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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mardi 24 mars 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la réforme des collèges

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 24 mars 2015

La séance est ouverte à dix-sept heures.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission procède à l’audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la réforme des collèges.

M. le président Patrick Bloche. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, le 11 mars dernier, vous avez présenté en conseil des ministres la réforme des collèges, qui concerne 3,2 millions d’élèves et dont la vocation est de moderniser et d’adapter le collège unique mis en place en 1975. Cette réforme doit entrer en vigueur à la rentrée 2016, après consultation de l’ensemble de la communauté éducative.

Cette nouvelle étape de la refondation de l’école de la République est en parfaite cohérence avec notre volonté de rebâtir, un à un, chacun des piliers de notre système éducatif. Vous avez voulu vous concentrer sur l’un de ses éléments les plus fragiles. La belle ambition du collège unique se heurte, en effet, à des difficultés parmi les plus redoutables auxquelles notre école est confrontée.

Le collège peine manifestement à garantir à tous l’acquisition des compétences et des savoirs fondamentaux, et il tend de plus en plus nettement à aggraver, plutôt qu’à endiguer, puis à corriger, le poids de ce que l’on appelle communément les déterminismes sociaux.

La cohérence de la réforme des collèges avec les orientations de la loi pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013 sera très logiquement au cœur de nos échanges, puisque la réforme des collèges ne signifie pas, bien au contraire, l’abandon de la priorité accordée au primaire, au cœur de la loi de refondation.

Par ailleurs, nous sommes intéressés par la manière dont cette réforme concrétise les engagements du plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, que vous êtes venue nous présenter il y a quelques semaines, notamment s’agissant des enseignements interdisciplinaires, des nouveaux programmes ou de la participation des élèves à la vie de leur établissement.

Enfin, nous savons que la réussite du collège pour tous dépend fortement de la lutte contre la ségrégation urbaine. Le renforcement de la mixité sociale, rendu possible par la loi de refondation, est l’une des réponses incontournables aux failles de l’enseignement secondaire. C’est pourquoi nous aimerions connaître vos réflexions sur la nécessaire évolution de la carte scolaire, qui sera sans nul doute l’une des clés de la refondation du collège. Car l’égalité, dans notre République, c’est l’égalité sociale, mais c’est aussi l’égalité entre les territoires.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. La réforme des collèges constitue une étape nouvelle, et décisive, de notre action en faveur de l’éducation. Après avoir traité, dès 2012, la question de l’école primaire, nous nous attaquons aujourd’hui à la réforme des collèges. On considère en effet que le collège est le maillon faible de notre système éducatif : les choses s’y passent assez mal pour les élèves – sauf pour une minorité d’entre eux. Nous devons donc accorder une beaucoup plus grande attention à la façon dont les enfants s’approprient les enseignements. Ce qui importe, c’est moins le nombre des matières enseignées que l’étendue de ce que les élèves ont retenu à la fin de la scolarité obligatoire.

La réforme des collèges s’inscrit dans une approche globale. Elle porte sur le contenu des apprentissages, avec la définition d’un nouveau socle de connaissances et de nouveaux programmes, mais aussi sur les pratiques pédagogiques et sur l’évaluation des connaissances, avec la réforme du diplôme national du brevet (DNB). Elle entrera en vigueur en septembre 2016.

Contrairement à certains changements introduits ces dernières années, elle ne soumettra pas les enseignants à des injonctions paradoxales, comme celles qui leur demandent à la fois de faire travailler davantage les élèves en groupe tout en respectant des programmes sans cesse plus étoffés. Et elle réussira d’autant mieux qu’elle utilisera tous les leviers.

La réforme se fonde sur plusieurs constats. Dans les matières fondamentales, les résultats se sont dégradés ces dix dernières années. Un élève sur huit à l’entrée au collège et un élève sur quatre à la sortie ne maîtrisent pas les fondamentaux du français. Les mêmes difficultés sont observées en mathématiques et en histoire-géographie. Les inégalités sociales sont croissantes : un enfant de cadre a 95 % de chances de décrocher le brevet, contre 75 % pour un enfant d’ouvrier. L’écart entre les plus forts et les plus faibles n’a cessé de se creuser. Enfin, le collège n’a pas su s’adapter pour apporter aux élèves les compétences qu’ils sont en droit d’attendre dans le monde actuel – capacité à s’exprimer à l’oral, à travailler en groupe, à maîtriser les langues vivantes et l’outil numérique. Ainsi, à tous points de vue, la situation est insatisfaisante.

La réforme a la particularité de s’appuyer sur le monde enseignant et sur ce qui fonctionne sur le terrain. Les mesures qu’elle contient n’ont pas germé dans les cerveaux des fonctionnaires de la rue de Grenelle, mais s’inspirent d’expérimentations qu’ont menées les équipes enseignantes les plus innovantes et qui ont fait leur preuve. Il s’agit aujourd’hui d’en faire bénéficier tous les collégiens, et non plus simplement ceux qui ont la chance d’avoir des professeurs à l’avant-garde.

Les équipes pédagogiques seront libres d’organiser les nouveautés
– accompagnement personnalisé, enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), travail en petit groupe – sur 20 % du temps scolaire, en fonction des besoins des élèves. Ainsi, dans certains établissements, l’accompagnement personnalisé se concentrera plutôt sur le français, dans d’autres sur les sciences. Tout en réaffirmant le collège unique, la réforme mettra donc fin à l’uniformité – qui veut qu’un même contenu soit proposé de façon identique dans tous les établissements –, pour s’adapter à la diversité des élèves.

Que contient en effet la réforme des collèges ? Le premier axe vise à garantir la maîtrise des fondamentaux. Cela passe par un socle de connaissances plus exigeant et par la rénovation des programmes. Ceux-ci seront plus cohérents, plus progressifs, plus lisibles et plus simples. Les nouveaux programmes de français mettront par exemple au centre des apprentissages la maîtrise de la langue, à l’écrit et à l’oral. En mathématiques, ils rendront l’enseignement plus attractif, notamment grâce à l’utilisation de l’informatique. En histoire, un effort sur la chronologie offrira des repères spatio-temporels plus clairs et plus simples.

Pour que les élèves puissent mieux comprendre, mieux s’approprier et mieux réutiliser les connaissances, une nouvelle démarche pédagogique sera privilégiée. Ainsi, les nouveaux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) croiseront les disciplines et décloisonneront les savoirs. Les élèves y réutiliseront leurs apprentissages dans des projets pratiques réalisés en groupe et suivis d’une présentation : ils seront ainsi amenés à sortir de la passivité pour s’impliquer de façon très participative. Pour un élève qui a des difficultés en mathématiques, est peu intéressé par l’histoire-géographie et ne prend jamais la parole en classe, participer à un EPI, par exemple autour du développement durable, lui permettra de mieux manipuler les formules mathématiques, de comprendre la mécanique des continents, mais aussi de s’exprimer devant ses camarades pour expliquer le projet collectif.

Ces EPI porteront sur des thèmes, que choisiront les équipes parmi les huit suivants : développement durable ; sciences et société ; corps, santé et sécurité ; information, communication, citoyenneté ; culture et création artistiques ; monde économique et professionnel ; langues et cultures de l’Antiquité ; langues et cultures régionales et étrangères. Les apprentissages – participation des élèves, construction des projets, réalisation finale – seront évalués et inclus dans les compétences du diplôme national du brevet.

Le deuxième axe de la réforme vise à apprendre aux élèves à mieux travailler, ou pour le dire autrement « apprendre à apprendre ». Les méthodes de travail – prise de notes, révision des leçons, préparation d’un exposé, recherche documentaire – leur seront donc enseignées de manière plus explicite. Cet accompagnement personnalisé bénéficiera à tous les élèves – et notamment à ceux des classes de sixième, qui bénéficieront de trois heures par semaine, afin que la transition école-collège se déroule dans les meilleures conditions.

Toujours pour mieux accompagner les élèves, le travail en petit groupe sera développé. Tous les enseignants le savent : il est parfois beaucoup plus facile de faire travailler les élèves en petits groupes homogènes, car cela permet d’établir d’autres relations, de prendre le temps de revenir sur des sujets mal assimilés. Pour que ce fonctionnement puisse se déployer dans tous les collèges, 4 000 équivalents temps pleins (ETP) seront créés.

Cela traduit notre volonté de sortir de l’uniformité pour développer la personnalisation de l’apprentissage. Il s’agit d’adapter l’enseignement à la singularité de chacun, afin que l’élève qui décroche puisse rattraper son retard et que l’élève précoce puisse approfondir ses connaissances.

Le troisième axe de la réforme des collèges vise à donner de nouvelles compétences aux collégiens. Le collège ne s’est pas suffisamment adapté au monde actuel : nos collégiens maîtrisent peu l’oral, ne sont pas habitués à coopérer, à laisser libre cours à leur créativité, à élaborer une démarche essai-erreur… Les EPI sont précisément destinés à améliorer leurs compétences dans ces domaines. Comme le film Les Héritiers, inspiré d’un fait réel, l’a par exemple très bien illustré, lorsqu’on fait travailler des élèves ensemble, il arrive toujours un moment où chacun d’eux parvient à révéler ses potentialités, et donc à améliorer son estime personnelle, qui se répercute ensuite sur ses résultats scolaires. Toutes les études montrent que ces éléments ont une incidence sur la façon dont chacun s’insère dans la société : c’est ainsi que les jeunes deviennent de futurs citoyens, confiants en eux-mêmes, dans leurs concitoyens et dans les institutions.

La deuxième compétence que nous voulons qu’acquièrent les jeunes, c’est la pratique des langues étrangères. Lors de la dernière enquête TOEFL (Test of English as a foreign language), la France s’est classée au soixante-neuvième rang sur 109 pays. En la matière, les grands décrocheurs sont en particulier les garçons relevant de l’éducation prioritaire. À partir de 2016, une première langue vivante (LV1) sera enseignée dès le cours préparatoire (CP) dans tous les établissements, et une deuxième langue vivante (LV2) sera enseignée dès la classe de cinquième. Les expérimentations de cet apprentissage en cinquième, en particulier à Toulouse, ont été un très beau succès : l’apprentissage précoce d’une langue étrangère est d’autant plus bénéfique que les élèves ont un âge où ils ne sont pas encore trop inhibés, où ils osent facilement prendre la parole, contrairement aux élèves plus âgés, comme en quatrième.

Les usages du numérique constituent la troisième compétence que nous voulons développer chez les collégiens. Il s’agira de leur apprendre à comprendre ces usages, à les maîtriser, à les mettre au service de leurs apprentissages. Les programmes préparés actuellement par le Conseil supérieur des programmes (CSP) prévoiront l’acquisition de connaissances en algorithmique et en informatique, ainsi que d’un esprit critique de la culture numérique au regard des enjeux de sécurité numérique, de fiabilité des sources, de civilité et de respect vis-à-vis d’autrui.

Par ailleurs, la rentrée 2016 correspondra à l’entrée en vigueur du plan numérique : les collégiens pourront ainsi accéder à des contenus utiles pour leurs apprentissages – manuels scolaires interactifs –, utiliser des outils pour travailler au quotidien – prise de notes, agendas électroniques –, recevoir des informations du collège – revues de presse du centre de documentation et d’information (CDI). Ces nouveautés seront expérimentées dès la rentrée 2015 : j’ai lancé un appel à projets afin de désigner les 300 premiers collèges du plan numérique, lequel verra le jour en 2016 pour tous les collèges.

Le quatrième et dernier axe de la réforme vise à faire du collège un lieu d’épanouissement et d’apprentissage de la citoyenneté. Ainsi, tient-elle compte de la mobilisation qui a suivi les attentats du mois de janvier.

L’emploi du temps des collèges sera construit autour des élèves : une pause méridienne d’une heure et demie sera accordée à tous les collégiens, les multiples « trous » qui affectent les emplois du temps des collégiens, avec leurs conséquences sur la qualité des apprentissages, seront ainsi mieux comblés pour respecter cette pause.

Des mesures seront prises pour détendre le climat scolaire et lutter contre les violences, en particulier le harcèlement, grâce à l’évaluation des tensions, la formation des enseignants et l’accompagnement des équipes.

La réforme prévoit également de mieux associer les parents à la vie du collège. Cela passera par une communication systématisée grâce à un livret scolaire unique, un meilleur suivi de l’absentéisme, ou encore des dispositifs d’aide aux parents les plus éloignés de l’institution, par exemple à travers une aide pour la maîtrise du français et la connaissance des codes de la réussite au collège.

Enfin, la réforme s’attache à renforcer la démocratie collégienne. Les conseils de la vie collégienne seront généralisés. Un média – radio, journal – sera développé dans chaque collège pour inciter les élèves à s’emparer de l’information. Les moments forts, comme la remise des diplômes ou les cérémonies commémoratives, seront systématisés.

Si nous voulons que le collège de 2016 offre de réelles perspectives de réussite à tous, nous devons mettre fin à la ghettoïsation. La carte scolaire sera donc révisée pour aboutir à des secteurs plus larges et à un processus d’affectation des élèves qui réponde mieux à l’objectif de mixité sociale, laquelle est un facteur de réussite particulièrement important.

Mme Anne-Christine Lang. La situation du collège, considéré comme le maillon faible du système éducatif, est en effet préoccupante. Le premier sujet d’inquiétude est le niveau des élèves et des performances scolaires, très médiocre dans les disciplines fondamentales et bien en deçà de ce que l’on pourrait attendre d’un pays comme la France. La dernière enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) a révélé que 20 % des élèves français de quinze ans étaient en échec scolaire et ne maîtrisaient pas les savoirs fondamentaux. Les résultats de la session 2014 du brevet des collèges corroborent ce constat accablant, en révélant que les deux tiers des collégiens ont obtenu une note inférieure à la moyenne à l’épreuve finale de mathématiques.

Cette réalité nécessite que nous nous interrogions non seulement sur les contenus, mais aussi sur le fonctionnement du collège, sur les différentes façons d’y enseigner, et sur la pertinence du schéma « une heure, une classe, un professeur, une discipline », dont on peut aujourd’hui considérer qu’il n’a pas totalement fait ses preuves.

C’est le sens des deux mesures phares de votre réforme : travail en petits groupes en fonction des besoins dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, notamment en sixième, qui permettra d’assurer la transition entre l’école et le collège ; enseignements pratiques interdisciplinaires, qui donneront du sens et de la cohérence aux apprentissages, actuellement trop cloisonnés, et qui permettront de rompre – enfin – avec cette logique du « petit lycée », peu adaptée à des élèves de onze ou douze ans.

Face aux difficultés, la solution de facilité aurait été de renoncer et de considérer que, en définitive, certains enfants n’ont aucune appétence scolaire, qu’ils ne sont pas faits pour étudier et qu’il est préférable, comme certains nous y enjoignent, de les orienter vers la vie active dès le plus jeune âge – ce qui reviendrait à sceller la destinée scolaire des élèves dès l’âge de treize ou quatorze ans.

La réforme que vous proposez réfute cette fatalité, en se fixant comme objectif la réussite de tous. Dans un contexte de fortes tensions, où des milliers d’adolescents, issus notamment des milieux populaires, éprouvent un sentiment de relégation et de ségrégation, cette réforme devient un enjeu central. Proposer un socle commun de connaissances, de compétences et de culture à toute une classe d’âge, c’est bien plus qu’une question de pédagogie : c’est créer un lieu où travailler et grandir ensemble, quelle que soit, par la suite, l’orientation de chacun, c’est créer des références, des valeurs, une culture communes, partagées par toute une génération, c’est favoriser la cohésion nationale. Au moment où se pose la question du vivre ensemble, il serait paradoxal de prôner la séparation des élèves dès le plus jeune âge et de renforcer ainsi la ségrégation sociale et le sentiment d’exclusion.

Choisir le renforcement du collège unique, qui n’est pas – faut-il le rappeler ? – le collège monolithique, c’est aussi faire un choix de société. La question de la ségrégation se pose de façon particulièrement aiguë au collège, car c’est là que se superposent et se renforcent différents types de ségrégation : ségrégation liée à l’environnement, mais aussi ségrégation sociale et scolaire, quasiment organisée par l’institution elle-même. Les fortes inégalités en matière d’offre scolaire entre les collèges, mais aussi entre les classes d’un même établissement, peuvent engendrer non seulement une compétition exacerbée au sein d’un même secteur, mais aussi souvent des tensions, voire des violences à l’intérieur des établissements, où se côtoient des classes dites « d’excellence », fort bien dotées, et des classes qui apparaissent comme des classes de relégation.

La réorganisation de l’apprentissage des langues vivantes, envisagée dans le cadre de la réforme, permettra de limiter cette ségrégation, puisque le choix d’une langue rare ou d’une classe bi-langues en sixième constitue bien souvent une stratégie privilégiée pour contourner la carte scolaire ou intégrer une classe d’excellence. La généralisation à l’ensemble des élèves de deux langues vivantes dès la cinquième et le choix entre plusieurs collèges de secteur, grâce aux mesures projetées sur la carte scolaire, auront, à n’en pas douter, des effets rapides sur la mixité sociale et scolaire, laquelle constitue l’un des objectifs affichés de la réforme.

C’est parce qu’elle est globale et qu’elle actionne tous les leviers disponibles que cette réforme est ambitieuse. Mais elle ne produira les effets escomptés que si les enseignants s’en emparent. C’est pourquoi le groupe SRC insiste sur le besoin impérieux de formation, tant pour l’accompagnement personnalisé – afin que celui-ci ne se réduise pas à la répétition de quelques pages d’exercice, mais puisse s’enrichir des apports d’autres méthodes et de pédagogies alternatives notamment –, que pour les enseignements pratiques interdisciplinaires. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce qui est prévu en matière de formation initiale et continue des enseignants, condition sine qua non de la réussite de la réforme ?

M. Patrick Hetzel. Le fait que vous abordiez la réforme des collèges ne doit pas induire que la question du premier degré est réglée : le travail doit aussi se poursuivre pour l’école primaire. Nous partageons néanmoins au moins un constat : le collège constitue un maillon faible pour la réussite de nos jeunes. Il est inacceptable que 25 % des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base à la fin de la troisième. Il faut donc agir.

Comme le montrent des travaux de recherche, la réduction constante des heures consacrées au français depuis trente ans est une cause majeure de l’effondrement du niveau académique des collèges. Comment allez-vous concilier la nécessité de remonter le niveau, avec la réduction supplémentaire des heures de français que votre réforme va sans doute entraîner ? Elle prévoit certes le même volume horaire que précédemment, mais dès lors que 20 % de l’emploi du temps global, inchangé, pourront être consacrés à des approches interdisciplinaires, les autres matières verront nécessairement leurs horaires diminuer. Or l’accès à l’interdisciplinaire nécessite au préalable une bonne maîtrise des matières fondamentales, sans lesquelles ces enseignements sont inefficaces. Lorsqu’elle fustigeait la précédente majorité coupable, à ses yeux, d’avoir réduit le nombre d’enseignants, l’opposition d’hier insistait sur la question du volume horaire. Or ce souci a totalement disparu des préoccupations de la majorité actuelle !

À aucun moment vous ne parlez de la manière dont sera effectué le suivi de la réforme. L’OCDE et la Cour des comptes ont pourtant indiqué qu’il ne fallait pas simplement réformer, mais prévoir un dispositif d’évaluation pour s’assurer que les objectifs soient atteints.

D’autre part, j’ai du mal à comprendre pourquoi vous voulez supprimer les cours formalisés de latin et de grec comme le dénoncent notamment beaucoup d’enseignants. Sans doute ces cours sont-ils perçus comme élitistes. Ils n’en ont pas moins une importance réelle. Certains pays, où le latin et le grec n’étaient pas toujours privilégiés par les élèves, ont accordé à ces matières le même statut que les langues vivantes. Pourquoi ne pas s’inspirer des expérimentations qui marchent à l’étranger, afin que ce qui constitue le socle culturel de notre société et de notre civilisation ne soit pas passé par pertes et profits ?

Vous avez parlé d’enseignements personnalisés. Or une manière d’aller vers une personnalisation efficace est de répartir les élèves par groupe en fonction du degré de maîtrise de leurs fondamentaux, matière par matière. Des pays, comme la Finlande, s’orientent dans cette direction. Pourquoi écartez-vous cette piste, alors que les organisations enseignantes vous ont fait des propositions en ce sens ?

Enfin, vous passez sous silence une question clé : le suivi individualisé des élèves, que la Cour des comptes juge mal piloté et mal évalué, alors que 2 milliards d’euros y sont consacrés. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, Madame la ministre ? Le décret n° 2014-540 du 20 août 2014 relatif aux obligations de service des enseignants ne comporte aucune disposition sur ce suivi personnalisé, dont vous semblez faire un des leviers de la réforme. Comptez-vous le modifier ?

Vous l’aurez compris, votre réforme laisse le groupe UMP dubitatif. Disraeli voulait « conserver ce qui vaut, réformer ce qu’il faut ». Il me semble que vous faites l’inverse : vous réformez ce qui vaut – les matières – et conservez ce qu’il ne faut pas.

M. le président Patrick Bloche. Je confirme en effet que les professeurs de langues anciennes nous ont fait part de leurs inquiétudes.

Mme Barbara Pompili. Le groupe écologiste partage votre constat, Madame la ministre : tel qu’il fonctionne, le collège aggrave les difficultés, l’échec scolaire et les inégalités, et il est urgent qu’il cesse d’être le maillon faible de notre système éducatif. Nous soutenons donc une réforme qui, s’appuyant sur la souplesse, l’autonomie et l’interdisciplinarité, entend faire en sorte que le collège unique ne soit plus un collège uniforme.

La réforme des collèges vise à donner plus d’autonomie aux établissements, à accorder une plus grande liberté pédagogique aux équipes, à développer le travail collectif et les projets interdisciplinaires, à favoriser l’oral, les langues vivantes, le travail en petits groupes, à prévoir un accompagnement personnalisé, en fonction des besoins de chaque élève, ce qui doit nous interroger sur l’externalisation croissante et inquiétante de cet accompagnement par des acteurs parfois trop éloignés du système scolaire. Tous ces objectifs répondent aux grands principes que les écologistes ne cessent de mettre en avant en matière d’éducation, comme ils l’ont fait dans le cadre des débats sur la refondation de l’école au travers de nombreux amendements.

Plusieurs exemples montrent qu’une autre organisation de la vie scolaire et qu’une autre approche de la pédagogie et du travail en classe sont possibles – je pense tout particulièrement au collège Clisthène de Bordeaux. Pour lutter contre le décrochage scolaire et redonner le goût d’apprendre, une pédagogie prévoyant travail en équipe, projets collectifs, semaines interdisciplinaires, groupes de tutorat composés de jeunes de niveaux différents, concourt à résoudre les problèmes de violences, à sortir des dynamiques d’échec scolaire. Elle permet aussi aux élèves d’être plus à l’aise à l’oral. Ce collège incarne la mise en pratique réussie d’un changement de paradigme, et de nombreuses autres expérimentations ont fait leurs preuves.

Les enseignements pratiques interdisciplinaires, le travail en petits groupes et l’accompagnement personnalisé illustrent ce changement d’approche. Mais nous pourrions aller plus loin, avec la mise en place de classes dites « verticales », car l’hétérogénéité des niveaux peut être une force. Pourquoi ne pas former des petits groupes d’élèves d’âges et de niveaux différents, qui travaillent ensemble et s’entraident, encadrés par plusieurs enseignants ? Les relations entre élèves ne doivent plus se limiter à une simple juxtaposition, elles doivent devenir de véritables relations de travail. La réforme des collèges doit permettre ce genre d’innovation, et il est essentiel que ces évolutions s’inscrivent dans le dialogue avec les syndicats.

Ces innovations ne sont pas forcément coûteuses, puisque l’enjeu est la liberté laissée aux établissements et aux équipes pédagogiques. Cela m’amène à relayer les craintes sur la question des moyens qui accompagnent votre réforme : les 4 000 équivalents temps plein semblent, en effet, relativement faibles au regard des quelque 7 000 collèges.

La réforme ne réussira que si les enseignants la font vivre. Il est donc indispensable que la formation initiale et continue privilégie les pratiques collaboratives et prépare à ce changement de paradigme dans l’accompagnement personnalisé ou dans la manière de faire classe. Où en sont d’ailleurs les réflexions sur la bivalence des enseignements ?

Articuler la réforme des programmes, et donc du socle, avec celle de l’évaluation est une excellente chose. Mais, pour mener à bien les discussions sur les horaires de chaque discipline, ne faudrait-il pas attendre que la réflexion sur les programmes aboutisse, y compris pour les langues anciennes, à propos desquelles les enseignants expriment des inquiétudes qu’il faut entendre ?

Concernant le brevet, nous attendons les retours du Conseil supérieur des programmes, en espérant que les projets interdisciplinaires seront pris en compte dans l’évaluation. J’ai entendu ce que vous avez dit à ce sujet, Madame la ministre.

Où en sont les réflexions concernant l’évolution de la carte scolaire ? Vos annonces concernant la LV2 dès la cinquième vont permettre de mettre fin à certaines stratégies de contournement, ce dont nous nous réjouissons. Mais il faudrait s’assurer que la LV1 est bien enseignée dès le CP : pour l’heure, il semble que ce ne soit pas simple à mettre en œuvre. Par ailleurs, il semble primordial que les réflexions en cours prennent en compte le privé.

En ce qui concerne notre volonté commune de moduler les moyens alloués aux établissements, où en est la réflexion, notamment sur les critères qui seront retenus ? Tient-on compte à cet égard des expériences étrangères, à l’image du système mis en place en Belgique, qui a permis à ces établissements de s’émanciper de la stigmatisation des labels ?

Je tiens à réaffirmer l’intérêt du groupe écologiste pour toutes les initiatives permettant de renforcer la démocratie au collège et de rapprocher école et parents. La généralisation de la mallette des parents est une excellente chose, mais il faut aller plus loin, en associant les familles et les autres acteurs du système éducatif, afin d’avancer réellement vers l’éducation partagée.

M. Rudy Salles. Nous pouvons tous nous accorder sur un point : la réforme des collèges est une impérieuse nécessité. Le groupe UDI soutient donc cette volonté.

Aujourd’hui, le collège ne garantit plus l’apprentissage des connaissances de base, puisqu’un élève sur cinq en fin de troisième ne maîtrise pas les connaissances du socle commun, à savoir la langue française et les principaux éléments des mathématiques. Le collège apparaît même comme le passage critique de la scolarité, car le décrochage y reste fort et les inégalités sociales se creusent tout au long de cette période. Dans le cadre du rapport qu’Yves Durand et moi-même sommes en train de préparer au sein du comité d’évaluation et de contrôle, nous constatons que, en matière de mixité sociale, c’est vraiment le collège qui est au cœur des difficultés.

Or, à ce défi, le Gouvernement répond par des mesures accessoires, qui ne règlent pas les problèmes à leur source. Le calendrier de présentation de la réforme, qui coïncide avec celui des élections départementales, explique sans doute pourquoi, plutôt qu’une réforme ambitieuse, on nous soumet une série de mesures gadgets. Telle est bien la logique privilégiée depuis le début du quinquennat : la majorité considère que la création de 60 000 postes dans l’éducation nationale la dispense de réformer en profondeur le système éducatif.

Cette réforme présente ainsi des insuffisances criantes. L’apprentissage d’une deuxième langue vivante dès la cinquième ne permettra pas d’assurer l’acquisition correcte des bases de la première langue. Les EPI posent aussi de nombreuses questions. Quel budget sera alloué à ces enseignements, sachant que des économies sont encore nécessaires ? Comment insérer ces cours dans un emploi du temps déjà bien chargé ? Alors que la réforme est censée entrer en vigueur à la rentrée 2016, comment les enseignants pourront-ils être formés dans un délai aussi réduit ? Enfin, si le Gouvernement annonce sa volonté de lutter contre le décrochage scolaire, rien n’est fait contre la fermeture annoncée d’un nombre croissant de centres d’information et d’orientation (CIO). À Paris, le maintien de huit des quatorze centres est menacé dès la rentrée prochaine. Un tel choix est fort regrettable, quand on sait le rôle majeur de ces centres dans l’accompagnement des jeunes.

Bref, nous demeurons dans l’hypocrisie la plus totale : les questions essentielles ne sont pas traitées – si bien que la réforme ne permettra pas à tous les élèves de savoir lire, écrire et compter correctement à la fin du collège –, ne changera rien à la réalité du décrochage scolaire et ne renforcera pas l’apprentissage de la citoyenneté. Le collège méritait pourtant des mesures dignes de ce nom.

Mme Marie-George Buffet. Lors de nos débats sur la refondation de l’école, nous avons entendu dire que c’est à l’école primaire que se cristallisent les inégalités. Aujourd’hui, il est dit que tout se joue au collège… Gardons-nous de toute hiérarchisation. Et n’oublions pas que les difficultés scolaires ne tiennent pas uniquement à l’éducation nationale. Des causes extérieures sont à l’œuvre, en particulier la progression de la précarité.

Cette réforme, vous l’avez dit, madame la ministre, s’appuie sur les expériences mises en œuvre par les équipes pédagogiques. Valorisons-les et travaillons à cette réforme sans pointer du doigt ces équipes qui s’efforcent de faire le mieux possible dans un contexte très difficile.

La réforme est ambitieuse : elle vise à renforcer l’acquisition des fondamentaux, à mieux apprendre à apprendre, à favoriser le suivi personnalisé, à donner aux collégiens de nouvelles compétences, autant d’objectifs auxquels je ne peux que souscrire.

Néanmoins, le manque de moyens alloués à la réforme suscite de grandes inquiétudes, dont les représentants des collèges de Seine-Saint-Denis, que vous avez reçus aujourd’hui, vous ont sans doute fait part. C’est donc moins la réforme en elle-même que sa mise en œuvre qui nous préoccupe.

D’abord, nous nous demandons comment pourront être maintenues les heures d’enseignement disciplinaire avec l’introduction de ces nouveaux EPI. J’insiste sur ce point, car l’enseignement complet des matières est important, surtout pour les enfants les plus fragiles.

Ensuite, si l’enseignement précoce des langues vivantes, en particulier en primaire, est un plus, il nécessite, comme le travail en équipe et l’accompagnement individualisé, de former les enseignants. Or la formation « coûte » des postes pour remplacer les enseignants en formation. Comme vous annoncez seulement 4 000 nouveaux ETP pour environ 7 000 collèges, je ne peux que m’inquiéter pour la mise en œuvre d’une réforme si ambitieuse.

N’oublions pas que le collège, c’est aussi l’âge de l’adolescence, et qu’il est très important que des personnels qualifiés accompagnent les collégiens, en matière de santé notamment.

Compte tenu de toutes ces interrogations, le groupe GDR souhaiterait que vous nous en disiez un peu plus sur les moyens.

Mme Marie-Odile Bouillé. La réforme des collèges a pour objectif de mieux apprendre, pour mieux réussir, en maîtrisant les savoirs fondamentaux et en développant les compétences du monde actuel, selon les termes de votre projet.

Comme bien des collègues, j’ai été interpellée au sujet de l’enseignement des langues anciennes, qui concerne 20 % des collégiens – soit 17 000 élèves dans l’académie de Nantes, par exemple. Or, avec cette réforme, l’apprentissage de ces langues va évoluer vers l’acquisition d’une connaissance des langues et des cultures de l’Antiquité. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

D’autre part, je suis particulièrement attachée à l’éducation artistique et culturelle, c’est-à-dire des activités transversales et non seulement l’enseignement de matières artistiques, la découverte et la rencontre avec les artistes et autres intervenants du monde culturel. Quelle place cette réforme lui réserve-t-elle ?

Enfin, vous avez annoncé qu’à la rentrée 2016, la LV1 sera enseignée dès le CP et la LV2 dès la cinquième. Quel sera le calendrier d’application de cette mesure ? À la rentrée 2016, les enfants arrivant en cinquième n’auront pas reçu d’enseignement de LV1 depuis le CP. Comment leur retard sera-t-il rattrapé ? Comment de manière générale cette réforme sera-t-elle organisée dans les collèges et quels intervenants enseigneront la LV1 en CP ?

Mme Annie Genevard. Madame la ministre, cette réforme des collèges est la première qui porte votre marque depuis votre nomination. En dépit des grandes ambitions affichées dans la loi de refondation de l’école, votre prédécesseur s’était plutôt cassé les dents sur ce dossier. Alors qu’il avait choisi la méthode Coué, affirmant qu’il ne fallait pas avoir une vision trop négative de l’école, vous avez quant à vous choisi d’en dire tous les maux, ce qui est un bon début. Toutefois, ce qui fait la différence entre votre approche et la nôtre, ce sont les moyens d’y remédier.

Le sujet étant immense, je n’aborderai que deux points : l’autonomie des établissements et la suppression de l’enseignement du latin.

Votre réforme ne dit quasiment rien des chefs d’établissement qui devraient être les chefs d’orchestre de politiques d’établissement centrées sur quelques objectifs fondamentaux dont ils devraient animer – et, pourquoi pas, contrôler – la conduite : la maîtrise des savoirs fondamentaux, la pédagogie concentrée sur les progrès de l’élève, soigneusement évalué, la valorisation des pratiques pédagogiques innovantes et efficaces, et le respect de la qualité des enseignants. La question de l’autonomie ne se règle pas seulement en laissant aux établissements la liberté de consacrer 20 % du temps scolaire à des enseignements pratiques interdisciplinaires dont l’appropriation par les enseignants prendra du temps. Pourquoi n’avoir rien dit au sujet de la nécessaire redéfinition des missions du chef d’établissement ?

Ma seconde question portera sur le latin. Après avoir supprimé les internats d’excellence, tenté de décourager les enseignants de classe préparatoire au motif que tout le monde n’y a pas accès, et essayé de supprimer les bourses au mérite, symboles s’il en est de l’égalité républicaine, voici la nouvelle cible d’une idéologie qui consiste à justifier par la lutte contre les inégalités sociales la suppression de ce que vous considérez comme le symbole de celles-ci : les langues anciennes. Vous et les vôtres vivez de clichés qui n’ont plus cours depuis bien longtemps dans les classes de latinistes au profit desquels les enseignants ont développé des pratiques très innovantes. Il y a belle lurette que le latin n’est plus instrumentalisé pour faire des classes de niveau. Oui, on peut être un élève moyen et étudier avec plaisir le latin. Je ne reviendrai pas sur les apports d’une discipline si précieuse à la formation de l’esprit logique, si utile à l’accès à des penseurs majeurs, si essentielle pour comprendre les fondements de notre langue et de notre civilisation. Ai-je besoin de rappeler que ce sont des mosaïques romaines que les touristes allaient voir au musée du Bardo à Tunis ?

Votre réforme porte gravement atteinte à l’enseignement du latin. Certes, sous l’appellation « Langues et cultures de l’Antiquité », il figurera parmi les huit EPI possibles. Il pourra être enseigné par des professeurs de latin, mais aussi par des professeurs enseignant d’autres disciplines. Cette réforme aura toutefois des effets systémiques. Une langue qui n’est plus étudiée au collège comme une matière à part entière, c’est une langue que l’on n’enseigne plus, que l’on n’apprend donc plus à enseigner, et qui meurt. C’est un patrimoine qui devient inintelligible, un trésor qu’on ne partage plus et auquel seule une élite – car, pour le coup, il s’agira bien d’une élite – aura encore accès. Madame la ministre, quel prix attachez-vous à l’enseignement du latin ?

Enfin, j’aurai une requête à vous adresser, Monsieur le président : je sais qu’il n’est pas d’usage dans notre commission d’engager un débat. Toutefois, sur cette question sensible – et au sujet de laquelle nous avons tous été interpellés par les professeurs de langues anciennes –, les réponses de la ministre sont jusqu’à présent restées très évasives. Je souhaiterais donc que nous puissions dialoguer avec Mme la ministre si ses réponses à nos questions ne clarifient pas la situation.

M. le président Patrick Bloche. On aura pu constater que les professeurs de langues anciennes sont bien défendus ! La ministre vous répondra, et nous aurons sans doute l’occasion de revenir ultérieurement sur cette question.

M. Yves Durand. Vous avez le courage, madame la ministre, d’engager une réforme des collèges que tout le monde appelle de ses vœux depuis longtemps, mais que personne n’avait voulu entreprendre jusqu’ici tant cela paraissait difficile. Cette réforme va dans le bon sens : celui de l’égalité devant le savoir.

On a dit que le collège était le « maillon faible » de notre système éducatif. Je crois qu’il faut éviter ce genre d’expressions, car, à en croire certains, il n’y aurait dans le système éducatif que des maillons faibles. L’école n’est-elle pas un extraordinaire creuset de la République ? Ne fonctionne-t-elle pas bien, malgré les difficultés, et grâce à l’implication des enseignants ? S’il est vrai que c’est au collège qu’apparaît l’échec scolaire, c’est à l’école maternelle et élémentaire qu’il trouve son origine. Et c’est pourquoi la loi de refondation de l’école a accordé la priorité à l’école primaire.

Comment la nécessaire réforme des collèges s’articule-t-elle avec cette priorité ? Ne pourrait-on dire qu’elle la poursuit, en particulier dans le cadre du nouveau cycle CM1-CM2-sixième, qui figure dans la loi ? Ce cycle marque bien la continuité éducative que nous voulons de la maternelle jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire.

D’autre part, la France n’ayant pas développé de culture de l’évaluation, par quels moyens comptez-vous suivre la mise en application de la réforme ? La mission du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) me paraît beaucoup plus large. L’évaluation de la réforme pourrait porter sur la mise en cohérence éducative entre l’école et le collège qui repose sur l’instauration d’un tronc commun, à la base de la formation commune au métier d’enseignant.

Mme Sandrine Doucet. La nouvelle organisation du temps scolaire prend en considération les besoins des élèves. Or, ainsi qu’en dispose la loi de refondation de l’école, ce dont ils ont besoin actuellement, c’est d’être des citoyens du XXIe siècle. Vous avez aussi pris en considération les lacunes et les risques de décrochage mis en lumière par les classements PISA. Vous proposez ainsi une nouvelle définition du temps d’étude qui pourrait rappeler les pratiques instaurées dans de piètres conditions au lycée, en 2010. Cette réforme avait servi de prétexte pour supprimer des postes et faire des compétences un simple alibi en vue de rationaliser et d’optimiser l’organisation des classes, le tout ayant entraîné une forte inflation des groupes d’élèves. Mais partant des besoins des élèves et étant assortie de la création de 4000 ETP, la présente réforme permettra de travailler autrement.

Il reste qu’une telle méthode peut éveiller d’autres réticences. En effet, le fait de consacrer 20 % de temps scolaire à des enseignements « choisis » par les équipes peut faire craindre l’instauration d’une hiérarchie insidieuse entre ces enseignements au sein des établissements. Quelle place les enseignants occuperont-ils dans l’organisation de ce temps dans les collèges ? Quelle sera celle des principaux ? Cela limitera-t-il l’autonomie et l’initiative des enseignants dans la gestion de leurs groupes ? Si cette réforme repose sur l’intention louable de prendre en considération le temps des élèves, elle n’en doit pas moins demeurer lisible. Je sais toutefois, pour l’avoir constaté avec plaisir dans ma circonscription, qu’elle peut réussir.

En 1983, Paul Veyne publiait un livre intitulé Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? – question qu’il a posée de nouveau à l’occasion des événements du mois de janvier dernier. L’historien souligne que la France manque de bons traducteurs de latin et de grec, qui puissent percevoir l’essence des démocraties et de la citoyenneté antiques et nous rappeler notre passé pour mieux comprendre le présent. En instituant, dans le cadre de la réforme des collèges, cette étude des civilisations antiques, n’est-ce pas aussi l’occasion de faire le lien entre l’état des sciences humaines de l’Antiquité et leurs conséquences dans l’enseignement pratique pour les élèves ? Les victimes des attentats du Bardo, comme tous les touristes du monde qui admirent les vestiges antiques, ne parlent sans doute pas tous latin. En revanche, ils sont tous initiés et curieux de la culture antique. Or, pour offrir de telles initiations, nous avons besoin de spécialistes qui fassent le lien entre le collège et leur expertise en sciences humaines.

Mme Lucette Lousteau. La réforme présente des avancées importantes en faveur de l’adaptation d’un collège qui sédimente des difficultés depuis de nombreuses années. Elle répond à une attente très forte tant cette étape est perçue – à tort parfois – comme un passage de tous les dangers. Anxiogène pour les élèves et leurs parents, qui n’ignorent pas son importance et qui pourtant se trouvent souvent démunis devant l’échec scolaire, et démotivant pour les enseignants, conscients de ces difficultés et souvent impuissants à les résoudre, le collège concentre des problèmes liés à l’enseignement lui-même, mais également à des causes périphériques. Il fallait une impulsion et une volonté fortes, celles que vous portez dans ce projet, avec l’ambition que le collège permette à notre jeunesse de mieux apprendre pour mieux réussir.

L’axe IV de votre projet prévoit l’inscription systématique, dans les projets d’établissement, d’actions relatives à la formation de futurs citoyens et à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité. Ces actions figureront-elles parmi les missions des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) ? Si ceux-ci existent depuis dix ans dans les établissements du second degré, il semble difficile de connaître leur action effective et d’en mesurer la portée. Pourtant, leurs missions et leur fonctionnement sont définis par les textes : leurs actions doivent porter sur l’éducation à la citoyenneté, la prévention de la violence, la lutte contre l’exclusion par des actions en direction des parents en difficulté, l’éducation à la santé et à la sexualité, la prévention des conduites addictives. Le contenu de leur programme d’actions doit être défini en concertation avec tous les acteurs de la communauté éducative, voté par le conseil d’administration de l’établissement et intégré au projet d’établissement.

C’est dire l’importance de la place qu’ils occupent ou devraient occuper dans l’accompagnement des élèves et des familles, dans un spectre très large. La définition du programme d’action de ces comités, telle qu’elle est prévue dans les textes, pourrait aussi constituer un moment fort dans chaque établissement. Si les actions préconisées dans l’axe IV étaient intégrées dans les missions des CESC au titre de l’éducation à la citoyenneté, cela ne permettrait-il pas de réactiver ces dispositifs en réaffirmant leur inscription dans le pilotage de chaque établissement scolaire du second degré, de prévoir leurs moyens de fonctionnement et la systématisation de leur évaluation ? Qu’envisagez-vous à ce sujet ?

Mme Valérie Corre. Au collège comme ailleurs, il est essentiel d’associer les parents d’élèves à la réussite éducative de leur enfant. Aussi, je me félicite des annonces formulées en la matière dans le cadre de la réforme des collèges : elles confirment votre détermination à faire des parents des acteurs clefs du parcours scolaire des élèves. Je me réjouis également de l’institutionnalisation de temps forts dans les collèges, tels que la cérémonie de remise des diplômes, le spectacle de fin d’année ou la journée de la laïcité, auxquels les parents seront associés. De même, je suis ravie de la généralisation de la mallette des parents à l’ensemble des classes de sixième et de troisième – mallette qui constitue un véritable outil ayant fait ses preuves pour créer du lien entre l’école et les parents.

On prévoit également de généraliser les outils numériques de communication entre les familles et les établissements, afin d’assurer le suivi des élèves, qu’il s’agisse de leur cahier de textes ou de leur relevé de notes. Il conviendra cependant d’éviter que la relation entre le collège et les parents d’élèves ne se réduise à l’usage de cet outil, car on risquerait d’exclure les parents qui ne peuvent y accéder. La fracture numérique dont souffrent nos territoires ne doit pas s’ajouter à la fracture sociale. Rien ne remplacera la relation humaine.

Nous devons enfin reconnaître l’implication des parents élus en leur assurant à tous une réelle compatibilité entre l’exercice de leur mandat et celui d’une activité professionnelle. La création d’un statut de parent délégué permettrait de résoudre cette difficulté. Je souhaiterais donc connaître l’état d’avancement de vos réflexions en la matière.

Mme Julie Sommaruga. Personne, jusqu’ici, n’avait osé mener cette réforme des collèges, pourtant très attendue.

Vous préconisez le renforcement de l’acquisition des connaissances de base en français, en mathématiques et en histoire, avec des programmes entièrement revus. Vous introduisez par ailleurs la combinaison des apprentissages théoriques et pratiques : je m’en réjouis, car il me semble indispensable que les élèves puissent mettre leurs connaissances en application. On sait que cette approche porte ses fruits et permet aux élèves en difficulté de développer le goût d’apprendre, de mieux comprendre et donc de mieux retenir.

Comment la révision des programmes s’opérera-t-elle, tant du point de vue de la méthode que du contenu ? Comment l’articulerez-vous avec la formation des enseignants ?

Vous proposez également que le nouveau collège devienne un lieu d’épanouissement et de construction de la citoyenneté. En ce qui concerne la création de médias par les élèves, nous avons pu constater ensemble, au collège Paul-Bert de Malakoff, l’importance de cet apprentissage et à quel point les élèves s’y sont impliqués. C’est également un outil supplémentaire pour renforcer l’acquisition des savoirs fondamentaux. Comment envisagez-vous de procéder pour instaurer l’apprentissage du numérique ? Quelle formation initiale ou continue sera proposée aux enseignants en la matière ?

Dans le même ordre d’idées, il me semble indispensable de créer, pour les élèves, des stages en association, comme il en existe déjà en entreprise. Ce nouvel outil contribuerait à la construction de la citoyenneté. Au sujet de ces stages en entreprise, il me semble urgent de mener une réflexion sur les discriminations liées à l’absence de réseau qui pénalisent nombre de collégiens à la recherche d’un stage et qui, souvent, les en découragent.

Évoquons, pour finir, la place des parents au collège : on constate en effet, dès l’entrée en sixième, une rupture entre le collège et les parents d’élèves. Or, si la résolution de cette difficulté est l’un des objectifs de la réforme, il convient d’aller plus loin en créant les conditions permettant d’associer au collège non seulement les parents d’élèves élus, mais les parents qui en sont le plus éloignés, et qui n’ont parfois plus prise sur l’éducation de leurs enfants.

Mme Colette Langlade. Je vous félicite tout d’abord, Madame la ministre, pour le travail et le professionnalisme dont vous faites preuve chaque jour. Vous avez en effet remis au centre des préoccupations du Gouvernement et de l’Assemblée nationale la question des enfants et de l’éducation. J’ai noté, lors de la dernière réunion du Comité interministériel sur la ruralité, votre attachement à l’école en milieu rural, lieu de réussite éducative et citoyenne. Vous avez souligné l’importance que vous accordez à la réussite de la lutte contre les inégalités ou les déterminismes sociaux. Vous souhaitez combattre cette difficulté scolaire concentrée sur des territoires où les élèves sont le plus souvent issus de milieux défavorisés.

Vous insistez sur la liberté dont jouiront les équipes pédagogiques et sur l’introduction d’enseignements complémentaires croisant plusieurs disciplines. Vous avez eu raison d’oser. Mais, face à un tel bouleversement, comment accompagner les équipes, les élèves, les parents ? Comment laisser aux enseignants le temps de s’approprier la réforme ?

M. Michel Ménard. Vous proposiez tout à l’heure la création de secteurs communs à plusieurs collèges pour favoriser la mixité sociale. C’est en effet l’un des objectifs de la politique de la ville. C’est toutefois un travail au long cours que d’assurer une vraie mixité sociale dans les différents quartiers d’une ville et entre les différentes villes d’un territoire. Dans les départements où la présence de l’enseignement privé est importante, il est très difficile d’assurer une mixité sociale dans les collèges. Car, si les parents ne sont satisfaits ni de l’affectation décidée par le conseil général qui définit la carte scolaire ni du refus de l’éducation nationale de leur accorder une dérogation, ils vont très souvent scolariser leurs enfants dans l’enseignement privé. Comment éviter que la politique de mixité sociale ne conduise les parents à choisir l’enseignement privé pour éviter le collège public ?

Mme la ministre. Je commencerai par répondre à la question la plus récurrente, celle de l’enseignement du latin et du grec. C’est avec plaisir que j’engagerai, si nécessaire, le débat réclamé par Mme Genevard. Soyons lucides : pour la très vaste majorité des 20 % d’élèves qui passent aujourd’hui par des classes bilingues ou qui choisissent l’option latin, le collège actuel fonctionne très bien et n’a aucun besoin d’être réformé. Mais les autres élèves n’ont-ils pas droit eux aussi à un collège qui réussisse ? Il convient en effet de faire en sorte que tous les collégiens puissent accéder à l’enrichissement que constitue l’apprentissage plus précoce d’une seconde langue et la découverte des cultures et langues antiques. Pour avoir fait moi-même du latin, je sais à quel point l’ouverture aux cultures et langues de l’Antiquité joue un rôle important dans l’acquisition d’une culture commune, dans la construction de la citoyenneté, dans l’apprentissage de ces langues en tant que telles et dans celui de l’histoire des civilisations. Pour toutes ces raisons, je ne me satisfais pas que cet enseignement soit réservé à quelques-uns ! Il ne s’agit donc pas de supprimer une possibilité réservée à un petit nombre, mais de généraliser son accès à tous les collégiens, comme pour les langues vivantes.

À cet effet, nous procédons de deux façons : d’une part, nous introduisons dans l’enseignement du français une initiation à l’étude des langues anciennes, car celles-ci permettent de mieux comprendre les principes fondamentaux de la langue française, l’étymologie, la composition des mots et les fonctions grammaticales. D’une certaine façon, nous mettons l’excellence au service de la réussite de tous les collégiens et de la réduction des inégalités dans la maîtrise de la langue française. D’autre part, dans le nouveau collège, comme aujourd’hui, les élèves pourront apprendre le latin de la cinquième à la troisième, et le grec dès la troisième : ces enseignements ne porteront plus le nom d’options facultatives, mais d’enseignements pratiques interdisciplinaires. Ce changement de nom s’explique précisément par la raison que vous invoquiez, Monsieur Hetzel, et je m’étonne que vous n’ayez pas fait le lien : vous indiquiez en effet que dans d’autres pays, on a su moderniser l’apprentissage des langues et cultures anciennes en donnant d’autres choses à voir que la langue en tant que telle, c’est-à-dire en parlant d’histoire et de civilisation. Or c’est exactement à cela que serviront les EPI, qui, au-delà de la langue, qui continuera bien sûr à être enseignée, permettront d’aborder les questions d’histoire, de civilisation et de culture. Je confirme que l’EPI « Langues et cultures de l’Antiquité » comportera le même nombre d’heures d’enseignement que l’option aujourd’hui existante : les élèves n’y perdront rien.

S’agissant des langues vivantes en général, il a été demandé si l’on y perdait avec l’introduction de la LV2 en cinquième. Comment pourrait-on y perdre, alors que la LV1 s’apprendra dès le CP – ce qui signifie que les élèves l’apprendront non seulement plus précocement, mais aussi pendant de plus nombreuses années que s’ils commençaient cet apprentissage en sixième – et la LV2 dès la cinquième ? Le nouveau collège permettra donc à tous les collégiens de s’initier au latin ou aux langues vivantes, et, s’ils le souhaitent, d’en approfondir l’apprentissage, beaucoup mieux que ce n’est le cas aujourd’hui où l’option latin, les classes bilingues et les classes européennes ne s’adressent qu’à 15 à 20 % des élèves. Je réfute donc toutes les accusations de nivellement par le bas : c’est au contraire tirer tout le monde vers le haut et vers l’excellence que de veiller à ce que ces possibilités soient offertes à chacun.

En ce qui concerne l’accompagnement des équipes dans l’application de la réforme, sachez que, dès ce printemps, nous commencerons la formation des cadres – chefs d’établissement et inspecteurs pédagogiques régionaux – au nouveau collège, à ses nouvelles modalités d’enseignement et au nouveau socle commun. Dès la rentrée scolaire de 2015, des formations sur site pourront ainsi être organisées dans chaque collège, où des formateurs iront apprendre aux enseignants à travailler en équipe dans le cadre des EPI.

Je suis surprise que M. Hetzel m’ait interrogée sur le nombre d’heures de cours de français : les élèves bénéficiaient de dix-huit heures de français au collège en 1985 et de dix-sept heures et demie en 2002. Or la présente réforme ne réduit aucunement le nombre d’heures de cours de chaque discipline et je ne vois pas où se situe la baisse massive qu’il a évoquée. Ne nous livrons pas à une querelle de chiffres : l’enjeu n’est pas quantitatif mais qualitatif. Lorsque des élèves ne s’intéressent pas à une discipline, ce n’est pas avec davantage d’heures de cours qu’ils se l’approprient. Pour l’heure, nous ne parvenons pas à retenir l’attention de nombreux enfants : c’est donc peut-être que nos pratiques pédagogiques ne sont pas optimales. C’est pourquoi nous créons des enseignements pratiques interdisciplinaires et instaurons un accompagnement personnalisé.

Certains trouvent que nous allons trop loin, que nous allons révolutionner le collège en accordant 20 % d’autonomie aux équipes, tandis que d’autres estiment que nous ne changeons pas grand-chose et qu’il s’agit de mesurettes factices et accessoires. Sans doute ces attaques paradoxales signifient que nous avons trouvé un juste milieu. En arrivant au ministère, je n’ai jamais annoncé de « révolution » et ai toujours pris la précaution de concevoir les réformes en partant de ce qui marche sur le terrain. Ainsi, par exemple, dans un collège de Soissons, qui n’était pas le plus favorisé des établissements, nous avons expérimenté le nouvel accompagnement personnalisé, qui a fourni des résultats extraordinaires : en trois ans, les résultats des élèves au brevet se sont considérablement améliorés. Dans toutes les parties du territoire, on a su inventer des outils d’avant-garde efficaces que cette réforme met à disposition de l’ensemble des collégiens.

S’agissant de l’autonomie des chefs d’établissement, si 20 % du temps scolaire est organisé comme ils le souhaitent, cela se fera dans un cadre précis. Ces 20 % comprendront des EPI, de l’accompagnement personnalisé et du travail en petits groupes. Il reviendra à l’équipe pédagogique de définir l’objet sur lequel porteront ces enseignements en fonction de la réalité de l’établissement, de même que les modalités de l’accompagnement personnalisé. Le chef d’établissement aura un important rôle à jouer en la matière : c’est à lui qu’il reviendra de distribuer les indemnités pour missions particulières créées dans le décret du 20 août 2014 tout à l’heure évoqué. Celles-ci permettent justement de surrémunérer les enseignants qui prennent des responsabilités, notamment lorsqu’ils sont « référents décrochage » ou « référents discipline ». Mais à ses côtés, le conseil pédagogique, qui réunit le chef d’établissement et les enseignants, devra pleinement jouer son rôle afin que les décisions relatives à l’organisation de ces 20 % de temps scolaire soient prises de manière collective au début de l’année, et qu’elles donnent lieu à discussion au lieu d’être imposées. C’est d’autant plus important que les enseignants auront ensuite à travailler en équipe dans le cadre des EPI.

Même si cette démarche de travail en équipe ne concerne que 20 % du temps scolaire, dès lors que le conseil pédagogique et le chef d’établissement jouent tout leur rôle, cela finira par avoir un impact sur 100 % de ce temps. Le travail d’équipe aura un effet sur le temps strictement disciplinaire, car, les enseignants se parlant davantage, ils suivront de façon beaucoup plus réactive et précoce les difficultés des élèves. Ainsi, ils pourront par exemple éviter que tous les devoirs ne soient concentrés sur une même période.

Il est inexact d’affirmer, monsieur Hetzel, que l’accompagnement personnalisé n’aurait pas été inclus dans les missions des enseignants : je vous invite à relire le décret qui mentionne expressément que l’aide et le suivi du travail personnel des élèves font partie des missions des enseignants et sont notamment valorisés par les indemnités pour missions particulières.

Plusieurs députés ayant évoqué l’évaluation de la réforme, je rappelle qu’il existe des études nationales et internationales pour mesurer les résultats des élèves. On peut penser ce que l’on veut de PISA : toujours est-il que ce programme constitue un élément d’appréciation de notre système. Nous disposons surtout des enquêtes du Cycle d’enquêtes disciplinaires réalisées sur échantillon (CEDRE) conduites en France par la direction de la prospective. Il est vrai que le CNESCO est un outil d’évaluation intéressant, même si son rôle dépasse le cadre de cette réforme. Enfin, s’agissant de la carte scolaire et de la mixité dans les établissements, j’ai décidé de m’adjoindre les lumières d’un conseil scientifique. Ainsi, dans notre travail d’état des lieux et de simulation visant au redécoupage des secteurs, nous serons accompagnés par des chercheurs reconnus, qui ont beaucoup travaillé sur les questions de mixité sociale à l’école, tels que Pierre Merle, Éric Maurin, Agnès van Zanten, ou des chercheurs de l’École d’économie de Paris. Ce conseil scientifique nous permettra d’évaluer pas à pas les moindres mesures que nous prendrons pour éviter les actions contre-productives. Cela étant, on peut toujours s’améliorer en matière d’évaluation et je suis à l’écoute des propositions que vous pourriez formuler à cet égard.

Je vous accorde que le rapport de la Cour des comptes que vous avez cité est très critique à l’égard de nos dispositifs d’accompagnement personnalisé, mais c’est précisément à cela que répond notre réforme des collèges. La Cour des comptes estime en effet que l’État dépense beaucoup d’argent dans des dispositifs épars, non systématisés et qui ne sont pas forcément inclus dans le temps scolaire. Or, lorsque l’on prévoit trois heures au minimum d’accompagnement personnalisé en sixième, et une heure au minimum en cinquième, quatrième et troisième, cela s’intègre dans le temps scolaire et n’est pas optionnel.

Barbara Pompili a évoqué la bivalence. Avec cette réforme, nous laissons la possibilité aux enseignants, en arts et en sciences notamment, d’organiser leurs cours selon des modalités plus souples que les modalités disciplinaires. Cette réforme des collèges n’instaure pas de bivalence, mais, par le biais des enseignements pratiques interdisciplinaires et de la création de pôles d’organisation commune des disciplines précitées, elle ouvre la voie sans rien imposer. Il convient en effet de laisser de la souplesse aux enseignants, sans chercher forcément à leur imposer les choses.

Le Conseil supérieur des programmes ayant été cité, j’en profite pour remercier ses membres. Je me réjouis que, il y a dix jours, le Conseil supérieur de l’éducation ait adopté le socle commun à une large majorité. Il est assez remarquable que l’on puisse s’entendre sur ce que tout élève doit maîtriser à la fin de sa scolarité obligatoire, dans des termes qui me paraissent suffisamment clairs pour que tout un chacun – notamment les parents – puisse les comprendre. L’adoption de ce socle aura un impact sur tous les programmes : le CSP en déclinera le contenu dans l’ensemble des programmes de la scolarité obligatoire. C’est pourquoi la réforme du brevet est importante : il s’agit en effet de faire en sorte que ce que l’on évalue à la fin de la scolarité obligatoire corresponde à ce que l’on trouve dans les programmes qui correspondent eux-mêmes au socle. Jusqu’à présent, on constatait un certain flottement en la matière : les choses étaient peu claires pour les enseignants. Les programmes sont en cours d’élaboration et une première version sera connue dans quelques jours. Les enseignants seront ensuite consultés, comme ils l’ont été sur le socle. Ce fut d’ailleurs là une nouveauté et le taux de retour a été très élevé – je tiens à le souligner, car j’avais été conspuée lors de la demi-journée de consultation de l’automne dernier. Les enseignants s’approprieront ce socle, puisqu’ils ont eu à se prononcer. Les programmes seront adoptés définitivement d’ici à la fin de l’été pour entrer en vigueur à la rentrée 2016.

Plusieurs députés estiment qu’il est compliqué d’apprendre une LV1 à l’école primaire. Tout dépend de la formation des professeurs. Or, dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), les enseignants sont aujourd’hui systématiquement formés à l’enseignement des langues. Les plus anciens y seront progressivement formés, puis suivront une procédure de validation de leurs capacités à enseigner une langue vivante. Une offre de ressources a vu le jour pour cet enseignement, et un portail dédié aux langues a été créé. Des ressources de différentes natures – notamment des vidéos – sont d’ores et déjà à la disposition des enseignants. Ces efforts portent leur fruit car l’apprentissage de la LV1 à l’école élémentaire s’est déjà amélioré au cours des dernières années. Une enquête CEDRE montre que, entre 2004 et 2010, les performances des élèves en fin d’école primaire en anglais ont augmenté, que ce soit en termes de compréhension orale ou écrite. Si ces résultats sont perfectibles, il reste qu’une culture de l’apprentissage de la LV1 dès l’école primaire se développe et sera généralisée en 2016.

Marie-George Buffet a raison d’insister sur l’importance de personnels sociaux et de santé : leur présence constitue pour nous une priorité, notamment auprès des adolescents. C’est pourquoi plus de 400 postes ont été créés en 2014 pour des infirmières et des assistantes sociales dans les collèges. Nous poursuivrons cet effort.

Yves Durand a évoqué la refondation de l’école à l’enseigne de laquelle se déroulent toutes les réformes que nous avons entreprises depuis 2012. La réforme des collèges s’inscrit en effet dans cette logique. Vous avez raison, Monsieur Hetzel, de dire qu’il ne faut pas oublier la priorité accordée au primaire. Nous ne l’oublions nullement. Nous poursuivrons nos efforts en faveur de la préscolarisation des enfants et pour disposer de plus de maîtres que de classes. La réforme des collèges est la continuation de la refondation de l’école, conformément à la logique des cycles. Cette dernière permet d’assurer la transition entre le primaire et le début du collège : le conseil école-collège permettra aux enseignants des premier et second degrés de définir ensemble des programmes plus progressifs, afin de garantir l’acquisition des connaissances par les élèves.

Rudy Salles m’a interrogée sur les CIO. J’ai demandé aux recteurs des départements dans lesquels le conseil général s’est désengagé de l’entretien des CIO de m’adresser des propositions de cartographie afin d’améliorer le maillage territorial des centres et d’apporter une réponse de proximité aux élèves ayant besoin de conseils en orientation. Notre objectif est de passer de 290 à 360 CIO d’État afin de compenser le désengagement des conseils généraux. Dans le même temps, avec nos encouragements, les conseils régionaux joueront un rôle croissant par le biais du service public régional de l’orientation qui les conduira à ouvrir des enceintes d’aide à l’orientation.

Comme je l’avais annoncé lors de la mobilisation qui a suivi les attentats de janvier dernier, nous sommes en train de créer dans tous les départements un conseil d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Il sera possible, dans cette enceinte, de lancer des initiatives en présence des parents d’élèves et des personnels enseignants et non enseignants. Ce sera le meilleur endroit pour promouvoir des actions de citoyenneté ou l’organisation de cérémonies commémoratives.

Je suis tout à fait d’accord avec Valérie Corre : le livret scolaire unique numérique n’est pas destiné à remplacer la relation physique entre les parents et le personnel du collège.

Enfin, pour répondre à Julie Sommaruga, je suis très favorable à l’idée d’envoyer les élèves en stage dans des associations. Comme vous l’aurez compris, nous avons décidé de créer au cours de la scolarité un parcours citoyen fondé sur l’enseignement moral et civique, parcours qui verra le jour à la rentrée prochaine. Il permettra de valoriser les élèves qui s’engagent soit au sein de la démocratie de l’établissement – qu’il s’agisse du conseil de vie collégienne ou du conseil de vie lycéenne –, soit au sein d’associations extérieures mais partenaires de l’établissement scolaire. Ce parcours étant en cours d’élaboration, c’est le moment opportun d’en débattre, d’autant plus que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat conduisent actuellement des missions de réflexion sur l’engagement citoyen. L’objectif est que nous finissions par nous accorder sur l’idée de parcours citoyen, qui visera notamment à inciter les établissements scolaires à conclure des partenariats avec des associations d’éducation populaire. C’est en tout cas l’une des quelques questions que j’ai adressées aux Assises de l’école et de ses partenaires pour les valeurs de la République. Celles-ci prennent la forme de réunions publiques de personnels de l’éducation, d’associations, d’entreprises et des collectivités locales. Nous présenterons la synthèse de leurs contributions le 12 mai prochain.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir pris soin de répondre à toutes les questions qui vous ont été posées.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 24 mars 2015 à 17 heures.

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Valérie Corre, Mme Sandrine Doucet, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, Mme Annie Genevard, M. Patrick Hetzel, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, M. Michel Ménard, M. Christian Paul, M. Michel Piron, Mme Barbara Pompili, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Sonia Lagarde, M. Victorin Lurel, M. Claude Sturni

Assistait également à la réunion. – M. Régis Juanico