Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 20 novembre 2012

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 22

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Louis Gallois, Commissaire général à l’investissement, au titre de ses fonctions passées de PDG d’EADS et d’Airbus, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir M. Louis Gallois, Commissaire général à l’investissement, au titre de ses fonctions passées de PDG d’EADS et d’Airbus, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Je rappelle que M. Gallois a successivement été directeur de cabinet du ministre de la recherche et de la technologie puis directeur général de l’industrie au ministère de la recherche et de l’industrie en 1982, directeur du cabinet civil et militaire du ministre de la défense en 1988, président de la SNECMA en 1989, PDG de l’Aérospatiale en 1992, avant d’être co-président puis président d’EADS et président d’Airbus en 2006.

Monsieur Gallois, vous avez également œuvré à plusieurs rapports importants, notamment, tout récemment, à celui relatif à la compétitivité française. C’est tout naturellement, au vu de cette expertise éminente, que nous vous avons invité pour dialoguer avec nous sur l’état et les perspectives de nos industries de défense.

M. Louis Gallois, Commissaire général à l’investissement. Le contexte général est marqué par des budgets de défense en baisse dans les pays de l’OTAN, contrairement à des États comme l’Inde, la Corée du Sud ou le Brésil. La part des exportations sera dans ces conditions d’autant plus importante.

La France a été provisoirement épargnée mais les contraintes budgétaires conduiront à des restrictions dès 2013. Quant à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne, elles ne font pas non plus exception à cette tendance générale et les pays d’Europe du Sud ont pratiquement arrêté d’investir, à l’exemple de l’Espagne, qui est un partenaire important de l’industrie de défense française.

Dès lors, les perspectives industrielles sur les marchés européen et américain sont en baisse et ne peuvent être compensées que par des exportations vers d’autres marchés, lesquelles feront l’objet d’une compétition farouche. Les industriels américains notamment sont en train de revenir à l’exportation : on le voit en particulier dans des pays comme l’Inde, même si cet État a choisi la solution française pour les avions de combat.

L’autre caractéristique actuelle est la difficulté à construire l’Europe de la défense, la presse parlant même de « feu l’Europe de la défense ». Or, sans cette dernière, la constitution d’une Europe industrielle de la défense ne sera pas facile. Pourtant, la solution d’une partie de nos problèmes peut être trouvée dans la conjonction des efforts européens.

Nous nous orientons donc vers une nécessaire adaptation de l’industrie de défense. Celle-ci touchera au format de cette industrie – en Europe comme probablement en France – et posera la question des restructurations ou rapprochements possibles.

Ayant assisté de loin au projet BAE-EADS, je considère qu’il s’agit d’une chance historique ratée de constituer une entreprise européenne de grande dimension, très équilibrée entre le civil et le militaire et ouverte sur le marché américain – lequel est décisif, le budget américain représentant entre 40 et 50 % des budgets mondiaux de défense.

Cette fusion aurait permis aussi de renforcer la gouvernance de l’Eurofighter et l’actionnariat de MBDA.

Quelle peut être dès lors la politique des pouvoirs publics dans ce domaine ?

En premier lieu, ils peuvent soutenir l’industrie de la défense à l’exportation. Globalement, la France le fait assez bien par rapport à ses partenaires, même si des améliorations sont toujours possibles. Elle le fait même mieux que les Britanniques, en raison de son savoir-faire, de son organisation et de l’action de la direction générale de l’armement (DGA) et, en son sein, de la direction chargée des relations internationales.

Deuxièmement, l’État va devoir examiner si des restructurations industrielles sont nécessaires en France.

Troisièmement, il aura à faire des choix, lesquels doivent privilégier la recherche et développement ainsi que les études amont. On peut toujours adapter un appareil industriel, ce qui est parfois difficile sur le plan social, mais si nous perdons nos bureaux d’études, nous perdrons l’industrie : il faut donc préserver une certaine masse critique en la matière.

En quatrième lieu, l’État doit s’occuper de politiques européennes, même s’il ne faut pas fonder trop d’espoirs là-dessus. Il s’agit de rechercher si des programmes peuvent être menés en commun à deux ou trois pays, sachant que plus aucun programme d’envergure ne sera national en dehors de la force de dissuasion.

Ces programmes pourraient porter sur les drones ou les satellites d’observation, sans parler de l’A400 M – qui est maintenant sur les rails – ou des avions de combat, pour lesquels c’est encore trop tôt.

MBDA est engagé sur des programmes franco-britanniques, qu’il est important de préserver, dans la mesure où ils sont porteurs de technologies et de capacités. Il s’agit notamment du missile antinavire, de la nouvelle génération de l’Aster ou du successeur du Milan.

M. Philippe Nauche. Depuis 20 ou 30 ans, le dogme en matière de politique industrielle de défense est de fusionner des entités de plus en plus grosses pour avoir des capacités disposant d’une certaine masse critique : s’agit-il d’un modèle indépassable ? Permet-il de réunir le plus de compétences, d’être le plus opérationnel et d’obtenir les meilleures performances ? Dans l’aviation civile, cela n’a pas toujours été le cas : quand Boeing a été fusionné il y a une vingtaine d’années, il a connu quelques difficultés…

Par ailleurs, comment concevez-vous l’Europe de la défense ? Dans un contexte où l’Agence européenne de défense (AED) ne semble pas assez soutenue politiquement, consiste-t-elle en une politique cohérente au niveau européen, fût-ce à un groupe limité de pays, ou en une multiplication d’accords bilatéraux ?

M. Louis Gallois. Il n’y a pas de dogme. MBDA, qui est partagée entre EADS, BAE et Finmeccanica, n’est d’ailleurs pas une très grande entreprise : elle n’en est pas moins le second missilier mondial.

Cela dit, dans certains domaines, la taille critique joue pour pouvoir être un acteur de rang mondial : c’est le cas notamment pour l’électronique de défense, où Thales a cette taille, mais de façon juste suffisante. En ce qui concerne les avions de combat, le prochain européen, s’il y en a un, sera en coopération internationale Il est probable qu’elle concernera EADS, BAE, Dassault et peut-être Finmeccanica.

Certes, on peut avoir de très belles entreprises de taille moyenne ou bien des niches, mais celles-ci correspondent à un autre modèle économique, avec toutes les fragilités qui s’y attachent.

Il n’en reste pas moins que, pour être de rang mondial, il faut être capable de lancer des études, d’être présent sur un large spectre de produits et de fabriquer du matériel civil comme du matériel militaire, ce qui suppose une véritable force de frappe.

Enfin, pour les avions civils, il faut aussi être de grosse taille, le coût de lancement et de développement d’un programme étant de l’ordre de 15 milliards d’euros.

M. Daniel Boisserie. Les bureaux d’études de Safran et d’EADS-Astrium ne sont pas les seuls à manquer de programme…

M. Louis Gallois. Ces bureaux d’études sont d’une importance particulière parce que sans eux, il n’y a pas de force de dissuasion.

M. Daniel Boisserie. Il n’en demeure pas moins que nous allons sans doute traverser des années difficiles en termes de production. Or, pour vendre, il faut produire à des prix qui ne soient pas trop chers, voire fabriquer en série : il est regrettable à cet égard qu’on ait vendu peu de Rafale à l’exportation. Que pensez-vous de la distribution des commissions pratiquée par certains pays ?

Quant à la dissuasion, certes indispensable, elle est onéreuse : n’est-elle pas à certains égards un handicap vis-à-vis d’autres types d’armements ?

Enfin, le Livre blanc de 2008 précisait qu’il fallait permettre aux industriels de se consolider et de se positionner sur le marché mondial : l’avons-nous fait ? Avons-nous aujourd’hui les moyens de le faire ?

M. Louis Gallois. La vente d’avions de combat est un métier très difficile, surtout quand vous avez les Américains comme concurrents. Pour le F-35, par exemple, la série prévue pour le démarrage était de 2 700 avions sur le marché intérieur américain. Cela dit, je pense que le Rafale est bien parti pour gagner le marché indien, ce qui est une bonne nouvelle pour l’industrie française.

S’agissant de la dissuasion, ma prise de position est politique : outre qu’elle est un armement efficace, je considère qu’elle est un élément déterminant assurant à la France une posture internationale la différenciant des puissances moyennes. Le poids que la diplomatie française conserve dans le monde y est largement lié. Certes, elle coûte entre 3 et 3,5 milliards d’euros par an, mais c’est le prix de notre rang sur le plan mondial : j’estime que ce n’est pas surpayé.

Quant à la consolidation industrielle sur le marché mondial, elle n’a pas été assez rapide. J’ai regretté que DCNS ne puisse trouver un accord avec ThyssenKrupp sur les sous-marins notamment. Je suis persuadé que l’appareil industriel européen va se modifier dans le contexte budgétaire à venir.

M. Philippe Folliot. Alors que le déficit de notre commerce extérieur atteint 70 milliards d’euros, notre balance des échanges pour l’industrie d’armement a été excédentaire de 6,5 milliards. De plus, notre capacité d’exportation nous permet d’acquérir nos équipements à moindre coût en raison de la loi des séries. Ne pourrait-on faire mieux pour accompagner nos exportations, notamment au regard de la promotion de notre industrie de défense par des soldats en uniforme, pour laquelle nous montrons peut-être encore une certaine pudeur ?

Par ailleurs, il ne faut pas négliger la capacité d’exportation des petites et moyennes entreprises (PME), qui nécessitent parfois un accompagnement différent.

M. Louis Gallois. Contrairement à vous, je trouve que les militaires français participent bien à la promotion des matériels de défense : je les ai vus dans beaucoup de salons très à l’écoute des industriels et je n’ai jamais vu un chef d’état-major refuser de faire un voyage utile à cet effet ! Pour les ventes du Rafale en Inde, par exemple, j’ai constaté combien le chef d’état-major français s’était mobilisé.

Certes, les Américains sont assez visibles, mais cette démarche n’est pas toujours bien perçue par les clients. Or, l’Europe vend souvent quand les pays ne veulent pas acheter les produits américains pour ne pas être trop dépendants d’eux.

S’agissant des PME, je suis de votre avis : nous avons une certaine difficulté à organiser leurs ventes à l’exportation. D’ailleurs, certains groupes pourraient, grâce à leurs réseaux, être utiles à cette fin.

M. Joaquim Pueyo. Quelles seraient les conditions pour que l’Allemagne puisse accepter cette fusion souhaitable entre BAE et EADS ?

D’autre part, l’Europe de la défense a été encouragée par le traité de Lisbonne, qui prévoit notamment la coopération structurelle permanente : quelles devraient être les premières mesures du Gouvernement pour la relancer ?

M. Louis Gallois. J’ai soutenu autant que j’ai pu la directrice de l'AED, Mme Claude-France Arnould, mais les Britanniques refusent, par leur veto, de lui donner le budget nécessaire. Or, l’Europe de la défense peut difficilement se faire sans eux, qui disposent du premier budget de défense européen. Ils donnent une forte priorité à la coopération franco-britannique parce qu’ils ont des accointances opérationnelles avec nous et une bonne entente sur le terrain avec nos militaires – les Allemands ayant des concepts d’emploi différents. De plus, sur le plan nucléaire, ils ne peuvent avoir de dialogue qu’avec la France.

Cela dit, cette coopération n’a pas toujours été facile – le traité de Saint-Malo n’a ainsi jamais été véritablement mis en œuvre –, mais l’on peut espérer des progrès dans ce domaine.

Quant à l’Allemagne, la France a l’habitude de travailler avec elle sur le plan industriel : le nombre de programmes franco-allemands est considérable.

Si on a réussi à faire l’A400M à cinq ou six pays, il s’agit d’une exception.

Pour relancer l’Europe de la défense, il faut donc convaincre les Britanniques de le faire. Or, on ne les persuadera qu’au travers du développement d’équipements précis avec des pays déterminés et de concepts d’emplois communs.

M. Yves Fromion. Je confirme que nos armées font des efforts considérables pour accompagner les exportations, ce qui coûte d’ailleurs cher au budget de la défense.

Pensez-vous que le projet de fusion entre BAE et EADS, qui est en effet une chance historique, puisse redémarrer ? Je suis frappé par le silence politique qui a suivi son échec. Voir la politique industrielle de défense de la France décidée par Mme Merkel m’a stupéfait.

Par ailleurs, si le programme Ariane 5 ME donne immédiatement du travail aux bureaux d’études que vous avez cités, certains spécialistes estiment qu’il ne correspond pas au projet qu’il nous faut pour l’avenir : qu’en pensez-vous ?

M. Louis Gallois. Les Britanniques devront faire un choix. Je rappelle que, dans une interview au Figaro, le patron de Boeing a indiqué qu’une solution américaine irait mieux à BAE qu’une solution européenne.

Quant à Ariane 5 ME, il s’agit d’un bon projet. On ne sait pas exactement ce que coûtera Ariane 6 et il faudra faire des études préparatoires pour le savoir. Le programme ne pourra voir le jour qu’en 2025 ou 2030. D’ici là, il faudra faire vivre Ariane 5, et pour cela renforcer sa capacité commerciale. D’abord, il a une capacité d’emport de dix tonnes alors qu’il en faut douze pour deux satellites lourds et Ariane 5 ME lui apporte cette capacité et que les appareillages sont plus faciles dans ce cas. Le fait que le moteur soit réallumable dans l’espace permettrait en outre de placer des satellites sur deux orbites différentes, ce qui faciliterait la constitution de couples de satellites. L’amélioration d’Ariane 5 serait donc justifiée en attendant le programme Ariane 6, qui est, bien sûr, la perspective, sachant que les développements prévus pour Ariane 5 ME sont réutilisables pour ce dernier. Il ne faut pas opposer Ariane 5 ME et Ariane 6 mais organiser leur « enchaînement ».

Mme Marie Récalde. Ma circonscription abrite le site du bureau d’études de Safran à Saint-Médard. J’ai récemment rencontré les dirigeants d’Astrium qui m’ont alerté sur la zone de danger de cinq ans à laquelle était confrontée cette entreprise sur le civil et le militaire : je rejoins votre position sur le projet Ariane 5 ME. Quel est votre avis sur le lancement de la recherche sur le programme M51.3, qui pourrait aussi y remédier ?

M. Louis Gallois. Si le programme Ariane 5 ME ne nourrit pas suffisamment les deux bureaux d’études que j’ai cités, il assure quand même une base et donne aux ingénieurs le sentiment qu’ils travaillent sur un projet concret. Il devra être complété par des études amont sur le civil ou le militaire.

S’agissant du programme M51.3, je ne suis pas sûr que le ministre de la défense arrive à convaincre d’y consacrer dès maintenant des travaux importants, alors qu’on n’a pas fini de fabriquer le M51.2 !

M. Francis Hillmeyer. Avons-nous d’autres solutions pour nourrir les bureaux d’études ?

Par ailleurs, avez-vous le sentiment que la présence de la France dans l’OTAN soit un frein à l’Europe de la défense ?

M. Louis Gallois. On pourrait attendre plus de retombées industrielles de l’OTAN en Europe. Il faut trouver des équipements qui intéressent suffisamment de pays, comme des avions, tels l’A400M, ou des hélicoptères de transport, ou bien des ravitailleurs – on en manque, comme on l’a vu lors de l’intervention en Libye, où on a dû utiliser ceux des Américains – et voir dans quelle mesure cette organisation pourrait s’équiper d’une flotte de matériels européens, notamment sur notre continent. On pourrait aussi imaginer des satellites d’observation dont les images seraient disponibles pour tous les pays européens.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis de votre avis : il ne faut pas marginaliser les Allemands, avec lesquels nous devons pouvoir discuter de manière équilibrée. Y a-t-il, en dehors de DCNS-ThyssenKrupp et BAE-EADS, des rapprochements possibles dans d’autres secteurs de l’industrie de défense, notamment avec eux ?

M. Louis Gallois. Le groupe EADS a été constitué sur la base d’alliances équilibrées : il faut faire de même, ce qui n’est pas toujours facile. Or l’accord DCNS-ThyssenKrupp n’a pas abouti parce que les Allemands ont eu peur de se faire absorber par DCNS. Il faudrait peut-être trouver un accord global, car aucun pays n’accepte d’être en minorité par rapport à l’autre. On pourrait commencer par des programmes communs sur un certain nombre d’équipements pouvant ensuite déboucher sur des fusions, à l’image de ce qui a été fait avec EADS à partir de coopérations dans le domaine des lanceurs spatiaux, des satellites comme des missiles ou des avions de transport.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. Jean-Pierre Barbier, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, M. Francis Hillmeyer, M. Jacques Lamblin, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. –  M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Guy Delcourt, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Philippe Meunier, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André