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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 25 mars 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de M. Jean-Pierre Karaquillo, président de la mission de réflexion sur le statut du sportif, sur le rapport remis à M. Thierry Braillard, secrétaire d’État aux sports, accompagné de Mme Astrid Guyart, escrimeuse, et M. Éric Carrière, ancien footballeur professionnel, membres du comité de pilotage de la mission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 25 mars 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission procède à l’audition de M. Jean-Pierre Karaquillo, président de la mission de réflexion sur le statut du sportif, sur le rapport remis à M. Thierry Braillard, secrétaire d’État aux sports, accompagné de Mme Astrid Guyart, escrimeuse, et M. Éric Carrière, ancien footballeur professionnel, membres du comité de pilotage de la mission.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir en votre nom M. Jean-Pierre Karaquillo, professeur agrégé des facultés de droit, cofondateur du Centre de droit et d’économie du sport, président de la mission de réflexion sur le statut du sportif, accompagné de Mme Astrid Guyart, escrimeuse, et de M. Éric Carrière, ancien footballeur professionnel, membres du comité de pilotage de la mission.

À la demande de Thierry Braillard, secrétaire d’État aux sports, et dans le prolongement des trente engagements pour le sport pris par le Président de la République, François Hollande, M. Karaquillo a été amené à travailler pendant plusieurs mois sur la situation professionnelle et sociale des sportifs professionnels et de haut niveau, durant leur carrière sportive et après celle-ci.

Après une large concertation avec l’ensemble des représentants des institutions sportives et du dialogue social, cette mission a remis son rapport le 18 février dernier, en retenant deux axes de réflexion et de proposition : comment préparer les sportifs à la carrière sportive et à l’après-carrière et comment les protéger pendant leur carrière sportive et sécuriser leur statut juridique.

Ce document a été communiqué par courriel la semaine dernière aux membres de la commission afin qu’ils puissent en prendre connaissance. Je crois pouvoir dire qu’il fait consensus au regard des attentes du mouvement sportif. Peut-être pourra-t-il trouver une traduction législative dans les mois qui viennent.

Madame, messieurs, je souhaite d’ores et déjà vous poser plusieurs questions. Le rapport considère que l’avenir des sportifs de haut niveau passe non par la création d’un statut propre mais par le salariat sous forme d’un contrat à durée déterminée (CDD) spécifique qui doit s’accompagner d’un ensemble de dispositifs – protection sociale contre les accidents du travail, droit à la formation, revenus, etc. – à même d’assurer à ces sportifs des conditions d’exercice satisfaisantes. Comment inciter les fédérations à salarier leurs athlètes ? La création d’un tel contrat serait-elle suffisamment incitative ?

Les conventions d’insertion professionnelle (CIP) pour le secteur privé et les conventions d’aménagement de l’emploi (CAE) pour le secteur public constituent souvent de bons outils d’insertion professionnelle pour les sportifs de haut niveau. Comment tirer profit des grandes échéances sportives, notamment celles qui se dérouleront sur notre territoire
– EuroBasket 2015, Euro 2016, et peut-être les Jeux Olympiques – pour les revitaliser ?

Le rapport propose de faciliter l’accès des sportifs de haut niveau à l’enseignement supérieur par des dérogations aux conditions d’accès, voire par l’exemption de concours. Dans quelles disciplines d’enseignement les compétences sportives acquises pendant leur carrière seraient-elles susceptibles de justifier de telles dérogations ?

M. Jean-Pierre Karaquillo, président de la mission de réflexion sur le statut du sportif. Monsieur le président, je vous remercie de nous accueillir.

Le travail de notre mission de réflexion est une œuvre collective – notre comité de pilotage comprenait dix-huit membres – et nous avons beaucoup puisé dans les contributions écrites qui avaient été faites précédemment. Bien évidemment, les services juridiques du secrétariat d’État aux sports ont également apporté leur collaboration. Pendant cinq mois, tous les jeudis et vendredis, nous avons procédé à des auditions. Au total, 191 auditions ont été menées, ce qui est énorme. Les préconisations qui en ont découlé semblent faire l’unanimité, à la fois auprès des partenaires sociaux du sport et des institutionnels, c’est-à-dire du Comité national olympique et sportif français, des fédérations, des ligues professionnelles, des unions de clubs ainsi que des syndicats catégoriels. Il fallait que figure dans ce rapport le fruit d’un certain nombre d’expériences, la mienne mais aussi celle des personnes qui m’ont entouré.

La France compte actuellement 6 500 athlètes de haut niveau. Ce sont des sportifs soit de catégorie « Élite », c’est-à-dire potentiellement médaillables pour des grandes compétitions sportives, soit de catégorie « Senior », soit de catégorie « Espoirs ». 6 500 sportifs de haut niveau, c’est beaucoup et peu à la fois, et très peu sont salariés. La Fédération française d’athlétisme et sa ligue professionnelle ont décidé d’offrir vingt-sept contrats de travail à des sportifs de haut niveau. Certains sportifs professionnels – c’est le cas en golf, en ski et en tennis – sont des travailleurs indépendants.

Nous avons essayé de mettre l’accent sur des préconisations qui seraient communes aux athlètes de haut niveau et aux sportifs professionnels – on entend par sportifs professionnels les joueurs mais aussi les entraîneurs. Il s’agit tout d’abord de prévoir le futur civique de ces athlètes pour faire face à des situations parfois dramatiques. Avec les mouvements de population qui sont de plus en plus nombreux – on l’a vu en ce qui concerne le football mais cela se développe aussi dans d’autres disciplines – on constate en effet aujourd’hui un manque généralisé de formations citoyennes et civiques de la part des jeunes sportifs de haut niveau. Or, lorsque l’on ne possède pas ces fondamentaux, il est très difficile de se reconvertir après avoir achevé sa carrière de sportif de haut niveau. Nous préconisons donc de rendre obligatoire une formation citoyenne et civique, et de priver de l’agrément les Pôles espoir et les centres de formation qui ne joueraient pas le jeu. C’est vous dire à quel point ce type de mesure nous semble important.

Nous sommes également attachés à la mise en place d’un double projet, tant pour les athlètes de haut niveau que pour les sportifs professionnels. On considère souvent que la pratique d’un sport à très haut niveau est incompatible avec autre chose : il faut précisément combattre cet a priori totalement faux. Les entraîneurs, qui doivent être aussi des éducateurs, doivent faciliter ce double projet, afin de permettre aux sportifs de haut niveau ou professionnels de suivre des cycles de formations qualifiantes ou diplômantes. Cela nécessite la mise en place de bilans de compétences, de bilans d’orientation.

Il est également tout à fait essentiel de prendre en compte la validation des acquis de l’expérience, ce qui est, de façon injuste, très peu le cas aujourd’hui. Les référentiels de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) nous permettent en effet d’affirmer qu’un athlète de haut niveau ou professionnel a des acquis de l’expérience non parce qu’il a la qualité d’athlète de haut niveau ou professionnel, mais parce qu’étant athlète de haut niveau ou athlète professionnel, il possède un certain nombre de qualités que d’autres n’ont pas. Il a eu en effet l’occasion de gérer un projet, de voyager dans le monde entier, d’apprendre souvent une ou deux langues étrangères – et je sais malheureusement d’expérience combien ne pas parler couramment anglais est un véritable handicap de nos jours. Il est donc nécessaire que notre système scolaire et universitaire essaie de s’adapter à ce que sont aujourd’hui les athlètes de haut niveau et les sportifs professionnels.

Par ailleurs, j’ai été très choqué d’apprendre qu’en cas d’accident, un sportif de haut niveau ne bénéficie pas d’une couverture sociale. C’est dramatique. Les fédérations n’ont pas l’obligation de contracter des assurances individuelles accident, et lorsqu’elles le font – c’est le cas des fédérations françaises de ski, de gymnastique et de judo –, elles sont insuffisantes. Surtout, la législation sur les accidents du travail ne s’applique pas alors qu’en la matière, nous avons l’une des plus protectrices au monde. Il nous paraît donc fondamental que les sportifs de haut niveau puissent bénéficier de la législation sur les accidents du travail. C’est pourquoi nous préconisons que les fédérations sportives contractent des assurances individuelles accident dignes de ce nom. Un professeur de droit de la faculté de Bordeaux, spécialiste du droit de la sécurité sociale, nous a confortés dans ce type de préconisation. En outre, dès lors que s’applique la législation sur les accidents du travail, peut arriver en corollaire l’inscription sur la liste des maladies professionnelles.

Enfin, une préconisation concerne plus spécifiquement les sportifs professionnels, c’est-à-dire ceux qui sont aujourd’hui dans un lien de travail salarié. Chacun le sait, le code du travail a été élaboré, non pas pour le sport, mais pour le secteur industriel et commercial. Dans les années quatre-vingt, la Cour de cassation a cependant rattaché le contrat de travail des sportifs et entraîneurs professionnels à ce que l’on appelle le contrat de travail à durée déterminée dit d’usage. L’interprétation de la Cour de cassation avait sans doute été assez audacieuse, puisqu’elle avait considéré que pour qu’il y ait un contrat de travail à durée déterminée d’usage il fallait que l’emploi soit par nature temporaire. En tout état de cause, depuis quatre ans mais surtout depuis deux arrêts importants de 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation est revenue sur cette interprétation, c’est-à-dire qu’elle remet en cause le CDD dit d’usage. Or si dans le secteur industriel et commercial le principe est le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) car il favorise la stabilité du lien contractuel, il en va différemment s’agissant du monde du sport où c’est le CDI qui précariserait l’emploi.

Les juristes spécialisés dans le sport ne veulent surtout pas de CDI et tous les partenaires sociaux vont dans ce sens, aussi bien les représentants des sportifs, des entraîneurs professionnels que des employeurs. Cela dit, il existe un certain nombre d’obstacles juridiques – notamment une directive européenne de 1999 – à la mise en place d’un contrat à durée déterminée spécifique où la notion d’emploi permanent serait mise en avant, comme le préconise la Cour de cassation. Ces obstacles, s’ils sont embarrassants, ne paraissent cependant pas insurmontables. Plus embarrassant serait de rester dans le système actuel : on risque en effet d’assister alors à des requalifications automatiques de CDD en CDI par la Cour de cassation et les cours d’appel. La position que vient de prendre la chambre sociale de la Cour de cassation peut engendrer un véritable séisme juridique.

M. le président Patrick Bloche. On retrouve, avec les intermittents du spectacle, un peu les mêmes problématiques que celles que vous venez d’évoquer sur le contrat d’usage, ceux-ci ayant des CDD et pas des CDI.

Mme Astrid Guyart, escrimeuse, membre du comité de pilotage de la mission. Je suis escrimeuse, membre de l’Équipe de France de fleuret et actuellement en route vers les Jeux Olympiques de Rio dans le but de me qualifier et d’en revenir médaillée. Je suis une sportive de haut niveau amateur : certes, je m’entraîne presque comme une professionnelle
– plus de cinq heures par jour – mais je ne vis pas de mon sport. En effet, je suis ingénieure aérospatiale chez Airbus Defence and Space. Je suis donc moitié ingénieure, moitié escrimeuse. C’est là la spécificité du sport de haut niveau français qui doit vivre avec cette contrainte du double projet.

Puisqu’il est difficile de vivre de son sport, comment peut-on faciliter l’accès au double projet pour les sportifs de haut niveau ? Je répondrai à la question du président sur les compétences qu’un athlète met en œuvre au cours de sa carrière, en disant qu’un sportif de haut niveau est un peu l’auto-entrepreneur de son projet sportif : il va mettre en place, tout au long de ces années, une méthodologie d’excellence pour gérer les enjeux, s’adapter, se remettre en cause et continuer à être performant dans la durée. Ce sont des spécificités fortes que partagent l’ensemble des sportifs de haut niveau.

Comment protéger les sportifs de haut niveau puisqu’ils n’ont pas accès à la législation sur les accidents du travail, donc sur les maladies professionnelles ? En effet, si je me blesse, les frais seront à ma charge et je ne percevrai pas d’indemnités journalières liées à la perte de revenu. Et qu’arrive-t-il lorsqu’on arrête le sport ? Pour ma part, j’ai une arthrose de la hanche qui me fait souffrir. Ce n’est pas à quarante ou cinquante ans que cela s’arrangera. Comment faire face aux frais liés à cette pathologie contractée lorsque j’étais en Équipe de France ? Les corps sont usés, ils vieillissent. Comment faire pour durer, pour continuer à travailler, pour rattraper les années de cotisation retraite ?

M. Éric Carrière, ancien footballeur, membre du comité de pilotage de la mission. Pour ma part, j’ai été sportif amateur jusqu’à l’âge de vingt-deux ans. Je poursuivais mes études à l’université de Toulouse – je voulais être professeur de mathématiques – tout en jouant dans des équipes de promotion d’honneur, de division d’honneur, en national. Mais comme j’ai progressé, le football a pris de plus en plus de place dans ma vie. Aussi, à l’âge de vingt-deux ans, je suis parti au Football club de Nantes. J’ai eu la chance, tout en étant sportif de haut niveau, de bénéficier d’un aménagement de mes études à Toulouse, puis de vivre complètement de ma passion. J’ai découvert un milieu passionnant mais qui connaît des dérives, assez faciles cependant à analyser : dans le football, il y a beaucoup d’argent et donc de mauvais comportements. Il faut chercher à améliorer les choses. Les mauvais comportements de certains joueurs que vous voyez à l’image s’expliquent par le fait qu’ils sont dans une bulle depuis leur plus jeune âge, qu’ils n’ont rien fait d’autre que de jouer au football. Pour les reconnecter, il serait intéressant de leur faire suivre des modules de formation citoyenne mais aussi de leur faire découvrir ce qui se passe dans les entreprises. Je fais souvent le parallèle avec les stages que font les jeunes en classe de troisième. Il serait assez facile d’envoyer les jeunes des centres de formation travailler pendant une semaine dans une entreprise sponsor du club, que ce soit dans un club de ligue 1 ou de ligue 2.

Par ailleurs, comme il y a beaucoup d’argent dans le football, peu de joueurs pensent à leur reconversion. Ils imaginent, pour une grande majorité, pouvoir vivre toute leur vie avec les gains qu’ils auront obtenus pendant leur carrière sportive. Il serait intéressant de les obliger à suivre une ou deux formations pour les sortir de leur bulle.

Un article, paru récemment dans le journal L’Équipe, montre que la durée moyenne de la carrière d’un joueur est de six ans et demi – il n’y a pas que des Ibrahimovic ! De nombreux joueurs de ligue 2 et des joueurs moyens de ligue 1 peuvent se retrouver sans contrat du jour au lendemain. S’ils n’ont pas anticipé l’avenir, leur situation peut se révéler dramatique.

Mme Brigitte Bourguignon. Monsieur Karaquillo, permettez-moi de vous remercier pour la présentation simple et claire de votre rapport, et de saluer la présence à vos côtés des sportifs Astrid Guyart et Éric Carrière, que je qualifierai de grands témoins s’ils en sont d’accord.

Le groupe socialiste, républicain et citoyen au nom duquel je m’exprime est particulièrement intéressé par ce rapport. Enfin un travail concret autour du statut social du sportif ! Il conviendra de le traduire de manière législative, peut-être sous la forme d’une proposition de loi. Ce sujet pourrait et pourra nous rassembler, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons.

Je souhaite souligner l’importance du travail réalisé à travers le nombre impressionnant d’auditions que vous avez menées et la collégialité de votre réflexion. Il est temps, en France, de se préoccuper de la situation, de l’avenir, de la sécurité juridique, des jeunes qui s’investissent totalement dans leur sport au point d’en faire leur carrière et d’y sacrifier souvent leur avenir. On sait en faire nos étendards, notre fierté nationale lorsque la performance est là, mais on ne se préoccupe pas souvent de savoir quels sont leurs moyens d’existence.

Avant toute chose, il faut essayer d’occulter l’image « zlatanesque » du sportif, que ce soit en termes d’exemplarité ou de gains astronomiques qu’il représente. Ce n’est pas de ce type de situation dont nous nous préoccupons ce matin.

Il faut aussi admettre la notion de « métier », quand un jeune occupe la majeure partie de son temps, voire la totalité, à son entraînement et aux compétitions, et qu’il sacrifie pour cela tout le reste de sa carrière, au-delà de la passion qui l’anime.

Votre rapport s’articule autour de deux situations essentielles, celle du statut du sportif de haut niveau et celle du statut du sportif professionnel avec la nature du contrat de travail qui le lie à son employeur, et autour de deux sujets centraux, la protection et la sécurité des sportifs. Il convient de définir les contours de chacun de ces deux statuts, et vous nous éclairez à cet égard.

Concernant les sportifs de haut niveau, je salue d’abord vos préconisations concernant la formation, pendant leur carrière et surtout après. Vous réaffirmez la nécessité du double projet car s’il existe déjà en théorie, il reste rare dans la réalité. Soyons réalistes : les obstacles sont nombreux du fait des emplois du temps, du fait parfois de l’entourage encadrant qui étouffe, préoccupé surtout par la performance. Parfois, c’est le sportif lui-même qui refuse de se projeter dans l’avenir, dans l’après-carrière, synonyme de mort sociale pour lui – vous l’évoquez d’ailleurs dans votre rapport. Or le double projet est bien la clé du suivi et de l’après.

Quelles sont les pistes possibles de formations pour un sportif tout au long de sa carrière ? La validation effective des acquis de l’expérience me paraît essentielle car elle peut lui permettre d’accéder à l’enseignement supérieur. Explorez-vous la piste de l’apprentissage, et est-elle compatible ? Quel est le regard des entreprises sur ces propositions ?

Je note aussi vos préconisations en ce qui concerne la sécurité et la protection de ces jeunes. Celles relatives à une couverture sociale, et notamment la mise en place d’une couverture sociale des accidents du travail, sont essentielles et attendues du monde sportif. Elles justifieraient à elles seules une proposition de loi.

Enfin, il y a trop de dégâts, trop de vies gâchées, trop de jeunes laissés pour compte à l’issue de leur parcours, quelle qu’en soit la durée.

Il en va de même pour les sportifs professionnels dont vous clarifiez les situations très variées et dont la précarité échappe le plus souvent au grand public. Vous proposez un contrat de travail spécifique à la place des contrats dit d’usage, qui relèverait du code du sport. Pensez-vous – et je m’adresse au professeur de droit que vous êtes – que notre droit du travail pourra l’intégrer ? Qu’en pensent les partenaires sociaux ? Sommes-nous, avec les contrats dits d’usage, dès aujourd’hui et selon la jurisprudence récemment exprimée, un peu hors la loi ?

Comment mieux protéger les mineurs dans ce monde professionnel ? On pense inévitablement au football car on a pu voir des situations humainement intolérables.

Enfin, si nous pensons aux droits du sportif, quel que soit son statut, il faut insister aussi sur la notion de devoirs. Avant toute prise en charge plus large et effective du sportif, comme ce rapport le préconise, on pourrait imaginer une charte éthique en préalable, avec un engagement réciproque des parties. Qu’en pensez- vous ?

Mme Sophie Dion. Monsieur Karaquillo, je tiens à vous remercier pour votre excellent rapport, qui ne peut que faire consensus car le sport est au-dessus de tous les clivages.

Je veux également remercier les deux sportifs qui sont intervenus, Astrid Guyart et Éric Carrière, chacun illustrant une situation particulière. La plus belle qualité de ce rapport, c’est d’avoir réussi à rassembler dans une même étude des situations juridiques passablement différentes.

Vous avez retenu une définition très large du sportif professionnel, mais vous en excluez les arbitres. Vous dites pourtant que, dans le code du travail, ils sont assimilés aux sportifs professionnels. Pourquoi alors ne pas avoir abordé la question dans votre rapport ?

Vous évoquez l’engagement civique. Ne serait-il pas possible d’inclure la participation aux équipes nationales qui est aussi un critère de reconnaissance ? C’est peut-être le moment d’en parler.

J’en viens à vos préconisations.

Le double projet est affirmé – et Astrid Guyart en est un magnifique exemple – mais il est rarement mis en œuvre. Or c’est un vrai problème car la fin de la carrière d’un sportif est, d’un point de vue social, une sorte de petite mort. Il est donc de notre responsabilité d’instaurer une protection. Les Pôles France et les centres de formation dans le football assurent ce double projet. La difficulté apparaît à l’université. Là, il n’y a plus rien et j’en parle en connaissance de cause.

J’ai apprécié votre préconisation n° 4 qui visent à faciliter l’accès, pour les sportifs de haut niveau, à de nouvelles formations de l’enseignement supérieur par le biais de dérogations aux conditions d’accès ou d’exemptions de concours. Si l’idée est bonne, je ne sais pas comment vous allez y parvenir. J’attends de voir comment vous allez pouvoir signer des partenariats avec l’ensemble du monde universitaire. Je me souviens, pour ma part, que ma tentative de rajouter, au cours de ma carrière universitaire, un point ou un point et demi à un étudiant sportif de haut niveau avait fait l’objet d’une bataille sans fin.

On ne peut évidemment pas laisser les sportifs blessés sans couverture sociale. Il faut donc mettre en place un dispositif de couverture des accidents du travail, avec une prise en charge par l’État, accompagnée d’une assurance complémentaire. Là encore, on ne peut qu’être favorable à cette préconisation.

Enfin, s’agissant du contrat de travail, nous sommes dans le non-droit puisque la chambre sociale de la Cour de cassation a, par deux arrêts de 2014, considéré que notre système était hors la loi. Là encore, je suis favorable à votre préconisation tendant à créer un contrat de travail à durée déterminée spécifique.

Le groupe UMP s’associera à la proposition de loi que Brigitte Bourguignon et moi-même allons conjointement déposer pour essayer de donner vie à l’ensemble de ces préconisations.

Mme Isabelle Attard. Je tiens à saluer M. le secrétaire d’État Thierry Braillard pour avoir eu l’initiative de ce rapport et à féliciter M. Karaquillo, Mme Guyart et M. Carrière pour la présentation qu’ils en ont faite.

C’est vrai, le lycée sports-études est le premier lieu où l’on constate un énorme gâchis sportif. En 1984, j’étais en seconde, à Font-Romeu. Nous étions alors trente. Trois ans plus tard, en terminale, j’étais toute seule. Où sont passés les vingt-neuf autres ? Pour quelle raison certains ont-ils abandonné en cours de route ? D’autres ont été renvoyés du lycée pour mauvais résultats scolaires. Était-ce parce que l’entraînement était trop difficile ? L’éloignement familial était-il trop dur à supporter ? Le nombre de redoublements a été assez conséquent. Les choses ont peut-être changé depuis. J’espère que l’audition de M. Martin Fourcade vous aura apporté des éléments de réponse sur ce point.

J’ai pu constater un manque criant d’accompagnement psychologique des adolescents plongés dans ces lieux de sport de haut niveau que sont les lycées sports-études, même si cela répondait à un souhait de leur part. Les entraîneurs sont soit des directeurs techniques nationaux, soit des personnels qualifiés pour préparer les entraînements hebdomadaires et mensuels des jeunes qui sont entre leurs mains, mais ils ne sont pas compétents pour assurer un accompagnement psychologique. Et pourtant, les parents leur confient leurs adolescents. Mettez cent adolescents dans une boîte – en l’occurrence le lycée – et secouez. Regardez alors ce qui se passe. S’il n’y a aucun adulte compétent pour assurer leur suivi, c’est là que le gâchis commence.

Dans notre commission, nous évoquons souvent le rôle des conseillers d’orientation. Dans les lycées sports-études, ceux-ci sont bien évidemment très importants. A-t-on les moyens d’avoir un nombre suffisant de conseillers d’orientation pour aider ces jeunes qui ont parfois déjà une carrière de sportifs de haut niveau et qui doivent préparer leur reconversion alors qu’ils n’ont que dix-huit ans ?

S’agissant de la reconversion professionnelle, je vous citerai l’exemple de Céline Géraud qui a suivi la spécialité Sport Com’, créée par Jacques Marchand, au sein du centre de formation et de perfectionnement des journalistes. Chacun sait que cette vice-championne du monde de judo a réussi sa reconversion professionnelle dans le journalisme sportif. Mais on ne connaît pas beaucoup d’autres exemples. A-t-on une idée du nombre de sportifs de haut niveau qui ont réussi leur reconversion professionnelle grâce à ces centres de formation ?

Les sportifs connaissent-ils bien les avantages dont ils peuvent bénéficier ? Savent-ils que des places leur sont réservées, qu’ils peuvent accéder, sans concours, à des formations de kinésithérapeute et d’ergonome ? Les places qui leur sont réservées sont-elles bien occupées par des sportifs de haut niveau, ou y a-t-il des places vides par méconnaissance de ces accès privilégiés ?

De la même façon, les sportifs de haut niveau savent-ils qu’ils bénéficient de facilités pour accéder aux concours de la fonction publique, par exemple que la limite d’âge ne leur est pas applicable ? Combien de sportifs s’inscrivent à ces concours ?

J’espère, comme Brigitte Bourguignon, que nous irons au terme du travail législatif et que nous pourrons reprendre la plupart de vos préconisations dans une proposition de loi.

Mme Gilda Hobert. Madame, messieurs, je vous remercie, au nom du groupe RRDP, d’être venus devant notre commission pour nous présenter votre rapport, fruit de nombreuses auditions et concertations.

Permettez-moi de saluer, comme mes collègues, le travail conséquent que vous avez accompli sur le sujet ô combien important du statut du sportif de haut niveau et professionnel. Il était temps de se pencher sérieusement sur la question. Il convenait aussi de répondre à quelques clichés et idées reçues. Nos sportifs nous représentent à travers le monde, ils brillent dans diverses disciplines, ils nous font rêver, ils nous émeuvent, allant parfois jusqu’à déchaîner les passions. Cependant, hors ces moments de transport et de gloire, il convient de s’interroger sur leur devenir. On pourra dire qu’il s’agit de leur part d’un choix de vie. Pour autant, c’est une part de vie très éphémère.

Votre rapport nous informe et nous interpelle sur la nécessité d’aider nos sportifs à mieux envisager leur avenir en anticipant leur reconversion. Mais il s’agit aussi de leur donner les moyens de pratiquer leur sport dans de meilleures conditions à travers une protection sociale qui leur fait cruellement défaut et qui est pourtant inhérente à toute pratique professionnelle. Oui, la pratique d’un sport de haut niveau est une activité professionnelle qui demande aux sportifs des sacrifices et qui nécessite d’y consacrer beaucoup de temps. Un nombre substantiel d’heures est en effet nécessaire quotidiennement.

Comment ne pas s’émouvoir et s’insurger quand on sait que 40 % des sportifs de haut niveau, dont des médaillés olympiques, gagnent moins de 500 euros par mois ? Vos quarante et une propositions sont attendues par l’ensemble du monde sportif.

Vous dites qu’il est important de rendre obligatoire une formation citoyenne et civique. Certes. Je rejoins tout à fait votre volonté de mettre en place ce double projet tant les sportifs peuvent se retrouver démunis dès la trentaine lorsque leur intense, mais brève carrière, prend fin. Ces sportifs débutent en effet très jeunes ; ils se consacrent entièrement à leur pratique, arrêtant souvent leurs études alors même qu’ils sont à l’âge où l’on commence à nourrir son projet professionnel. Les sommes et avantages mirobolants qu’on leur propose, parfois très jeunes, ne contribuent pas, j’imagine, à les mettre en garde et à penser à l’après. Ces avantages nourrissent souvent des leurres.

Vous proposez la validation des acquis de l’expérience, davantage de liens avec les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises, et c’est une très bonne chose. Mais comment serait-il possible d’inciter davantage l’entourage du sportif ? Je pense aux entraîneurs, agents, clubs, qui sont les premiers référents à les aider dans ce double projet.

Le temps manquant souvent aux sportifs, ils doivent pouvoir bénéficier d’aménagements pour se consacrer à des études ou un travail.

Monsieur Carrière, je retiens votre proposition d’envoyer de jeunes sportifs en formation une semaine dans une entreprise.

Le rapport préconise aussi l’instauration d’un contrat à durée déterminée spécifique aux sportifs et entraîneurs professionnels. Pensez-vous qu’il pourra bénéficier à tous les sportifs ou des critères particuliers seront-ils instaurés ?

Enfin, j’aimerais aborder avec vous la question de l’égalité entre le sport féminin et le sport masculin. Certes, madame Guyart, vous représentez fort bien le sport féminin qui est de plus en plus apprécié et valorisé, mais nous le savons tous, des écarts subsistent entre les femmes et les hommes en termes de salaires pour un même sport. De plus, la maternité n’est pas prise en compte dans la carrière des sportives. Ce sujet n’apparaît pas clairement dans vos préconisations. Quelle est votre position en la matière ? Pensez-vous que des mesures seront prises pour améliorer aussi le statut des sportives ?

Astrid Guyart, bonne chance dans votre préparation aux jeux Olympiques !

M. Laurent Degallaix. Je veux féliciter M. Karaquillo pour la qualité de son rapport et saluer Éric Carrière qui nous a fait vibrer quelque temps au stade Bollaert. Merci pour ces bons moments passés !

Il est inutile de rappeler ici l’attachement viscéral des Français aux sports, à tous les sports, et aux sportifs de haut niveau qui font rayonner la France à l’étranger. Une véritable reconnaissance des efforts consentis par les sportifs et des sacrifices que leur choix de vie les oblige à faire est absolument nécessaire. Repenser le statut des sportifs de haut niveau, c’est aussi préparer nos athlètes de demain.

Dans votre rapport, vous avez bien appréhendé le sport dans toute sa variété et les sportifs dans toute leur diversité. Bien qu’ils aient des problématiques communes, les sports ne génèrent pas tous les mêmes besoins, ne comportent pas les mêmes risques, ne comptent pas tous le même nombre de pratiquants, n’ont pas besoin du même équipement, n’ont pas le même calendrier, peuvent dépendre d’une petite fédération ou au contraire d’une fédération importante, être professionnalisés ou non, etc. Cette compréhension du sport de haut niveau permet de faire naître un grand nombre de propositions intelligentes et bien pensées dans l’intérêt des sportifs et du sport français en général.

Il faut néanmoins rester prudent sur plusieurs aspects que je souhaite rappeler dans le cadre d’une mise en place efficace des nouveaux statuts des sportifs de haut niveau. D’abord, soyons attentifs à ne pas risquer de créer un régime spécial des sportifs de haut niveau via une série de mesures qui pourraient, à un moment ou un autre, donner l’impression de passe-droits, notamment dans le cadre de l’accès aux formations et l’obtention de diplômes.

Même si une certaine bienveillance s’impose pour des étudiants sportifs dont le volume horaire hebdomadaire d’entraînement ne permet effectivement pas de préparer les concours ou les examens dans des conditions égales à celles des non-sportifs, trop en faire dans ce domaine risque de confiner à la mise en place d’un système un peu à l’américaine où les performances sportives constitueraient des passe-droits aux diplômes ou aux formations. Un étudiant sportif doit passer les mêmes examens que les autres, pour obtenir le même diplôme, par souci d’équité avec les non-sportifs autant que pour maintenir la valeur de ces diplômes. Cela étant, il faut évidemment donner aux sportifs toutes les armes pour pouvoir exercer leur activité sereinement, et leur épargner des obstacles pour qu’ils disposent des mêmes chances que les autres.

Je veux également saluer votre proposition qui vise à mettre en place un dispositif de couverture accident du travail qui serait pris en charge par l’État ainsi que les aménagements proposés aux règles relatives au temps de travail et au repos du sportif. Néanmoins, je rappelle que nous sommes dans un contexte économique difficile où toutes les entités, qu’il s’agisse des entreprises, des administrations, des fédérations sportives ou autres, sont contraintes à des restrictions financières et budgétaires qu’il faut prendre en compte. Il conviendra donc, à chaque fois que ce sera possible, de privilégier les solutions efficientes et de bon sens pour permettre la concrétisation du plus grand nombre de vos propositions.

Mme Valérie Corre. Madame, messieurs, je vous remercie pour la présentation de ce rapport qui contient nombre de propositions afin d’améliorer le cadre d’activité des sportifs et surtout renforcer leurs droits. Ce rapport permet surtout à beaucoup d’entre nous d’aborder la réalité du quotidien de la grande majorité des athlètes qui vivent difficilement de leur pratique sportive, à l’exception, pour les premières divisions, de quelques disciplines très médiatisées.

Ma question porte sur la création d’un CDD pour les sportifs, dérogatoire au droit commun. Monsieur Karaquillo, au-delà de vos réserves sur le plan juridique, je m’interroge sur l’extension de ce CDD dérogatoire aux entraîneurs, et en particulier à ceux des clubs plus modestes. S’il est établi que le CDD correspond mieux à la spécificité des carrières sportives temporaires et qu’il apporte un cadre plus protecteur, aux joueurs comme aux clubs professionnels, je me demande si l’on ne risque pas de voir l’ensemble des entraîneurs assujettis à un CDD de courte durée, ce qui pourrait avoir pour conséquence de précariser le sport de très haut niveau sans les conditions salariales qui l’accompagnent.

Mme Dominique Nachury. Je tiens à saluer M. Karaquillo pour la qualité de son rapport qui propose une véritable protection juridique, financière et sociale des sportifs et aborde de nombreux domaines : reconversion, couverture sociale, formation professionnelle.

La préconisation n° 20 vise à prolonger le devoir d’accompagnement socioprofessionnel des sportifs de haut niveau par les fédérations jusqu’à cinq ans après leur sortie de la liste ministérielle. Peut-on imposer des contraintes nouvelles aux fédérations sans leur donner des moyens supplémentaires ?

La lettre de mission prévoit l’analyse des modalités de mise en œuvre des préconisations avec, le cas échéant, des propositions de rédaction de textes réglementaires ou législatifs. Il ne m’a pas semblé que des propositions d’articles figuraient dans le rapport.

De nombreux sportifs ont été auditionnés. Quel est le trait commun qui ressort le plus dans leurs déclarations ? Quelle serait la plus grande attente des sportifs de haut niveau et des sportifs professionnels ?

M. Hervé Féron. C’est un fait, aujourd’hui plusieurs sportifs de haut niveau ne possèdent plus les bases de vie citoyenne, à tel point que vous estimez qu’il est urgent de leur apporter une formation à la citoyenneté et au civisme. Pourtant, les valeurs du sport qui sont celles du dépassement de soi sont également celles du respect, de la solidarité et de la fraternité. Comment un tel décrochage entre sport et citoyenneté a-t-il pu se produire ? Pouvez-vous nous présenter certaines des mesures que vous préconisez dans votre rapport pour promouvoir l’éducation civique et citoyenne parmi les sportifs de l’élite ?

Vous consacrez une partie non négligeable de votre rapport aux aides dont bénéficient les sportifs de haut niveau. Compte tenu du contexte budgétaire contraint, ces aides ne sont-elles pas menacées ? Je pose cette question parce que lors de votre audition devant la commission de la culture du Sénat, vous avez indiqué que les directions techniques nationales ainsi que la direction des sports réfléchissaient à une diminution de ces aides à court terme. Dans quelle mesure ces aides diminueront-elles et comment les réallouer au mieux et vers quelles populations et sports cibles ? Ne mettrions-nous pas en difficulté une partie des athlètes qui participent actuellement au haut niveau ?

Comme cela est évoqué dans l’introduction de votre rapport, cette mission aurait pu également être l’occasion de réfléchir au positionnement juridique des arbitres. Je sais que dans le monde du football ils ne sont toujours pas considérés comme des professionnels, à la différence de leurs homologues européens. Après avoir été reçus à l’examen d’arbitrage, ils ne bénéficient de l’aide d’aucune instance et doivent prendre en charge eux-mêmes leur préparation physique. L’absence d’un tel statut professionnel est-il la règle dans le monde du sport ou spécifique au football ? Une réflexion sur le statut de l’arbitre, acteur indispensable qui permet de faire respecter les règles et sans qui le jeu ne peut se développer, est-elle envisagée dans les mois à venir ?

Enfin, M. Carrière suggère de proposer des formations aux sportifs de haut niveau. L’une des recommandations du rapport consiste à mieux prendre en compte les acquis de l’expérience ainsi que les compétences propres des sportifs, telle que la maîtrise de langues étrangères et à la prédisposition pour la mobilité professionnelle. Ces deux atouts sont particulièrement appréciables dans le monde du travail. Serait-il possible de développer des partenariats avec des universités à l’étranger ? Pourrait-on, en quelque sorte, créer un Erasmus du sportif ?

M. Paul Salen. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce rapport assez complexe qui concerne les sportifs de haut niveau et le monde professionnel, certains joueurs étant salariés tandis que d’autres sont indépendants.

Effectivement, il faut à tout prix créer un contrat à durée déterminée spécifique. Le CDI est à bannir, sinon le joueur « appartient » à vie au club, il fait partie de son « cheptel », si vous me permettez cette expression.

Mme Guyart a indiqué qu’elle s’entraînait cinq heures par jour. À cela, il faut ajouter les temps de récupération, les soins, les déplacements et peut-être aussi la vie de famille. Éric Carrière se demande s’il ne faudrait pas obliger les joueurs à suivre une formation. Ne pourrait-on pas aussi obliger les clubs à leur faire suivre une formation, pas uniquement dans les centres de formation, mais quand ils deviennent de jeunes professionnels ?

Comment éviter ce gâchis sportif et humain au niveau des centres de formation ? Des jeunes abandonnent tout – famille, parfois études – pour se consacrer à leur sport et essayer de devenir professionnels. Or dans le football, par exemple, sur cinquante jeunes, deux ou trois seulement y parviendront.

Mme Sandrine Doucet. Monsieur Karaquillo, je vous remercie pour votre rapport extrêmement précis et qui ouvre l’horizon des questionnements sur le statut des sportifs. Je remercie également Mme Guyart et M. Carrière pour leur témoignage.

Vous dites dans votre rapport qu’être sportif est un métier qui s’apprend. À partir de quand apprend-on à être un sportif ? Les classes aux horaires aménagés ou les classes sportives sont-elles le creuset idéal ? Dans ce cas, leur pérennisation n’est-elle pas essentielle pour créer des habitudes d’accompagnement et de travail, propices à l’épanouissement ? N’est-il pas nécessaire d’instaurer autour de ces établissements une véritable politique de site qui lie les clubs, les collectivités territoriales, le personnel enseignant, pour aboutir à l’accompagnement le plus optimal possible ?

Il est indiqué dans votre rapport que près d’un tiers des basketteurs et plus de la moitié des coureurs cyclistes exercent, à l’issue de leur carrière sportive, un métier qui ne correspond pas à ce qu’ils souhaitaient. La validation des acquis de l’expérience n’est-elle pas le moyen de leur permettre de mieux intégrer le monde de l’entreprise ? J’effectue actuellement un travail sur la validation de l’apprentissage informel et non formel en Europe auprès de la commission des affaires européennes. À la lumière de ce que j’ai pu voir dans d’autres pays européens, je me demande si l’on ne devrait pas faire des progrès, en France, s’agissant de la reconnaissance des compétences développées par les sportifs dans l’entreprise au-delà de cette démarche de la validation. Quelles perspectives souhaiteriez-vous voir élargies dans ce cadre-là ?

Mme Claude Greff. Monsieur Karaquillo, je vous remercie pour votre rapport.

Siégeant au sein de l’Agence du service civique, je suis très sensible à ce dispositif. Votre préconisation n° 28 vise à définir un dispositif de volontariat adapté plus précisément aux sportifs de haut niveau. Est-ce dû au fait que ceux-ci doivent consacrer beaucoup de leur temps à leur entraînement ? Vous parlez de dispositifs d’insertion par l’emploi et des conditions spécifiques aux missions de service civique. Je crains que votre rapport ne fasse la confusion entre les activités de service civique et l’accès à un emploi, emploi d’avenir et contrats uniques d’insertion. Ce n’est absolument pas la même chose, même si la mission de service civique peut permettre d’accéder à un emploi. J’espère que cette confusion ne se retrouvera pas dans la proposition de loi.

En tout état de cause, je suis très sensible à vos propositions et j’espère, comme mes collègues, que nous aboutirons à la présentation d’une proposition de loi car il faut apporter davantage de sécurité à nos sportifs de haut niveau.

M. Guénhaël Huet. Le statut des sportifs de haut niveau est un sujet ancien qu’il convient de traiter car nous connaissons tous des exemples de sportifs qui ont mal fini à l’issue de leur carrière professionnelle ou non professionnelle. Dans un certain nombre de cas, notre pays n’a pas manifesté la reconnaissance qu’il aurait dû à l’égard d’un certain nombre de femmes ou d’hommes qui ont fait parler de la France.

Je veux appeler votre attention sur la difficulté de l’exercice qui est tout sauf simple. Monsieur Karaquillo, il y a une différence fondamentale entre la carrière d’un sportif qui est par nature aléatoire et un statut qui a un caractère permanent. Ce hiatus intellectuel ou méthodologique doit nous amener à réfléchir. On ne peut pas, à l’évidence, par un texte juridique qui a, par définition, une certaine permanence, régler le caractère aléatoire de la carrière des sportifs de haut niveau. Mais, bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, qu’il ne faut pas s’intéresser à la formation, au contrat de travail ni à la protection sociale.

Notre pays compte un peu plus de 6 500 sportifs de haut niveau. N’est-ce pas trop ? On sait très bien qu’il y a de bons athlètes qui sont inscrits sur les listes de haut niveau mais qui ne devraient manifestement pas y figurer. Ne faudrait-il pas procéder à une sélection plus sévère pour éviter de bercer d’illusions un certain nombre de jeunes ?

La carrière d’une escrimeuse n’est pas du tout la même que celle d’un footballeur. On ne peut pas gérer de la même façon leur reconversion. De quelle manière avez-vous pu, à travers votre rapport, répondre à la diversité des situations ?

M. William Dumas. À mon tour, je veux remercier M. Karaquillo pour son excellent rapport.

Je souhaite évoquer le cas des sportifs de haut niveau en situation de handicap. Pour m’être occupé, au sein du conseil général du Gard, du handisport, je peux vous dire que trouver les financements pour leur fournir du matériel adapté relève du parcours du combattant.

Votre préconisation n° 27 vise à favoriser la mobilisation de financements spécifiques. Comment faire ? Pour avoir essayé de mobiliser des financements auprès de grandes villes, d’entreprises, je peux témoigner que ce n’est pas facile. Ces sportifs rencontrent surtout des problèmes pour avoir le matériel le plus performant et le plus adapté possible. Ils ont besoin, par exemple, de fauteuils roulants légers. Or ceux-ci coûtent un prix exorbitant et nous avons de plus en plus de mal à les aider.

M. Frédéric Reiss. À mon tour, je veux féliciter M. Karaquillo pour ce rapport qui sera un excellent support pour un travail législatif tendant à améliorer le statut des sportifs.

On a beaucoup parlé dans notre commission d’intermédiaires, de managers, d’agents et de la manière dont on peut éviter les dérives. Le sujet est différent aujourd’hui. Il est vrai qu’il est plus facile de donner une prime à un médaillé que de se préoccuper de sa réinsertion professionnelle ou de sa couverture sociale, notamment en cas d’accident.

J’ai été étonné de ne pas voir, dans la liste des personnes auditionnées, un représentant de la Fédération française de tir, même si vous avez entendu le président de l’association des directeurs techniques nationaux – je précise que je suis du pays de Michel Bury. Dans le tir, comme en escrime, la question du double projet professionnel est importante.

Sportif est un métier qui s’apprend, dites-vous. Pour un sportif de haut niveau, il y a d’abord le talent, le goût de l’effort et du dépassement de soi, la notion de mérite mais aussi le devoir d’éthique, d’exemplarité, d’image parce que cela fait rêver des millions de jeunes. À ce titre, on n’a pas le droit de donner de mauvais exemples.

J’ai rencontré, la semaine dernière, le directeur régional de Pôle emploi qui, comme vous, m’a parlé du problème de la formation et de l’absence de bases, de fondamentaux. Vous estimez qu’une formation citoyenne et civique est indispensable : je suis entièrement d’accord avec vous. Il y a sans doute des choses à faire au niveau des centres de formation pour que ces fondamentaux soient bien acquis.

J’ai été surpris par le peu d’interventions portant sur le handisport. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Quelles sont les spécificités qui se posent en la matière ?

M. Michel Ménard. Contrairement à M. Huet, je ne crois pas qu’il soit souhaitable de réduire la liste des athlètes de haut niveau. Ce n’est pas ainsi qu’on améliorera la situation des sportifs de haut niveau. Même si certains sportifs, de par leur discipline, sont moins médiatiques, ils n’en ont pas moins de mérite, au contraire, puisque leur situation matérielle est souvent plus compliquée.

Les sportifs de haut niveau ont des conditions matérielles et financières très différentes. Vous proposez dans votre rapport la création d’un fonds dédié aux sportifs de haut niveau alimenté par un mécénat d’entreprise. Ne pourrait-on pas envisager également un système de cotisation solidaire des sportifs de haut niveau qui serait progressif et fonction des ressources des sportifs ? Autant certains ont bien du mal à vivre, autant d’autres ont des revenus extrêmement importants.

M. François de Mazières. Je veux, moi aussi, féliciter les intervenants pour la clarté de leur exposé.

Certains clubs sportifs de ma commune m’ont dit que l’inflation des règles, notamment en matière de recrutement des entraîneurs et des arbitres, leur coûtait extrêmement cher. Du coup, ils se tournent vers les mairies. Or, du fait du contexte budgétaire contraint, celles-ci ne peuvent pas augmenter les subventions. Comment voyez-vous la frontière entre les sportifs de haut niveau et le monde du bénévolat ? L’inflation des normes dans le monde du bénévolat fait que les clubs n’arrivent plus à faire face. Il s’est ainsi créé un marché des entraîneurs et des arbitres extrêmement coûteux qui est en train de ruiner la pratique sportive parce que les communes ne peuvent plus suivre et que l’État n’est pas là.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame, Messieurs, je tiens à vous remercier d’être venus devant notre commission pour présenter ce rapport sur le statut des sportifs qui a reçu le soutien de l’Association nationale des ligues de sports professionnels. Je salue la plupart de vos préconisations. La France a besoin de ses sportifs et il est de notre devoir de mettre en place des dispositifs empêchant les sportifs professionnels et les sportifs de haut niveau de se retrouver dans une situation matérielle ou sociale précaire après la fin de leur carrière.

Certaines préconisations nécessitent cependant des clarifications. Les préconisations n°s 22 et 23 font état des aides de l’État et des fédérations. La préconisation sur la mise en place d’un fonds dédié aux sportifs de haut niveau alimenté par le mécénat d’entreprise prévoit-elle des conditions pour distribuer l’aide financière aux sportifs ? Il me semble également important de mettre en place un dispositif qui ne défavorise pas les sports n’ayant pas un fort impact publicitaire mais dans lesquels nos sportifs montrent des performances excellentes.

Je souhaite aussi appeler votre attention sur le sujet de la nationalité sportive. Quand vous parlez des aides de l’État, vous n’évoquez pas la possibilité de changer la nationalité sportive qui existe dans de nombreuses disciplines, comme le football ou le handball. Comment réagira l’État lorsqu’un sportif ayant la nationalité française et qui bénéficie des aides financières de l’État changera sa nationalité sportive et rejoindra une autre équipe nationale ?

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Karaquillo, le nombre d’interventions des députés montre toute la qualité de votre rapport. J’ai vu leur désir d’aller plus loin, d’être utiles – et c’est un peu notre mission. Nous pourrons donner vie à vos propositions en créant un statut du sportif qui sera gravé dans le marbre de la loi selon une démarche consensuelle réjouissante.

M. Jean-Pierre Karaquillo. Mesdames, Messieurs les députés, j’ai cru comprendre que vous étiez derrière nous : nous avons besoin de vous pour éviter que ce rapport ne reste dans un tiroir.

Lorsque le secrétaire d’État m’a contacté, j’ai posé un certain nombre de conditions. D’abord, j’ai demandé à bénéficier d’une indépendance absolue. Je n’ai voulu aucune immixtion – cela fait partie de mon tempérament. J’ai fait valoir également qu’il était inutile de passer autant de temps à l’élaboration de ce rapport si l’on ne se battait pas ensuite pour le traduire dans un texte de loi. Comme vous, j’ai une autre vie, j’exerce un certain nombre de missions dans le milieu sportif. Si je suis un universitaire par accident, ce n’est pas tout à fait par hasard que j’ai accepté cette mission : je suis en effet un enfant légitime du sport et seulement un enfant adoptif de l’université – et je ne sais même pas s’il s’agit d’une adoption plénière !

Toutes vos questions étaient d’un grand intérêt, et je suis sûr que Mme Guyart et M. Carrière m’aideront à y répondre.

Vous nous avez reproché de ne pas avoir abordé certains points, comme l’égalité entre les femmes et les hommes, et la situation des arbitres. Mais lorsque l’on met l’accent sur la nécessité d’appliquer la législation sociale aux sportifs de haut niveau, on se préoccupe de fait de la situation de la femme sportive enceinte, par exemple.

S’agissant des arbitres, nous avons fait le choix délibéré de ne pas traiter cette question. Je m’en suis expliqué auprès de l’Association des arbitres et de mes amis du monde du football. Je leur ai demandé, en effet, de régler d’abord leurs problèmes. Aujourd’hui, il existe six arbitres professionnels en basket et quatre en rugby. Le football s’interroge pour savoir s’il faut ou non instaurer le professionnalisme dans le monde des arbitres. Je lui laisse le temps de répondre à cette interrogation. Je leur ai aussi indiqué qu’il y avait eu un fort lobbying auprès sans doute de vous-mêmes et des sénateurs pour imposer un texte inséré dans le code du sport prévoyant – et cela fait frémir les juristes – que l’arbitre est un travailleur indépendant au regard du droit du travail et un travailleur salarié au regard du droit de la sécurité sociale. Il faudrait modifier ces textes. Mais le moment n’est pas venu.

Lors de notre mission, le secrétaire d’État m’a dit avoir rencontré, à Doha, le président de l’association des directeurs techniques nationaux qui estime, quant à lui, qu’il faut absolument se saisir de la position des arbitres. Certes. Mais, je le répète, ce n’est pas le moment. Même en ayant procédé à des auditions pendant cinq mois, tous les jeudis et vendredis, il était difficile d’aborder tous les sujets. Ce rapport n’est pas exhaustif. Il a essayé de cerner les points les plus brûlants.

À cet égard, il est essentiel que la préconisation sur l’instruction civique et citoyenne prenne vie à travers un texte de loi. Mon parcours de vie fait que je connais bien ces questions. Pour ma part, j’ai arrêté mes études en troisième – et j’avais le niveau de la cinquième. Eh bien, si je n’avais pas eu ce support civique et citoyen qui manque aujourd’hui à beaucoup d’athlètes de haut niveau et d’athlètes professionnels, je n’aurais pas pu faire une capacité en droit. Tout le monde peut faire du droit, on n’a pas besoin d’avoir des compétences particulières.

Vous m’avez demandé comment cette formation citoyenne et civique pouvait être mise en place : il faut une formation théorique civique mais aussi des stages imposés dans des lieux de vie, c’est-à-dire dans des entreprises, des théâtres, des musées, etc.

Vous vous interrogez par ailleurs sur le fait de savoir comment mieux adapter l’école et l’université à des sportifs de haut niveau. Mais il faut aussi que le monde sportif s’adapte. L’entourage des athlètes de haut niveau et des athlètes professionnels ne les incite pas à faire des études. Alors que j’avais dix-huit ans et que je jouais au football en tant que professionnel, les entraîneurs me considéraient comme l’intellectuel qu’il fallait fuir parce que j’étais en capacité en droit. Un tel état d’esprit existe toujours. Il faut donc travailler sur ce point. Les directeurs techniques nationaux dépendent de l’État. Ce sont eux qui forment les entraîneurs. Si ceux-ci doivent être formés techniquement, ils doivent aussi suivre une formation d’éducateur. Il y a de très bons entraîneurs en France, et dans toutes les disciplines. Mais beaucoup ont oublié qu’ils sont aussi des éducateurs. La seule chose qui compte pour eux, ce sont les résultats.

Mme Astrid Guyart. Comment un sportif peut-il à la fois être performant et s’insérer dans un projet professionnel ? La priorité pour les entraîneurs, c’est la performance. Ils veulent que je sois médaillée aux Jeux Olympiques de Rio. Que je fasse des fusées constitue pour eux une contrainte. Il faut donc rendre le système intelligent : il doit être adapté à notre spécificité pour que les entraîneurs y adhèrent.

Comment faire signer des partenariats avec le monde universitaire ? Cela passe d’abord par la reconnaissance. Il faut que l’État, ses institutions, ses écoles nationales reconnaissent que ce parcours, qui n’est pas classique, est néanmoins un parcours d’excellence. Ce sera probablement la première étape pour convaincre les directeurs des grandes écoles nationales de faciliter l’accès à leurs établissements via des concours aménagés, des aménagements d’études. Car nous pouvons étaler nos études. Nous ne sommes pas obligés de faire une formation d’ingénieur en trois ans. C’est par ces mécanismes qu’on rendra le système flexible et intelligent. Certaines grandes écoles le font déjà : l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP), l’École des hautes études commerciales du nord (EDHEC), l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), l’Institut national des sciences appliquées (INSA) pour les écoles d’ingénieurs. C’est en reconnaissant ce parcours d’excellence qu’on convaincra les directeurs d’établissements qu’ils ont un intérêt à avoir des sportifs en leur sein. On a cette chance d’avoir, en France, pour chaque métier, une école nationale dédiée pour accéder à la formation et il existe un établissement public pour accéder à l’emploi.

M. Éric Carrière. Dans le domaine du football, les entraîneurs sont soumis à une très forte pression en raison des enjeux. Pour ma part, j’ai passé le brevet d’État d’éducateur sportif du deuxième degré. Sur le plan théorique, c’est génial, on apprend vraiment les valeurs du sport. Lorsque j’ai passé l’oral, au Centre de ressources, d’expertise et de performance sportives (CREPS) à Nantes, j’ai demandé si les entraîneurs de haut niveau – je parle d’eux car ce sont eux qui font qu’on a une bonne image ou non de ce métier – appliquaient ensuite ces valeurs. On m’a répondu qu’ils avaient du mal à le faire. Pour moi, la seule solution, c’est la sanction : si l’on voit un entraîneur critiquer un arbitre, on doit pouvoir le suspendre pendant un ou deux mois, voire plus. C’est ainsi que l’on verra des entraîneurs éduquer, être vraiment tournés vers le jeu et non essayer de trouver des excuses.

En France, la formation dispensée est plutôt bonne. Mais dans la pratique, c’est beaucoup plus compliqué.

M. Jean-Pierre Karaquillo. S’agissant de la formation, je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre. Ainsi que je l’ai dit à ceux que nous avons auditionnés : faire des études, c’est bien ; avoir un emploi, c’est mieux. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la reconversion des athlètes de haut niveau à la vie civique, parce qu’ils sont nombreux, dès la fin de leur carrière professionnelle, à être civiquement morts. Le plus important, c’est d’avoir une qualification à un emploi. Des expériences très intéressantes sont actuellement menées de façon empirique par des clubs professionnels autour de leurs parrains, de leurs sponsors. Par exemple, dans ma région, le CA Briviste fait périodiquement des bilans de compétences. Cela permet à un joueur de rugby de dire par exemple : quand j’aurai terminé ma carrière, j’aimerais être conducteur d’engins de travaux publics. Le club se met alors en relation avec un sponsor de travaux publics et le garçon pourra se former en alternance à ce futur métier.

Je suis beaucoup plus sensible à l’emploi qu’à une qualification diplômante, même si je n’en nie pas l’intérêt. Certes, je suis très content d’être professeur agrégé des facultés de droit, mais je suis surtout très heureux d’avoir un emploi. Nous souhaitons favoriser une formation diplômante mais aussi et surtout une formation qualifiante.

J’en viens aux conventions d’insertion professionnelle, qu’il convient de remettre au goût du jour et de recadrer. Lorsqu’elles ont été mises en place, en 1984, par Edwige Avice, elle visait bien cet objectif de reconversion : il s’agissait d’insérer un athlète de haut niveau dans une entreprise, moyennant une participation de l’État, pour lui permettre d’obtenir une qualification professionnelle et d’être intégré dans cette entreprise une fois sa carrière terminée. Aujourd’hui, les athlètes de haut niveau font de l’image. C’est satisfaisant sur le moment, mais ce n’est pas suffisant sur le long terme. Je connais des étudiants qui sont inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau et qui sont dans une entreprise privée mais qui espèrent que je vais leur trouver un emploi une fois leur carrière sportive terminée. Ce qui me choque, c’est qu’ils soient obligés de me dire cela. Cela signifie que leur convention d’insertion professionnelle n’est pas une réussite. Comme nous l’indiquons dans le rapport, il convient de vitaliser ces conventions et de les remettre dans le droit chemin, si j’ose dire.

Sur le CDD spécifique, je vous mets en garde : si nous ne faisons rien, nous courons à la catastrophe. Nous allons en effet assister à une précarisation de l’emploi, des entraîneurs et des joueurs. Dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, il y a, d’un côté, un droit à démission et, de l’autre, un droit à licenciement. Un entraîneur ou un joueur pourra donc, à tout moment, rompre son contrat de travail tout en respectant, bien sûr, un préavis. Certes, celui-ci pourra être reporté à la fin d’une saison, mais la compétition sera déstabilisée, l’équilibre compétitif rompu – je rappelle que le contrat à durée déterminée d’usage peut être de un à cinq ans. Cela veut dire aussi qu’un entraîneur pourra, à tout moment, être licencié pour insuffisance professionnelle, la jurisprudence de la Cour de cassation considérant que l’insuffisance de résultat est une insuffisance professionnelle. De même, il sera très facile d’invoquer le motif économique individuel étant donné le yo-yo des budgets de clubs.

Rappelons en outre que nous sommes dans un contexte international. Aujourd’hui, les fédérations internationales n’ont réglementé que le CDD. C’est le cas de la Fédération internationale de football association (FIFA), de l’International Rugby board (IRB) et de la Fédération internationale de handball. Ne soyons pas plus royalistes que le roi : tous les pays européens, à l’exception de ceux qui sont désorganisés, prévoient pour le sportif professionnel des contrats de travail à durée déterminée. Et en Italie, en Espagne et en Belgique, il existe des CDD spécifiques. On nous dit que la création d’un CDD spécifique, en France, se heurtera à cette fameuse directive de 1999. Mais il me semble que le traité de Lisbonne reconnaît la spécificité du sport. Vaut-il mieux en rester à la situation actuelle qui comporte un risque permanent, ou prendre le risque juridique de créer un CDD spécifique ? Pour ma part, j’ai fait mon choix, à tort ou à raison. Ne prétendant pas détenir la vérité en droit du travail, j’ai consulté deux de mes collègues qui sont des stars montantes du droit du travail, Paul-Henri Antonmattei et Gilles Auzero : tous deux m’ont confirmé que le CDD spécifique était la seule solution, ce qui me rassure.

Sur la solidarité, je suis pleinement favorable à celle qui doit exister entre le secteur amateur et le secteur professionnel. En revanche, celle que vous préconisez entre les athlètes sera plus difficile à mettre en œuvre. Je vous rappelle que la taxe qu’a fait voter Mme  Buffet a occasionné une levée de boucliers du sport professionnel, et notamment de la ligue professionnelle de football et des clubs professionnels de football.

Enfin, nous préconisons de favoriser la mobilisation de financements spécifiques en faveur des athlètes paralympiques. La Fondation du sport français bénéficie d’avantages fiscaux. Elle peut faire du mécénat. Elle a vocation précisément à rechercher des fonds et à aider les athlètes à financer du matériel par exemple.

Mesdames, messieurs les députés, nous avons besoin de vous. C’est vous qui allez être déterminants. Si vous ne faites rien, la situation deviendra dramatique pour les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels. Je ne cherche pas à vous alarmer, je vous fais part de mon expérience. Vous m’avez demandé quelle impression m’avait laissé les auditions auxquelles nous avons procédées. Ce fut extraordinaire et nous n’avons pu que constater l’unanimité. Les champions de gymnastique ou de natation nous ont expliqué que ce qui avait été salvateur pour eux, c’était précisément d’avoir fait autre chose que de la gymnastique ou de la natation et que c’était pendant leur double projet qu’ils avaient obtenu les meilleurs résultats sportifs.

Mme Astrid Guyart. Mme Attard nous a interrogés sur les places réservées pour les formations de kinésithérapeute et d’ergonome. Comme ce sont les seules formations qui permettent d’avoir un cursus aménagé, elles sont extrêmement demandées. Actuellement, les sportifs choisissent leurs études en fonction non pas de leurs aspirations mais de ce qui est possible, c’est-à-dire des établissements acceptant un aménagement de leur cursus. Cette contrainte, ils la subissent tout au long de leur vie.

L’égalité entre les femmes et les hommes et la question de la maternité me concernent plus particulièrement car je vais précisément mettre un terme prochainement à ma carrière sportive pour pouvoir fonder une famille. Actuellement, en France, on ne peut pas être à la fois mère et sportive. Aussi, je vous serais très reconnaissante d’aborder ce sujet dans le cadre d’une proposition de loi. On pourrait résoudre en partie le problème en considérant comme une activité professionnelle les années passées en tant que sportive de haut niveau.

Monsieur Degallaix, le parcours d’un sportif de haut niveau est loin d’être facile et il n’y a pas de passe-droits concernant l’excellence et la performance. C’est un critère purement objectif. Pour légitimer ce parcours à l’égard de la société française et réveiller les consciences, la validation des acquis de l’expérience peut être un bon outil. En effet, un sportif a acquis des compétences différentes, peut-être hors norme, mais qui justifient qu’il bénéficie d’aménagements pour certaines études ou qu’on lui facilite l’accès à certains concours voire à certains emplois.

M. Jean-Pierre Karaquillo. Il ne s’agit pas de donner un diplôme à une personne parce qu’elle a été athlète de haut niveau, mais de lui faciliter l’accès aux études, ce qui est différent. Vous savez comme moi, madame Dion, qu’il est par exemple impossible actuellement de faciliter l’accès d’un sportif à une faculté de droit.

Mme Sophie Dion. Oui, c’est vrai.

M. Jean-Pierre Karaquillo. À supposer que le doyen de l’université soit d’accord, il n’a aucune autorité sur un professeur ou un maître de conférence. Et il faut bien reconnaître que les facultés de droit ne sont pas très ouvertes à l’innovation…

Nous avons été auditionnés par le ministère de l’enseignement supérieur. Nous proposons, dans notre rapport, de lancer des appels d’offres à des universités qui accepteraient de faciliter l’accès à leur cursus et d’adapter leur formation à des athlètes à partir d’un cahier des charges très strictes.

Le MEDEF, que nous avons reçu, nous a indiqué, quant à lui, être prêt à insérer professionnellement davantage de sportifs de haut niveau, à participer à des bilans de compétences, à la validation des acquis de l’expérience.

Tout cela montre que des possibilités existent, à condition que nous allions tous dans le même sens.

M. Éric Carrière. Vous avez raison, s’agissant du football, il y a beaucoup de candidats et peu d’élus. Ce sera toujours le cas, c’est inévitable. Je compare souvent cette sélection à la première année de médecine. Il ne faut surtout pas faire croire aux jeunes joueurs que ce ne sera pas difficile. Mais c’est vrai quel que soit le cursus – j’imagine que votre parcours n’a pas été simple non plus. Il importe de faire comprendre à ces jeunes qu’ils doivent poursuivre au maximum leurs études. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Mme Attard a parlé de l’éloignement familial. En football, un jeune de moins de quinze ans qui est éloigné de son milieu familial ne réussit pas. Du coup, on a mis en place les Pôles espoirs, qui fonctionnent plutôt bien.

Vous avez souligné que près d’un tiers des basketteurs et plus de la moitié des coureurs cyclistes n’exerçaient pas le métier qui correspondait à ce qu’ils souhaitaient. Mais le plus important, c’est qu’ils aient trouvé un emploi. Dans la population active en général, les gens ne font pas nécessairement le travail auquel ils aspiraient. Les sportifs ont la chance d’avoir eu une passion. Exercer après sa carrière sportive le métier que l’on souhaite, c’est être chanceux ou avoir su anticiper. Les pourcentages donnés ne sont pas si négatifs que cela.

Je le répète, il s’agit de donner le plus d’outils possible aux jeunes joueurs pour qu’ils appréhendent la vie autrement que par le sport, et, surtout, de ne pas les déresponsabiliser. Les parents doivent être à leur côté pour les aider. Malheureusement, tel n’est pas toujours le cas.

M. Jean-Pierre Karaquillo. Il est très important que le sportif de haut niveau et le sportif professionnel prennent conscience qu’ils ont des prérogatives importantes mais aussi des obligations. C’est ce que nous avons voulu montrer à travers ce rapport.

M. le président Patrick Bloche. Madame, messieurs, nous vous remercions pour cet échange très constructif et très vivant. Ce n’est pas souvent que l’on nous dit que nous avons, en tant que parlementaires, un rôle déterminant. Rassurez-vous : vous avez été entendus. Nous savons ce qu’il nous reste à faire.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 25 mars 2015 à 9 heures 30.

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, M. Christian Paul, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, Mme Michèle Tabarot

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Pascal Deguilhem, Mme Martine Faure, Mme Sonia Lagarde, M. Dominique Le Mèner, M. Victorin Lurel, M. Rudy Salles, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Patrick Vignal