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Commission des affaires étrangères

Mardi 28 juin 2016

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n°84

Présidence de Mme Odile Saugues, Vice-Présidente

– Examen, ouvert à la presse, des projets de loi suivants :

- Accord entre la France et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles (n° 3695) – M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur

- Accord en la France et la Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (n° 3797) et accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 3745) – Mme Valérie Fourneyron, rapporteure ;

- Convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs (n° 3670) – M. Jean Glavany, rapporteur ;

- Accord entre la France et le Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises (n° 3746) et accord en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) (n° 3747) – M. Gabriel Serville, rapporteur ;

- Accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses Etats membres et la République de Moldavie (n° 1884) – M. Thierry Mariani, rapporteur ;

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (n° 3797) et du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 3745)

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

Mme Odile Saugues, présidente. Nous examinons dans un premier temps, sur le rapport de Mme Valérie Fourneyron, deux conventions avec la Colombie : une convention fiscale en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, et un accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements.

Mme Valérie Fourneyron, rapporteure. Notre commission est saisie aujourd’hui de deux textes examinés conjointement. L’Assemblée nationale est saisie de deux projets de loi que la commission des affaires étrangères examine conjointement :

– le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune ;

– le projet de loi adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements.

Ces accord interviennent à point nommé, car la fin du conflit qui a duré près de 52 ans, fait 6,9 millions de déplacés, 260 000 morts, et 45 000 disparus, est en passe d’être acté et ouvre d’immenses perspectives de coopération, notamment au plan économique, entre nos deux pays. Le gouvernement colombien et la guérilla ont en effet signé à La Havane la semaine dernière un accord historique sur un cessez-le-feu définitif et le désarmement de la rébellion. Evidemment, l’accord ne mettra pas fin à toute violence. La France n’a d’ores et déjà pas ménagé ses efforts pour accompagner le post-conflit, au plan sécuritaire, mais aussi au plan de la coopération – l’AFD y est très active et appréciée.

L’accord de paix ouvre aussi des perspectives d’échanges économiques entre la France et la Colombie. La Colombie, dont la trajectoire économique au cours des 15 dernières années témoigne d’une forte résilience au choc externe constitué par la chute des cours des matières premières (environ 2 % de croissance attendus en 2016) est, avec 47 millions d’habitants, un marché particulièrement attractif pour les entreprises françaises. Elle constitue, par sa position géographique, un point d’accès aux marchés de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale. Du fait de son dynamisme, la Colombie est regardée aujourd’hui comme un des nouveaux pays émergents susceptibles de prendre le relai des BRICS actuellement en phase d’essoufflement. Nos entreprises l’ont déjà compris – la France est le 6ème investisseur en Colombie et l’un des premiers employeurs étrangers. A ce titre, les deux textes examinés aujourd’hui sont d’une grande importance pour nos deux pays.

L’accord fiscal tout d’abord : parmi la douzaine de textes et accords signés lors de la visite officielle de Manuel Valls en Colombie, la convention en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales était l’une des plus attendues. Sa négociation était en effet en cours depuis 2008. C’est un texte de facture classique qui correspond aux standards de l’OCDE. Son but principal est de poser un cadre fiscal clair, moderne et bien défini entre les deux pays, permettant ainsi aux entreprises comme aux particuliers de ne pas être imposés deux fois sur un même revenu.

Dans ce cadre, les dividendes versés par les filiales dans un Etat des groupes de l’autre Etat bénéficieraient d’une retenue à la source limitée à 15 % conformément au modèle de l’OCDE. Un taux réduit (5 %) s’appliquerait aux dividendes issus de participations supérieures à 20 %.

Par exception, le taux de retenue à la source de 15 % s’appliquerait quel que soit le niveau de la participation aux dividendes versés par des sociétés colombiennes appartenant à certains secteurs exonérés d’impôt sur les bénéfices par la législation de cet Etat. L’objectif est d’éviter dans ce cas une situation de non-imposition.

Les flux d’intérêts seraient soumis à un taux de 10 %, mais seraient exonérés dès lors qu’ils résultent de prêts entre institutions financières ou de prêts bancaires d’une maturité supérieure à 3 ans.

Le taux de la retenue à la source sur les dividendes sortants serait limité désormais à 10 % entre les deux Etats. De plus, son champ serait limité à ce que prévoient les principes internationaux de l’OCDE (excluant donc l’usage d’un équipement ou les services techniques).

La convention permet également aux deux pays de réaffirmer leur volonté de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Enfin, il prévoit les modalités d’une coopération administrative accrue.

Quant au projet de loi sur la protection des investissements, il vise à ratifier le premier accord de protection des investissements signé par la France depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Sur le fond, cet accord assurera la protection juridique des investissements français ou colombiens contre les risques qu’ils pourraient encourir dans l’Etat qui les accueille. Pour l’heure, les investissements colombiens en France demeurant limités, il bénéficiera davantage aux entreprises françaises qui font le choix d’investir en Colombie. Il est lui aussi de facture classique, mais comporte quelques dispositions innovantes. L’accord consacre une « exception culturelle » permettant aux parties de déroger aux stipulations de l’accord pour l’adoption de mesures destinées à préserver la diversité culturelle et linguistique. Cette clause, incluse dans l’accord à l’initiative de la France, avait fait l’objet de quelques réticences de la part de la Colombie.

L’accord mentionne aussi l’obligation pour les entreprises de se conformer aux standards internationaux en matière de responsabilité sociale des entreprises. Il interdit également le « dumping » en matière de réglementation environnementale ou sociale pour attirer les investisseurs.

Ces deux textes devraient favoriser la poursuite et le développement des échanges économiques entre les deux pays. Ils permettront de renforcer la présence des investisseurs français en Colombie. Leur entrée en vigueur sera porteuse d’un message fort renforçant le cadre des affaires pour les entreprises françaises qui s’intéressent déjà fortement au potentiel colombien.

Côté colombien, la procédure d’approbation est en cours. Elle implique le Congrès, puis la Cour constitutionnelle avant ratification par le Président de la République.

Au bénéfice ces remarques, je vous propose d’approuver ces deux projets de loi.

M. Thierry Mariani. Je souhaiterais poser deux questions par simple curiosité.

En premier lieu, vous avez dit que l’impôt sur la fortune entrait dans le champ de l’accord. Existe-t-il un ISF en Colombie ? Les Etats qui nous ont copiés sont en effet assez rares.

En deuxième lieu, vous avez dit que la France est le premier employeur étranger en Colombie. Est-ce à cause des grandes surfaces ? On s’en gargarise souvent mais cela ne nous rapporte rien.

M. Jean Glavany. Je suis en désaccord. C’est une aubaine pour l’industrie agroalimentaire française quand une grande surface française s’installe à l’étranger.

M. Thierry Mariani. Bien sûr, mais je dis simplement que de plus en plus d’États étrangers imposent à nos grande surfaces de distribuer des produits locaux.

M. Jean Glavany. Je souhaite simplement féliciter la rapporteure pour son efficacité.

Mme Valérie Fourneyron, rapporteure. Pour répondre à la question sur l’ISF, cet accord porte simplement sur l’ISF en France. Il n’y a pas d’ISF en Colombie.

Concernant les grandes surfaces, il y a effectivement beaucoup de grande distribution, mais n’oublions pas l’importance de la filière automobile française, notamment Renault, qui est présente en Colombie.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte les projets de loi n° 3797 et n  3745 sans modification

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Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs (n° 3670)

Mme Odile Saugues, présidente. Nous poursuivons avec l’examen, sur le rapport de M. Jean Glavany, du projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs.

M. Jean Glavany, rapporteur. Il me revient de vous présenter un projet de loi autorisant la ratification de deux textes :

- Un protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs.

- Une convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale ;

Ces deux textes, que l’on désigne comme la Convention et le Protocole de Pékin, visent à actualiser et à compléter, respectivement :

- La convention de La Haye de 1970 pour la répression de la capture illicite d’aéronefs.

- la convention de Montréal de 1971 sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale ;

Le premier de ces deux textes vise à lutter contre les détournements d’avions, le second vise à lutter contre la piraterie aérienne en général.

Les deux conventions d’origine ont été adoptées dans le cadre de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) – une organisation onusienne à distinguer de l’Association internationale du transport aérien (IATA) qui est un syndicat professionnel – afin de permettre aux États de coordonner leur action sur le plan juridique face à la montée des actes de piraterie aérienne qui a été très importante à partir des années soixante.

Le premier acte de piraterie aérienne hors conflit armé date de 1931, avec un détournement d’avion par des activistes péruviens. Les actes contre l’aviation civile se sont cependant multipliés à partir des années soixante et le terrorisme aérien est devenu un moyen d’action privilégié pour un certain nombre de mouvements d’opposition armée à travers le monde. Le phénomène n’a jamais cessé et on estime que près de 1100 actes violents contre l’aviation civile ont été commis depuis 1931.

La nature et le nombre de ces actes ont toutefois évolué. On dénombrait en 1970 350 actes violents contre l’aviation civile, on n’en compte plus que 12 en 2010. Le nombre de victimes a toutefois eu tendance à augmenter, puisque ces actes ont fait environ 800 morts dans les années soixante-dix, 3250 dans les années 2000 et déjà plus de 700 depuis 2010.

En effet, alors que le détournement d’avion visant à obtenir des concessions politiques était le moyen d’action le plus courant jusqu’aux années quatre-vingt-dix, on a aujourd’hui affaire à un terrorisme qui vise essentiellement à maximiser le nombre de victimes, les attentats du 11 septembre 2001 étant bien sûr l’illustration la plus évidente de cette évolution.

C’est cette mutation de la menace qui justifie l’actualisation des conventions de La Haye et de Montréal. La Convention et le Protocole de Pékin sont en effet l’aboutissement des réflexions menées au sein de l’OACI depuis 2001. Discutés au sein du Comité juridique de l’OACI, les deux textes qui nous sont soumis ont été adoptés par consensus le 10 septembre 2010.

Au cours de cette conférence diplomatique, la décision a par ailleurs été prise d’insérer dans les deux conventions des dispositions visant à lutter contre la prolifération nucléaire, bactériologique et chimique applicables au transport aérien. De telles dispositions applicables au transport maritime et terrestre ont en effet fait l’objet de conventions propres. Le trafic par voie aérienne de matières NBC étant resté jusqu’à présent marginal, il a été jugé inopportun de lui consacrer un texte séparé.

La convention de Montréal de 1971 et la convention de La Haye de 1970 définissaient un certain nombre d’infractions et contenaient des dispositions sur la compétence des tribunaux des États parties, ainsi que l’affirmation du principe « aut dedere aut judicare », « extrader ou poursuivre », qui imposait aux parties de juger ou d’extrader les auteurs des infractions visées.

Les deux textes qui nous sont soumis mettent à jour ces deux conventions.

La convention de Pékin contient vingt-cinq articles et complète la convention de Montréal avec de nouvelles incriminations et de nouvelles règles sur la responsabilité des États et la compétence de leurs tribunaux.

Parmi les nouvelles incriminations figurent principalement l’utilisation d’un aéronef pour commettre des dommages humains, matériels ou environnementaux, c’est-à-dire comme une arme, hypothèse rarement envisagée avant les attentats de septembre 2001, ainsi que le transport de matériels NBC, même si ce transport n’implique aucun acte de piraterie aérienne. D’après les services du ministère des Affaires étrangères, la version consolidée du texte devrait ainsi porter le titre : « Convention pour la répression des actes illicites en relation avec l’aviation civile internationale », et non plus « contre l’aviation civile internationale ». Est également incriminé le fait d’endommager les installations d’un aéroport ou de perturber son service.

La compétence des tribunaux des États parties est étendue aux infractions commises par un ressortissant d’un autre État partie, ainsi qu’à celles commises contre un de leurs ressortissants ou par une personne apatride résidant sur leur territoire.

Le reste du texte modifie peu la convention de Montréal.

Le protocole de Pékin, qui modifie la convention de La Haye pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, compte également vingt-cinq articles et modernise la convention d’origine d’une façon similaire.

Il élargit le champ des incriminations de façon à inclure des scénarios de détournement d’avion qui n’avaient pas été envisagés à l’époque de la convention de La Haye. Ainsi, l’infraction de détournement d’aéronefs est élargie aux appareils « en service » et non plus simplement « en vol », ce qui va concrètement du moment où commence la préparation de l’appareil jusqu’à l’expiration d’un délai de vingt-quatre heures après son atterrissage. La prise de contrôle incriminée a lieu « par tout moyen technologique » et non plus simplement par la violence ou la menace.

Sont également désormais incriminées la menace de commettre un détournement, ainsi que la transmission d’une telle menace, ce afin d’empêcher les mouvements terroristes d’utiliser les médias comme moyens d’action psychologique.

De façon similaire à la convention de Pékin, le protocole de Pékin étend la compétence des tribunaux des États parties aux infractions commises par un ressortissant d’un autre État partie et à celles commises contre un de leurs ressortissants ou par une personne apatride résidant sur leur territoire.

La convention de Pékin de 2010 et le protocole de La Haye amendé par le protocole de Pékin de 2010, textes qui remplaceront les deux conventions d’origine, visent surtout à permettre aux États de mieux coordonner leurs actions sur le plan juridique, et imposent peu de modifications aux droits internes des États. Dans le cas français, notre droit interne n’aura besoin que de modifications limitées, la plus importante concernant l’extension de la définition du détournement d’aéronef aux situations où l’avion est en préparation. Les deux textes sont par ailleurs parfaitement compatibles avec le droit européen.

Chacun des deux textes entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt du vingt-deuxième instrument de ratification ou d’approbation à Montréal, au siège de l’OACI. Au 30 mai 2016, quatorze États ont accompli cette procédure. La France a toutes les raisons de ratifier ces textes qui tendent à renforcer la coopération internationale en matière de lutte antiterroriste et de lutte contre la prolifération NBC. Je vous invite donc à approuver ce projet de loi.

Mme Odile Saugues, présidente. J’ai bien connu la sécurité aérienne dans d’autres mandats. Je poserai simplement la question des aéronefs que sont les drones, qui n’est pas traitée actuellement. On a vu qu’un drone avait survolé l’Élysée. Je pense qu’il faudra qu’on se penche sur ce véritable problème.

M. Jean Glavany. Ce n’est en effet pas traité en tant que tel. Toutefois, quand on dit que la prise de contrôle incriminée a lieu “par tout moyen technologique” ou “par la violence ou la menace” on peut imaginer que le drone est un moyen technologique au sens de cette définition. La convention ne cite pas explicitement les drones, mais l’on peut considérer qu’elle les inclut dans le cas où ils représentent une menace contre un aéronef.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 3670 sans modification

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Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises (n° 3746) et projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) (n° 3747)

Mme Odile Saugues, présidente. Nous continuons avec le rapport de M. Gabriel Serville, sur 2 conventions avec le Brésil : un accord concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises et un accord en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil).

M. Gabriel Serville, rapporteur. Notre commission est saisie de deux projets de loi que la commission des affaires étrangères examine conjointement :

– le projet de loi n° 3747 autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) ;

– le projet de loi n° 3746 autorisant l’approbation de l’accord entre la France et le Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises.

Ces deux accords visent à accompagner l’ouverture du pont sur le fleuve Oyapock, qui marque la frontière entre la Guyane et le Brésil et à rapprocher les communes frontalières de Saint-Georges de l’Oyapock et d’Oiapoque. Annoncé depuis les années 1990 et achevé en 2011, ce pont symbolise l’ouverture d’une nouvelle ère entre la Guyane et le Brésil, qui doit aller dans le sens d’une plus forte intégration de la Guyane à son environnement régional direct.

Le premier accord, portant sur les biens de subsistance, vient parachever le dispositif du régime spécial de circulation transfrontalière mis en place en 2014, en exonérant les bénéficiaires de ce régime de certains droits et taxes applicables aux produits acquis sur le territoire de l’État voisin. En ciblant spécifiquement les produits de consommation courante que les frontaliers sont le plus susceptibles d’acquérir lorsqu’ils se rendent sur l’autre rive du fleuve, l’accord vise à accroître l’attrait du régime spécial et son impact réel dans le quotidien des populations frontalières. L’exonération de droits et taxes sur les biens de consommation courante devrait conduire à une intensification des flux de personnes effectuant des achats de part et d’autre de la frontière. Il en résultera un surplus d’activité pour les commerces de Saint-Georges et d’Oiapoque, y compris en termes de consommation de services.

Le deuxième accord vise lui aussi à accompagner l’ouverture du pont en fixant les conditions d’entrée et de circulation des professionnels du transport sur le territoire des deux États parties, entre les deux communes frontalières et, au-delà, de relier Cayenne aux grandes villes du Nordeste brésilien (Macapa, Belém, Recife). Les négociations ont longtemps achoppé sur la question des assurances exigibles pour franchir le pont sur l’Oyapock, avant qu’il ne soit finalement décidé de renvoyer cette épineuse question à un groupe de travail ad hoc, prévu par l’accord.

Les collectivités territoriales (conseils régional de Guyane, mairie de Saint-Georges, Communauté de communes de l’est guyanais) et les milieux socio-professionnels (transporteurs, assureurs) seront associés aux réunions de la commission de suivi de l’accord « transports », avec le statut de membres invités. L’objectif est de répondre aux interrogations et inquiétudes exprimées par ces acteurs.

Outre l’ambassadeur du Brésil et les services de l’État qui ont œuvré à sa signature, j’ai tenu à échanger sur le contenu de ces accords avec les parties prenantes en Guyane. Il ressort de ces rencontres que les pouvoirs publics ne doivent pas ménager leurs efforts de communication et de pédagogie vis-à-vis de leurs concitoyens guyanais, pour répondre aux interrogations légitimes de la population quant aux conséquences de l’ouverture du pont sur l’Oyapock. Il en ressort également que l’ouverture du pont ne résoudra pas toutes les questions transfrontalières qui doivent être traitées en collaboration avec les Brésiliens, que ce soit les questions migratoires et l’assouplissement du régime des visas, la lutte contre l’orpaillage illégal, ou la protection de l’environnement et du milieu amazonien. De manière générale, l’ouverture du pont devra s’accompagner d’un renforcement de la coopération régionale sur tous les plans, économique, éducatif et universitaire ou encore culturel.

Approuvés par la partie brésilienne, ces deux accords attendent désormais leur ratification par la France pour entrer en vigueur. Je vous propose d’adopter ces deux projets de loi.

M. Thierry Mariani. J’ai deux questions à poser.

J’ai vu que ce texte avait été à votre demande inscrit en séance publique. C’est en général une procédure exceptionnelle. Pourquoi cette demande a-t-elle été formulée par votre groupe ?

On entend parler de ce pont depuis des années, et sa livraison est donc une très bonne nouvelle. J’en entends surtout parler pour les problèmes d’immigration : à chaque fois, on nous explique que la frontière n’est ni contrôlée, ni contrôlable. J’ai compris que cet accord ne réglerait pas ce problème. Y a-t-il des discussions là-dessus, ou ferme-t-on les yeux sur ce problème ?

M. Gabriel Serville. J’ai tenu particulièrement à ce qu’il y ait un débat en séance, même court. L’idée est de faire en sorte que la représentation nationale soit saisie de cette question, ne serait-ce qu’à titre d’information. Il est pour moi important que mes collègues de la France hexagonale s’imprègnent des problématiques propres à la Guyane et à son environnement. On aurait effectivement pu se passer de cette étape, mais je ne suis pas persuadé que cela aurait facilité la compréhension des enjeux sur lesquels pourtant nous, les parlementaires guyanais, intervenons souvent : empaillage illégal, sécurité, immigration, etc. J’ai considéré qu’il était opportun, voire judicieux, de faire en sorte que ces questions connaissent un écho plus large, et ne soient pas examinées en catimini.

Il est vrai qu’il y a un excès de fantasmes autour de ce pont, qui a été livré en 2011, et qui nous l’espérons entrera en service avant la fin de l’année 2016. Beaucoup de Guyanais imaginent que, par l’intermédiaire du pont, on verra accroître le flux migratoire et la pression migratoire des Brésiliens sur la Guyane. En réalité, les Brésiliens qui veulent émigrer vers la Guyane n’ont pas besoin du pont : ils traversent sur des embarcations ou à la nage pour certains.

C’est un outil qui va permettre de renforcer une coopération qui préexiste, de manière informelle, entre la Guyane et l’État voisin. Ce pont, quand il sera livré, permettra une circulation non nécessairement libre mais du moins mieux organisée, et un développement économique plus fort que celui que l’on connaît aujourd’hui. Je pense aussi aux échanges culturels ou sportifs, aujourd’hui réfrénés par les problèmes de visas.

Les Brésiliens déplorent souvent l’asymétrie dans le traitement des visas : les Guyanais n’ont pas besoin de visa pour aller au Brésil, alors que celui-ci est exigé aux Brésiliens pour entrer en Guyane (alors qu’ils n’en n’ont d’ailleurs pas besoin pour entrer sur le territoire de la France hexagonale). Je pense que cette question de visas imposés aux Brésiliens vient de la peur qu’a pu avoir le monde politique de voir la Guyane envahie par des ressortissants Brésiliens. Dans tous les cas, nous ne sommes pas du tout convaincus que cette situation d’asymétrie a vocation à perdurer. Cela génère en effet une espèce de trouble dans la manière dont les Brésiliens appréhendent leur relation avec la Guyane, même si de part et d’autre on n’a pas attendu la construction du pont pour créer des relations de bon voisinage entre le Brésil et la Guyane. La France fait cependant des efforts, avec notamment la mise en place d’une carte transfrontalière pour les résidents de part et d’autres du fleuve, pour des délais allant d’un jour à 72 heures, qui leur permet de circuler librement. Les Brésiliens prétendent que c’est une sorte de « visa caché ». C’est selon moi un pas en avant vers une meilleure coopération et de meilleurs échanges.

Sur les accords soumis à notre approbation, certaines questions demeurent en suspens. C’est notamment le cas de la question des assurances. C’est une question qui va être réglée rapidement car il y a sur le terrain une grosse attente de la part des acteurs économiques, du monde sportif et du monde culturel, qui voient l’ouverture de ce pont comme un vrai vecteur de communication entre les deux territoires.

M. Thierry Mariani. Je suis allé sur place. Où se fait la délivrance des visas ?

M. Gabriel Serville. Elle ne se fait pas à la frontière mais dans la ville de Macapa, située à 600 km de la frontière.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les projets de loi n° 3746 et n° 3747 sans modification.

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Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses Etats membres et la République de Moldavie (n° 1884).

Mme Odile Saugues, présidente. Nous enchaînons avec l’examen, sur le rapport de M. Thierry Mariani, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et la Moldavie

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il me revient de vous présenter un projet de loi, autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres et la République de Moldavie.

Cet accord vise à établir un cadre juridique unique pour l’exploitation des services aériens entre l’Union européenne et le territoire moldave. Il s’inscrit dans le cadre de la politique européenne de création d’« espaces aériens communs » avec les États du voisinage. Des accords analogues à celui dont nous sommes saisis ont été à ce jour signés avec les pays des Balkans occidentaux, l’Islande, la Norvège, le Maroc, la Géorgie, la Jordanie et Israël, tandis que des négociations ont été autorisées avec l’Algérie, l’Azerbaïdjan, le Liban et la Tunisie.

Ces accords aériens visent en premier lieu à ouvrir progressivement des relations aériennes entre l’Union européenne et le pays voisin concerné, en permettant aux entreprises de transport d’ouvrir de nouvelles routes aériennes et de les exploiter sans restriction. Ils étendent en deuxième lieu les normes internes à l’Union européenne, qui sont particulièrement strictes en matière de sécurité, de sûreté et de protection des droits des passagers, aux pays signataires.

Ils présentent enfin une dimension politique importante puisqu’ils s’inscrivent dans la politique européenne de voisinage mise en œuvre depuis 2004. À cet égard, cet accord est important du point de vue de la Moldavie puisque ce pays enclavé fait face depuis son indépendance en 1991 à une situation économique difficile à laquelle s’ajoute la sécession de facto de la Transnistrie.

L’autorisation d’ouvrir des négociations en vue d’un accord de transport aérien est délivrée par le Conseil sur la base d’une recommandation de la Commission, qui devient alors le négociateur unique pour l’Union et ses États membres. L’accord avec la Moldavie a ainsi été négocié en juillet 2011 par la Commission. Un projet d’accord a été paraphé en octobre 2011 à Chisinau.

Les grands principes de l’accord sont ceux qui régissent les autres accords de même type. Le marché européen sera ouvert aux entreprises de transport moldaves en contrepartie de l’harmonisation des normes sur la base de celles de l’Union européenne. Les entreprises de transport moldaves pourront donc desservir l’intégralité des routes entre tout aé-roport situé dans l’Union européenne et toute destination en Moldavie, et fixer librement les fréquences, les capacités et les tarifs de leurs services.

L’accord comprend trois titres, « Dispositions économiques », « coopération réglementaire » et « Dispositions institutionnelles », comprenant vingt-neuf articles et quatre annexes.

Le titre I « Dispositions économiques » définit les con-ditions d’un libre accès au marché qui seront applicables à la Moldavie. Les transporteurs aériens bénéficieront ainsi des quatre premières « libertés de l’air » : survol du territoire sans atterrissage, possibilité d’effectuer des escales non commerciales, d’embarquer ou débarquer des passagers, des bagages, du fret et du courrier. Ils bénéficieront dans un second temps des droits de cinquième liberté c’est-à-dire du droit de débarquer et d’embarquer du trafic en provenance d’une liste définie d’États tiers ou à destination de n’importe quel État tiers. Les transporteurs moldaves ne bénéficieront cependant que du premier de ces droits.

Le reste du titre I traite des modalités d’accès au marché des transporteurs, notamment les conditions de délivrance des autorisations d’exploitation des services aériens, l’interdiction de la discrimination basée sur la nationalité et des aides publiques ou la liberté de fixation des tarifs

Le titre II « Coopération réglementaire » traite de l’harmonisation des normes applicables au transport aérien. L’inventaire de ces règlements et directives figure à l’annexe II de l’accord.

La mise en œuvre de l’accord est placée sous la responsabilité d’un « comité mixte » composé de représentants des parties, dont les décisions sont prises par consensus, et qui sert également de lieu de concertation dans le cadre de la procédure de règlement de conflits éventuels sur l’interprétation des dispositions de l’accord.

Le présent accord a été signé le 26 juin 2012 à Bruxelles par la République de Moldavie, l’Union européenne et les États membres. Au 27 juin 2016, dix-neuf États ont notifié au Secrétariat général du Conseil l’achèvement de leurs procédures internes préalables à son entrée en vigueur. L’accord s’applique toutefois provisoirement à compter de sa signature.

Cet accord s’inscrit dans les objectifs de la politique extérieure de l’Union européenne. Il est par ailleurs bienvenu pour la Moldavie, qui trouve ainsi l’occasion de réduire son isolement. Il contribuera enfin à améliorer la sécurité et la sûreté du transport aérien en alignant les normes moldaves sur les règles très strictes de l’Union européenne.

Je vous recommande par conséquent d’approuver sa ratification.

Mme Odile Saugues. Je vous remercie monsieur le Rapporteur. Je souhaiterais vous poser une question concernant la Moldavie. Ce pays, est-il concerné par le ciel unique européen ?

M. Thierry Mariani. Dans le cadre de l’accord d’association oui, le but de ces accords est de faire notamment rentrer tous ces pays dans le projet sur le ciel unique européen. De plus, dans le cadre de la politique européenne concernant l’Est de l’Europe, nous avons signé un partenariat avec la Moldavie.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 1884 sans modification.

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Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles (n° 3695).

M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur. Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet d’autoriser la ratification d’un accord franco-britannique signé le 24 septembre 2015. C’est le premier accord franco-britannique que nous examinons après le vote du peuple britannique ce 23 juin et cela a bien sûr une portée. Mais c’est un accord bilatéral qui n’est pas, en tant que tel, conditionné par la position de la Grande-Bretagne par rapport à l’Union européenne, même si, évidemment, nous ne pouvons pas l’ignorer en arrière-fond.

Je voudrais aussi insister sur un autre point : c’est un accord qui va vers une plus grande intégration franco-britannique, et potentiellement européenne, dans un domaine où la coopération a fait des progrès, mais nous en souhaitons d’autres, celui des armements. Cet accord a déjà été ratifié en Grande-Bretagne et nous allons donc l’examiner moins d’un an après sa signature, ce qui est rapide vu les délais habituels de dépôt et d’examen des textes de ratification des accords internationaux. Cela montre l’intérêt prioritaire qu’y attachent les deux gouvernements.

Cet accord concerne l’entreprise MBDA et il n’aurait pas de sens si celle-ci ne représentait pas une belle réussite d’intégration entre des pays européens, car c’est pour permettre à cette intégration de se poursuivre sur le terrain qu’il a été conclu.

L’existence de MBDA résulte d’une volonté politique que l’on peut comparer à celle qui a conduit à la création d’Airbus. Il est issu de plusieurs fusions ou rachats, opérés entre 1996 et 2006, entre les branches « missiles » d’industriels européens de l’armement, tels qu’Aérospatiale, Matra, British Aerospace, Alenia, Marconi, etc. Cette entreprise emploie environ 10 000 salariés, dont près de 5 000 en France, compte tenu des recrutements en cours, près de 3 000 en Grande-Bretagne, près de 1 500 en Italie, plus de 1 000 en Allemagne et un petit nombre en Espagne et aux États-Unis. MBDA a aujourd’hui trois grands actionnaires : Airbus, BAe Systems, qui ont chacun 37,5 % des parts, et Finmeccanica, devenu récemment Leonardo, avec 25 % des parts.

Ce regroupement des industriels européens a permis de constituer une entreprise majeure du marché des missiles, qui est capable de concurrencer très efficacement les deux autres principaux acteurs mondiaux de ce marché, les américains Lockheed Martin et Raytheon. MBDA est aujourd’hui une entreprise dynamique. Ses commandes sont portées par de grands contrats de souveraineté – à titre d’exemple, les ventes de Rafale au Qatar et en Égypte représentent 3 milliards d’euros de commandes pour MBDA. Mais elles sont aussi portées par la capacité de l’entreprise à se trouver des clients dans le monde entier et à signer des contrats avec des pays moins attendus, par exemple récemment le Botswana. Depuis 2013, les commandes annuelles engrangées sont supérieures au chiffre d’affaires, ce qui est évidemment bon signe, et plusieurs centaines de recrutements sont en cours.

S’agissant du contexte, il faut également dire un mot de la coopération de défense franco-britannique. En effet l’accord que nous examinons ne serait pas possible si nos deux pays n’avaient pas développé, dans le cadre de cette coopération, un niveau exceptionnel de confiance mutuelle, de sorte qu’ils sont prêts à accepter des formes de limitation de souveraineté, bien sûr très encadrées, dans le cadre de l’accord que nous examinons.

La coopération franco-britannique a des racines anciennes, en particulier dans le domaine des armements, où elle a donné, dès les années 1960, des programmes comme le Jaguar. Elle a été relancée depuis les années 1990, notamment aux sommets de Saint-Malo, en 1998, et du Touquet, en 2003, puis a été dotée d’un cadre institutionnel solide par le traité de Lancaster House en 2010. L’accord que nous examinons renvoie, dans plusieurs de ses clauses, au traité de Lancaster House. Ce traité, je le rappelle, prévoit des développements dans trois domaines.

D’abord, en matière opérationnelle, il prévoit la mise en place d’une force expéditionnaire interarmées conjointe, ou Combined Joint Expeditionary Force, qui permettrait d’intervenir dans un cadre bilatéral, mais aussi multinational. Un exercice très important a eu lieu ce mois d’avril, auquel ont participé plus de 5 000 militaires, pour tester l’interopérabilité des forces des deux pays. Nous en sommes maintenant à la phase de décision politique sur le concept final de la force combinée, ses moyens, ses hypothèses d’emploi.

Le traité de Lancaster House et d’autres accords bilatéraux prévoient aussi une coopération dans des domaines tels que la formation des personnels et le soutien logistique, avec là-aussi des résultats concrets, notamment au moment de l’opération Serval.

Enfin, il y a la coopération en matière d’armements, qui concerne le secteur des missiles et MBDA, nous allons bien sûr y revenir, mais aussi, par exemple, le programme commun de développement de drones, ou encore, ce qui rend compte de la confiance mutuelle des deux pays, la modélisation des performances des têtes nucléaires.

J’en viens donc à l’accord lui-même. En préambule, je signale que, d’après les administrations que nous avons interrogées, il n’existe pas de précédent d’accord allant aussi loin dans le domaine de la coopération d’armement, que ce soit parmi ceux signés par la France ou ceux d’autres pays européens. Cet accord va plus loin que les accords classiques de coopération sur des programmes d’armement, ce qui le rend particulièrement intéressant.

L’objet de l’accord, présenté dans ses articles 2 et 3, est donc de définir les modalités de fonctionnement de ce qu’il nomme les « centres d’excellence » de l’entreprise MBDA, ce qui implique des engagements des deux États. L’objectif des centres d’excellence est en fait de permettre à des équipes françaises et britanniques des deux branches nationales de MBDA, MBDA-France et MBDA-UK, de travailler plus efficacement ensemble en dérogeant à certaines règles nationales propres aux industries de défense. Quatre centres d’excellence binationaux devraient à terme être créés, dans les domaines respectifs des algorithmes, logiciels, senseurs de navigation et charges militaires complexes. Ils associeront chaque fois des sites de recherche, de développement et de production à la fois français et britanniques de MBDA. Un millier de personnels de l’entreprise, dont environ 600 en France et 400 en Grande-Bretagne, pourraient à terme relever de ces centres.

Dans un premier temps, ce dispositif ne concerne que les branches française et britannique de MBDA, mais l’article 12 de l’accord indique que les deux États signataires acceptent que les centres d’excellence puissent être élargis à des États tiers, sous réserve de la conclusion de nouveaux accords intergouvernementaux à cette fin. C’est l’extension de la procédure aux autres pays européens d’implantation de MBDA, Italie, Allemagne et Espagne, qui est là envisagée.

Pour que les centres d’excellence de MBDA puissent fonctionner efficacement, dans une logique de rationalité industrielle, les deux États doivent accepter d’aménager pour ce cas précis certaines des règles de contrôle et de souveraineté habituelles en matière d’industries de défense. Ces engagements des deux États constituent le cœur de l’accord. Sans tous les développer, je vais mentionner les principaux.

L’article 7 porte sur les dispositions de sécurité qui s’appliqueront aux informations et technologies circulant dans les centres d’excellence, notamment en termes de classification. Il s’agit d’éviter que les restrictions de sécurité nationale n’entravent inutilement les nécessaires échanges d’informations. Pour ce faire, il est notamment prévu l’utilisation généralisée sur les documents classifiés d’un avertissement « Spécial France/Royaume-Uni » ou « For UK/French Eyes Only », à la place des habituels « Spécial France » ou « For UK Eyes Only ».

L’article 8 traite des modalités de transfert entre les États signataires d’informations et de technologies développées et fabriquées par les centres d’excellence : un objectif de facilitation de ces transferts est posé, objectif à poursuivre par les « moyens les plus appropriés, y compris les licences globales ». Les « licences globales » sont l’une des procédures du dispositif national de contrôle des exportations de matériels de guerre. Cette procédure permet des transferts et exportations par un industriel vers une destination donnée et pour une durée donnée sans limitation et avoir à demander des autorisations au cas par cas.

L’article 9 concerne quant à lui les exportations vers des pays tiers des productions de MBDA issues pour tout ou partie des centres d’excellence. Il comprend des engagements de loyauté commerciale des deux pays. En effet, les exportations de matériels militaires étant soumises à un régime de licences nationales, on pourrait imaginer que le pays chargé d’autoriser l’exportation de missiles MBDA, c’est-à-dire le pays où ils sont finalisés avant expédition, soit tenté de bloquer un contrat à l’export pour favoriser une offre de ses industriels dont la part nationale serait plus élevée – étant rappelé que les missiles sont souvent un élément d’offres beaucoup plus importantes d’avions ou de navires. Le texte prohibe donc ce comportement, mais reconnaît en même temps, car les deux parties y sont attachées, le droit souverain des deux gouvernements de bloquer une exportation pour des motifs de politique étrangère ou de sécurité nationale. Pour concilier ces deux impératifs de loyauté commerciale et d’indépendance des politiques étrangères et éviter les problèmes, il est aussi prévu une procédure préalable d’établissement en commun de listes de clients potentiels pour les systèmes de missiles MBDA, de sorte qu’ensuite un éventuel refus de licence pour un client inscrit sur ces listes restera possible mais devra vraiment être solidement motivé.

L’article 10 traite du partage des fruits de la recherche et développement menée dans les centres d’excellence binationaux sous l’angle de la propriété intellectuelle. Le principe général sera l’accès libre, sans redevances, et égalitaire des deux pays à ces résultats.

Enfin, l’article 11 prend acte d’une réalité qui sous-tend l’accord : l’intégration transnationale dans une logique industrielle implique que les États acceptent que cela accroît leur interdépendance, que des choix de localisation industrielle peuvent être faits par l’entreprise dans une logique économique et qu’en conséquence certaines capacités industrielles ne seront plus présentes sur le territoire national de l’un ou l’autre.

Vous le voyez, c’est un accord complexe et avec des enjeux importants de souveraineté. C’est pourquoi il comprend aussi, à son article 5, un dispositif de gouvernance et de suivi étroit par les représentants des deux gouvernements, qui s’inscrit dans le système mis en place par le traité de Lancaster House. En pratique, ce suivi reposera principalement sur le délégué général pour l’armement et son homologue britannique. Les deux États conserveront donc la main.

L’accord appelle une dernière observation. Il est passé entre les deux gouvernements, mais, pour que le dispositif fonctionne, il faut aussi que l’entreprise MBDA joue le jeu. Il n’y a bien sûr pas de motif que cela ne soit pas le cas, puisque les centres d’excellence s’inscrivent dans une démarche d’efficience de l’entreprise. Mais cet état de fait a amené les rédacteurs de l’accord à y inclure des clauses que l’on dirait en droit civil de stipulation pour autrui ou de porte-fort, par lesquelles les deux gouvernements s’engagent à faire en sorte que respectivement MBDA-France et MBDA-UK rendent effectif l’accord. C’est pourquoi est jointe au projet de loi, à titre d’information du Parlement, une lettre d’engagements vis-à-vis des deux gouvernements signée de M. Antoine Bouvier, PDG de MBDA, et datée du 23 septembre 2015.

Au regard de tous ces éléments, je vous invite à approuver la ratification de l’accord qui nous est soumis. Il est nécessaire pour permettre à MBDA de poursuivre son intégration dans un souci d’efficacité économique et il rend compte de la confiance mutuelle franco-britannique et du développement de la coopération bilatérale de défense, indépendamment des autres contingences politiques. Notre coopération se poursuivre quelles que soient les évolutions.

Mme Odile Saugues, présidente. Je remercie le rapporteur pour ce rapport très technique mais également très intéressant.

M. Thierry Mariani. Je trouve que cet accord est très symbolique. Il est la démonstration que, présence britannique ou non dans l’Union européenne, la collaboration industrielle peut tout à fait continuer.

Je souhaiterais savoir si, pour vendre des missiles à certains pays selon l’accord, nous aurons besoin de l’accord des deux gouvernements ? S’agissant de la pré-liste de clients possibles établie à l’avance, sera-t-il possible d’y rajouter des États ?

M. le rapporteur. La liste pourra évoluer : il suffira que les industriels présentent le dossier aux gouvernements des deux pays, qui à la fin l’accepteront ou non. De plus, il faut souligner qu’en matière de défense, il n’y a que très peu de divergences entre le Royaume-Uni et la France.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 3695 sans modification.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 28 juin 2016 à 17 h 15

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Guy-Michel Chauveau, M. Édouard Courtial, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean Launay, M. Pierre-Yves Le Borgn’, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, Mme Odile Saugues, M. Gabriel Serville

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Kader Arif, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Françoise Dumas, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Michel Terrot