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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Jeudi 23 octobre 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Alain Leboeuf, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) et de M. Vincent Thouvenin, directeur du département « Régulation, tarifs et finances »

La séance est ouverte à dix heures dix.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le président, monsieur le directeur, soyez les bienvenus. Je vous prie d’excuser le président Gaymard, qui a dû s’absenter. Réseau de transport d’électricité (RTE) est en situation de monopole, mais celui-ci est régulé : l’activité de votre entreprise s’exerce dans un cadre de service public, sous le contrôle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Avec vos quelque 8 500 salariés, vous gérez plus de 100 000 kilomètres de lignes et l’ensemble du dispositif d’interconnexion entre le réseau français et les réseaux des pays voisins. Les recettes de RTE ne résultent pas de prix de marché, mais du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), lequel est fixé selon une méthodologie établie par la CRE, qui en apprécie les éléments constitutifs, parmi lesquels, notamment, les investissements que vous réalisez.

Vous évoquerez, monsieur le président, l’impact de l’entretien et de l’amélioration du réseau de transport sur les tarifs. Quels investissements RTE a-t-il programmés de façon prioritaire ? Existe-t-il, ou a-t-il existé certaines divergences entre RTE et la CRE, à l’approbation de laquelle votre programme d’investissements doit être préalablement soumis ? En quoi le développement des interconnexions entre pays européens pourrait-il influer favorablement sur les tarifs, même si cette voie suppose, on le sait, de lourds investissements ?

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. Dominique Maillard prête serment.

M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE). Nous assurons, au-delà du développement, de l’entretien et de l’exploitation des infrastructures, la circulation des électrons, veillant ainsi à l’équilibre entre l’offre et la demande. Pour ce faire, nous pouvons mobiliser des moyens de production ou d’effacement, ainsi que des capacités situées aux frontières, grâce aux interconnexions.

Pour un consommateur domestique moyen, le prix du mégawattheure s’établit à 160 euros, dont 13 euros pour le transport, soit 8 %. Dans cette facture, le poste principal est la fourniture – 36 % –, suivie par la distribution, compte tenu de la longueur du réseau et des pertes, plus importantes, pour l’électricité transportée à plus basse tension : elles atteignent 7 % au total, dont 2 % imputables au transport lui-même et 5 % à la distribution. Le troisième poste est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour 15 %, suivie par la contribution au service public de l’électricité (CSPE) – 10,2 % –, les taxes diverses – 8,3 % – et, enfin le transport
– 8,2 %.

Pour un grand industriel, directement raccordé au réseau – donc exempt de charges de distribution –, le transport représente 13 % de la facture : cela explique qu’il fasse l’objet de réflexions – le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte réserve d’ailleurs un article aux électro-intensifs.

Nos tarifs sont fixés pour quatre ans par le régulateur, à l’approbation duquel sont également soumis, par souci de cohérence, nos programmes d’investissements. La période en cours s’achèvera en 2017. La formule est simple : nos tarifs doivent suivre la courbe de l’inflation. Cependant, nul ne lit dans la boule de cristal : des éléments peuvent varier, comme le coût d’achat des pertes. L’exploitation des interconnexions peut aussi générer des recettes, qui par conséquent dépendent de l’évolution du marché européen. Le régulateur retient donc des hypothèses normatives, qu’il compare chaque année à la réalité ; un compte dit « de régularisation des charges et produits » est débité ou crédité, selon l’évolution à la hausse ou à la baisse des recettes et des charges. Cela aboutit à une correction, sur le tarif, limitée à 2 % afin de lisser l’évolution. Au 1er août dernier, nos tarifs ont diminué de 1,3 %, soit le différentiel entre l’inflation de 0,7 % et le plafond de 2 % appliqué à des recettes imprévues que nous avions engrangées. Le régulateur a d’ailleurs consenti, pour les consommateurs électro-intensifs, une « ristourne » supplémentaire en cours de légalisation.

Nos recettes proviennent, pour 85 %, des tarifs fixés par le régulateur. Ces tarifs étant d’ordre public, ils ne sont pas négociables – nous ne sommes donc pas en mesure de faire des remises à nos clients. C’est la contrepartie légitime au monopole. Le reste de nos recettes
– 15 %, donc – vient d’abord des transports, à travers ce qu’il est convenu d’appeler la tarification « timbre poste », indépendante de la distance supposée entre le lieu de production et le lieu de consommation. Cette distance serait d’ailleurs difficile à établir : même si un client est situé à proximité d’un barrage, outre que celui-ci peut être arrêté, le réseau est maillé, de sorte que l’ensemble des moyens de production concourent à l’équilibre entre l’offre et la demande. Bien que certains économistes plaident pour une tarification nodale, je pense que le système actuel est le bon ; c’est d’ailleurs celui qui est appliqué partout en Europe, les États-Unis, de leur côté, ayant opté pour la tarification nodale dans quelques zones – celle-ci, en tout état de cause, irait à l’encontre du principe de péréquation.

Nous procédons à du « sous-tirage ». Nos clients sont les gros consommateurs industriels – pour 15 % de la consommation – et les distributeurs. C’est, notons-le, le destinataire qui paie le « timbre poste » – comme ce fut d’ailleurs le cas, à l’origine, pour le courrier. Un autre timbre, dit « d’injection », est acquitté par les gros producteurs, qui ont besoin d’un accès direct au réseau ; d’un niveau très faible, il ne représente que 2 % de nos recettes, soit 80 millions sur un total de 4 milliards.

Les recettes d’interconnexion, elles, représentent de 8 à 10 % de ces recettes, soit 300 millions d’euros en moyenne ; mais elles peuvent varier de presque 100 millions d’une année sur l’autre. RTE exploite quarante-six interconnexions, gérées, aux termes des directives européennes, selon un système d’enchères qui, dans l’hypothèse d’une offre insuffisante, départage les candidats à l’importation ou à l’exportation. Si l’électricité vaut 80 dans un pays et 100 dans un autre, les clients, dans ce dernier, n’accepteront d’acquitter, au titre de l’interconnexion, qu’un surplus limité à 20. Bien que vertueux par cette limitation, le système dépend de l’évolution des prix dans chacun des pays considérés ; d’où le caractère peu prévisible des recettes.

Le code de l’énergie dispose que les tarifs réglementés doivent être établis de manière à couvrir les coûts. Ceux-ci, pour l’industrie capitalistique que nous sommes, se décomposent comme suit : 17 % de charges de personnel ; 18 % d’amortissements ; 12 % d’impôts et taxes ; 8 % de charges financières ; restent 45 %, composés pour moitié par les achats du système électrique, parmi lesquels les pertes, pour 2 % : rapportées à un total de 500 milliards de kilowattheures, elles atteignent donc 10 milliards de kilowattheures. Cela fait de RTE le deuxième acheteur d’électricité en France, derrière les distributeurs, qui en achètent 2,5 fois plus. Il faut savoir que, pour fournir un volume d’électricité équivalent à 100
– volume facturé au consommateur –, le système électrique doit en produire 107 : les 7 unités perdues sont achetées par RTE et les distributeurs. À 60 euros le mégawattheure, notre facture atteint donc de 600 à 700 millions d’euros, soit le premier poste pour nos charges. Nos achats pour la maintenance courante représentent enfin 20 % de ces dernières.

C’est le régulateur qui fixe les objectifs d’encadrement pour les charges maîtrisables : pour les variables, telles que les charges d’interconnexion, il fixe un indice hypothétique, avant de le réajuster pour le répercuter, le cas échéant, sur le prix. Le coût d’achat des pertes est lui aussi variable puisqu’il dépend de la conjoncture européenne, qui en l’occurrence l’oriente plutôt à la baisse, pour atteindre un niveau inférieur à celui prévu par le régulateur ; de sorte que nous restituons une différence au bénéfice du consommateur.

De 2003 à aujourd’hui, les tarifs du transport ont progressé d’un peu moins de 9 %, contre 18 % pour l’inflation. On peut évidemment se poser la question de savoir si cette tendance perdurera. Nos investissements atteignent en moyenne 1,4 milliard d’euros par an, contre 600 millions il y a sept ans. Cette évolution tient, en premier lieu, aux nécessaires opérations de renouvellement, qui représentent un tiers de ces investissements. La période reste néanmoins favorable : notre réseau à 400 000 volts, construit parallèlement au parc nucléaire, est âgé, comme lui, d’une quarantaine d’années en moyenne ; or un réseau correctement entretenu peut fonctionner de soixante à quatre-vingts ans. Des renouvellements commencent donc à devenir nécessaires pour le réseau à 225 000 volts qui, déployé au milieu du siècle dernier, couvre notamment Paris. Certaines portions des réseaux de 63 000 et 90 000 volts sont même centenaires : elles doivent donc faire l’objet d’une surveillance attentive.

Les deux autres tiers de nos investissements sont liés au développement. Celui-ci tient à l’obligation qui nous est faite de raccorder tout nouveau point de production et, par suite, de répondre aux exigences de sécurité de nos clients : l’alimentation de certaines zones reste fragile – la Bretagne et l’est de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur notamment –, même si nous avons des solutions en perspective ; il faut aussi renforcer le réseau interconnecté pour y introduire de la flexibilité, compte tenu du développement des énergies renouvelables en Europe.

La consommation d’électricité, nonobstant de sensibles disparités – de l’ordre de 2 à 3 % selon les régions –, stagne globalement, en France comme en Europe, l’effet cumulatif des mesures de maîtrise de la demande l’orientant à la baisse. Du côté de l’offre, la cartographie des moyens de production est en train de changer : c’est tout l’enjeu de la transition énergétique. En application des directives européennes, plusieurs centrales thermiques classiques vont être arrêtées ; rien n’indique qu’elles seront remplacées par des infrastructures de même puissance, d’abord parce que le site ne s’y prête pas forcément. L’éolien offshore pourra éventuellement compenser la puissance ainsi perdue, mais avec des installations potentiellement situées à quelque 800 kilomètres.

Les énergies renouvelables étant diffuses, elles favoriseraient, dit-on, le développement de boucles locales. C’est vrai du point de vue qualitatif, mais sur le plan quantitatif, la production de ces énergies est variable ; elle dépend notamment de la météorologie pour l’éolien et le solaire. Les énergies renouvelables requièrent donc des instruments de flexibilité, qui fassent coïncider leur variabilité avec celle de la demande, dont les inflexions obéissent à d’autres critères. Le premier de ces instruments est le stockage, au développement duquel nous travaillons aussi ; reste que cette opération exige des sites appropriés, vers lesquels il faudra, par exemple dans le cas des barrages hydrauliques, acheminer l’énergie : cela suppose la construction de réseaux. Le stockage divisé est une autre solution, et sans doute la meilleure à terme, mais encore faut-il la développer à la juste échelle : on peut penser aux batteries des véhicules électriques, à l’électrolyse ou au « power to gas », qui, sans être à proprement parler réversible, permet de déverser de l’énergie disponible sur un autre vecteur. Cela dit, la solution immédiatement disponible est celle de la flexibilité spatiale, avec les réseaux de transport, grâce auxquels l’énergie produite est récupérée dans des conditions optimales avant d’être acheminée vers les zones de consommation. Celles-ci peuvent être éloignées mais, par le fait, l’Europe continentale tout entière est une zone synchrone, la deuxième au monde par son étendue, après la Chine – les États-Unis, État fédéral, possèdent quant à eux trois zones synchrones faiblement interconnectées.

Les interconnexions ont une triple utilité. Elles permettent en premier lieu la mutualisation, par l’utilisation de moyens disponibles ailleurs que dans la zone de production. Elles rendent également possibles les échanges, dont je vais m’efforcer de démontrer l’utilité pour le consommateur. Enfin, la solidarité entre les réseaux représente une garantie puisque l’arrêt d’une centrale nucléaire en France, par exemple, pourrait aussitôt être suppléé, dans certaines limites bien entendu, par une autre centrale située dans un pays européen.

Le consommateur paie-t-il pour ce système ? Pas à travers les tarifs, puisque les interconnexions sont gérées par le mécanisme d’enchères que j’ai décrit. Celui-ci génère, bon an mal an, 300 millions d’euros de recettes par an ; sur dix ans, RTE a donc perçu quelque 3 milliards d’euros à ce titre. S’agissant des investissements, un projet entre la France et l’Espagne s’achèvera l’an prochain, les liaisons existantes ont été consolidées, des travaux ont été engagés sur la frontière Nord avec la Belgique, et l’évacuation des lignes avec l’Italie a été améliorée. Pour le projet France-Espagne, notre part représente 350 millions d’euros, soit à peu près l’équivalent des dépenses consenties pour les autres liaisons. Cela fait donc un total d’environ 700 millions, à rapporter aux 3 milliards de recettes, elles-mêmes venues en déduction des charges couvertes par les tarifs ; si bien que le consommateur d’électricité français y a largement gagné.

Il faudra, selon nos estimations, doubler la capacité d’interconnexion, ne serait-ce que pour assurer la fluidité requise par le développement des énergies renouvelables, y compris chez nos voisins. Selon toute vraisemblance, il sera difficile de développer de nouvelles liaisons aériennes : nous devrons donc recourir au transport souterrain, qui est coûteux. Au-delà des enjeux financiers, le vrai défi est l’acceptation des ouvrages par nos concitoyens – il a fallu vingt-cinq ans, par exemple, pour construire la ligne France-Espagne, en raison de désaccords sur le tracé et de décisions politiques malheureuses des deux cotés des Pyrénées. Les investissements nécessaires portent sur environ 15 000 mégawatts, soit dix fois plus que la ligne France-Espagne, pour laquelle la part française représente quelque 350 millions d’euros ; en d’autres termes, les investissements s’élèveraient, sur dix ans, à 3,5 milliards d’euros ; ils pourraient donc être couverts par nos recettes annuelles de 300 millions.

La connexion entre les réseaux permet-elle de tirer les prix vers le bas ? On peut répondre clairement par l’affirmative, puisque les importations sont par définition motivées par des intérêts commerciaux ; autrement dit, elles supposent que le fournisseur d’énergie a trouvé, à l’étranger, des conditions d’achat plus favorables que sur le territoire national. La logique est la même, symétriquement, pour les exportations. L’interconnexion obéit donc à un intérêt mutuel.

Elle présente un dernier avantage en termes de limitation des investissements. Aujourd’hui, bien qu’elle possède le système électrique le plus exportateur au monde, avec 50 milliards de kilowattheures – soit presque 10 % de la production –, devant l’Allemagne
– qui en exporte une trentaine de milliards –, la France devient importatrice en hiver, en période de pointe –compte tenu notamment du développement du chauffage électrique. Elle peut l’être – bien entendu dans la limite de ses capacités d’importation et de la disponibilité des moyens de production dans les pays voisins – jusqu’à 7 000 ou 8 000 mégawatts. Si notre pays redevenait une île électrique, comme dans les années 1930, et entendait fournir à ses consommateurs la même qualité de service, il devrait obligatoirement disposer d’une capacité similaire sur le territoire national, soit à travers la production, soit à travers l’effacement. Dans tous les cas, cela a un prix. La mutualisation, rendue possible par l’interconnexion, permet donc une optimisation au niveau européen par l’utilisation des excédents de chacun à différentes périodes de l’année.

Vous m’avez demandé si nous avions des désaccords avec la CRE au sujet des investissements. En fait, nous avons un dialogue normal entre régulateur et régulé, où chacun est dans son rôle. Si nous sommes une filiale à 100 % d’EDF, nous nous voyons appliquer, en application des directives européennes et du droit français, des dispositions exorbitantes du droit commun, figurant dans le code de l’énergie. Du fait que nous sommes un monopole, nos tarifs sont fixés par le régulateur. Quant aux investissements, bien qu’EDF soit actionnaire à 100 % de RTE, elle n’a pas son mot à dire sur nos investissements – ce qui constitue un cas unique. Nous informons notre actionnaire, mais il ne peut délibérer, et encore moins intervenir au sujet de nos investissements : de ce point de vue, c’est le régulateur qui se substitue à l’organe délibérant.

Le régulateur nous stimule, considérant que le développement des interconnexions est une bonne chose pour la réalisation du marché intérieur de l’énergie, dont il est en quelque sorte le défenseur. Il fait également preuve de vigilance quant aux tarifs, ayant le souci que le consommateur français puisse bénéficier des meilleures conditions. À cet effet, il a développé une régulation incitative : nous sommes couverts sur certains coûts, mais nous voyons également appliquer un bonus ou un malus en fonction de certains de nos résultats. En matière de qualité, par exemple, il nous est assigné un objectif consistant à limiter le temps de coupure moyen par consommateur à 2,4 minutes, soit 2 minutes et 24 secondes. Si les événements considérés comme des catastrophes naturelles sont exclus, les autres risques, en revanche, font partie des aléas dont nous devons tenir compte, qu’il s’agisse des orages ou des opérations de maintenance auxquelles il faut procéder, et cet objectif n’est pas facile à atteindre – nous ne l’atteignons d’ailleurs pas systématiquement. Les résultats obtenus sont analysés au moyen d’une formule mathématique assez compliquée. En gros, si nous faisons mieux que l’objectif fixé, nous pouvons toucher un bonus pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros de plus que l’application des tarifs, et si nous faisons moins bien, nous pouvons être amenés à rendre 20 millions d’euros aux consommateurs.

Il existe également une régulation incitative en matière de pertes, portant non pas sur le volume, lié aux lois de la physique qu’il nous est, par définition, impossible de modifier, mais sur le coût d’achat : nous devons être un bon acheteur. À l’heure actuelle, nous avons déjà acheté 90 % des pertes de 2015, et nous continuons à les acheter régulièrement, selon des modèles permettant de réaliser des prévisions à différentes échéances – annuelles, mensuelles, hebdomadaires, journalières –, l’objectif étant d’acheter l’énergie nécessaire à la couverture des pertes, le plus précisément possible et de façon échelonnée dans le temps afin de bénéficier de tarifs avantageux.

Enfin, nous sommes également incités à maîtriser nos coûts propres. Le coût d’achat des pertes ou les amortissements sont des coûts comptables, mais nous sommes tout de même responsables de certaines de nos dépenses directes en termes d’achats, qu’ils soient imputés aux dépenses d’exploitation ou aux dépenses d’investissement, et avons, là aussi, un objectif de performance. Si nous dépassons l’objectif, nous gardons la moitié de la somme économisée, et restituons l’autre moitié aux clients ; si nous faisons moins bien, la perte reste à notre charge.

Ces différentes incitations donnent lieu à un dialogue constructif, parfois musclé, mais que le régulateur et le régulé ont tous deux à cœur de mener à bien, car notre intérêt commun réside évidemment dans la viabilité du système français – auquel la Commission européenne, qui l’a accepté, aurait tout de même préféré un système de séparation patrimoniale. Le gouvernement français a défendu le système de l’opérateur intégré mais doit, maintenant qu’il l’a obtenu, donner des garanties d’indépendance. Chacun me semble jouer le jeu, qu’il s’agisse de RTE, d’EDF ou de la CRE, même si c’est parfois un peu compliqué.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. J’ai d’abord une question assez générale, que j’ai également posée au président d’EDF. Pensez-vous que le dispositif constitué d’EDF, ERDF et RTE, comprenant des participations majoritaires en chaîne, ait une incidence sur les coûts et les tarifs, ainsi que sur le montant des dividendes revenant à l’État, actionnaire majoritaire, et aux autres actionnaires ? Les élus que nous sommes rencontrent régulièrement les acteurs de terrain, notamment les syndicats départementaux d’électricité, qui considèrent que la pression sur les coûts, ainsi que les choix comptables qui sont faits, se traduisent par une dégradation du service public : quel est votre avis sur ce point ?

En ce qui concerne l’indicateur de performance relatif aux coupures, les consommateurs finaux – les entreprises et les ménages – sont répartis en fonction d’un zonage, la zone A correspondant aux plus grandes agglomérations, la zone B aux villes de moindre taille et la zone C au restant du territoire. Trouvez-vous normal que les utilisateurs les plus éloignés des grandes agglomérations soient systématiquement ceux pour lesquels la performance est la moins bonne ? Je pense notamment aux entreprises, pour lesquelles ce résultat peut avoir une incidence en termes de compétitivité.

Pour ce qui est des pertes, de quelle marge d’amélioration pensez-vous disposer, et estimez-vous possible d’agir au regard du coût financier nécessaire pour cela ?

Vous avez décrit l’état du réseau et indiqué quels investissements devraient être réalisés pour l’améliorer. Estimez-vous que le montant des financements qui vous sont accordés constitue un frein aux investissements et que l’état du réseau risque de s’en ressentir ? J’ai cru comprendre que ce n’était pas le cas, mais j’aimerais que vous nous précisiez votre avis sur ce point.

Enfin, j’ai une dernière question à vous poser au nom d’Hervé Gaymard, président de notre Commission d’enquête : considérez-vous que l’état des réseaux des autres pays européens puisse avoir une incidence négative sur la qualité de l’interconnexion ?

M. François Brottes. Monsieur le président, vous avez atteint l’âge de la sagesse et votre mandat de président du directoire de RTE doit prendre fin prochainement. À ce double titre, vous disposez d’une totale liberté d’expression qui vous permet, je l’espère, de répondre en toute franchise aux questions très directes que j’ai envie de vous poser.

Premièrement, pensez-vous que la CRE dispose vraiment des compétences et des moyens pour procéder à une analyse fine de vos besoins en matière d’investissement ? La responsabilité consistant à valider la composition de vos investissements exige, en contrepartie, que la CRE soit dotée d’une réelle compétence technique. Or, on a parfois l’impression qu’un bataillon de comptables ne suffit pas à appréhender la réalité du terrain – et certains marchandages auxquels nous avons assisté au sujet du montant des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), revus et corrigés à plusieurs reprises, n’ont pas contribué à nous rassurer sur ce point. Ne faudrait-il pas que la CRE dispose d’une solide expertise technique, lui permettant de déterminer la nature et le coût des opérations à réaliser sur le réseau pour qu’il fonctionne de façon optimale ?

Vous êtes connu comme l’homme d’un slogan : « Une seule solution, l’interconnexion ! ». Cela peut se comprendre, puisque RTE est une entreprise de réseau et que vous êtes à la manœuvre pour favoriser les interconnexions avec les autres pays, ce que vous faites d’ailleurs d’une manière très efficace – je pense notamment à la connexion entre la France et l’Espagne qui doit être mise en service en 2015. Or, notre Commission d’enquête a vocation à rechercher des marges d’optimisation de nature à permettre de réduire les coûts et les tarifs et, à cet effet, pose les mêmes questions aux différentes personnes qu’elle auditionne, partant du principe que chaque opportunité de diminuer ces coûts et tarifs, si modeste soit-elle en son montant, est bonne à prendre.

J’aimerais savoir si vous êtes satisfait de la manière dont vont évoluer, grâce à la loi de transition énergétique, les enquêtes publiques portant sur la réalisation de vos ouvrages. Certes, il y a des facteurs environnementaux à prendre en compte, notamment l’impact sur le paysage, mais quand on entend dire d’une opération qu’elle coûte 350 millions d’euros dans un cas et 3,5 milliards d’euros dans l’autre, on peut penser que le choix qui va être fait n’est pas tout à fait indifférent à celui qui va devoir régler la facture correspondante !

M. Dominique Maillard. Ces deux estimations correspondent à deux périodes différentes.

M. François Brottes. En tout état de cause, la pose de lignes enterrées coûte toujours plus cher que celle de lignes aériennes, et chacun doit garder à l’esprit que la différence de coût est susceptible de jouer sur la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages – or, je ne suis pas sûr que cette question entre en ligne de compte lors du choix qui est fait.

Pour ce qui est de la durée des procédures, j’ai été frappé de constater que, si beaucoup demandent à ce que l’on diminue les contraintes relatives à l’implantation d’énergies renouvelables – j’y suis favorable et j’y ai même pris ma part en ce qui concerne l’énergie éolienne, ce qui m’a parfois été reproché –, les mêmes ne voient pas l’intérêt de simplifier les procédures relatives aux travaux portant sur le réseau. Or l’énergie, renouvelable ou non, ne sert pas à grand-chose tant qu’elle n’est pas raccordée, et l’analyse des coûts de raccordement de certaines installations de production d’énergie hydraulique ou éolienne offshore fait apparaître que ces coûts font partie des éléments les plus importants pour déterminer si un projet est faisable ou non.

J’ai déjà eu l’occasion de vous demander, dans un autre contexte, s’il ne serait pas opportun de stocker l’électricité plutôt que de surinvestir dans les réseaux – vous avez parlé de plusieurs centaines de millions d’euros par an – afin de gérer l’intermittence des énergies renouvelables : ce mode d’investissement ne serait-il pas plus intelligent et plus vertueux ? Les producteurs d’énergie renouvelable ne font pas leur problème de l’intermittence et des solutions pour y remédier, ce qui ne saurait durer éternellement : on peut comprendre qu’il ait fallu amorcer la pompe mais à un moment donné, il faut tout de même que chacun prenne conscience des responsabilités qui lui incombent dès lors qu’il agit sur le réseau. Quand je vois toutes ces centrales à gaz fermer parce qu’elles ne sont plus suffisamment rentables, n’étant plus sollicitées, je me demande également si nous ne devrions pas réfléchir à une évolution du modèle de financement du marché de capacité : ne faudrait-il pas prévoir un forfait permettant de garder ces centrales en état de marche, afin de pouvoir les réactiver en cas de besoin ? Je m’inquiète de la disparition massive de ce qui constitue, à mes yeux, le meilleur moyen de rééquilibrer et sécuriser le réseau au cas où un problème devrait survenir.

En ce qui concerne les pertes, je rappelle la formule employée par M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, qui a un jour déclaré que la France faisait tourner en permanence deux centrales nucléaires uniquement pour chauffer les pattes des oiseaux – ceci en raison de l’incontournable effet Joule. Or, plus le lieu de production est éloigné du lieu de consommation, plus le chemin est long et plus l’effet Joule est élevé – et plus cela coûte cher. Ne pourrait-on pas réfléchir à une solution incitant au rapprochement du lieu de production et du lieu de consommation, afin de réduire la perte en ligne ? Certains ne veulent pas d’unités de production sur leur territoire, ce qui oblige à allonger les réseaux pour leur apporter l’électricité dont ils ont besoin : or, en ne jouant pas le jeu, en n’assumant pas leur responsabilité sur ce point, ils obligent les autres à payer pour eux ! Si la péréquation est un principe unanimement admis pour ce qui est du transport de l’électricité, il me semble qu’il ne serait pas superflu de mener une réflexion sur son application à la problématique de la perte en ligne, et j’aimerais connaître votre avis sur ce point.

Au sujet de l’ouverture du capital, la loi prévoit et interdit un certain nombre de choses. Conformément à ce que vous souhaitiez, le Parlement a voté une disposition visant à ce que vous puissiez passer des accords avec la Suisse – ce qui fait que, demain, des participations croisées faciliteront peut-être les interconnexions qui vous sont chères. Que pouvez-vous nous dire sur la façon dont le capital peut aider à améliorer le dispositif d’interconnexion ? Faites-vous, comme votre prédécesseur, le rêve de voir un jour l’Europe se doter d’un réseau de transport à haute tension sous monopole européen – un projet qui pourrait même emporter l’adhésion des libéraux, qui n’ont jamais demandé à ce que les réseaux de haute tension se trouvent morcelés ? En 2006, une panne générale a touché une bonne partie de l’Europe en raison d’une erreur commise en Allemagne par un gestionnaire de réseau de transport d’électricité, qui n’avait pas su arbitrer entre sa fonction de producteur et sa fonction de transporteur – et en ne prenant aucune sanction à son égard, tout le monde s’est plus ou moins rendu complice de ce qu’il avait fait. Ce blackout nous a montré de façon évidente que plus nous sommes liés, plus nous sommes fragiles et avons besoin de cohérence, sous la forme d’une gouvernance mieux partagée, si nous ne voulons pas aller au-devant de grands risques. Là encore, je souhaite connaître votre avis sur cette question.

M. Jean-Pierre Gorges. Je vous remercie pour la clarté de votre intervention, monsieur Maillard : nous aurons appris beaucoup de choses au cours de cette Commission d’enquête. Je voudrais vous poser à peu près les mêmes questions que mes collègues, mais sous une forme différente. Les interrogations que suscite aujourd’hui l’électricité me rappellent un vieux débat se rapportant à l’informatique, où l’on opposait autrefois le distribué et le réparti. En raisonnant par rapport à l’effet Joule, on pourrait ainsi en venir à considérer que, pour rapprocher le lieu de production du lieu de consommation, et donc limiter les déperditions, il faudrait installer une éolienne sur le toit de chaque maison, et installer des turbines sur le moindre cours d’eau !

Je voudrais savoir si vous parvenez à modéliser les systèmes afin de déterminer lequel présenterait, dans les années à venir, le moins d’inconvénients : d’une part, un système ressemblant au système actuel, composé pour l’essentiel d’une cinquantaine de centrales nucléaires – il est prévu de passer aux réacteurs de génération IV à l’horizon 2030 – et d’un réseau à 400 000 volts, peut-être davantage, qui générera quelques pertes en ligne mais se caractérisera par une grande simplicité ; d’autre part, un système très complexe comportant une multitude de microsolutions, et dont la gestion risque de devenir inextricable.

Nous venons de débattre d’un texte sur la transition énergétique qui, de manière étonnante, ne s’est pas appuyé sur les études et les rapports qui venaient d’être produits – je pense notamment à l’intéressant rapport d’Hervé Mariton sur la fermeture de la centrale de Fessenheim – et avons pris la décision de privilégier les énergies dites renouvelables par rapport au nucléaire, sans même qu’aient été trouvées de vraies solutions pour remplacer le nucléaire : nous avons préféré reconnaître que la production d’électricité allait diminuer, et prévoir de compenser la différence par une baisse de la consommation. Il me paraît essentiel d’informer les Français comme il se doit, en leur expliquant à quel point il importe de ne pas rater le passage de la génération III à la génération IV, ce qui serait dramatique pour notre pays. Alors que nous étions en avance en 1998 avec Superphénix, nous nous sommes laissé rattraper lors des années suivantes, et nous devons veiller à ne pas commettre d’autres erreurs aussi graves – je pense à celle qui consisterait à multiplier les microsolutions, avec une interconnexion servant à remédier à l’aléa de l’outil de production – si nous voulons conserver une chance de faire baisser les coûts. Avez-vous engagé des réflexions sur la base de modèles correspondant aux différents scénarios pour les prochaines années, afin de définir les stratégies politiques à mettre en place ? À défaut, j’ai bien peur que le politique ne joue l’apprenti sorcier sur les questions de sécurité liées au nucléaire.

Mme Jeanine Dubié. Pour compléter une question de François Brottes, je voudrais vous demander si l’ouverture du capital est susceptible d’avoir un impact sur les tarifs de l’électricité pour les consommateurs. Par ailleurs, vous vous êtes déclaré très favorable au développement des réseaux intelligents, considérant que cette filière pourrait non seulement favoriser l’essor des énergies renouvelables, mais aussi maintenir la compétitivité de notre industrie et créer des emplois – vous évoquez le chiffre de 25 000 emplois créés d’ici à 2020. Estimez-vous que le TURPE prenne suffisamment en compte le coût des investissements nécessaires à la mise en œuvre du smart grid et des pratiques d’effacement, et pouvez-vous nous indiquer comment ces investissements pourraient être financés ?

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je reviendrai moi aussi sur une question de François Brottes, qui a évoqué la pratique du régulateur consistant à évaluer les investissements selon une logique comptable plutôt qu’en fonction des besoins de terrain : selon vous, cette manière de procéder est-elle de nature à peser significativement sur le fonctionnement de RTE ?

M. Dominique Maillard. Vous m’avez demandé, madame la rapporteure, si le schéma adopté en France a un coût par rapport à un modèle intégré. La séparation a effectivement un coût, puisqu’elle aboutit intrinsèquement à une duplication. Ainsi les directives européennes, transcrites dans le code de l’énergie, nous interdisent-elles de recourir aux services de recherche et développement d’EDF. De même, nous ne pouvons pas faire de cash pooling (gestion centralisée de la trésorerie) avec EDF, et sommes dotés d’une direction des ressources humaines autonome. C’est le prix à payer pour le choix qui a été fait de la séparation juridique, un prix connu dès le départ, et qui devait être compensé par certains facteurs tels qu’une émulation accrue, donc une meilleure performance des opérateurs mis en concurrence dans le secteur de la production d’énergie – le réseau de transport constituant, lui, un monopole naturel reconnu par les directives.

Pour ce qui est des dividendes, par dérogation au droit commun des sociétés, leur montant n’est pas déterminé par l’assemblée générale – où seule EDF serait représentée –, mais par le conseil d’administration tripartite – un tiers de salariés, un tiers de représentants de l’État et un tiers de représentants d’EDF, notre actionnaire unique. Depuis que nous existons, le montant de ces dividendes est fixé à 60 % du résultat net.

Vous m’avez également interrogé au sujet de notre mission de service public. Le régime de RTE est celui d’une concession d’État : nous sommes propriétaires de notre réseau et avons un cahier des charges et des obligations de service public. Cela dit, nous souhaitons également avoir des relations très étroites avec les territoires traversés par nos 100 000 kilomètres de réseau – ce qui représente en moyenne 1 000 kilomètres par département, et me laisse penser que nous sommes présents dans chacune de vos circonscriptions, même si nos lignes sont parfois enterrées.

J’ai effectivement évoqué un temps de coupure moyen, et vous avez raison de souligner que pour le consommateur final, c’est le temps de coupure réellement subi – constitué de la somme des temps de coupure imputables au distributeur et au transporteur – qui importe. Sans vouloir être mauvais camarade, je me dois de préciser que si notre temps de coupure moyen est de 2,4 minutes, celui de nos collègues distributeurs avoisine les 25 minutes, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où leur réseau est beaucoup plus chevelu : il compte 1,4 million de kilomètres de lignes, avec la forte probabilité que cela comporte de voir des incidents survenir sur ces lignes. Nous procédons à une analyse différenciée par région du temps de coupure, et il est vrai qu’historiquement, certaines régions, notamment les zones de montagne, sont plus difficiles à alimenter que d’autres ; c’est pourquoi, si l’objectif que nous assigne la CRE est national, les indicateurs sont suivis en fonction de chaque région.

Pour ce qui est de l’état du réseau en France et Europe, le système de financement des investissements adopté dès la création de RTE nous a évité de connaître les stop-and-go qui ont été le lot de nos collègues de la distribution : nous avons eu la chance de pouvoir mener, avec le soutien du régulateur, une politique stable constituant également un avantage pour nos fournisseurs, qui disposent ainsi d’une bonne visibilité sur nos programmes d’investissement. Je n’irai pas jusqu’à affirmer que l’état du réseau français est excellent, mais il est très bon. Le réseau européen est généralement en bon état, même si certaines zones, notamment celle des Balkans, posent des problèmes particuliers pour les raisons que l’on connaît. Par ailleurs, le réseau est fragile dans certaines régions dont l’alimentation relevait historiquement d’un autre système : ainsi la volonté des pays baltes, aujourd’hui très fortement interconnectés avec la Russie – la langue de travail de dispatching de Vilnius est le russe – de s’arrimer également à l’Europe se heurte-t-elle à des difficultés d’ordre technique, résultant, par exemple, de l’obligation de traverser la région des lacs Mazures en Pologne et le golfe de Finlande. Globalement, le réseau européen est tout de même en très bon état en comparaison avec les réseaux d’autres régions du monde.

Il existe des pistes d’ordre technologique pour remédier au problème des pertes. La perte zéro, qui constitue le rêve du transporteur, est d’ores et déjà possible en laboratoire grâce à la supraconductivité, qui suppose de transporter l’électricité à une température proche du zéro absolu – ou à la température de l’azote liquide –, et des expérimentations sont en cours sur ce point, notamment avec nos collègues belges. Cela dit, quand on parle de perte nulle, c’est de perte électrique qu’il s’agit, mais il ne faut pas perdre de vue que le fait de maintenir une très basse température pour bénéficier du phénomène de supraconductivité nécessite de consommer beaucoup d’énergie. Nous continuons tout de même à chercher des solutions, et ce qui n’est aujourd’hui qu’un rêve deviendra peut-être réalité si nous parvenons à mettre au point des matériaux supraconducteurs à température ordinaire.

Par ailleurs, nonobstant l’état du réseau, il nous appartient de chercher à l’optimiser – c’est même notre métier de base – en réduisant les pertes : si les lois de la physique sont incontournables, nous pouvons cependant faire varier le circuit emprunté par le courant afin d’emprunter des lignes moins congestionnées que d’autres, ou encore tenter d’obtenir un déplacement des lieux de production – ce qui n’est pas facile, car les entreprises concernées ne manquent pas de faire valoir le coût que cela représente. Pour rejoindre ce qu’a dit M. Brottes, nous avons bien le souci d’ajuster les moyens de production à l’état de la demande, mais il faut tenir compte du fait que le producteur et le transporteur sont deux entités distinctes. Le producteur dispose d’un parc de centrales – nucléaires, au charbon, à gaz, hydrauliques – qu’il s’efforce d’optimiser en fonction des coûts qu’il a à supporter : c’est le principe du merit order, ou ordre de préséance économique, décrit par les économistes. Cela le conduit en toute logique à faire tourner en priorité les centrales qui lui coûtent le moins cher, et à ne contrevenir à ce principe qu’à la condition de pouvoir en répercuter le coût – nous concluons parfois un accord sur ce point, quand nous considérons qu’il permet d’atteindre un optimum global.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur Maillard, monsieur Thouvenin, mes chers collègues, mon emploi du temps ne me permet pas de rester plus longtemps parmi vous. Je vous prie d’excuser mon départ, qui ne doit évidemment pas vous empêcher de prolonger cette audition.

M. Dominique Maillard. J’en viens aux questions que m’a posées le président  Brottes. Pour ce qui est de la compétence, s’il existe deux organismes, ce n’est pas pour que l’un fasse le métier de l’autre : si le régulateur devait être aussi compétent, voire plus compétent que nous, alors il aurait vocation à occuper notre place ! À mon sens, il faut maintenir une séparation où chacun conserve ses propres compétences. Si les compétences d’ordre technique nous reviennent, de son côté, le régulateur doit pouvoir prendre du recul pour porter un regard à l’échelon macro-économique sur les grands optimums et, conformément à sa vocation d’artisan de la construction du marché européen, qui le porte à favoriser tout ce qui est de nature à fluidifier les échanges, inciter aux choix allant en ce sens, notamment en matière d’interconnexion. Cela dit, rien ne s’oppose à ce que le régulateur ait, en plus de ses compétences juridiques et économiques, quelques compétences techniques – ainsi, je crois savoir que l’actuelle responsable de l’accès au réseau était initialement ingénieur, et que l’on trouve également des ingénieurs au sein de ses équipes. Par ailleurs, le régulateur peut confier à des tiers experts le soin de valider techniquement nos propositions. En tout état de cause, la volonté du législateur était bien de séparer les fonctions d’opérateur technique, chargé d’effectuer les travaux, et de régulateur, chargé de contrôler et d’administrer.

Je sais que Philippe de Ladoucette, président de la CRE, se plaint de ne pas disposer de suffisamment de moyens, ce sur quoi je ne peux me prononcer. En tout état de cause, nous entretenons un dialogue nourri, dont témoignent l’épaisseur des dossiers de justification que nous faisons parvenir au régulateur et le nombre de questions qu’il nous adresse en retour, ce qui prouve que nos dossiers font l’objet d’un examen très approfondi. J’ignore si, pour mener à bien cette mission de contrôle de nos investissements, la CRE doit recourir à des moyens qui lui font défaut par ailleurs, mais en tout état de cause, j’estime que le travail est bien fait.

Vous avez parfaitement raison de souligner que le monopole dont nous disposons doit faire l’objet d’un contrôle, et tel est bien le cas. En plus du contrôle exercé par la CRE, nous faisons également l’objet de l’attention constante de la Cour des comptes, qui ne s’intéresse pas seulement à nos comptes, mais également à la méthodologie que nous mettons en œuvre. Par ailleurs, notre statut implique la présence à demeure d’un contrôleur général de la conformité bénéficiant, au même titre qu’un délégué syndical, du statut de salarié protégé, chargé de vérifier que notre comportement est bien conforme à certaines obligations nous incombant, notamment en matière d’indépendance. Dans ce cadre, il a la faculté de diligenter des audits sur le fonctionnement interne de RTE ou encore sur les modes de calcul auxquels nous recourons. En résumé, notre activité me paraît faire l’objet d’un niveau de contrôle suffisant.

Si vous semblez voir en moi l’apôtre inconditionnel de l’interconnexion, je ne prétendrai pourtant pas qu’il s’agisse là d’une panacée. Les interconnexions représentent aujourd’hui environ 10 % de la capacité installée en France – ce qui veut dire que 90 % du problème est réglé autrement – et des discussions sont menées sur ce point dans le cadre d’un sommet européen se tenant ces jours-ci à Bruxelles, l’une des questions qui se posent consistant à savoir s’il ne faudrait pas s’efforcer de passer de 10 % à 15 %. En tout état de cause, les chiffres actuels montrent qu’à l’intérieur d’un pays, l’électricité est une énergie assez largement autoproduite et autoconsommée, les échanges entre États restant marginaux – de ce point de vue, la France est l’un de ceux qui échangent le plus. Un spécialiste de l’énergie a récemment déclaré que, sur le plan mondial, 50 % de la production locale de pétrole était autoconsommée, cette proportion étant de 70 % pour le charbon, 80 % pour le gaz et 98 % pour l’électricité. Comme on le voit, l’électricité est une forme d’énergie consommée essentiellement là où elle est produite – ce qui s’explique en partie par le fait qu’elle ne se transporte pas si facilement. En France, on constate une très grande disparité entre certaines régions, qui produisent moins de 10 % de l’énergie qu’elles consomment
– c’est le cas par exemple de la Bretagne ou de l’Île-de-France, pour des raisons historiques – et d’autres, qui disposent sur leur territoire de moyens de production représentant deux fois leur consommation – je pense à la région Rhône-Alpes, dotée d’importantes capacités de production d’origine hydraulique et nucléaire, ou à d’autres régions autrefois très industrialisées, qui ont conservé des installations de production d’électricité en grand nombre alors même que leur activité industrielle a décliné. Même si, demain, les disparités peuvent se réduire du fait du rapprochement entre les points de production et les zones de consommation, il appartiendra toujours à RTE d’assurer un équilibre entre les régions : en effet, nous avons à la fois un rôle consistant à fournir l’énergie et un rôle de garantie et d’assurance. En ce sens, le réseau est également un instrument de solidarité à l’intérieur du territoire : ainsi, quand le fonctionnement d’une centrale doit être interrompu pour des raisons de maintenance, la région concernée peut être alimentée en électricité par la centrale d’une région voisine.

Je remercie la représentation parlementaire – et vous en particulier, monsieur Brottes, pour votre implication – d’avoir introduit dans la loi une simplification des procédures relatives aux enquêtes publiques. Si la procédure de débat public avec garant de préférence et celle de débat public avec commission particulière du débat public sont toutes deux conformes à la convention d’Aarhus, nous avons constaté que la première nécessitait sept jours de concertation par kilomètre de ligne et la seconde, quarante-cinq jours – pour un degré d’information des populations assez comparable. La procédure de débat public avec garant nous paraît donc être la plus efficace, en ce qu’elle permet de faire l’économie de nombreuses réunions, de commissions particulières, ou encore de la rédaction de cahiers d’acteurs.

Vous avez évoqué une autre simplification appréciable, relative à la loi Littoral. Afin que le raccordement des éoliennes offshore n’implique plus l’obligation de longer la côte sur plusieurs kilomètres jusqu’à atteindre une embouchure ou un port, ce qui était pour le moins paradoxal, la loi de 2013 à laquelle vous avez donné votre nom prévoit la possibilité de demander des dérogations, lesquelles, je le précise, ne sont pas accordées automatiquement
– pour réaliser de telles interconnexions – qui auront de plus en plus vocation à être réalisées par voie souterraine.

La question des modèles de marchés de capacité est complexe. Je commencerai par dire deux choses à ce sujet. Premièrement, l’une des principales préoccupations de nos concitoyens est que le système électrique pris dans sa globalité – production, transport et distribution – lui assure une sécurité d’alimentation. Or, nous n’en sommes plus au temps où un opérateur unique était responsable de tout : le système a évolué de telle manière que la responsabilité consistant à garantir l’alimentation – en particulier en période de pointe – s’est trouvée diluée entre différents acteurs. La vocation du mécanisme de capacité est bien de responsabiliser ces acteurs, à la hauteur de leur présence sur le marché : chacun d’entre eux doit pouvoir justifier à l’avance qu’il disposera des capacités de production ou d’effacement lui permettant de satisfaire l’ensemble des clients composant son portefeuille.

Dans le cadre du bilan prévisionnel qu’il nous incombe de réaliser, j’ai été amené à lancer une alerte sur l’urgente nécessité qu’il y a à mettre en œuvre ce dispositif : à défaut, durant l’hiver 2015-2016, la « mise sous cocon » de centrales à gaz à cycle combiné envisagée par certains producteurs pourrait, si elle était effectivement mise en œuvre et si l’hiver était rigoureux, nous faire courir le risque d’une pénurie d’électricité. Le marché de capacité constitue une réponse à ce problème, en faisant obligation à chaque fournisseur du marché français d’établir à l’avance un équilibre entre l’offre et la demande et de pouvoir en justifier : à défaut, il serait considéré comme un fournisseur irresponsable – car il agirait un peu comme un boulanger qui, ayant trente clients, ne cuirait que vingt baguettes au motif qu’en cuire davantage lui coûterait plus cher – et pourrait même encourir des sanctions.

Pour ce qui est de l’objectif européen, je préfère parler de changement dans le tour de table que d’ouverture du capital, car la loi prévoit actuellement que ne peuvent être actionnaires de RTE qu’EDF, l’État français ou un organisme public, afin de garantir le maintien du caractère public de notre activité : EDF étant pour le moment le seul actionnaire, l’entrée au capital de l’État ou d’un organisme public constituerait une évolution importante.

M. François Brottes. Cela a été le cas aussi pour l’ouverture du capital de GRTgaz, qui ne pouvait concerner que des acteurs publics.

M. Dominique Maillard. Tout à fait, c’est pourquoi l’ouverture s’est faite au profit de la Caisse des dépôts et consignations.

M. Brottes voulait sans doute me taquiner quand il m’a demandé si les ouvertures de capital avaient vocation à favoriser les interconnexions. En fait, toutes les interconnexions que nous avons réalisées jusqu’à présent, que ce soit avec l’Espagne ou le Royaume-Uni, l’ont été sans aucun lien patrimonial, et nous pouvons continuer de la sorte. Nous avons développé à Bruxelles, en coopération avec nos voisins belges, anglais, italiens et nord-est allemands, un centre de supervision appelé Coreso (Coordination of electrical system operators), une sorte de vigie européenne ayant pour fonction de détecter avant qu’elles ne surviennent des situations qui pourraient être alarmantes, et de proposer des remèdes : ce projet a été mené à bien sans aucun lien patrimonial avec nos partenaires dotés de statuts juridiques très différents les uns des autres.

Si l’ouverture du capital n’est pas nécessaire pour l’exercice de notre activité, elle pourrait faciliter un certain nombre de synergies : puisque nous sommes confrontés aux mêmes problématiques, il pourrait ainsi être envisagé d’avoir des activités communes en recherche et développement, même si la création de filiales communes de R&D n’implique pas forcément d’ouvertures de capital. Historiquement, l’héritage d’EDF fait de nous le plus gros réseau de transport européen, que ce soit par l’étendue du réseau, les effectifs et, sans doute, les capacités en R&D. Cela dit, nous devons rester vigilants, car des mouvements commencent à se faire à nos frontières : ainsi nos voisins belges ont-ils racheté l’un des quatre réseaux allemands, de même que les néerlandais ; le réseau portugais, qui était à vendre, a vu State Grid Corporation of China entrer à son capital ; la même société chinoise a également pris une participation dans le réseau italien Terna, et s’intéresse au réseau grec. Loin de moi l’idée de vouloir agiter le spectre du péril jaune, car nous avons des accords de coopération avec les opérateurs chinois, mais force est de constater que les acteurs européens sont minuscules à côté de State Grid Corporation of China, qui compte 1,8 million de salariés – pour des activités plus diversifiées que les nôtres, puisque cette société fait aussi un peu de production et de distribution. C’est un fait : comme cela a été le cas pour le transport aérien il y a vingt-cinq ans, le secteur européen du transport d’énergie commence à faire l’objet d’importantes restructurations – et l’ambition de RTE est de faire partie de l’un des grands pôles qui vont se constituer.

Sans aller forcément jusqu’à considérer, comme M. Brottes, que l’objectif final est la constitution d’un réseau de transport européen intégré unique, j’estime que les différents réseaux européens vont être amenés à coopérer beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement. C’est dans cette optique que nous avons développé Coreso, ce centre régional de coopération qui nous a beaucoup aidés, après une grande panne survenue le 4 novembre 2006, ayant pour origine une erreur commise par un opérateur allemand, et qui avait plongé dans le noir une vingtaine de millions de consommateurs européens, dont la moitié en France.

M. François Brottes. E.ON Netz, pour ne pas le citer !

M. Dominique Maillard. C’est cela. Afin qu’une telle situation ne se reproduise pas, plusieurs acteurs européens – y compris les Allemands, réticents jusqu’alors – ont décidé de coopérer.

Personnellement, je ne crois pas à un opérateur unique, mais à des regroupements régionaux – à l’échelle de l’Europe –, qui me paraissent avoir plus de sens. L’expérience montre que l’on a plutôt tendance à empiler les niveaux de supervision qu’à supprimer les niveaux de base : la France est divisée en sept bassins électriques, il existe ensuite un dispatching national et le centre de supervision Coreso à Bruxelles, l’existence de chacun de ces niveaux étant, à mon sens, parfaitement justifiée. Si une évolution doit se produire, j’estime qu’elle consistera certainement en la constitution d’un niveau de supervision au niveau des différentes régions de l’Europe – on pourrait envisager un partage en trois zones : Ouest, Sud, Europe centrale – et voir plus grand ne serait sans doute pas réaliste à l’heure actuelle. Notre centre national d’exploitation du système électrique, situé à Saint-Denis, traite actuellement 40 000 informations à la seconde, et nous utilisons largement les smart grids – il me semble d’ailleurs qu’il vaudrait mieux dire « smarter grids », ou réseaux plus intelligents, car les réseaux actuels le sont déjà. Cela dit, en dépit de l’amélioration constante des systèmes d’information, il y a toujours des limites physiques, ne serait-ce qu’en raison de la nécessité de faire intervenir des opérateurs humains, c’est pourquoi la zone supervisée peut difficilement dépasser, à mon sens, une superficie représentant trois à quatre fois celle de la France, et ce n’est pas avant une vingtaine d’années que l’on pourra éventuellement envisager l’existence d’un centre unique de supervision pour toute l’Europe.

Pour répondre à M. Gorges, nous élaborons effectivement des modèles correspondant aux différents scénarios auxquels les lignes directrices définies par la loi pourraient conduire. Nous avons l’obligation légale d’établir, en l’actualisant tous les deux ans, un document appelé bilan prévisionnel, dont la loi sur la transition énergétique a d’ailleurs précisé le contenu et l’articulation avec les travaux réalisés au sujet d’autres énergies – je pourrai vous communiquer ce document si vous le souhaitez. Cela nous permet de disposer d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), alors que nous n’avions auparavant qu’une programmation pluriannuelle des investissements (PPI) ne concernant que l’électricité. Sans mettre en comparaison des scénarios aussi contrastés que ceux que vous évoquez, nous avons étudié, en termes de consommation, des scénarios de régression et d’autres de croissance soutenue ; et en termes de production, des scénarios dans lesquelles la part du nucléaire n’était pas forcément maintenue à 50 %. Cela dit, toutes ces analyses, réalisées par des ingénieurs, ne portent que sur la faisabilité technique, sans tenir compte de la dimension économique – qui est effectivement nécessaire au moment de choisir entre les différents scénarios – et pour ce qui est des coûts, nous ne chiffrons donc que la partie « réseau ».

M. Jean-Pierre Gorges. L’arrêt de la centrale de Fessenheim a-t-il été intégré à l’un des scénarios ?

M. Dominique Maillard. Tout à fait. Nous avons même traité cette hypothèse au niveau micro-économique, partant du principe que l’arrêt de la centrale de Fessenheim posait deux questions : d’une part, comment assurer l’équilibre entre l’offre et la demande à la suite d’une réduction de 1 800 mégawatts de l’appareil de production, d’autre part, cette réduction va-t-elle avoir une incidence particulière sur l’Alsace. Il ressort de notre étude que l’équilibre entre l’offre et la demande ne serait pas affecté de façon majeure, mais que des investissements seraient nécessaires pour assurer une continuité de l’alimentation de l’Alsace – nous avons communiqué nos conclusions à M. Hervé Mariton afin qu’il puisse en tenir compte pour son rapport. Ces investissements ne sont pas démesurés – nous les estimons à environ 150 millions d’euros – et devront en tout état de cause être effectués lorsque sera prise la décision d’arrêter effectivement la centrale : il ne s’agit donc pas vraiment d’un coût supplémentaire, mais d’un coût anticipé. La question la plus préoccupante est celle de la faisabilité : si certains investissements peuvent être effectués à l’horizon 2017, d’autres
– je pense notamment à la construction d’une nouvelle ligne de transport – sont impossibles à réaliser sur un délai si court.

Mme Dubié m’a interrogé au sujet des réseaux intelligents, ce qui concerne aussi nos collègues d’ERDF ainsi que le volet industriel. Même s’il faut se garder de tout triomphalisme, la France n’a pas à rougir de ce qui a été accompli en ce domaine par les chercheurs universitaires, les industriels fournisseurs et les donneurs d’ordre – dont fait partie RTE. Le chiffre d’affaires de cette activité est déjà orienté à 50 % vers l’exportation, ce qui veut dire que la France a pris des positions intéressantes – de ce point de vue, il est particulièrement révélateur de constater que les missions étrangères chargées de se renseigner sur ce qui se fait dans le monde en matière de réseaux électriques intelligents – je pense notamment à celles qui viennent d’Asie – ne manquent jamais de venir en France. C’est un peu paradoxal, mais la compétence française dans le domaine du smart grid est plus reconnue à l’étranger que dans notre propre pays.

Les réseaux électriques intelligents ne se limitent pas aux compteurs intelligents, mais englobent toutes les technologies permettant de fournir beaucoup plus d’informations au consommateur, qui en est demandeur afin de pouvoir tenir une part plus active dans ce domaine – c’est le fameux « consommacteur ». À titre d’exemple, je citerai éCO2mix, une application gratuite sur smartphone mise à disposition par RTE et permettant de connaître de manière instantanée les niveaux de production et de consommation d’électricité en France ; ces informations ne sont peut-être pas de nature à modifier le comportement de Monsieur Tout le Monde, mais force est de constater qu’elles sont très consultées. Une autre application, EcoWatt, disponible en Bretagne et en PACA, donne des informations et des recommandations à J + 1 en matière de consommation électrique, sur la base d’un code très simple attribuant une couleur – vert, orange, rouge – à chaque journée. Nous avons l’ambition de faire passer le nombre d’emplois induits par cette filière de 15 000 à 25 000, et de chercher à passer du stade de la démonstration de projets – nous avons actuellement quelque 120 démonstrateurs – à celui du déploiement industriel, ce qui implique que nous commencions par identifier un territoire disposant du potentiel industriel et universitaire nécessaire, et pouvant constituer à la fois un incubateur de start-up et une vitrine pour le déploiement de technologies telles que le compteur intelligent Linky ou d’autres systèmes relatifs à l’insertion des énergies renouvelables, notamment le projet Postes Électriques Intelligents.

Mme Dubié voulait savoir si tout cela était financé : pour moi, le développement des technologies de réseaux électriques intelligents va devoir se faire à partir de la performance intrinsèque de ces technologies. Les smartphones ne se sont pas développés à coup de subventions, mais parce qu’ils apportaient des services aux consommateurs, et il doit en être de même des smart grids : une fois que l’on aura aidé au lancement des produits issus de ces technologies, ils devront se montrer suffisamment attractifs pour que les décideurs, les collectivités locales et les opérateurs que nous sommes décident de les utiliser en raison des services supplémentaires qu’ils rendent. La clé du développement des smart grids réside dans leur compétitivité intrinsèque, et ce développement ne devrait donc pas nécessiter un financement spécifique, en tout cas pas dans le cadre du TURPE : d’après nos études, l’évaluation du plan d’action du programme de réseaux électriques intelligents devrait créer des besoins en financement limités à 10 millions d’euros, ce qui est très faible. Nous avons fait le pari, en accord avec les industriels et les collectivités concernées, que ces programmes ne se développeraient efficacement que si la technologie et les usages pouvant en être faits créaient la demande.

Pour conclure, je dirai à Madame la rapporteure que dans notre dialogue avec le régulateur, nous débordons assez largement de la question du coût comptable, même si, pour la détermination des tarifs, on en revient essentiellement à des aspects comptables – la CRE voulant savoir, par exemple, quelle est l’incidence des tarifs qu’il propose sur nos réseaux, ce qui relève de la comptabilité analytique. En revanche, la justification des projets passe par des calculs économiques relatifs aux investissements et à leur rentabilité.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Messieurs, je vous remercie au nom de notre Commission d’enquête pour la qualité de votre intervention et les réponses précises que vous avez apportées à nos questions.

La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du jeudi 23 octobre 2014 à 10 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Pierre Gorges, M. Alain Leboeuf, Mme Béatrice Santais

Excusés. - M. Marc Goua, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch