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Commission des affaires étrangères

Mercredi 15 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n°81

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Réunion ouverte à la presse : audition de M. Sébastien Mosneron-Dupin, directeur général de l’agence Expertise France, communication de M. Jean-René Marsac, sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France, et avis de la commission sur ce projet.. 2

– Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lituanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité (n° 3501) et examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (n° 3500) – M. Didier Quentin, rapporteur.

– Informations relatives à la commission

Réunion ouverte à la presse : audition de M. Sébastien Mosneron-Dupin, directeur général de l’agence Expertise France, communication de M. Jean-René Marsac, sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France, et avis de la commission sur ce projet

La séance est ouverte à huit heures quinze.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Après l’audition des deux ministres de l’intérieur allemand et français, nous avons le plaisir d’accueillir M. Sébastien Mosneron-Dupin, directeur général d’Expertise France.

Dans la mesure où, à onze heures quinze, une délégation de notre commission doit se rendre à l’ambassade des États-Unis pour présenter ses condoléances aux Américains à la suite de l’attentat d’Orlando, je vous laisse sans plus attendre la parole, monsieur le directeur général.

M. Sébastien Mosneron-Dupin, directeur général d’Expertise France. C’est un honneur pour moi de succéder à M. Cazeneuve et à son homologue allemand, Thomas de Maizière ; c’est aussi un défi, et peut-être pourrai-je venir la prochaine fois avec mon homologue allemande, Mme Gönner, directrice générale de la GIZ, que je dois rejoindre cet après-midi, à Bruxelles, pour participer aux Journées européennes du développement.

Expertise France est un établissement public, un opérateur de l’action extérieure de l’État, placé sous la double tutelle du ministre des affaires étrangères, M. Ayrault, et de son sous-secrétaire État chargé du développement et de la francophonie, M. Vallini, mais également des ministres de l’économie et des finances, MM. Macron et Sapin.

Notre métier consiste à accompagner et à conseiller des administrations et des gouvernements dans la mise en place de nouvelles politiques publiques. Nous gérons quatre cents projets, dans quatre-vingts pays, pour un chiffre d’affaires global de 130 millions d’euros, dont 65 % sont issus de financements multilatéraux et 35 % de financements bilatéraux.

Concrètement, nous accompagnons l’administration grecque dans la réforme de l’État ; nous travaillons sur la ville durable en Turquie ; nous œuvrons en Syrie, avec des partenaires locaux, à l’assistance directe aux populations et gérons des centres de soins ; nous accompagnons les autorités algériennes dans un programme de formation professionnelle et d’amélioration de l’employabilité des jeunes ; nous avons contribué en Tunisie au projet de renforcement des services de l’Assemblée des représentants du peuple ; nous accompagnons au Maroc le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de la migration dans des politiques d’intégration et d’utilisation de la diaspora marocaine au service du développement ; nous accompagnons en Côte d’Ivoire la réforme hospitalière ; nous avons très largement participé en Guinée à la lutte contre Ebola ; nous travaillons en République centrafricaine sur les finances publiques ; nous participons au Vietnam à la création d’une cour des comptes ; enfin, nous travaillons avec les autorités chinoises sur l’assurance vieillesse. Autant d’exemples qui témoignent de la palette des secteurs et des zones géographiques dans lesquelles nous intervenons.

Quel bilan peut-on tirer des activités d’Expertise France après dix-huit mois d’existence ? Nous œuvrons dans tous les secteurs et partout où la France a des intérêts, où elle souhaite intervenir au titre de la coopération et du développement. Nous avons connu cette année une croissance de 14 %, et si nous enlevons les projets d’infrastructures, que nous sous-traitons à des entreprises françaises – je pense à Razel-Bec et à Thalès –, ce taux s’élève à 31 %.

Où va-t-on ? Sans prétendre résumer ici le contrat d’objectifs et de moyens (COM), j’insisterai sur quatre objectifs majeurs, le premier consistant à créer un opérateur polyvalent dans ses missions, ses métiers et ses secteurs d’intervention.

Nos missions en effet sont au nombre de trois : mettre en œuvre la solidarité de la France en améliorant la gouvernance des pays du sud ; accroître notre influence politique en projetant au-delà de nos frontières nos valeurs, notre vision du monde et nos normes ; conforter nos positions économiques en contribuant à la création d’un écosystème favorable aux intérêts français, notamment par la diffusion des normes françaises.

En ce qui concerne nos métiers, également au nombre de trois, il s’agit du conseil, de l’assistance directe aux populations et de la supervision de projets d’infrastructure, ce que nous faisons pour la MINUSMA – Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali –, avec la perspective de l’étendre à d’autres secteurs.

Quant aux quatre priorités sectorielles fixées par le contrat d’objectifs et de moyens, il s’agit de la gouvernance démocratique et financière, du renforcement des politiques de sécurité, de stabilisation et de sûreté dans les pays fragiles, du développement durable, du renforcement enfin des systèmes de santé, de protection sociale et de formation professionnelle.

Le COM enfin nous fixe également pour objectif de nous développer dans deux nouveaux secteurs stratégiques : l’agriculture et l’éducation.

En termes géographiques, nos interventions n’ont pas de frontières, dans le sens où la projection de l’expertise française ne se restreint pas aux pays en développement, et que le mandat qui nous a été donné pour étendre l’influence politique et économique de la France ne se limite pas aux pays fragiles. Nous intervenons ainsi dans l’est de l’Europe, dans les pays émergents et dans les pays du Golfe. Néanmoins, le contrat d’objectifs et de moyens nous fixe un objectif de réaliser 50 % de notre activité en Afrique et 20 % dans le voisinage sud et est européen.

Notre second objectif est de faire d’Expertise France l’agence de référence de la coopération technique. Cet objectif comporte quatre volets. Il s’agit d’abord de rassembler le secteur public – nous représentons déjà, après la fusion de six organismes, 75 % de l’assistance technique publique –, avec pour ambition de mettre sur pied une équipe de France de la coopération technique, grâce au développement des partenariats opérationnels avec les autres agences et les autres intervenants de la coopération technique.

Le second volet consiste à soutenir le secteur privé. C’est ce que nous faisons notamment lorsque nous remportons des contrats comme celui que nous avons signé au Bahreïn en janvier dernier, pour un montant de 8,4 millions d’euros, avec Egis, Arep ou l’ETEP, des bureaux d’études qui incarnent l’excellence française dans ce domaine.

En troisième lieu, nous développons des offres intégrées qui incluent de l’expertise mais également des infrastructures. Dans le domaine de la santé par exemple, cela signifie non seulement renforcer les capacités existantes en matière de gestion hospitalière mais superviser également la création d’hôpitaux de référence.

Le quatrième volet enfin consiste à développer un partenariat stratégique avec l’Agence française de développement. Nous avons la même tutelle et sommes engagés dans la même stratégie ; vous avez entendu son directeur général, qui partage cet objectif de rapprochement. Le contrat d’objectifs et de moyens indique ainsi que le montant global des contrats mis en œuvre par Expertise France sur financement de l’AFD devra atteindre 25 millions d’euros.

Le troisième objectif décliné par le COM, qui est en réalité primordial et que les syndicats souhaitent voire privilégié, consiste à parachever la fusion entre les six organismes qui ont abouti à la naissance d’Expertise France et à apaiser le climat social. Une fusion est toujours éprouvante, a fortiori quand elle concerne des organismes de statuts différents et ayant chacun un modèle économique propre. En l’occurrence, 50 % du personnel sont passé d’un statut de droit public à un statut de droit privé, 40 % ont changé de fonction et 30 % ont été affectés à un autre métier : ils doivent désormais remporter des marchés alors qu’auparavant ils géraient des subventions. Il faut donc accompagner les équipes, ce qui passe en premier lieu par un accord d’entreprise visant à harmoniser les temps de travail – sept régimes différents – et les grilles salariales. La loi nous fixait un délai de quinze mois pour y parvenir ; nous sommes sur le point d’aboutir à un accord, après six mois de négociations.

Enfin, le quatrième objectif, et non des moindres, est de parvenir à l’équilibre et de doubler l’activité en cinq ans – ce qui correspond davantage au business plan d’une start-up qu’à celui d’un établissement public – de manière à assurer notre autofinancement.

Nous avons réalisé cette année 31 % de croissance (hors MINUSMA) et devons donc poursuivre sur cette voie, mais notre situation de départ était très déficitaire, dans la mesure où nous avons fusionné, pour un coût de 3 millions d’euros, des organismes à peine à l’équilibre, auxquels, de surcroît, l’on a retiré 2 millions d’euros de subventions en nature.

Atteindre l’équilibre est donc un objectif ambitieux, un défi pour les équipes comme pour le management, car c’est une trajectoire qui comporte des risques qu’il importe de maîtriser. Le premier de ces risques serait de devenir un opérateur opportuniste, ce dont doit nous prémunir, d’une part, le COM, en nous incitant à rester inscrits dans une stratégie française et, d’autre part, la commande publique, orientée vers des secteurs et des zones géographiques stratégiques pour la France.

Le deuxième risque est un risque social – je l’ai évoqué. Quant au troisième risque, il menace la qualité de notre engagement, si nous devions être amenés à faire du chiffre pour du chiffre. Nous devons à tout prix préserver l’image de l’expertise française.

Si ces risques sont maîtrisés, nous aurons créé un opérateur utile à notre politique de solidarité, car améliorer la gouvernance des pays du sud est ce que l’on peut faire de plus utile : les pays fragiles ont en effet autant besoin d’un transfert de savoir-faire que de financement. Nous aurons également créé un opérateur susceptible de soutenir l’influence de la France à l’étranger car, en exportant notre expertise, nous exportons les normes françaises et créons de ce fait un écosystème favorable à nos intérêts.

La création d’Expertise France est sans doute un succès, mais la France n’en demeure pas moins en retrait dans ce domaine, notamment par rapport à l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. La proportion de l’aide au développement consacrée par notre pays à l’expertise technique est inférieure à 10 %, contre 27 % en Allemagne, où la GIZ projette son expertise technique partout dans le monde, dans des projets dont le montant global atteint deux milliards d’euros. L’une des raisons en est que les Allemands y croient et pensent que l’expertise technique est l’un des instruments sur lequel doit s’appuyer une diplomatie globale moderne. Or il me semble que les Français, qui ont une longue expérience de l’assistance technique ainsi qu’une proximité avec les pays du sud que je n’ai pas à vous expliquer, devraient être plus offensifs.

Si Expertise France peut y contribuer en gagnant des parts de marché, nous le ferons d’autant mieux que nous serons aidés dans la structuration de nos équipes et que notre action pourra être portée, d’une part, par un accroissement de l’aide bilatérale et, d’autre part, par une augmentation de l’expertise technique au sein de cette aide bilatérale.

Sous ses réserves, l’agence que je dirige pense pouvoir atteindre les objectifs fixés par le COM.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Le contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France est un contrat ambitieux. C’est une nécessité compte tenu de notre retard dans ce domaine, qui est un vecteur d’influence. En Tunisie par exemple, il apparaît clairement que ce sont moins les financements qui manquent que la capacité de faire vivre et aboutir les dossiers sur le plan économique et social.

M. François Loncle. J’ai la chance de représenter l’Assemblée nationale avec mon collègue André Schneider au sein du conseil d’administration d’Expertise France, née de la fusion de six organismes qui faisaient à peu près la même chose, ce qui est une belle illustration du caractère irrationnel, voire grotesque, que revêt parfois la bureaucratie dans notre pays.

Je confirme en effet que le climat social au sein de l’agence est actuellement tendu, ce qui s’explique par les changements induits par la fusion. Il est donc important que vous soyez soutenus dans vos efforts pour apaiser les tensions.

Vous avez énuméré toute une série d’actions concrètes, mais il me semble que vous n’avez pas indiqué votre rôle majeur au Mali, où vous œuvrez pour la décentralisation prévue par les accords d’Alger, censée résoudre une partie des problèmes que connaît le nord du pays. C’est une tâche immense et j’aimerais savoir comment vous procédez concrètement.

M. André Schneider. Nous éprouvons beaucoup de plaisir, François Loncle et moi-même, à siéger au conseil d’administration d’Expertise France, sur laquelle semble souffler un esprit neuf, qui se traduit notamment, monsieur le directeur général, par les efforts que vous faites pour rationaliser les moyens et harmoniser la situation de personnels dotés jusqu’à présent de statuts différents. Je crois donc qu’il faut tout faire pour donner à cette agence les moyens dont elle a besoin. Ce seront des moyens permettant à la France d’être compétitive, notamment par rapport à nos voisins anglais et allemands. Nous ferons donc tout ce qui est en notre pouvoir pour représenter dignement notre commission au sein du conseil d’administration mais également pour apporter notre contribution à la bonne marche de l’agence.

M. Jean Launay. Quels sont précisément les six organismes qui ont fusionné pour donner naissance à Expertise France ?

À titre personnel, je m’occupe d’une plate-forme qui promeut des politiques de l’eau à l’étranger. Il existe dans ce domaine naturellement très lié à celui de la coopération et du développement un modèle français, qui s’incarne dans une filière et des savoir-faire. Qu’elle est l’implication d’Expertise France sur cette question, en particulier en Afrique et dans la bande sahélo-saharienne ? Je suis en effet de ceux qui pensent que, quand on donne l’accès à l’eau, on limite les migrations.

M. Jacques Myard. Comment percevez-vous votre double tutelle : comme une contrainte ou comme la possibilité d’échapper en réalité à toute véritable tutelle ?

En ce qui concerne votre collaboration avec l’AFD, on sait que cette dernière a parfois défendu en matière d’accompagnement industriel des projets davantage inspirés par une conception romantique de l’aide au développement que par une anticipation des retombées économiques pour la France et le souci d’accompagner notre stratégie d’influence. Comment donc choisissez-vous les projets dans lesquels vous vous engagez avec l’AFD ?

Il n’est pas étonnant par ailleurs que nous ayons pris quelque retard sur l’Allemagne, qui pratique depuis des décennies une stratégie d’entrisme industriel en matière de développement. Il ne faut en outre pas oublier que le potentiel industriel de l’Allemagne est le double du nôtre, ce qui lui confère quelques atouts supplémentaires.

Enfin, l’aide européenne au développement coûte à la France 9 milliards d’euros par an, sans que l’on soit fort bien payés en retour.

M. Boinali Said. Existe-t-il des formes de partenariat entre Expertise France et les collectivités d’outre-mer, notamment là où l’AFD est présente ?

Mme Valérie Fourneyron. Je voudrais en premier lieu vous féliciter, monsieur le directeur général, pour l’importance du travail que vous avez accompli en peu de temps, notamment pour mener à bien la fusion de différents organismes et des différents personnels, tâche qui nécessite plus que du doigté.

J’aimerais savoir par ailleurs comment vous entendez concrètement formaliser votre rapprochement avec l’AFD ?

Mme Seybah Dagoma. Expertise France a signé une convention avec Business France, qui vise à créer des synergies entre les deux structures afin d’améliorer la réalisation de leurs missions respectives et de contribuer à l’influence de la France à l’étranger. Quel regard portez-vous sur cette coopération et ses perspectives ?

M. Hervé Gaymard. J’ai été, sous la législature précédente, le rapporteur de la loi qui a abouti à la création d’Expertise France, un rapporteur heureux dans la mesure où les dissensions étaient telles au sein de l’État que j’ai pu largement réécrire le texte. Il est d’ailleurs très heureux que nous ayons pu le réécrire, car le projet initial du Gouvernement aboutissait à une structure hybride, chargée à la fois de l’expertise et de l’accueil des étudiants étrangers, sachant que le Quai d’Orsay ne voulait pas que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche se mêle de l’accueil des étudiants étrangers en France.

Pour éviter cette balkanisation administrative invraisemblable, nous avons donc créé, d’une part, une structure charger d’attirer, d’accueillir et de suivre les étudiants étrangers en France, ce qui est un pilier majeur de notre politique d’influence, et, d’autre part, Expertise France qui réunit aujourd’hui les trois quarts de l’expertise publique française.

M. Sébastien Mosneron-Dupin. Je voudrais tout d’abord saluer M. Loncle et M. Schneider, qui sont à la fois très présents et très utiles au conseil d’administration. Par ailleurs, je confirme que le Parlement a véritablement fait œuvre utile, d’autant qu’il n’est pas toujours simple de fusionner des organismes en demandant à leurs directeurs généraux de se faire hara-kiri au nom de l’intérêt général.

Si pendant longtemps plusieurs structures ont perduré côte à côte, c’est d’abord parce que l’administration est un écosystème dans lequel il y a beaucoup de naissances et peu de morts. C’est surtout parce qu’à l’origine la coopération technique relevait des ministères qui, après s’en être chargés eux-mêmes, ont créé des démembrements qui sont devenus des opérateurs, chacun de ces opérateurs revendiquant un métier très spécifique. En réalité, si le savoir-faire en matière de protection sociale n’est pas le même qu’en matière de police, qualifier un besoin, définir une méthodologie, gérer un vivier d’experts ou des projets de coopération sur la durée relèvent d’un métier en commun, celui de l’expertise technique. Créer une structure unique était donc une décision de bon sens.

En ce qui concerne le climat social, si nous n’avons pas été jusqu’à marier MSF et Ersnt & Young, nous avons néanmoins marié des gens très différents. Je pense malgré tout pouvoir affirmer qu’au bout de dix-huit mois nous sommes parvenus à créer un embryon de culture d’entreprise. Une fusion prend du temps, et il a fallu définir des process et des méthodes de travail communes, convaincre des équipes qui pensaient toutes détenir la vérité en matière de coopération de se rallier à une vérité commune.

Je suis par ailleurs en passe de signer un accord d’entreprise, qui placera les salariés sous un régime de temps de travail commun – aujourd’hui, il peut y avoir jusqu’à douze jours de congés en plus ou en moins entre deux membres d’un même bureau, et parfois mille euros de différence dans la rémunération de personnels qui ont les mêmes fonctions et la même ancienneté. Il est donc urgent d’amorcer un processus d’harmonisation, qui ne se fera pas du jour au lendemain mais qui est essentiel à la cohésion du groupe.

Pour ce qui est de nos actions concrètes au Mali, monsieur Loncle, il s’agit évidemment d’un pays où nous sommes très investis. D’abord en matière de sécurité puisque nous assurons, pour le compte de l’ONU, la logistique de la MINUSMA, notamment à Gao ou à Tessalit. Si cela peut sembler une mission assez éloignée de l’aide au développement, elle est pourtant absolument essentielle car il n’y aura pas de développement au Mali sans sécurité. Nous avons remporté hier un contrat de plus de 20 millions d’euros auprès du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique (FFU), qui est un fonds européen, ce qui est, d’une certaine manière, monsieur Myard, une manière de récupérer une partie de notre mise.

M. Jacques Myard. Autant la garder d’emblée !

M. Sébastien Mosneron-Dupin. En l’occurrence l’Union européenne permet à l’ensemble des opérateurs européens de mener une action commune dans un pays où coexistent plus de trente-sept bailleurs de fonds. 40 % du budget du Mali provient en effet de l’aide publique au développement, et si ces 40 % étaient gérés par trente-sept entités ne se parlant pas, nous serions certes une partie de la solution mais également une partie du problème. l’Europe peut donc jouer un rôle de coordinateur.

En matière de décentralisation, dont je vous accorde, monsieur Loncle, qu’il s’agit d’un mouvement essentiel au développement du Mali et de l’Afrique en général, nous avons commencé par de petits projets, ne serait-ce que parce que on confond souvent décentralisation et déconcentration, et que les projets que l’on nous soumet ne sont souvent que des projets de déconcentration des services de l’État. Quoi qu’il en soit, nous accompagnons la formation d’administrateurs locaux et la mise en place d’un système de finances publiques locales, encore balbutiant. Le nerf de la guerre en effet, lorsque la décentralisation est en jeu, c’est l’autonomie financière des collectivités territoriales, dont le Mali est encore très loin. C’est la raison pour laquelle nous assistons notamment, avec la DGFiP, la mairie de Bamako dans la mise en place et la consolidation des services comptables, fiscaux et de gestion budgétaire.

Nous apportons enfin notre expertise aux Maliens dans les domaines du développement durable et de la santé.

Monsieur Schneider, vous avez raison de souligner que l’agence a besoin d’être accompagnée. Pour l’heure en effet, nous fonctionnons à plus de 65 % avec des financements étrangers. C’est certes une façon intelligente de capter des capitaux internationaux pour projeter l’expertise française, mais cela nous expose dans le même temps à devenir un opérateur guidé avant tout par des stratégies européennes ou multilatérales. Une aide bilatérale nous permettrait non seulement d’assurer notre présence dans les zones géographiques et les secteurs d’activité qui représentent un réel enjeu pour la France mais également d’investir dans l’agence.

Un gros effort d’investissement est en effet nécessaire notamment en matière de formation professionnelle et d’équipement informatique, car il nous faut des outils performants. C’est dans ces domaines que l’État peut accompagner l’Agence, ce qu’il fait, de façon dégressive puisqu’en 2019 nous ne recevrons plus aucune subvention de fonctionnement et devrons nous autofinancer. D’ici là, il importe que l’agence puisse continuer à bénéficier d’investissements qui lui permettent de rivaliser avec ses concurrents européens, la GIZ mais également Crown Agency en Angleterre ou la FIIAPP en Espagne.

Monsieur Launay, les six organismes qui ont fusionné au sein d’Expertise France sont les suivants : France expertise internationale, un organisme du ministère des affaires étrangères ; ADETEF, un organisme du ministère des finances qui travaillait dans le domaine de l’expertise financière ; ADECRI, un organisme qui dépendait des caisses de sécurité sociale ; le GIP Inter, un organisme qui dépendait du ministère du travail ; le GIP Esther et le GIP SPSI, qui travaillaient dans le domaine de la santé.

Monsieur Myard, nous nous accommodons fort bien de notre double tutelle, car, contrairement à ce que j’avais anticipé, Bercy et le Quai d’Orsay sont très souvent d’accord et leur accompagnement nous est utile. Quasiment la moitié du Gouvernement est par ailleurs représentée au conseil d’administration, où siègent des représentants des ministères de l’éducation nationale, de l’environnement, de la justice et de l’intérieur. Écrire un contrat d’objectifs et de moyens avec autant de mains n’a pas été la chose la plus simple, et cela explique le nombre élevé d’objectifs que comporte le document.

En ce qui concerne l’Europe, elle représente 40 % de nos financements, ce qui signifie que nous contribuons à améliorer le taux de retour de la contribution de la France à l’aide au développement européenne, que nous finançons à hauteur de plus d’un milliard d’euros. Je redis que la coopération européenne est un instrument de coordination qui peut être performant. Le FFU par exemple, doté de 1,8 milliard d’euros, permet à toutes les agences qui interviennent sur le terrain au Sahel de s’accorder sur une programmation commune et de présenter des projets qui sont, de ce fait, complémentaires.

Expertise France a présenté pour plus de 200 millions d’euros de projets financés sur le fonds FFU et, comme je l’ai indiqué, nous venons de gagner un projet sur le renforcement des forces de sécurité au nord Mali. Nous concourrons également au fonds Bêkou pour la République centrafricaine, avec notamment un projet de renforcement des services publics locaux dans trois départements.

Quant au choix de nos projets, il obéit à plusieurs critères. En premier lieu, notre logique n’est pas une logique d’offre, mais une logique de besoin : nous répondons à un besoin de transfert de connaissances ou de renforcement de capacités.

Ceci posé, les projets doivent pouvoir être financés, car nous n’avons en propre ni argent ni subventions pour financer les contrats que nous remportons. Un projet doit ensuite correspondre à notre contrat d’objectifs et de moyens, et aux orientations de la stratégie d’influence française. Enfin, nous devons posséder l’expertise nécessaire. Si l’ensemble de ces critères est réuni, nous pouvons accepter un projet qui, au-delà de sa dimension solidaire, contribuera à renforcer l’influence politique et économique de la France dans la zone.

En ce qui concerne la coopération avec les territoires d’outre-mer, nous nous efforçons de la développer. Elle demeure pour l’instant à un niveau très modeste alors que le potentiel est considérable. Nous travaillons notamment en Haïti, où doit se rendre prochainement notre directeur des opérations, pour voir dans quelle mesure le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) qui est implanté en Guadeloupe pourrait étendre ses activités agricoles en Haïti ; il en va de même à Madagascar, à partir de La Réunion. Les régions ultramarines possèdent une expertise qu’elles doivent intégrer dans leurs politiques de voisinage, pour le plus grand bénéfice de notre stratégie d’influence.

Madame Fourneyron, l’AFD est une banque et nous sommes une agence de mise en œuvre ; nos métiers sont complémentaires. Pour parvenir à l’objectif de 25 millions d’euros de contrats réalisés, nous envisageons trois types de collaboration : d’une part l’exécution par Expertise France de projets conçus par l’AFD, comme par exemple la Facilité Climat ; ensuite, la conception commune de projets – c’est ce que nous faisons en Centrafrique ; enfin, le financement par l’AFD de certains de nos projets, qui impliquent de la maîtrise d’ouvrage locale.

Madame Seybah Dagoma, le partenariat avec Business France a deux vocations. La première est de faire appel à l’agence pour ce qu’elle maîtrise le mieux, c’est-à-dire trouver des PME françaises ou locales qui puissent compléter notre offre. Je pense en effet que le modèle d’expertise de demain ne doit pas uniquement reposer sur de l’expertise française mais conjuguer celle-ci avec l’expertise des pays du sud : ainsi, pour remporter un marché angolais sur la formation professionnelle, nous nous sommes appuyés sur des partenaires portugais et des partenaires locaux, de façon à proposer une offre pertinente, adaptée au terrain. La seconde vocation de ce partenariat doit nous permettre de projeter à l’international le savoir-faire qui a été acquis en matière de promotion du commerce extérieur. De ce fait, nous développons avec Business France une offre en matière de soutien au commerce extérieur. Nos tutelles sont les mêmes, tout comme nos missions de diplomatie économique. Nos équipes collaborent sur certains sujets, comme la santé ; elles doivent d’ailleurs se réunir vendredi pour définir les secteurs et les pays prioritaires sur lesquels nous allons travailler ensemble.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le directeur général, nous vous remercions de nous avoir ainsi éclairer sur le contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France.

M. Jean-René Marsac. On me demande d’intervenir en tant que rapporteur de la mission d’information sur les acteurs bilatéraux et multilatéraux de l’aide publique au développement, présidée par notre collègue André Schneider. Cette mission s’efforce d’étudier les rapports et les équilibres existant entre les différents acteurs de l’aide au développement, et Expertise France s’inscrit parfaitement dans ce cadre.

La création d’Expertise France s’inscrit dans le cadre de la loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Le processus est récent mais la dynamique est maintenant lancée, avec le regroupement de six agences employant 250 personnes.

Concernant l’objectif d’autofinancement d’Expertise France, la mission d’information regardera la manière dont les choses évoluent.

Les objectifs énumérés dans le projet de COM sont pertinents. Du point de vue géographique, la priorité est donnée à l’Afrique subsaharienne et, du point de vue des thématiques, Expertise France ajoute trois domaines d’expertise à ceux qu’elle prend déjà en charge : l’éducation, ce qui rejoint les propos que nous a tenus le ministre André Vallini lors de sa récente audition, le développement agricole et le renforcement des politiques culturelles, que M. Mosneron-Dupin n’a pas évoqué à l’instant.

Concernant la gouvernance, les actions d’Expertise France seront appuyées par l’accord-cadre signé avec l’Agence française de développement. Il est important que ce partenariat réussisse. Pour l’instant, les ressources d’Expertise France viennent en effet surtout d’autres bailleurs. La fluidité et le bon fonctionnement de ce partenariat est donc un enjeu majeur.

Dans le marché mondial de l’expertise, Expertise France reste pour l’instant un acteur de niveau modeste. Son rôle est cependant important de notre point de vue puisqu’il contribue à diffuser les normes françaises dans le reste du monde.

Dernier point, le projet de COM prévoit d’ici la fin 2020 une augmentation des effectifs de 35 % pour une augmentation de l’activité de 73 %. Il y a donc un défi en termes de productivité.

La mission d’information aura l’occasion de revenir sur ces différents points, notamment en février 2017 lorsqu’elle remettra son rapport.

M. François Loncle. M. Mosneron-Dupin a mentionné la difficulté tenant au fait que de nombreux ministères sont présents au sein du conseil d’administration d’Expertise France et participent aux prises de décision de l’agence. Peut-être ce système pourrait-il être simplifié.

Je pense en particulier au ministère de l’Éducation nationale, puisque nous avons demandé lors des discussions budgétaires que ce ministère puisse contribuer au financement des lycées français de l’étranger, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.

Par conséquent, plutôt que de se mêler de toutes sortes d’affaires sans y contribuer réellement, peut-être pourrait-on mettre en application le principe selon lequel soit on participe, soit on s’en va.

M. André Schneider. Ayant récemment remis un rapport sur l’enseignement du français dans le monde, j’approuve totalement ce que vient de dire mon collègue François Loncle.

Plus généralement, nous devons soutenir cette structure qui joue un rôle important.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je propose que nous adoptions ce projet de COM et que nous joignions à cette approbation un vœu de cohérence et de regroupement des différentes tutelles. Quel est l’avis du rapporteur ?

M. Jean-René Marsac. Je donne un avis favorable à ce projet de COM.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je vous remercie cher collègue pour votre présentation précise.

M. François Loncle. J’interviens en qualité de représentant, avec André Schneider, au conseil d’administration de France Expertise. Le directeur général a indiqué que la difficulté au sein du conseil d’administration comme pour l’élaboration du COM résidait dans le fait que de nombreux ministères sont acteurs. On sait qu’Expertise France est sous la double tutelle du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Economie et des finances, mais se greffe toute cette série de ministères qui vient compliquer les processus. N’y aurait-il pas manière à simplifier, sans le faire avec brutalité, pour que ces ministère ne soient pas forcément parties prenantes, même si de l’extérieur ils peuvent donner leur avis ? J’ajoute que le ministère de l’Education nationale refuse jusqu’à présent d’augmenter son effort en faveur du financement de l’action extérieure de la France, qu’au cours de l’examen de la dernière loi de finance la demande a été exprimée qu’il participe au budget de l’action culturelle extérieure, notamment pour des emplois dans le réseau des lycées français. Plutôt que de se mêler de tout sans rien donner en échange, il doit comprendre que, soit il participe financièrement, soit il s’en va.

M. André Schneider. J’approuve totalement les propos de François Loncle. Dans le cadre d’une Mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français dans le monde, nous avions pu les vérifier et c’était tout à fait les axes de réflexion de cette mission. S’agissant de France expertise, cela fait beaucoup de monde autour de la table et on pourrait imaginer des représentants ministériels. Tout cela va dans le sens de l’intervention du directeur général. Il faut soutenir le développement de cette structure prometteuse et on ne peut qu’approuver la communication faite.

M. Jean-René Marsac. Je vous propose d’approuver le contrat d’objectifs et de moyens et de suivre l’évolution des choses.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Pour accompagner le vote sur le projet de COM, sur lequel le rapporteur donne un avis favorable, nous pourrions formuler un vœu émanant de la proposition conjointe des deux représentants au conseil d’administration à l’attention des autorités de tutelle.

La Commission donne un avis favorable à l’unanimité sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de France expertise et l’assortit d’un vœu en faveur de la cohérence et du regroupement dans l’exercice de la compétence décisionnaire.

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lituanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité (n° 3501) et examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (n° 3500) – M. Didier Quentin, rapporteur.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous allons maintenant procéder à l’examen de deux projets de loi portant approbation d'accords de coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité avec la Lituanie d’une part et la Croatie d’autre part. Je donne la parole au rapporteur, M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin, rapporteur. La commission m’a laissé le soin de vous présenter deux accords de coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité, le premier avec la Croatie et le second avec la Lituanie.

Pourquoi cet examen conjoint des deux textes ? Sans vouloir établir des analogies douteuses, on peut tout de même souligner des similitudes dans le contexte de négociation des deux accords qui appuyaient ce choix.

Premièrement, la Croatie et la Lituanie font toutes les deux partie des PECO (pays d’Europe centrale et orientale), ces pays anciennement compris dans la sphère communiste et progressivement intégrés dans l’OTAN et dans l’Union européenne à partir des années 2000. La Lituanie a ainsi intégré l'OTAN et l'Union européenne en 2004, tandis que la Croatie est entrée dans l'OTAN en 2009 et dans l'Union européenne en 2013.

Deuxièmement, pour ces deux pays, la France ne fait pas partie du premier cercle de partenaires. Ce sont deux pays très atlantistes, pour qui la relation avec l'OTAN et avec les États-Unis est primordiale, et qui sont très proches de l'Allemagne sur le plan économique. Les actions de coopération militaire bilatérale entreprises par la France avec ces pays sont ainsi plutôt modestes.

Cependant, et c'est mon troisième point, dans les deux cas, les évolutions du contexte stratégique mondial rendent ces pays plus réceptifs aux problématiques sécuritaires. À cette occasion, la France renforce son dialogue stratégique avec eux ; cette nouvelle proximité peut trouver des applications dans les domaines de l'armement ou des opérations extérieures.

Enfin, les deux accords ont été signés en même temps, le 12 juillet 2013 pour la Lituanie et le 14 juillet 2013 pour la Croatie. Dans les deux cas, il est donc temps de les approuver, sachant que nos partenaires ont accompli leurs procédures de ratification dès la fin de l’année 2013.

Je vous présenterai d’abord les enjeux de la coopération militaire avec la Lituanie et avec la Croatie avant d’en venir aux apports concrets des textes que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui.

Notre relation avec la Lituanie est ancienne. Pour l’anecdote, on peut se souvenir que Napoléon 1er y a séjourné à plusieurs reprises, notamment en 1812 en pleine retraite de Russie, et qu’il en avait gardé une excellente impression. Par le passé, la France a eu une influence culturelle non négligeable en Lituanie. Dans l’entre-deux guerres, le français y était la première enseignée.

Mais cette influence s’est aujourd’hui quelque peu étiolée au profit des pays anglo-saxons et de l’Allemagne, qui est l'un de ses premiers partenaires économiques. En matière de défense, la Lituanie a toujours accordé une priorité forte à l'OTAN et à la relation avec les États-Unis. La crise russo-ukrainienne a accentué à l'outrance le réflexe otanien de la Lituanie en même temps qu'elle a provoqué un réveil des consciences dans ce pays qui avait complètement délaissé son outil militaire. Face à ce qu'elle perçoit comme une menace russe imminente et existentielle, la Lituanie a décidé d'accroître son effort de défense de 0,8 à 2% du PIB au plus tard en 2020. Cet effort volontariste est rendu possible par un taux de croissance soutenu, de l'ordre de 3 à 3,5% du PIB depuis 2011.

Par ailleurs, La Lituanie a fait appel à la solidarité de ses alliés en demandant à ce que l'OTAN soit recentrée sur sa mission de défense collective. Les alliés ont réagi en adoptant des mesures de réassurance : accroissement en taille et en fréquence des exercices sur le territoire des alliés baltes et orientaux, prépositionnement de matériels et d'équipements, renforcement de la police du ciel des États baltes et bientôt déploiements par rotation de troupes alliées. La France a pris sa part de l'effort de réassurance. Elle assurera pour la sixième fois à partir du mois de septembre la mission de police du ciel des États baltes, ce qui mobilisera 4 avions de chasse et 120 personnels pendant 4 mois. La France conduit également des vols de surveillance maritime en mer baltique. Étant données les tensions qui pèsent sur notre outil militaire déjà fortement sollicité, cet effort n'est pas négligeable.

Plus généralement, le réinvestissement de la France dans l'OTAN a permis de nouer un dialogue stratégique de qualité avec la Lituanie et d'échanger sur nos préoccupations de sécurité respectives. Cette méthode s'avère payante. La Lituanie se montre désormais disposée à s'investir davantage dans les opérations en Afrique pourvu que nous maintenions notre effort sur les mesures de réassurance. En réponse à l'invocation par la France de l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne, le Parlement lituanien a accepté de doubler les effectifs engagés au sein de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA), de 20 à 40 militaires, ce qui n'est pas négligeable pour ce pays qui compte au maximum 130 militaires déployés en opération extérieure.

Au total, c'est une coopération modeste que nous avons avec la Lituanie mais qui a trouvé à s'épanouir selon un principe de donnant-donnant. Il nous reviendra d'entretenir cette dynamique en marquant notre attention pour les préoccupations de sécurité de ce pays. De ce point de vue, l'approbation de l'accord (certes près de trois ans après notre partenaire...) sera un signal politique positif.

J'en viens aux enjeux de la coopération militaire entre la France et la Croatie. Si la relation franco-lituanienne est ancienne, la France a tardé à développer ses relations avec la Croatie. Notre pays était traditionnellement plus proche de la Serbie, le rival historique de la Croatie. C’est ainsi que le Monument de la reconnaissance à la France situé à Belgrade, que nous avons vu lors d’une récente mission de la commission des Affaires européennes, porte l’inscription : « Nous aimons la France comme elle nous a aimé – 1914-1918 ». Ce monument, dont l’inscription a été quelque peu effacée ces dernières années, aurait d’ailleurs besoin d’être restauré, et je profite de cette occasion pour émettre le souhait que l’Assemblée nationale contribue à cette restauration.

De son côté, la Croatie a toujours eu des liens plus forts avec l'Allemagne. Ce retard continue de se faire sentir aujourd'hui dans le domaine de la coopération de défense, où la Croatie a une relation presque exclusive avec les États-Unis. La France était le seul grand pays européen à ne pas avoir d'accord de coopération avec la Croatie. D'après le Gouvernement, nous sommes en dessous de la moyenne européenne pour les activités militaires bilatérales avec la Croatie. A la différence des autres grands États européens, nous ne participons pas aux exercices régionaux conduits par l'OTAN ni aux manifestations du RACVIAC (regional arms control verification and implementation assistance centre), qui est le principal forum de sécurité balkanique.

Par ailleurs, les sommes que notre pays consacre à la coopération structurelle avec la Croatie ont fondu depuis 2010. Auparavant, la Direction de coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères consacrait environ 100 000 euros par an à la coopération militaire avec la Croatie, contre 6000 au maximum actuellement. Rappelons que ce type de coopération dite structurelle a pour objet de renforcer sur le long terme les capacités militaires d'États partenaires fragiles par des actions de formation, la mise en place de coopérants techniques auprès des responsables politiques et militaires et la conduite de missions d'expertise. D'après le Gouvernement, la chute de crédits de la coopération structurelle avec la Croatie s'explique en partie par son adhésion à l'OTAN en 2009, qui lui a permis d'avoir accès aux programmes de l'Alliance. Cependant, elle découle surtout de la forte réduction des moyens de la coopération structurelle française, recentrée sur des cibles prioritaires, principalement en Afrique.

Quant à la coopération opérationnelle conduite par les militaires français avec l'armée croate, elle est, de fait, très limitée par la taille réduite de l'armée et les faibles moyens de notre partenaire. La Croatie a perdu 13% de son PIB avec la crise économique et accuse aujourd'hui des déséquilibres macroéconomiques importants : déficit public supérieur à 5% du PIB entre 2009 et 2014 ramené à 3,2% en 2015, taux de chômage de 17% entre autres. Dans ce contexte, la Croatie fait partie des pays qui continuent de réduire leur effort de défense. Celui-ci s'élevait à 610 millions d'euros, soit 1,24% du PIB, en 2015. C'est ainsi essentiellement dans le domaine maritime que nos deux armées sont conduites à coopérer, la plupart du temps lors d'escales de bâtiments de la marine nationale en Croatie. Ces escales sont l'occasion d'organiser des exercices ou des séminaires ou de prévoir l'embarquement d'officiers croates. En 2016, une escale était prévue au mois de mai, celle du patrouilleur hauturier l'Adroit.

Les actions de coopération avec la Croatie sont donc très limitées. Mais d'après le Gouvernement, il y aurait matière à approfondir cette coopération en raison d'une nouvelle proximité de vues entre nos deux pays. Le nouveau ministre des affaires étrangères croate, M. Kovac, est un francophone qui manifeste la volonté de nouer des relations étroites avec notre pays. Et la Croatie se montre plus disposée à s'investir dans les opérations militaires de l'Union européenne, alors qu'elle privilégiait en principe systématiquement le cadre de l'OTAN. Elle a d'ores et déjà participé aux opérations maritimes Atalante au large de la Corne de l'Afrique et Sophia en Méditerranée occidentale. Par ailleurs, elle a répondu à la demande de solidarité de la France au titre de l'article 42.7 par une dotation en armement et en matériel et pourrait déployer des soldats au Mali d'ici la fin de l'année.

Quels sont les apports des deux accords sur lesquels nous devons nous prononcer ? Sur le plan juridique, ces textes ont le mérite de proposer un cadre actualisé pour les actions de coopération conduites avec la Croatie et la Lituanie. Auparavant, ces actions étaient encadrées par des arrangements techniques conclus dans les années 1990. Ces arrangements, dont la portée et le champ étaient beaucoup plus étroits, ont été rendus obsolètes par l'adhésion à l'OTAN de la Croatie et de la Lituanie, qui a complètement modifié notre relation de défense avec ces pays. Il était donc utile de prévoir un cadre rénové qui tenait compte de ces évolutions. La France a entrepris la même démarche avec la plupart des autres PECO, à l'image de la Roumanie (avenant de 2008), de la Pologne (avenant de 2006), de l'Estonie (accord de 2011) ou encore de la Lettonie (négociation en cours).

Je ne m'attarderai pas sur l'analyse des stipulations des accords, qui sont dans l'ensemble conformes à ce que l'on trouve dans ce type de textes, avec des petites variantes liées aux contextes de négociation ou aux spécificités de chaque pays. Les deux accords énumèrent dans un premier temps le champ et les modalités de la coopération, qui sont largement appréhendés. Suivent les questions relatives au statut des forces en visite, pour lesquelles les deux accords procèdent par renvoi au SOFA OTAN. On appelle SOFA OTAN la Convention entre les États parties au traité de l'Atlantique nord sur le statut des forces en visite, qui définit les différents éléments du statut des forces en visite sur le territoire d'une autre partie : conditions d'entrée et de séjour, facilités opérationnelles, questions juridictionnelles, modalités de règlement des dommages et questions fiscales. La Lituanie et la Croatie étant toutes deux membres de l'OTAN et parties au SOFA OTAN, il suffisait de renvoyer à ce traité pour régler l'ensemble de ces questions. Il faut pourtant noter que le renvoi au SOFA OTAN dans les accords que nous examinons conduit à étendre le bénéfice de ses clauses au personnel civil du ministère des affaires étrangères susceptible d'être déployé dans le cadre des actions de coopération structurelle. En effet, le SOFA OTAN ne s'applique qu'aux personnels civils du ministère de la défense. Or, la coopération structurelle relève en France du ministère des affaires étrangères. Jusqu'à présent, son personnel civil se trouvait soumis au droit local dans le cadre des actions de coopération, ce qui était nettement moins protecteur. Cette extension du bénéfice du SOFA OTAN est en réalité le principal apport des deux accords d'un point de vue juridique.

Que penser de la portée de ces accords sur le plan politique ? Ils permettront d'entretenir la dynamique positive de notre dialogue stratégique avec la Lituanie et la Croatie observée au cours des dernières années. Cela pourra peut-être ouvrir quelques possibilités en matière d'exportation d'armement, en particulier en Lituanie où des acquisitions d'équipements seront prévues dans le cadre de la hausse de l'effort de défense. La France a d'ailleurs pris l'initiative de créer un forum franco-baltes de l'industrie de défense qui donne l'occasion aux industriels français de se faire connaître. Avec la Croatie, les perspectives en matière d'armement seront beaucoup plus restreintes en raison de la contrainte budgétaire. Ces accords permettront aussi de renforcer notre partenariat politico-militaire avec deux pays qui ne font pas partie de notre sphère traditionnelle. Nous avons d'ores et déjà constaté, avec la Lituanie, que l'on pouvait trouver des terrains d'entente sur le plan opérationnel tout en ayant des intérêts de sécurité prioritaires différents.

En conclusion, il me semble que ces deux accords permettent une actualisation juridique plutôt positive de notre coopération militaire avec la Lituanie et la Croatie. Ils ne peuvent en outre qu'être bénéfiques sur plan politique. Je vous encourage donc à les approuver, comme le Sénat les a approuvés le 11 février dernier.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. La Lituanie vit effectivement avec une certaine angoisse son voisinage avec la Russie.

Je ne manquerais pas de faire part au Président de l’Assemblée nationale de votre vœu s’agissant de la restauration du Monument de la reconnaissance à la France situé à Belgrade. C’est effectivement un témoignage très émouvant.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les projets de loi (n° 3501) et (n° 3500) sans modification.

Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 15 juin 2016, la commission a nommé :

– M. François Scellier, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Autriche relatif au statut juridique des personnels de l’armée fédérale autrichienne au cours de leur séjour dans la collectivité territoriale française de Guyane (n° 3722).

– Mme Valérie Fourneyron, rapporteure, sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (n° 3797)

La séance est levée à onze heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 15 juin 2016 à 9 h 30

Présents. - M. Kader Arif, M. Philippe Baumel, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. François Fillon, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean Launay, M. Patrick Lemasle, M. Bernard Lesterlin, M. François Loncle, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Patrice Prat, M. Didier Quentin, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Édouard Courtial, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Cécile Duflot, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Marc Germain, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Pierre Lequiller, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Alain Marsaud, M. Jean-Claude Mignon, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Santini, M. Guy Teissier