce qu’est l’outil bilatéral. Mais c’est là une question véritablement stratégique qui appelle l’ouverture d’un débat.

Pour ce qui est des Intended Nationally Determined Contributions (INDC), c’est-à-dire les contributions nationales des différents pays en vue de la COP21, nous avons approuvé en janvier une facilité qui a ensuite été mise en œuvre avec le concours d’Expertise France pour vingt pays, dont la République démocratique du Congo (RDC). Les experts ont travaillé de fin mai à aujourd’hui : entre le moment où nous avons mis en place le financement et celui où Expertise France a été en mesure de passer les marchés avec les bureaux d’études, il s’est écoulé un délai incompressible de gestion. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé avec la RDC, mais il n’est pas impossible que le processus n’en soit qu’à son début pour cet État. D’une manière générale, l’exercice était très contraint, car mettre au point une contribution entre janvier et septembre n’a rien d’évident pour certains pays. Notre objectif était donc d’aider ces pays à élaborer une première contribution, qui pourra toujours être améliorée – avec notre aide si besoin est – après sa présentation dans le cadre de la COP21 : la réflexion ne s’arrête pas là.

Sans être une afro-optimiste béate – on a parfois l’impression frustrante que l’histoire bégaye et que les choses n’avancent pas –, je constate que bon nombre de pays ne disposant pas de ressources naturelles très importantes – minières, notamment – présentent tout de même des taux de croissance tout à fait satisfaisants : je citerai par exemple le Burkina Faso, mais il en existe bien d’autres. Les fondamentaux de la croissance africaine me paraissent donc solides, et pas forcément ancrés dans l’exploitation des matières premières : d’ailleurs, les cours de ces matières fluctuent, ce qui bénéficie à certains pays et en freine d’autres, et n’empêche pas la croissance moyenne de se maintenir entre 4 % et 6 %. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’importance d’une économie informelle, mal prise en compte par les statistiques.

Force est de constater qu’une classe moyenne, ayant souvent adopté un mode de vie urbain, s’est constituée en Afrique. Même si elle reste minoritaire dans de nombreux pays, elle prend constamment de l’importance et présente une capacité croissante à consommer. Par ailleurs, il existe également des gains de productivité en milieu rural : il nous revient de savoir accompagner ce phénomène. D’une manière générale, nous devons aller vers plus de valeur ajoutée dans les filières, qu’il s’agisse de l’agriculture ou de l’économie de services, qui se développe énormément en zone urbaine. Le formidable potentiel économique de l’Afrique se ressent lorsqu’on se rend dans les capitales africaines, pour la plupart très énergisantes. En résumé, il n’y a pas de fatalité africaine, même pour les seize pays pauvres prioritaires.

M. Loncle a raison de souligner la nécessité de pouvoir contrôler l’effectivité de notre action. Nous mesurons l’impact des projets que nous finançons, en dons, mais aussi sous forme de prêts, car nous ne voudrions pas nous faire reprocher d’avoir endetté tel ou tel pays sans résultat, alors que l’allégement de la dette contractée par un pays, le cas échéant avec l’intervention du Club de Paris, n’est jamais chose facile. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que même les prêts engagent les finances publiques de la France. Nous ne faisons donc pas de différence entre dons et prêts dans nos exigences de procédures, ni dans la mesure des résultats.

Entre 2012 et 2014, les projets que nous avons financés ont permis à 2,3 millions de personnes vivant dans des quartiers précaires d’améliorer leur habitat ; à deux millions d’enfants d’être scolarisés en primaire et au collège ; à 330 000 jeunes de recevoir une formation professionnelle, et à presque trois millions de personnes d’avoir accès à l’eau ou à l’assainissement.

Au départ, nous lancions nos projets en indiquant les résultats que nous espérions en obtenir. Ces projets mettant en moyenne quatre ans à s’exécuter, nous avons pris l’habitude de mesurer les résultats effectivement obtenus. En matière d’eau et d’assainissement, la comparaison entre les objectifs et les résultats a permis de constater que les deux étaient très proches, ce dont je me félicite. Ce contrôle est très utile, notamment en ce qu’il permet de montrer à nos concitoyens, qui sont aussi contribuables, que ce que nous faisons ne se perd pas dans les sables.

Nous nous réjouissons de la création d’Expertise France, qui rassemble plusieurs petits opérateurs français d’expertise. Son rôle et celui de l’AFD sont complémentaires : sitôt que le renforcement de capacité prévu par un projet financé par l’AFD consiste en une demande d’expertise publique – que nous ayons besoin d’un douanier ou d’un fonctionnaire hospitalier –, nous nous adressons directement à Expertise France, comme nous nous adressions naguère à France Expertise Internationale (FEI). Cette relation va se trouver renforcée : j’ai proposé à Sébastien Mosneron Dupin, le directeur général d’Expertise France, un projet de partenariat renforcé basé sur la complémentarité entre Expertise France, qui dispose d’un vivier d’expertise publique, et l’AFD, qui dispose du financement correspondant.

J’insiste sur le fait qu’Expertise France n’est pas une nouvelle agence de développement qui financerait également des projets. Cela nous ferait revenir à la situation antérieure à 1998, où plusieurs agences étaient susceptibles de proposer des projets d’aide au développement : or, il ne saurait être question de remettre en cause la réforme de 1998, qui avait précisément pour objet de regrouper les forces des opérateurs mobilisant l’expertise publique, notamment l’ADETEF et la FEI, et s’est révélée très efficace. La mission d’Expertise France consiste à aller chercher des financements européens, par exemple, en soumissionnant à des appels d’offres – ce que nous ne faisons pas, car nous sommes un financeur. Expertise France n’est pas un financeur, elle propose des services en matière de mobilisation d’expertise qui sont financés par l’Union européenne, par l’AFD en bilatéral, éventuellement par la Banque mondiale. Si nous parvenions à accroître les moyens bilatéraux en subventions dont nous disposons, une part conséquente irait directement à Expertise France, à qui nous demanderions de mobiliser de l’expertise publique sur des projets que nous ne pouvons financer aujourd’hui puisque nous n’en avons pas les moyens.

La bataille des normes que vous avez évoquée est absolument essentielle quand on veut influencer les modèles de croissance pour qu’ils convergent vers ce que l’on pense être bon pour la planète, ainsi que la paix et la prospérité, mais aussi pour la France et sa place dans le monde.

M. Philippe Baumel. Pouvez-vous nous dire un mot sur l’impact de la baisse du budget ?

Mme Anne Paugam. Le chiffre de l’aide publique au développement, qui a effectivement diminué, est calculé par l’OCDE au moyen d’une série de conventions qui est en train de changer, et sera pleinement appliquée en 2018 – pour le moment, les calculs sont effectués à la fois selon les anciennes et les nouvelles modalités. Les parts de l’APD qui ont diminué ne sont pas celles concernant l’AFD : il s’agit par exemple d’annulations de dettes, voire de postes ne donnant pas lieu à des flux de trésorerie du Nord vers le Sud. L’enveloppe de dons revenant à l’AFD, s’élevant à 200 millions d’euros, est insuffisante, mais stable. L’enveloppe ONG que nous recevons du ministère des affaires étrangères et mettons en œuvre est, elle, en légère augmentation, le Président de la République s’étant engagé à la doubler en l’espace de cinq ans.

Nous avons 250 millions d’euros de bonifications, ce qui est stable. Pour ce qui est des prêts spéciaux du Trésor, dits « ressource à condition spéciale » (RCS), nous avions tablé sur 450 millions d’euros et sommes tombés à 400 millions d’euros – avant un gel éventuel. Globalement, nous sommes donc légèrement impactés, même si ce n’est pas directement sur nos budgets : ceux-ci peuvent en effet difficilement tomber plus bas – si nous devions percevoir moins de 200 millions d’euros, notre action serait clairement remise en cause.

Cela dit, le montant de l’APD n’est pas totalement représentatif du financement du développement. En effet, il représente des flux nets, qui se trouvent impactés au fil du temps, car nous prêtons sur des durées de vingt à trente ans, et les pays ne commencent parfois à rembourser qu’à l’issue d’un différé de dix ans. Ce qui constitue l’effort du contribuable français aujourd’hui, c’est avant tout la somme des volumes nouveaux mis en place, qui mobilisent des engagements dans le budget de l’État.

M. Kader Arif. Vous avez dit que l’AFD était soumise aux mêmes règles que les banques dites classiques. Comment et auprès de qui intervenir pour que vous puissiez bénéficier d’une réglementation adaptée à votre mission ?

Mme Anne Paugam. Sur ce point, c’est la directive européenne CRD 4 qui s’applique. Lorsqu’elle a été adoptée, un certain nombre d’institutions ont été inscrites sur une liste d’exemption : ainsi la KFW et la Caisse des dépôts, par exemple, ont-elles été exemptées. Le fait que l’AFD n’ait pas été inscrite sur la liste n’a pas donné lieu, à l’époque, à une discussion avec la direction générale de l’AFD – sans doute les implications stratégiques de cette décision n’ont-elles pas été perçues à ce moment-là. L’AFD était déjà soumise à la loi bancaire française, ce qui n’avait jusqu’alors posé aucun problème, et c’est donc très naturellement que l’on a entériné cette situation. Aujourd’hui, les choses mériteraient d’être rediscutées à la lumière des crises de 2007 et de 2008 et de leur effet sur les ratios de liquidités : en effet, si le calcul de ces ratios présente un intérêt pour les banques classiques, il n’a pas de sens pour nous ; de même certaines exigences relatives à la composition des fonds propres ne sont-elles pas adaptées à notre statut.

Si toutes ces choses pouvaient difficilement être anticipées, aujourd’hui, il serait justifié d’adapter la législation aux particularités d’une institution qui doit rester de nature bancaire et financière, comme la KFW et la JICA, mais dont la supervision pourrait s’effectuer, non par une institution supranationale – la BCE –, mais par une institution nationale chargée d’adapter le corpus réglementaire général à nos spécificités. Lorsque nous octroyons un prêt souverain, nous le faisons d’une manière particulière, en laissant par exemple les encours sur certains pays atteindre des pourcentages assez importants, ce qui ne pourrait pas être le cas si le prêt était consenti par une banque classique – si nous pouvons le faire, c’est parce que nous sommes un outil bilatéral.

Le réexamen de notre situation statutaire est assez compliqué sur le plan procédural car, dans la mesure où nous ne figurons pas sur la liste d’exemption, la seule façon de procéder semble être de réviser la directive CRD 4 elle-même. Cette question doit faire l’objet d’une discussion sereine avec le ministère des finances ; si nous ne devons pas perdre de vue que les règles bancaires sont protectrices pour l’Agence – d’où l’utilité pour notre institution de conserver son caractère bancaire –, l’adaptation du corpus réglementaire aux spécificités de l’AFD doit être envisagée sans tabous.

On entend dire aujourd’hui que les institutions de Bretton Woods – notamment la Banque mondiale et son fonds dédié aux plus pauvres, l’Association internationale de développement (AID) – devraient faire davantage levier sur les capitaux investis par les États membres, dont la France. Plusieurs initiatives ont vu le jour en ce sens : ainsi est-il prévu de mettre en œuvre des programmes « AID + », ce dont il sera prochainement question à Addis-Abeba. Malheureusement, en l’état actuel des choses, il n’est pas permis à l’AFD d’agir sur le même modèle. Cette question mérite donc d’être examinée de près.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Au nom de notre Commission, je vous remercie, madame la directrice générale.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mardi 7 juillet 2015 à 17h00, la commission des affaires étrangères a nommé :

– Mme Linda Gourjade, rapporteure sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac (n° 2741) ;

– M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur sur le COP 21 – Accord entre le Gouvernement de la République française et le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques pour l’organisation de la COP 21, signé à Bonn le 27 mars 2015 et à Paris le 20 avril 2015 (sous réserve de son dépôt à l’Assemblée nationale).

– M. Jean-René Marsac, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Colombie et le Pérou, d’autre part (n°2724) ;

– M. Jean-Louis Destans, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole n° 15 portants amendement à la convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (n° 2671) ;

– Mme Odile Saugues, rapporteure du projet de loi autorisant l'approbation des amendements de Manille à l'annexe de la convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (convention STCW) et au code de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (code STCW) (n° 2349).

La séance est levée à dix-huit quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 7 juillet 2015 à 17 heures

Présents. - M. Kader Arif, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. François Loncle, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Alain Bocquet, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Armand Jung, M. Pierre Lellouche, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. René Rouquet, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle