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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 19 novembre 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 19 novembre 2014

La séance est ouverte à seize heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. le président Patrick Bloche. Nous accueillons Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche, pour évoquer la rentrée universitaire. Après nos échanges lors de la récente discussion budgétaire, cette audition est l’occasion de revenir sur l’application de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR). Avant de vous céder la parole, je souhaite vous interroger sur trois sujets d’actualité.

D’abord, je souhaiterais que vous précisiez les modalités de mise en œuvre de la spécialisation progressive des études pour le cursus de licence, qui doit permettre de lutter contre l’échec en première année et faciliter les réorientations, faisant ainsi écho à la préoccupation des membres de la Commission quant à la réussite de tous les étudiants durant le premier cycle universitaire.

Ensuite, après les échanges passionnés auxquels ont donné lieu l’usage du français dans les établissements d’enseignement supérieur et le désormais célèbre article 2 de la loi ESR, quelle est la doctrine du ministère sur un sujet qui demande de conjuguer le respect d’un principe auquel nous sommes tous attachés et l’attractivité de nos établissements ?

Enfin, après la médiatique mobilisation de la Conférence des présidents d’université (CPU), pouvez-vous nous indiquer quelle sera la dotation de l’État aux établissements au quatrième trimestre ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je souhaite aborder trois points : les enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche pour cette rentrée, le budget qui s’y rapporte, et le bilan de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE).

L’objectif pour cette rentrée demeure l’élévation du niveau de qualification du plus grand nombre d’étudiants. C’est une nécessité non seulement pour ouvrir des horizons aux jeunes, mais aussi parce que, face à la crise économique, le fossé se creuse entre eux selon leur niveau de diplôme.

L’étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) de mars dernier, réalisée sur un échantillon de 700 000 jeunes de la génération 2010, montre qu’en 2013, un jeune sur deux non diplômé est en recherche d’emploi, soit une hausse de seize points par rapport à la génération 2004. En revanche, les diplômés bac+5 et plus sont moins touchés par la crise, la durée de la période d’inactivité restant inchangée. Le diplôme apparaît donc comme une protection, un rempart contre le chômage. Dès lors, les pouvoirs publics doivent accompagner les jeunes le plus loin possible dans leurs études.

On peut raisonnablement espérer atteindre notre objectif d’amener 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence en agissant sur plusieurs déterminants. Tout d’abord, il faut absolument lever les freins sociaux à l’accès à l’enseignement supérieur : les conditions de vie des étudiants sont un élément essentiel de leur réussite. Deux mesures fortes répondent à cette ambition : l’attribution de 77 500 bourses supplémentaires, destinées aux plus modestes mais aussi aux classes moyennes, qui viennent s’ajouter aux bourses supplémentaires allouées l’année dernière, portant à plus de 140 000 le nombre d’étudiants bénéficiaires de bourses en deux ans ; la généralisation de la caution locative étudiante par laquelle l’État se porte garant pour tout étudiant de moins de vingt-huit ans recherchant un logement.

Ensuite, nous souhaitons améliorer l’orientation et la pédagogie. En matière d’orientation, la nécessité d’une articulation entre le lycée et l’université, qui est affirmée dans la loi ESR, trouve sa traduction dans le dispositif bac-3/bac+3. Afin d’assurer cette continuité, garante de choix d’orientation mûris et non par défaut, nous comptons également sur les mécanismes d’orientation prioritaire, que nous avons mis en place pour les bacheliers professionnels et technologiques, vers les sections de techniciens supérieurs (STS) et les instituts universitaires de technologie (IUT). Nous avons enfin travaillé à la diffusion de bonnes pratiques en matière de réorientation pendant le premier cycle universitaire. Il ne faut pas avoir peur de la réorientation ; il faut, au contraire, multiplier les passerelles qui la permettent.

En matière de pédagogie, le numérique est l’un des grands chantiers de la rentrée. Il représente une opportunité pour développer les savoirs et transformer les modes de transmission des connaissances. Je signale la mise en œuvre du plan France Université Numérique (FUN), le développement des MOOCs (massive open online courses, formation en ligne ouverte à tous) et le lancement, avant la fin de l’année, de l’appel à projets pour les initiatives d’excellence en formations innovantes (IDEFI) numériques dans le cadre du programme d’investissements d’avenir.

Enfin, nous entendons continuer à faire de l’enseignement supérieur un lieu de transformation de la société et de l’économie. Nous avons mis en place les pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (PEPITE) dans chaque site universitaire, afin d’accompagner les étudiants et de les former à innover et à entreprendre. Ce dispositif, très attendu par les étudiants, rencontre déjà un grand succès. Nous avons parallèlement créé un nouveau statut d’étudiant-entrepreneur qui permet de mener de front études et projet d’entreprise. Celui-ci garantit le maintien du statut d’étudiant et de ses protections pendant les premiers pas du projet.

Le budget pour 2015 permet de répondre au mieux aux enjeux que je viens d’évoquer, en dépit du contexte économique. Le Gouvernement poursuit ses efforts en faveur de l’amélioration de la vie étudiante dont il a fait sa priorité. Les crédits augmentent ainsi de 45 millions d’euros par rapport à 2014. Au total, ce sont 458 millions d’euros qui sont consacrés aux aides aux étudiants sur critères sociaux, soit près des deux tiers de l’augmentation du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 2012.

La baisse du budget alloué à la recherche est limitée, confirmant notre volonté de préserver au maximum ce secteur. La priorité donnée à l’emploi scientifique est maintenue : nous respectons l’engagement de remplacer chaque chercheur partant à la retraite. Les universités connaissent une diminution inévitable de leur budget. J’insiste néanmoins sur le caractère conjoncturel de cette baisse, d’une part, et sur son caractère ciblé et limité, d’autre part. Cette diminution affectera les universités disposant de fonds de roulement importants. Pour objectiver le choix, nous avons confié à une mission d’inspection le soin d’identifier les universités susceptibles d’être mises à contribution.

Enfin, nous pouvons nous satisfaire qu’un an après la réforme, chaque académie soit dotée d’une ESPE malgré des délais de mise en œuvre serrés. La mise en place de ces écoles répond à la double volonté de remettre le geste professionnel au cœur de la formation des enseignants et de placer les ESPE au sein des universités, afin de renforcer le lien entre la pédagogie et la recherche. Notre souhait est de faire en sorte que les méthodes pédagogiques s’appuient davantage qu’elles ne le font aujourd’hui sur les résultats des recherches. Les enseignants en devenir doivent aussi être formés à voir évoluer leurs pratiques et à les évaluer.

Dès la première année, ce sont plus de 25 000 jeunes qui sont entrés dans cette nouvelle formation. Ces chiffres témoignent d’un regain d’intérêt pour le métier d’enseignant, qui se confirme cette année : le nombre d’inscrits aux concours des métiers de l’enseignement a considérablement augmenté ; pour les concours du premier degré, il a progressé de 72 % entre 2013 et 2015.

Néanmoins, plusieurs points substantiels méritent encore notre attention. Il n’y a là rien d’anormal compte tenu de la nouveauté de ces établissements. Nous souhaitons améliorer encore le tronc commun en master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF) pour en faire le maillon fort de la nouvelle formation des enseignants. Nous comptons également progresser dans la formation des formateurs ; nous avons créé deux statuts, celui de professeur des écoles maître formateur pour le premier degré et celui de professeur formateur académique pour le second degré. Nous devons, en outre, veiller à donner toute sa place à la recherche au sein des ESPE, notamment grâce à la mise en place du mémoire. Enfin, les ESPE doivent s’adapter davantage à la diversité des profils des lauréats. Cela fut l’une des principales difficultés de cette rentrée, mais les ESPE ont prouvé leur capacité dans ce domaine.

En résumé, nous faisons en sorte d’améliorer les conditions de vie des étudiants, de préserver le budget et de faire progresser les ESPE afin qu’elles remplissent leur mission prioritaire de redonner une formation aux futurs enseignants.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les décrets d’application de la loi ESR ont, pour la plupart, été pris. Les dispositions que vous avez votées peuvent ainsi être mises en œuvre, certaines l’ayant déjà été de manière anticipée.

La politique du Gouvernement en matière d’enseignement supérieur et de recherche repose sur deux piliers : la réussite pour le plus grand nombre, d’une part, et l’excellence de la recherche, avec des moyens préservés, d’autre part.

Initialement en hausse de 45 millions d’euros pour 2015, le budget, qui, avec 23 milliards d’euros, est le troisième de l’État, subit, à l’issue de la discussion du projet de loi de finances, une baisse de 65 millions d’euros. Cette baisse doit néanmoins être relativisée.

Notre action s’appuie sur un constat désespérant : l’enseignement supérieur, loin d’atténuer les inégalités sociales, les accentue, et ce d’autant plus fortement que les jeunes avancent dans les études. Nous avons donc fait de la lutte contre cette aggravation insupportable des clivages sociaux notre priorité, tout en préservant les moyens dévolus à la recherche.

Alors que 23 % de la population active sont considérés comme modestes, les étudiants issus de cette catégorie sont représentés à 12 % en première année, 9 % en master et 5 % en doctorat. Nous ne parvenons pas à diversifier socialement l’accès aux études supérieures. C’est la raison pour laquelle l’augmentation de 658 millions d’euros des crédits depuis 2012 a prioritairement été consacrée aux aides sur critères sociaux – 458 millions d’euros leur ont été dévolus. En concertation avec les étudiants, les critères ciblent les étudiants des classes moyennes modestes, les étudiants les plus précaires et les jeunes en rupture familiale. Parmi les 135 000 nouveaux boursiers en deux ans – 75 000 cette année, 55 000 l’an dernier –, les étudiants des classes moyennes bénéficient de 1 000 euros, les étudiants les plus précaires voient les bourses revalorisées de 28 % et les jeunes en situation d’autonomie avérée profitent de 2 000 bourses de 4 000 à 5 500 euros.

Avec 42 % aujourd’hui, nous sommes encore loin de l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence. Pour l’atteindre, nous devons nous adresser à l’ensemble des bacheliers : le nombre de bacheliers technologiques, qui représente 20 % des bacheliers, a tendance à diminuer, celui des bacheliers généraux est stable, à 49 %, mais celui des bacheliers professionnels, à 30 %, ne cesse d’augmenter. Or ils ne sont pas préparés à réussir à l’université. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons faciliter l’orientation prioritaire de ces bacheliers vers les STS, afin d’éviter que l’université soit un choix par défaut. Le nombre de bacheliers professionnels accueillis en STS a ainsi augmenté de 11 % en deux ans. Leur arrivée par défaut à l’université rend la tâche difficile aux enseignants et participe du massacre social en condamnant ces étudiants à l’échec, faute de préparation. Ces derniers, souvent issus de familles modestes, ont 60 % de chances de réussite en BTS contre 3,5 % de chances d’obtenir une licence en trois ans. Il faut donc à la fois les accueillir dans de meilleures conditions à l’université – prévoir, par exemple, des licences en quatre ans – et continuer à augmenter leur nombre en STS. Les baccalauréats professionnels ont été mis en place à une période où les industries avaient besoin d’une main-d’œuvre de niveau bac. Aujourd’hui, elles cherchent à recruter des jeunes plus qualifiés pour favoriser l’innovation et la compétitivité. Il faut s’adapter à cette évolution. Or un bachelier sur deux seulement poursuit des études après un bac professionnel.

L’innovation pédagogique passe par le numérique, mais le numérique n’est pas une fin en soi, c’est un accélérateur d’innovation. Les MOOCs sont les supports des classes inversées qui permettent, dans les premiers cycles, de remplacer les cours magistraux par un enseignement plus interactif et plus personnalisé à l’intention de petits groupes mieux préparés. Ces classes rencontrent un grand succès.

Nous souhaitons favoriser le rapprochement entre les entreprises et les universités, sans brutalité et sans que quiconque perde son âme. Seuls 12 % des cadres de la recherche en industrie détiennent un doctorat. Les entreprises préfèrent engager des étudiants issus des grandes écoles. Pourtant les innovations de rupture sont mises au point par les doctorants académiques, car ils sont au plus près de la recherche fondamentale.

Ce rapprochement est l’un des objectifs des regroupements universitaires et scientifiques. Sur les vingt-cinq ensembles constitués, vingt l’ont été sous forme de communauté d’université et d’établissements (COMUE) et cinq sous la forme d’association. Ces ensembles doivent définir sur le terrain une stratégie de développement à laquelle contribuent les organismes de recherche, les universités et les écoles, et être ouverts au dialogue avec le milieu socio-économique. Il ne s’agit pas d’une structure supplémentaire mais d’un organisme vivant qui offre une meilleure visibilité tout en conservant l’agilité des structures qui le composent.

Nous cherchons à valoriser l’esprit d’entrepreneuriat au sein des PEPITE, qui sont installées depuis deux ans au sein des universités. Sur les 30 % d’étudiants désireux de créer leur activité, seulement 3 % le font contre 25 % aux États-Unis. Pour quelle raison ? Parce que dans le système universitaire, la création d’entreprise n’est ni reconnue, ni encouragée, ni accompagnée. Le statut d’étudiant-entrepreneur est censé y remédier en prenant en compte l’effort d’entrepreneuriat dans le diplôme. En outre, l’étudiant bénéficie d’un double tutorat, celui de l’enseignant et des structures d’incubation ainsi que celui d’un cadre d’entreprise. Personne n’est obligé de monter son entreprise, contrairement à ce que j’ai pu lire, mais ceux qui souhaitent le faire y sont incités et sont accompagnés pendant encore un an après l’obtention de leur diplôme. Nous visons 20 000 reprises ou créations d’activité dans les quatre ans à venir : c’est tout à fait faisable, puisque nous en sommes déjà à 8 000.

Ces mesures font partie du grand plan FUN, qui regroupe aujourd’hui la plupart des universités. Dans ce même cadre, nous avons désormais cinquante-quatre MOOCs. 400 000 personnes – des étudiants, des personnes en formation continue, voire des gens de la société civile qui souhaitent simplement se cultiver – sont inscrites à ces cours. Nous entrons dans la société de la connaissance : cela ne veut pas dire une société avec les sachants et les autres, bien au contraire ; cela veut dire une société où l’on doit partager le savoir pour que chacun comprenne mieux les enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Nos efforts d’ouverture vers l’extérieur et de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur ne doivent pas se traduire par une baisse du niveau de l’enseignement et de la recherche. Au contraire, il est plus que jamais nécessaire de rechercher l’excellence : il faut tenir les deux bouts de la chaîne.

Nous avons beaucoup travaillé sur l’insertion professionnelle des docteurs. Aujourd’hui, la moitié des docteurs académiques travaillent dans la recherche publique ; or c’est le privé qui finance 62 % de l’ensemble des efforts de recherche, et il n’y a que 12 % de docteurs académiques parmi les cadres de recherche des entreprises. Ce hiatus ne s’explique que par la méconnaissance par l’entreprise de la nature d’un doctorat, ce que démontre le dispositif CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche) qui rassemble 4 300 doctorants. Ceux-ci travaillent en quelque sorte en alternance, pour moitié dans les grands groupes et pour moitié dans des entreprises de plus petite taille. 75 % de ces docteurs sont ensuite embauchés dans les entreprises, ce qui montre bien que les docteurs académiques sont très appréciés dès lors qu’ils sont connus des entreprises. Il faut donc opérer un décloisonnement, chacun oubliant ses préjugés. Nous avons encore signé dernièrement un accord-cadre avec Schneider Electric, ainsi qu’avec certaines branches professionnelles, pour favoriser l’embauche en plus grand nombre de docteurs académiques. Comme l’a bien montré le rapport d’Emeric Bréhier, les docteurs ne peuvent avoir pour seul débouché la recherche publique.

L’attractivité de nos universités et de nos organismes de recherche n’a cessé d’augmenter, malgré les messages alarmistes que l’on peut lire dans la presse. Nous sommes le pays d’Europe où le nombre de jeunes diplômés qui partent à l’étranger est le plus faible ! À l’inverse, notre solde net de personnes qualifiées est le plus élevé d’Europe : il s’élève à 900 000 personnes. Nous sommes en effet, après l’abrogation de la circulaire Guéant, redevenus le troisième pays d’accueil d’étudiants étrangers ; 41 % de nos doctorants sont étrangers, comme 31 % des chercheurs au CNRS. C’est une excellente chose : la connaissance n’a pas de frontières, et la recherche est aujourd’hui entièrement mondialisée. Il faut nous réjouir que des jeunes démarrent leur parcours professionnel en partant à l’étranger, au moment où ils ont peu de contraintes familiales : ils reviennent – il faut, certes, leur permettre de le faire – riches de cette expérience.

La dernière médaille Fields est, je le rappelle, franco-brésilienne : Artur Avila, après sa thèse au Brésil, a choisi de venir faire de la recherche en France. N’ayons pas peur ! Notre enseignement supérieur, notre recherche rayonnent. Jamais nous n’avons eu autant de prix
– prix Nobel, prix Lasker, médaille Fields… Le Gouvernement ne s’en prévaut pas, mais s’en réjouit néanmoins. Et la coopération internationale est fortement présente dans ces prix. Il n’y a donc aucune raison de désespérer, loin de là.

La bonne recherche aujourd’hui est décloisonnée ; la recherche fondamentale bénéficie à la recherche technologique, et inversement. Les dernières prouesses spatiales européennes l’ont encore montré, comme d’ailleurs les dernières récompenses dans le domaine de la santé : il n’y a pas de frontières.

Voilà le message positif que je veux vous adresser.

Mme Sandrine Doucet. Quel plaisir, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, d’énoncer vos titres au féminin ! C’est un vrai changement, et ce n’est pas le seul.

À la rentrée universitaire 2014, 2,46 millions d’étudiants sont inscrits, soit une augmentation de 1,5 %. Ces générations sont confrontées à de grands défis, notamment celui de l’emploi.

Vous avez rappelé l’objectif européen de la moitié d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. Or il y a encore trop d’échecs à l’université ; peu de politiques ambitieuses avaient jusqu’ici été mises en œuvre pour y remédier. Ces échecs entraînent une perte de confiance et de temps, mais aussi une perte d’argent pour ces étudiants qui n’ont jamais autant travaillé pour subvenir à leurs besoins, comme pour leurs parents qui n’ont jamais autant dépensé pour les études de leurs enfants. Seuls 55 % des étudiants obtiennent une licence en trois ans, et 16 % sortent du système sans diplôme. C’est là, vous l’avez dit, la question de l’orientation qui est posée.

La loi de refondation de l’école comme la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche ont porté haut l’ambition de la démocratisation. Une grande importance a en particulier été accordée au dispositif bac-3/bac+3, qui permet de mieux articuler enseignement secondaire et études supérieures. Des quotas ont également été instaurés pour l’accueil des bacheliers professionnels en STS et des bacheliers technologiques en IUT. Les résultats sont probants : le nombre de bacheliers professionnels a augmenté cette année de 10 % dans les STS, et le nombre de bacheliers technologiques a augmenté de 7 % en IUT.

Pourrez-vous nous fournir des données plus précises, par académie et par filière, pour apprécier ces évolutions ? Cela permettrait de dessiner des perspectives.

J’ai présenté, il y a quelques jours, un rapport qui montre le grand intérêt pour la réussite des étudiants des dispositifs de découverte mis en place en coopération avec les lycées. Comment développer ces projets, dans quel cadre et avec quels moyens ? Quelle marge d’initiative faut-il laisser aux établissements ?

Comment s’articulent la question des moyens alloués aux établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche et celle de la mise en place des COMUE ?

Les étudiants se sont inquiétés de hausses possibles des frais d’inscription. Madame la secrétaire d’État, vous aviez précisé que le Gouvernement s’engageait à limiter l’augmentation des frais d’inscription à 0,7 % pour la rentrée 2014, chiffre inférieur à l’inflation. Comment pouvez-vous rassurer à nouveau les étudiants, tant sur la question des frais d’inscription que sur tout autre moyen de sélection qui viendrait contredire notre volonté d’un haut niveau d’exigence en faveur de la démocratisation ? Alors que celle-ci piétine en Europe – dans les universités madrilènes, les frais s’élèvent maintenant à 4 000 euros par an en première année et, dans les universités anglaises, les contrats zéro heure s’étendent –, je salue votre volonté de mettre en avant l’ouverture au plus grand nombre et la consolidation des parcours universitaires.

M. Xavier Breton. Je commence par vous demander d’excuser mes collègues Frédéric Reiss et Patrick Hetzel, dont la région d’origine est fortement concernée par le projet de loi sur les régions actuellement débattu en séance publique. Mme Dominique Nachury doit, quant à elle, se rendre à une réunion du comité de suivi de la loi de refondation de l’école.

Je ne reviens pas sur les débats budgétaires récents et sur la baisse des crédits.

La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche se donnait pour objectif le développement de l’alternance dans l’enseignement supérieur, où cette excellente voie d’accès à l’emploi est aujourd’hui sous-utilisée, principalement par manque d’information : un quart seulement des étudiants sont concernés, avec de grandes différences entre universités. Comment le Gouvernement compte-t-il agir pour développer l’alternance après le baccalauréat ?

Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué la promotion de l’esprit d’entreprise. Disposez-vous d’un premier bilan quantitatif ? Le statut national d’étudiant-entrepreneur rencontre-t-il le succès ?

Madame la ministre, vous avez dressé un bilan flatteur de la mise en place des ESPE. Le rapport de l’inspection générale est beaucoup plus nuancé, pointant « une mise en œuvre laborieuse et complexe » et insistant notamment sur les insuffisances des liens avec le terrain. Quelles actions entendez-vous mener pour renforcer ces liens ?

Je laisse à ma collègue Virginie Duby-Muller le soin de vous interroger sur la suspension, reportée, des bourses au mérite, pourtant réservées aux étudiants déjà boursiers, et donc absolument pas destinées à des familles aisées.

Le dispositif Admission post-bac (APB) apparaît très complexe à tous, et constitue une grande source de stress pour tous les futurs bacheliers et leurs parents. Une simplification est prévue : où en est-on ?

Enfin, j’aimerais poser la question du lien entre l’enseignement supérieur et les territoires. Ne se dirige-t-on pas aujourd’hui vers un modèle à deux vitesses, avec, d’un côté, des universités de dimension européenne et internationale, et, de l’autre, des antennes régionales déconnectées de la recherche ? La perspective des nouveaux contrats de projets État-région provoque de grandes inquiétudes, puisque les crédits qui y seront prévus pour l’enseignement supérieur et la recherche vont connaître une baisse drastique. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? De même, les crédits de fonctionnement des pôles de compétitivité vont diminuer en 2015 : là aussi, on risque une évolution à deux vitesses.

Nous allons bientôt débattre du projet de loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Quelles seront les conséquences de cette loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, notamment dans les rapports entre l’État et les régions ?

Mme Isabelle Attard. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, je vous ai présenté, il y a deux semaines, quelques cas concrets de la misère des personnels de la recherche publique française. Je n’avais pas eu le temps de citer tous mes exemples : en voici de nouveaux.

J’ai reçu le témoignage d’une doctorante en phytopathologie qui enseigne devant des groupes de plus de quarante étudiants et qui constate que les étudiants motivés sont noyés dans la masse. Des membres d’un laboratoire de génétique m’ont signalé l’abandon d’une salle de microbiologie : leurs paillasses sont inutilisables depuis que le transformateur de la salle est occupé par des pigeons. Ces exemples ne sont pas des dysfonctionnements ponctuels, comme il peut en survenir dans n’importe quelle organisation ; ce sont des situations durables et installées.

Vous avez proposé, il y a deux semaines, de sortir rencontrer des membres de Sciences en marche pour entendre leur parole ; aujourd’hui, ils sont plus près encore, au premier bureau, trois étages au-dessus de nous. Ils nous regardent en ce moment, et je vous invite à nouveau à les rencontrer pour entendre la réalité de leur quotidien et de leurs souffrances.

Le désespoir des personnels de la recherche publique tient à l’absence d’amélioration à court comme à long terme. Vous leur avez annoncé quelques années difficiles, leur demandant de serrer les dents, mais en attendant quoi ? Quelles sont les perspectives d’amélioration de leur triste sort ? Concrètement, que comptez-vous faire pour remédier à ces situations qui anéantissent l’avenir de notre pays ? Vous ne me parlerez pas à nouveau, j’espère, du nombre de postes ouverts : vous savez aussi bien que moi qu’ils n’ont aucune existence réelle.

Il eût été si simple de plafonner le crédit d’impôt recherche (CIR), dont l’effet d’aubaine est amplement démontré. Vous l’avez dit, et c’est vrai, 80 % des entreprises bénéficiaires sont des PME. Mais les multinationales empochent l’immense majorité des milliards d’euros de cette niche fiscale. La vingt-cinquième section du Conseil national des universités (CNU) l’a dit : moins de 2 % du CIR suffirait à boucler le budget des universités. C’est donc par choix politique que l’argent de la recherche est donné au privé.

Vous vous battez, madame la secrétaire d’État, et vous nous l’avez montré, pour augmenter le nombre d’étudiants et leur faciliter l’accès aux études supérieures. C’est vrai : vous avez créé la bourse de niveau zéro plus et vous essayez d’améliorer les conditions de vie estudiantines. Mais comment ces jeunes gens suivront-ils un parcours universitaire avec des professeurs en contrat précaire – dont certains sont payés au noir, comme par exemple à l’université Lyon 2 – et dans des amphis non chauffés ? Est-ce là l’enseignement supérieur que nous voulons pour la France ?

J’aimerais également que vous nous expliquiez l’accord conclu par votre ministère, en secret, avec l’éditeur de revues scientifiques Elsevier, pour 172 millions d’euros sur cinq ans. Voici comment fonctionnent les publications d’articles scientifiques : les chercheurs cherchent et écrivent des articles ; ils sont en très large majorité payés par de l’argent public. Ils envoient ces articles à des revues, qui les envoient à des comités de lecture, composés d’autres chercheurs ; ces derniers évaluent l’intérêt de l’article, non pas de manière bénévole, mais sur leur temps de travail, c’est-à-dire grâce de nouveau à de l’argent public. Ces articles sont ensuite publiés dans des revues, qui sont vendues à des bibliothèques universitaires ou à des laboratoires, donc à nouveau payées par de l’argent public. Quatre éditeurs seulement se partagent ce marché : Elsevier, Springer, Wiley, Informa. Ils dégagent tous des marges de 32 % à 41 %, soit des dizaines voire des centaines de millions d’euros.

Pourquoi cet accord a-t-il été signé sans appel d’offres public ? Avez-vous envisagé une évaluation de la recherche qui ne passerait pas par ces revues dites qualifiantes ? L’Allemagne a fixé à un an l’exclusivité des éditeurs de revues : comptez-vous faire de même ?

Enfin, nous aimerions connaître votre position sur les logiciels libres et les formats ouverts. La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche dispose que « le service public de l’enseignement supérieur met à disposition de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques », et que « les logiciels libres sont utilisés en priorité ». L’association April a lancé, il y a quelques jours, un appel pour l’interopérabilité dans l’éducation nationale ; celui-ci a déjà reçu le soutien de plus de 3 000 personnes et de plus de 100 organisations, dont des syndicats. Ces principes sont importants : favoriser le logiciel libre et l’interopérabilité, c’est aider les étudiants et les personnels à faire des économies ; c’est améliorer la sécurité de leur système informatique ; c’est surtout leur garantir que les documents réalisés durant leurs études leur resteront accessibles indéfiniment, sans qu’ils soient prisonniers d’un logiciel et d’un éditeur. Quels sont vos projets pour faire de ces principes une réalité dans l’enseignement supérieur et la recherche ?

M. Rudy Salles. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la situation difficile des professeurs stagiaires, à propos de laquelle nous n’avons eu de cesse de vous alerter. Les parcours antérieurs des lauréats du concours national rénové 2014, titulaires ou dispensés d’un master deuxième année (M2) et désormais professeurs stagiaires de l’éducation nationale, ne sont plus reconnus. Une circulaire du 17 juin 2014 prévoyait pourtant qu’un parcours adapté leur soit proposé. Depuis cette rentrée, ces professeurs stagiaires sont confrontés à de graves difficultés : ils sont soumis à un véritable chantage, puisqu’on les oblige à s’inscrire en master MEEF, « métiers l’enseignement ». Ils doivent alors assister à des cours, suivre des travaux dirigés, rédiger un mémoire et repasser des examens, sous peine de ne pas être titularisés.

Sous la pression, certains professeurs stagiaires démissionnent ou sont contraints de se mettre en arrêt maladie. Ces conditions de travail indignes ne font qu’aggraver la pénurie de professeurs, déjà durement ressentie. Certaines académies se voient dans l’obligation de recruter, par l’intermédiaire de Pôle emploi ou de leurs propres sites, des personnes qui ne disposent pas des diplômes nécessaires ou d’une formation adaptée. Il y a là une rupture d’égalité entre les académies, et une éducation à deux vitesses se met en place.

Les professeurs stagiaires lauréats du concours rénové 2014 et titulaires d’un M2 demandent, dès lors, que leur parcours antérieur soit reconnu ; ils veulent recevoir une formation adaptée. Quelles mesures entendez-vous prendre pour les rassurer et répondre concrètement à leurs préoccupations ?

Mme Gilda Hobert. Au nom du groupe RRDP, je vous remercie, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, de vous prêter à ce dialogue.

Je voudrais, comme mon collègue Rudy Salles, vous faire part des inquiétudes des lauréats du concours rénové. Certains de ces professeurs sont déjà titulaires d’un master 2, mais se trouvent, dans certaines académies, dans l’obligation de repasser des examens, de rédiger un nouveau mémoire, de participer à des cours et travaux dirigés : cela revient à redoubler une année. Faute de cela, ils pourraient se voir priver de titularisation. Ne serait-ce pas faire œuvre de justice que d’accéder à la requête de ces professeurs stagiaires, en reconnaissant leur parcours antérieur et en leur permettant de recevoir une formation adaptée, avec possibilité, par exemple, d’être observateurs dans une classe ou encore d’intervenir dans le cadre du dispositif « plus de maîtres que de classes » ?

Le coût de la vie étudiante s’accroît constamment. Pour la rentrée 2014, l’augmentation est en moyenne de 2 %, à cause des frais de logement, de sécurité sociale et de différents frais inhérents à la scolarité. À Paris ont ainsi été enregistrées des hausses de plus de 3 % des loyers de petites surfaces ; ces hausses atteignent 2 % dans les régions. Les frais obligatoires ont augmenté de 0,5 % à 1,6 % en moyenne. Les étudiants se trouvent ainsi dans des situations de plus en plus précaires, car ils sont contraints de cumuler études et emploi, parfois même emploi à temps plein : le nombre d’étudiants salariés à temps plein est passé de 8,5 % à 29,6 % entre 2006 et 2014. Ces chiffres sont alarmants et nous comptons sur le Gouvernement pour enrayer cette précarisation qui nuit à la réussite des étudiants. Quelles actions entendez-vous mener contre ce phénomène ?

Le groupe RRDP a fortement soutenu les mesures destinées à renforcer l’apprentissage des langues. Disposez-vous de résultats qui montreraient une augmentation des enseignements dispensés dans une langue étrangère au sein des universités ?

M. Jean-Pierre Allossery. Avec un budget de l’enseignement supérieur en hausse de 45 millions d’euros par rapport à 2014, le Gouvernement continue à investir pour l’avenir et la jeunesse, afin d’offrir des chances de réussite à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale. L’enseignement supérieur ne doit pas former les seules élites !

Dans le cadre de mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », j’ai souhaité me pencher sur le thème de l’engagement des jeunes. J’ai reçu plusieurs associations étudiantes : l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville), le GENEPI (Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées), Starting-Block, Zup de co, Animafac… Ils ont été unanimes pour souligner que l’engagement associatif des jeunes est encore trop souvent réservé aux élites. Les inégalités sociales s’y reflètent fortement : sont bénévoles ceux qui disposent de moyens suffisants pour consacrer une part de leur temps libre à une activité non rémunérée. Ainsi, le GENEPI recrute essentiellement des étudiants en droit et des étudiants de grandes écoles, alors même qu’il est ouvert à toutes les filières.

Alors que Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, a dit souhaiter soutenir l’engagement bénévole des jeunes, quelles sont vos intentions pour accompagner l’accès des étudiants à la citoyenneté ? L’AFEV développe par exemple avec certaines universités des dispositifs qui permettent d’attribuer des crédits ECTS : les étudiants valorisent ainsi, en vue de l’obtention de leur diplôme, l’expérience et les compétences acquises par le bénévolat. Ne serait-il pas possible de généraliser cette initiative ?

Mme Virginie Duby-Muller. Le 17 octobre dernier, le Conseil d’État a suspendu la suppression, par une circulaire de juillet 2014, des bourses au mérite pour les bacheliers ayant obtenu une mention « Très bien ». Cette mesure avait mis beaucoup d’étudiants dans une situation financière délicate ; des parlementaires, avec différentes associations et collectifs, s’étaient mobilisés contre cette suppression qui remettait en cause le mérite comme valeur cardinale de notre modèle éducatif. Cette bourse favorise l’égalité des chances, puisqu’elle est perçue par des élèves boursiers. Sera-t-elle versée cette année ? Des régularisations ont-elles été effectuées ? Entendez-vous maintenant pérenniser ce dispositif essentiel pour les milieux modestes, afin de valoriser l’effort ?

Je veux également relayer ici les inquiétudes des stagiaires de l’ESPE de Bonneville. La validation d’un master au cours de l’année de stage est obligatoire ; or certains en possèdent déjà un. Un parcours adapté était prévu pour eux, mais l’académie de Grenoble exige de tous les lauréats qu’ils effectuent un nouveau master 2 « métiers de l’enseignement » : ils suivent à nouveau des cours et refont un mémoire, ce qui paraît aberrant. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce dossier ?

Il est prévu par ailleurs que les enseignants stagiaires reçoivent mille euros par an ou bénéficient d’une indemnité pour frais de stage et de déplacements. Dans l’académie de Grenoble, ces mesures n’ont pas été mises en œuvre. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Les chercheurs français se sont mobilisés le 17 octobre dernier. On en a peu parlé et cette mobilisation n’a pas porté ses fruits. Quand consacrerons-nous enfin 3 % de notre PIB à l’effort de recherche publique et privée ? L’Allemagne a atteint ce niveau, mais la France en reste à 2,3 % seulement.

Enfin, ma dernière question porte sur l’université de Savoie Mont Blanc. La croissance de cette université se poursuit à un rythme soutenu, puisque ses effectifs ont augmenté de 8 % : près de 14 000 étudiants lui accordent désormais leur confiance. Mais, alors qu’elle se place à l’échelle nationale dans les premiers rangs, cette université est l’une des plus mal dotées, tant en moyens humains qu’en moyens financiers. L’accueil des élèves boursiers entraîne, en effet, une charge importante, de l’ordre de 850 000 euros, de même que l’accueil des personnes handicapées, qui coûte chaque année 150 000 à 200 000 euros. Afin que l’université de Savoie Mont Blanc ne soit pas amenée à limiter volontairement ses effectifs dans plusieurs filières, est-il possible d’envisager de votre part un geste financier ?

Mme Martine Martinel. Trop d’étudiants, vous l’avez dit, quittent l’université sans diplôme. Souvent, cet échec est lié à leur origine sociale et à leurs conditions de vie, notamment à l’obligation d’exercer une activité professionnelle. Le Gouvernement a investi de façon remarquable, notamment par des bourses fondées sur des critères sociaux. Pourriez-vous rappeler les principes de cette réforme des bourses, qui vise à mieux aider les étudiants les plus en difficulté ?

Madame la secrétaire d’État, vous avez souligné que les étudiants issus d’un bac professionnel n’allaient souvent à l’université que par défaut. Ce n’est peut-être pas le cas de tous, néanmoins. Que peut-on envisager pour mieux baliser le parcours de ces étudiants ?

Mme Annie Genevard. Madame la secrétaire d’État, il y a un an, vous avez lancé le comité Sup’Emploi, présidé par d’anciens chefs d’entreprise. Sur la question de la collaboration entre université et entreprises, la France, vous le savez, est mal placée, au voisinage de l’Arabie saoudite et de l’Indonésie. Ce comité a défini, dans son premier rapport d’étape, trois objectifs prioritaires : impliquer davantage le milieu socio-économique, favoriser l’insertion des jeunes et anticiper les nouveaux métiers. Où en est la mise en œuvre de ces préconisations ?

S’agissant de la préférence accordée par les entreprises aux étudiants des grandes écoles sur ceux de l’université, certains considèrent que ce sont les entreprises qui doivent faire un effort. Ne faut-il pas tout autant demander à l’université de s’adapter à l’environnement économique ?

Le Président de la République s’est réjoui de l’attractivité de l’université française pour les étudiants étrangers, y voyant là l’expression de sa qualité. Je me permets d’en douter : les classements internationaux ne placent pas l’université française parmi les meilleures. Comment expliquez-vous alors l’attrait, réel, qu’elle exerce sur les étudiants étrangers ?

M. Marcel Rogemont. On m’a dit, madame la ministre de l’éducation nationale, mais j’ai de la peine à y croire, que le budget de l’enseignement scolaire serait enfin redevenu le premier de la nation ! Est-ce bien vrai ? Pouvez-vous nous le confirmer ? (Rires)

Ma seconde question porte sur les contrats de plan État-région. Alors que la participation de l’État était de 12,74 milliards d’euros pour la période 2007-2013, le Premier ministre a annoncé, le 16 septembre dernier, qu’elle se réduirait désormais à 1,8 milliard d’euros pour les contrats 2015-2020. Comment, dans de telles conditions, sera-t-il possible de préserver le dynamisme de la recherche et de l’enseignement supérieur ? Nous aurons, vous le savez, une nouvelle région Bretagne-Pays de la Loire ; or la baisse des crédits déstabiliserait profondément la rencontre des deux régions sur le plan universitaire, au regard tant de l’offre de formation que de la recherche. Il est essentiel, à mon sens, de conforter le dynamisme de nos établissements universitaires. L’État doit participer plus fortement. Quelles initiatives entendez-vous prendre sur ce sujet ?

Mme Colette Langlade. Depuis plusieurs années, la profession des masseurs-kinésithérapeutes demande une réforme de la formation initiale. Au début de l’année 2013, une réorganisation des études, menée par le ministère de la santé et le secrétariat d’État à l’enseignement supérieur, a conduit à certaines avancées. Pourtant, la mobilisation s’est poursuivie : les professionnels souhaitent en particulier la généralisation d’une première année commune des études de santé et la reconnaissance de la formation initiale au grade de master. Vous avez rencontré, la semaine dernière, les représentants de la profession : à ma connaissance, aucune communication officielle n’a suivi cette rencontre. Il semblerait que les professionnels aient été relativement satisfaits. Leur revendication de la reconnaissance du grade de master et l’intégration dans le système universitaire n’auraient toutefois pas été entendues. Pouvez-vous nous informer du contenu des arbitrages rendus ? Permettront-ils la fin de la mobilisation de cette profession ?

Mme Julie Sommaruga. Je souhaite revenir sur la question du doctorat, mal identifié par les employeurs et insuffisamment reconnu. Depuis 2012, le Gouvernement a engagé de nombreuses actions pour favoriser l’insertion professionnelle des docteurs. De nombreuses conventions CIFRE ont été signées et le crédit d’impôt recherche favorise l’embauche des docteurs. La loi du 22 juillet 2013 introduit pour la première fois la reconnaissance du doctorat et permet de mieux valoriser les acquis professionnels des docteurs. Vous avez enfin engagé une mission qui doit présenter des mesures concrètes pour favoriser l’embauche de docteurs dans les entreprises, mais aussi dans la haute fonction publique.

Où en est-on de ce travail, pour ce qui concerne la haute fonction publique et surtout les branches professionnelles ? Quels dispositifs ont été mis en place pour lutter contre la précarité des doctorants, principal facteur d’abandon, et revaloriser les salaires des jeunes chercheurs, qui sont aujourd’hui trop faibles par rapport aux standards internationaux ? Quelles mesures sont envisagées pour faciliter la délivrance de titres de séjour pluriannuels aux doctorants étrangers ?

Mme Anne-Christine Lang. La loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a prévu que les meilleurs élèves de chaque lycée puissent avoir accès directement aux filières sélectives de l’enseignement supérieur. Trop souvent, les élèves des lycées défavorisés ont du mal à accéder à ces filières – les meilleures classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), par exemple, recrutant dans un nombre très limité de lycées –, dans lesquelles ils ont souvent le sentiment d’être illégitimes. Le manque d’information explique largement que les élèves des catégories populaires ne saisissent pas les chances qui leur sont offertes, comme ce fut le cas pour les dérogations à la carte scolaire proposées aux élèves boursiers.

Il est primordial de mettre en œuvre cet accès des meilleurs élèves de chaque lycée aux filières sélectives. Ce dispositif étant nouveau, il faut prévoir une communication à destination des élèves concernés et de leurs familles, mais aussi des lycées. Un travail important doit également être mené en amont, auprès des filières et des écoles, qui doivent intégrer ce dispositif à leurs procédures. Cet accès direct de certains élèves doit, d’après la loi, se décider sur la base de leurs résultats au baccalauréat, ce qui implique un travail des rectorats en amont. La question du calendrier est en effet cruciale : dès les résultats du baccalauréat connu, il devra être possible de proposer aux meilleurs bacheliers de postuler dans une CPGE ou autre filière sélective de leur choix.

Plus aucun élève ne doit renoncer à une orientation qu’il souhaiterait parce qu’il croit que ses origines sociales lui ferment la porte d’un certain nombre d’établissements de l’enseignement supérieur. L’efficacité de la communication conditionnera largement la réussite de ce nouveau dispositif, qui favorisera l’égalité des chances : que prévoit le Gouvernement pour mettre concrètement en œuvre cette mesure, afin que celle-ci soit effective dès la rentrée 2015 ?

Mme Maud Olivier. Les décrets sur l’emploi des docteurs dans la haute fonction publique ne sont, me semble-t-il, pas parus. Seront-ils publiés prochainement ?

M. William Dumas. Beaucoup de jeunes et d’étudiants recherchent des stages en entreprise. Or, malgré les nouvelles mesures visant à renforcer l’accueil des stagiaires, il semblerait que des blocages subsistent, car certains décrets d’application de la loi que nous avons votée récemment n’ont pas été publiés. Quand paraîtront-ils ?

Mme la ministre. Vos interventions étaient, comme je l’imaginais, très riches. Croyez-moi, elles retiennent toute notre attention : nous ne pensons, ni l’une ni l’autre, avoir toujours raison, nous ne sommes certainement pas omniscientes. Nous avons des objectifs et des projets, mais souvent, pour réformer et innover, on progresse en marchant.

Monsieur le président, vous m’interrogez sur la spécialisation progressive en licence. Les étudiants peuvent en effet désormais s’inscrire dans un bouquet de mentions, avec la possibilité de ne choisir qu’en fin d’année la voie dans laquelle ils veulent continuer. C’est donc une aide à l’orientation. Cette spécialisation progressive se met en place petit à petit : elle est déjà effective à Nantes, à Lille, Lyon 1 ou Paris 6, par exemple. Nous en dresserons, en fin d’année, un bilan que je vous transmettrai. En tout cas, la mise en place de cette mesure a été grandement facilitée par la simplification des intitulés des diplômes de licence, dont nous avons drastiquement réduit le nombre.

Vous évoquez également le versement des dotations pour le quatrième trimestre 2014. Certaines inquiétudes ont effectivement été exprimées par la CPU. La fin de gestion 2014 a pu amener le ministère des finances à resserrer quelques boulons, mais nous sommes trop attachés au bon fonctionnement des universités : toutes les dotations utiles leur seront versées.

Madame Doucet, sur la question des frais d’inscription, notre position est constante : le modèle français se situe entre le modèle anglo-saxon de frais très élevés et celui d’autres pays où l’éducation est entièrement gratuite. Nous préserverons cet équilibre.

Nous refusons la sélection à l’université parce que nous voulons la démocratisation la plus large. En revanche, nous voulons travailler à une meilleure orientation des étudiants, dans leur propre intérêt.

Monsieur Breton, comme plusieurs autres intervenants, vous nous interrogez sur les ESPE. C’est là, je l’ai dit, une réforme de grande ampleur : ses effets doivent être appréciés à long terme. Nous suivons la mise en place des ESPE de façon très étroite, dans le respect, bien sûr, de l’autonomie des universités. Le comité de suivi, présidé par Daniel Filatre, a rendu son rapport, comme les inspections générales. J’ai évoqué, dans mon propos introductif, des points de vigilance : ce sont autant de marges de progression pour le futur. Geneviève Fioraso et moi-même – c’est l’un des avantages d’un ministère unique pour l’enseignement scolaire et l’enseignement universitaire – réunirons, dans les jours qui viennent, un groupe de travail, qui intégrera la CPU, les recteurs, les ESPE, les directions générales. Il permettra de dresser une liste de ces points sur lesquels nous devons progresser.

Je veux insister ici sur le fait qu’académie par académie, les ESPE ont également su s’adapter et progresser ces derniers temps : certaines questions qui se posaient il y a quelques semaines ne se posent plus aujourd’hui. Ainsi, les enseignants stagiaires déjà titulaires d’un master doivent seulement un mi-temps en formation ; mais les parcours adaptés existent réellement au sein des ESPE, et nous travaillons à généraliser les bonnes pratiques. Petit à petit, l’adaptation au profil des étudiants progresse. La formation est obligatoire, mais on ne demande pas aux étudiants de valider à nouveau un diplôme s’ils l’ont déjà obtenu : s’il demeure des malentendus sur ce point, je veux les lever devant vous.

Au sujet d’APB, nous avons, cette année, décidé de simplifier les intitulés de licence, ce qui a permis de ramener leur nombre de 320 à 45. Nous avons mis en place le comité des usagers ainsi qu’un numéro vert, qui permet un retour direct sur ce que ces derniers perçoivent de cet outil ; je serai en mesure de vous présenter le bilan de cette opération dans quelques mois.

Je comprends mal que vous voyiez dans les COMUE une concurrence potentielle vis-à-vis des territoires. À la différence des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) souhaités par Nicolas Sarkozy, leur objet n’est pas de créer des rivalités et divisions entre les universités dites de « Shanghai », car bien classées par l’université Jiao Tong de cette ville, et les autres. Au contraire, il s’agit d’établir une vraie coopération entre les universités et les grandes écoles, dans un esprit propice à l’aménagement des territoires. Cette dynamique est d’ailleurs souhaitée localement par tous les acteurs concernés.

Je remercie M. Allossery d’avoir évoqué la question de l’engagement associatif, qui doit être mieux mesuré et valorisé dans la notation et les crédits des étudiants. Nous avons adressé une préconisation en ce sens aux universités et aux écoles dans le cadre de la politique de vie étudiante des établissements. C’est un sujet auquel Geneviève Fioraso et moi-même sommes particulièrement sensibles. Nous souhaitons inciter davantage les étudiants à s’engager en lien avec la société civile pendant une partie de leurs études, notamment à travers le service civique cher au Président de la République.

M. le président Patrick Bloche. Merci, madame la ministre.

Mme la ministre quitte la réunion.

M. le président Patrick Bloche. Madame la secrétaire d’État, nous venons d’apprendre que Philae a découvert des molécules complexes. J’imagine que cela vous dis quelque chose ?

Mme la secrétaire d’État. En effet, et même des composants organiques, ce qui est inattendu. Autre bonne nouvelle, le forage qui n’était pas assuré, car Philae a rebondi plusieurs fois avant de se stabiliser sur la comète, a bien lieu. Le Président de la République a d’ailleurs assisté à l’opération depuis la Cité des sciences de la Villette, ce qui est méritoire, car, depuis que François Mitterrand avait malencontreusement assisté au crash de la fusée Ariane, en 1985, aucun de ses successeurs ne s’y était risqué.

L’expérience Philae, bien que moins spectaculaire qu’un vol habité, constitue un exploit comparable à celui du premier pas sur la lune. Parvenir à viser une comète à 510 millions de kilomètres de distance, après dix ans de rotation dans l’espace, est prodigieux, et la science et la technologie françaises y ont largement contribué. Nos chercheurs sont si passionnés par leur sujet que Francis Rocard, l’astrophysicien qui a animé la journée, nous a dit, parlant du robot Philae : « Nous allons mourir en 2015 ». C’est dire que ce projet, qui a occupé les chercheurs pendant vingt ans, est le travail de toute une vie !

À cet égard, je rappelle à Mme Attard combien la recherche fondamentale française, la recherche de long terme est de qualité. Toutes les récompenses – prix Nobel, prix de médecine, le prix Breakthrough récemment décerné au professeur Benabid – viennent récompenser des gens qui travaillent depuis trente ans sur le même thème, grâce à l’investissement continu dans la recherche. Il ne faut donc pas dire que la recherche française relève d’une logique de court terme ni donner une image alarmiste des laboratoires. Bien entendu, il peut y avoir des améliorations dans l’organisation, et nous veillons à ce que les moyens financiers ne restent pas bloqués dans les infrastructures mais aillent directement dans les laboratoires. Si l’on prend en compte les salaires – et l’honnêteté nous pousse à le faire, car la matière grise constitue un élément majeur de la qualité de la recherche –, 90 % de la recherche française fonctionne sur des crédits récurrents. Cette situation est unique au monde.

Si notre modèle favorise aussi bien le moyen que le long terme, cela ne signifie pas pour autant que nous négligeons la valorisation et le partenariat avec les entreprises. De fait, le rapprochement entre l’enseignement supérieur et les entreprises est essentiel pour favoriser l’insertion professionnelle. C’est le travail du comité Sup’Emploi, qui va se conjuguer avec celui du Conseil national éducation-économie de la direction générale de l’enseignement scolaire, dans le même but de favoriser l’insertion professionnelle. Nos succès dans le secteur spatial constituent le meilleur exemple de ce que la recherche technique et la recherche fondamentale peuvent s’apporter mutuellement. Ces partenariats n’enlèvent rien à nos engagements à long terme, je tiens à rassurer les chercheurs sur ce point.

J’ai rencontré les chercheurs à plusieurs reprises. Je partage certaines de leurs préoccupations. Je ne leur ai pas demandé de « serrer les dents » pendant quelques années, j’ai simplement évoqué la question de la démographie. À moyens constants, alors que, passé l’effet du baby-boom, il y a deux fois moins de départs en retraite, mécaniquement, il y a deux fois moins d’entrants possibles. Cela peut mettre en difficulté d’insertion un certain nombre de docteurs, notamment les biologistes, qui ont très souvent été employés en contrat précaire dans le contexte de la frénésie d’appels d’offres qui a marqué le quinquennat précédent. Je rappelle que les organismes de recherche sont responsables de leur politique d’embauche et de la gestion prévisionnelle des emplois. La situation créée par ces embauches pléthoriques de CDD a été aggravée par l’effet démographique, qui va durer encore quatre ans, ainsi que par l’application de la loi « Sauvadet » sur la résorption de la précarité dans la fonction publique.

Nous avons travaillé avec les organismes de recherche. Pour la première fois depuis dix ans, nous allons remplacer, à raison d’un pour un, l’ensemble des départs d’ingénieurs, de techniciens et de personnels administratifs. Cela permettra aux chercheurs, qui seront remplacés dans les mêmes conditions, de revenir à leur cœur de métier au lieu de se consacrer à la gestion de dossiers administratifs ou à la recherche de financements. Dans le même temps, la part récurrente des crédits arrivants dans les laboratoires sera augmentée. Avec la nouvelle direction de l’Agence nationale de la recherche (ANR), plus coopérative que la précédente, nous avons décidé que sur 11 % de crédits récurrents arrivant dans les organismes, 8 % seront dorénavant affectés directement aux laboratoires, contre 4 % précédemment. Nous avons, de même, convaincu le Commissariat général à l’investissement de relever sa part de crédits récurrents destinée aux laboratoires de 3 % à 8 % et nous espérons voir celle-ci augmenter encore à l’avenir. Enfin, à l’échelon européen, nous avons hissé ce préciput à 25 %, ce qui permet aux laboratoires et aux PME d’être plus présents en Europe.

J’insiste, chaque fois que l’occasion m’en est donnée, sur la nécessité d’investir davantage la sphère européenne. Le volume de crédits européens obtenus par la France se situe cinq points en-dessous de celui de sa contribution, ce qui lui fait perdre 600 millions d’euros par an ; si cette situation devait perdurer, à l’horizon 2020, nous perdrions 700 millions d’euros par an. Notre qualité n’est pas en cause puisque notre taux de réussite est supérieur à la moyenne ; il se trouve simplement que nous soumettons moins de projets. C’est pourtant le moyen de conforter un réseau européen et d’être davantage visible sur la scène internationale. Je me suis d’ailleurs ouverte de ces questions aux acteurs concernés, dont l’association Science en marche et les représentants syndicaux.

Au regard de l’objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche, la France atteint le niveau de 2,3 %. L’effort public représente entre 0,8 % et 0,9 %, ce qui est comparable à celui de nos principaux partenaires européens équivalents. La différence est imputable à l’effort de la recherche privée : plus faible qu’en Allemagne, il ne nous permet pas d’arriver aux 2,9 % atteints par ce pays. D’aucuns avancent que le CIR ne joue pas son rôle de levier ; en fait, il ressort de la comparaison entre l’Allemagne et la France que l’engagement privé dans la recherche est proportionnel à la masse de l’industrie. Or la France a perdu un million d’emplois industriels au cours des douze dernières années ; en conséquence, nos services et nos produits, insuffisamment irrigués par l’innovation, ont perdu en compétitivité, tandis que l’Allemagne bénéficiait des apports de ses Fraunhofer. En France, ce sont les instituts Carnot et l’amplification de tout moyen de diffusion de l’innovation dans l’industrie qui nous permettront d’augmenter le part de l’investissement privé dans le pourcentage de PIB consacré à la recherche et au développement. Ce n’est donc pas la recherche publique qui est en cause mais bien la recherche privée.

S’agissant du CIR, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une cagnotte. L’exécutif s’est interrogé au sujet de son plafonnement éventuel. Il se trouve que le crédit d’impôt recherche s’est plafonné de lui-même et n’augmente plus, ce qui est une bonne chose. Au demeurant, on ne peut pas changer continuellement les dispositifs d’aide, car cela décourage les entreprises. Pour investir, elles ont besoin d’avoir une visibilité à moyen et long terme, ce qui suppose de la stabilité. Depuis la publication du rapport de la Cour des comptes, les choses ont évolué. Un récent rapport établi par un cabinet indépendant montre que l’effet levier du CIR pour les entreprises se situe dans un rapport de 1,5 point, c’est-à-dire qu’un euro de crédit d’impôt recherche rapporte un euro et demi. Ainsi, le nombre de docteurs embauchés grâce au dispositif de doublement du CIR par embauche a été multiplié par trois. Cela est certes insuffisant, mais s’il est vrai qu’il y a là une question de culture, nous disons aux doctorants qui démarrent une thèse que la recherche publique n’est pas le seul objectif d’insertion. De même, nous disons aux directeurs de thèse qu’un thésard qui intègre le secteur privé n’est pas un scientifique raté. Les a priori existent de part et d’autre, et il faut les faire tomber. Vis-à-vis du secteur privé, nous nous employons à y remédier à travers les contrats CIFRE. De mon côté, je prends souvent mon bâton de pèlerin pour aller directement dissiper ce malentendu quasi culturel auprès des entreprises.

Dans le domaine des publications scientifiques, le contrat d’édition avec Elsevier a été évoqué. Une vaste réflexion à l’échelle européenne est en cours au sujet des publications en libre accès (« open access »). Un système uniquement français ne serait pas viable, aussi un système européen est-il indispensable. Les Anglais proposent un système dénommé Green open access, tandis que nous privilégions plutôt le système Hyper articles en ligne (HAL) du CNRS, plus protecteur de la propriété intellectuelle. D’autres systèmes sont proposés, qui tendraient à faire payer, non pas ceux qui consultent les publications, mais les organismes qui les produisent, solution à laquelle je ne suis pas favorable. Pour l’instant, nous poursuivons avec Elsevier, tout en lui imposant de nouvelles contraintes. Nous voulons aboutir à un système de diffusion ouvert, sans naïveté toutefois : s’agissant de propriété intellectuelle et d’intelligence économique, nous devons protéger les emplois résultant de la recherche.

L’université Savoie Mont Blanc obtiendra la compensation boursière intégrale sur quatre ans, à raison de 25 % par an, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Originaire de Rhône-Alpes, je connais bien l’université de Savoie qui fait partie de l’académie de Grenoble. Je lui ai d’ailleurs décerné une récompense, il y a deux ans, pour le meilleur taux d’insertion professionnelle. Le temps est passé où l’on parlait de petites universités, d’universités de seconde zone ; aujourd’hui, nous les considérons comme complémentaires, plurielles et pluralistes. Il faut les aider pour ce qu’elles sont. Il n’est plus question de compétition entre les universités de France ou d’Europe ; c’est sur le plan international, avec l’Asie notamment, que tout se joue, parfois même avec des universités avec lesquelles nous coopérons amicalement. L’université de Savoie, avec ses 50 % d’étudiants boursiers, est un établissement attractif qui gagnerait à s’ouvrir plus et à devenir un membre actif de la COMUE Grenoble-Alpes.

Il ne faut pas être naïf, les classements internationaux appréciant la qualité des universités, tel celui Shanghai, ne sont pas faits pour les modèles européens. Réalisés par les Américains et les Chinois, ils sont adaptés au modèle anglo-saxon qui n’existe pas en Europe, sauf en Angleterre. Le modèle européen propose des droits d’inscription peu élevés, une faible sélection, même si certaines filières sont sélectives, et un critère territorial. Le nombre des étudiants boursiers, par exemple, n’est pas pris en compte dans le classement de Shanghai, qui établit des ratios du nombre de brevets ou de chercheurs par rapport au nombre d’étudiants. Dans cette logique, il est normal qu’une petite université très sélective et strictement orientée vers la recherche, comme Columbia ou Caltech, obtienne des scores plus élevés que les grandes universités de recherche de Toulouse ou Strasbourg, qui accueillent tous les étudiants, quand bien même celles-ci produiraient des brevets supérieurs en qualité et en nombre. Il ne faut donc être ni dupe ni esclave de ces classements : ils ne sont pas faits pour nous favoriser. S’il convient de ne pas y régresser, c’est parce qu’ils sont regardés dans le monde entier. En aucun cas, il ne faut s’appuyer dessus pour construire une politique tant ils ne sont adaptés ni à notre mode de fonctionnement ni à notre culture. D’ailleurs, en Europe, on tente de mettre en place un classement correspondant mieux à ce que nous sommes.

Du reste, les cinq marketeurs qui, dans un petit bureau à Shanghai, ont inventé ce classement retenant des critères de marketing plutôt que scientifiques, sont les premiers surpris de l’importance que lui donnent les médias européens, français en particulier. Une université comme Princeton est suffisamment sûre d’elle pour ne pas s’y intéresser, et nous devrions faire de même. Les regroupements que nous avons initiés, qui visent à organiser des réseaux de compétence et de définition de stratégie, nous permettront de nous hisser vers le haut, y compris dans le classement de Shanghai.

Le décret financier qui complète le dispositif d’accompagnement des établissements par les ministères et rectorats a été pris le 6 juin dernier. Il poursuit une politique qui a permis de réduire d’un tiers le nombre des universités en déficit : de dix-sept en 2012, elles sont passées, à moyens constants, à huit en 2013 et à cinq en 2014. Plutôt que de mettre des tutelles, nous avons accompagné, formé et anticipé ; toute une ingénierie a été mise à disposition des universités, dans un esprit de coproduction. Nous avons cependant été conduits à prendre quelques dispositifs d’urgence lorsque cela était nécessaire, par exemple en Guyane et pour l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) où nous avons remédié à un certain nombre de dysfonctionnements. Le président de l’UVSQ prévoit un retour à un solde de trésorerie positif alors que celui-ci était largement déficitaire jusqu’au milieu de cette année.

Désormais, les universités regroupées en COMUE signeront des contrats de site avec l’État stratège, qui les accompagnera avec des moyens en postes et sera responsable de ce qui se passe sur le terrain. Les PRES, eux, n’avaient pas de contrat et étaient en compétition les uns avec les autres.

L’objectif de l’article 2 de la loi ESR n’était pas de dispenser tous les cours en mauvais anglais, mais plutôt de donner aux universités les mêmes droits que ceux accordés aux grandes écoles, sans que personne ne proteste contre l’avantage qui en résultait pour ces dernières. Ces mêmes droits, nous les avons assortis de contreparties, comme l’accueil de davantage d’étudiants provenant des pays émergents. Dans les domaines scientifiques en particulier, la langue constitue un obstacle et ces étudiants optent plutôt aujourd’hui pour les pays anglo-saxons. Or nous avons intérêt à les attirer en France, pour que se nouent, au cours des études, des relations susceptibles de connaître un développement économique par la suite. Nous ne disposons pas encore d’un bilan consolidé, mais nous savons que la pratique repose sur la base du volontariat et qu’un certain nombre de situations s’en sont trouvées légitimées. L’objectif est ainsi atteint dans un cadre gagnant en termes de francophonie, car davantage d’étudiants viennent en découvrir les valeurs, et d’attractivité puisque nous sommes remontés au troisième rang pour ce qui est du nombre d’étudiants étrangers accueillis.

Les décrets relatifs à l’intégration des docteurs dans la fonction publique paraîtront en fin d’année. Au départ je pensais – de façon un peu candide – qu’une inscription dans la loi suffirait pour que les grands corps de la fonction publique ouvrent leurs portes aux docteurs. À l’heure de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique, il me semble que l’interdisciplinarité est de mise et appelle une culture plus transversale dont sont précisément porteurs les docteurs. Nous avons travaillé pied à pied avec chaque grand corps, pour finir par faire appel au Conseil d’État. Celui-ci s’est prononcé pour l’ensemble des grands corps et a clarifié la situation en ouvrant très largement le champ des concours de la fonction publique, les docteurs devant faire l’objet de procédures spécifiques. Les décrets et textes d’application devraient être pris très rapidement en ce qui concerne l’État, comme le prévoit la loi. Pour les autres fonctions publiques, les discussions sont en cours avec le ministère de la fonction publique de façon à aboutir en 2015. De fait, pour ce ministère, quelques blocages demeurent, car la mesure réduit le champ des promotions internes dès lors que l’on n’augmente pas le nombre de hauts fonctionnaires. Par ailleurs, les administrations territoriales, avec les compétences élargies des régions, peuvent, elles aussi, accueillir les chercheurs dont elles ont besoin dans les domaines de l’économie, du changement climatique, des constructions durables ou de l’efficacité énergétique.

Plus largement, l’insertion des jeunes docteurs reste liée à la démographie des emplois, c’est pourquoi nous mettons l’accent sur cette question dans la politique des organismes de recherche. Pour ma part, j’encourage toute initiative, telle celle prise à Grenoble, où Pôle emploi et le CNRS local ont mis en place une convention pour définir des équivalents au métier de chercheur dans l’industrie. C’est ainsi que des post-doctorants ont été dirigés avec succès vers le secteur privé. Nous soutiendrons ce type de démarche qui a pour vertu de responsabiliser les organismes de recherche dans la gestion anticipée de leurs ressources humaines. L’État ne peut assurer cette gestion de terrain de manière centralisée – et les organismes en sont d’ailleurs conscients.

S’agissant des étudiants-entrepreneurs, vingt-neuf PEPITE ont été retenus après appel d’offres et un prix tremplin entreprenariat a permis de distinguer cinquante équipes de projet. Depuis la rentrée, nous avons enregistré 700 demandes de statut d’étudiant-entrepreneur, ce qui laisse entrevoir une continuité de progression élevée.

Malheureusement, de même que, dans la vie économique, il n’y a qu’une créatrice d’entreprise pour neuf créateurs, à l’université, on constate un ratio d’une fille pour neuf garçons. Il en va de même pour l’orientation dans les disciplines scientifiques : alors que plus de filles sont reçues au bac scientifique, elles sont beaucoup moins nombreuses que les garçons dans les filières mathématiques et physique, et sont seulement 17 % dans les grandes écoles d’ingénieur en informatique. Ce n’est pas une question de pédagogie mais de représentation. Les filles vont plutôt en biologie, en chimie et dans les professions de santé, alors qu’elles réussiraient tout aussi bien en mathématiques et physique et que, constituant 51 % du public de l’internet des objets, elles devraient participer à sa conception. Nous travaillons, avec Najat Vallaud-Belkacem, à modifier cette représentation culturelle des lycéennes, qui perçoivent encore les informaticiens et les matheux appliqués comme des geek à capuche passant leur temps à jouer entre garçons à des jeux vidéo violents !

En ce qui concerne le contrat État-région, le chiffre donné par le Premier ministre pour l’enseignement supérieur et la recherche est de 980 millions d’euros, ce qui correspond à 50 % du réalisé, cela pour deux années de moins que le contrat de plan précédent puisque celui-ci avait été prolongé jusqu’en 2014. Au moment où l’on réorganise les territoires, où l’on donne de nouvelles responsabilités aux régions, en particulier les schémas d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, il fallait en effet apporter un soutien. Nous avons ainsi obtenu 150 millions d’euros de plus, et j’espère une réserve qui permettra d’atteindre plus de 60 % du réalisé. D’emblée, ces contrats de projets État-région avaient été annoncés comme moins importants que les précédents, compte tenu des investissements d’avenir ainsi que des LABEX et des EQUIPEX. Cependant, si l’on consolide le tout, cela représente un effort de recherche plus important, qui permet de réaliser la plupart des contrats prioritaires dans les meilleures conditions possibles.

Nous sommes arrivés à un compromis au sujet des demandes des kinésithérapeutes. De fait, aucun autre pays d’Europe ne délivre de masters dans ce domaine. Il était donc difficile pour la France de se mettre en porte-à-faux, d’autant que le master ouvre sur un doctorat qui, en kinésithérapie, n’est pas très pertinent. En revanche, nous avons mis en place un nombre de crédits ECTS sur quatre ans qui, en termes de contenu de formation, est équivalent à celui d’un master. Ce compromis a été obtenu avec le concours de l’ensemble des organes représentatifs des étudiants et paraît satisfaisant.

Cette démarche pragmatique est d’ailleurs exemplaire de l’effort que nous voulons maintenir pour la formation et la recherche françaises, dont nous ne saurions méconnaître le rôle dans l’avenir économique de notre pays.

M. le président Patrick Bloche. Merci, madame la secrétaire d’État. C’est toujours un plaisir, pour notre commission, que de vous auditionner.

La séance est levée à dix-huit heures quarante.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 19 novembre 2014 à 16 heures 30.

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Annie Genevard, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Ary Chalus, M. François de Mazières, Mme Sonia Lagarde

Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard