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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 17 décembre 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Luc Vialla, président de section, et de Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître

M. Alain Leboeuf, président. Nous accueillons aujourd’hui M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes, M. Jean-Luc Vialla, président de section, et Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître, trois hauts magistrats qui ont travaillé sur les sujets intéressant notre Commission.

Parmi les récents travaux de la Cour portant sur le secteur de l’électricité, nous citerons un rapport sur les certificats d’économie d’énergie, publié en octobre 2013, les développements sur les concessions de distribution électrique figurant dans le rapport public annuel de 2013, ainsi qu’un rapport de juin 2012 réalisé à la demande du Sénat et consacré à la CSPE, laquelle fait également l’objet d’un chapitre du rapport annuel de 2011. Il convient de citer en outre des travaux plus récents sur le coût de production de l’électricité nucléaire, réalisés à la demande de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, et sur la mise en œuvre par la France du paquet énergie-climat. Cette somme recèle sans nul doute, pour notre Commission, de précieuses informations. Aussi l’audition de ses auteurs est-elle de nature à guider quelque peu notre réflexion.

Dans un premier temps, madame, messieurs, nous allons vous écouter nous exposer celles des orientations inscrites dans vos travaux qui vous semblent concerner l’objet de notre Commission. Puis les membres de celle-ci, en commençant par sa rapporteure, établiront, par leurs questions, un échange avec vous.

Comme vous le savez, un serment est requis de la part des personnes entendues par une commission d’enquête. Votre audition porte sur des travaux ayant donné lieu à des délibérations des instances de la Cour, conformément au code des juridictions financières. Cette audition concerne l’activité juridictionnelle de la Cour, que vous servez en votre qualité commune de magistrat financier. Dès lors, puisque les magistrats financiers sont fonctionnellement liés par un serment de loyauté, je ne crois pas devoir vous soumettre à l’obligation de prêter serment devant nous au titre d’une procédure qui deviendrait redondante.

M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous confirme que nous sommes tous trois assermentés. Je vous remercie de votre invitation ; nous nous réjouissons de pouvoir contribuer à vos travaux. Je me permets cependant de préciser qu’ayant pris mes fonctions de président très récemment, je n’ai pas moi-même travaillé sur les sujets qui intéressent votre Commission. Je laisserai donc à mes deux collègues le soin de vous présenter l’essentiel des études de la Cour des comptes auxquelles ils ont participé en 2012 et 2013. Je rappelle que la Cour s’exprime dans le registre du constat, constat qui est assorti le cas échéant de propositions. Je vous propose que nous procédions par ordre chronologique, en commençant par le rapport consacré à la Contribution au service public de l’électricité (CSPE).

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, le rapport de la Cour sur la CSPE a été réalisé au cours du premier semestre 2012 à la demande de la commission d’enquête du Sénat sur le coût réel de l’électricité. Il avait pour objet d’actualiser une insertion publiée dans le rapport public de 2011 qui portait sur l’année 2010, beaucoup de choses s’étant passées durant ces deux années. Ce rapport comporte également quelques pistes de réflexion, plutôt que des propositions.

Le rapport public de 2011 comportait, lui, plusieurs recommandations : maîtriser les charges, notamment celles de l’électricité photovoltaïque ; s’interroger sur le soutien apporté aux filières non prioritaires, comme la cogénération ; clarifier le statut fiscal de la CSPE, qui est un quasi impôt ; enfin, réexaminer le financement de la CSPE par le consommateur d’électricité, la Cour s’interrogeant sur l’extension éventuelle de ce financement à d’autres contributeurs.

Sans revenir en détail sur ce qui s’est passé entre 2010 et 2012, je ferai les remarques suivantes. Au cours de cette période, le niveau des recettes s’était sensiblement accru, puisque, de 4,50 euros/MWh en 2010, le montant de la CSPE était passé à 9 euros puis à 10,50 euros/MWh en 2012. En matière de dépenses, nous avons pu considérer que la recommandation de la cour relative à la maîtrise des facteurs de croissance des charges de l’électricité photovoltaïque avait été suivie, puisqu’un nouveau dispositif permettait d’en limiter le tarif d’achat. En revanche, en ce qui concerne la cogénération, les textes n’avaient pas été modifiés – je note d’ailleurs qu’entrera en vigueur, à partir de 2014 et 2015, un système visant à financer à nouveau les grosses installations de cogénération. De même, aucune modification n’était intervenue pour clarifier le statut fiscal de la CSPE et son financement par le consommateur d’électricité n’avait pas été réexaminé. Par ailleurs, nous relevions deux évolutions qui n’avaient pas été prévues par les rapports précédents : d’une part, la mise en place d’une méthode de calcul de la CSPE plus cohérente qui atténuait le poids de la volatilité des prix de marché et, d’autre part, l’augmentation des charges liées aux tarifs sociaux, qui restaient toutefois limitées et ne représentaient qu’une petite partie de la CSPE.

Nous avons en outre réalisé, à la demande de la commission d’enquête sénatoriale, une prévision de l'évolution des charges à couvrir par la CSPE entre 2011 et 2020. L’estimation de ces dépenses variait selon que l’on retenait l’évaluation d’EDF, 8,8 milliards d’euros, celle de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), 9,9 milliards, ou celle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui était de 10,9 milliards. Cet écart s’expliquait par le fait que chacune de ces évaluations était fondée sur des hypothèses très différentes, notamment en ce qui concerne le prix du marché, par rapport auquel est calculé le « surcoût » des énergies renouvelables. Au demeurant, la Cour estimait qu’il convenait d’envisager un doublement, entre 2012 et 2020, des charges à couvrir ainsi que de la contribution unitaire, qui passerait de 10,50 euros/MWh à 22 euros/MWh.

Par ailleurs, le dispositif précédent ayant fixé la CSPE à un niveau insuffisant pour couvrir les charges, un écart est apparu entre la contribution perçue et les charges définitives, qui s’est traduit par un déficit supporté par EDF. Nous nous étions donc interrogés sur la manière dont ce déficit allait évoluer, compte tenu des nouvelles règles de calcul de la CSPE. Selon nos estimations, confirmées du reste par les dernières prévisions de la CRE, il devait rester stable entre 2012 et 2014 et disparaître à partir de 2017. Le niveau actuel de la CSPE permet en effet de couvrir les charges de l’année, mais il ne permet pas encore de compenser le déficit existant.

En conclusion, nous avions esquissé les pistes de réflexion – et non pas, je le répète, des recommandations – qui pouvaient être explorées pour tenter de limiter, si on se posait la question, l’impact de la progression de la CSPE sur les consommateurs d’électricité. Nous avions ainsi suggéré d’élargir le financement de la contribution aux consommateurs d’énergies autres que l’électricité, de lui affecter des recettes nouvelles – par exemple, le produit des futures ventes aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre – ou de réexaminer les règles d’exonération de la CSPE dont bénéficient surtout les gros consommateurs d’électricité.

Une autre piste de réflexion – qui a manifestement été étudiée par les uns et les autres – portait sur la limitation des inconvénients du système d’obligation d’achat des EnR. Nous proposions ainsi d’optimiser leur production et d’augmenter la liquidité et la transparence du marché, ce qui supposait de substituer au système d’achat à prix fixe des dispositifs visant à inciter les producteurs à mettre l’électricité renouvelable produite sur le marché afin de verser seulement aux producteurs l’écart entre le prix de marché et le prix de production.

Tels sont les principaux éléments des travaux réalisés dans le cadre de ce rapport. Les prévisions de la Cour n’ont pas été contredites par les évolutions qui sont intervenues ultérieurement, mais il est certain qu’elle préfère travailler a posteriori.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous propose que nous en venions à présent aux concessions de distribution électrique qui ont fait, quant à elles, l’objet d’une insertion au rapport public annuel de 2013. Cette étude porte sur des données de 2011 et du début de l’année 2012, mais celles-ci ont peu évolué depuis cette date, sauf sur certains points – j’y reviendrai.

Quelques constats d’abord. Le système de concession de distribution électrique est ancien – les textes fondateurs datent de 1884, 1904, et 1946 pour la loi de nationalisation – et il n’a guère évolué, si l’on excepte la filialisation d’ERDF. C’est un système dérogatoire au droit commun des concessions de service public en raison du monopole concédé à ERDF – qui représente 95 % du réseau, les 5 % restants revenant aux entreprises locales de distribution – et, surtout, de l’application d’un tarif national unique. C’est sur ce point que notre sujet rejoint vos préoccupations, puisque ce tarif, le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), est une des composantes essentielles du coût de l’électricité pour les particuliers et les entreprises. Ce système est également dérogatoire en ce que la répartition des travaux entre autorité concédante et concessionnaires est assez précisément fixée par la loi, cette répartition variant selon que l’on se trouve en zone urbaine ou en zone rurale, dans un dispositif somme toute complexe qui pose quelques problèmes d’application. Ce système est enfin éclaté, puisqu’on dénombrait encore en 2012 756 concessionnaires, bien que, je le rappelle, la loi de 2006 ait encouragé leur regroupement au niveau départemental.

Un tel dispositif présente néanmoins un avantage évident, celui de la péréquation, puisque le tarif unique permet de financer les concessions déficitaires par les concessions excédentaires. En outre, il paraît globalement pérenne, notamment par rapport à la réglementation communautaire, puisqu’à aucun moment les directives européennes n’ont mis l’accent sur l’ouverture à la concurrence des réseaux de distribution, préférant donner la priorité en la matière à l’amont, la production, et à l’aval, la commercialisation. Cependant, il faut souligner que la plupart des concessions arriveront à échéance entre 2020 et 2025 ; le sujet sera donc forcément à l’ordre du jour au niveau national.

Si ce système est consolidé et efficace, il n’en pose pas moins quelques problèmes, notamment en matière de financement des investissements. Je rappelle que ceux-ci s’élèvent à 4 milliards d’euros, dont 3 milliards pour ERDF et 1 milliard pour les autorités concédantes, c’est-à-dire les collectivités territoriales et leurs groupements. Ce montant augmentera inévitablement et rapidement, pour plusieurs raisons. La première tient au développement des énergies renouvelables. En effet, la distribution comprend à la fois la sortie et l’entrée, et la plupart des énergies renouvelables sont branchées directement sur le réseau de distribution d’ERDF, et non en amont, sur le réseau de transport de RTE. La deuxième raison tient à la croissance démographique et à l’étalement urbain, qui obligent ERDF à étendre régulièrement son réseau. Une troisième raison tient à la généralisation du compteur communicant Linky, qui représente un investissement d’au moins 5 milliards d’euros – certains évoquent la somme de 7 milliards d’euros – et qui passera de toute façon par le TURPE. Enfin, le développement inéluctable du véhicule électrique risque, en fonction de son mode de fonctionnement et de son rythme de croissance, d’avoir un impact très important sur le degré de charge du réseau de distribution d’ERDF.

Or, la politique d’investissement d’ERDF a été assez variable, pour des raisons qui relevaient moins de l’opérateur que de la politique du groupe EDF. Entre 1992 et 2005, celui-ci a en effet donné la priorité à son développement international, au détriment de la distribution et de la maintenance des centrales nucléaires. Les investissements d’ERDF ont ainsi été divisés par deux, accumulant un retard qui s’est du reste traduit par une dégradation de la qualité de la prestation et de l’énergie distribuée. Depuis, l’investissement a retrouvé un niveau normal, puisqu’il s’établit à 3 milliards d’euros, mais il ne permet pas de financer le développement de Linky ni peut-être – mais cela n’a pas encore été véritablement évalué – celui du véhicule électrique.

Se pose également un problème de gouvernance. Le dialogue au plan local entre ERDF et les autorités concédantes est en effet souvent difficile. Les obligations d’ERDF sont assez peu claires, notamment en matière d’évaluation des actifs, concession par concession. Par ailleurs, le système est peu régulé. La Commission de régulation de l’énergie contrôle ERDF en amont, mais beaucoup moins que RTE. Par exemple, elle n’a pas de pouvoir de contrôle de la politique des investissements, alors qu’elle approuve le plan de financement de RTE. Ce dispositif est conforme aux directives communautaires, mais une telle différence de traitement s’explique difficilement.

Se pose enfin le problème, complexe, du mode de calcul du TURPE. Le Conseil d’État a annulé, fin 2012, le TURPE 3 pour des motifs liés au mode de calcul du coût pondéré du capital par rapport à la base d’actifs régulés d’ERDF. C’est un élément d’incertitude très important pour les investisseurs, mais la loi de transition énergétique devrait y remédier – j’y reviendrai.

Forte de ces constats, la Cour a notamment recommandé d’accélérer le regroupement des autorités concédantes, d’établir une programmation locale des investissements, de mettre en place un dispositif de contrôle des investissements d’ERDF afin d’éviter au groupe EDF d’avoir à trancher entre ses différentes priorités et, à plus long terme, de s’interroger sur l’évolution du modèle de la distribution d’électricité.

Pour conclure, je veux souligner que le projet de loi de transition énergétique en cours d’examen au Sénat comporte trois dispositions qui s’inscrivent dans la logique des préconisations de la Cour. La première vise à régler le problème du mode de calcul du TURPE en choisissant clairement le modèle économique plutôt que le modèle strictement comptable. Les deux autres dispositions prévoient, pour la première, le pilotage des investissements, avec la création d’un comité du système de distribution publique d’électricité chargé d’examiner la politique d’investissement d’ERDF, au sein duquel siégeraient des représentants des autorités concédantes et, pour la seconde, la présence d’un représentant des autorités concédantes au conseil d’administration d’ERDF.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Nous en venons maintenant à la présentation de l’enquête sur les Certificats d’économie d’énergie (CEE), qui a été réalisée à la demande du Premier ministre à qui elle a été remise en octobre 2013, soit juste avant que ne soient fixées les règles applicables pendant la troisième période des CEE.

Je rappelle que ces certificats ont été créés par la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique, dite « loi POPE », de 2005. Il s’agit d’un outil mixte, qui associe une obligation réglementaire, sous la forme d’un objectif fixé par les pouvoirs publics, et le jeu du marché, puisque les obligés, c’est-à-dire les fournisseurs d’énergie, sont libres de choisir la forme de leurs actions pour remplir cette obligation. Le dispositif repose sur l’hypothèse que ces derniers chercheront les solutions les moins coûteuses pour obtenir leurs certificats.

Nous avons constaté que les objectifs quantitatifs avaient été dépassés, qu’il s’agisse de ceux de la première période, qui étaient très faibles, 54 TWh cumac, ou de ceux de la deuxième période, qui a été prolongée par une période transitoire dans laquelle nous sommes actuellement. Il convient de rappeler que les certificats sont concentrés sur le secteur diffus du bâtiment, environ 90 %, notamment le bâtiment résidentiel, 80 % ; un petit nombre d’opérations représentent la majorité des certificats obtenus.

Nous avons tenté de calculer le coût d’obtention des certificats, car c’est un sujet de discussion entre les acteurs. Cette opération n’était pas aisée, car elle suppose notamment d’examiner les comptes d’EDF. Je précise que les CEE sont d’un coût très limité pour l’État, puisque ce coût est assumé par les obligés, qui le répercutent sur les consommateurs. Notre calcul, qui porte sur la deuxième période, n’ayant pas été contesté, nous en avons conclu qu’il devait être à peu près correct. Selon ce calcul, le coût moyen unitaire des certificats était, pour la plupart des obligés, d’environ 0,4 centime d’euro/kWh cumac, ce qui représente une dépense totale d’environ 1,4 milliard d’euros sur 4 ans et demi, pour financer les 345 TWh cumac de la deuxième période. EDF, quant à elle, affichait un coût très supérieur. Notre analyse – fondée sur les chiffres que nous avons consultés sans pour autant pouvoir les publier dans le rapport, puisqu’il s’agit d’éléments couverts par le secret commercial – nous a permis d’expliquer que ce coût semblait surévalué, EDF y incluant des éléments commerciaux qui n’étaient pas pris en compte par les autres fournisseurs et qui n’avaient pas de raison de l’être.

Surtout, nous avons constaté que le coût variait selon le modèle d’obtention du certificat. Les deux obligés historiques, EDF et GDF, avaient en effet mis en place un modèle reposant essentiellement sur les réseaux de professionnels du bâtiment, alors que les nouveaux obligés, apparus pendant la deuxième période, c’est-à-dire les fournisseurs de carburant, en particulier les grands distributeurs, avaient opté pour un système de versement de primes aux ménages réalisant des travaux, système qui est nettement moins onéreux. Quant au coût administratif de gestion des dossiers, il est de l’ordre de 20 % du coût unitaire. Au total, le coût du certificat est compris, selon une estimation de la CRE que nous avons pu vérifier, entre 0,5 % et 1 % du tarif du gaz ou de l’électricité.

Par ailleurs, l’efficacité du dispositif nous était apparue intéressante, mais relative et très difficile à évaluer. Certes, selon de nombreuses études, il est possible de mesurer les kilowattheures économisés à partir des certificats mis sur le marché et des travaux réalisés. Mais nous ne sommes pas sûrs qu’ils l’aient été uniquement grâce à ces certificats. En effet, les différents systèmes d’aide – certificats, crédits d’impôt, éco-prêts à taux zéro – pouvant être utilisés conjointement, il est difficile d’identifier l’impact de chacun d’entre eux. En tout état de cause, les certificats semblent permettre, selon les études qualitatives, d’accélérer la prise de décision de réaliser des travaux et d’améliorer, moyennant un coût un peu plus élevé, l’efficacité énergétique de ces derniers. Mais, encore une fois, il est très difficile d’évaluer précisément le montant des travaux liés au certificat. Aussi suggérions-nous de réaliser a posteriori des études plus approfondies sur les différents outils de soutien aux économies d’énergie, afin d’en mieux mesurer l’efficacité, même si celle-ci semble effective.

D’autres recommandations concernaient les mesures à prendre pour améliorer l’efficacité des certificats. La première portait sur la révision triennale des fiches, qui devait permettre de supprimer celles dont l’efficacité est trop limitée ou qui sont devenues obsolètes. Cette recommandation a été suivie, puisque de nouvelles fiches sont en cours d’élaboration dans le cadre de la troisième période. Nous préconisions également d’améliorer l’accompagnement des investisseurs, en leur apportant des conseils plus personnalisés en cas de rénovations lourdes. Enfin, nous recommandions de renforcer la professionnalisation du secteur du bâtiment dans le domaine des économies d’énergie de manière à permettre une généralisation de l’éco-conditionnalité.

Je cède maintenant la parole à Jean-Luc Vialla.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Parmi les objectifs prioritaires des certificats d’économie d’énergie figure la lutte contre la précarité énergétique, sujet dont il est inutile de souligner ici l’importance : plus de 3 millions de nos concitoyens sont concernés. Cet objectif relève essentiellement du programme « Habiter mieux », géré par l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH), qui présente la particularité d’être financé par les trois obligés les plus importants : EDF, GDF Suez et Total. Ce dispositif est extrêmement efficace, puisque les gains énergétiques ont été évalués en moyenne à 38 % pour chaque intervention. En revanche, sa gestion administrative est si lourde que le rythme d’exécution est très lent : au début de 2013, un quart seulement des 250 millions d’euros de crédits étaient consommés. Depuis, le dispositif a été nettement amélioré par l’ANAH et le rythme de consommation est plus satisfaisant.

Cependant, nous avons fait deux propositions afin de renforcer le caractère prioritaire de la lutte contre la précarité énergétique : d’une part, mettre fin au monopole, que rien ne justifie, des trois grands obligés et, d’autre part, bonifier les certificats d’économie d’énergie, comme cela se fait dans un certain nombre de programmes, ou, en dernier recours – car le système est déjà complexe et rigide –, instituer un quota.

Nous avons également examiné l’ensemble de la gouvernance du dispositif des certificats d’économie d’énergie et de leur gestion matérielle. S’agissant de la gouvernance d’ensemble, le système a toujours été géré par la Direction générale de l’énergie et du climat, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et l’Association technique énergie environnement (ATEE), ce qui laisse de côté non seulement l’ensemble des obligés, mais aussi les acteurs du bâtiment et des travaux publics, qui sont directement concernés. Nous avons donc proposé la création d’un comité de suivi qui, sans être chargé de la gestion du dispositif, permettrait à l’ensemble des acteurs de s’exprimer.

Quant à la gestion matérielle des certificats, confiée au pôle national des certificats d’économie d’énergie, intégré à la DGEC, elle était d’une lourdeur exceptionnelle, en raison de la complexité de la réglementation. Les personnels du pôle national étaient ainsi obligés de réaliser un traitement exhaustif de toutes les demandes, de sorte qu’ils avaient accumulé un retard d’un an dans l’attribution des certificats. Nous avons donc proposé des simplifications à très court terme et, surtout, pour la troisième période, un changement complet du dispositif en passant d’un contrôle exhaustif a priori à un système de contrôle a posteriori par échantillonnage, déclaratif et dématérialisé.

Nous avons par ailleurs identifié deux champs de développement potentiel des certificats d’économie d’énergie très significatifs : d’une part, les collectivités territoriales, qui ne représentent que 2 % des certificats créés, et, d’autre part, l’ensemble de l’habitat social.

J’en viens maintenant au projet d’EDF et GDF Suez de créer un passeport énergétique. Les deux principaux obligés ont en effet tenté d’orienter les discussions portant sur la troisième période vers la création de ce passeport, lequel aurait consisté en un document qui, suite à une analyse réalisée par un audit externe, ferait le bilan des économies d’énergie possibles dans chaque bâtiment concerné de façon à orienter les travaux à venir. Il nous a semblé que, si un dispositif de ce type était intéressant et justifié du point de vue technique, le volume des actions qu’il aurait représenté aurait été tel qu’il aurait capté l’ensemble des flux financiers représentés par le certificat d’économie d’énergie et provoqué ainsi une baisse d’activité considérable dans l’ensemble du secteur du bâtiment et de l’artisanat. En outre, il ne s’inscrivait pas dans la logique du dispositif. Nous avons donc proposé d’en faire un programme expérimental.

Enfin, une plateforme d’échange des certificats a été concédée à une entreprise privée. Or, son mode de fonctionnement nous inquiète quelque peu. À l’origine, une bourse avait été créée par Powernext, qui n’a fonctionné qu’un an en raison de l’insuffisance des échanges trafic. Aujourd’hui, il s’agit d’une simple plateforme informatique où n’importe qui peut opérer sans aucune garantie : il n’y a ni carnet d’ordres ni prix affichés, uniquement des demandes et des offres de quantités. Il nous a semblé que cela pouvait être source de trafics et d’escroqueries, dont quelques collectivités territoriales, du reste, ont été victimes en 2012. Nous avons donc demandé que ce système fasse l’objet de contrôles et soit remplacé, sinon par un marché – les volumes ne le justifient pas –, du moins par une véritable plateforme d’échanges sécurisée comprenant une intermédiation et un carnet d’ordres chiffrés.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie pour vos interventions, qui ont permis de remettre en perspective les travaux que vous avez conduits. Je souhaiterais, dans un premier temps, vous poser trois questions.

Tout d’abord, on observe, sur le long terme, une augmentation des coûts de l’électricité. Comment faire en sorte qu’il n’en soit pas ainsi ? Doit-on agir sur les coûts de production, sur les coûts d’EDF ou sur les coûts historiques du dispositif dont nous héritons, marqué par l’absence de concurrence ? À ce propos, quel doit être, selon vous, l’avenir de l’ARENH dans le dispositif ?

Ensuite, vous avez évoqué les déficits tarifaires qui pèsent sur EDF. On peut supposer que l’opérateur ne pourra pas en subir longtemps la charge. Dès lors, comment faudrait-il s’y prendre pour assurer le rattrapage ?

Enfin, on intègre dans le calcul des coûts et des tarifs de l’électricité des éléments qui relèvent de choix politiques, qu’il s’agisse de la péréquation, de la lutte contre la précarité ou des exonérations accordées aux entreprises, notamment aux électro-intensifs, pour améliorer leur compétitivité. Pensez-vous que ces actions auxquelles, nous élus, tenons tous doivent être financées différemment ? Doivent-elles, par exemple, être prises en charge par l’ensemble des consommateurs d’énergie, en l’espèce les ménages, ou faut-il imaginer d’autres modes de financement ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. La première de mes trois questions porte sur la création de nouveaux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables prévue dans la loi de transition énergétique, mécanismes qui seront fondés sur une logique de « marché plus primes ». Pensez-vous qu’ils auront une incidence bénéfique sur la maîtrise du coût de la CSPE, sachant que, pendant une période transitoire, les mécanismes vont se chevaucher ? Avez-vous évalué cette incidence ?

Par ailleurs, lors du débat sur le projet de loi de transition énergétique, la question de l’élargissement de la base de la CSPE a été très souvent évoquée. Quel regard portez-vous sur cette hypothèse ?

Enfin, s’agissant des hyper électro-intensifs, menacés notamment par l’arrêt des tarifs réglementés, plusieurs exonérations peuvent être envisagées : exonération de la CSPE ou d’une partie du TURPE ou encore achat de CO2, comme c’est le cas en Allemagne. Ces solutions vous paraissent-elles pertinentes et suffisantes ou faut-il s’orienter, comme le suggérait à l’instant Mme la rapporteure, vers un dispositif d’aide qui relèverait davantage du budget principal que de la CSPE ?

Présidence de M. Jean Grellier, vice-président de la Commission d’enquête

M. Jean-Pierre Gorges. Je vous ai entendu dire tout à l’heure, à propos de la CSPE, que peut-être, un jour, l’électricité serait payée par l’impôt. Or, ce n’est pas possible. Le financement des énergies renouvelables fait déjà l’objet de contestations et la France a du reste été condamnée sur ce point.

Pensez-vous que le système français de facturation de l’électricité puisse résister longtemps, compte tenu de la libéralisation des tarifs prônée par l’Europe ? J’ai le sentiment que nous assistons à la rencontre de deux plaques tectoniques qui ne manquera pas de poser quelques problèmes.

Ma dernière question sera plus politique : pensez-vous que la transition énergétique fera baisser les tarifs de l’électricité ?

M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes. Avant de céder la parole à mes collègues, je veux rappeler que la Cour des comptes est une institution collégiale et que sa parole, telle qu’elle est exprimée dans les documents publiés, a fait l’objet d’une délibération. Je pense donc que mes collègues s’attacheront à répondre à vos questions en retraçant les éléments qui figurent dans ces rapports ; ils seront beaucoup moins à l’aise pour s’exprimer dans des domaines qui n’ont pas été étudiés par la Cour. Nous ne pouvons pas prétendre engager celle-ci tant qu’elle n’a pas délibéré.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. S’agissant du niveau des coûts de l’électricité, la Cour n’a pas de position globale sur ce point. Il est toutefois évident que nous cherchons toujours à favoriser la baisse des coûts, quel que soit le sujet que nous étudions. Dans le rapport sur le coût de production de l’électricité nucléaire, par exemple, nous avons insisté sur la part importante qu’y prennent les coûts de fonctionnement d’EDF. Il s’agit pour nous d’un élément qui mérite d’être étudié, qu’il s’agisse d’EDF ou de tout autre organisme d’ailleurs.

En ce qui concerne la réduction du coût de la CSPE, nous avions notamment insisté sur les tarifs du photovoltaïque qui, en 2010, connaissaient une évolution telle qu’ils menaçaient de devenir extrêmement coûteux. Ils ont depuis été revus et aménagés de manière à maintenir ce coût dans des proportions plus supportables. Mais il convient d’examiner, comme cela est prévu dans le projet de loi de transition énergétique, chacun des éléments constitutifs de la CSPE, laquelle couvre des dépenses extrêmement diverses, afin d’identifier les progrès qui peuvent être réalisés, par exemple en aménageant les tarifs de manière à ce qu’ils suivent mieux l’évolution à la baisse des coûts.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Sur la question des coûts, je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est que, dans la période actuelle, où le marché de l’électricité est extraordinairement déprimé – même si la France, à cause notamment de l’ARENH, n’en bénéficie pas tout à fait –, le passage d’une méthode de calcul par constatation de coûts comptables internes à EDF à une méthode par empilement des coûts a en soi un effet positif sur l’augmentation. Quant aux déficits tarifaires, nous n’avons pas eu l’occasion de nous prononcer sur ce point. On peut cependant constater qu’ils sont évalués de façon objective par la CRE et qu’ils ne sont pas à des niveaux tels que le rattrapage est inconcevable.

Par ailleurs, je veux souligner que nous avons bien conscience de l’importance du problème rencontré par les électro-intensifs. C’est un sujet que nous avons inscrit dans notre programme de travail. Nous souhaitons faire le bilan des dispositifs existants, des projets et, surtout, établir une comparaison avec les régimes en vigueur chez nos principaux concurrents, en particulier l’Allemagne, qui a beaucoup investi dans ce domaine.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Pour en revenir à la question du déficit tarifaire, il est vrai que l’on a vu se creuser pendant plusieurs années un déficit lié à la CSPE, supporté par EDF. Si je ne me trompe, le problème a été résolu, théoriquement en tout cas, puisque l’augmentation de la cotisation de la CSPE permet de ne plus aggraver le déficit. Certes, celui-ci n’a pas été résorbé, mais, selon nos prévisions, si la cotisation continue à augmenter, il devrait l’être en 2017. En attendant, il a été convenu entre l’État et EDF que ce déficit, qui s’élève tout de même à 4 ou 5 milliards d’euros, serait mis sous cocon et rémunéré, certes bien moins que ne le demandait EDF. Nous avions également relevé, dans le rapport sur le coût de production de l’électricité nucléaire, que cette dette avait été reconnue et même placée dans les actifs dédiés d’EDF, ce que nous avons du reste plutôt critiqué.

Quant à la question de savoir si les conséquences des choix politiques doivent être financées par les consommateurs d’électricité ou faire l’objet d’un financement plus large, elle a été abordée à plusieurs reprises par la Cour, qui envisageait plutôt l’hypothèse d’un élargissement de la base de la CSPE. Mais il s’agit, là aussi, d’un choix politique : ce n’est pas à la Cour d’opter pour une solution plutôt que pour une autre. Beaucoup d’éléments sont en jeu dans la question des tarifs, qu’il s’agisse de la politique de lutte contre le changement climatique, des politiques environnementales, de la lutte contre précarité, de la péréquation ou des exonérations.

Par ailleurs, madame Battistel, le dispositif « marché plus primes » prévu dans le projet de loi de transition énergétique rejoint l’une des pistes de réflexion que nous avions esquissées. Si le dispositif fonctionne bien – mais le diable est dans les détails –, il devrait inciter les producteurs d’électricité renouvelable à mettre celle-ci sur le marché au moment le plus intéressant, ce qui aurait pour conséquence de moins perturber l’ensemble du dispositif. Il s’agit donc a priori d’une bonne mesure, mais il faudra étudier la manière dont elle sera appliquée. Certes, vous l’avez souligné, une période transitoire est prévue, mais celle-ci est nécessaire, car on ne peut pas revenir facilement sur les contrats préexistants.

En ce qui concerne l’élargissement de la base de la CSPE, on pourrait imaginer, dès lors qu’il s’agit d’une politique publique, de faire payer la contribution aux consommateurs d’énergies autres que l’électricité. Il s’agit, là encore, d’un choix politique. En tout état de cause, il faudrait élaborer les systèmes les moins complexes possibles.

Quant à la situation des électro-intensifs, elle n’a pas été étudiée par la Cour pour le moment. Je rappellerai simplement qu’en France, le coût et les tarifs de l’électricité sont faibles.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Certes, mais le coût du transport y est plus cher !

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Il faut en effet examiner les différentes composantes de ces tarifs. Là encore, il s’agit d’un choix politique : si l’on décide de faire moins payer les électro-intensifs, pour des raisons liées à la concurrence internationale et à l’évolution des tarifs de l’énergie dans d’autres régions du monde, il faudra bien reporter les coûts sur d’autres consommateurs.

Sur le point de savoir, monsieur Gorges, si le système français résistera longtemps aux évolutions européennes, je dirai que, dans ce domaine, les pratiques qui ont cours dans notre pays, la CSPE par exemple, sont partagées par les autres pays européens. Que ce soit en matière d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables, ceux-ci ont en effet les mêmes objectifs que la France et ils mettent donc en place des dispositifs similaires aux nôtres. Ainsi la directive de 2012 s’inspire-t-elle fortement du système français de certificats d’économie d’énergie. Les évolutions concernant les tarifs et le financement des énergies renouvelables semblent également assez largement partagées. Je n’ai donc pas le sentiment que la situation française, dans ce domaine, soit très originale, même si notre mix énergétique, notamment, l’est.

Enfin, la transition énergétique fera-t-elle baisser le prix de l’électricité et aura-t-elle un impact négatif sur notre compétitivité ? C’est, là encore, une question politique. Quoi qu’il en soit, il faudrait, pour y répondre, connaître l’évolution du prix des autres énergies et la situation dans les autres pays. La question de la compétitivité ne se réduit pas à celle de nos tarifs.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Sur la pérennité du dispositif français au regard des directives communautaires, on peut estimer, pour s’en tenir à des sujets sur lesquels la Cour a travaillé, que le dispositif global légal est parfaitement conforme à la réglementation européenne. Certes, la Commission a émis, dans le passé, des avis motivés, qui ont abouti à la loi NOME, mais, aujourd’hui, il n'existe plus de différends significatifs entre la Direction générale de l’énergie et la France. Considérons la chaîne complète, depuis la production jusqu’à la fourniture. Au plan de la production, l’ouverture est censée être totale, mais le marché de l’énergie est tel, aujourd’hui, qu’il est inconcevable pour un industriel d’investir dans des outils de production. Les concurrents d’EDF sont même amenés à fermer des capacités de production, notamment en raison du déclassement des centrales à gaz à cycle combiné, ce qui pose d’ailleurs un problème d’équilibre global.

Au plan du transport et de la distribution, il existe des monopoles naturels. Dans les autres pays de l’Union européenne, où coexistent plusieurs opérateurs, ces monopoles sont géographiques. La situation est donc comparable. La question qui se pose est celle de l’actionnariat. On a ainsi évoqué des évolutions de capital de RTE qui lui permettraient de mener une politique plus active à l’international. En tout état de cause, personne n’imagine la coexistence de plusieurs opérateurs de transport dans une même zone.

Par ailleurs, il est vrai que le marché de gros n’a pas, en France, la profondeur et le volume qu’il peut avoir en Allemagne, par exemple. L’explication en est assez simple : l’ARENH retire automatiquement de ce marché des capacités considérables qui sont celles dont ont besoin les alternatifs et éventuellement les électro-intensifs.

Quant au marché de la fourniture au client final, on constate que les évolutions tarifaires commencent à avoir un impact significatif sur son ouverture. Celle-ci était jusqu’à présent théorique, puisqu’il y a encore quelques mois, les concurrents d’EDF détenaient moins de 7 % de parts de marché. Mais son accélération est désormais spectaculaire et le processus sera encore renforcé par la disparition des tarifs jaune et vert, ainsi que par la généralisation de Linky, dans la mesure où ce dispositif permettra de construire des offres différentes.

En somme, le dispositif existe, mais son développement est encore freiné dans un certain nombre de domaines. Le marché est de toute façon tellement déstabilisé, par des facteurs externes, que les industriels n’ont pas la visibilité dont ils ont besoin pour leurs investissements.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je me permets de compléter la question de M. Gorges. On a tout de même le sentiment que le cadre fixé à l’échelle européenne, qu’il s’agisse des règles juridiques ou des principes de concurrence, est comme placé sous cloche : il a été construit comme si le monde extra-européen n’existait pas. Plusieurs des acteurs économiques que nous avons auditionnés dans le cadre de cette commission – représentants des électro-intensifs ou d’autres entreprises, comme les cimentiers par exemple – dressent un constat extrêmement simple : le coût de l’énergie, et singulièrement de l’électricité, est plus élevé en Europe que dans le reste du monde, où il peut être, dans certaines zones géographiques, particulièrement bas. Dès lors, certains d’entre eux nous ont indiqué qu’ils n’investissaient plus en France, ni en Europe d’ailleurs, mais en Chine ou au Canada, là où l’énergie coûte beaucoup moins cher.

On a le sentiment que le cadre européen nous empêche en quelque sorte de défendre nos industries, notamment nos industries électro-intensives. La question de sa pertinence se pose donc, et de façon urgente. Si le problème n’est pas réglé dans les années qui viennent, la désindustrialisation européenne se poursuivra. Ce phénomène, qui nous préoccupe beaucoup, nous impose de créer, au profit de ces entreprises, des systèmes d’aide adaptés susceptibles de combler l’écart qui ne cesse de se creuser avec le reste du monde.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Il y a en effet urgence : le problème doit être réglé d’ici à quelques mois pour certaines entreprises, car la suppression des tarifs verts met en péril de nombreux électro-intensifs – je pense notamment à Ferroperm.

M. Jean-Pierre Gorges. La transition énergétique s’appuie sur une décroissance de la consommation énergétique. En effet, si l’on remplace le nucléaire par une source d’énergie plus chère, l’équation ne sera équilibrée que si la consommation d’électricité diminue. Cela nous a d’ailleurs été confirmé par M. Mestrallet, même s’il a nuancé son propos. La transition énergétique entraînera une hausse mécanique du coût de l’électricité. À quoi il faut ajouter un cadre européen contraignant, dans un contexte de libéralisation complète. Des représentants des électro-intensifs nous ainsi expliqué que les États-Unis, depuis qu’ils exploitent les gaz de schiste, exportent leur charbon vers la Chine, permettant à cette dernière de produire des panneaux photovoltaïques qui, une fois installés en France à l’incitation des pouvoirs publics, vont contribuer à augmenter le coût de l’électricité ! En Afrique, certains électro-intensifs économisent le coût du transport en s’installant à proximité de barrages et en se connectant directement à la centrale électrique.

La mécanique est devenue d’une telle complexité que plus personne ne la maîtrise. On peut dire non au gaz de schiste et au nucléaire, mais je serais curieux de connaître les résultats auxquels aboutiraient des modèles mathématiques capables de prévoir les conséquences de tels choix en 2020… Nos gouvernants, qui sont tous, de temps à autre, un peu despotes, devraient être un peu plus éclairés. Il faudra bien, du reste, qu’on crée un organisme susceptible de réaliser des prévisions qui dépassent les échéances politiques.

M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes. Nous sommes là clairement dans le domaine du pronostic. Or, comme je vous l’ai dit en préambule, la Cour dresse des constats. Vos préoccupations rejoignent toutefois ses observations sur un certain nombre de points ; je pense notamment à la nécessité d’offrir une certaine visibilité aux industriels. En revanche, la question de savoir si le dispositif sous cloche que vous avez décrit se traduira à terme par une diminution du prix de l’énergie pour les consommateurs relève du pronostic.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Je puis vous dire, pour avoir été jusqu’au début de cette année président du port de Dunkerque, où sont installés notamment Arcelor et Rio Tinto, que la question des électro-intensifs m’intéresse particulièrement. Mais il s’agit d’un problème de coordination des politiques publiques qui ne relève pas de la compétence de la Cour. On mène à la fois une politique de développement des EnR et une politique au profit des électro-intensifs. Or, que ce soit à l’échelle française ou à l’échelle européenne, ces politiques ne sont pas forcément compatibles, elles sont même parfois contradictoires. Elles ne font pourtant l’objet d’aucun arbitrage.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. La plupart des problèmes que vous évoquez relèvent de choix politiques qui ne sont pas de la compétence de la Cour. Je tiens à rappeler que la baisse de la consommation énergétique put aussi résulter de l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui est possible pour la plupart des consommateurs. Pour le reste, on peut juger les exonérations actuelles trop importantes dans la mesure où elles ont pour conséquence d’augmenter la facture des ménages, mais si l’on veut diminuer le prix de l’énergie pour les électro-intensifs, il faut les renforcer. Nous sommes donc face à des choix politiques en apparence très simples, mais difficiles à régler.

Mme Jeanine Dubié. Je comprends bien que vous ne puissiez pas répondre à ce type de questions. Il me semble pourtant que, dans l’une de ses recommandations, la Cour avait préconisé le prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans. N’est-ce pas là une prise de position ? Par ailleurs, vous avez souhaité maintenir dans le rapport de 2013 la dizaine de recommandations qui figuraient dans le rapport de 2012 parce qu’aucune d’entre elles n’avait été appliquée. Selon vous, d’où viennent ces blocages ? Sont-ils uniquement dus à des choix politiques ou peuvent-ils être également d’ordre réglementaire ?

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Nous n’avons pas recommandé de prolonger la durée d’exploitation des réacteurs ; nous serions sortis de notre rôle. Nous avons simplement tenté de chiffrer le mieux possible une telle mesure et nous avons fait remarquer que, plus on se rapprochait de la limite des quarante ans, plus il paraissait difficile de ne pas prolonger la durée d’exploitation d’au moins une partie du parc. Nous avons donc dressé un constat et réaliser les calculs nécessaires afin que chacun dispose d’éléments de réflexion pour faire les choix politiques. Par ailleurs, vous avez raison, nous avons maintenu dans le rapport de 2014 les recommandations du rapport de 2012, en expliquant que si aucune d’entre elles n’avait été rejetée par l’État ou par EDF, aucune n’avait été totalement mise en œuvre. Certaines avaient commencé à l’être ; d’autres, très techniques, nécessitaient pour être appliquées plus de temps que les deux années qui se sont écoulées entre les deux rapports. La loi sur la transition énergétique favorisera du reste certaines évolutions. Toutefois, une de ses recommandations n’a pas du tout été mise en œuvre : celle qui portait sur le suivi de notre rapport et son actualisation… c’est pour cela que nous avons dû le faire nous-mêmes

M. Jean-Pierre Gorges. La question de la prolongation de la durée de vie des réacteurs a été traitée dans le cadre de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire. La première idée qui vient à l’esprit est en effet de prolonger de dix ou vingt ans la durée d’exploitation des réacteurs, qui, aux États-Unis, peut atteindre quatre-vingts ans ; il y a une exception française dans ce domaine. Je rappelle que c’est l’Autorité de sûreté nucléaire qui autorise la prolongation des réacteurs – des simulations ont d’ailleurs montré qu’un amortissement sur une période plus longue faisait chuter le coût du nucléaire. De toute façon, même si on voulait les arrêter, on ne pourrait pas.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 17 décembre 2014 à 17 h 15

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. François Brottes, M. Patrice Carvalho, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, M. Lionel Tardy, M. Stéphane Travert