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Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement

Mercredi 24 juillet 2013

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Charles de Courson, Président

– Audition, à huis clos, de M. Alain Letellier et de M. Florent Pedebas, détectives privés

M. le président Charles de Courson. Mes chers collègues, nous allons procéder à l’audition à huis clos de MM. Alain Letellier et Florent Pedebas, détectives privés. M. Letellier est installé à Paris et M. Pedebas à Muret, dans le département de la Haute-Garonne.

Messieurs, selon plusieurs sources d’information – dont l’audition, le 12 juin dernier, de M. Rémy Garnier, inspecteur des impôts à la retraite –, vous avez semble-t-il enquêté au cours de l’année 2012 sur la situation, notamment financière, de M. Jérôme Cahuzac. Cette enquête vous aurait conduit à réunir des informations sur les avoirs non déclarés que celui-ci détenait à l’étranger.

Comme vous le savez, notre commission d’enquête a pour objet de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Cahuzac ». Nous sommes gênés dans cette mission par le refus de M. Cahuzac de répondre aux questions portant sur le fond de l’affaire, notamment sur la manière précise dont ses avoirs avaient été placés à l’étranger et à quelle date. Nous comptons sur vous pour nous éclairer.

Avant d’aller plus loin, je vous informe que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de bien vouloir vous lever, lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(MM. Alain Letellier et Florent Pedebas prêtent successivement serment.)

M. le président Charles de Courson. Si cela vous convient, je vais vous laisser vous exprimer durant une quinzaine de minutes. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur, M. Alain Claeys, pour un échange de questions et de réponses. J’inviterai ensuite ceux de nos collègues qui le souhaitent à poser leurs questions.

M. Alain Letellier. Je voudrais simplement préciser je suis le seul à avoir été mandaté par Mme Cahuzac. Si mon collègue Florent Pedebas dispose d’un bureau à Muret, à proximité de Toulouse, son agence et sa vie sont à Villeneuve-sur-Lot depuis plus de quarante ans. Je ne l’ai fait intervenir dans cette affaire que pour m’obtenir un rendez-vous le 4 octobre 2012 avec M. Rémy Garnier. M. Pedebas n’est donc absolument pas mandaté par Mme Cahuzac.

M. Florent Pedebas. Je suis effectivement originaire de Villeneuve-sur-Lot et j’ai eu connaissance de l’affaire en 2000 par l’intermédiaire de maître Gonelle : j’ai été l’un des premiers à entendre l’enregistrement sur son téléphone.

M. le président Charles de Courson. Vraiment ? Nous allons y revenir parce que c’est une information nouvelle.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’est un point important. Quand et comment avez-vous rencontré maître Gonelle ?

M. Florent Pedebas. J’ai été gendarme pendant vingt-et-un ans, dont seize ans comme officier de police judiciaire, au sein d’une unité de recherche. J’ai presque toujours eu des affectations dans le Lot-et-Garonne et j’ai connu maître Gonelle en tant qu’avocat à l’occasion de plusieurs affaires. Lorsque j’ai fait ma reconversion, il fut l’un des premiers à me faire travailler dans le département.

J’ai fait partie des trois ou quatre personnes qui ont écouté l’enregistrement sur son téléphone portable, peut-être le lendemain du jour où il l’avait obtenu. Comme je l’ai déclaré aux policiers de la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF) qui m’ont interrogé, il y avait en fait deux messages.

M. le président Charles de Courson. Quand était-ce ?

M. Florent Pedebas. Fin 2000 ou début 2001.

M. Alain Claeys, rapporteur. Savez-vous quelles sont les autres personnes qui ont entendu l’enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Probablement des personnes de l’entourage proche de M. Gonelle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais encore ?

M. Florent Pedebas. Au moins trois personnes : l’huissier de justice de Villeneuve-sur-Lot, M. Rémy Garnier et peut-être une autre personne des services fiscaux.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous eu une copie de l’enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans quelles circonstances M. Gonelle vous l’a-t-il fait écouter ?

M. Florent Pedebas. Je me trouvais à son cabinet pour un autre dossier. Il m’a fait écouter les messages, puis il m’a demandé si je pouvais procéder à la transcription de la communication. Je lui ai répondu que je ne pouvais rien faire, que cela n’aurait aucune valeur, et qu’il valait mieux qu’il s’adresse à un huissier de justice. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait.

M. le président Charles de Courson. S’agissait-il de M. Maurice Chassava ?

M. Florent Pedebas. Oui, c’est bien cela.

M. Alain Claeys, rapporteur. Par la suite, avez-vous parlé à d’autres personnes de cet enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Non. Cela a ressurgi lorsqu’il a été mis en ligne par Mediapart, au début du mois de décembre.

M. le président Charles de Courson. Permettez-moi de vous signaler que j’ai reçu le 18 juillet la lettre « anonyme » suivante : « Président, Catuhe a menti : ce n’est pas Gonelle qui lui a fait écouter la cassette, c’est Chassava, huissier de justice entendu dans l’enquête, qui la lui a fait écouter. Demandez-lui. C’est grave de mentir sous serment ! Signé : Gégé ».

M. Florent Pedebas. Je ne connais pas de Gégé !

M. le président Charles de Courson. Cette lettre a été postée dans le Lot-et-Garonne.

M. Florent Pedebas. M. Catuhe doit être l’autre personne des impôts qui a entendu l’enregistrement.

M. le président Charles de Courson. Récapitulons : fin 2000 ou début 2001, vous allez voir maître Gonelle pour une tout autre affaire, et il vous dit : « Je voudrais vous faire écouter quelque chose ». Est-ce bien ainsi que cela s’est passé ?

M. Florent Pedebas. Oui. Comme il savait que j’étais un ancien officier de police judiciaire, rompu à ce genre d’exercice, il m’a demandé si je pouvais procéder à la transcription de cette communication. Je lui ai répondu que non.

M. le président Charles de Courson. Mais avez-vous entendu la communication ?

M. Florent Pedebas. Oui, j’ai entendu les deux messages qu’il y avait sur son téléphone. Dans le premier, M. Cahuzac se fait connaître et l’invite pour l’inauguration du commissariat de Villeneuve-sur-Lot ; le second message s’enregistre dans la poche de la chemisette, me semble-t-il.

M. le président Charles de Courson. Sur quel support vous l’a-t-il fait écouter ?

M. Florent Pedebas. Sur son téléphone mobile. Cela se passait le lendemain ou le surlendemain de la communication.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il n’y a une sauvegarde que pendant quinze jours.

M. le président Charles de Courson. Et qu’avez-vous fait de cette information ?

M. Florent Pedebas. Bah, je lui ai dit d’aller voir l’huissier en question, Maurice Chassava, et je n’ai rien fait d’autre.

M. le président Charles de Courson. C’est vous qui lui avez dit d’aller voir Maurice Chassava ?

M. Florent Pedebas. Non, je lui ai dit d’aller voir un huissier, mais nous travaillions régulièrement avec Maurice Chassava pour les constats d’adultère.

M. le président Charles de Courson. Quelle était votre idée ?

M. Florent Pedebas. Que l’huissier fasse une retranscription papier de la conversation. M. Gonelle voulait que les phrases apparaissent.

M. Philippe Houillon. Il voulait un constat !

M. Florent Pedebas. Oui, c’est cela.

M. le président Charles de Courson. Et vous n’en avez jamais reparlé avec cet huissier ?

M. Florent Pedebas. Non – sauf depuis le 4 décembre dernier.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mais entre cette date et le 4 décembre 2012, vous n’avez jamais entendu parler de cet enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Non, jamais.

M. le président Charles de Courson. Savez-vous ce que maître Chassava a fait ?

M. Florent Pedebas. Non. J’imagine qu’il a fait ou qu’il a fait faire la transcription. En tout cas, je sais que la conversation a été retranscrite.

M. le président Charles de Courson. Savez-vous s’il en a conservé un exemplaire chez lui ?

M. Florent Pedebas. Je sais seulement que les policiers de la DNIFF sont allés perquisitionner chez lui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et vous, monsieur Letellier, quand avez-vous eu connaissance de l’enregistrement ?

M. Alain Letellier. Je l’ai entendu pour la première fois le lendemain de la parution de l’article de Mediapart, sur mon ordinateur. Mon collègue – et ami – Florent Pedebas ne m’a même pas parlé de cet épisode lorsque nous avons vu Rémy Garnier, alors qu’il était l’un des seuls à avoir écouté cet enregistrement sur son support original, c’est-à-dire le téléphone mobile de M. Gonelle. Il faut dire qu’il a une formation militaire…

M. Alain Claeys, rapporteur. Lors de son audition, M. Rémy Garnier nous a indiqué vous avoir reçu tous les deux ; il avait cru comprendre que vous étiez mandatés par Mme Cahuzac, mais vous nous avez dit, monsieur Letellier, que vous étiez le seul à l’être ?

M. Alain Letellier. Absolument ; c’est une avocate spécialiste des affaires familiales qui me connait, maître Michèle Mongheal, qui m’avait envoyé cette cliente.

J’ai fait pour elle un travail tout à fait classique : il s’agissait d’établir la matérialité de faits privés, dans le cadre de son divorce. La mission a duré d’octobre-novembre 2011 à mars 2012. J’ai remis mon rapport à cette date.

J’avais chargé Florent Pedebas, que je connais depuis presque vingt ans, de certaines interventions à Villeneuve-sur-Lot. Je précise que cela fait trente-trois ans que je suis dans le métier, et que je suis vice-président de la chambre professionnelle des détectives français, le Conseil national supérieur professionnel des agents de recherches privées (CNSP-ARP), dont il était l’un des administrateurs, dans la région de Toulouse.

M. Alain Claeys, rapporteur. À quelle date avez-vous rencontré Rémy Garnier ?

M. Alain Letellier. Le 4 octobre 2012, à la demande de ma cliente.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi ?

M. Alain Letellier. M. Rémy Garnier – dont j’ai écouté attentivement l’audition – vous l’a expliqué longuement. J’avais demandé à Florent Pedebas de m’organiser un rendez-vous avec lui parce qu’il le connaissait.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et il partageait avec lui une information : l’existence de l’enregistrement. Est-ce bien cela, monsieur Pedebas ?

M. Florent Pedebas. Je n’ai su qu’après le 4 décembre 2012 que Rémy Garnier avait eu connaissance de cet enregistrement !

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans ce cas, pourquoi avoir évoqué Rémy Garnier tout à l’heure ?

M. Florent Pedebas. Parce que je l’ai appris depuis lors.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous arrivez donc chez M. Garnier à la demande de Mme Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Oui, dans le cadre d’un mandat lié à une affaire privée, à la suite de la réception de lettres anonymes faisant état de certains faits d’ordre privé – que Mme Cahuzac a probablement produites aux policiers qui l’ont entendue. Cela peut paraître incroyable, mais c’est lié à une rumeur dans le milieu des impôts.

Florent Pedebas, à qui j’avais parlé du dossier, a refusé de faire les filatures et les surveillances classiques sur Villeneuve-sur-Lot, parce qu’il avait un conflit d’intérêt ; c’est pourquoi j’ai fait appel à un collègue de Bordeaux – mais il est tout à fait normal de sous-traiter un dossier en accord avec la cliente.

Le dossier ayant été clos, on m’a demandé de faire une recherche de personnalité – c’est-à-dire qu’une fois que la matérialité des faits actuels a été établie, on oriente l’enquête sur des faits antérieurs, peut-être à la demande de son avocate ou de son avocat – à l’époque je ne savais pas qui c’était. Ce que M. Garnier a déclaré au départ est juste : nous sommes venus pour discuter d’un problème privé. C’est après qu’il s’est un peu emmêlé les pinceaux…

M. Alain Claeys, rapporteur. Mme Cahuzac avait-elle reçu des lettres anonymes ayant trait à des problèmes fiscaux ?

M. Alain Letellier. Non, à des problèmes privés, mais sur lesquels Rémy Garnier était susceptible d’avoir des informations parce qu’il était intervenu dans l’affaire France Prune. Selon une rumeur, des liens privés intéressant notre cliente s’étaient en effet créés à cette occasion. Elle voulait que je vérifie si c’était vrai.

M. Alain Claeys, rapporteur. Lors de son audition, M. Garnier nous a dit que, quand vous l’aviez rencontré, vous connaissiez l’existence du compte à l’étranger non déclaré de Jérôme Cahuzac. Est-ce exact ?

M. Alain Letellier. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comment l’avez-vous appris ?

M. Alain Letellier. Par ma cliente.

M. le président Charles de Courson. Avait-elle des soupçons ou s’agissait-il d’une certitude ?

M. Alain Letellier. Dans un dossier de divorce aussi important, un lien humain se tisse entre la cliente et l’agent de recherches privées. À l’époque, nous nous voyions deux à trois fois par semaine – j’avais juste l’avenue des Champs-Élysées à traverser pour aller à sa clinique. Nous parlions de l’avancée du dossier et, dans la conversation, elle m’a dit que son mari avait un compte en Suisse. Elle m’a d’ailleurs déclaré : « Si je suis entendue par les policiers, je dirai la vérité ».

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous a-t-elle dit que son mari avait un compte en Suisse ou qu’ils avaient un compte en Suisse ?

M. Alain Letellier. Que son mari avait un compte en Suisse

M. le président Charles de Courson. Comment le savait-elle ?

M. Alain Letellier. Vous savez, quand pendant huit à dix ans, vous vivez et travaillez tous les jours avec quelqu’un, des informations sortent ! Elle était également au courant du voyage que Jérôme Cahuzac avait fait en Suisse ; il lui avait dit qu’il avait fait le nécessaire pour clôturer le compte et qu’on n’en retrouverait jamais la trace.

M. Alain Claeys, rapporteur. C’était en octobre 2009 ?

M. Alain Letellier. Elle ne connaissait pas la date exacte.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous a-t-elle parlé de l’enregistrement ?

M. Alain Letellier. Non

Fabrice Arfi m’a rendu visite quelques jours avant la publication de son article. Évidemment, je lui ai demandé comment il m’avait trouvé. « C’est tout simple », m’a-t-il répondu. Il était allé voir Rémy Garnier – quiconque fait une enquête sérieuse à Villeneuve-sur-Lot tombe sur lui ! – et ce dernier avait ostensiblement laissé ma carte de visite sur son bureau. Je ne me suis pas caché, alors que la loi m’y autorise.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand avait-il vu M. Garnier ?

M. Alain Letellier. Trois semaines ou un mois après moi.

M. Alain Claeys, rapporteur. Résumons : quand vous allez voir M. Garnier, vous, monsieur Pedebas, vous connaissez l’existence de l’enregistrement, puisque vous l’avez entendu ; vous, monsieur Letellier, vous êtes mandaté pour une enquête sur des questions privées par Mme Cahuzac, mais vous savez de la bouche de celle-ci que Jérôme Cahuzac a un compte non déclaré à l’étranger et qu’il est allé en Suisse pour le clore en octobre 2009.

Avant d’aller au rendez-vous avec M. Garnier, échangez-vous vos informations ?

M. Florent Pedebas. Non, pas sur ce sujet.

M. Alain Letellier. J’ai juste demandé à Florent Pedebas s’il connaissait Rémy Garnier. Il m’a répondu : « Regarde sur Internet, tu trouveras des informations ».

Rémy Garnier, nous allons le voir par une très belle journée de fin d’été. Nous arrivons sur la place du petit village de Laroque-Timbaut, où nous avions rendez-vous. Le café où nous devions nous rencontrer étant fermé pour cause de décès, Rémy Garnier nous propose de venir chez lui.

Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Cela fait alors dix ans que Rémy Garnier est au fond du trou – lorsque nous l’avons rencontré, il n’était pas l’homme flamboyant que vous avez auditionné ! Lorsqu’il voit arriver un détective de Paris, accompagné d’un autre de Villeneuve-sur-Lot, que de surcroît il connaît, il décide de tout déballer : le dossier France Prune, son mémoire en défense, les procès qu’il a gagnés, etc. Il eût été incorrect de notre part, une fois qu’il avait répondu à nos questions, de ne pas l’écouter – surtout que cela pouvait être utile pour mes investigations. Nous sommes restés avec lui plus de trois heures ! Il avait mis plein d’espoir dans un rendez-vous qu’il devait avoir avec M. Cahuzac dans les jours suivants. Comme il a été éconduit lors de ce rendez-vous, il a tout déballé.

M. Alain Claeys, rapporteur. L’avez-vous interrogé sur le compte en Suisse ?

M. Alain Letellier. Non, c’est lui qui nous en a parlé. Je lui ai répondu que j’étais au courant.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et vous, monsieur Pedebas, qu’avez-vous dit ?

M. Florent Pedebas. Moi ? Rien. Je n’étais pas là pour poser des questions : ce n’était pas mon dossier. Mon rôle se limitait à servir d’intermédiaire et de chauffeur.

C’est vrai que Rémy Garnier est une machine à paroles ! Alain Letellier a commencé par lui poser ses questions concernant l’affaire privée pour laquelle il était mandaté, mais après, il ne nous a pas laissés partir : il voulait absolument nous dire tout ce qu’il savait !

M. Alain Letellier. Il était tellement content de pouvoir parler à d’autres personnes qu’aux correspondants locaux de Sud-Ouest qui avaient un peu relayé son combat ! Il sentait qu’il tenait enfin une occasion de se faire réhabiliter.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pensait-il que, détenant ces informations sur Jérôme Cahuzac, il pourrait avoir satisfaction sur son dossier administratif personnel ?

M. Florent Pedebas. Oui : il n’y avait que cela qui comptait pour lui !

M. Alain Letellier. Il ne demandait d’ailleurs pas grand-chose : obtenir sa réintégration et pouvoir toucher sa retraite.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous effectué un déplacement à Singapour ?

M. Alain Letellier. Non.

M. le président Charles de Courson. Pourtant, Rémy Garnier nous a dit lors de son audition que vous auriez dit revenir de Singapour ?

M. Alain Letellier. Il a tout mélangé. Grâce à ses déclarations, la DNIFF a passé trois heures à perquisitionner dans mon bureau à Paris ! Ils ont épluché ma comptabilité sur les années 2011 et 2012, vérifié mes déplacements, mes frais de téléphone, bref tout ce qui pouvait être lié à un voyage à Singapour. Je ne suis pas allé à Singapour : je l’ai affirmé sur procès-verbal.

En revanche, il est vrai que nous avons parlé de Singapour avec M. Garnier.

M. le président Charles de Courson. Pour la bonne information de la Commission d’enquête, je précise que lorsque nous lui avons envoyé le compte rendu de son audition, M. Garnier nous a demandé de faire une correction : il avait bien dit que vous étiez allé à Singapour, mais, à la réflexion, il pensait avoir mal compris.

M. Alain Letellier. Monsieur le président, le lendemain de son audition, j’ai reçu sept appels de journalistes qui désiraient m’interviewer parce que j’étais allé à Singapour. J’ai donc téléphoné à Rémy Garnier pour lui signaler le problème. Il a reconnu avoir commis une confusion et m’a proposé de faire un démenti auprès de vous. Je lui ai répondu que cela ne ferait qu’engendrer des questions et des sous-entendus. Mais je sais que je ne suis pas allé à Singapour !

Si nous avons parlé de Singapour, c’est parce qu’un collègue en Suisse m’avait signalé en 2011 que des comptes étaient transférés là-bas.

M. Alain Claeys, rapporteur. Mme Cahuzac vous avait-elle parlé du compte à Singapour ?

M. Alain Letellier. Elle n’avait aucune information précise, mais elle savait qu’il y avait eu un transfert.

M. Daniel Fasquelle. Pourquoi avoir parlé de « comptes », au pluriel ?

M. Alain Letellier. En ce qui me concerne, s’agissant de la personne qui nous intéresse, je n’ai entendu parler que d’un seul compte.

M. le président Charles de Courson. Que vous a dit votre correspondant en Suisse, en 2011 ?

M. Alain Letellier. Je vous ai apporté, avec son autorisation, un document que personne n’a encore vu.

Comme nous n’avons pas le droit d’investiguer dans le canton de Genève, nous disposons de correspondants susceptibles de le faire à notre place. M. Léonard Bruchez, qui appartient à un grand cabinet et qui est mon correspondant depuis plus de vingt ans, m’a écrit le 18 janvier 2012 le courriel confidentiel suivant : « Je viens d’avoir un appel d’un confrère de Genève qui travaille sur une affaire concurrente concernant le nommé Dreyfus. Je te donne l’info, comme il me l’a donnée, en confidence absolue : il y a actuellement quatre agences qui sont à la recherche de Dreyfus. L’une d’entre elles – pas toi – cherche des sociétés offshore qui auraient été mises en place par Dreyfus pour le compte de notables français. Je te laisse méditer là-dessus. »

Je n’ai jamais vu un dossier comme cela : à chaque fois que l’on ouvrait un tiroir, un diable en sortait !

Je savais donc depuis près de deux ans qu’une restructuration était en cours à Genève : du fait des nouvelles dispositions du droit helvétique, l’UBS organisait à toute vitesse des transferts de comptes – notamment je pense celui de la personne qui nous intéresse, mais d’autres également.

M. le président Charles de Courson. Pourquoi votre correspondant établissait-il un lien entre le dossier Cahuzac, qui n’existe pas encore, et ce Dreyfus ?

M. Alain Letellier. Parce que ma cliente connaissait l’existence d’un certain Dreyfus, qui s’occupait des affaires de son mari – mais cela donna lieu à un quiproquo.

Le Dreyfus que nous avions trouvé – et qui est évoqué dans le courriel – était un certain Marc Dreyfus, envoyé par l’UBS à Singapour pour s’occuper de cet ensemble de comptes transférés à la va-vite. Mais ce n’est pas ce Dreyfus-là qui intéressait le dossier, puisque, comme nous l’avons appris par la suite, il s’agissait en fait d’Hervé Dreyfus, un homonyme, qui travaillait avec la banque Reyl. Je n’avais jamais entendu parler de lui avant les révélations de Mediapart.

M. Alain Claeys, rapporteur. Dans ce cas, pourquoi avoir enquêté sur ce Marc Dreyfus ?

M. Alain Letellier. Parce que Mme Cahuzac savait qu’un dénommé Dreyfus s’occupait des affaires de son mari, mais elle ne connaissait pas son prénom. Elle n’avait aucune autre information sur le sujet.

Vous savez, je suis intervenu dans les médias une seule fois, sur France Inter, parce qu’une certaine presse présentait Mme Cahuzac comme une personne vindicative, acariâtre – bref : la vilaine épouse jalouse, dont j’aurais été, moi, le bras armé. D’abord, la femme que j’ai côtoyée pendant plusieurs mois n’était pas ainsi : elle était calme, posée, pondérée. Ensuite, nous avons appris l’existence de l’enregistrement lorsque l’article de Mediapart a paru ; elle ne m’en avait jamais parlé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Résumons : vous rencontrez pour la première fois Mme Cahuzac en octobre 2011 ; elle évoque à ce moment-là l’affaire privée et, dans la conversation, l’existence d’un compte en Suisse non déclaré ; vous rencontrez ensuite, en octobre 2012, M. Garnier.

M. Alain Letellier. C’est cela.

En mars 2012, mon rapport est remis, les photographies sont déposées, les attestations sont faites, le dossier est clos.

En octobre 2012, un rappel est fait, certainement à la suite d’une demande de son conseil de l’époque, qui voulait un supplément d’informations sur des faits antérieurs relatifs à la vie privée de M. Cahuzac. Cela nous a amenés chez Rémy Garnier.

M. Alain Claeys, rapporteur. Le 18 janvier 2012, vous avez un contact avec vos confrères de Suisse, qui vous expliquent le mécanisme « Dreyfus ».

M. Alain Letellier. Exactement.

En décembre 2011, se tient à Nîmes le congrès de notre chambre professionnelle. Y sont invités des collègues étrangers – dont Léonard Bruchez, de Suisse. Nous parlons investigations, et je lui demande de regarder si l’on peut avoir des informations sur le compte de M. Cahuzac ou sur le dénommé Dreyfus. Mais je n’ai pas été plus loin dans mes investigations, parce que je n’ai pas eu de mandat pour cela.

M. le président Charles de Courson. Il y a donc eu deux mandats. Dans lequel des deux vous a-t-on demandé de faire une recherche sur un éventuel compte détenu par Jérôme Cahuzac en Suisse ?

M. Alain Letellier. Je n’ai jamais eu de mandat en ce sens. J’ai eu un mandat, dans le cadre d’une procédure de divorce, pour établir la matérialité de faits relatifs à la vie privée – c’est tout.

Certes, j’ai essayé d’obtenir d’autres informations grâce à mes contacts, mais je sortais alors de mon mandat. J’ai transmis ces informations à ma cliente, mais je n’ai pas eu de mandat écrit pour aller plus loin.

M. Alain Claeys, rapporteur. Parmi les lettres anonymes que Mme Cahuzac a reçues, certaines parlaient-elles de questions fiscales ?

M. Alain Letellier. Je ne sais pas.

M. le président Charles de Courson. Les avez-vous lues ?

M. Alain Letellier. Seulement celles évoquant un certain problème privé, qui pouvait être très lourd pour une femme.

D’ailleurs, j’ai ici la copie d’un chèque datant du 6 septembre 2012, par lequel elle me mandate, alors que le dossier est clos, pour aller voir Rémy Garnier.

J’ai donc eu deux mandats, et les deux dossiers correspondants ont été saisis par la DNIFF : non seulement ils ont étudié mes courriels, mais ils ont emporté les rapports, les photographies et les photocopies des chèques ! Tous ces documents ont été placés sous scellés.

M. Alain Claeys, rapporteur. Rémy Garnier était donc parfaitement au courant de la vie privée des habitants de Villeneuve-sur-Lot, en particulier de celle de Jérôme Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Absolument.

M. Alain Claeys, rapporteur. Qu’en pensez-vous, monsieur Pedebas ? C’était la tour de contrôle !

M. Florent Pedebas. Rémy Garnier en voulait tellement personnellement à M. Cahuzac depuis l’affaire France Prune, qu’il cherchait tout ce qu’il pouvait trouver sur lui ! Il a toujours ratissé large, y compris dans la sphère privée.

M. le président Charles de Courson. Cela sortait du champ de ses compétences ?

M. Florent Pedebas. Bien entendu !

M. Alain Letellier. Après notre visite, il est allé voir un journal satirique de Villeneuve-sur-Lot, La feuille.

M. Florent Pedebas. La directrice l’a même viré de son bureau !

M. Alain Letellier. La feuille a publié un article de deux pages reprenant l’intégralité de la conversation que nous avions eue : l’affaire du chien d’aveugle, l’enfant… Tout est paru dans la « feuille de chou » de Villeneuve-sur-Lot !

M. le président Charles de Courson. L’article évoque-t-il le fameux compte ?

M. Alain Letellier. Non : il évoque Jean François-Poncet, les lettres anonymes, mon enquête et des faits privés.

M. Florent Pedebas. En revanche, dans un numéro de 2008 ou de 2009, Anne Carpentier avait écrit un article de deux pages sur les liens de Jérôme Cahuzac avec certains laboratoires pharmaceutiques. La DNIFF m’a d’ailleurs demandé si j’avais des informations à ce sujet : je lui ai dit que ma seule connaissance provenait de cet article et elle a saisi mon exemplaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Letellier, aviez-vous évoqué avec Mme Cahuzac ces liens que son mari pouvait entretenir avec des laboratoires ?

M. Alain Letellier. Oui – c’est d’ailleurs la source d’une autre confusion de M. Garnier. Celui-ci vous a dit que nous possédions une liste de laboratoires, alors qu’en réalité, j’avais juste noté sur un bout de papier deux noms – dont celui du laboratoire Innothera à Monaco. Mme Cahuzac savait que son mari avait pu avoir des liens avec eux, mais nous n’avions aucune preuve.

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Pedebas, quels étaient les liens entre M. Gonelle et M. Garnier ?

M. Florent Pedebas. M. Gonelle était l’avocat conseil de M. Garnier dans ses procès contre l’administration fiscale.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous qui connaissez bien Villeneuve-sur-Lot, avez-vous une idée de la manière dont cet enregistrement a pu arriver chez Mediapart ?

M. Florent Pedebas. Je reprends les hypothèses des autres.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez surement votre idée. Dîtes-moi votre idée.

M. Florent Pedebas. Peut-être est-ce l’un de ceux qui ont eu le mini-CD entre les mains qui le leur a remis : à savoir, Maurice Chassava, Jean-Noël Catuhe ou le juge Bruguière.

M. Alain Claeys, rapporteur. Et Michel Gonelle ?

M. Florent Pedebas. Vu les relations professionnelles que nous avons, je pense qu’il me l’aurait dit.

M. Alain Claeys, rapporteur. D’après vous, qui est-ce ?

M. Florent Pedebas. Je pencherais plutôt pour une relation du juge. Je vois mal les deux agents des impôts remettre un enregistrement à Mediapart !

M. le président Charles de Courson. Et maître Chassava ?

M. Florent Pedebas. Ah non ! Depuis qu’il est à la retraite, il vit dans sa ferme ; il entretient sa vigne, ses volailles… Ce n’est pas le genre à venir à Paris. M. Catuhe, cela m’étonnerait aussi.

Attention : je n’ai pas dit que c’était le juge – mais je pense qu’il fallait avoir des relations à Paris pour le faire.

M. le président Charles de Courson. L’avocat de Jérôme Cahuzac, maître Jean Veil, a dit que le compte avait été alimenté par des versements provenant directement de certains laboratoires pharmaceutiques, mais aussi par des règlements en espèces de la part de clients de la clinique.

Mme Cahuzac, qui est la gestionnaire de cette clinique, vous a-t-elle parlé de l’alimentation de ce compte ?

M. Alain Letellier. Non, en aucune façon. Et je n’ai pas pour vocation de faire des enquêtes sur mes clientes !

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Letellier, avez-vous rencontré, dans le cadre de votre enquête, d’autres confrères qui enquêtaient sur la même personne, mais mandatés par d’autres.

M. Alain Letellier. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous pouvez nous expliquer ?

M. Alain Letellier. J’ai rencontré une personne, mais je ne citerai pas son nom. Si je suis interrogé par les magistrats, je verrai ce que je fais. Deux ou trois jours après avoir ouvert le dossier de Mme Cahuzac, j’ai rencontré, non pas un agent de recherches privées, mais une personne spécialisée dans les recherches immobilières, à qui j’avais demandé un travail – il n’a pas son pareil pour trouver très vite des informations dans le cadastre et les actes notariés. Dans mon bureau, il a vu des éléments du dossier Cahuzac et il m’a indiqué que d’autres personnes enquêtaient sur le patrimoine de Jérôme Cahuzac.

M. le président Charles de Courson. Cela se passait en octobre 2011 ?

M. Alain Letellier. Oui. De cette personne, on ne pourra rien apprendre d’autre que le nom du cabinet d’avocats qui le mandate : il ne cherche jamais à savoir qui est derrière le cabinet pour lequel il travaille. Moi, si un avocat me mandate et même si c’est lui qui me paye, je veux savoir qui est le client, les tenants et les aboutissants de l’affaire. Lui obéit à une autre règle. C’est quelqu’un que je connais depuis plus de vingt ans.

Il est évident qu’il ne s’agissait pas de ma cliente : elle n’allait pas faire une enquête sur son propre patrimoine. Il y a donc quelqu’un d’autre qui enquêtait sur le patrimoine sur M. Cahuzac en octobre 2011.

M. le président Charles de Courson. Savez-vous qui avait mandaté votre collègue ?

M. Alain Letellier. Non.

M. le président Charles de Courson. Il ne vous l’a pas dit ?

M. Alain Letellier. Il ne me le dira pas ! Il y a à peu près cinq ans, le hasard a fait qu’il intervenait sur un dossier qui concernait l’un de mes clients : ce dernier m’a harcelé pour savoir qui enquêtait sur lui, mais je n’ai jamais eu la réponse.

Toutefois, vu la structure et la méthode de travail, je ne pense qu’il s’agisse d’une agence de recherches privées : nous sommes, je pense, dans le domaine de l’intelligence économique. Des gens sont allés à Singapour, c’est vrai.

M. le président Charles de Courson. Qui ?

M. Alain Letellier. Je n’ai pas de noms, mais ils appartenaient nécessairement au milieu de l’intelligence économique. Je n’ai ni l’envergure ni la structure pour faire ce type d’enquête à Singapour.

M. le président Charles de Courson. Comment l’avez-vous appris ? Par un collègue de Singapour ?

M. Alain Letellier. Non, par la bande, en discutant avec d’autres collègues.

Certains journalistes ont des noms. Par exemple, M. La Bruyère, de Paris Match, sait que des personnes – pas des détectives – sont allées investiguer à Singapour à cette époque.

M. le président Charles de Courson. M. Garnier nous a dit que vous lui aviez dit que vous étiez « filochés ». Est-ce vrai ?

M. Alain Letellier. Non. Dans ce dossier, bien que je m’y attendais, je n’ai jamais reçu aucune menace, ni aucun coup de téléphone anonyme.

M. Alain Claeys, rapporteur. Connaissez-vous maintenant la chronologie des comptes de M. Cahuzac à l’étranger ?

M. Alain Letellier. Non, je ne peux pas vous aider sur ce point. Je n’ai fait que tâter le terrain pour savoir si l’on pouvait avoir des informations. Dans un autre courriel, mon collègue de Genève m’a écrit avec humour que ce n’était pas la peine d’en chercher à l’UBS, parce qu’ils ne voulaient même plus nous donner l’heure ! Cela est maintenant totalement verrouillé, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ou six ans.

Mme Cécile Untermaier. Vous avez dit que lorsque vous avez rencontré Rémy Garnier, en octobre 2012, il espérait beaucoup de sa prochaine entrevue avec M. Cahuzac, et qu’ensuite il avait « tout déballé ». Qu’entendez-vous par là ? Considérez-vous que c’est lui qui s’est vengé de M. Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Oui, c’est le sentiment que j’ai eu. Nous avons passé presque quatre heures avec lui. Nous sommes repartis avec une mine de renseignements : nous avions tous les éléments de ses dossiers !

Mme Cécile Untermaier. C’est une déduction que vous faites suite à l’échec de son entrevue avec M. Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Ce que je dis est étayé par le fait qu’il s’est épanché dans La feuille quelques jours après son rendez-vous avec M. Cahuzac – qui a tourné court.

Mme Cécile Untermaier. C’est ce que veut dire cette phrase ?

M. Alain Letellier. Oui. Comme je vous l’ai dit, si l’on enquête sur Jérôme Cahuzac à Villeneuve-sur-Lot, Rémy Garnier est une personne incontournable.

Mme Cécile Untermaier. Ceci dit, il ne détenait pas l’enregistrement ?

M. Alain Letellier. Non : s’il l’avait eu, comme il nous a tout sorti, je pense que nous l’aurions entendu !

Mme Cécile Untermaier. Malgré des investigations poussées, avec des moyens importants, vous n’avez trouvé aucune information sur un compte à l’étranger à rapporter à Mme Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Non : nous n’étions pas mandatés pour cela et nos investigations n’ont pas été poussées. Je n’ai eu qu’un contact avec un collègue du canton de Genève que je connais depuis vingt ans. J’ai essayé de voir si l’on pouvait trouver quelque chose et cela s’est arrêté là. D’ailleurs, ce n’était pas le souhait de ma cliente, elle avait déjà dans son dossier de quoi se défendre ! Je n’en dirais pas plus.

M. Jean-Marc Germain. Pourriez-vous préciser la chronologie des faits ? Quand avez-vous découvert l’existence de l’enregistrement : est-ce en octobre 2012, lorsque M. Garnier vous en a parlé, ou en décembre 2012, avec la parution de l’article de Mediapart ?

M. Alain Letellier. M. Garnier ne nous a jamais parlé de l’enregistrement. Il nous a dit qu’un aviseur l’avait appelé, peut-être vers 2006 – en tout cas avant qu’il rédige son mémoire –, pour lui signaler que l’intéressé avait un compte en Suisse. Il n’a pas parlé de l’enregistrement.

Mon collègue Florent Pedebas pense que M. Garnier avait écouté l’enregistrement, mais, au fond, on n’en sait rien.

M. Florent Pedebas. Disons que je présume qu’il l’a entendu dès le début, comme moi.

M. Jean-Marc Germain. Et pourquoi n’avez-vous pas partagé cette information importante avec votre collègue ?

M. Florent Pedebas. À l’époque, on n’en parlait pas !

M. Jean-Marc Germain. Vous saviez pourtant que M. Letellier enquêtait sur la situation de M. Cahuzac ?

M. Florent Pedebas. Oui, mais, depuis décembre 2000 ou janvier 2001, je n’en ai jamais parlé à personne.

M. Jean-Marc Germain. Pour quelle raison ?

M. Florent Pedebas. Parce que c’est ainsi.

M. Alain Letellier. Ah ça, quand je l’ai su, je l’ai attrapé ! Mais il est comme cela : c’est un gendarme…

M. Jean-Marc Germain. Avez-vous au moins aiguillé votre collègue vers M. Garnier ?

M. Florent Pedebas. Oui, lorsqu’il cherchait quelqu’un des services fiscaux du Lot-et-Garonne.

M. Jean-Marc Germain. Vous espériez donc que M. Garnier lui parlerait de l’enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Non, pas du tout : je pensais qu’il détenait des informations sur l’affaire privée annexe à l’affaire France Prune. M. Cahuzac était alors intervenu auprès d’autres personnes.

M. le président Charles de Courson. Mais encore ?

M. Alain Letellier. Ce qu’il faut comprendre – et certains journalistes n’ont toujours pas compris, c’est que nous sommes allés voir Rémy Garnier pour un problème privé, lié à l’administration fiscale. Il vous a dit de quoi il s’agissait ! Ensuite, nous avons parlé du reste, mais c’était connexe.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi avoir fait cette démarche auprès de vos collègues en Suisse ?

M. Alain Letellier. Je vous l’ai dit : pour essayer de savoir si l’on pourrait obtenir des informations. Mon collègue m’a répondu par la négative, et cela s’est arrêté là.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand le nom de Dreyfus vous a-t-il été donné ?

M. Alain Letellier. Je ne sais plus exactement, mais le courriel répondant à ma demande est daté du 18 janvier 2012.

M. Jean-Marc Germain. Nous confirmez-vous que des collègues à vous enquêtaient sur l’existence d’un éventuel compte de M. Cahuzac à Singapour ?

M. Alain Letellier. La réponse est dans le courriel que je vous ai lu : « Il y a actuellement quatre agences – en Suisse, il peut s’agir d’importants cabinets d’intelligence économique, comme Kroll ou Pinkerton – qui sont à la recherche de Dreyfus. L’une d’entre elles – pas toi – cherche des sociétés offshore qui auraient été mises en place pour le compte de notables français. »

M. Jean-Marc Germain. Cela ne concernait donc pas directement M. Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Non, cela concernait la panique qui s’est emparée d’UBS quand la législation suisse a changé et qu’elle lui a fallu rapatrier un certain nombre de structures qui lui brûlait un peu les doigts.

M. le président Charles de Courson. Comme nous l’ont expliqué des personnes précédemment auditionnées, par suite de la nouvelle réglementation suisse applicable au 1er janvier 2010, de nouveaux mécanismes ont été mis en place pour dissimuler les comptes : délocalisation à Singapour, trusts – bref, une série de montages juridiques destinés à les protéger.

M. Alain Letellier. C’est tout à fait cela.

M. le président Charles de Courson. L’hypothèse la plus vraisemblable est que Jérôme Cahuzac a fait un aller et retour en Suisse en octobre 2009 – la date a été confirmée par le Président de l’Assemblée nationale, car il avait pris ses billets ici – pour adapter sa situation à la nouvelle réglementation suisse et effectuer les opérations nécessaires. Et Mme Cahuzac le savait.

M. Jean-Marc Germain. Le Canard enchaîné prétend que vous vous êtes trouvé nez à nez avec une deuxième équipe de détectives privés au pied de l’appartement de M. Cahuzac. Est-ce vrai ? Étiez-vous, à votre connaissance, les seuls détectives privés à travailler sur cette affaire ? On a parlé d’autres équipes qui auraient pu être mandatées par des laboratoires pharmaceutiques par exemple.

M. Alain Letellier. Je ne suis pas à 100 % dans les secrets de Mme Cahuzac, mais, à ma connaissance, j’étais à cette époque le seul agent de recherches privées à investiguer sur ces questions.

Il reste que si M. La Bruyère, de Paris Match, qui est un bon journaliste, a publié un rectificatif après avoir écrit que j’étais allé à Singapour, il a maintenu que d’autres équipes y étaient allées.

D’autre part, Hervé Martin, dans Le Canard enchaîné, parle du « Roumain de Singapour ». ça, c’est vrai : en mai 2012, Mme Cahuzac, complètement paniquée, m’a appelé parce qu’un prétendu patient lui avait proposé, moyennant finances, des informations sur le compte de son mari à Singapour, avec les derniers mouvements ; il lui avait laissé deux numéros de téléphone. J’ai reproché à Mme Cahuzac de ne pas l’avoir fait patienter : nous aurions pu lui parler ou prévenir le procureur !

Il y a donc bien une autre équipe qui faisait des investigations sur l’intéressé.

M. le président Charles de Courson. Par qui étaient-ils mandatés, selon vous ?

M. Alain Letellier. Pour aller faire de telles enquêtes à Singapour, il ne pouvait pas s’agir d’une personne physique ; seule une personne morale en avait les moyens.

M. Alain Claeys, rapporteur. En avez-vous parlé avec votre cliente ?

M. Alain Letellier. Oui.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelle fut son explication ?

M. Alain Letellier. Elle était dubitative.

M. Alain Claeys, rapporteur. A-t-elle évoqué une hypothèse ?

M. Alain Letellier. Elle savait que des personnes ne voulaient pas que son mari soit ministre. Elle me l’a toujours dit. D’ailleurs, elle m’a appelé trois jours avant sa nomination – à l’époque, elle ne savait pas s’il serait ministre du budget ou de la santé – pour me dire qu’elle comprendrait très bien si j’abandonnais l’affaire. Je lui ai répondu qu’il n’en était pas question.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ce serait ça, l’explication ?

M. Alain Letellier. Quand on fait une enquête sur le patrimoine et les aspects financiers, c’est qu’on cherche des casseroles pour casser quelqu’un.

M. le président Charles de Courson. Pouvait-il s’agit des services de renseignement français ?

M. Alain Letellier. Écoutez, moi, faisant depuis trente-trois ans ce métier et connaissant depuis deux ans l’ensemble du dossier, je n’ai jamais compris comment il avait pu être nommé ministre ! J’imagine qu’un dossier est transmis au moment de la nomination ?

M. le président Charles de Courson. Non, contrairement à ce que l’on pourrait croire !

M. Alain Letellier. Une cliente suisse m’a dit récemment que tout le monde sur la place de Genève connaissait l’existence du compte de Jérôme Cahuzac !

Mme Cécile Untermaier. Pourtant, vous n’avez pas pu le constater !

M. Alain Letellier. N’oubliez pas, madame la députée, que les enquêtes que j’aurais pu diligenter à l’UBS se seraient toutes soldées par une réponse négative, puisque le compte avait été monté par la structure Reyl et qu’il avait ensuite été transféré à Singapour. On aurait pu faire toutes les enquêtes possibles, on n’aurait rien trouvé.

M. Dominique Baert. Vous dites qu’une deuxième équipe avait été mandatée par une personne morale pour enquêter sur le patrimoine de M. Cahuzac, et que quatre agences – et non des moindres – menaient en Suisse des investigations sur des transferts de comptes appartenant à des notables français. À votre sens, qui ces informations intéressaient-elles au point de dépenser tant d’argent ?

M. Alain Letellier. Je n’ai malheureusement pas de réponse précise à votre question.

M. Dominique Baert. Peut-être des hypothèses ?

M. Alain Letellier. Tout est possible ; des laboratoires pharmaceutiques pouvaient ne pas souhaiter que M. Cahuzac soit ministre de la santé. Ce qui est sûr, c’est qu’il y avait du monde derrière lui qui cherchait à le casser. Je suis désolé, je ne sais pas qui.

On parle parfois d’« officines ». Moi, ce terme me hérisse. Nous sommes surveillés par notre chambre professionnelle, qui a adopté un code de déontologie. Mais c’est vrai que, avant chaque élection importante, nous avons des demandes concernant des personnalités de droite ou de gauche. Cela vient en général de chemins détournés, mais, avec le métier, on les sent venir. Personnellement, je refuse ce genre d’investigations.

Si mon collègue étudiait le patrimoine immobilier et le plan de financement de l’appartement de l’avenue de Breteuil, c’est qu’il y avait un problème – comme l’ont montré les articles publiés depuis lors.

M. Christian Eckert. Monsieur Letellier, vous dites avoir été mandaté par Mme Cahuzac pour faire des recherches sur des sujets d’ordre privé, mais vous avez néanmoins investigué auprès de M. Garnier, qui est un agent du fisc, ainsi qu’auprès d’un de vos confrères en Suisse, toujours sur des questions financières et fiscales. Pourquoi ?

M. Alain Letellier. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je n’ai pas fait d’enquête fiscale.

En décembre 2011, ayant recueilli dans le cadre de mon enquête plusieurs informations, j’ai simplement examiné la possibilité de pousser plus loin certaines investigations. Mais à partir du moment où j’ai eu des réponses négatives, je ne les ai pas diligentées et elles n’ont fait l’objet d’aucun rapport.

M. Georges Fenech. Pourquoi avoir étudié cette possibilité ?

M. Alain Letellier. Parce que ma cliente m’avait demandé de voir si je pouvais avoir quelques informations, tout en me disant qu’elle ne pensait pas que je pourrais en obtenir. Elle savait que c’était mission impossible.

M. Christian Eckert. C’est un peu contradictoire !

M. Alain Letellier. Le courriel est clair : je cherchais un dénommé Dreyfus.

M. Christian Eckert. Est-ce que ce M. Dreyfus est concerné par des questions relevant de la vie privée ?

M. Alain Letellier. Non.

M. Alain Claeys, rapporteur. Pourquoi ? Que vous a-t-elle demandé précisément ?

M. Alain Letellier. De voir au niveau de l’UBS, car elle savait que le compte était là-bas. Elle ne savait même pas qu’il avait été transféré. Elle cherchait à savoir si nous pouvions obtenir des informations dessus.

M. le président Charles de Courson. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous étions dans le cadre d’une procédure de divorce. Sous quel régime étaient-ils mariés ?

M. Alain Letellier. Je ne sais pas. Peut-être en partie sous le régime de la communauté, en partie sous celui de la séparation.

M. Philippe Houillon. C’est soit l’un, soit l’autre !

M. le président Charles de Courson. M. Veil a déclaré qu’une partie du compte avait été alimentée par des versements en espèce depuis la clinique. Il me semble évident que, dans le cadre du divorce, Mme Cahuzac cherchait de quoi obtenir une compensation. C’était assez logique.

M. Christian Eckert. La question n’est pas fondamentale. Toutefois, n’aviez-vous pas précisé que votre mission ne concernait que la vie privée de M. Cahuzac ?

M. Alain Letellier. Au départ.

M. Christian Eckert. Elle a donc été étendue dans un deuxième temps aux aspects financiers liés au divorce ?

M. Alain Letellier. Non, il ne s’agissait que d’obtenir des informations sur un dénommé Dreyfus.

Vous faites la même confusion que les journalistes ! Je suis allé voir M. Garnier pour l’interroger sur une question d’ordre privé, consécutivement à la réception de lettres anonymes par Mme Cahuzac. Il se trouve que M. Garnier est inspecteur des impôts et qu’il avait un dossier fiscal sur l’intéressé, mais ce n’était pas l’objet de notre visite. Cet objet, M. Garnier vous l’a dit lui-même, explicitement !

M. Alain Claeys, rapporteur. Les autres équipes ont-elles rendu visite à M. Garnier ?

M. Alain Letellier. Non.

M. Florent Pedebas. Je ne sais pas. En revanche, tous les journalistes sont ensuite passés chez lui !

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Pedebas, avez-vous rencontré les journalistes de Mediapart ?

M. Florent Pedebas. Oui, ils sont venus me voir à Villeneuve-sur-Lot.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous ne les connaissiez pas avant ?

M. Florent Pedebas. Fabrice Arfi est venu me voir pour la première fois à Toulouse, vers le début janvier 2013.

Mme Cécile Untermaier. Après la publication de l’article ?

M. Florent Pedebas. Oui, bien après. Lui aussi cherchait à savoir qui étaient les autres équipes de détectives.

M. Christian Eckert. Monsieur Letellier, vous dites que la DNIFF a perquisitionné chez vous. Quand était-ce ?

M. Alain Letellier. J’ai noté la date sur mon agenda : le jeudi 14 février 2013.

Il s’agissait d’une visite domiciliaire : on m’a fait remplir un formulaire les autorisant à perquisitionner.

M. le président Charles de Courson. Ce n’était donc pas une perquisition ?

M. Alain Letellier. Ne jouons pas sur les mots : si j’avais refusé, on aurait appelé le procureur Molins, qui aurait envoyé immédiatement une commission rogatoire !

M. Philippe Houillon. Monsieur Letellier, vous avez été mandaté en octobre 2011 par Mme Cahuzac, dans le cadre d’une procédure de divorce, pour une recherche de griefs : c’est ce que vous appelez l’affaire privée. Cela ne nous intéresse pas mais il est vrai que M. Garnier nous en a dit un mot. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi sur une affaire privée, vous allez voir Garnier. Vous a-t-il renseigné ?

M. Alain Letellier. Oui.

M. Philippe Houillon. Il avait donc des éléments sur le sujet ?

M. Alain Letellier. Oui, cela se savait dans son service. Écoutez, je ne veux pas entrer dans le détail de cette affaire privée sordide.

M. Philippe Houillon. Mais a-t-elle un rapport avec notre affaire ?

M. Alain Letellier. Cela a un rapport avec l’intervention de M. Cahuzac et le service du budget à l’époque. Cela concerne le fisc, mais il s’agit d’une affaire privée.

M. Philippe Houillon. J’ai compris à demi-mot que Rémy Garnier n’avait pas digéré que Jérôme Cahuzac soit intervenu – avec efficacité – sur le dossier France Prune.

M. Alain Letellier. En l’occurrence, M. Garnier avait fait son travail.

M. Philippe Houillon. Peut-être, mais cette intervention, dites-vous, recoupait une affaire privée. Or, au même moment, le fisc était saisi, via Michel Gonelle – et cela a traîné sept ans : ce n’est donc pas totalement sans intérêt pour nous.

D’autre part, lors d’une séparation, il y a toujours des discussions sur la liquidation du régime matrimonial, c’est-à-dire sur l’argent. J’ai bien compris que Mme Cahuzac connaissait l’existence du compte en Suisse ?

M. Alain Letellier. Oui.

M. Philippe Houillon. Il pouvait donc y avoir discussion sur la part auquel elle pouvait prétendre dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial.

Connaissait-elle le montant, même approximatif, de ce compte ? Avez-vous jamais évoqué avec elle la somme d’argent à laquelle elle aurait éventuellement droit ?

M. Alain Letellier. Non, elle ne m’a jamais donné de chiffres, et elle ne souhaitait pas d’autre information sur ce compte. N’oublions pas qu’elle a changé quatre fois d’avocat et que chacun a orienté le dossier dans un sens ou un autre.

Si nous sommes allés voir Rémy Garnier, c’est que nous recherchions des éléments sur le passé de M. Cahuzac, pour étayer un comportement.

M. Philippe Houillon. Excusez-moi d’insister, mais le fait qu’il existe un compte en Suisse ne veut pas dire qu’une fortune a nécessairement été déposée dessus. Vous avez dit que, quand on vit un certain nombre d’années avec quelqu’un, on sait nécessairement beaucoup de choses. Connaissait-elle la fréquence d’alimentation de ce compte ?

M. Alain Letellier. Je n’ai eu aucune information à ce sujet.

M. le président Charles de Courson. En tout cas, elle ne pouvait ignorer qu’une partie des honoraires étaient payés en espèces, puisque c’est elle qui gérait la clinique ! Ce n’est pas moi qui le dit, c’est maître Veil, l’avocat de Jérôme Cahuzac.

M. Alain Letellier. Nous l’avons su après.

M. Philippe Houillon. Avez-vous conservé les deux numéros de téléphone laissés par la personne qui a proposé, moyennant rémunération, des informations à Mme Cahuzac ?

M. Alain Letellier. La DNIFF a dû les saisir.

M. Philippe Houillon. À l’époque, aviez-vous essayé d’appeler ces numéros ?

M. Alain Letellier. Mme Cahuzac l’a fait, mais personne n’a répondu.

Un des numéros étant roumain, certains – dont Le Canard enchaîné – sont partis dans des supputations sur un prétendu « Roumain ». Or j’ai appris récemment que ces numéros étaient utilisés par des personnes qui voyagent beaucoup, notamment vers les pays d’Asie du sud-est, parce que cela leur permet de payer moins cher les communications. Ce n’est donc pas forcément un Roumain.

Il y avait un autre numéro de téléphone à carte, mais comme elle n’a pas donné suite immédiatement, l’affaire a tourné court. Il eût fallu battre le fer pendant qu’il était chaud.

M. Philippe Houillon. Il reste que Mme Cahuzac a vu la personne. N’a-t-elle pu l’identifier ?

M. Alain Letellier. Non. Il avait pris rendez-vous prétendument pour une consultation. Il lui a indiqué que, pour une somme modeste – 3 000 euros –, il pouvait lui donner des informations sur le compte et les derniers mouvements faits à Singapour. Cela se passait en mai 2012.

M. Philippe Houillon. Vous avez évoqué une autre personne, que vous connaissez bien, qui enquêtait sur M. Cahuzac, mandatée par un important cabinet d’avocats parisien. Pouvez-vous nous donner son nom ?

M. Alain Letellier. Non, parce qu’il m’a demandé de ne pas le faire. C’est comme le journaliste qui protège ses sources. Je ne peux pas trahir la confiance de quelqu’un que je connais depuis vingt ans.

M. Philippe Houillon. Pouvez-vous au moins nous donner le nom du cabinet d’avocats ?

M. Alain Letellier. Non, parce que je ne le connais pas ; comme je vous l’ai dit, la personne en question n’a pas coutume de donner des informations de ce type.

M. Philippe Houillon. C’est très ennuyeux.

M. Alain Letellier. Si vous le souhaitez, je peux toujours lui demander s’il accepterait de témoigner par écrit, mais cela apportera-t-il vraiment quelque chose à la Commission, dont l’objet est d’enquêter sur d’éventuels dysfonctionnements après le 4 décembre. ?

M. Philippe Houillon. C’est à nous de l’apprécier !

M. le président Charles de Courson. Nous nous demandons qui peut être le mandataire. Vous dites que c’est un institutionnel. Il n’y a que deux possibilités : il s’agit soit d’un service de renseignements français…

M. Alain Letellier. Non.

M. le président Charles de Courson. … soit d’une grande entreprise.

M. Alain Letellier. Oui, à ce niveau, ce sont rarement des personnes physiques.

M. le président Charles de Courson. Qui pouvait avoir intérêt à diligenter une telle enquête ? Vous dites que certaines personnes ne voulaient pas de lui à la santé ou au budget ?

M. Alain Letellier. Non, ce n’est pas cela.

M. Philippe Houillon. On ne voulait pas qu’il entre au Gouvernement, c’est tout !

Vous estimez que quand on connaît le dossier, on se demande comment il a pu être nommé ministre. Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce qui vous paraît d’une si grande évidence qu’il n’aurait pas dû être nommé ministre ?

M. Alain Letellier. Connaissant le dossier depuis octobre 2011, j’ai été étonné que les services de l’État n’aient pas eu connaissance de la situation de l’intéressé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quels services ?

M. Philippe Houillon. Et quelle situation ?

M. Alain Letellier. Mais, du fait qu’il a un compte non déclaré en Suisse depuis 1990 !

Alain Claeys, rapporteur. Il y a quelque chose qui me surprend. Ce compte en Suisse est connu d’un certain nombre de personnes, pour certaines depuis 2001. Comment expliquez-vous que, durant toute cette période, la justice ne soit jamais saisie ?

M. Philippe Houillon. J’ai bien entendu la réponse de M. Letellier, mais permettez-moi encore une fois d’insister.

Vous dites : « Il était pour moi évident qu’il n’aurait pas dû être nommé ministre, compte tenu de ce qu’il y a dans son dossier ». Or tout le monde n’est pas nécessairement au courant de ce que vous avez découvert dans le cadre de votre enquête. Votre raisonnement laisse entendre que ce que vous avez appris ne pouvait être ignoré de personne. Qu’y a-t-il dans ce dossier qui vous permette de dire cela ?

M. Alain Letellier. Ce que je dis tient compte de tous les éléments que j’ai réunis pendant presque deux ans, et notamment des déclarations et du mémoire de Rémy Garnier de 2008. Si les services de renseignement de l’État font correctement leur travail, cela doit être noté quelque part !

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Pedebas, il semblerait qu’à Villeneuve-sur-Lot, on fasse tout à l’envers.

M. Florent Pedebas. C’est vrai, je suis d’accord avec vous !

M. Alain Claeys, rapporteur. D’abord, pendant plus de dix ans, la justice n’est pas saisie. Pourquoi ?

M. Florent Pedebas. Je pense que ceux qui, comme moi, avaient entendu cette conversation sur le téléphone de M. Gonelle ont pensé que le compte de M. Cahuzac pouvait très bien être déclaré. Si tel avait été le cas, c’eût été de la dénonciation calomnieuse. Nous n’avions aucun moyen de vérifier ce qu’il en était.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ensuite, au lieu de saisir les services fiscaux directement, on le fait de manière détournée.

M. Florent Pedebas. Moi, depuis le moment où j’ai entendu l’enregistrement, en décembre 2000 ou en janvier 2001, jusqu’à décembre 2012, je n’en ai parlé à personne !

M. Alain Letellier. Pas même à moi !

M. Alain Claeys, rapporteur. N’en a-t-on jamais parlé à Villeneuve-sur-Lot pendant dix ans ?

M. Florent Pedebas. On en a parlé au moment de la campagne de M. Bruguière.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Bruguière a parlé de l’enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Non, mais il se dit que M. Bruguière avait demandé une copie de l’enregistrement sauvegardé par Michel Gonelle.

M. le président Charles de Courson. Cela, c’est un fait, mais M. Bruguière prétend qu’il ne l’a pas écouté et qu’il l’a jeté.

M. Florent Pedebas. Qui va le croire ?

M. Christian Eckert. Pourriez-vous préciser les choses ? Au moment de la campagne de M. Bruguière, on parlait de l’enregistrement de M. Gonelle ?

M. Florent Pedebas. Oui : je ne sais pas comment M. Bruguière avait eu vent de l’enregistrement, mais il en avait demandé une copie à Michel Gonelle.

M. Christian Eckert. En 2007, il se racontait à Villeneuve-sur-Lot que M. Gonelle possédait un enregistrement de M. Cahuzac dans lequel ce dernier évoquait un compte en Suisse ?

M. Florent Pedebas. Non, cela, on vient de l’apprendre maintenant.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai du mal à vous comprendre. Vous êtes collègues, vous êtes tous les deux membres de votre chambre professionnelle, quand vous êtes en congrès à Nîmes, vous parlez à un de vos collègues suisses de cette histoire de compte…

M. Alain Letellier. Permettez-moi de vous interrompre, madame la députée : d’abord, M. Pedebas n’était pas à Nîmes ; ensuite, nous n’avons commencé à parler ensemble du dossier que lorsque nous sommes allés voir M. Garnier ; enfin, j’ai demandé à mon collègue suisse des éléments non sur le compte, mais sur le dénommé Dreyfus.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il reste qu’ensuite, vous allez voir ensemble M. Garnier, qui vous parle du compte en Suisse. À aucun moment, M. Pedebas ne révèle qu’il a entendu cet enregistrement ?

M. Florent Pedebas. Non, jamais.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je ne peux pas le croire !

M. Alain Letellier. M. Pedebas est un gendarme de formation, lieutenant de réserve ; il cloisonne tout et il est muet comme une tombe. Vous pouvez lui confier un secret, il n’en parlera jamais ! Il a toujours été comme cela.

Mme Marie-Christine Dalloz. Mais, il fait le même métier que vous ! Il aurait pu vous aider à faire progresser votre enquête !

M. Alain Letellier. Mais cela ne m’aurait pas aidé ! J’aurais répété à ma cliente qu’il existait un enregistrement, mais je ne l’aurais pas eu pour autant.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’affaire serait sortie plus tôt !

M. le président Charles de Courson. Il s’agit en effet de la seule preuve matérielle existante ; c’est ce qui a permis l’ouverture de l’enquête préliminaire.

M. Alain Letellier. Mais qui a donné l’enregistrement à M. Arfi ? C’est moi qui ai trouvé Rémy Garnier le premier ; Fabrice Arfi, qui enquêtait sur les relations entre les deux anciens ministres du budget, est arrivé trois semaines ou un mois après.

M. Daniel Fasquelle. Le manque de curiosité de Mme Cahuzac me surprend. Dans le cadre d’un divorce, on a intérêt à connaître la réalité du patrimoine du couple et de chacun de ses membres. L’existence du compte, l’origine des fonds qui l’ont alimenté, étaient donc pour elle des informations importantes. Comment expliquez-vous qu’elle ne vous ait pas incité à pousser votre enquête ?

M. Alain Letellier. Elle savait que je n’avais ni la structure ni l’envergure pour le faire. En outre, elle était persuadée, après ce que lui avait dit son mari au retour de son voyage, que cela ne mènerait à rien. D’ailleurs, si l’on avait cherché un compte à l’UBS, on ne l’aurait pas trouvé, puisqu’il était chez Reyl, qui avait tout transféré à Singapour.

M. Daniel Fasquelle. Il y a eu cette personne qui lui propose des informations sur ce compte à Singapour. A plusieurs reprises, elle a eu la possibilité d’en obtenir. Si elle savait que cela dépassait vos moyens, pensez-vous qu’elle ait pu faire appel à une autre structure ?

M. Alain Letellier. Je ne peux pas répondre. Elle était libre de faire ce qu’elle voulait.

M. Georges Fenech. Comment avez-vous eu connaissance du transfert des avoirs de l’UBS à Reyl ?

M. Alain Letellier. Grâce à la lecture des articles que je fais depuis le 4 décembre.

M. Georges Fenech. Mais vous ne le saviez pas auparavant ?

M. Alain Letellier. Non. C’est d’ailleurs pour cela que j’avais demandé à mon collègue de faire une recherche.

M. le président Charles de Courson. Je voudrais revenir sur un point : l’affaire privée dont vous parlez avait-elle une incidence fiscale ?

M. Alain Letellier. Non. On pense, à tort, que si je suis allé voir Rémy Garnier, c’est pour avoir des informations financières, alors que ma visite avait pour objet celui que je vous ai dit et une autre affaire privée sur Villeneuve-sur-Lot.

M. Philippe Houillon. Je réitère ma demande : pourriez-vous nous dire qui est votre collègue, pour que l’on sache dans quel cadre il travaillait ?

M. Alain Letellier. Non, car il a réitéré pas plus tard qu’hier son souhait de ne pas apparaître nommément. Je lui en ai donné ma parole. Si le juge me le demande, je lui répondrai – mais je préviendrai la personne avant.

M. Jean-Marc Germain. Votre collègue pourrait-il, sans nous révéler son nom, nous dire pour quelle structure il travaillait ? Vous avez proposé de servir d’intermédiaire.

M. Alain Letellier. Je m’engage à le lui demander – mais il ne vous donnera pas le nom du mandant.

M. Gérald Darmanin. Nous avons déjà eu ce problème avec M. Garnier qui ne voulait pas nous donner le nom de son contact au sein de l’administration fiscale. Mais, nous avons fini par le trouver.

M. le président Charles de Courson. Cela m’a pris une quinzaine de jours, car au départ j’avais trois noms possibles.

M. Gérald Darmanin. Monsieur Letellier, vous êtes auditionné par une Commission d’enquête parlementaire, et le président vous a fait prêter serment, non de ne pas mentir, mais de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Vos engagements moraux vous honorent, mais vous êtes ici devant les représentants du peuple – et il me semble que ceux-ci sont au moins aussi légitimes que l’autorité judiciaire pour être renseignés sur ce point.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Letellier, je vous saurais gré de contacter cette personne et de nous dire ce qu’il en est.

M. Alain Letellier. Je m’engage à le faire rapidement.

M. le président Charles de Courson. Messieurs, nous vous remercions.