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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 28 mai 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Parini, directeur régional des finances publiques Île-de-France et Paris (DRFIP), Mme Janine Pécha, administratrice générale des finances publiques, responsable du pôle fiscal Paris sud-ouest, M. André Bonnal, administrateur des finances publiques, adjoint de la responsable, et M. Pascal Pavy, administrateur des finances publiques adjoint, responsable de division

M. le président Charles de Courson. Nous reprenons le fil de nos auditions et nous recevons aujourd’hui plusieurs hauts fonctionnaires des finances.

Je rappelle que cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de l’affaire Cahuzac. À ce titre, les modalités de l’examen de la situation fiscale de M. Cahuzac après sa nomination au Gouvernement nous intéressent particulièrement. Il en va de même des conditions dans lesquelles la direction régionale des finances publiques Paris Île-de-France a été amenée, au cours de l’automne, à demander au ministre du budget, ainsi qu’à son expert-comptable, des éclaircissements sur l’évaluation de son patrimoine taxable à l’impôt sur la fortune.

Avant d’aller plus loin, il me revient de rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Parini, Mme Pécha, M. Bonnal et M. Pavy prêtent successivement serment.)

M. le président Charles de Courson. Je vous laisse la parole pour une courte introduction. M. le rapporteur vous interrogera ensuite, puis les autres commissaires.

M. Philippe Parini, directeur régional des finances publiques Île-de-France et Paris. Je serai bref, puisque le directeur général des finances publiques vous a déjà expliqué l’organisation du contrôle fiscal des ministres effectué lors de l’installation d’un nouveau gouvernement. Mes collègues, et en particulier Mme Pécha, pourront vous décrire plus précisément la procédure.

C’est à partir de juin 2012, alors que je ne suis pas encore à sa tête, que la direction régionale d’Île-de-France et de Paris – comme d’ailleurs les autres directions départementales éventuellement concernées – s’est vu demander par l’administration centrale du contrôle fiscal de préparer, pour les contribuables relevant de sa zone de compétence, ce que nous appelons les « fiches ministres ». L’examen du dossier correspondant au foyer fiscal Cahuzac s’inscrit donc dans ce cadre. Les fiches seront ensuite transmises à l’administration centrale du contrôle fiscal puis au directeur général des finances publiques.

Ce que réalise alors la DRFIP, c’est un examen sur pièces, « du bureau », à partir des éléments dont elle dispose. Cela consiste à décrire une situation fiscale, à noter un certain nombre d’observations, et le cas échéant à indiquer les questions qui pourraient se poser.

Vient ensuite, pour M. Cahuzac comme pour tous les membres du Gouvernement concernés, une seconde phase, marquée par un échange, sur initiative du contribuable, entre ce dernier et l’administration fiscale de proximité – en l’occurrence, la direction départementale des finances publiques. Cette phase s’étale sur le dernier trimestre de l’année 2012. Bien entendu, nous pourrons vous indiquer des dates plus précises si vous le souhaitez.

Même si, comme vous l’avez vous-même noté lors d’une autre audition, monsieur le président, tous les fonctionnaires présents sont soumis au secret professionnel, les pièces du dossier sont à la disposition de votre rapporteur, et nous pourrons répondre, de manière non publique, à d’éventuelles questions couvertes par ce secret.

En quoi consiste le contrôle fiscal exercé sur les membres du Gouvernement ? Il ne s’apparente pas à l’ESFP – examen de la situation fiscale personnelle –, qui est un contrôle approfondi dont l’administration fiscale, lorsqu’elle a des doutes ou des soupçons, prend l’initiative afin d’obtenir du contribuable les renseignements dont elle a besoin. Le contrôle effectué sur les ministres n’est d’ailleurs pas prévu par des textes. C’est une pratique progressivement construite par l’administration dans le but de veiller à ce que les membres d’un gouvernement soient, du point de vue fiscal, dans une situation d’exemplarité. Elle consiste à rassembler les éléments d’information dont dispose l’administration et à poser au contribuable concerné des questions de toute nature.

J’en viens à l’organisation de la procédure. L’ensemble de la démarche est coordonné, piloté par l’administration centrale du contrôle fiscal : c’est elle qui déclenche le processus, qui demande de préparer les fiches, qui centralise ces dernières et qui s’informe régulièrement de l’avancée des opérations. Mais c’est le service de base, c’est-à-dire la direction départementale, qui instruit le dossier. Dans un certain nombre de cas, l’administration centrale peut décider que tel aspect du dossier devra faire l’objet d’une action particulière. C’est ce qui s’est passé pour le dossier fiscal en cause, de manière tout à fait normale.

D’une manière générale, lors de la gestion de ce dossier comme des autres dossiers ministres relevant de la direction départementale, je n’ai observé aucune situation anormale qu’il s’agisse du déroulement des opérations, des orientations données par l’administration centrale ou de la façon dont les services ont exercé leur mission.

Mme Janine Pécha, administratrice générale des finances publiques, responsable du pôle fiscal Paris Sud-Ouest. Permettez-moi de décrire la méthode employée pour l’examen des dossiers des ministres, afin de vous donner une idée du type de recherches que nous sommes amenés à faire.

Nous avons d’abord reçu une note de l’administration centrale accompagnée d’une liste des membres du Gouvernement résidant dans la circonscription dont le pôle fiscal Paris sud-ouest a la responsabilité.

Elle nous chargeait d’effectuer un contrôle sur les années non prescrites, tant en matière d’impôt sur le revenu que d’impôt sur la fortune. Dans de tels cas, nous examinons d’abord la situation déclarative, c’est-à-dire que nous vérifions que toutes les déclarations ont été effectuées sur la période non prescrite. De même, nous prenons en compte la taxe d’habitation et la taxe foncière dont sont redevables les contribuables concernés, y compris, le cas échéant, pour des résidences secondaires. Depuis la fusion entre le Trésor et les impôts, nous sommes également en mesure de vérifier rapidement la situation en matière de recouvrement : nous nous assurons ainsi que les échéances fiscales ont été respectées, et qu’il ne reste pas à recouvrer tel ou tel impôt.

Il s’agit là d’un contrôle sur pièces, approfondi, permettant d’apprécier la situation globale du contribuable. « Sur pièces » signifie que nous travaillons à partir des éléments connus de l’administration, tels que les bulletins de recoupement, les actes de vente ou d’acquisition, les courriers dans lesquels le contribuable a pu justifier son interprétation d’une disposition fiscale, etc. En matière d’impôt sur la fortune, nous comparons l’évaluation de la valeur des biens immobiliers avec les chiffres dont nous disposons. Plus généralement, nous vérifions la cohérence entre les revenus et le patrimoine. Pendant cette phase, nous n’avons aucun contact, oral ou écrit, avec les intéressés.

À l’issue de ces travaux, nous établissons, dans les délais serrés qui nous sont assignés, une fiche de synthèse que nous transmettons à l’administration centrale, incluant nos axes de questionnement. Nous examinons avec elle les réponses données à ces questions.

Puis l’administration centrale peut nous demander de procéder à la régularisation du dossier en liaison avec le ministre concerné. Au niveau local, cette régularisation est utile parce qu’elle nous permet de donner des précisions sur les dates de mise en recouvrement, des explications sur les pénalités que nous sommes éventuellement conduits à appliquer, etc. À l’issue de ce traitement, nous informons l’administration centrale que le dossier a été régularisé conformément aux directives que nous avons reçues. Il y a donc un échange permanent entre les deux échelons.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez été directeur général des finances publiques du 9 avril 2008 au 5 août 2012. Avez-vous eu connaissance, dans le cadre de vos fonctions, d’un rapport rédigé par Rémy Garnier ?

M. Philippe Parini. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’avez donc pas été amené à transmettre ce rapport à votre successeur.

M. Philippe Parini. Pour être plus précis, durant l’été 2008, peu de temps après mon arrivée, j’ai été informé par mon directeur adjoint, en charge des ressources humaines, qu’une procédure disciplinaire avait été engagée par mon prédécesseur à l’égard d’un agent et qu’elle devait être confirmée. À cette occasion, j’ai pris connaissance d’une note destinée à cet adjoint, laquelle n’évoquait que le niveau de la sanction à prendre – blâme, avertissement, etc. La demande de sanction avait d’abord été formulée par le responsable régional, puis transmise à la Direction générale des impôts, qui l’avait validée. Mon prédécesseur l’avait confirmée. Il convient de rappeler que nous procédions à l’époque à la fusion du Trésor public et des impôts. Une des préoccupations était donc d’harmoniser les règles propres aux deux administrations, qui étaient différentes dans presque tous les domaines. Cela explique que des questions de principe se soient posées à cette occasion, alors qu’en temps normal, un dossier de ce type ne remonte pas jusqu’au directeur général.

La note faisait mention d’un mémoire en défense présenté par l’agent mis en cause. Elle indiquait également les raisons de la procédure disciplinaire : il avait consulté de manière anormale les dossiers d’un certain nombre de responsables ainsi que le dossier fiscal d’un élu local. C’est tout.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il n’y avait pas de nom ?

M. Philippe Parini. Aucun nom ne figurait dans la note qui m’a été transmise. On ne parlait que de la consultation des dossiers de supérieurs hiérarchiques et de celui d’un élu local, député de la circonscription. Surtout, aucune allusion n’était faite au contenu du mémoire présenté par l’agent mis en cause. Je ne savais donc pas que ce dernier y dénonçait une fraude fiscale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’aviez donc pas connaissance de l’accusation portée au sujet de M. Cahuzac ? Vous ne pouviez donc transmettre à votre successeur, Bruno Bezard, aucune information spécifique ?

M. Philippe Parini. En effet. Je n’avais pas connaissance de cette accusation. Je n’ai donc ni agi, ni transmis d’information à M. Bezard. La même réponse vaut d’ailleurs pour les ministres qui se sont succédé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lorsque vous avez quitté vos fonctions de directeur général des finances publiques, le 5 août 2012, aviez-vous reçu toutes les fiches ministres ?

M. Philippe Parini. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Votre successeur en a donc eu connaissance.

M. Philippe Parini. En effet. Je parle de mémoire, n’ayant plus accès aux différentes pièces constituées à l’époque.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais quand vous étiez encore directeur général, vous avez eu connaissance du résultat de l’examen de la situation fiscale des ministres.

M. Philippe Parini. Bien sûr. D’ailleurs, par exemple, Mme Pécha a reçu, pour Paris, du service central du contrôle fiscal l’instruction de les faire préparer puis remonter. J’ai reçu la totalité des fiches ministres, et je les ai transmises au ministre du budget, afin qu’il en informe les membres du Gouvernement et que le processus soit engagé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je vais faire appel à votre mémoire. Avez-vous été amené, en tant que directeur général, à faire jouer la procédure 754, c’est-à-dire à demander à un contribuable de préciser les avoirs qu’il détient à l’étranger ? Quelle est, selon vous, la valeur juridique de ce document : est-il contraignant ?

M. Philippe Parini. Je n’ai pas le souvenir d’avoir signé une telle demande.

Mme Janine Pécha. Je le confirme.

M. Philippe Parini. Cela étant, il s’agit d’une procédure classique. Une telle demande, lorsqu’elle est formulée, prévoit un délai pour la réponse, mais celui-ci n’a pas un caractère contraignant.

Mme Janine Pécha. La procédure 754 ne concerne pas uniquement la recherche de comptes bancaires à l’étranger. C’est une demande de renseignements, qu’il convient de distinguer de la demande de justification. La seconde est contraignante ; la première ne l’est pas.

Une demande de renseignements ne peut être adressée que par le gestionnaire du dossier. Celle qui a été envoyée par le pôle fiscal Paris sud-ouest a été signée par M. Pavy, mais rédigée, dans ce cas particulier, par l’administration centrale. Nous étions en effet dans un contexte où la presse s’était fait l’écho de l’existence de comptes à l’étranger. L’administration centrale a donc estimé qu’il fallait en demander confirmation, connaître leur numéro ainsi que le montant des sommes qui y étaient éventuellement placées.

M. Alain Claeys, rapporteur. Une telle démarche était-elle un préalable nécessaire pour demander l’assistance administrative de la Suisse ?

Mme Janine Pécha. L’assistance administrative internationale est demandée par l’administration centrale et non par les services locaux. Nous n’en connaissons donc pas les modalités. Si nous avons un doute, nous devons nous adresser au bureau CF 3 de Bercy, celui des affaires internationales. Mais une telle procédure n’est pas courante, d’autant qu’en application des conventions fiscales, une demande d’assistance internationale ne peut être formulée que si toutes les recherches nécessaires ont été faites au niveau local.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Parini, en tant que directeur général des finances publiques, vous avez été associé à la rédaction de l’avenant à la convention fiscale franco-suisse. Quelle est votre interprétation de cet avenant ?

M. Philippe Parini. J’y ai été associé, en effet, mais pour l’essentiel, ce document a été élaboré par la direction de la législation fiscale et mes collaborateurs du service du contrôle fiscal.

Pouvez-vous me préciser le sens de votre question ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Pensez-vous que cet avenant apportait un surcroît de contrainte par rapport à l’état antérieur du droit, ou était-il au contraire moins contraignant ? Nous avons eu, ce matin, un débat sur la nature des informations que la France était en droit de demander à l’administration suisse.

M. le président Charles de Courson. M. le rapporteur évoque plus précisément l’échange de lettres entre les deux administrations fiscales qui faisait suite à la conclusion de l’accord franco-helvétique et en précisait l’interprétation.

M. Alain Claeys. Cet échange date de février 2010.

M. Philippe Parini. Il faudrait que je relise ces documents.

La problématique, à l’époque, était d’améliorer la lutte contre la fraude fiscale, notamment dans le contexte de l’exploitation des fichiers HSBC. L’objectif des ministres et de l’administration était d’obtenir de la part des autorités suisses des renseignements utilisables sans être astreints à d’excessives contraintes. De fait, grâce au nouveau dispositif, il a été possible d’interroger plus facilement l’administration helvétique. Cela étant, je me souviens avoir fait, avant de quitter mes fonctions, un premier bilan de l’application de l’accord avec le directeur de la fiscalité : nous n’avions pas de réponses à la totalité des questions posées, et il fallait donc continuer à travailler sur le sujet afin d’améliorer la lutte contre la fraude.

M. Alain Claeys, rapporteur. Merci beaucoup. Je serai amené, en tant que rapporteur, à vous poser des questions plus précises sur la situation fiscale de M. Cahuzac.

M. le président Charles de Courson.  Vous avez dit que l’ensemble des « fiches ministres » étaient transmises au ministre délégué au budget – M. Cahuzac, en l’occurrence. Celui-ci ne pouvait pourtant pas être à la fois juge et partie. Même si la procédure n’a pas de base législative, l’usage n’aurait-il pas dû prévoir que le ministre de l’économie, et non le ministre délégué, examine la fiche de ce dernier ?

Plus généralement, quelle suite est donnée à l’élaboration de ces fiches ?

M. Philippe Parini. Comme vous l’avez rappelé, il n’existe pas de réglementation sur le sujet. Pour ma part, c’était la première fois que j’étais confronté à l’exercice, car je n’étais pas directeur des finances publiques en 2007. Mon premier réflexe a donc été d’informer les ministres de l’existence de cette procédure et de demander des instructions. On ne peut en effet prendre seul, dans son coin, l’initiative d’examiner la situation fiscale des membres d’un gouvernement ! J’ai donc rédigé une première note, après quoi j’ai attiré l’attention de mon ministre de tutelle, le ministre du budget, en lui demandant de prendre position sur cette question. M. Cahuzac m’a ensuite appelé pour me demander d’engager la procédure et de lui adresser le jeu de fiches dès qu’il serait prêt.

M. le président Charles de Courson. Cela se passait quand ?

M. Philippe Parini. Au mois de juin. Aussitôt que le ministre m’a donné cette instruction, j’ai demandé à mes collaborateurs du contrôle fiscal de les répercuter dans les services locaux. Lorsque j’ai obtenu la totalité des fiches, je les ai apportées au ministre délégué.

M. le président Charles de Courson. Quand ?

M. Philippe Parini. Vers le 23 ou le 24 juillet.

M. le président Charles de Courson. Il y avait donc 38 fiches.

M. Philippe Parini. J’ai remis au ministre le jeu de fiches sans leur apporter la moindre modification. L’idée sous-jacente, en confiant l’instruction aux services de base, était d’apporter une garantie de professionnalisme : il s’agit, si j’ose dire, de « leurs » contribuables, et ils avaient l’habitude de ces dossiers.

J’ai donc remis les documents au ministre sans faire de commentaire particulier, mais en lui rappelant qu’il devait informer les autres membres du Gouvernement de l’existence de cette procédure, afin que ces derniers se rapprochent de l’administration fiscale. Très peu de temps après, je n’étais plus en fonction, et on entrait dans une autre phase, celle de la mise en œuvre, par les services, du traitement du dossier de chacun des ministres.

M. Alain Claeys, rapporteur. Cette phase a été lancée à la suite d’une instruction de la direction générale.

M. Philippe Parini. En effet.

M. le président Charles de Courson. A-t-elle été donnée par le ministre ou par le directeur général des finances publiques ?

M. Philippe Parini. Le ministre a donné pour instruction de mettre en œuvre la procédure.

Après l’installation du nouveau gouvernement, j’ai adressé au ministre une première note indiquant la procédure prévue et demandant l’autorisation de l’engager. En réponse, M. Cahuzac m’a donné oralement l’instruction de demander aux services locaux de préparer les fiches, et de les lui apporter quand elles seraient prêtes, à la fin du mois de juillet, lui-même se chargeant d’en assurer la diffusion auprès des membres du gouvernement.

La note à laquelle Mme Pécha a fait allusion date de la mi-juin, lorsque, suivant l’instruction du ministre, j’ai demandé aux services locaux de préparer les fiches.

M. le président Charles de Courson. Il a donc fallu environ six semaines pour que les 38 fiches soient adressées par les services locaux à leur directeur central.

M. Philippe Parini. En vérité, on leur laisse moins de temps que cela : le ministre avait imposé un délai court, dans la mesure où les vacances se profilaient.

M. le président Charles de Courson. À quoi servent ces fiches ? Vous nous avez dit que le ministre du budget, après les avoir reçues, les transmettait à chacun des ministres. Et ensuite ?

M. Philippe Parini. Rappelons d’abord que l’administration fiscale détient aussi l’information : le dossier est détenu par le service central du contrôle fiscal et par chacune des directions départementales concernées. Des interrogations sont formulées, portant parfois sur des choses très modestes, d’autres fois sur des éléments plus importants. Il appartenait donc au ministre non seulement de transmettre à chacun de ses collègues la fiche correspondante, mais aussi de leur demander de prendre contact avec leur administration de proximité afin d’apporter des réponses aux questions posées.

Les services de base traitent les dossiers, et de façon régulière, l’administration centrale s’enquiert de l’avancée de la procédure. Si les choses durent exagérément, le service local doit demander de procéder aux régularisations.

M. le président Charles de Courson. Mais cela ne remontait pas à la direction générale ?

M. Philippe Parini. Si. S’agissant de la situation fiscale des ministres, l’administration centrale était nécessairement informée de façon régulière de l’état d’avancement des dossiers.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pouvez-vous confirmer, Monsieur Bonnal, qu’une réunion concernant le dossier Cahuzac a eu lieu le 19 décembre 2012, en présence de son expert-comptable ?

M. André Bonnal, administrateur des finances publiques, adjoint de la responsable du pôle Paris Sud-Ouest. Je le confirme.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’était une conséquence de la transmission par le directeur général au ministre de l’ensemble des fiches ministres.

M. André Bonnal. Des échanges ont eu lieu entre juillet et novembre. Et en décembre, une réunion a été organisée pour régler les derniers problèmes en suspens.

M. Alain Claeys, rapporteur. Je vous demanderai de me fournir les détails de la procédure.

M. le président Charles de Courson. Nous en venons aux questions des députés.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le directeur, depuis les révélations de Mediapart, le 4 décembre 2012, avez-vous eu un contact, oral ou écrit, avec un membre du cabinet de M. Moscovici ou de M. Cahuzac ?

M. Philippe Parini. Pas sur le sujet qui nous occupe.

M. Gérald Darmanin. Quelles sont vos relations avec l’administration des douanes ? Lors de la première journée d’auditions, on nous a dit qu’un de ses responsables, M. Picart, était informé de ce que l’on reprochait à M. Cahuzac.

Or, j’ai cru comprendre que la douane et les services fiscaux étaient amenés à échanger certains renseignements. Avez-vous été destinataire d’un signalement adressé par les douanes en rapport avec l’affaire Cahuzac ? Pouvez-vous nous éclairer, à partir de votre expérience, sur les raisons qui conduisent l’administration fiscale à donner ou non suite à un signalement de la douane ?

M. Philippe Parini. Je n’ai jamais été informé de cela, ni en tant que directeur général, ni en tant que directeur régional.

Mme Janine Pécha. Nous n’avons en effet obtenu aucun élément de la part de la douane.

M. le président Charles de Courson. Par ailleurs, ni vous, ni M. Bonnal ou M. Pavy n’avez eu connaissance de la note du 11 juin 2008 rédigée dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée contre Rémy Garnier, et dans laquelle ce dernier portait un certain nombre d’accusations à l’encontre de Jérôme Cahuzac ?

Mme Janine Pécha. Non. Nous n’avions d’ailleurs aucune raison de connaître un document – en l’occurrence, un mémoire présenté devant le tribunal administratif – élaboré dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée dans une autre direction territoriale. Cette information ne pouvait que remonter vers les services de ressources humaines de l’administration centrale.

M. le président Charles de Courson. L’actuel directeur général des finances publiques nous a dit ce matin qu’une partie du dossier fiscal de Jérôme Cahuzac avait été envoyée à Bordeaux, où elle est restée entre 2001 et 2007. Le saviez-vous ?

Mme Janine Pécha. Oui. M. Cahuzac étant domicilié dans le 7è arrondissement de Paris, nous détenons son dossier fiscal personnel. Dans ce dossier, que l’on appelle le n° 2004, est insérée une fiche indiquant tous les mouvements qu’il a pu connaître. Lorsque nous avons communiqué le dossier aux autorités judiciaires, nous avons en effet constaté qu’il avait été, à une certaine époque, transféré à la brigade interrégionale d’intervention – BII – de Bordeaux. À la réflexion, cela n’avait rien de surprenant : la BII est un service déconcentré de la Direction nationale des enquêtes fiscales – DNEF –, chargé d’effectuer des recherches et d’évaluer l’opportunité, sur certains dossiers, de programmer une opération de contrôle fiscal. Il n’a donc rien d’inhabituel à ce qu’elle nous réclame la communication d’un dossier. Dans une telle hypothèse, nous remplaçons ce dernier par une « fiche verte » afin de garder une trace du transfert. Les déclarations parvenant après la date de transmission du dossier sont agrafées à cette fiche, si bien que le dossier est peu à peu reconstitué.

Le fait que l’antenne de Bordeaux ait conservé le dossier pendant une longue durée n’était pas très gênant pour nous, gestionnaire principal. Cela ne l’aurait été que si nous avions eu besoin de rechercher des pièces plus anciennes, pour des besoins de contrôle. Dans ce cas, la fiche verte nous aurait permis de savoir que le dossier était détenu par la BII. Il se trouve que nous n’en avons pas eu besoin, dans la mesure où nous assurions la gestion année par année.

M. le président Charles de Courson. Saviez-vous pour quelle raison la BII avait demandé ce dossier ?

Mme Janine Pécha. Non.

M. le président Charles de Courson. Ni pourquoi elle l’a conservé pendant six ans ?

Mme Janine Pécha. Cela ne signifie pas qu’elle l’a examiné pendant tout ce temps. On peut supposer que ses fonctionnaires ont oublié qu’ils détenaient ce dossier.

M. le président Charles de Courson. Les bureaux interrégionaux n’ont donc pas besoin de justifier leurs demandes de communication d’un dossier ?

Mme Janine Pécha. Non.

M. le président Charles de Courson. Et vous n’avez pas le droit d’en réclamer les motifs ?

Mme Janine Pécha. Non, d’autant qu’à ce moment, le dossier de M. Cahuzac ne faisait pas l’objet d’une attention particulière : il ne se trouvait pas en direction centrale, mais dans un centre des impôts – aujourd’hui centre des finances publiques. Or, un tel service n’a pas vocation à demander à un service de contrôle sur quel fondement ce dernier lui réclame un dossier. En revanche, un tel envoi est effectué en recommandé, afin d’être certain de l’identité du destinataire et d’éviter tout risque de perte.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez jamais eu la curiosité d’appeler vos collègues de la BII pour leur demander ce qu’ils recherchaient ? Cela aurait pu vous aider dans votre propre travail.

Mme Janine Pécha. Nous ne nous sommes posé la question qu’au moment de remettre le dossier aux autorités judiciaires. Le dossier a été transmis en 2001 : cela signifie qu’il contenait les déclarations de 2000, 1999 et 1998, concernant une période prescrite depuis longtemps. Je n’ai donc pas eu cette curiosité.

M. le président Charles de Courson. Est-il habituel que les BII vous demandent des dossiers ?

Mme Janine Pécha. Ils nous en demandent régulièrement.

M. Hervé Morin. Cette fois, pourtant, il ne s’agissait pas de n’importe qui : c’était un député.

Mme Janine Pécha. Je ne me permettrais pas d’affirmer qu’un député est n’importe qui. Pour autant, nous considérons que tous les citoyens doivent être traités de la même façon.

M. Hervé Morin. Bien entendu, mais le dossier d’un député peut susciter un peu plus d’intérêt, et on pourrait imaginer que la direction générale soit informée de sa transmission vers un autre service.

Mme Janine Pécha. S’agissant d’un traitement particulier à appliquer aux députés ou aux sénateurs, nous n’avons des directives que depuis 2010 – pas avant.

M. le président Charles de Courson. Quelles sont-elles ?

Mme Janine Pécha. Nous devons nous assurer que les déclarations sont bien déposées et les impôts recouvrés.

M. Hervé Morin. Monsieur Parini, nous avons lu dans la presse que le seul moyen pour l’administration fiscale de savoir avec certitude si M. Cahuzac avait, ou non, un compte en Suisse, était, compte tenu des règles de cet État en matière de secret bancaire, que l’intéressé pose lui-même la question. Partagez-vous cette analyse ?

Par ailleurs, même si vous n’avez pas eu, avant 2012, à superviser l’élaboration des fiches ministres pour tous les membres d’un gouvernement, de nombreux remaniements ont eu lieu sous la précédente législature. Les fiches correspondantes étaient-elles déjà adressées au seul ministre du budget, ou bien d’autres autorités politiques en avaient-elles connaissance ?

M. Philippe Parini. Il n’est pas aisé de répondre à la première question. Un tel sujet doit faire l’objet d’une expertise par des spécialistes, comme mes anciens collaborateurs du service central du contrôle fiscal. D’une manière générale, le principal obstacle auquel se heurte la lutte contre la fraude est la difficulté à obtenir des informations. C’est pourquoi il est nécessaire d’avancer en matière de transmission automatique et de coopération internationale.

S’agissant des fiches ministres, M. Cahuzac a fait le choix, lors de la mise en place du nouveau gouvernement, d’un système global. Au cours des années précédentes, en cas de remaniement, le service central du contrôle fiscal interrogeait directement le nouveau ministre et évaluait sa situation fiscale. Je n’étais informé que lorsqu’une difficulté particulière se présentait ou si une procédure de régularisation prenait trop de temps. Dans ce cas, il m’est peut-être arrivé d’en tenir informé le ministre du budget.

M. Hervé Morin. Vous ne transmettiez donc pas ces fiches à Matignon ou à l’Élysée.

M. Bonnal a confirmé la tenue, le 19 décembre 2012, d’une réunion concernant la situation fiscale de M. Cahuzac, laquelle ne devait donc pas être parfaitement claire, même si le secret professionnel nous empêche d’en savoir plus. Le ministre du budget a donc mis des mois à fournir à l’administration fiscale des informations qui, de toute évidence, n’étaient pas complètes. Imaginons que Mediapart n’ait jamais révélé l’affaire : à quelle procédure le directeur général des finances publiques pourrait-il recourir pour faire en sorte que son propre patron finisse par donner les informations qui lui sont réclamées ?

M. Philippe Parini. Je répondrai plutôt à titre personnel. Nous parlons d’une procédure mise en œuvre depuis plusieurs années par l’administration fiscale, sans pouvoir, sur le fond comme sur la procédure, se fonder sur un texte de référence. À mon avis, il appartient au Gouvernement de préciser les choses.

Quant au ministre destinataire des fiches, il n’est pas réellement juge et partie, dans la mesure où l’administration fiscale, qui l’a rédigée, connaît le contenu de sa propre fiche. Si elle n’obtenait pas les informations qu’elle demande, je ne doute pas qu’elle en alerterait sa direction générale, auquel cas le directeur général se tournerait vers une autre autorité.

M. le président Charles de Courson. Laquelle ?

M. Philippe Parini. Le Premier ministre, en toute logique, puisqu’il est chef du Gouvernement.

M. le président Charles de Courson. Mais un directeur général ne peut s’adresser directement au Premier ministre : il doit respecter une hiérarchie.

M. Philippe Parini. Je ne fais que répondre à la question posée.

M. le président Charles de Courson. Nous avons évoqué plusieurs fois cette question du statut fiscal du ministre en charge de la fiscalité.

M. Alain Claeys, rapporteur. Même si nous sommes un peu hors sujet, la question est importante, en effet.

Au-delà du cas particulier de M. Cahuzac, où en est l’examen de la situation fiscale des membres du Gouvernement ? Toutes les interrogations ont-elles fait l’objet de réponses ? Y a-t-il encore des contentieux ?

Mme Janine Pécha. Des contentieux, non.

M. le président Charles de Courson. Bien entendu, nous ne vous demandons pas des renseignements d’ordre individuel. Mais on nous a dit qu’une dizaine de ministres dépendaient du pôle Paris sud-ouest. Où en est l’examen de leur situation ?

M. André Bonnal. À ma connaissance, une question de droit est encore en cours d’examen, soit au service juridique, soit à la Direction de la législation fiscale. Il s’agit d’une question compliquée que nous ne parvenions pas à trancher définitivement.

M. Christian Assaf. Pardonnez-moi si je suis redondant, mais nous tentons de dissiper tous les doutes.

Nous avons appris la semaine dernière qu’à la suite de la réception fortuite d’une conversation sur un répondeur téléphonique, des informations avaient été transmises à la direction régionale des impôts de Bordeaux, laquelle aurait réclamé le dossier de Jérôme Cahuzac par l’intermédiaire du bureau dont vous avez parlé. Ce dossier serait resté au sein de la direction régionale entre 2001 et 2007. À cette occasion, ainsi qu’au moment de la circulation du rapport de M. Garnier, dont vous avez affirmé ne pas avoir eu connaissance, des informations auraient pu remonter vers l’administration centrale.

Lorsque vous étiez directeur général des finances publiques, M. Cahuzac n’était pas un inconnu : il a été président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, puis ministre du budget. Aviez-vous le moindre soupçon, le moindre doute sur la détention par ce dernier d’un compte en Suisse ou ailleurs à l’étranger ? Si oui, en avez-vous informé votre successeur, M. Bezard, lorsque vous avez quitté vos fonctions, le 5 août 2012 ?

M. le président Charles de Courson. La question s’adresse aussi au directeur régional que vous êtes depuis cette date.

M. Philippe Parini. Je n’avais absolument aucune information.

M. Christian Assaf. Vous auriez pu vous apercevoir que le dossier de M. Cahuzac était incomplet – puisqu’une partie se trouvait à Bordeaux jusqu’en 2007 – et vous poser des questions à ce sujet.

Ma seconde question est un peu plus précise. Nous avons un débat sur la qualité de la demande adressée par la France à la Suisse sur le compte qu’aurait détenu Jérôme Cahuzac auprès de la banque UBS. Compte tenu de l’avenant à la convention fiscale franco-suisse, à l’élaboration duquel vous avez contribué, et de l’échange de lettres qui en a précisé l’interprétation, estimez-vous que la question posée par l’administration française aux services suisses était suffisamment précise ?

M. Philippe Parini. Lorsque j’ai rencontré mon successeur à la direction générale, je lui ai bien entendu présenté de la façon la plus complète possible l’activité de cette dernière, et je lui ai indiqué quels dossiers devaient être suivis en priorité. Il devait en particulier se faire communiquer rapidement le dossier relatif à la situation fiscale des ministres, et veiller à ce que la procédure arrive à son terme. J’ai également signalé certaines situations qui, à mon avis, méritaient d’être regardées de près. Mais nous n’avons pas parlé de compte en Suisse, dans la mesure où je ne connaissais rien de cette affaire. Cela ne figurait d’ailleurs pas dans la fiche du ministre concerné.

S’agissant de la demande adressée par la France aux autorités suisses, il est délicat de vous répondre, dans la mesure où je n’étais pas informé du contenu de la question posée, et encore moins de la réponse. Ce dont je suis certain, c’est que les fonctionnaires de la DGFIP, et en particulier ceux de la direction centrale du contrôle fiscal, ont fait preuve du plus grand professionnalisme. Mais il s’agit d’une question très pointue, sur laquelle je ne dispose pas d’élément.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. M. Gonelle nous a dit avoir eu recours à une procédure informelle, par l’intermédiaire d’un ami fonctionnaire des impôts, pour saisir les services de la BII de Bordeaux. Or, si les directeurs de cabinet que nous avons auditionnés nous ont dit que leurs archives étaient amenées à disparaître, il n’en est pas de même des archives administratives, notamment au sein de l’administration fiscale. Lorsque vous avez transmis le dossier de Jérôme Cahuzac à la police, le 13 janvier 2013, contenait-il une note indiquant comment la Direction nationale des enquêtes fiscales, et plus particulièrement le BII, avaient été saisis ? Il règne en effet un certain flou sur cette question.

Mme Janine Pécha. Nous n’avions pas de telle note, mais seulement une trace du mouvement du dossier.

Lorsque la BII de Bordeaux nous en a demandé communication en 2001, ce qui n’avait rien d’exceptionnel, nous lui avons envoyé les déclarations dont nous disposions, c’est-à-dire correspondant à la période non prescrite, de 1997 à 2000. En lieu et place du dossier, nous avons inséré une fiche indiquant que ce dernier avait été transmis à la BII. Les documents que nous avons donnés à la police judiciaire incluaient donc cette fiche, qui précisait à quelle date le dossier fiscal personnel de M. Cahuzac avait été envoyé à Bordeaux et à quelle date il en était revenu.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ce matin, on a évoqué une « fiche 3909 ». De quoi s’agit-il ?

Par ailleurs, des recherches sur ce sujet ont-elles été effectuées dans les archives de Fontainebleau ?

Mme Janine Pécha. Je n’ai pas vu une telle fiche dans le dossier. Une « fiche 3909 » est établie par les services spécialisés dans la recherche de fraudes fiscales – brigades de contrôle et de recherche, pôles de contrôles et d’expertise, BII, DNEF, etc. – et retrace tous les faits susceptibles de justifier la programmation d’un contrôle fiscal. Elle est rédigée par un inspecteur des impôts – cadre A – ou un contrôleur – cadre B –, puis soumise au supérieur hiérarchique, un inspecteur principal, lequel vérifie que le contrôle fiscal se justifie par des motifs valables. Il transfère ensuite la fiche à un responsable de division du contrôle fiscal. Selon la nature du contrôle envisagé, il s’agira d’un fonctionnaire relevant d’une direction départementale ou régionale, voire d’un responsable national. Ce responsable de division, qui programme le contrôle fiscal, n’est toutefois pas la personne qui décide du lancement de l’opération de contrôle fiscal externe.

Pour résumer, la fiche 3909 est rédigée par un inspecteur, visée par un inspecteur principal, reprise au niveau d’un directeur divisionnaire et mise au programme d’une brigade de vérification. Il n’y a donc pas de raison qu’elle soit insérée dans un dossier fiscal individuel.

M. Dominique Baert. Monsieur Parini, quelles étaient vos fonctions en 2006 ?

M. le président Charles de Courson.  Votre biographie indique que vous étiez, entre le 31 décembre 2004 et avril 2008, receveur général des finances et trésorier-payeur général de la région Île-de-France.

M. Philippe Parini. Je vous fais confiance.

M. Dominique Baert. Si je pose la question, c’est parce qu’en 2006, le juge Bruguière a reçu un exemplaire de l’enregistrement qui a été à l’origine des révélations de Mediapart. Nous ignorons encore ce qu’il en a fait et auprès de qui il a pu se tourner. Le juge aurait-il pu chercher à entrer en contact avec vous à un moment ou un autre de votre carrière ?

M. Philippe Parini. Non. Nous parlons d’une époque où le Trésor public était encore séparé de l’administration des impôts. Le juge Bruguière n’aurait eu aucune raison de se tourner vers un trésorier-payeur général.

M. Dominique Baert. En 2008, vous étiez directeur général des finances publiques, et Éric Woerth était ministre du budget. A-t-il un jour évoqué avec vous le dossier fiscal de M. Cahuzac ?

M. Philippe Parini. Non, jamais.

M. Jean-Marc Germain. Pouvez-vous nous confirmer que le dossier personnel de M. Cahuzac ne contenait aucune information sur le signalement effectué en 2001 auprès de la BII de Bordeaux, ni sur l’enregistrement qui a circulé en 2006, ni sur le rapport de M. Garnier ?

Par ailleurs, qui a pu consulter ce dossier dans son intégralité ?

M. Philippe Parini. Vous évoquez des périodes très différentes – 2001, 2006, et même 2008 s’agissant d’un dossier disciplinaire. Or, il faut distinguer les services qui gèrent les dossiers de ceux qui réalisent des contrôles fiscaux. Quant à la procédure disciplinaire, elle a été proposée par le responsable d’une direction régionale de contrôle fiscal ; c’est donc quelqu’un qui connaît les règles déontologiques que les fonctionnaires doivent respecter et les critères permettant de juger de l’opportunité d’engager une opération de contrôle.

Derrière l’unité fiscale, vous évoquez donc des périodes et des services différents. Cela étant, si la réalisation d’un contrôle fiscal donne lieu à redressement…

Mme Janine Pécha. Dans ce cas, un rapport de vérification peut figurer dans la partie permanente du dossier fiscal.

Mais pour répondre à votre question, le dossier ne comportait aucune pièce relative aux événements que vous évoquez.

M. Jean-Marc Germain. Le signalement de 2001 a pourtant donné lieu à une procédure de vérification assez longue – même s’il est peu probable, en effet, que la BII ait examiné le dossier pendant sept ans. Vous paraît-il normal qu’il n’en subsiste aucune trace dans le dossier fiscal personnel, censé regrouper toutes les informations fiscales sur une longue période ? À deux reprises, des informations ont été apportées qui auraient pu permettre le déclenchement d’un contrôle et, le cas échéant, de repérer l’existence d’un compte à l’étranger. Or, selon vous, ces informations ne figurent pas dans le dossier fiscal de M. Cahuzac.

Mme Janine Pécha. Les réponses doivent être recherchées auprès de la direction régionale du contrôle fiscal – DIRCOFI – concernée, en supposant que les archives correspondantes aient été conservées. Je peux toutefois formuler une hypothèse : des recherches ont été menées au niveau de la DIRCOFI, mais on a estimé que les éléments d’information apportés – d’ailleurs d’une manière peu claire – n’étaient pas assez sûrs pour justifier une procédure de contrôle. Cela expliquerait qu’aucune trace ne figure dans le dossier. On ne lance pas un contrôle à partir d’une allégation.

M. Jean-Pierre Gorges. Une remarque de forme, monsieur le président. Ce matin, on ne m’a pas permis de poser une question concernant des faits survenus avant le 4 décembre 2012, au motif que la période concernée par la commission d’enquête s’étend de cette date jusqu’au 2 avril 2013. Or, cet après-midi, toutes les discussions portent sur des événements ayant eu lieu avant le 4 décembre. Le fait est que, pour comprendre ce qui s’est passé entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, il faut s’intéresser à la période antérieure. D’ailleurs, plusieurs collègues ont posé ce matin des questions similaires à la mienne…

M. le président Charles de Courson. Ce matin, vous avez posé plusieurs questions, dont l’une concernait le fichier HSBC.

M. Jean-Pierre Gorges. J’ai demandé si les informations détenues par M. Woerth avaient été transmises aux membres du cabinet de M. Moscovici, car une telle continuité de l’information aurait expliqué bien des choses. Rappelons que c’est en s’intéressant à Éric Woerth que Mediapart a été amené à enquêter sur Jérôme Cahuzac.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pour bien comprendre les événements qui ont eu lieu entre le 4 décembre et le 2 avril, il n’est pas inutile, en effet, de s’interroger sur les informations dont l’administration pouvait disposer auparavant.

M. Jean-Pierre Gorges. Précisément. D’ailleurs, on finira peut-être par s’apercevoir que les services de l’État ont bien fonctionné entre le 4 décembre et aujourd’hui, mais qu’ils ont connu de graves dysfonctionnements en 2001. Je sais que les fonctionnaires que nous auditionnons ne sont pas concernés mais ils sont bien placés pour nous expliquer comment nous pourrions trouver des informations sur ces faits qui se sont déroulés en 2001 et quelles sont les personnes à interroger.

De même, nous voudrions savoir si, en 2006, des contacts ont eu lieu entre les services fiscaux et des gens qui, comme le juge Bruguière, détenaient des informations. La situation est en effet étrange : malgré les deux alertes de 2001 et 2006, il a fallu attendre onze ans avant que l’affaire entre en ébullition. D’après vous, y avait-il des gens qui, du fait de leurs fonctions, connaissaient la situation de M. Cahuzac et auraient pu livrer ces informations le moment venu ?

M. Philippe Parini. La majeure partie des questions portait en effet sur la période antérieure au 4 décembre 2012 mais je crois avoir répondu de bonne grâce et décrit, en tant que directeur régional et ancien directeur général, la façon dont les choses se passaient.

Il serait dommage de déduire des faits évoqués l’impression que l’administration travaillerait dans un certain désordre. La Direction générale des finances publiques, héritière de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique, est une administration extrêmement professionnelle, efficace et organisée, qui suit des procédures rigoureuses. Mme Pécha l’a dit, la décision de programmer un contrôle n’est pas prise à la légère : elle doit être étayée, et implique plusieurs personnes. C’est d’ailleurs une forme de protection pour le contribuable. L’administration fiscale est neutre, objective et impartiale ; elle se doit de traiter tout le monde de la même façon.

Mais – et je réponds ainsi à votre question – c’est aussi une administration bien organisée, qui garde une trace de ses procédures. Lorsque vous viendrez consulter le dossier, monsieur le rapporteur, vous pourrez constater qu’il est très précisément documenté.

Bien entendu, plus on remonte dans le temps, plus la qualité des archives risque d’être altérée.

M. le président Charles de Courson. Alors qu’une partie du dossier a été envoyée à la DIRCOFI du Sud-Ouest, vraisemblablement à la suite des informations transmises à la BII, comment se fait-il qu’il ne soit pas remonté au service auquel est rattaché le domicile du contribuable, accompagné d’une fiche de liaison précisant que des vérifications ont eu lieu, mais n’ont rien donné, qu’il subsiste des doutes, ou que sais-je encore ? Un tel cloisonnement pose question.

Nous devrions cependant en savoir plus en auditionnant les fonctionnaires de la DIRCOFI Sud-Ouest – même si le directeur général de l’époque est hélas décédé.

Notre collègue a évoqué l’année 2001, où l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot aurait transmis l’information à la BII, et l’année 2008, celle de l’affaire Garnier. Pourquoi n’y a-t-il pas, dans le dossier du contribuable, c’est-à-dire dans un document unique, une synthèse de toutes ces accusations, fondées ou non ?

Mme Janine Pécha. Nous gardons une trace des procédures engagées, mais pas de celles qui sont laissées de côté ou non suivies d’effets. L’absence d’action de la part de l’administration fiscale ne donne pas lieu à motivation. Du fait que nous travaillons toujours plus ou moins dans une perspective contentieuse, nous devons pouvoir expliquer dans quelles conditions nous avons engagé une action. En revanche, nous ne gardons aucune trace des initiatives non suivies d’effets – parce que le renseignement n’était pas suffisamment précis, par exemple.

M. André Bonnal. D’une certaine façon, il y a deux dossiers : celui de la direction qui gère le dossier du contribuable, à Paris, et éventuellement celui de la direction de contrôle. Nous avons la trace de la transmission du dossier de M. Cahuzac à une direction de contrôle. Si le travail de cette dernière aboutit à quelque chose, le dossier de gestion détenu à Paris conservera une trace de la procédure qui a été conduite et achevée. Mais si la direction de contrôle, après un premier examen, estime qu’il n’y a pas lieu d’agir, il en restera peut-être des traces dans ses propres archives, sous la forme de documents de travail – et encore, tout dépend de leurs règles d’archivage, car nous parlons tout de même de l’année 2001 –, mais rien ne figurera dans le dossier du contribuable.

M. le président Charles de Courson. Je trouve néanmoins curieuse l’absence de fiche de liaison entre les deux services, expliquant ce qui a été fait ou ce qui n’a pas été fait.

M. André Bonnal. Le dossier permanent du contribuable garde la trace d’un acte fait par la direction de contrôle, mais ce qui n’est pas fait n’est pas tracé.

M. Jean-Pierre Gorges. En tout état de cause, le rapporteur doit examiner le dossier avec les personnes compétentes.

M. le président Charles de Courson. C’est prévu. De même, nous entendrons les collaborateurs de l’ancien directeur régional, afin de savoir ce qui a été entrepris au sein du BII.

Je vous remercie, Madame, Messieurs, d’avoir répondu à nos questions avec précision.