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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 29 octobre 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Fabien Choné, président de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie 

L’audition commence à dix-sept heures.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur Choné, vous êtes à la tête de l’un des cinq distributeurs dits « alternatifs » regroupés au sein de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie.

Après avoir fusionné avec Poweo, l’un des pionniers du marché dérégulé, Direct Énergie revendique près d’un million de clients particuliers et professionnels. Il semble que, depuis un ou deux ans, nous assistions à un décollage des souscriptions d’abonnement dans les domaines de l’électricité comme du gaz pour ce qui concerne d’autres offres que celles d’EDF ou de GDF. Vous voudrez bien nous dire si cette tendance est effectivement confirmée.

Concernant l’électricité, il nous serait également utile de connaître le taux de retour de ces abonnés auprès du fournisseur historique, après un passage parmi vos clients. Ce taux est-il en voie de résorption, et l’évolution du marché vous permet-elle de mieux fidéliser vos clients ? Il semble également important que vous nous exposiez l’état de vos relations avec ERDF. Ce point de situation nous paraît d’autant plus important que nous allons auditionner tout à l’heure les dirigeants de cette société.

Plus généralement, nous serions heureux de connaître vos attentes et vos propositions afin de parfaire les conditions d’attractivité d’un marché libéralisé de l’électricité dans une optique durablement favorable au consommateur particulier, mais aussi à la compétitivité des clients professionnels.

Enfin, pour être complet, il convient d’aborder avec vous la question de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Vous disposez ainsi d’un droit de tirage sur le producteur historique à ce prix convenu. Le président d’EDF nous a clairement indiqué que ce prix était éloigné de la réalité économique. Il a d’ailleurs plus spécialement insisté sur son niveau, que la CRE considérerait elle-même, nous a-t-il dit, comme beaucoup trop bas.

Un autre critique à l’encontre du système est qu’il vous laisse libre de vous fournir auprès d’autres producteurs lorsque les prix du marché sont inférieurs à celui fixé au titre de l’ARENH, pour revenir faire valoir vos droits auprès d’EDF en situation de remontée des prix « spot ». Quelles sont les parts respectives de vos achats auprès d’EDF et d’autres producteurs, par exemple au cours du premier semestre de cette année ?

Avant de vous passer la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Fabien Choné prête serment.)

M. Fabien Choné, président de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie. L’ANODE représente cinq fournisseurs alternatifs : Direct Énergie, Lampiris et Planète OUI pour l’électricité,ENI et Gaz de Paris pour le gaz. Je suis accompagné de Julien Tchernia, directeur du développement chez Lampiris, et de Nicolas Milko, président-directeur général de Planète Oui. À eux seuls, ces cinq fournisseurs représentent plus de 95 % des consommateurs résidentiels français ayant quitté les deux opérateurs historiques.

J’aimerais, tout d’abord, tordre le cou à certaines idées reçues à propos du marché de l’énergie, en me basant sur des graphiques issus de publications de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui figurent dans le document que nous vous avons remis.

La première idée reçue est que les tarifs de l’électricité ont augmenté de façon vertigineuse. Si les tarifs de l’électricité ont augmenté ces dernières années pour les consommateurs résidentiels, ils sont néanmoins inférieurs de 25 % à leur niveau de 1995. De surcroît, les hausses récentes sont dues essentiellement à la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui a augmenté de 270 % en quatre ans, entraînant une hausse de 15 % de la facture des consommateurs, soit plus de la moitié de la hausse intervenue depuis 2010. Or la CRE table sur une augmentation de 60 % de la CSPE d’ici à quatre ans, ce qui équivaudra à une hausse de 10 % de la facture des consommateurs. En réalité, ce sont les envolées vertigineuses de la CSPE qui sont préoccupantes.

Deuxième idée reçue : la concurrence fait monter les prix et ses offres sont ou seront plus chères. Sur les 30 % d’évolution tarifaire entre 2012 et 2017 envisagés par la CRE, 10 % sont dus à l’inflation, 10 % à la CSPE, 18,4 % aux tarifs hors CSPE sur cinq ans, soit 1,5 % par an d’augmentation hors inflation. Les évolutions tarifaires à venir ne sont donc pas vertigineuses, et la concurrence n’en est pas responsable. En effet, les hausses incluent les investissements dans le parc de production nucléaire, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) de 9 euros par mégawatheure (MWh), lié notamment au développement des énergies renouvelables, et les coûts commerciaux à hauteur de 0,90 euro/MWh, sur lequel 0,30 euro/MWh seulement sontliés à des coûts de « désoptimisation ». Cela concerne notamment les modifications du système d’information de l’opérateur historique en vue de répondre aux impératifs de l’ouverture du marché, à savoir la séparation des activités de réseau et des activités de commercialisation. Autrement dit, la libéralisation explique pour 0,3 % seulement la hausse de la facture entre 2012 et 2017. En outre, il est faux de dire que les tarifs réglementés de vente (TRV) sont plus compétitifs que les offres libres, car celles-ci sont 5 % à 10 % moins chères. Malheureusement, moins de 5 % de la population a quitté l’opérateur historique d’électricité et à peine plus de 10 % l’opérateur historique du gaz, alors que le passage à un fournisseur alternatif ne présente aucun risque – il n’y a pas de changement de compteur et il est possible de revenir au tarif réglementé à tout moment. D’ailleurs, le taux de retour chez les opérateurs historiques est très faible, les consommateurs se montrant très satisfaits de bénéficier du même produit dans des conditions de services clients aussi bonnes, voire meilleures, et à des prix nettement inférieurs.

La troisième idée reçue est que le gel des tarifs est bénéfique pour le pouvoir d’achat des consommateurs. D’abord, le maintien de tarifs réglementés à un niveau artificiellement bas, afin de protéger le pouvoir d’achat de tous les Français, aboutit forcément à une protection moindre de ceux qui en ont vraiment besoin, c’est-à-dire les personnes en situation de précarité énergétique. Ensuite, non seulement cette politique empêche les opérateurs d’investir, mais elle n’incite pas les consommateurs à se lancer dans des travaux de rénovation énergétique. Enfin, l’absence de couverture des coûts de l’opérateur historique asphyxie la concurrence qui est le seul vrai vecteur de modération tarifaire. C’est pourquoi l’ANODE a systématiquement introduit des recours devant le Conseil d’État pour demander l’application de la loi qui prévoit la couverture des coûts. D’abord, cette couverture des coûts est vitale pour nous, mais surtout, elle répond à l’intérêt des consommateurs. Dans un contexte de hausse tendancielle des coûts, empêcher une hausse de 5 % ou 10 % des tarifs annihile l’attractivité d’une offre inférieure de 5 % ou 10 % de n’importe quel opérateur alternatif qui ne pourra alors plus assurer son développement. Aussi la politisation des tarifs a-t-elle vocation à faire disparaître la concurrence. À qui va-t-on demander de couvrir les coûts ? Aux consommateurs ? À l’actionnaire de l’opérateur historique et donc au contribuable ? Selon nous, une tarification qui couvre les coûts, ajoutée à la pression concurrentielle exercée par les opérateurs alternatifs, entraînera inévitablement une évolution contrainte des coûts, comme cela est observé dans tous les secteurs économiques, et aboutira à terme à des niveaux tarifaires inférieurs à ceux fixés artificiellement.

Quatrième et dernière idée reçue : la fixation des tarifs réglementés est très compliquée. La détermination des tarifs réglementés pour couvrir les coûts est relativement simple, le vrai problème est d’assumer les augmentations tarifaires, malheureusement nécessaires, mais très impopulaires dans le contexte actuel. Soumis au jugement de leurs électeurs, les responsables politiques assument difficilement ces décisions, qui en réalité ne sont pas des choix politiques, mais la validation d’une situation économique. L’exercice est d’autant plus schizophrénique pour eux que l’État est actionnaire majoritaire d’EDF.

Je vais, maintenant, vous parler de la construction des tarifs et faire un bref rappel du contexte dans lequel s’inscrit la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME).

En 2009, la France s’est engagée auprès de la Commission européenne à garantir d’ici à fin 2015 la possibilité pour les opérateurs alternatifs de contester les tarifs réglementés – c’est ce qu’on appelle la contestabilité – notamment via l’ARENH. Pour obéir aux injonctions de Bruxelles concernant l’instauration de la concurrence, la loi NOME de 2010 dispose que la construction des tarifs réglementés de vente (TRV) est basée sur l’empilement des coûts vus du marché pour permettre cette contestabilité. Or en 2010, le niveau des prix de marché était tel que la contestabilité a été jugée suffisante pour assurer la couverture des coûts d’EDF. Cette hypothèse, vous le savez, n’est plus valide aujourd’hui du fait de la baisse des prix du marché.

La réforme actuellement souhaitée par le Gouvernement concernant la construction des tarifs sous-tend une fausse bonne idée, selon laquelle la construction des tarifs réglementés est possible uniquement via la contestabilité, c’est-à-dire sur la base des prix de marché de gros, sans tenir compte des coûts de production d’EDF. Certes, compte tenu des prix de marché actuel, cela aboutira à des tarifs réglementés plus bas, mais les coûts d’EDF ne seront plus couverts, sans que personne ne sache qui - du consommateur ou du contribuable - les couvrira à terme. Par ailleurs, cette méthode annihile toute pression concurrentielle réelle sur les coûts d’EDF et n’incitera pas l’opérateur historique à baisser ses coûts. En outre, elle est un très mauvais signal en matière d’incitation à l’entrée sur le marché de la production hors nucléaire, car si les tarifs réglementés ne couvrent plus les coûts de production hors nucléaire et que les prix de marché de gros sont insuffisants pour investir dans la production, aucun investissement ne sera envisagé dans cette production.

Pour EDF, la seule manière de « rattraper » l’absence de couverture des coûts de production hors nucléaire est d’envisager une surévaluation du prix de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique. Un projet de décret prévoit une évolution de la méthode de calcul du prix de l’ARENH. La CRE a évoqué ici même un prix de 44 euros, voire de 46 euros par mégawatheure (MWh) ; la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) avait envisagé 46 euros/MWh. Or dans son rapport de janvier 2014, la CRE a évalué le coût comptable de production nucléaire à 34 euros/MWh. Nous en concluons qu’il existe un risque de subventions croisées entre production hors nucléaire et production nucléaire, ce qui reviendra encore une fois à évincer les concurrents d’EDF.

Pour toutes ces raisons, la réforme de la construction des tarifs actuellement envisagée ne nous paraît pas souhaitable. La construction des tarifs réglementés par contestabilité, rendue nécessaire au regard du droit communautaire, n’est pas selon nous une alternative à la couverture des coûts. Elle n’est qu’une condition cumulative : les tarifs réglementés doivent, à la fois, couvrir les coûts de l’opérateur historique et être contestables du point de vue des opérateurs alternatifs.

J’en viens à nos recommandations permettant de concilier ces deux contraintes.

D’abord, un choix politique s’impose : il faut distinguer les Français qui ont besoin d’être protégés des autres. La solidarité nationale doit jouer grâce à une évolution des tarifs sociaux, si besoin en intégrant le chèque énergie.

Ensuite, il est primordial de couvrir les coûts de l’opérateur historique. Aucune industrie ne peut survivre sans couvrir ses coûts sur le long terme. La question doit être posée d’un point de vue économique et pas seulement juridique.

Enfin, il convient de promouvoir une réelle concurrence pour dynamiser le marché. Plus de sept ans après l’ouverture du marché, il est aberrant que moins de 5 % des consommateurs aient quitté l’opérateur historique, alors que les tarifs des alternatifs sont plus avantageux et sans risque. La concurrence est favorable en termes d’informations aux consommateurs, grâce aux comparateurs d’offres; elle est la seule source de pression concurrentielle sur les coûts d’EDF ; et elle favorise les innovations, notamment en matière de maîtrise de la demande d’énergie, d’effacement, d’offres vertes, d’offres intelligentes et diversifiées qui seront déployées grâce en particulier aux compteurs Linky. Ainsi, nous proposons aux consommateurs des prix plus bas, mais aussi de consommer moins et mieux pour réduire leur consommation.

Nous avons des propositions sur la méthode capable d’articuler les deux contraintes que j’ai soulignées.

Selon nous, la fixation structurelle des tarifs réglementés grâce au principe de contestabilité doit s’accompagner de la vérification, par tests réguliers, de la couverture des coûts de l’opérateur historique. S’ils ne sont pas couverts, il faudra fixer un coefficient de calage. S’ils le sont, deux possibilités se présentent : soit ils sont couverts avec une rémunération dite « normale » ou « raisonnable », et il n’y aura pas de problème ; soit la construction par contestabilité aboutit à une sur rémunération de l’opérateur historique – une rémunération excessive, une rente –, ce qui poserait la question de savoir si les règles de concurrence ne créent pas un désavantage pour les consommateurs. Si cette deuxième situation venait à se présenter, il serait nécessaire que cette rente fasse l’objet d’une rétrocession au consommateur via un mécanisme transparent et ne créant pas de distorsion de concurrence. Tous les dispositifs communs à l’ensemble des offres du fournisseur historique et des opérateurs alternatifs – CSPE, ARENH, TURPE – permettraient de rétribuer cette rente.

En pratique, pour éviter que chaque évolution tarifaire ne crée un drame politico-médiatique, nous pensons urgent que la CRE reprenne définitivement la main sur l’évolution des tarifs réglementés, comme la loi NOME le prévoit à l’horizon 2016, et de manière totalement indépendante, c’est-à-dire sans politisation des tarifs. Faute de quoi, les recours et les factures rétroactives perdureront, alors qu’ils donnent une très mauvaise image des opérateurs alternatifs. Sans compter que les factures rétroactives, illisibles pour les consommateurs, coûtent très cher en termes de systèmes d’information et de réclamations ; elles créent par ailleurs des impayés et favorisent l’attrition. La CRE devrait avoir la possibilité d’auditer toute la comptabilité de l’opérateur historique, notamment en ce qui concerne la fourniture aux tarifs réglementés.

Enfin, nous estimons nécessaire de poser la question de la CSPE, qui représentera 100 milliards d’euros entre 2014 et 2025, contre 30 milliards entre 2002 et 2013. Il s’agit de savoir si elle doit porter uniquement sur l’énergie électrique ou si elle a vocation à porter sur toutes les énergies, afin d’envoyer un signal positif à la consommation électrique renouvelable, au détriment de la consommation d’énergie fossile.

Je termine par votre question sur nos relations avec ERDF, Monsieur le président. Nous souffrons de la grande confusion entre ERDF et sa maison mère – bien peu de consommateurs savent faire la différence –, entretenue à la fois par les logos et les dénominations. En outre, se pose la question de la gouvernance de la distribution, au regard des choix d’investissement et de la répartition entre investissements et dividendes. En effet, si l’augmentation du TURPE, comme on l’entend dire régulièrement, est à même de favoriser les investissements sur le réseau, auxquels nous sommes bien évidemment favorables, elle peut néanmoins faire l’objet d’un arbitrage entre une augmentation des investissements et une augmentation des dividendes. Or les dividendes versés par ERDF à sa maison mère l’année dernière, de l’ordre de 537 millions d’euros, s’avèrent colossaux au regard des capitaux investis par EDF dans sa filiale, aux alentours de 4 milliards seulement. Alors que le TURPE est payé par tous les consommateurs, y compris nos clients, les dividendes vont dans la poche de notre principal concurrent. Par conséquent, nous sommes opposés à une augmentation du TURPE sans modification de la gouvernance de la distribution car, sinon, les dividendes de notre concurrent numéro un continueront d’augmenter et aucun investissement supplémentaire ne sera consenti sur le réseau.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci beaucoup de cet exposé.

Que proposez-vous pour régler ce problème de gouvernance que vous évoquez ?

Pour quelles raisons le nombre de consommateurs quittant l’opérateur historique est-il si bas ? Comment faire évoluer ce taux ? Est-ce une question culturelle ? Des tarifs plus bas suffisent-ils à conduire les consommateurs à rejoindre les opérateurs alternatifs ?

Comment appréhendez-vous la couverture des coûts dans les années à venir ? Que proposez-vous pour évoluer vers des systèmes de tarifs plus satisfaisants pour vous ? Que pensez-vous des dispositifs au forfait, comme il en existe dans le secteur des télécommunications ?

M. Denis Baupin. Merci, monsieur Choné, de votre exposé.

Quel serait le bon niveau de l’ARENH, y compris au regard du grand carénage ? Vous plaidez la couverture des coûts par les tarifs, mais cette logique n’est-elle pas contradictoire avec votre affirmation selon laquelle l’ARENH est surévaluée ?

M. François Brottes. Je le dis en plaisantant, mais c’est grâce à vous que les tarifs augmentent ! En réalité, si vous les considérez mal ajustés, les décisions de justice entraînent une augmentation des tarifs. En définitive, que vous apportent tous ces contentieux ?

Que pensez-vous de la position de l’Autorité de la concurrence selon laquelle l’ARENH a vocation à disparaître en 2015 ? Je ne suis pas sûr que l’opérateur historique s’en soit ému…

Alors que le dispositif crée un deuxième marché de l’énergie, la société RTE évoque un probable black-out l’année prochaine, faute de réserves suffisantes. Comment se positionnent les opérateurs alternatifs par rapport à ces contraintes de capacité ? Certains de nos amendements au projet de loi de transition énergétique ont porté sur l’effacement. Comment doit évoluer le dispositif, selon vous ?

Mme Jeanine Dubié. Ce matin, a été publié au Journal officiel le décret qui définit la nouvelle méthode de calcul des tarifs réglementés de l’électricité. La méthode de construction des tarifs réglementés de vente de l’électricité consiste à additionner le coût de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique au coût du complément d’approvisionnement. Que pensez-vous de cette méthode de calcul ? Selon vous, comment les tarifs de l’électricité devraient-ils être fixés pour assurer la couverture des coûts de production, sans sanctionner trop fortement les consommateurs ?

M. Fabien Choné. Madame Dubié, ce décret ne résout en rien le problème de l’articulation entre couverture des coûts et contestabilité. Il évoque la construction des tarifs réglementés par contestabilité – empilements des coûts vus du marché – « sous réserve de la prise en compte des coûts de l’activité de fourniture de l’électricité aux tarifs réglementés d’Electricité de France… »

Nous jugeons indispensable de couvrir les coûts d’EDF, je l’ai dit, dans l’intérêt des consommateurs, de l’opérateur historique comme des opérateurs alternatifs. Il est tout aussi indispensable d’assurer la contestabilité, condition de l’eurocompatibilité des tarifs réglementés. Si elle aboutit à une rente pour EDF au détriment des consommateurs, l’opérateur historique devra rendre cette rente via la CSPE, le TURPE ou l’ARENH. Si la couverture des coûts suffit à assurer la contestabilité, comme c’est le cas aujourd’hui, la concurrence pourra continuer à se déployer et les tarifs seront eurocompatibles.

Monsieur Brottes, l’absence de couverture des coûts tue la concurrence. Nos recours devant le Conseil d’État – dans l’intérêt du consommateur – nous permettent de continuer à faire notre métier. Nous n’imaginons pas un instant que la plus haute juridiction administrative puisse prendre des décisions contraires à l’intérêt des consommateurs.

Effectivement, le dispositif de l’ARENH est transitoire. Mais loi NOME prévoit que les opérateurs et les consommateurs industriels peuvent investir dans le prolongement de la durée de vie ou le renouvellement du parc nucléaire. Nous sommes très favorables à l’engagement de négociations rapides avec EDF sur ces questions, mais nous demandons qu’elles soient encadrées par l’État.

Nous avons été parmi les premiers à réclamer une rémunération de la capacité, car un marché basé uniquement sur les transactions d’énergie ne permet pas d’atteindre un niveau suffisant de sécurité d’approvisionnement. Malheureusement, le marché de capacité proposé par RTE n’a aucune chance de fonctionner. En effet, comme RTE l’écrit dans son rapport, le marché de capacité est nécessaire car, même en présence d’un parc de production parfait, la rémunération du producteur sur le marché énergie est insuffisante. Toujours dans ce même rapport, RTE estime que, grâce à sa proposition, le prix de la capacité sera nul en l’absence de besoin de nouvelles capacités. Cela démontre bien l’inefficacité de ce futur dispositif.

La raison pour laquelle l’ANODE a déposé un recours devant le Conseil d’État est non seulement parce que le dispositif présenté ne fonctionne pas, mais il crée aussi un marché dans lequel un opérateur concentre plus de 90 % de la demande et plus de 90 % de l’offre, sans compter qu’il est plus favorable aux gros producteurs. Nous combattrons ce dispositif, tout en affirmant que la rémunération de la capacité est une absolue nécessité pour permettre au marché de fonctionner correctement. D’autant que, et c’est une estimation de RTE, 80 % de la valeur de l’effacement est de la capacité. Ainsi, l’effacement permet d’éviter des capacités de pointe supplémentaires. Les 20 % restants sont des transferts d’énergie.

Il existe une confusion aujourd’hui entre l’effacement et l’efficacité énergétique active, car la même box installée chez les clients permet de faire les deux. Grâce à sa box, le client pilote mieux sa consommation, mais ces économies d’énergie n’ont aucune raison d’être corrélées aux pointes de prix sur les marchés. Ces économies d’énergie doivent être rémunérées au travers de la baisse de la facture au consommateur, mais également faire l’objet de certificats d’économies d’énergie. Aussi réclamons-nous depuis longtemps que les box permettant l’efficacité énergétique active donnent lieu à la délivrance de certificats d’économies d’énergie. Les effacements, eux, sont opérés par le système électrique indépendamment du confort du consommateur. Lorsque vous procédez à un effacement de consommation chez un consommateur présent à son domicile à dix-neuf heures, dans un objectif de maîtrise de la demande pointe, il consommera la même quantité d’énergie lorsque vous l’autoriserez à nouveau à consommer à vingt et une heure.

M. François Brottes. L’effacement peut être du transfert, mais aussi de l’économie. Faut-il rémunérer la capacité, même si elle ne sert pas ?

M. Fabien Choné. En surveillant la consommation de mon congélateur, qui doit refroidir les aliments au moment où je les mets et compenser à chaque fois que j’ouvre la porte, je constate que l’effacement ne change rien à ma consommation. Je vous certifie qu’il n’y a pas d’économies d’énergie en cas d’effacement, pour les besoins du système électrique, des congélateurs, des réfrigérateurs, des chauffe-eau, des systèmes de chauffage. Effectivement, en matière de chauffage, il peut y avoir des transferts d’énergie vers d’autres énergies ou vers d’autres consommateurs. Le même dispositif d’effacement pour mon congélateur me permet aussi de gérer plus intelligemment mon chauffage, ce qui permet de faire des économies d’énergie, mais il n’y a aucune raison de valoriser cela sur les marchés. La pose d’isolant ou de doubles vitrages dans une maison ne donne pas lieu à rémunération sous forme de kWh à revendre sur les marchés ! Par contre, tous les dispositifs qui permettent de faire de l’efficacité énergétique active doivent donner lieu à un contrat de rémunération entre le client et le fournisseur.

Ainsi, cette ambiguïté tue l’effacement depuis le départ. Un acteur actuel de l’effacement perd énormément d’argent ; d’autres, comme nous, ne pouvons le proposer, faute de rémunération suffisante de la capacité apte à valoriser correctement cet effacement. Aussi proposons-nous que les effacements donnent lieu à une prime CSPE garantissant la valeur de la capacité. Car les effacements diffus représentent des investissements très capitalistiques, ce qui rend nécessaire un signal économique stable et fiable. De la même manière que le prix de l’énergie pour les énergies renouvelables est garanti, nous estimons que le développement de cette filière impose de garantir la valeur de la capacité pour l’effacement diffus. C’est cela qui permettra le développement de l’effacement, pour les effaceurs purs comme pour les fournisseurs.

Une capacité ne sert jamais à rien : elle apporte un niveau de sécurité d’approvisionnement – en pratique, le dernier mégawatt garantissant cette sécurité fonctionne une fois tous les dix ans. Si la centrale de Porcheville ne sert quasiment jamais, elle permet néanmoins de garantir un niveau d’approvisionnement de sécurité et devra être rémunérée en permanence, même si elle sert seulement une année sur dix.

Grâce à une rémunération correcte de la capacité, votre rémunération dépendra du niveau de capacité du marché de l’énergie. Si ce marché est en sur-capacités vous n’investissez plus, faute de revenus suffisants, mais s’il est sous-capacitaire, de fortes rémunérations vous amènent à investir. Ainsi, le signal prix fonctionne à condition que la rémunération de la capacité soit relativement stable, ce qui permet de promouvoir les investissements dans les moyens de production et d’effacement. Pour des raisons écologiques, il est bien évidemment préférable de produire de l’effacement de pointe que de la production de pointe.

Dans ses rapports, la CRE évalue le coût comptable de l’ARENH aux alentours de 34 euros par MWh – il est actuellement de 42 euros –, et estime nécessaire de sur rémunérer EDF pour permettre les investissements. Comme nous l’avons indiqué dans le cadre de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, une sur rémunération d’EDF n’est pas envisageable sur la totalité de la période ARENH, car cela signifierait que l’opérateur historique tirerait les bénéfices d’un outil payé par l’ensemble des consommateurs, y compris des opérateurs alternatifs. Ainsi, le maintien de l’ARENH à 42 euros est concevable, à condition que le bénéfice entre le coût comptable et ce prix de 42 euros soit rétribué aux consommateurs à la fin de la période ARENH.

Concernant le grand carénage, un prix de l’ARENH à 42 euros, pourquoi pas, mais certainement pas plus jusqu’en 2015, d’autant que l’Autorité de la concurrence a demandé la fin du dispositif ARENH pour 2025. À la lecture des rapports de la CRE, le prix de 42 euros nous paraît largement suffisant, à la fois pour couvrir les coûts comptables et financer les investissements.

Madame la rapporteure, nous estimons que le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité doit être totalement transparent et donc basé sur les coûts comptables. Toutes les autres méthodes – proposées par la CRE, retoquées par le Conseil d’État, aujourd’hui en discussion dans le cadre du projet de loi de transition énergétique – nous paraissent susceptibles de créer des sur rémunérations indues, propres à se transformer en dividendes, ce qui est néfaste à la concurrence.

Reste la question de la gouvernance. Une solution radicale réside dans la séparation patrimoniale, choisie par certains pays. À défaut de séparation patrimoniale, nous estimons nécessaire de renforcer les dispositifs de gouvernance du gestionnaire du réseau de distribution, afin d’encadrer les choix d’investissement et, si possible, la remontée des dividendes, ce qui est plus compliqué car il s’agit d’une filiale à 100 % de l’opérateur historique.

Plusieurs raisons expliquent le faible taux de consommateurs optant pour les opérateurs alternatifs. D’abord, notre marché fait malheureusement l’objet d’idées fausses, j’en ai parlé, y compris celle selon laquelle le fait de quitter le tarif réglementé est irréversible ou encore que nous étranglons nos consommateurs en leur proposant des prix intéressants au départ puis très élevés ensuite. Surtout, la totale absence de communication des pouvoirs publics sur l’ouverture du marché a empêché les consommateurs d’en connaître les bénéfices, contrairement par exemple aux grandes campagnes pour le « 12 », les renseignements téléphoniques. Nous jugeons donc indispensable une communication à la hauteur de l’enjeu. D’ailleurs, après avoir conseillé de ne pas quitter les tarifs réglementés à l’ouverture du marché, une association de consommateurs a lancé en 2013 un appel d’offres pour sélectionner des offres tarifaires susceptibles de rivaliser avec les prix réglementés du gaz et, ainsi, encourager les consommateurs à opter pour un opérateur moins cher. Le marché a été organisé pour éviter tous les risques pour les consommateurs, qui peuvent réaliser des économies tout à fait significatives. En matière d’électricité, des offres entre 5 % et 10 % moins cher représentent quelques dizaines d’euros sur des factures de 600 euros par an, mais sur des factures comprises entre 1 000 euros et 2 000 euros de personnes se chauffant à l’électricité, l’économie est loin d’être négligeable.

Seule la pression concurrentielle peut avoir un impact effectif sur les coûts, notamment de l’opérateur historique. Or avec 5 % de perte de parts de marché, l’opérateur historique d’électricité ne subit aucune pression concurrentielle – l’opérateur historique du gaz non plus.

Enfin, les forfaits sont apparus dans des secteurs, comme les télécoms, où les coûts marginaux de production sont quasiment nuls, ce qui n’est pas du tout le cas pour l’électricité. En outre, l’envoi de signaux de modération de consommation aux clients se justifie au regard d’un produit dont l’impact sur l’environnement est réel, si bien que des forfaits permettant de consommer jusqu’à un certain niveau, alors même que des économies pourraient être réalisées, ne nous paraissent pas souhaitables.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Dans le coût global, le coût de l’investissement est lourd et celui l’énergie proprement dite relativement faible. S’agissant du secteur des télécoms, les coûts d’investissement sont très importants et le coût des services a connu ces dernières années des évolutions considérables à la baisse. La question de M. Brottes, certes provocatrice, est néanmoins fondée. Selon vous, il est indispensable de couvrir les coûts de l’opérateur historique – qui augmentent actuellement – et la concurrence va faire baisser les tarifs au consommateur. Vous maniez là le paradoxe, car la couverture des coûts, lesquels incluent une part croissante d’investissements, va entraîner une augmentation des tarifs, or ce n’est pas la concurrence, avec 5 % de clients, qui réglera le problème. Pourriez-vous aller jusqu’au bout de votre raisonnement ?

M. François Brottes. Je ne partage pas votre point de vue sur la nécessité d’augmenter les prix pour être vertueux – les prix ne doivent pas trop baisser pour encourager la sobriété, selon vous. À l'inverse des télécoms, l’électricité est un bien essentiel, or des personnes en sont exclues malgré les tarifs sociaux. Pour la partie de première nécessité, je milite pour une baisse des coûts. Il nous faut avancer sur la progressivité des tarifs, qui est possible grâce aux progrès de l’électronique et à l’inventivité de la concurrence. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez été victime de la loi Brottes sur l’énergie qui impose une trêve hivernale. Y’a-t-il eu des abus ? Vous êtes-vous débarrassé de clients ou pas ? Pardonnez-moi ce côté provocateur, mais c’est une habitude…

Au regard des clients que vous n’avez pas souhaité conserver dans votre portefeuille, quel est votre point de vue sur le fournisseur de dernier recours ? Pour un bien de première nécessité, on ne peut pas imaginer qu’un client reste sans fournisseur.

Enfin, un certain nombre de fournisseurs demandent, en plus du prix du raccordement, le paiement de trois mois de facture à l’avance, en prétendant rembourser dans les deux mois en cas de changement d’opérateur. Qu’en pensez-vous, alors que vous avez répété que le changement d’opérateur est sans risque ?

M. Fabien Choné. Je ne peux répondre à votre dernière question. Je vais faire des recherches pour connaître l’opérateur en question, lequel semble-t-il n’est pas un membre de l’ANODE. Si cette pratique existe pour les loyers, j’ignore si elle est juridiquement autorisée pour les fournisseurs d’électricité. En tout cas, Direct Énergie ne demande pas cela à ses clients.

La précarité énergétique en France est une grande préoccupation, mais elle ne relève pas des fournisseurs. Il s’agit d’un problème de société, qui doit être traité de manière globale, avec notamment un fournisseur de dernier recours, auquel nous sommes tout à fait favorables, lequel doit être nommé de manière transparente et non discriminatoire.

La disposition sur la trêve hivernale a suscité l’inquiétude des opérateurs au regard du signal envoyé aux consommateurs sur la possibilité de reporter le paiement de leur facture et du risque d’endettement associé. Ce risque existe toujours. Néanmoins, la première trêve hivernale n’a pas entraîné une augmentation significative des impayés, car les factures ont été basses en raison d’un hiver particulièrement clément. Par ailleurs, l’information n’est pas totalement passée auprès de l’ensemble des consommateurs.

Je n’ai pas dit que l’augmentation des prix est vertueuse, j’ai dit que le maintien artificiel de prix bas n’est pas vertueux. L’électricité est un bien de première nécessité, pour les besoins vitaux élémentaires. Lorsqu’elle devient un bien de consommation, elle est malheureusement gaspillée, d’où la nécessité d’envoyer des signaux économiques aux consommateurs. C’est pourquoi nous pensons que le principe du bonus-malus, qui figure dans l’exposé des motifs de votre loi, est une très bonne idée. En effet, il permet d’assurer les besoins vitaux des plus défavorisés et de faire payer ceux qui consomment trop, tout en assurant la couverture des coûts. Il permet ainsi de limiter la consommation, et même de la répartir. Et pour assurer cette répartition de la consommation, la structure du tarif doit orienter les consommateurs vers les périodes où la production d’électricité est la moins chère, voire, à terme, où le coût marginal de production sera nul grâce à un parc d’énergie renouvelable suffisant.

Enfin, la concurrence aura un rôle à jouer dans la production hors nucléaire, où des investissements importants devront être réalisés, ce qui impose des signaux économiques pour les nouveaux entrants. Elle a également un rôle à jouer dans la commercialisation, domaine où les coûts de l’opérateur historique ont dérivé à hauteur de 30 % au cours des cinq dernières années, comme l’a démontré le rapport de la CRE l’an dernier. Ce rôle de la concurrence concerne non seulement les tarifs, mais encore les services et l’innovation, car une facture est un tarif multiplié par une consommation répartie dans le temps. Pour le consommateur résidentiel, c’est le montant de la facture qui prime. Même si les tarifs pourraient augmenter, des moyens existent pour faire baisser sa facture, notamment grâce à des aides à l’efficacité énergétique et à une meilleure répartition de sa consommation. Or c’est l’inverse pour les consommateurs industriels, ce qui compte c’est d’avoir un prix bas, afin d’être compétitifs, quitte à payer des factures élevées car elles sont synonymes de production importante. Ainsi, l’enjeu est-il d’expliquer au consommateur que, même si le tarif peut être élevé, des outils existent – notamment la concurrence – pour faire baisser sa facture, et à l’inverse, de permettre aux industriels d’avoir les prix les plus bas et des factures élevées.

M. le président Hervé Gaymard. Merci beaucoup de cette contribution fort intéressante.

L’audition se termine à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 29 octobre 2014 à 17 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Alain Leboeuf, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais