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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 4 février 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition de M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX Spot, la bourse des marchés spot de l’électricité, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service études

M. le président Hervé Gaymard. Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons l’honneur aujourd'hui de recevoir M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste en charge des études de la société EPEX SPOT, bourse de marchés européens de l'électricité.

Basée à Paris, cette société résulte de la fusion de deux bourses de l'énergie préexistantes : Powernext en France et EEX en Allemagne. Depuis le début 2015, la bourse allemande détient 50 % de son capital, par le jeu de participations indirectes, tandis qu’une une holding commune à trois gestionnaires de réseaux de transport – RTE pour la France, Elia pour la Belgique et TenneT pour les Pays Bas – en détient directement 36,7 %. Les marchés d'EPEX SPOT sont la France, l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse, pays qui totalisent plus du tiers de la consommation électrique en Europe.

Nous voudrions d’abord, messieurs, que vous nous expliquiez comment fonctionne cette bourse de l'électricité ? A-t-elle des concurrents en Europe ?

Quels sont les acteurs qui opèrent à l'achat ou à la vente ? Des banques et leurs traders sont-ils présents sur ce marché ?

Cette bourse à vocation transnationale mais basée en France est-elle placée sous le contrôle de l'Autorité des marchés financiers ?

Vos activités constituent certainement un élément de l'intégration des marchés européens de l'électricité : elles contribuent à l'équilibre entre offre et demande. À cet égard, il serait intéressant pour la commission de connaître les volumes négociés et la croissance de votre activité au cours des dernières années. Sur ces points, la communication d'une note ou de graphiques serait très utile à notre information.

La question des prix de gros prend d'autant plus d'importance en France que les nouvelles règles de construction des tarifs de l'électricité obligent la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à désormais prendre partiellement en compte les prix de marché.

Pourquoi constate-t-on une telle différence entre les prix de gros allemands et français, alors que votre bourse intègre précisément ces deux marchés nationaux ?

Enfin, pourquoi d'autres plateformes boursières de l'énergie comme celles des quotas d'émission de C02 ou encore des échanges de certificats d'économie d'énergie ne semblent pas avoir rencontré le même succès que votre activité, certes beaucoup plus massive ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires faisant obligation aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous demande, Messieurs, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(MM. Wolfram Vogel et Philippe Vassilopoulos prêtent serment)

M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX SPOT. Mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier de nous avoir conviés à cette audition.

Pour présenter EPEX SPOT, je commencerai par brosser un rapide historique. La création des bourses d’électricité a répondu aux nouveaux besoins nés de la libéralisation du marché de l’électricité, la séparation des fonctions de production, de transport, de commercialisation nécessitant la mise en place de signaux prix. Ces bourses, non prévues par les paquets énergie-climat de la Commission européenne, sont aujourd’hui au nombre d’une quinzaine en Europe et couvrent soit le marché à terme, soit le marché à court terme, dit marché spot, auquel se consacre EPEX.

Le marché à terme permet aux acteurs de se prémunir contre les risques pris dans le long terme, sur plusieurs années, tandis que le marché spot sert à réduire le risque lié aux volumes de production. Aujourd’hui, le marché européen est caractérisé par un besoin accru d’optimisation de court terme car les producteurs et les fournisseurs doivent équilibrer production et consommation au plus près du temps réel.

La fonction économique essentielle d’EPEX consiste à déterminer un signal prix de référence en organisant la libre confrontation entre offre et demande sur les marchés de gros français, allemand, autrichien et suisse, qui sont largement intégrés. EPEX apparie ordres d’achat et de vente d’électricité dans un mécanisme d’enchères. Chaque jour, à douze heures, un prix est fixé pour la livraison physique de l’électricité dans le périmètre d’équilibre des clients traitant en bourse, qu’il s’agisse des fournisseurs, des producteurs, des banques ou des gestionnaires de réseaux de transport. Précisions que ces derniers jouent un rôle fondamental sur la chaîne de valeur énergétique et peuvent intervenir sur le marché spot pour racheter les pertes intervenues pendant le transport de l’électricité.

L’électricité présente des caractéristiques physiques qui déterminent sa commercialisation. L’offre et la demande doivent être équilibrées à tout moment : l’électricité est un produit difficile à stocker ; la demande est peu flexible tandis que l’offre provenant de sources d’énergie renouvelables devient de plus en plus variable.

La bourse est un acteur neutre dans la mesure où tous les acteurs du marché, quel que soit le moyen de production, peuvent acheter ou vendre pour optimiser leurs portefeuilles. Elle intervient sur une chaîne de valeur énergétique unique : il n’y a pas de réseaux distincts pour le nucléaire ou les énergies renouvelables.

EPEX SPOT opère sur les marchés français, allemand, autrichien et suisse, qui représentent 40 % de la consommation de l’électricité en Europe, ce qui explique que le prix spot soit le prix de référence pour le marché de gros. En 2014, les volumes négociés se sont élevés à 382 Térawattheures : 290 TWh sur le marché germano-autrichien, 71 TWh sur le marché français et 21 TWh sur le marché suisse.

L’un des principaux axes de l’intégration des marchés est le couplage dont le but est d’optimiser les interconnexions. Le gestionnaire de réseau de transport établit à partir des capacités d’interconnexion disponibles aux frontières des calculs qui sont ensuite intégrés dans le carnet d’ordres de la bourse qui met en enchères en parallèle les capacités de transport disponibles et l’électricité. Le prix qui résulte de cette opération détermine non seulement les volumes mais aussi les flux d’électricité, qui transitent d’un pays moins cher vers un pays plus cher.

Le premier couplage est intervenu en 2006, liant le français Powernext et ses homologues néerlandais et belge. Cette zone a ensuite été couplée en novembre 2010 avec l’Allemagne et l’Autriche. Jusqu’à cette période, les prix entre la France et l’Allemagne ne convergeaient quasiment jamais. Depuis, les prix sur le marché de gros allemands et français connaissent une convergence à hauteur de 50 %, autrement dit, au cours d’une année, les prix sont les mêmes pour la moitié des heures. Le reste du temps, l’écart de prix s’explique par une pénurie de capacités de transport aux interconnexions concernées.

Le couplage est jusqu’à aujourd’hui la mise en œuvre la plus concrète du marché intérieur de l’électricité. Il a connu deux étapes majeures en 2014 avec, en février, l’extension aux pays scandinaves, au Royaume-Uni et aux pays baltes et, en mai, à la péninsule ibérique. À la fin du mois de février 2015, si les autorités régulatrices nationales concernées l’autorisent, l’intégration de l’Italie et la Slovénie devrait porter le taux de couplage des frontières à 80 %.

Le couplage s’est avéré une réussite dans la mesure où il a accru l’efficacité du système électrique européen. On peut dire que la France a hautement profité de cette intégration des marchés européens.

EPEX SPOT est supervisée par les quatre régulateurs des marchés nationaux qu’elle couvre : la CRE en France, la Bundesnetzagentur en Allemagne, E-Control en Autriche, et la commission de l’électricité ElCom en Suisse. En 2011, est entrée en vigueur la régulation européenne REMIT – Regulation on wholesale Energy Market Integrity and Transparency – qui vise à assurer la transparence et l’intégrité des marchés de gros de l’énergie en luttant contre les délits d’initiés et les manipulations de marché. Elle valorise fortement le régulateur européen, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), basée en Slovénie. Dans le courant de l’année 2015, une régulation européenne fondée sur les codes de réseau devrait permettre une harmonisation des allocations de capacités et la gestion des congestions. Elle fournira un cadre réglementaire qui précisera les rôles respectifs des gestionnaires de transport et des bourses spot ainsi que l’organisation du couplage.

M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service des études d’EPEX SPOT. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, pour répondre à vos questions sur les écarts de prix, je ferai un bref historique des prix de l’électricité depuis l’ouverture des marchés à la concurrence.

Lors de l’ouverture, en 2000, prévalaient des systèmes fortement surcapacitaires : les prix se situaient autour de 30 euros le mégawattheure, soit à un niveau inférieur à la part énergie du tarif réglementé. Cette situation a fortement évolué depuis. Les prix de gros n’ont fait qu’augmenter du fait de la combinaison de trois facteurs : les tensions pesant sur l’équilibre entre l’offre et la demande, qui se sont fait sentir graduellement à mesure que la demande augmentait et qu’il n’y avait pas d’ajout de nouvelles centrales ; l’évolution des prix des combustibles, en particulier du prix du pétrole, qui a un impact sur les prix du gaz et donc sur une partie des coûts de production de l’électricité ; l’intégration d’un prix du CO2.

Vers 2003, les prix de gros sont passés au-dessus de la part énergie du tarif réglementé, ce qui a entraîné un certain nombre de réformes. Afin d’améliorer leur compétitivité, les gros industriels français ont demandé à ce que soient introduits des mécanismes comme le tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (TARTAM), remplacé en 2010 par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

En 2008, les prix de gros ont atteint un pic, avec environ 80 euros le mégawattheure, alors même que les tarifs transitoires réglementés étaient de l’ordre de 42 euros le mégawattheure.

Depuis, de nombreux changements sont intervenus. Ils sont liés à trois raisons principales.

Premièrement, les prix du gaz ont connu une baisse, qui n’a cependant pas été aussi forte que celle des prix du charbon et du CO2. Les centrales au charbon ont bénéficié de l’apport sur le marché européen de grandes quantités de charbon libérées par l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis. Leur taux d’utilisation a augmenté aux dépens des centrales au gaz devenues moins compétitives, alors même qu’elles étaient flambant neuves, leur volume d’activité diminuant de 3000 à 4000 heures à 1 500 heures par an.

Deuxièmement, la crise a entraîné une baisse de la consommation, qui a eu un impact direct sur les prix de l’électricité.

Troisièmement, il faut souligner l’arrivée d’une part significative d’énergies renouvelables sur le marché, notamment en Allemagne, en Espagne, mais aussi en Italie qui connaît un fort développement de l’énergie solaire. Ces énergies, dont les coûts fixes sont subventionnés, sont offertes à de très bas prix sur le marché de gros, ce qui contribue à faire baisser le prix de l’électricité. L’Allemagne dispose actuellement de 75 gigawatts de capacités intermittentes installées : quand le vent souffle et que le soleil brille, les quantités exportées sont importantes, ce qui participe à la baisse des prix des marchés voisins.

Aujourd’hui, le prix de gros de l’électricité se situe en France aux alentours de 35 à 40 euros le mégawattheure contre 30 euros le mégawattheure en Allemagne. Ce différentiel de prix s’explique par la saturation des interconnexions, qui impose une limite physique aux exportations allemandes.

Ces éléments posés, j’aimerais insister sur le bénéfice du marché de gros. Le prix fixé par la bourse, issu de la confrontation la plus démocratique possible entre l’offre et la demande, permet d’envoyer un signal indiquant à des milliers de centrales à travers l’Europe à quel moment elles peuvent démarrer la production et à quel moment elles peuvent l’arrêter. Ce mécanisme permet de satisfaire la demande à moindre coût en faisant appel aux unités de production les moins onéreuses. Autrement dit, grâce à l’intégration du marché, les acteurs bénéficient des meilleures opportunités.

Le signal prix est aussi utile aux investisseurs : quand les prix montent, les acteurs investissent ; quand les prix baissent, ils cessent de le faire pour éviter les surcapacités. Lorsque les investissements sont décorrélés des prix, peuvent survenir des situations de surcapacités comme celles que nous connaissons aujourd’hui du fait de l’arrivée massive de capacités renouvelables sur le marché européen, particulièrement de l’énergie solaire qui a un impact très important sur les prix.

Le marché de l’électricité était avant tout fondé sur l’offre mais l’un des défis auxquels il sera de plus en plus confronté consistera à faire participer le consommateur à l’équilibrage de l’offre et de la demande à travers les effacements. Les énergies renouvelables rendant l’offre plus aléatoire, du fait de l’intermittence de leur production, il est indispensable d’avoir le système le plus souple possible pour répondre non seulement aux variations de consommation mais aussi aux variations de production.

Enfin, si les quotas d'émission de CO2 et les échanges de certificats d’économie d’énergie ont connu un moindre succès que les bourses d’électricité, c’est qu’il s’agit de marchés beaucoup plus administrés. Si les quotas fixés sont trop ambitieux, les prix montent ; s’ils sont mal calibrés, les prix baissent, comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui va l’encontre de l’objectif environnemental du dispositif. Pour les certificats d’économie d’énergie, les ambitions en matière d’économies d’énergie étaient plutôt faibles dans un premier temps ; elles deviennent de plus en plus contraignantes et ce marché devrait se développer dans les années qui viennent.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie, messieurs, pour vos interventions très utiles et intéressantes.

J’avais une première question relative à l’impact sur la baisse des prix du marché spot de l’arrivée de grandes quantités d’énergies renouvelables et du moindre coût de production des centrales au charbon mais vos interventions ont permis d’y répondre.

Ma deuxième question porte sur les différences de prix entre heures pleines et heures creuses. Pour lequel des deux tarifs la baisse est-elle la plus marquée ?

Troisième question : la baisse des prix se poursuit-elle sur les marchés à terme ?

Quatrièmement, quelles conséquences cette baisse a-t-elle sur les volumes échangés sur les marchés ? Observe-t-on une hausse significative de ces volumes ?

Cinquièmement, la baisse du tarif de l’ARENH est-elle liée à la baisse des prix sur le marché ? Jusque-là, ce tarif constituait une sorte de plancher pour les prix du marché. Comment expliquez-vous que cette indexation implicite semble ne plus fonctionner ?

Enfin, ma sixième question concerne le projet de loi relatif à la transition énergétique qui prévoit que les producteurs d’électricité issue d’énergies renouvelables seront de plus en plus contraints de vendre sur les marchés. Quelles en seront les conséquences ?

M. Philippe Vassilopoulos. Je vous remercie pour ces questions, madame la rapporteure, en parfaite adéquation avec les dernières évolutions du marché de l’électricité.

S’agissant de la baisse des prix sur le marché de gros de l’électricité, je rappelle les trois facteurs principaux : baisse des prix des combustibles fossiles ; baisse de la consommation industrielle et résidentielle liée à la crise ; arrivée massive d’énergies renouvelables, qui ont tendance à déplacer les capacités thermiques, plus onéreuses, hors de la courbe de l’offre.

Ces dernières années, des prix négatifs sont apparus. Trois facteurs ont contribué à leur émergence : une consommation faible, souvent le dimanche ; une forte part de production renouvelable intermittente ; une part significative de centrales peu flexibles, qu’il s’agisse des centrales au charbon ou des centrales nucléaires, sachant que les centrales françaises sont pour une bonne part plus flexibles que ce que beaucoup pensent, du fait d’investissements effectués dans le passé qui leur permettent d’opérer un suivi de charge. Pendant ces périodes de prix négatifs, les producteurs qui ne sont pas capables d’effacer leur production sont obligés de payer pour l’énergie qu’ils produisent.

S’agissant des marchés à terme, ils ont connu le même phénomène de baisse de prix que le marché spot, et pour les mêmes raisons. Une corrélation de 90 % a pu être établie entre la baisse du prix du charbon et la baisse des prix des contrats calendaires, qui portent sur une année entière de fourniture.

Les conséquences sur les volumes échangés sur le marché spot constituent un point particulièrement important. Depuis le 1er janvier, le marché français a connu une augmentation significative : la moyenne quotidienne tourne autour de 340 gigawattheures contre 240 auparavant. La baisse des allocations du guichet ARENH – l’énergie souscrite pour le premier semestre 2015 est moitié moindre que pour le deuxième semestre 2014, selon un document de la CRE – laisse penser que certains acteurs industriels se sont déportés de l’énergie régulée à 42 euros le mégawattheure pour se tourner vers les marchés spot. La baisse des prix sur le marché de gros leur offre en effet des possibilités d’améliorer le coût de leur fourniture d’électricité. Sur l’ensemble de l’année, il est clair qu’il était plus profitable d’acheter l’électricité sur le marché spot qu’au tarif de l’ARENH ou sur le marché à terme. Cependant, si les prix de gros remontent, le mécanisme de l’ARENH pourrait connaître un nouvel élan, sachant que certains acteurs sont en mesure d’arbitrer assez rapidement entre les différents prix.

Quant à la loi relative à la transition énergétique, elle touche du doigt les questions qui vont se poser à l’avenir : l’intégration de l’énergie renouvelable dans une logique plus proche du marché, compte tenu notamment du coût des subventions. Les obligations d’achat peuvent non seulement ne plus refléter les coûts actuels des différentes technologies mais n’offrir aucune incitation à optimiser le système. Un acteur, s’il est rémunéré pour sa production, n’a aucun intérêt à l’arrêter en cas de surproduction. Cela provoque un afflux massif d’énergies renouvelables qui met en jeu la sécurité du réseau. Pour inciter les acteurs à s’effacer en cas de surcapacités ont donc été mis en place des mécanismes de primes qui leur évitent de vendre leur production à des prix trop bas, pour lesquels ils ne recevraient pas de compensation.

M. Jean-Pierre Gorges. J’aurai une première question sur l’émergence des énergies renouvelables, qui suit des rythmes différents en Allemagne et en France où nous avançons à tâtons du fait des hésitations persistantes autour de la place du nucléaire. Pouvez-vous déduire un comportement du marché en fonction de la production de ces énergies de part et d’autres des interconnexions aux frontières ?

Selon vous, quelle sera à terme l’incidence sur le marché de gros du repli du nucléaire, qui assure une stabilité dans la production ? Les risques de surcapacités ne vont-ils pas rendre la régulation trop complexe ?

L’équilibre économique des énergies renouvelables est artificiel. Elles ne connaissent pas la logique du juste prix, compte tenu des aides dont elles bénéficient. La contradiction entre les interventions étatiques visant à imposer une structure de fabrication de l’énergie grâce à des mécanismes de subventions et le fonctionnement d’un marché libre n’est-elle pas de nature à perturber le système ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous notiez que l’arrivée massive des énergies renouvelables induisait un prix moyen souvent bas. Pouvez-vous nous donner des chiffres ?

Par ailleurs, pourriez-vous revenir sur les mécanismes de financement des énergies renouvelables introduits dans la loi relative à la transition énergétique qui s’appuient à la fois sur des mécanismes de primes et sur le marché ? Pensez-vous qu’ils seront de nature à corriger les défauts du dispositif actuel qui n’incite pas suffisamment les producteurs à s’effacer en cas de surproduction ? Quel serait leur rôle dans la stabilisation du marché ?

Mme Jeanine Dubié. En 2012, selon les chiffres publiés par la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne, 43 % des volumes d’électricité consommés dans l’Union européenne ont fait l’objet de transactions sur le marché de gros, dont la moitié en bourse. Ce taux est de 42 % en Allemagne et de seulement 13 % en France. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces différences ? Quel rôle jouent les tarifs réglementés ?

Par ailleurs, quelle est votre position sur le report de la réévaluation du prix de l’ARENH au 1er juillet 2015 ? Dans le contexte de baisse des prix sur les marchés de gros, quelle incidence cela peut-il avoir ? Quels effets aurait une augmentation des volumes d’électricité française vendus en bourse ?

M. Wolfram Vogel. S’agissant de l’afflux de l’électricité issue des énergies renouvelables, monsieur Gorges, je vous donnerai un exemple très concret. En 2010, l’Allemagne a pris un décret dans le cadre de la loi EEG qui a obligé les gestionnaires de transport à vendre en bourse l’électricité renouvelable. Cette forte augmentation des volumes étant intervenue dans un marché très liquide, elle n’a pas conduit à des déformations de prix. Depuis le couplage de novembre 2010, les marchés allemands et français et tous ceux auxquels ils sont connectés fonctionnent comme des vases communicants : toute injection d’énergies renouvelables est absorbée sur le marché européen, si bien que l’on n’observe plus de phénomènes de pics de prix. Cela dit, les prix sont tirés à la baisse puisque les énergies renouvelables sont produites à un coût marginal nul.

L’effet sur les prix est différent selon les sources d’électricité. L’afflux de volumes produits par les centrales nucléaires belges au printemps 2013 a ainsi conduit à une situation de surcapacités qui a eu pour conséquence, en juin 2013, l’apparition, pour la première fois, de prix de base négatifs sur le marché français.

Les marchés étant couplés, toute évolution forte dans un sens ou dans un autre de la production d’un pays donné a un impact sur l’ensemble du marché européen.

M. Philippe Vassilopoulos. Précisons que les variations de prix dépendent aussi de la disponibilité des interconnexions. Lorsque l’Allemagne dépasse un certain seuil de production intermittente d’énergies renouvelables, du fait d’un ensoleillement élevé ou de forts vents, elle va chercher à exporter le plus possible. Toutefois, ce mouvement se heurte à la saturation des capacités physiques d’interconnexion, ce qui a pour conséquence de faire baisser les prix allemands tandis que les prix dans les pays voisins se maintiennent à un niveau supérieur.

Ce phénomène de plus en plus fréquent induit une distorsion des prix. Les producteurs d’énergies renouvelables ayant bénéficié de subventions et d’obligations d’achat, ils n’ont pas eu besoin de prix élevés sur le marché pour financer leurs coûts fixes et leurs investissements, à la différence des centrales thermiques. Ils ont tendance à construire davantage que s’ils s’étaient situés dans le cadre d’un optimum économique. De ce fait, ils entretiennent une surcapacité extrêmement pénalisante pour les autres producteurs. Les acteurs qui ont investi dans des cycles combinés au gaz en ont particulièrement souffert. Moins bien lotis pour affronter la concurrence que les producteurs utilisant des centrales nucléaires ou des centrales au charbon, ils sont près de mettre la clef sur la porte. Cette situation est plutôt préoccupante car leur présence pourrait être nécessaire demain pour équilibrer un système où la pénétration des énergies renouvelables sera beaucoup plus forte.

La France est, à cet égard, extrêmement bien placée car elle a une bonne maîtrise des dispositifs d’effacement, qu’il s’agisse des effacements des jours de pointe (EJP), des heures creuses ou des tarifs à effacement de type Tempo. La participation des consommateurs, j’insiste sur ce point, est une condition sine qua non de la transition énergétique car elle permet de donner de la souplesse au marché et donc d’apporter la flexibilité nécessaire face au caractère intermittent de la production des énergies renouvelables. Le mécanisme de capacités en cours d’implémentation en France valorise les mégawatts installés, disponibles pour produire. Il est à espérer que cette rémunération de la capacité permettra de développer des capacités d’effacement significatives qui nous ramèneront au niveau d’avant l’ouverture à la concurrence voire au-delà. Rappelons qu’aux États-Unis, les mécanismes de capacités ont permis de générer des effacements atteignant 10 % à 15 % de la capacité de pointe.

Pour finir sur les énergies renouvelables, je préciserai que la formation des prix sur un marché de gros se fait par empilement des différentes technologies, par coûts marginaux ou coûts variables croissants : de la centrale qui coûte le moins cher à faire tourner à celle qui coûte le plus cher pour satisfaire la demande. Lorsque des quantités de renouvelables, aux coûts variables très bas, sont intégrées, les centrales les plus chères sont repoussées hors de la courbe d’offre, ce qui a tendance à faire baisser le prix.

J’en viens aux transactions sur le marché de gros. Les chiffres que vous avez cités, madame Dubié, montrent que le marché allemand est trois à quatre fois plus liquide que le marché français alors que les consommations sont similaires. La liquidité des marchés est fondamentale : elle est le gage d’un marché compétitif, plus difficilement manipulable et source d’une référence de prix robuste de nature à donner confiance aux acheteurs, aux vendeurs et aux investisseurs. Si le marché français est moins liquide, c’est à cause de sa structure, beaucoup plus concentrée, mais avant tout à cause du maintien de tarifs réglementés, dont la compétitivité n’incitait pas les acteurs à se déplacer vers le marché de gros. Cette tendance semble toutefois s’inverser avec la baisse des prix de gros, rendus plus attractifs.

Donner au marché de gros les moyens de se développer correctement, c’est permettre que la transition énergétique se déroule dans des conditions optimales. Les signaux que le marché adresse aux producteurs comme aux consommateurs sont très importants pour rendre le système flexible et réactif. Les tarifs horo-saisonnalisés mis en place en France sont une première mesure qui donne un signal aux consommateurs sur le meilleur moment pour consommer, y compris à des prix négatifs, en étant rémunérés. Pour accroître la flexibilité du système, certaines conditions sont toutefois requises. On ne peut pas demander à un petit consommateur résidentiel d’être exposé à des prix variables sans lui donner la possibilité de les analyser. Cela nécessite de développer une nouvelle infrastructure de compteurs intelligents, les smart meters.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie, monsieur Vogel, monsieur Vassilopoulos, pour ces analyses très intéressantes.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 4 février 2015 à 17 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. François Brottes, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert