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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 27 mars 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 65

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente, puis de M. Philippe Folliot, secrétaire du Bureau

— Audition de M. Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

— Informations relatives à la commission 15

La séance est ouverte à onze heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons aujourd’hui pour la première fois M. Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

La direction des applications militaires (DAM) est au cœur de la dissuasion française depuis plus de cinquante ans. Elle assume plusieurs fonctions essentielles : la production et la gestion des têtes nucléaires, la simulation des essais, la lutte contre la prolifération nucléaire et la recherche scientifique. Elle dispose pour ce faire d’une expertise technique de grande qualité.

M. Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer devant votre commission et suis sensible à l’honneur qui m’est fait.

La commission ayant été partiellement renouvelée l’an dernier, il m’a paru utile de vous présenter un exposé de portée générale sur la DAM, sa contribution à la dissuasion et les retombées de celle-ci.

J’aborderai successivement cinq points : l’organisation de la dissuasion en France, le CEA et la place de la DAM en son sein, la dissuasion et le programme de simulation, l’emploi de nos ressources et enfin les retombées de la dissuasion.

La dissuasion française a sa propre doctrine, qui repose à la fois sur des fondamentaux intemporels – qui sont les mêmes depuis cinquante ans – et sur une part variable. De son côté, la stratégie américaine a évolué au fil des Nuclear posture reviews (NPR), pour tendre finalement à se rapprocher de notre doctrine. Celle-ci se fonde depuis l’origine sur l’idée que la dissuasion fonctionne tous les jours : c’est une fonction stratégique qui a vocation à défendre nos intérêts vitaux contre toute menace d’origine étatique, quelle qu’en soit la forme, en faisant redouter – c’est ce terme qui est important – à l’adversaire des dommages inacceptables pour lui. La dissuasion est d’abord une arme diplomatique : l’important est que l’adversaire vienne à la table des négociations et que l’intérêt de la France soit préservé.

La part variable de notre doctrine est la politique des moyens, qui a considérablement évolué dans le temps. Après une montée en puissance culminant en 1990, à la fin de la guerre froide – son budget dépassait alors 1 % du PIB –, elle a été adaptée à la baisse à partir de 1991. Les moyens de recherche et de développement industriel du CEA ont ainsi été limités au strict minimum. La part de la dissuasion est aujourd’hui nettement inférieure à 0,2 % du PIB.

La France n’a jamais été en reste par rapport à ce qu’a proposé le président Obama dans son discours de Prague. Elle a mis en œuvre depuis longtemps, et sous tous les présidents qui se sont succédé, les deux volets qu’il évoquait alors. Notre doctrine a toujours été strictement défensive, liée à la seule protection de nos intérêts vitaux. Elle repose sur le concept de « stricte suffisance » : le nombre de nos armes a constamment été adapté à ce que le chef de l’État estime être le strict minimum. Enfin, nous avons mis fin aux essais nucléaires et conçu un programme de simulation.

En outre, la France respecte strictement le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Elle a été l’un des premiers pays dotés de l’arme nucléaire à signer et à ratifier le Traité d’interdiction complet des essais nucléaires (TICE), qui a eu pour corollaire le lancement du programme de simulation. Elle a également cessé de produire des matières fissiles utiles aux armes, et démantèle ses usines, ce que vous pouvez constater sur place à Pierrelatte et à Marcoule. Enfin, elle a fortement diminué le nombre de ses armes nucléaires, aujourd’hui inférieur à 300.

J’en viens à la gouvernance de la dissuasion. Le Conseil des armements nucléaires, qui est une partie du conseil restreint de défense et de sécurité nationale, est présidé par le Président de la République et décide des grandes options. Il se réunit au moins une fois par an, voire davantage ; à la date d’aujourd’hui, le président Hollande l’a déjà réuni deux fois. Ses décisions sont traduites en actions concrètes par le Comité nucléaire militaire, présidé par le ministre de la Défense. Les programmes nucléaires sont ensuite conjointement mis en œuvre par la direction générale de l’armement (DGA) et le CEA/DAM. C’est une œuvre commune : la DGA est responsable de toute la partie non nucléaire du programme, autrement dit tout sauf la chaufferie et les armes, et le CEA/DAM de la chaufferie, des armes et de l’approvisionnement en matières nucléaires. Pour ce qui est du fonctionnement au quotidien, le Premier ministre promulgue tous les cinq ans, depuis 1961, une directive dite « l’œuvre commune », qui met en place tous les mécanismes permettant de piloter le CEA – donc la DAM – pour les programmes de défense et de suivre leur exécution. Une fois par an, le suivi global est assuré par le Comité de l’énergie atomique, présidé par le ministre de la Défense. Un jour par mois, enfin, le comité mixte armées-CEA se réunit pour suivre à la fois nos plans stratégiques, nos propositions d’action, nos budgets et leur exécution – bref l’avancement de tous les programmes qui nous sont confiés.

Le CEA est un établissement public industriel et commercial, qui emploie 15 900 salariés en contrat à durée indéterminée. Il est organisé en cinq pôles, respectivement tournés vers la recherche fondamentale en physique, la recherche fondamentale en biologie « par et pour le nucléaire », l’énergie nucléaire, la diffusion technologique et enfin la défense, avec la DAM.

La DAM compte 4 700 salariés. Ses missions sont au nombre de six. La première a trait aux armes : elle a la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage déléguée des armes, mais aussi de leur conception, de leur fabrication, de leur maintien en condition opérationnelle et de leur démantèlement. La deuxième mission, la propulsion nucléaire, recouvre la responsabilité des 12 chaufferies embarquées à bord de 11 bâtiments, sachant que le porte-avions nucléaire en compte deux, et celle de la conception des futures chaufferies et des combustibles embarqués. La troisième mission recouvre principalement la responsabilité stratégique de l’approvisionnement des matières. Pour les armes, nous n’approvisionnons plus : nous recyclons celles qui existent déjà. Pour la propulsion, nous assurons l’approvisionnement en uranium des chaufferies des sous-marins et du porte-avions au profit de la défense auprès de l’industrie française. La quatrième mission est relative à la sécurité et à la non prolifération, la cinquième à la défense conventionnelle, et la sixième à la valorisation des connaissances que nous avons acquises et des technologies que nous avons mises au point, à condition qu’elles ne soient pas proliférantes.

La DAM compte cinq centres : le Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine (CESTA), près de Bordeaux, le centre DAM Île-de-France, à côté d’Arpajon, celui du Ripault, près de Tours, celui de Valduc, près de Dijon, et enfin celui de Gramat, dans le Lot. Chaque ligne de programme – propulsion nucléaire, matières et environnement, sécurité et non prolifération, armes nucléaires et défense conventionnelle – est pilotée par un directeur de programme.

La DAM a bien sûr évolué depuis cinquante ans, en particulier depuis la fin de la guerre froide. Dans la décennie 1990-2000, nous avons consenti un effort significatif pour réduire notre empreinte géographique, en fermant le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et en réduisant le nombre de nos centres, qui est passé de sept à quatre. Le centre d’études de Gramat nous a été confié en 2010, sur décision du ministre de la Défense. Nos effectifs sont ainsi passés de près de 6 500 personnes en 1990 à 4 500 en 2009, auxquelles sont venus s’ajouter en 2010 les 270 personnels de Gramat.

Le budget total de la DAM pour 2013 s’élève à 1 775 millions d’euros taxes comprises. Il se répartit entre les salaires et les frais de fonctionnement, pour 365 millions, les dépenses externes – essentiellement auprès d’industriels français – pour 1 200 millions, et la TVA, pour 200 millions.

Une part importante de ce budget – 1 490 millions – est consacrée aux armes et à la simulation, aux matières et à la propulsion nucléaire. 154 millions proviennent par ailleurs du Fonds dédié défense pour le démantèlement des anciennes installations. 26 millions sont consacrés aux travaux de défense conventionnelle, et une centaine de millions à la valorisation.

J’en viens à la stratégie mise en œuvre par la France, qui a joué un rôle pilote en ce domaine, pour pérenniser sa dissuasion en lançant le programme de simulation. Notre pays s’est montré volontariste en arrêtant les essais nucléaires, en fermant le CEP, en signant et en ratifiant le TICE, avec « l’option zéro », c’est-à-dire l’interdiction totale de dégager de l’énergie à l’aide de la fission. Simultanément, il a décidé de conduire une ultime campagne permettant de valider par un certain nombre d’essais une charge dite robuste, qui présente les mêmes fonctions militaires que toutes les charges nucléaires, mais a l’avantage d’être pardonnante, c’est-à-dire de présenter suffisamment de marge pour qu’on puisse la garantir par la simulation tout au long de sa vie. La mise au point de cette charge robuste est une originalité française : à ma connaissance, les autres États dotés de l’arme nucléaire n’ont pas eu cette démarche volontariste. En même temps, nous avons développé le programme de simulation, qui, lui, présente dans sa forme de nombreuses similitudes avec ceux des autres États dotés. La France a également décidé de limiter sa dissuasion à deux composantes, l’une aéroportée et l’autre océanique. Enfin, elle a, comme je l’ai dit, décidé d’arrêter la production de matières fissiles pour les armes et de démanteler totalement ses usines. Là encore, elle a fait preuve d’un grand volontarisme en réduisant au minimum les installations dont elle a besoin, c’est-à-dire pour la propulsion. Aujourd’hui, la matière des vieilles armes est recyclée à Valduc pour en fabriquer de nouvelles.

Le programme simulation est une démarche scientifique qui consiste à reproduire en laboratoire, par le calcul, le fonctionnement d’une charge nucléaire, au moyen de la physique, de la simulation numérique et de l’expérience, les trois volets étant complémentaires.

Je vais maintenant essayer d’illustrer la physique des armes et la simulation numérique. Lorsqu’une arme fonctionne, elle est le siège d’un certain nombre de phénomènes physiques. Je prendrai ici l’exemple de la turbulence des fluides. L’eau coule généralement de manière douce – ou laminaire, pour les scientifiques – dans un ruisseau ou une canalisation. Mais lorsqu’un certain nombre de paramètres évoluent, elle se met à tourbillonner : l’écoulement devient turbulent ou agité. Il faut savoir que la turbulence apparaît également lorsqu’une arme fonctionne. La modélisation physique consiste à traduire ce phénomène de fluide qui se met à bouger par un système d’équations. Nous ne savons pas résoudre celui-ci à la main : c’est donc l’ordinateur qui va fournir la solution. Ce sont ces phénomènes de turbulence et de mélange que nous calculons dans les armes, sachant qu’il est particulièrement complexe de les mettre en équations.

Il faut ensuite valider le résultat. En effet, une équation est une construction intellectuelle, et il y a en général plusieurs équations pour représenter un phénomène donné. La question qui se pose au scientifique est donc de savoir laquelle choisir. Pour cela, il faut les comparer à l’expérience, afin de trouver celle qui représente le mieux le phénomène à simuler. Une arme nucléaire est constituée d’un corps de rentrée qui lui permet d’être structurée et de voler, d’un bloc équipement qui est son cerveau, (qui est piloté par une puce électronique), d’une amorce et d’un étage qui vont dégager de l’énergie nucléaire. Cet ensemble contient de l’explosif, du matériau fissile et du matériau fusible. Les essais nucléaires permettaient de tester l’arme d’un seul coup. À présent que nous n’en faisons plus, il est nécessaire de découper les différentes phases de fonctionnement en deux parties. On peut analyser la première – explosifs et fission – en comprimant la matière (en fait, son substitut non nucléaire dans les expériences) et en observant l’aspect qu’elle prendrait au moment de la fission. Pour cela, on fait une radiographie : c’est l’objet de l’installation Epure. Pour la deuxième phase – fission et fusion (dite « haute densité d’énergie ») – nous procédons à des expériences élémentaires, qui restituent en laboratoire les grands phénomènes physiques qui se passent dans l’arme. Cette démarche est comparable à celle des ingénieurs en aéronautique qui placent une maquette d’avion dans une soufflerie pour affiner leur connaissance de l’appareil. Il faut regarder le Laser Mégajoule comme la soufflerie des spécialistes de l’arme nucléaire.

Revenons à la radiographie : elle s’apparente à celles qui sont réalisées dans le domaine médical, à ceci près que la matière à traverser est l’équivalent de 200 000 corps humains, et qu’il faut le faire en quelques milliardièmes de seconde. Nous avons donc besoin d’instruments spécifiques pour vérifier le comportement de la matière.

Supposons que ce que l’on cherche à voir ait la forme d’un flocon de neige – il est compliqué et a des contributeurs de taille différente. La radiographie d’Airix permet de vérifier qu’on a bien ce flocon de neige, comme cela est démontré sur la maquette d’évaluation de la machine Airix.

La construction de ces bâtiments et de ces machines radiographiques fait l’objet du projet Epure, qui sera mis en œuvre en deux étapes. La première, qui doit être achevée en 2014, correspond au premier axe radiographique, au secteur d’exploitation et aux zones de préparation de l’engin de l’expérience réservés aux équipes françaises. La seconde, qui durera jusqu’en 2022, viendra la compléter. La première phase avait été décidée en 2008, avant les accords de Lancaster House. Elle est réalisée à 100 % par la France. La seconde a fait l’objet du Traité dit « Teutates ». C’est donc un projet commun et la dépense totale est partagée à 50/50, qu’il s’agisse des coûts de construction, d’exploitation ou de démantèlement. Le droit d’utilisation est donc égal pour les Britanniques et les Français.

J’en viens aux expériences qui peuvent être faites avec le Laser Mégajoule (LMJ). Les expériences que nous envisageons de faire à partir de 2014 consistent à savoir comment le matériau d’étude va évoluer lorsqu’il est touché par le rayonnement laser, qui amène beaucoup d’énergie. Avec le rayonnement laser, la température dans la petite sphère servant de cible s’élève à près de 3 millions de degrés. Le matériau d’étude n’est donc plus une partie solide : il est devenu un gaz ou un plasma. L’expérience et le calcul sont donc confrontés en permanence pour faire progresser nos connaissances scientifiques. Le microballon de la cible sera placé au centre de la sphère d’expérience, qui permettra de mettre en œuvre près de 100 mesures. Cette sphère est un élément du hall d’expérience où les lasers convergent, lequel est entouré de part et d’autre par les deux bâtiments laser. Le laser va fabriquer un rayon de lumière cohérent, c’est-à-dire dont tous les grains de lumière cheminent « en phase ». La différence entre la lumière d’un laser et celle de la salle où nous nous trouvons en ce moment est en effet comparable à celle qui peut exister entre une troupe qui marche au pas – tous les soldats ou grains de lumière avancent au pas, « en phase » – et une troupe qui arrive à un pont – les soldats arrêtent de marcher au pas. Le laser est une source de lumière cohérente, que l’on peut travailler pour l’utiliser dans de bonnes conditions.

Le projet LMJ est l’un des grands projets que conduit la DAM. Il est partagé par la plupart des grands industriels français de la défense. La chaîne laser part du pilote, fabriqué par Quantel, pour effectuer deux allers et retours, soit quatre passages par les plaques d’amplification – auxquelles participent Thales, EADS ou Alsyom – avant d’être envoyée dans la petite cible. De nombreux industriels participent à la réalisation de ce laser. Dans la mesure où ses spécifications sont un peu hors du commun, cela les a beaucoup fait progresser, chacun dans leur domaine de compétence respectif.

Le programme de simulation a été lancé en 1996. Sa construction s’est déroulée jusqu’à aujourd’hui. Tous ses jalons – qu’il s’agisse d’Airix, de la Ligne d’intégration laser (LIL), prototype du LMJ, ou des ordinateurs – ont été obtenus au moment où nous le souhaitions avec les performances requises et dans le budget alloué. Pour l’avenir, nous avons prévu d’exploiter le LMJ à partir de 2014, d’utiliser Teutates-Epure, et de continuer à progresser dans la physique, les équations et les ordinateurs, en suivant les étapes que je vous présente.

J’en viens à l’emploi des ressources de la DAM. Les taxes représentent environ 11 % de nos dépenses, la masse salariale et les frais associés 21 %, et les achats aux industriels français pour réaliser les programmes 68 %, soit 1 200 millions d’euros hors taxes. Vous noterez que cette répartition est à peu près constante : les deux tiers de notre budget vont à l’industrie française. Prenons l’exemple du LMJ, dont la construction va durer une douzaine d’années : le coût total du projet, soit 3,3 milliards d’euros, peut être ventilé entre les taxes – pour 13 % – le personnel – pour 18 % – et les achats – pour 69 %. L’équilibre n’est sans doute pas le même dans les autres organismes de recherche, y compris d’ailleurs la partie civile du CEA.

Permettez-moi maintenant de prendre quelques exemples de transferts technologiques du CEA vers l’industrie. Je prendrai tout d’abord le cas du BEFI, matériau qui sera utilisé dans les têtes nucléaires futures. Le CEA a fait la recherche et développement (R&D) : il a mis au point le matériau et défini la manière de le fabriquer, ainsi que l’instrument nécessaire. Il a ensuite transféré ce savoir-faire et la machine à un industriel. Il va enfin financer celui-ci pour qu’il industrialise le procédé et réalise la série pour les armes. Le savoir-faire acquis pourra ainsi être mobilisé pour d’autres utilisations que la défense ou la dissuasion.

Un autre exemple est celui du miroir M1, utilisé dans le LMJ, qui est capable de se déformer et donc d’assurer la correction de toutes les ondes de lumière qui devraient marcher à la même vitesse – pour reprendre la comparaison que j’ai employée tout à l’heure – dans le faisceau laser. Là encore, le CEA a mis au point ce miroir, pour un coût complet – personnel, taxes et fournitures – de R&D de l’ordre de 3 millions d’euros. Il a ensuite transféré le savoir-faire à une PME, Alsyom, qui a industrialisé le procédé et produit le miroir pour le CEA, pour un montant total de 20 millions d’euros.

Par ailleurs, nous pouvons aussi relever l’exemple de l’ordinateur Tera, que le CEA a fait fabriquer par Bull. Le CEA a spécifié quelles capacités devaient avoir les puces et les circuits électroniques de l’ordinateur, aidé le constructeur à faire des choix et évalué le prototype construit par celui-ci. Le coût total de R&D, partagé avec Bull, a été de l’ordre de 20 millions d’euros. La machine a ensuite été réalisée par l’industriel. Son coût unitaire est de l’ordre de 60 millions d’euros. Une fois le savoir-faire acquis, Bull a pu vendre dans le monde 25 ordinateurs fabriqués à partir de la même technologie, créer 250 emplois permanents et réaliser un chiffre d’affaires annuel d’un peu moins de 200 millions d’euros.

La DAM a développé une stratégie pour créer des écosystèmes de diffusion des savoirs et de la technologie autour des centres. Afin de produire des ordinateurs comme Tera en France, nous avons créé une sorte de pépinière d’entreprises ou de terrain favorable autour du centre de Bruyères-le-Châtel, qui réunit à la fois les entreprises informatiques capables de produire ces ordinateurs, des chercheurs et des universitaires pouvant faire progresser les industriels et les mathématiques, et des utilisateurs qui doivent transformer leurs applications pour les rendre capables d’utiliser ces ordinateurs.

Autre exemple, celui de la « Route des lasers » – que M. Rousset connaît bien – en Aquitaine. La région Aquitaine et l’État ont décidé d’accompagner le très grand investissement qu’est le LMJ, avec des partenaires régionaux – le conseil régional, le conseil général de la Gironde, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), des communautés de communes ou encore l’université de Bordeaux I… Une société d’économie mixte (SEM) a été constituée pour soutenir et accueillir les industriels. Nous avons développé la recherche, en particulier en créant avec le CNRS, l’université de Bordeaux I et l’École Polytechnique un laboratoire dédié, le Centre lasers intenses et applications (CELIA), ainsi que l’Institut lasers et plasmas (ILP). Nous avons mis en place un organisme de transfert technologique, AlphaNov, ainsi que des actions de formation dédiées pour ceux qui souhaitent utiliser les lasers, et une stratégie d’animation et de communication. Près de 1 400 emplois et 26 jeunes pousses ont ainsi été créés autour du LMJ, tandis que 22 sociétés se sont implantées en Aquitaine.

De même, nous avons lancé le projet « Alhyance » en région Centre. Il s’agit d’une application de nos savoir-faire dans le domaine du deutérium et du tritium – qui sont les isotopes fusibles de l’hydrogène. Dans ce projet Alhyance, l’hydrogène est en effet vu comme « l’isotope non radioactif du tritium ». Nous avons donc appliqué les technologies et les savoir-faire développés pour travailler le tritium à la fabrication de réservoirs à hydrogène embarquables et à la mise au point de procédés de fabrication que deux sociétés se sont ensuite appropriés. Une quarantaine d’emplois ont été créés, 47 brevets déposés et 21 thèses soutenues.

Le dernier exemple que je citerai concerne l’électronique. Dans les années 1985-1990, la DAM a eu besoin de définir pour ses futures armes une puce électronique – « cerveau de l’arme » – durcie aux rayonnements. De son côté, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) avait besoin pour le grand collisionneur de hadrons (LHC) d’un détecteur dont les puces avaient les mêmes besoins – puisqu’elles doivent résister aux rayonnements à l’intérieur du LHC. Le CEA a donc mis au point une filière d’électronique spéciale, qui est un nouveau procédé. Pour industrialiser ce dernier, nous avons encouragé la création de la société SOITEC (« spin off » du CEA), en mettant à sa disposition « l’implanteur » dans le silicium, autrement dit la machine qui permettait de réaliser la technologie dédiée, avec un cofinancement de la DGA et de la DAM. La production a été réalisée – pour les parties défenses – par la société ATMEL, en coopération avec SOITEC. Cette dernière diffuse aujourd’hui largement cette technologie. En 2012, elle employait plus de 1 000 salariés et a réalisé un chiffre d’affaires de 270 millions d’euros. Il s’agit d’une belle retombée des programmes de dissuasion et des programmes de recherche du CEA.

Dans un tout autre domaine, nous surveillons les essais nucléaires en écoutant les secousses dans le sol. Les savoirs et les moyens permettent aussi de détecter les séismes et d’évaluer la potentialité de provoquer des tsunamis. Cela nous permet – c’est encore une retombée positive – de piloter deux centres d’alerte aux tsunamis, dont l’un dans le Pacifique – qui a permis d’alerter la Polynésie lors du grand tsunami du 11 mars 2011, alors que la vague qui a traversé le Pacifique mesurait encore près de trois mètres à certains endroits de l’archipel. Suite aux séismes qui se sont produits en Méditerranée, nous avons également contribué, avec le Service hydrographique et océanographique de la Marine et le CNRS, à la mise en place d’un centre d’alerte en Méditerranée, avec un délai d’alerte de l’ordre du quart d’heure.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions pour cet exposé, qui est à lui seul une invitation à nous rendre sur les sites.

M. Bernard Deflesselles. Mon collègue Philippe Vitel et moi-même avons déjà eu l’occasion de visiter le LMJ, il y a une dizaine d’années.

Votre exposé était d’une grande clarté, même s’il nous faudrait reprendre nos études pour en tirer tout le bénéfice !

Ma première question porte sur un autre grand projet, implanté en Provence et en partie porté par le CEA : ITER. Sachant que ce projet est fondé sur la fusion et non plus sur la fission, existe-t-il une relation, à tout le moins un échange d’expérience, entre ce que vous venez de nous présenter et ITER ?

Le Livre blanc et la préparation de la loi de programmation militaire (LPM) suscitent depuis quelques semaines un débat qui voit affluer les propositions – parfois farfelues. Certains estiment que le budget de la défense ne devrait pas être pris en compte pour le calcul du déficit dans la perspective d’une limitation de celui-ci à 3 % du PIB. D’autres proposent, pour faire des économies, de supprimer l’une des deux composantes de la dissuasion nucléaire, la composante aéroportée, et de ne conserver que nos sous-marins. Cette hypothèse vous paraît-elle envisageable du point de vue de la technologie et de la recherche ?

M. Daniel Verwaerde. ITER est une machine destinée à produire de l’énergie par fusion. Il m’est difficile de caractériser dans tous ses détails notre relation avec ce projet. Je puis cependant vous dire que nous avons créé l’équivalent d’un master – à savoir un module d’enseignement commun de haut niveau sur la fusion, commun à ITER et au LMJ. Nous avons donc une démarche d’enseignement commune, avec un tronc commun et des projets spécifiques. Par ailleurs, un certain nombre de technologies qui seront utiles à ITER sont également utilisées pour le LMJ. J’en citerai trois. Tout d’abord, la source d’énergie d’ITER sera du tritium et du deutérium. Le CEA apporte donc sa contribution au projet ITER pour les développements technologiques relatifs au tritium. Ensuite, ITER aura besoin de courants électriques gigantesques pour faire des champs magnétiques qui confineront le plasma. Compte tenu de l’intensité des courants électriques, il faudra se mettre en mode supra-conducteur pour éviter que les courants électriques ne chauffent trop les câbles. La seule manière d’y parvenir est de baisser la température. La cryogénie sera donc utile à ITER. Or les cibles du LMJ sont cryogéniques – elles sont à - 254 degrés. Nous utilisons donc les mêmes techniques, et c’est la même équipe du CEA qui apporte son expertise à ITER et au LMJ. Enfin, nous disposons de spécialistes des chocs, des séismes ou de la lutte contre la prolifération, dont l’expertise est précieuse pour la tenue des bâtiments aux séismes. Lorsqu’il a fallu défendre le projet ITER, les équipes de la DAM ont contribué à démontrer que les séismes étaient moins redoutables en France qu’au Japon. J’ajoute qu’une dizaine d’agents de la DAM sont détachés auprès d’ITER.

La question des composantes de notre dissuasion peut être posée de plusieurs manières. Chacune des deux composantes assure la dissuasion à elle toute seule, tout en ayant ses spécificités. Aucune n’est donc première par rapport à l’autre.

Si l’on s’en tient à aujourd’hui, il faut rappeler que la composante aéroportée vient d’être rénovée. Son coût de fonctionnement est très faible, de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros. Sa suppression ne permettrait donc pas de trouver les milliards qui nous manquent. Dans l’immédiat, on ne gagnerait rien à la supprimer. À très long terme, on peut toujours se poser la question. L’ingénieur que je suis est cependant prudent : il sait que tout système humain peut avoir ses défaillances. Dans cette optique, avoir deux composantes renforce la crédibilité de notre dissuasion. Pour faire simple, il s’agit de ne pas « mettre tous ses œufs dans le même panier ». Si par malheur un problème survenait sur l’une de nos composantes, l’autre – qui est fondamentalement différente – continuerait de fonctionner.

M. Joaquim Pueyo. Votre direction contribue à la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique. J’aimerais avoir votre point de vue sur les cas de l’Iran et de la Corée du nord. Le premier, à travers des programmes présentés comme civils, effectue des recherches particulièrement inquiétantes. La seconde vient de procéder à un nouvel essai de tirs de missiles de longue portée, avec le risque d’obtenir sous peu des missiles à tête nucléaire. Comment travaillez-vous avec les grandes puissances qui exercent également une surveillance, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni ?

Je voulais également vous interroger sur la surveillance des événements naturels. Vous avez répondu par avance à ma question.

M. Daniel Verwaerde. La lutte contre la prolifération est un programme qui a été confié à la DAM à partir de 1996. Le TNP et le TICE ont fait prendre conscience de la nécessité d’assurer une veille permanente pour limiter au maximum la prolifération.

Vous avez raison à propos de l’Iran. Nous avons là des gens habiles, qui ont l’art de développer des technologies en particulier utiles pour une arme nucléaire en sachant, à chaque fois, leur donner un aspect dual : ces technologies peuvent être utiles pour des armes, mais aussi pour un besoin civil. Le principal reproche qui peut être fait à l’Iran est d’avoir développé ces technologies et ces composants de manière clandestine. Le pays n’a donc pas respecté ses engagements vis-à-vis du TNP. C’est d’autant plus inquiétant qu’il a atteint un deuxième niveau de capacité d’enrichissement d’uranium : celui-ci est désormais de l’ordre de 20 %, ce qui reste une limite admissible pour des applications civiles, à condition de l’avoir déclaré a priori et de le réaliser sous contrôle de l’AIEA.

J’en viens à la Corée du Nord. À ce sujet, je tiens à dire que les moyens que vous nous avez alloués jusqu’à présent nous permettent de faire notre travail. Nous avons ainsi pu détecter le dernier essai nucléaire quasiment en temps réel, puisque nous avons mis huit minutes – soit le temps que les ondes se propagent dans les croûtes terrestres jusqu’aux plus proches stations du réseau de détection. Nous avons ensuite pu diagnostiquer – dans les trois ou quatre heures – qu’il s’agissait bien d’une explosion et donner un ordre de grandeur de son intensité. Dans la mesure où celle-ci dépassait un nombre de kilotonnes non réalisable avec de l’explosif conventionnel, il était certain qu’il s’agissait d’une explosion nucléaire. La question pouvait encore être posée pour les essais précédents, où l’intensité de l’explosion était accessible, puisque au moins un pays a réalisé dans le passé des essais d’une intensité très significative avec de l’explosif chimique.

Comment collaborons-nous avec les autres grandes puissances (en matière de lutte contre la prolifération) ? Notre premier soin est de rendre compte de notre expertise technique – à savoir des différents éléments que je viens d’évoquer – aux organismes français qui en ont la charge – le gouvernement et, en particulier le Secrétariat général de la défense et la sécurité nationale (SGDSN). Il existe une analyse ou une synthèse française de l’état de sécurité, à laquelle le CEA contribue. Nous apportons en outre – chaque fois que le Gouvernement nous le demande – une contribution aux travaux de l’AIEA. À ce titre, je ne vous ai pas encore parlé du laboratoire d’ultra-traces de Bruyères-le-Châtel, qui nous permet d’analyser la plus petite trace d’une activité. Quelle que soit l’activité nucléaire à laquelle on se livre, le confinement parfait n’existe pas : il en reste toujours des traces dans l’environnement, sans aucun risque pour la santé bien sûr, par exemple dans les mousses. La DAM a donc les moyens d’analyser et de traquer une particule de matériau « militaire » parmi 1 000 milliards de particules. Là encore, je vous invite à venir visiter ce laboratoire !

Lorsqu’un événement se produit, nous pouvons échanger avec nos collègues britanniques ou américains et, plus généralement, d’autres pays. Je dirais néanmoins que ce n’est pas la majeure partie de notre activité. La première priorité en pareil cas est en effet d’informer le Gouvernement et non d’appeler l’étranger ; ce qui n’interdit pas des contacts au bout d’un certain temps. Il s’agit alors davantage d’échanges scientifiques, de comparaison de nos méthodes de diagnostic sur un plan scientifique que de confrontation de nos résultats – qui restent une affaire nationale. Nous entretenons des échanges scientifiques afin de perfectionner nos méthodes, esssentiellement dans le cadre de forums internationaux.

Nous avons également une capacité à mettre en œuvre des moyens de prélèvement du même type que ceux employés par AirParif pour analyser l’air. Nous avons notamment pu utiliser une technologie analogue mais adaptée suite au dernier essai réalisé par la Corée du Nord.

M. Jean-Jacques Candelier. Je vous ai écouté avec attention, même si le sujet est particulièrement complexe.

Le CEA est-il fortement impacté par les coupes budgétaires ?

Notre niveau de dissuasion nucléaire – autrement dit notre assurance-vie – est-il juste ou suffisant ? On parle de 3 milliards d’euros par an, soit 8 millions par jour. Sommes-nous encore dans la course mondiale au nucléaire militaire ? J’ai cru comprendre que l’on voulait se contenter du strict minimum.

M. Daniel Boisserie. Je vous interrogerai pour ma part sur le dialogue stratégique entre la France et les Émirats arabes unis. Où en sont l’assistance à la création de l’Agence de gestion des déchets radioactifs, ainsi que le projet d’usine de fabrication des assemblages de combustible et le centre de recherche nucléaire sur le sol des Émirats ?

M. Daniel Verwaerde. Dans la mesure où nous sommes très spécialisés au sein du CEA, je ne sais pas répondre à votre question, monsieur Boisserie. Je me propose donc de la transmettre à l’administrateur général, M. Bigot, qui sera à même de vous éclairer.

En ce qui concerne les coupes budgétaires, il est trop tôt pour savoir quelles décisions seront prises par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Défense dans le cadre de la LPM. Comme pour le Livre blanc, beaucoup d’hypothèses sont étudiées. Certaines sont bien sûr soutenues par l’ingénieur et le Directeur que je suis ; je m’exprime sous la forme d’un plan à moyen et long terme adressé au ministre de la Défense. Je sais que certains scénarios prennent mes demandes en compte, et d’autres moins. Pour l’heure, je suis dans l’attente d’un arbitrage. C’est le Conseil des armements nucléaires et le Conseil de défense qui décideront ce qui est nécessaire et acceptable compte tenu du contexte budgétaire.

Quant à la stricte suffisance, elle relève de l’appréciation du Président de la République. C’est à lui qu’il revient d’apprécier les adversaires potentiels et la manière dont nous devons être armés pour être crédibles. La stricte suffisance varie donc dans le temps. En 1990, nous avions encore de l’ordre de 600 armes ; nous en avons aujourd’hui moins de 300. L’adaptation est permanente. La stricte suffisance s’est traduite par une baisse du nombre d’armes, mais je n’exclus pas que l’on puisse évoluer dans l’autre sens si de nouvelles menaces émergeaient. Je me réjouis bien sûr que nous allions vers un désarmement – à condition que celui-ci soit total. Désarmer dans le seul domaine nucléaire quand d’autres États maintiennent une défense conventionnelle hypertrophiée n’est pas nécessairement bon pour notre sécurité. Ce qui compte, c’est d’aller vers un désarmement total et général. Voyez les décisions prises par M. Poutine : la Russie est en train de remonter dans le domaine nucléaire probablement, parce qu’elle y voit un moyen d’équilibrer des arsenaux conventionnels qu’elle doit juger hypertrophiés.

Je le répète, au même titre que toutes les armes, la dissuasion est une arme diplomatique. Utiliser une arme, c’est déjà avoir un peu perdu. La dissuasion est donc la plus belle arme diplomatique dont dispose le Président de la République – et elle sert tous les jours. L’objectif n’est pas de tuer des gens, mais d’amener un adversaire à devenir raisonnable et à accepter de négocier.

M. Alain Rousset. Je vous remercie d’avoir évoqué les retombées de la puissance scientifique et technologique du CEA sur nos territoires. Au moins trois régions ont pris contact non seulement avec le CEA militaire, mais aussi avec le CEA civil, pour développer des centres de ressources technologiques avec un véritable impact en termes d’emplois, un peu sur le modèle de Grenoble. En tant que président de région, je puis témoigner que les retombées de ce qui a été fait sur la filière optique et lasers sont considérables, y compris sur un projet sur la fusion qui est concurrent ou complémentaire avec le site de Cadarache. À côté de la technologie de fusion magnétique dont vous avez parlé en existe en effet une autre, complémentaire de celle du LMJ, que nous finançons ensemble et qui coûte 1 000 fois moins cher.

Je félicite le CEA et Daniel Verwaerde. Dans la bataille que devra livrer notre Commission, il ne faudra pas négliger les moyens du CEA, qui ne sont pas seulement décisifs pour notre armement, mais aussi pour notre compétitivité.

Quid du M51 qui doit encore progresser, tant en termes de propulsion qu’en termes de robustesse et de précision ? Par ailleurs, nos concitoyens restent soucieux du démantèlement et du recyclage, qui exigent des moyens considérables. J’insiste donc sur l’intérêt d’acquérir une avance dans ce domaine.

M. Philippe Vitel. Ma question porte sur les matières fissiles. Vous avez évoqué le démantèlement et le recyclage des produits nucléaires. Ce dernier ne saurait néanmoins suffire : le CEA étant responsable de l’approvisionnement de notre défense en matières nucléaires, il faut en acheter. Comment fonctionne ce marché ?

M. Yves Foulon. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur le programme Teutates et votre contribution à sa mise en œuvre ?

M. Daniel Verwaerde. En ce qui concerne le M51, celui-ci est, dans notre organisation, de la responsabilité du DGA. Je vous encourage donc à lui demander son avis sur cette question.

J’en viens au démantèlement et au recyclage. En ce qui concerne les matières utilisées pour les armes, à savoir le plutonium de qualité arme et l’uranium très enrichi, la France vit strictement sur son stock, conformément à nos engagements internationaux. L’un de nos ateliers de Valduc met en œuvre des procédés qui s’apparentent à ceux de la Hague : on y dissout la matière pour en ôter les impuretés, et en refaire une matière quasiment neuve. Notre capacité à renouveler nos armes est garantie, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter.

En revanche, nous consommons de la matière dans les chaufferies des sous-marins. Il s’agit d’oxyde d’uranium très semblable à celui utilisé par les centrales civiles. La France est un des rares pays ayant su faire des réacteurs à usage militaire fonctionnant à l’uranium très peu enrichi. Elle s’est donc mise à un niveau d’enrichissement non proliférant, qui est très semblable à celui des centrales d’EDF

L’approvisionnement constitue en effet un point de vigilance. Il faut donc être attentif à la pérennisation de notre capacité à approvisionner cet uranium pour nos bateaux. Le CEA a d’ailleurs proposé un certain nombre de stratégies de sécurisation. Il existe ainsi trois ou quatre mesures qui permettraient chacune de faire vivre une génération de sous-marins. Si la source première se fermait, nous pourrions encore alimenter plus d’un siècle nos chaufferies de sous-marins. Les grands industriels français nationalisés contribuent à la sécurisation de notre dissuasion, par leur contribution au cycle du combustible.

J’en viens à Teutates. L’instance de gouvernance prévue par le traité est un senior level group – au niveau du cabinet office britannique et la Présidence de la République – qui se réunit au moins une fois par an pour suivre l’ensemble des accords de Lancaster House.

Comme vous le savez, le programme Teutates a fait l’objet d’un traité particulier. Il existe donc une instance de suivi subalterne, dont je suis le co-responsable français. Mon homologue britannique et moi-même présidons une sorte de comité de pilotage technique et financier, qui se réunit trois ou quatre fois par an pour faire le point de l’avancée du projet. En dessous de ce comité siège un joint management board qui règle les questions au jour le jour. Enfin, nous avons maintenant une équipe intégrée à Bruyères-le-Châtel : neuf ingénieurs britanniques travaillent, au sein des équipes françaises, à la conception et à l’exploitation de la future machine. À terme, cette équipe rejoindra Valduc. Nous avons aussi un représentant français permanent au sein de l’AWE britannique.

Le traité faisait allusion à des arrangements spécifiques. Je suis l’un des deux co-signataires de ce document, qui est l’équivalent de la notice descriptive dans une vente en l’état futur d’achèvement d’un logement. Pour l’anecdote, nous l’avons signé une heure avant la signature du traité Teutates.

M. Philippe Folliot. Un ancien président de la commission de la Défense fait désormais profession de dénigrer notre arme nucléaire. Selon lui, l’abandon de notre capacité de dissuasion serait la solution à tous nos problèmes. Vous nous avez apporté des éléments de réponse, notamment sur la faiblesse du bénéfice qui pourrait en être attendu à court terme. Quelles conséquences un tel abandon aurait-il en termes de technologies duales, c’est-à-dire dans le domaine civil ? Cet élément me semble trop souvent occulté dans le débat sur le budget de la défense, alors même que beaucoup de fleurons de notre industrie, comme l’industrie spatiale ou l’aéronautique, trouvent leur origine dans les technologies développées dans ce secteur.

M. Nicolas Dhuicq. Vous avez rappelé à juste titre que les deux composantes de notre dissuasion étaient complémentaires. Un Comité des armements nucléaires doit se tenir prochainement. Vous attendez-vous à des inflexions en matière de doctrine ? Il semble que l’Armée de l’air veuille privilégier l’hyper vélocité pour la composante air, ce qui pourrait avoir un impact sur les vecteurs. Le rapprochement de certains types de vecteurs pour les armes conventionnelles et nucléaires pourrait poser des problèmes aux décideurs politiques.

Vous entretenez certainement des contacts rapprochés avec l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs que j’aimerais voir prendre des parts de marché en Europe de l’est.

Ma dernière question porte sur la recherche fondamentale. Voyez-vous un avenir à l’étude du graphène pour la conductivité ?

M. Guy Chambefort. Lors d’une précédente audition, un responsable syndical nous a affirmé que des techniciens et ingénieurs du CEA étaient missionnés pour effectuer des relevés de radioactivité en Algérie. Si cela est exact, leur sécurité est-elle bien assurée ?

M. Sylvain Berrios. Ce fut un plaisir de vous entendre. La dissuasion nucléaire est un avantage comparatif pour notre pays en même temps qu’un élément fondamental de sa souveraineté. Existe-t-il néanmoins une possibilité de mutualisation d’une partie de votre travail – et de son impact financier – avec nos partenaires, notamment le Royaume-Uni, ou le caractère stratégique de la dissuasion interdit-il de l’envisager ?

M. Philippe Folliot, secrétaire du Bureau, remplace Mme Patricia Adam à la présidence de la Commission.

M. Daniel Verwaerde. Suite à une demande gouvernementale, nous avons proposé le projet Epure-Teutates. Mon homologue britannique et moi-même partagions la même analyse à cet égard : l’arme nucléaire étant au cœur de la souveraineté de chacun des états, il semble compliqué de la partager. La démarche n’est déjà pas aisée dans le domaine conventionnel, chaque concept de défense ayant des conséquences techniques sur la spécification de l’arme elle-même. Il fallait donc prendre le problème autrement. Comme en général, ce n’est pas le deuxième spécimen qui coûte cher à produire dans un armement militaire, mais le premier, car il nécessite de nombreuses études et l’installation de locaux, nous avons eu l’idée de partager des locaux, ce qui permet à chacun d’avoir son programme et de fabriquer sa propre arme nucléaire. Epure est un grand moyen expérimental dans le domaine de la radiographie. Nous n’avons pas à savoir ce que veulent radiographier les Britanniques. En revanche, nous savons que l’achat des machines radio et des écrans représente 95 % du budget total du système radiographique. Il nous a semblé opportun d’en partager le coût. La piste la plus raisonnable pour aller plus loin qu’Epure tout en faisant des économies consiste donc à envisager une utilisation en commun ou successive d’installations. Mais il ne s’agit que de mon avis personnel.

S’agissant des propos d’un représentant syndical n’appartenant pas au CEA, cette personne n’était pas bien informée pour ce qui concerne certains de ses propos tenus sur le CEA ; en outre, ses déclarations sont susceptibles de nuire à la sécurité des agents, c’est pourquoi je m’en suis ému auprès de Mme la présidente.

Je ne suis pas en mesure de vous répondre aujourd’hui en ce qui concerne le graphène, Monsieur Dhuicq. Je vous adresserai donc une réponse écrite.

Le rapprochement avec les armes conventionnelles est en effet une idée que certains avancent. À titre tout à fait personnel, j’estime qu’utiliser le même vecteur pour les armes conventionnelles et les armes nucléaires n’est pas une bonne idée, même pour des raisons d’économie. Les Américains ont eu l’idée, je crois, d’armer certains de leurs missiles Trident de charges conventionnelles. D’une manière générale, une telle démarche génère un risque considérable, car le pays qui verrait arriver sur son territoire un tel missile ne se posera peut-être pas la question de savoir s’il s’agit ou non d’un missile nucléaire. Selon moi, les missiles nucléaires ne doivent emporter qu’une charge nucléaire, afin qu’il n’y ait aucun risque de confusion.

La position prise par l’Armée de l’air en ce qui concerne l’hyper vélocité me semble traduire une volonté d’assurer la crédibilité de la dissuasion sur le long terme. Les industriels de notre pays étant au meilleur niveau mondial dans ce domaine, je présume que l’armée de l’air a pris cette position, moins, à mon avis, pour anticiper un changement de doctrine que pour tirer parti de nos atouts.

M. Nicolas Dhuicq. Ma question sur la doctrine était plus large.

M. Daniel Verwaerde. Personnellement, je pense que la doctrine française est bonne et bien pensée. Elle a résisté au temps. Si l’on compare cette doctrine à celle des Américains, par exemple, cette dernière peut parfois présenter des évolutions importantes d’une NPR à l’autre. Avoir un concept de dissuasion qui traverse le temps – indépendamment des fluctuations temporelles – me semble largement préférable. Encore une fois, les armes nucléaires sont faites pour assurer la sécurité ultime de notre pays, ce qui est un grand invariant.

Je n’ai pas répondu à M. Folliot sur les conséquences d’un éventuel abandon de notre capacité de dissuasion en termes de technologies duales. Il est difficile de les évaluer à terme. On ne peut donc le faire qu’en s’intéressant au passé. Pour prendre l’exemple du domaine nucléaire, beaucoup d’installations de production du cycle civil « cousinent » avec des installations de défense. L’usine d’enrichissement Georges Besse I n’était rien d’autre que le pendant civil de celle de Pierrelatte. Il s’agissait en effet de la même technologie de diffuseurs de gaz. De même, la Hague est l’enfant de l’usine de retraitement des combustibles de la dissuasion de Marcoule. Sa capacité est plus grande, mais le procédé présente une grande similitude. Je pourrais aussi citer l’exemple de la fibre optique, qui a d’abord été mise au point pour les essais nucléaires. Enfin, la technologie silicium sur isolant, utilisée pour de très nombreuses puces semi-conductrices aujourd’hui, a été imaginée à Bruyères-le Châtel pour la dissuasion. Nous avons ensuite vendu les bibliothèques, qui sont aujourd’hui à la base de nombreux semi-conducteurs. Les retombées des investissements dans le domaine de la défense sont donc très nombreuses et ces investissements ont été à l’origine de très nombreux progrès technologiques.

M. Alain Rousset. On peut citer ce que nous faisons sur le site du Barp avec les technologies dites laser. La région Aquitaine finance la miniaturisation des centres de protonthérapie. Le traitement des cancers par la protonthérapie – qui permet de cibler les tumeurs – nécessite des machines gigantesques, qui coûtent 200 à 300 millions d’euros. Il s’agit de ramener ce coût à 15 millions d’euros. Nous sommes en train de le faire avec la ligne d’intégration laser.

M. Philippe Folliot, président. Je vous remercie pour cette passionnante audition.

La séance est levée à treize heures cinq.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

– Mme Paola Zanetti, rapporteure pour avis sur les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ;

– Mme Paola Zanetti, membre de la mission d’information sur le contrôle de l’exécution des crédits de la mission « Anciens combattants » pour les exercices 2011 et 2012.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jean-Claude Gouget, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Jacques Lamblin, M. Gilbert Le Bris, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Francis Hillmeyer, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Philippe Meunier, Mme Marie Récalde, M. Jean-Michel Villaumé