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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mardi 28 mai 2013

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Charles de Courson, Président, puis de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale, accompagnée de M. Pierre-Olivier Pollet, administrateur des finances publiques au bureau E1

M. le président Charles de Courson. Nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation. Vous avez souhaité, madame la directrice, être accompagnée par M. Pierre-Olivier Pollet, chef de section à la sous-direction E « Prospective et relations internationales » de la Direction de la législation fiscale (DLF).

Comme vous le savez, cette commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, s’agissant de la gestion de « l’affaire Cahuzac ». L’un des moments-clés de cette gestion a été la demande d’assistance administrative adressée, le 24 janvier 2013, aux autorités fiscales suisses. On se souvient que les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, MM. Gilles Carrez et Philippe Marini, ont été reçus par M. Bézard et vous-même, afin de prendre connaissance de la réponse donnée à cette demande.

Beaucoup a été dit et écrit sur les conditions dans lesquelles cette procédure de coopération entre administrations fiscales a été mise en œuvre. Il nous appartiendra en particulier d’analyser les limites posées par l’avenant du 27 février 2009 à la convention fiscale franco-suisse, ainsi que l’interprétation qui en ressort, suite à l’échange de lettres du 11 février 2010.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous remercie donc de bien vouloir vous lever, de lever la main droite et dire : « Je le jure ».

Mme Véronique Bied-Charreton et M. Pierre-Olivier Pollet prêtent successivement serment.

Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale. La DLF est responsable de la conception et de l’élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs à la fiscalité, ainsi que de leur interprétation. En matière de fiscalité internationale, ma direction est en charge, au sein de la Direction générale des finances publiques, la DGFIP, de la négociation des conventions fiscales internationales – y compris pour ce qui concerne les échanges de renseignements –, ainsi que des négociations sur ces sujets au sein des instances internationales, notamment l’OCDE. À ce titre, la DLF est également chargée de l’interprétation des conventions fiscales internationales, mais non de leur application, laquelle est du ressort à d’autres services de la DGFIP. Ce n’est donc pas la DLF qui met en œuvre l’échange de renseignements.

La DLF, en ma personne ou en celle de l’un de mes collaborateurs, n’a été ni associée à la gestion du dossier de M. Cahuzac, ni sollicitée dans ce cadre par un autre service de la DGFIP ou par le cabinet du ministre pendant la période du 4 décembre 2012 au 2 avril 2013. Le fait que la DLF n’ait pas été sollicitée par le service du contrôle fiscal pour rédiger ou relire la demande de renseignements adressée aux autorités suisses est normal, dans la mesure où cette demande s’inscrivait dans le cadre du droit conventionnel positif avec la Suisse, connu et pratiqué à de nombreuses reprises par les services du contrôle fiscal dans les conditions évoquées par M. Bézard ce matin. J’ai reçu seulement, le 10 décembre 2012, un courriel de la DGFIP m’adressant une copie de l’instruction, dite « muraille de Chine ».

Depuis les aveux de Jérôme Cahuzac, la DLF a néanmoins participé à la rédaction des réponses aux questions de droit posées par les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat au ministre de l’économie et des finances, afin de préciser l’interprétation des différentes conventions, protocoles et échanges de lettre entre la France et la Suisse en matière d’échange de renseignements.

La France et la Suisse sont liées par une convention d’élimination de la double imposition en date du 9 septembre 1966. L’un des articles de ce texte précise les modalités d’assistance administrative entre les deux États en matière d’échange de renseignements. Avant l’entrée en vigueur de l’avenant du 27 août 2009, de tels échanges étaient totalement exclus pour les informations bancaires. Le 13 mars 2009, à l’annonce de la publication prochaine, dans le cadre du G20, d’une liste d’États n’ayant pas adopté les standards de l’OCDE en matière d’échange de renseignements, la Suisse a fait part de sa volonté d’amender son réseau conventionnel. La France a alors engagé avec elle des négociations, afin d’introduire dans la convention des dispositions conformes aux standards les plus récents de l’OCDE : ce fut l’objet de l’avenant du 27 août 2009, qui amendait la rédaction de l’article 28 de la convention, en précisant notamment que les États contractants ne peuvent refuser de communiquer des renseignements au seul motif que ceux-ci sont détenus par une banque.

L’avenant insère également un nouveau point XI au protocole additionnel à la convention – protocole ayant la même valeur juridique que la convention, et soumis comme elle à ratification – qui, s’inspirant des commentaires de l’OCDE alors en vigueur, précise que les demandes de renseignements sont effectuées après utilisation par l’État requérant de ses sources habituelles de renseignements ; que la « pêche aux renseignements » n’est pas autorisée ; que l’État requis peut appliquer ses procédures internes relatives aux droits des contribuables concernés sans que toutefois ces droits n’entravent ou ne retardent indûment l’échange de renseignements ; qu’enfin, la convention n’impose pas aux États de procéder à un échange de renseignements spontané ou automatique. Nous sommes donc dans un cadre d’échange de renseignements sur demande.

Le protocole additionnel stipule également que toute demande adressée à la Suisse doit mentionner le nom et l’adresse du contribuable visé comme des personnes susceptibles de détenir une information – par exemple, un établissement bancaire –, lorsque ces coordonnées sont connues. La France, dès lors que la convention et son protocole sont interprétés conformément aux standarts de l’OCDE dont ils reprennent les termes, serait fondée à adresser une telle demande quand bien même elle ne disposerait pas d’éléments d’identification de l’établissement bancaire ; mais telle n’était pas la lecture des autorités suisses, qui ont donc annoncé, lors d’une conférence de presse le 16 décembre 2009, la suspension de la procédure de ratification de l’avenant, exigeant que les deux administrations fiscales s’entendent préalablement sur sa portée exacte, s’agissant notamment des demandes d’assistance relatives à des données bancaires. L’échange de lettres du 11 février 2010 a eu pour objet de lever le blocage suisse en précisant que, « dans tous les cas où l’État requérant aura connaissance du nom de l’établissement bancaire tenant le compte du contribuable concerné, il communiquera cette information à l’État requis », et que, « dans le cas exceptionnel où l’autorité requérante présumerait qu’un contribuable détient un compte bancaire dans l’État requis sans pour autant disposer d’informations lui ayant permis d’identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l’identification de cette banque ».

Du point de vue des autorités suisses, l’échange de lettres confirme que la convention exclut toute demande non accompagnée d’éléments permettant d’identifier la banque. Un porte-parole de l’administration fiscale l’a encore rappelé, dans le journal Le Temps, au sujet de l’affaire qui nous occupe. D’autres éléments confortent cette analyse. En premier lieu, lors des débats parlementaires sur la ratification, le Gouvernement suisse avait indiqué que « faute de la mention spécifique des éléments nécessaires permettant l’identification du détenteur des informations, il est clair qu’en tout cas du côté suisse, on ne sera pas en mesure de donner une suite concrète à une demande de renseignements. En particulier, à défaut des indications nécessaires permettant la désignation de la banque en sa qualité de détentrice des informations dans la demande de renseignements, il ne sera pas possible de transmettre les données bancaires ».

Dans un communiqué de presse publié le 12 février 2010, les autorités suisses ont par ailleurs indiqué que les solutions trouvées par la France sur l’interprétation de l’avenant de 2009 et sur l’affaire HSBC permettaient, de l’avis du Département fédéral des finances, de reprendre le processus de ratification. Peu de temps après, le ministère des finances français a également précisé que cet accord permettait à ses yeux la reprise de la ratification par la Suisse. La convention est finalement entrée en vigueur le 4 novembre 2010.

Il ne fait donc guère de doute que cet échange de lettres, avec les concessions qu’il supposait, a permis non seulement de reprendre le processus de ratification en Suisse, mais aussi d’obtenir des renseignements bancaires, ce qui était jusqu’alors impossible.

M. Alain Claeys, rapporteur. Même si, nous l’avons bien noté, vous n’avez pas participé à la rédaction de la demande adressée aux autorités suisses, vous avez sans doute un avis sur les correspondances entre la France et la Suisse au sujet de l’affaire Cahuzac. Au regard du protocole additionnel et de l’échange de lettres du 11 février 2010, la demande formulée par la France vous semble-t-elle correspondre à l’esprit de l’avenant à la convention ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Oui, je le pense.

M. Alain Claeys, rapporteur. Une demande plus précise eût-elle été assimilée à une « pêche aux renseignements » ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Pas tout à fait, mais c’était aller au-delà de ce que permet l’accord entre les deux États.

M. Alain Claeys, rapporteur. Que recouvre exactement l’expression de « pêche aux renseignements » ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Toute demande générale quant à des comptes détenus par des Français dans une banque en suisse.

M. Alain Claeys, rapporteur. La demande faite à Jérôme Cahuzac le 14 décembre 2012, s’agissant de la déclaration d’éléments permettant l’identification d’un compte à l’étranger, était-elle, au regard de l’avenant à la convention, un préalable indispensable à la demande d’assistance administrative ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Aux termes du protocole additionnel, « les demandes de renseignements sont effectuées après utilisation par l’État requérant de ses sources habituelles de renseignements ». La demande dont vous parlez attestait que nous avions respecté cette obligation.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le contribuable dispose-t-il un délai pour répondre à une telle demande ? Que se passe-t-il si le contribuable ne répond pas ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Cette question, à laquelle le directeur général des finances publiques me semble avoir répondu ce matin, ne relève pas des attributions de mon service. La DLF n’est compétente que sur les questions de législation fiscale, non sur la procédure fiscale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Les autorités suisses, dans leur réponse, font l’observation suivante : « Au demeurant, la banque a précisé que sa réponse se fonde exclusivement et expressément sur les périodes temporelles limitées par la requête des autorités françaises ».

S’agit-il d’une mention habituelle dans ce genre de réponse ?

Mme Véronique Bied-Charreton. La DLF ne rédigeant pas de demandes d’échanges de renseignements, elle ne reçoit pas les réponses qui y sont faites. Je ne puis donc vous dire si une telle mention est habituelle ou non. Cela dit, la Suisse a un droit relativement protecteur pour les personnes faisant l’objet de demandes de renseignements bancaires. Les termes de la réponse pourraient donc signifier que celle-ci porte sur la période visée, et sur elle seule.

M. le président Charles de Courson. La DGFIP aurait-elle pu, sur la base des textes existants, interroger les services fiscaux helvétiques sur l’éventuelle détention d’un compte par Jérôme Cahuzac – ou d’un de ses ayants droit – au sein de la compagnie Reyl, lorsque cette information est parue dans la presse ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Le protocole additionnel autorise, dès lors qu’est identifié un établissement détenteur d’un compte, l’interrogation de plusieurs banques.

M. le président Charles de Courson. Une information parue dans la presse suffit-elle à fonder une telle demande, au regard de l’interprétation que les services fiscaux helvétiques font du protocole additionnel ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Il n’est pas nécessaire, ce me semble, de justifier des sources qui motivent la demande. Je répondrais donc plutôt par l’affirmative.

M. le président Charles de Courson. Comment expliquez-vous la réponse négative des services helvétiques, alors que deux mois plus tard, l’intéressé reconnaissait lui-même détenir un compte en Suisse ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Je n’ai pas d’explications sur ce point, qui fait l’objet d’une enquête judiciaire.

M. le président Charles de Courson. Selon des spécialistes de la fraude fiscale internationale, deux types de montage permettent d’échapper aux enquêtes des services fiscaux suisses : le premier est celui des « comptes omnibus », ou « comptes maîtres », c’est-à-dire des comptes qui, ouverts par un homme d’affaires – en général de nationalité suisse –, abritent des « sous-comptes » au nom de ses clients ; le second est l’ouverture de comptes pour des fondations dans un pays tiers, notamment au Liechtenstein.

Da ns sa rédaction actuelle, la convention franco-suisse permet-elle d’espérer des réponses positives des autorités helvétiques lorsqu’on les interroge sur l’existence d’un compte bancaire ?

Mme Véronique Bied-Charreton. La demande des autorités françaises portait sur M. Cahuzac ou ses ayants droit. Elle était donc suffisamment large pour permettre aux autorités helvétique de rechercher qui détenait effectivement les fonds

M. le président Charles de Courson. Mais, compte tenu des montages que j’évoquais, la convention permet-elle d’obtenir une réponse conforme à la réalité ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Les obligations touchant à l’échange de renseignements dépassent, pour l’État requis, le champ de la législation fiscale ; autrement dit, si la Suisse dispose d’informations relevant d’une autre législation, telle que le droit bancaire ou la lutte contre le blanchiment, elle est censée les transmettre. Si la Suisse applique ce genre de dispositifs, ceci devrait permettre de lever - par la demande portant sur des ayant-droits - l’opacité résultant de la présence d’intermédiaires.

M. le président Charles de Courson. Puisque vous participez à la négociation des conventions, je suppose que vous avez aussi à évaluer leur efficacité. Pas un spécialiste de la réglementation fiscale, jusqu’à présent, n’a été capable de répondre à la question dite « Germain », du nom de notre collègue, c’est-à-dire de nous expliquer pourquoi la réponse des autorités suisses a été négative, alors que M. Cahuzac reconnaissait l’existence d’un compte deux mois plus tard.

Mme Véronique Bied-Charreton. L’administration fiscale suisse a été interrogée sur l’existence d’un compte ouvert dans un établissement bancaire à une période donnée, comme vous l’avez observé. À ce stade, nul ne sait si M. Cahuzac a effectivement détenu des fonds au sein de cet établissement pendant ladite période.

M. le président Charles de Courson. Il faut bien entendu attendre les conclusions de l’enquête judiciaire, mais certaines déclarations, y compris de M. Cahuzac, laissent supposer l’existence d’un compte au sein de la banque UBS jusqu’en 2009, avant que les avoirs ne soient transférés à la société Reyl, puis déplacés à Singapour en 2010 ; nous sommes donc dans la période visée par la réponse des autorités suisses. Dans ces conditions, on est en droit de se demander si la convention fiscale n’a pas été signée à seule fin de permettre à l’État suisse de faire croire qu’il était devenu probe en la matière. Étiez-vous consciente que ce texte serait d’un apport limité ? Le directeur général des finances publiques nous a communiqué le taux et la qualité des réponses : ils s’avèrent particulièrement faibles.

Mme Véronique Bied-Charreton. Le texte conventionnel doit d’abord permettre un échange de renseignements avec le moins de restrictions possibles. Le forum mondial auquel nous participons évalue les pratiques des États en ce domaine, et notre législation interne va au-delà du cadre conventionnel puisqu’elle dresse une liste des États non coopératifs. Il n’est évidemment pas satisfaisant de voir une convention non appliquée ; mais le préalable est d’assurer la conformité de tels textes aux standards de l’OCDE ; après quoi leur application effective passe au crible des instances internationales comme de notre législation interne. L’absence d’effectivité peut justifier le cas échéant, la mise en place de sanctions.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente

M. Hervé Morin. Vous venez de nous expliquer, en somme, que la réponse des banques ou des autorités suisses est sans valeur, et que l’on ne peut s’y fier.

Mme Véronique Bied-Charreton. Je ne pense pas du tout avoir dit cela.

M. Hervé Morin. Je comprends votre prudence de fonctionnaire, mais c’est tout de même ce qui ressort de vos propos.

Mme Véronique Bied-Charreton. Nous sommes en quelque sorte « corsetés » dans les demandes que nous pouvons adresser aux autorités suisses ; mais dans ce cadre, dont j’ai rappelé les termes, la Suisse nous a clairement répondu.

Le problème que nous rencontrons avec les autorités suisses, le directeur général des finances publiques vous l’a expliqué, est le faible taux de réponses, sachant que ces autorités peuvent bloquer la procédure dès lors que nous leur demandons de ne pas informer la personne concernée de la demande de renseignement. Le problème est plus lié au taux de réponse qu’à la qualité de la réponse.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Cahuzac ou ses conseils ont visiblement été informés par les autorités suisses de la demande française…

Mme Véronique Bied-Charreton. Je n’en sais rien, car cela ne relève pas des échanges conventionnels. Reste que la transparence est de rigueur en Suisse, car la législation suisse ouvre des voies de recours aux personnes visées par les demandes de renseignements – ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes. Récemment, la Suisse a tenté de mettre sa législation en conformité avec les standards de l’OCDE en votant une loi fédérale sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale, mais cette loi n’est entrée en vigueur que le 1er février 2013. Et aux termes de son article 17, d’ailleurs, l’autorité fiscale suisse « notifie à chaque personne habilitée à recourir, une décision finale dans laquelle elle justifie l’octroi de l’assistance administrative et précise l’étendue des renseignements à transmettre ».

M. Alain Claeys, rapporteur. Il est donc prévu d’informer la personne visée, non seulement de la demande, mais aussi de la réponse…

Mme Véronique Bied-Charreton. Cela semble possible, en effet ; mais j’ignore si ce fut le cas dans l’affaire qui nous occupe.

M. Jean-Pierre Gorges. Comment avez-vous vécu le fait de ne pas être consultée sur ce dossier, alors que vous êtes une spécialiste en la matière ? Auriez-vous formulé la demande dans les mêmes termes ?

Quelle a été votre réaction en apprenant les aveux de M. Cahuzac ? Ce résultat n’a pas été obtenu grâce à la demande adressée aux autorités suisses, mais grâce à l’enregistrement d’un entretien téléphonique : sans cet élément, comme l’a observé Mediapart, M. Cahuzac aurait été blanchi.

Mme Véronique Bied-Charreton. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la DLF ne fait qu’interpréter les dispositions juridiques relatives à la fiscalité, celles de notre droit interne comme des conventions internationales : elle n’est pas consultée sur une procédure comme celle que vous évoquez dès lors qu’elle ne soulevait pas de question nouvelle d’interprétation.

La DLF n’étant pas davantage chargée de l’application des textes, je n’ai aucune expérience en matière de formulation des demandes de renseignements, laquelle est de la compétence du service du contrôle fiscal. Je puis avoir un avis sur la rédaction d’un texte réglementaire, ou législatif, mais pas sur le point que vous avez soulevé.

Enfin, notre service n’ayant pas été associé à la gestion du dossier de M. Cahuzac, les informations dont nous disposons sont celles qui sont parues dans la presse. L’enquête judiciaire déterminera ce qu’il faut penser de la réponse des autorités suisses.

M. Alain Claeys, rapporteur. Essayons de clarifier nos débats. On peut s’étonner que la demande faite par l’administration fiscale française n’ait pas donné de résultats, et partant sous-entendre, comme le font certains membres de la commission, qu’elle était inutile ou, pis encore, conçue pour rester sans suite. Cela dit, deux questions se posent. La première est de savoir si la demande pouvait porter sur l’existence d’un compte dans une autre banque ; mais ce point, qui fait débat entre nous, concerne la chronologie des faits telle que la présente Mediapart. En revanche, vous pouvez nous éclairer sur les termes utilisés par l’administration française dans sa demande : était-il juridiquement possible d’aller plus loin ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Cette demande, me semble-t-il, allait aussi loin que possible dans le cadre de nos accords internationaux.

L’administration française a désigné la banque concernée et fourni l’identité du contribuable ; sur la base de ces éléments, elle pu obtenir une réponse couvrant une période plus large que celle de la prescription, et formuler une demande portant sur la détention d’un compte, sa fermeture ou son transfert par le contribuable ou ses éventuels ayants droit. Je ne vois pas ce qu’elle aurait pu demander de plus.

Mme Cécile Untermaier, présidente. La mention de la compagnie Reyl, que très peu d’éléments pouvaient alors fonder, aurait-elle fragilisé la demande ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Je ne le pense pas mais l’administration fiscale, à cette époque, n’avait aucun indice sur le transfert d’avoirs vers la banque Reyl.

Mme Cécile Untermaier, présidente. Est-ce à dire qu’une allusion un peu hasardeuse à l’existence d’un compte dans une autre banque aurait pu nuire à cette demande, dont on a bien compris que chaque terme devait être pesé ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Je ne puis me prononcer sur la psychologie de l’autorité suisse ; reste que la demande ne pouvait viser « UBS et toute autre banque ». Il n’était pas impossible de l’élargir à une autre banque, mais il aurait fallu des éléments pour cela.

M. Jean-Pierre Gorges. La demande, dites-vous, a été la plus large possible, la période visée ayant d’ailleurs été étendue jusqu’en 2006. Elle fait cependant référence à « M. Cahuzac ou ses ayants droit », omettant que M. Cahuzac était peut-être l’ayant droit d’un autre compte que le sien.

Le transfert des fonds de la banque UBS vers la compagnie Reyl est intervenu en 2009, c’est-à-dire pendant la période visée. Comment expliquer que la banque UBS n’ait pas révélé que M. Cahuzac détenait un compte chez elle ? Aurait-elle menti ?

M. Alain Claeys, rapporteur. L’année 2009 n’est pas celle du transfert des avoirs de la banque UBS vers la compagnie Reyl, mais de l’éventuel déplacement de ces avoirs vers Singapour.

M. Jean-Pierre Gorges. Le président de Courson nous a expliqué que le transfert d’UBS vers Reyl avait eu lieu avant le déplacement des fonds vers Singapour, intervenu quant à lui en 2010. Quoi qu’il en soit, nous sommes dans la période visée par une demande rédigée Si elle a été rédigée de la façon la plus large possible, comment se fait-il que la réponse de la Suisse ait été négative ? Là est tout le mystère.

Mme Véronique Bied-Charreton. Je ne puis vous répondre, n’étant pas à la place de l’administration suisse. Celle-ci a donné une réponse claire. L’enquête déterminera si elle aurait dû être en sens contraire  mais à ce jour, nous ne disposons pas des éléments pour en juger.

M. Étienne Blanc. Si je vous ai bien compris, rien dans la convention de 1966 n’interdisait à UBS de répondre précisément à la question posée par la France…

Mme Véronique Bied-Charreton. Dans l’état actuel du droit et de nos relations avec la Suisse, rien ne l’interdisait, en effet.

M. Étienne Blanc. Rien n’interdit non plus, à vous entendre, de viser plusieurs banques : ce que la convention interdit, c’est une question générale sur l’éventuelle possession d’un compte dans une banque suisse non identifiée.

La demande doit également reposer sur des éléments précis. En d’autres termes il était possible de poser à propos de la compagnie Reyl la même question que sur UBS, puisque l’article publié le 4 décembre 2012 par Mediapart mentionne explicitement ces deux établissements bancaires.

Mme Cécile Untermaier, présidente. S’agissant de Reyl, l’article parle de « prestataire financier », non de « banque ».

M. Étienne Blanc. Mais rien n’interdisait de demander si M. Cahuzac possédait un compte dans cette compagnie.

Mme Véronique Bied-Charreton. Effectivement, mais je crois savoir que l’administration fiscale n’avait, à la date de la demande, aucune information dans la presse qui aurait pu la conduire à poser cette question. En tout état de cause, ce point dépasse le domaine de la législation.

M. Étienne Blanc. Certes, mais il est permis de s’interroger sur les pratiques de certains établissements bancaires ou financiers au regard de la convention de 1966.

Selon vous, était-il possible de poser d’autre part une question sur les actes commis par une personne physique en l’occurrence par M. Dreyfus, qui, selon l’article de Mediapart, aurait reçu un mandat ? À mon sens, rien ne l’interdit dans la convention de 1966.

Mme Véronique Bied-Charreton. Je ne puis vous répondre, d’autant que, pour tout vous dire, c’est la première fois que j’entends parler de M. Dreyfus.

M. Étienne Blanc. D’une façon générale, peut-on interroger les autorités suisses sur des maniements de fonds effectués par un particulier dans le cadre d’un contrat de mandat, de la constitution d’une fondation ou de tout autre véhicule ?

Mme Véronique Bied-Charreton. Il faudrait que je dispose d’éléments plus précis pour vous répondre. La notion de proportionnalité des recherches, que la Suisse a introduite dans l’échange de lettres, suppose que les investigations requises par les questions posées ne soient pas trop lourdes.

M. Christian Assaf. Je m’étonne également de la réponse faite par la Suisse au regard des aveux ultérieurs de M. Cahuzac, mais l’explication a été partiellement donnée, ce matin, par le directeur de cabinet du ministre et le directeur général des finances publiques : il n’est pas prouvé, à ce jour, que M. Cahuzac ait possédé un compte chez UBS de 2006 à 2009. Cela ne signifie pas qu’il n’en a pas possédé un dans une autre banque, mais l’administration française ne peut interroger l’administration suisse qu’en désignant une banque précise. Or l’article de Mediapart daté du 4 décembre ne dit pas que M. Cahuzac détient un compte au sein de la compagnie Reyl.

M. Jean-Pierre Gorges. De fait, à ce jour, la seule personne ayant déclaré posséder un compte en Suisse est M. Cahuzac. Les établissements suisses, eux, ne le disent pas.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Cahuzac n’a pas dit qu’il avait un compte « en Suisse » au cours de la période visée. L’enquête judiciaire nous apportera peut-être des éléments sur ce point. Il avait peut-être un compte ailleurs.

M. Jean-Pierre Gorges. Je le répète, la seule personne à avoir déclaré posséder un compte en Suisse est M. Jérôme Cahuzac. Aucune autorité suisse n’a confirmé cette information.

Mme Cécile Untermaier, présidente. On peut en conclure que la convention n’est peut-être pas aussi performante qu’elle le devrait…

M. Jean-Pierre Gorges. Il faut attendre les conclusions de l’enquête judiciaire, mais personne, aujourd’hui, ne dit que M. Cahuzac a eu un compte en Suisse, excepté lui-même – et bien entendu les articles publiés par Mediapart.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Cahuzac a fait la déclaration suivante : « Je ne sais pas d’où viennent les rumeurs. Ce que je sais, c’est que la justice française aura tous les documents concernant les activités illicites que j’ai pu avoir hors de nos frontières. J’ai déjà dit aux juges ce qu’était le montant de ce compte à l’étranger. J’ai indiqué ce montant et c’est la raison pour laquelle je vous le confirme : 600 000 euros. » M. Cahuzac ne parle donc pas de la Suisse.

Mme Cécile Untermaier, présidente. Madame la directrice, je vous remercie.