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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 3 décembre 2014

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur Marc Boudier, soyez le bienvenu. L’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG), dont vous êtes le président, se présente comme le principal groupement d’opérateurs alternatifs en termes de volumes vendus mais aussi, le détail est d’importance, de capacités de production. S’agit-il de capacités en France ? Pourriez-vous nous en donner des exemples ? Vos adhérents disposent-ils de micro-centrales, voire de capacités hydrauliques propres ?

Ces adhérents sont principalement des filiales de grands énergéticiens étrangers, comme les suisses Alpiq et BKW, l’allemand E.ON, le groupe public suédois Vattenfall ou encore le géant russe Gazprom. Deux plus petites sociétés spécialisées, NovaWatt et l’entreprise luxembourgeoise Enovos, sont également membres associés de votre groupement.

L’AFIEG, semble-t-il, estime que des mesures sont absolument nécessaires pour dynamiser la concurrence en France et dépasser des situations qu’elle qualifie de « dysfonctionnements ». Nous souhaitons bien entendu vous entendre sur ce point.

Vos réflexions et vos propositions nous intéresseront d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans la perspective de la disparition, au 31 décembre 2015, des tarifs réglementés de vente d’électricité à destination des professionnels, c’est-à-dire des clients non résidentiels.

À cet égard, que répondez-vous aux critiques selon lesquelles vos entreprises pratiqueraient une sorte d’écrémage du marché en visant surtout les gros consommateurs et non les commerçants, les artisans ou encore les agriculteurs ?

Par ailleurs, existe-t-il, selon vous, des solutions encore inexplorées ? Dans l’affirmative, contribueraient-elles à la sauvegarde de la compétitivité, non seulement des activités électro-intensives, mais aussi de nombreuses PME et PMI ?

Enfin, vous considérez-vous comme des acteurs d’équilibrage et d’ajustement, à travers des solutions crédibles de valorisation des capacités d’effacement ?

À l’invitation de M. le président, M. Marc Boudier prête serment.

M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG). L’AFIEG, vous l’avez rappelé, regroupe un certain nombre d’acteurs et constitue la principale association en termes de volume de fourniture en France, avec 40 térawattheures par an, soit un tiers des quantités vendues en offre de marché. De plus, nous disposons de capacités de production en France, à hauteur d’environ 4 000 mégawatts. Il faut aussi rappeler que, si certaines entreprises adhérentes sont détenues par des capitaux étrangers, E.ON France, par exemple, est l’héritier de Charbonnages de France.

Une partie des capacités de production concerne le charbon ou des projets tels que celui d’E.ON sur la biomasse, à Gardanne. Certains de nos membres ont également développé des centrales à gaz à cycle combiné gaz (CCGT, pour Combined Cycle Gas Turbine), comme celle d’Alpiq à Bayet dans l’Allier. Sauf erreur de ma part, seul l’un d’entre eux dispose d’une micro-centrale hydraulique ; en tout état de cause, et à l’inverse d’EDF et GDF, nous sommes peu présents dans l’hydraulique en France.

Le secteur de l’énergie se heurte à un paradoxe : alors que les décisions doivent être prises sur le très long terme, des changements radicaux peuvent intervenir dans des laps de temps très courts. Qui aurait dit, il y a quelques années, que les prix de gros en Europe s’écrouleraient, pour des raisons tenant au développement des énergies renouvelables et à l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis ? La situation a profondément changé par rapport à celle qui prévalait lors de la création de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), puisque les tarifs étaient alors très inférieurs aux prix du marché de gros. Si l’on veut éviter les dysfonctionnements, offrir de nouvelles possibilités aux clients et développer la concurrence, de tels bouleversements appellent des modifications.

La disparition, fin 2015, des tarifs réglementés pour les non-résidentiels permettra sans doute à nos adhérents de développer une clientèle qui, jusqu’à présent, se composait surtout, vous l’avez rappelé, de grandes et moyennes entreprises. À nos yeux, la fixation des tarifs doit obéir à plusieurs principes. Le premier est la distinction entre les réalités économiques, qui doivent prévaloir, et la prise en compte des conséquences sociales d’une augmentation des tarifs. Des mesures comme le chèque énergie, adopté avec le projet de loi de transition énergétique, nous paraissent mieux adaptées qu’une évolution globale des tarifs : l’effort doit se concentrer sur les clients les plus en difficulté. Il convient également de mettre en œuvre des dispositifs tels que la fourniture en dernier recours ou le service universel.

Afin d’être établie sur des bases objectives, la fixation des prix doit par ailleurs être confiée à un régulateur – en l’occurrence la Commission de régulation de l’énergie (CRE), à qui l’on doit donner tous les moyens pour ce faire –, et non dépendre de circonstances politiques, précisément parce que l’aide aux plus défavorisés relève d’actions politiques ciblées.

L’ARENH a été conçu comme un dispositif provisoire, en attendant que les alternatifs disposent de leurs propres moyens de production d’électricité de base, ce qui passe notamment par des accès aux énergies nucléaire et hydraulique. L’Autorité de la concurrence a appelé à préparer la fin de l’ARENH ; mais ce ne sera possible, justement, qu’en assurant un accès aux moyens de production de base.

N’étant pas la mieux placée pour le faire, l’AFIEG ne se prononce pas sur le prix de l’ARENH. Elle estime néanmoins que le système doit rester incitatif : il ne peut se résumer à la répercussion des coûts une fois ceux-ci identifiés. L’incitation à la productivité entre d’ailleurs dans les missions de plusieurs régulateurs à l’étranger. Aujourd’hui, le prix de l’ARENH équivaut à peu près au prix de gros français, et il est sensiblement supérieur à l’allemand – l’écart ayant même atteint 10 euros en octobre. Dans ce contexte, le paramètre essentiel est la visibilité sur l’évolution, de façon que nos clients soient en mesure de prévoir leurs propres coûts : c’est d’ailleurs une demande qu’ils nous font depuis longtemps. Selon nous, le prix de l’ARENH devrait être connu chaque année dès avant la mi-octobre.

Le dispositif souffre également d’un manque de flexibilité : il s’apparente à une course à handicaps dans laquelle ce sont les outsiders, et non les favoris, qui seraient désavantagés au départ… L’ARENH a été créé à une époque où le prix de gros atteignait 60 euros ; aucun alternatif n’était donc en mesure de proposer une offre sans capacités d’investissements ou sans accès au nucléaire et à l’hydraulique. Dans ces conditions, le tarif était à l’époque très compétitif mais il était assorti de contraintes, qu’il s’agisse des délais de paiement – lesquels ne pouvaient être aussi satisfaisants que ceux des meilleurs clients du fournisseur historique – ou de la clause dite de monotonie, qui impose une continuité de la quantité d’électricité demandée entre deux guichets successifs, en cas de nouvelle demande à la baisse ou à la hausse par rapport à la demande précédente. Des pénalités sont également prévues si les quantités demandées par les clients s’avèrent, par erreur, trop élevées. Malgré des assouplissements que nous saluons, une plus grande flexibilité permettrait aux fournisseurs alternatifs de proposer de meilleures offres de marché.

S’agissant du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), l’indépendance d’Électricité réseau distribution France (ERDF) doit être garantie de la même façon que celle de Réseau de transport d’électricité (RTE), en termes de gouvernance, de choix d’investissements ou de gestion des données. Lors de son audition, M. Lévy, qui vient du monde des télécoms, a indiqué qu’il veillerait à ce que tous les fournisseurs aient un égal accès au réseau – ce qui n’était pas exactement la position de son prédécesseur. C’est là une évolution intéressante, qui appelle cependant quelques réformes.

Une difficulté spécifique se pose pour le développement de la concurrence dans le contexte de la fin des tarifs réglementés de vente (TRV). Le déploiement des compteurs Linky a été regardé, à juste titre, comme une priorité pour les acteurs résidentiels, mais des incertitudes demeurent pour les PME et PMI – catégorie que nous ciblerons aussi –, alors même que ce sont elles qui ont le plus besoin de mieux connaître leur consommation ; de surcroît, la structure du TURPE dissuade économiquement d’utiliser les nouveaux compteurs afin de passer en relève à courbe de charge. Pourquoi développer à grands frais des compteurs intelligents, si c’est pour le faire d’abord au bénéfice d’utilisateurs non prioritaires tout en dissuadant les prioritaires ?

Les taxes, on l’observe souvent, représentent une part croissante du prix proposé aux clients : si la tendance se poursuit, cette part dépassera bientôt celle de l’énergie elle-même. La contribution au service public de l’électricité (CSPE) s’élève à 16,50 euros par mégawattheure ; mais rappelons qu’en Allemagne, la contribution au titre de la loi Erneuerbare Energien Gesetz, dite « EEG », atteint plus de 60 euros par mégawattheure : la compétitivité des moyens de production n’est donc pas seule en cause, loin s’en faut, dans le niveau des prix.

L’AFIEG plaide en faveur de la fin du système d’obligation d’achat, impliquant, outre des subventions toujours plus élevées, que celles-ci sont tirées à la hausse à proportion même de la baisse des prix de marché, de sorte que la dépense n’est ni prévisible, ni contrôlable. De surcroît, les fournisseurs d’énergies renouvelables produisent en fonction, non des besoins, mais des conditions météorologiques, ce qui génère des surproductions et de la vente à prix négatifs. Ce système, très dangereux, nuit in fine au développement des énergies renouvelables (EnR) par l’image qu’il en donne. Nous saluons les évolutions prévues, sous réserve de leur traduction effective : s’agira-t-il d’un système d’obligation d’achat à l’envers, autrement dit d’indemnisations ex post couvrant les différences avec les prix de marché, ou d’un système encadré ? Nous préconisons un soutien aux capacités de production, via une prime qui couvrirait les frais fixes – notamment liés aux investissements – et un complément obtenu par la vente sur le marché. Ce dispositif permettrait le développement intelligent des EnR, surtout s’il est assorti d’appels d’offres, sans être ruineux pour le consommateur et les finances publiques.

Des ajustements seront également nécessaires pour préparer au mieux la fin des TRV. Le dispositif d’offre transitoire devra être précisé afin que nous soyons en mesure de présenter des propositions alternatives. Les conditions de résiliation gratuite et sans préavis doivent elles aussi être précisées, notamment lorsqu’elles peuvent apparaître contradictoires avec les conditions générales de vente.

Il existe également un risque de congestion technique lié à un afflux des demandes de changement : n’oublions pas que 440 000 sites sont concernés. Une communication systématique, et par tous les moyens modernes, doit rappeler aux consommateurs ce qu’implique la fin des TRV. Pour être en mesure de proposer des offres, les alternatifs doivent aussi avoir accès aux fichiers clients, comme cela fut le cas pour le gaz.

Le mécanisme de capacité a fait l’objet d’une loi et d’un décret ; nous espérons la publication rapide d’un arrêté, indispensable dans le contexte d’effondrement des prix de gros, lequel peut poser des problèmes à certains producteurs, notamment les CCGT, pourtant susceptibles d’être des compléments idéaux au développement des EnR.

L’effacement doit être promu : la plupart des adhérents de l’AFIEG sont d’ailleurs engagés dans cette voie ; encore faut-il veiller à ne pas provoquer des transferts de richesse injustifiés. Sur ce point, la contribution du professeur Léautier, qui avait pris l’exemple des cravates, est très éclairante.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Comment évaluez-vous la place de la concurrence au sein du système français, et en quoi influe-t-elle sur la formation des tarifs ? Dans quelle mesure le poids de l’histoire empêche-t-il l’émergence de nouveaux opérateurs ?

Les coûts vont croissant, en raison notamment des masses d’investissements nécessaires ; or les tarifs, chacun en convient, ont vocation à couvrir les coûts. Le mode de calcul de ces tarifs vous paraît-il satisfaisant ? Devrait-il évoluer et, dans l’affirmative, quels paramètres pourraient y être intégrés ?

M. Marc Boudier. Sans être insignifiante, la concurrence, en France, s’est développée à la marge, surtout si l’on considère que l’ouverture théorique du marché remonte à plusieurs années. Ce phénomène tient d’abord à la position d’EDF, qui avait en main de nombreux atouts, à commencer par ses moyens de production très compétitifs, dans le nucléaire comme dans l’hydraulique. D’autre part, cette ouverture ne s’est pas étendue à la participation à l’appareil de production lui-même, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs en Europe, y compris au bénéfice d’EDF, par exemple en Angleterre où le groupe, détenu à 85 % par l’État français, s’est vu confier la création et la gestion de centrales. Certes, des adhérents de l’AFIEG ont eu, dans le passé, un « droit de tirage », mais l’on ne peut pas dire que la voie soit ouverte ; M. Lévy l’a encore rappelé récemment.

L’ouverture à la concurrence de l’hydraulique est un peu l’arlésienne ; mais on y viendra un jour, sans pour autant privatiser l’ensemble du système comme certains articles de presse aiment à le faire croire. J’ajoute que les acteurs existants ont des positions, qu’ils défendront. En l’absence de participation aux meilleurs moyens de production, la compétitivité repose, par exemple, sur les frais de commercialisation ; c’est évidemment plus difficile.

Tout change dès lors qu’est donnée la possibilité de se fournir sur le marché de gros – que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons – à des prix compétitifs. J’ai donné l’exemple de la clause de monotonie. Une réforme en la matière nous permettrait de proposer aux industriels français des prix plus bas encore que le prix de l’ARENH, fixé à 42 euros le mégawattheure, contre 32 euros en Allemagne. Le marché français se caractérise par une « arenhisation » des prix de gros qui pénalise la compétitivité. Certes, la vérité d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain ; mais si les prix de gros baissent en Europe – par exemple en raison de subventions payées par nos voisins –, il faudra disposer d’un système suffisamment souple pour que nous puissions en bénéficier.

Avec un prix régulé proche de celui du marché, l’ouverture à la concurrence, c’est un peu ceinture et bretelles – sans compter qu’elle flatte les instances bruxelloises… Mais dès lors que sont supprimés les tarifs réglementés, la concurrence devient une impérieuse nécessité : il faut alors tout faire, non pour l’entraver, mais pour la rendre équitable.

La dépression du marché ne signifie pas que les prix sont à leur juste niveau. Les coûts, on le sait, iront croissant, ne serait-ce qu’en raison de la modernisation et de la sécurisation du parc nucléaire. Toutefois, il ne serait pas normal de répercuter sur les prix des dérapages imputables à un certain laxisme dans la gestion. Le régulateur excepté, il n’existe rien de mieux que la pression concurrentielle pour éviter les abus en ce domaine.

Mme la rapporteure. Quelles solutions préconiseriez-vous pour rebâtir le système tarifaire ? Le système actuel vous paraît-il être le meilleur pour tirer les prix à la baisse ?

M. Marc Boudier. Je n’ai évidemment pas la prétention d’esquisser un nouveau système en quelques minutes, mais quelques lignes directrices peuvent être tracées.

On dit souvent, à juste raison, que le marché est myope ; mais si les tarifs le devenaient, ce sont les générations futures qui auraient à assumer certains coûts. En tout état de cause, on ne peut investir dans la modernisation des centrales pour les prolonger de quarante ans tout en amortissant sur la même durée, faute de quoi le consommateur paierait la facture deux fois, avant et après la prolongation.

La vérité des prix doit être établie, y compris s’ils doivent être revus à la hausse, bien entendu ; aussi ne me suis-je pas prononcé sur le prix de l’ARENH, même s’il faut en tenir compte. La plus grande vigilance s’impose sur les conditions de fixation de ce prix et, je le répète, il ne faut pas confondre politique sociale et politique économique en matière tarifaire : une telle confusion pourrait conduire à appliquer un prix artificiellement bas pour tous, quand ce sont des actions ciblées qui s’imposent. Enfin, il me paraît indispensable de renforcer la transparence et le rôle de la CRE.

M. le président. Monsieur le président, nous vous remercions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 3 décembre 2014 à 18 h 30

Présents. - M. Guillaume Chevrollier, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Viviane Le Dissez, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf