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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 11 février 2015

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Jean Grellier, Vice-Président puis de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Romieu, président, M. Alain Raoux, secrétaire général de l’Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ), et Maître Nicolas Autet, avocat, et de M. Francis Duseux, président, et Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’Union française des industries pétrolières (UFIP).

M. Jean Grellier, président. Nous recevons aujourd’hui les représentants de l’Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ), dont la délégation est conduite par son président, M. Michel Romieu, et l’Union Française des industries pétrolières (UFIP), dont le nouveau président, ici présent, est M. Francis Duseux.

Le thème de notre Commission d’enquête porte sur les tarifs de l’électricité. Je vous demanderai, Madame, Messieurs, de nous indiquer si certains de vos membres comptent parmi les producteurs ou fournisseurs alternatifs d’électricité, et, plus généralement, en quoi les questions tarifaires intéressent directement vos activités.

On peut penser qu’une éventuelle extension de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) également affectée à d’autres énergies et qui semble de nature à susciter des interrogations parmi vous. De même, la mise en place progressive du chèque énergie est un sujet qui a sans doute déjà retenu votre attention, d’autant plus que ce nouveau régime d’aide pourrait, dans un premier temps, exister à côté des tarifications de première nécessité actuellement applicables à l’électricité comme d’ailleurs au gaz naturel. En tout état de cause, la prise en compte du fioul domestique par le chèque énergie constituerait une extension non négligeable du dispositif, cette énergie étant utilisée par de nombreux foyers pour leur chauffage.

Dans le cadre de cette Commission d’enquête, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Michel Romieu, Alain Raoux, Nicolas Autet, Francis Duseux
et Mme Isabelle Muller prêtent serment.)

M. Michel Romieu, président de l’Union professionnelle des industries privées du gaz. L’UPRIGAZ vous remercie de nous auditionner aujourd’hui. Notre exposé liminaire sera présenté par M. Alain Raoux, le secrétaire général de notre organisation.

M. Alain Raoux, secrétaire général de l’Union professionnelle des industries privées du gaz. La CSPE a été conçue comme un instrument de taxation et d’allocation des ressources propre au secteur électrique. Si la charge qu’elle représente va fortement augmenter dans un proche avenir, il ressort de l’analyse de la Commission de régulation de l’électricité (CRE), que celle-ci a d’ailleurs exposée devant votre Commission d’enquête, que cette hausse, y compris celle consécutive au rattrapage des compensations dues à EDF, est tout à fait supportable dans le cadre juridique actuel.

En dépit de la position claire de la CRE, des voix s’élèvent depuis plusieurs mois pour demander à la représentation nationale d’élargir cette CSPE aux consommateurs de fioul et de gaz naturel. Une telle extension nous semblerait à la fois inefficace, injuste, inutile et juridiquement contestable.

L’UPRIGAZ représente les principales entreprises du secteur, GDF Suez, Total, Eni, Gas Natural Fenosa, Statoil, mais aussi de gros consommateurs tels que Dalkia ou Elio. Le gaz constitue 15 % de la consommation d’énergie primaire en France, 30 % de la consommation finale d’énergie de l’industrie, 25 % de celle du secteur tertiaire, et 35 % de celle du secteur résidentiel.

Dans ce dernier secteur, le gaz occupe en France une place moins importante que dans la plupart des pays européens, principalement en raison de la concurrence du chauffage électrique. Notre pays compte 11,8 millions de consommateurs se chauffant au gaz, dont un grand nombre en situation précaire : la CRE estime que 1,2 million de personnes bénéficieront en 2015 du tarif spécial de solidarité, soit un doublement de ce nombre en deux ans. Il ne faut pas non plus perdre de vue que 64 % du chauffage collectif dans le logement social est dû au gaz. Aujourd’hui, tous les consommateurs se félicitent de la baisse des cours mondiaux du pétrole et du gaz, qui a un impact positif sur leur facture et donc leur pouvoir d’achat, et ils ne souhaitent pas que cette baisse soit annulée par d’autres charges.

Le gaz, ensuite, est important pour l’économie nationale. Vous connaissez nos investissements : trois terminaux méthaniers en France – bientôt quatre –, plus de 8 000 kilomètres d’autoroutes gazières, 29 000 kilomètres de réseaux secondaires, des capacités de stockage importantes qui concourent à la continuité de fourniture ainsi qu’à la sécurité d’approvisionnement du pays.

Enfin, le gaz participe à la vie des territoires. Plus de 9 200 communes françaises sont aujourd’hui desservies en gaz naturel. Cela représente certes un nombre relativement limité de communes, mais qui couvre 77 % de la population et la quasi-totalité des communes de plus de 10 000 habitants. Le réseau de distribution français est le deuxième réseau européen.

M. Lucien Duseux, président de l’Union Française des industries pétrolières. L’UFIP est le syndicat professionnel de l’industrie pétrolière. Réunissant quelque quarante entreprises, nous représentons les différents segments de l’activité : exploration, production, raffinage, logistique, distribution.

Le pétrole est avant tout une énergie hors réseau qui est surtout utilisée dans les endroits les plus isolés. Il faut rappeler que les trois quarts des communes françaises n’ont pas accès au gaz de réseau. Le pétrole, en France, qui représente 42 % de la consommation finale d’énergie, ce sont huit raffineries, 12 000 stations-services, 190 dépôts, 6 000 kilomètres d’oléoducs, sept grands ports maritimes, 1 800 négociants en fioul domestique, 50 000 emplois directs et indirects liés au raffinage, près de 200 000 emplois directs et indirects pour le secteur pétrolier dans son ensemble, sans compter la pétrochimie.

La totalité des taxes sur les produits pétroliers représente pour l’État français 32 milliards d’euros par an. Le fioul domestique est la troisième énergie de chauffage dans notre pays. Elle est utilisée par quatre millions de ménages, soit 10 millions de Français, dont environ 1,7 million en situation de vulnérabilité énergétique, sur les 5,9 millions identifiés par l’INSEE. Ces ménages vivent le plus souvent en maison individuelle en milieu rural.

Les taxes applicables au fioul domestique représentent environ 28 % du prix facturé, soit près de 20 centimes par litre, sur un prix de près de 70 centimes par litre. C’est une contribution pour l’État de 1,5 milliard d’euros par an, pour une consommation de 8 millions de mètres cubes.

M. Alain Raoux. Les projets d’extension de la CSPE au gaz naturel et aux produits pétroliers reposent sur un malentendu selon lequel ces deux sources d’énergie bénéficieraient d’une fiscalité plus favorable, un malentendu qu’il convient de dissiper.

Le gaz naturel supporte de nombreuses taxes et contributions spécifiques. Il y a tout d’abord la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), dont le taux est passé de 1,32 euro à 1,41 euro par mégawattheures au 1er avril 2014, et qui passera à 2,93 euros en 2015, pour culminer à 4,45 euros en 2016, soit une majoration de près de 400 % en trois ans. Cette taxe devrait permettre à l’État de collecter 2,5 milliards d’euros en 2015, 4 milliards en 2016.

À cela s’ajoute une contribution au tarif spécial de solidarité. Cette contribution, imputable aux fournisseurs de gaz naturel au prorata des quantités vendues aux consommateurs finals, était de 0,20 euro par mégawattheures en 2014, et la CRE estime que le total des charges prévisionnelles liées au tarif spécial de solidarité, très faible en 2013
– 50 millions d’euros –, atteindra 117 millions en 2015.

La troisième taxe est la contribution tarifaire d’acheminement, qui permet de financer l’assurance vieillesse des salariés du régime spécial des industries électriques et gazières. Cela représente environ 25 euros par an sur la facture d’un consommateur moyen.

Enfin, une contribution a été instituée dans le cadre du dispositif de soutien à l’injection de biogaz dans les réseaux de gaz naturel. Elle représentera 7,6 millions d’euros en 2015, mais elle est sans doute appelée à croître fortement dans les années à venir du fait de la multiplication des projets.

Le fioul et le gaz participent en outre aux politiques publiques. Ils contribuent tout d’abord à la sécurité d’approvisionnement énergétique par le biais d’obligations de stockage, lesquelles ont été renforcées en 2014 pour le gaz. Ces obligations représentent un coût global, supporté par le consommateur, de l’ordre de 1 milliard d’euros par an, le stockage couvrant un quart de la consommation annuelle du pays.

Le gaz participe aussi à la transition énergétique par toute une série d’actions conduites par les gaziers. L’électricité n’a pas le monopole de la transition énergétique vertueuse. Le gaz, comme le souligne la Cour des comptes, est une des énergies les plus performantes et les moins émettrices de gaz à effet de serre. C’est aussi une énergie à bas coût, largement disponible sur la planète, ce qui en fait un élément important pour assurer la sécurité d’approvisionnement.

Un deuxième exemple de la participation du gaz à la transition énergétique est la meilleure maîtrise de la demande, avec l’installation, avant 2022, de plus de dix millions de compteurs communicants en France.

De même, le gaz vient à l’appui des énergies renouvelables, l’éolien, et le photovoltaïque, qui sont des énergies par nature intermittentes. Elles ne peuvent fonctionner que si elles sont complétées par des installations de production décentralisées : ce sont les installations au gaz qui sont à cet égard les plus performantes, ce que la Cour des comptes souligne dans le rapport public annuel qu’elle a publié ce matin même, indiquant que les filières thermiques, essentiellement le gaz et le charbon, sont nécessaires pour passer les pointes de consommation. Le charbon, tout le monde en convient, n’est pas la meilleure énergie pour le climat.

Les gaziers, par ailleurs, mettent en œuvre d’importants programmes de recherche et développement afin de pouvoir injecter dans les réseaux de gaz de l’hydrogène produit à partir de l’électricité éolienne et photovoltaïque lorsque celle-ci est temporairement excédentaire.

Enfin, l’industrie gazière se fait le moteur du développement des énergies renouvelables en rendant possible l’accès de ses réseaux au biogaz et au biométhane, deux filières particulièrement prometteuses en France puisqu’elles devraient permettre de produire entre 100 et 160 térawattheures en 2050, c’est-à-dire de couvrir de 20 à 32 % des consommations. Ce sont là des perspectives validées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ainsi que d’autres organisations professionnelles, comme l’Association technique énergie environnement (ATEE), ou encore le plan stratégique des énergies renouvelables de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

La filière participe activement à la lutte contre la précarité énergétique en finançant le tarif social de solidarité. L’effort des consommateurs de gaz naturel vis-à-vis du climat, par le biais du financement de la production des énergies renouvelables associées au gaz naturel, sera du même ordre de grandeur que celui consenti par les consommateurs d’électricité par le biais de la CSPE.

Si le périmètre de la CSPE devait être étendu au gaz et au fioul domestique, cela entraînerait des déséquilibres préjudiciables à la fois à la réalisation de la transition énergétique, à l’économie de sa mise en œuvre, et à la justice sociale.

M. Francis Duseux. Les 20 centimes de taxation par litre que j’ai évoqués se décomposent de la façon suivante : l’application de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), comme sur les autres produits pétroliers, une redevance sur les stocks stratégiques, et, depuis le 1er janvier 2015, une taxe carbone de deux centimes, qui passera à quatre centimes en 2016. Si l’on ajoute la TVA, le total est de 28 %. C’est une contribution fiscale non négligeable.

M. Alain Raoux. Élargir la CSPE entraînerait un certain nombre de déséquilibres. Tout d’abord, cela enverrait un signal favorable au chauffage électrique qui sollicite des moyens de production fortement émetteurs de CO2, sans parler des tensions que ce mode de chauffage fait peser sur la sécurité électrique en période de pointe.

Cela reviendrait, ensuite, à opérer un transfert de charges vers des consommateurs souvent proches du seuil de précarité, voire précaires. Ces consommateurs verraient leur facture augmenter d’environ 10 %, ce qui, pour un consommateur de gaz, représenterait à peu près 111 euros par an, et cette augmentation serait loin d’être compensée par une baisse de leur facture d’électricité.

Élargir la CSPE aurait en outre pour effet de renchérir le prix du gaz pour le consommateur final, à tel point qu’il deviendrait impossible à celui-ci de supporter les surcoûts liés au développement des filières du biogaz et du biométhane, alors même que le coût rapporté à la tonne de CO2 évitée est beaucoup plus compétitif que dans le cas de l’éolien ou du photovoltaïque.

Cela conduirait par ailleurs à intégrer les actions de transition énergétique ou de solidarité que les filières du fioul et du gaz assument actuellement dans une sorte de « CSPE énergie ». Un tel dispositif serait antiéconomique dans la mesure où il ferait supporter aux consommateurs les coûts d’une énergie qu’ils ne consomment pas forcément. La rationalité économique impose, selon nous, que chaque énergie identifie précisément les coûts qu’elle supporte et les assume totalement.

Élargir la CSPE ne manquerait pas non plus d’être perçu comme un dispositif favorisant les subventions croisées, prohibées par le droit européen de la concurrence.

En conclusion, la CSPE est un dispositif pertinent dans sa forme et son périmètre actuels, cantonnée au secteur électrique. En revanche, un changement d’assiette ne saurait être une solution appropriée, son élargissement au fioul et au gaz étant non seulement antiéconomique mais aussi, et surtout, antisocial et anti-environnemental.

Si des éléments de réforme devaient être envisagés par votre Commission, il conviendrait selon nous qu’ils soient limités. Comme le rappelle la CRE, si des dérives sont identifiées, elles résultent du fait, je cite, que « …la compensation de certains frais déclarés n’est pas prévue par les textes réglementaires » et que « … certains frais ne relèvent pas d’une gestion efficiente et au meilleur coût ». S’il vous paraît nécessaire de stabiliser le montant de la CSPE, cela doit conduire à chercher à maîtriser le coût de développement des énergies renouvelables. La Cour des comptes indique que la situation actuelle engendre un écart croissant entre le coût réel du système payé par le consommateur et le prix de marché.

Cette maîtrise des coûts doit reposer sur des outils qui permettront de rendre le dispositif existant plus efficace, dans le respect des lignes directrices européennes. Un certain nombre de pistes sont d’ores et déjà envisagées dans le cadre de la loi de transition énergétique : la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui permettra d’éclairer le coût des différentes technologies de production d’énergie renouvelable et d’ajuster les trajectoires en cas de dérive des coûts, la mise en place d’un comité de gestion de la CSPE et la prochaine évolution des mécanismes de soutien qui seront mis en œuvre par le Gouvernement. L’obligation d’achat de l’électricité produite par les énergies renouvelables mais aussi la compensation intégrale du surcoût paraissent également susceptibles de faire l’objet d’une réflexion.

Enfin, une réforme devrait s’appliquer au seul secteur électrique et conduire à une solution sûre et simple au plan juridique. Une réforme de la CSPE doit prendre en compte le droit européen. La CSPE est une aide d’État. Elle a été déclarée partiellement compatible avec le droit communautaire, le 27 mars dernier, pour une durée de dix ans. L’élargir au fioul et au gaz nécessiterait une nouvelle notification à la Commission européenne, une modification ne pouvant entrer en application qu’après avoir reçu l’aval des autorités communautaires. Un élargissement de son assiette renforcerait le caractère d’aide d’État de la CSPE en constituant une modification substantielle du régime existant. On peut penser que la Commission européenne ne manquerait pas alors, sous la pression éventuelle des acteurs, d’examiner à nouveau l’ensemble du mécanisme, avec le risque d’une remise en cause des dépenses autres que celles induites par les énergies renouvelables.

De même, pour être conforme à la Constitution, une réforme de la CSPE devra reposer sur des critères objectifs et rationnels. La différence de situation entre, d’une part, l’électricité et, d’autre part, le gaz et le pétrole, est objective ; une différence de traitement est donc parfaitement justifiée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la taxe carbone pourrait le conduire à valider la non-soumission du secteur du gaz et du pétrole à la CSPE, et cette soumission pourrait être considérée non conforme à la Constitution.

Présidence de M. Hervé Gaymard, président de la Commission d’enquête

Mme Clotilde Valter, rapporteure de la Commission d’enquête. Votre conclusion est claire : il ne faut pas étendre la CSPE. Nous avons bien reçu le message. Notre rapport n’a d’ailleurs pas pour objet de se prononcer sur une extension de la CSPE ! Le champ est bien sûr ouvert et toutes les questions doivent être posées, car nous souhaitons conduire la réflexion la plus large possible.

Il existe actuellement des règles d’élaboration des tarifs de l’électricité en fonction des coûts. Pouvez-vous nous expliquer comment sont calculés vos tarifs, et comment ces modalités de calcul se distinguent de celles des tarifs de l’électricité, en précisant pourquoi le gaz et le pétrole impliquent un raisonnement différent ?

M. Francis Duseux. La situation du fioul domestique n’est pas comparable à celle de l’électricité ou des autres sources d’énergie parce que les clients sont captifs, dans des zones sans alimentation en gaz, des zones rurales connaissant d’ailleurs une grande précarité.

Le fioul domestique a une cotation journalière sur le marché international. Nous ajoutons à cette cotation une marge de distribution ainsi que les quatre taxes dont j’ai parlé. Par rapport à l’essence ou au gazole, où il s’élève à 70 %, il faut bien reconnaître que le taux de taxation est plutôt faible sur le fioul, mais c’est pour des raisons de précarité et de besoins. Quand ils en ont l’opportunité, les gens qui se chauffent au fioul domestique passent au gaz, cependant 4 millions de personnes ne le peuvent pas. Je ne suis donc pas en train de vous dire que le fioul domestique est un produit d’avenir, mais il ne faut pas assassiner les gens qui sont obligés d’utiliser cette énergie.

Mme la rapporteure. Ce champ est très spécifique. Vous n’avez pas d’investissements ni de réseaux, si ce n’est un réseau de distribution.

M. Francis Deseux. Pour fabriquer du fioul domestique, il faut tout de même raffiner du pétrole. Il s’agit certes d’un produit particulier, s’inscrivant dans un schéma de raffinage. Le marché est en régression, les volumes baissent, nous en avons bien conscience, mais la question est de savoir ce que l’on fait de ces consommateurs qui ont encore besoin de fioul domestique pour se chauffer.

Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’Union Française des industries pétrolières. Dans la filière du fioul domestique, il existe 1 800 entreprises de distribution. C’est une filière complète avec beaucoup d’emplois associés à la production et à la distribution de ce produit.

M. Michel Romieu. S’agissant du gaz, la problématique tarifaire est très différente de celle de l’électricité. Dans le cadre du droit communautaire de la concurrence, les tarifs seront définitivement supprimés, d’ici à la fin de l’année 2015, pour l’ensemble du secteur industriel et tertiaire ; il ne restera plus, pour l’application de tarifs régulés, que les petits consommateurs résidentiels.

Ensuite, 100 % du gaz est importé, dans le cadre d’un grand marché européen avec des cotations, transparentes et publiées, et des contrats à long terme, encore indexés en partie sur les produits pétroliers. Il n’existe pas de marge de manœuvre : le prix pour le consommateur est la somme d’un prix de gaz importé, de tarifs de transport, de stockage et de distribution régulés, fixés par la Commission de régulation et non négociables, et d’une petite marge. Nous n’avons pas la souplesse dont dispose EDF pour jouer sur la durée d’amortissement des investissements.

En ce qui concerne les consommateurs résidentiels, nos tarifs sont déterminés par la CRE tous les mois, selon une formule qui tient compte de son audit des comptes du principal importateur, GDF Suez.

Mme la rapporteure. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos investissements ?

M. Michel Romieu. Le produit étant totalement importé, nous n’avons aucun contrôle sur les coûts de production : nous sommes assujettis au marché mondial du gaz naturel. La chaîne logistique, ensuite, à savoir le transport, assuré par GRTgaz et TIGF, est régulée selon des tarifs contrôlés et révisés tous les ans par la Commission de régulation. Il en va de même pour la distribution. La concurrence ne peut s’exercer, au niveau du consommateur, que sur de petits éléments, les marges. Les nouveaux entrants, dont les structures de coûts sont moins importantes que celles des opérateurs historiques, arrivent à capter des parts de marché ; ils présentent par ailleurs des offres différenciées selon les catégories de consommateurs. La concurrence s’exerce ainsi par la créativité et l’inventivité, mais nous n’avons pas du tout la même marge de manœuvre que les producteurs d’électricité pour moduler des hausses ou des baisses, ou amortir plus ou moins vite les réseaux. Tout cela est complètement régulé.

M. le président Hervé Gaymard. Vous avez expliqué qu’une partie seulement des communes de France étaient desservies en gaz. Pensez-vous que le réseau de distribution du gaz est aujourd’hui optimal ou bien qu’il faudrait ou encore qu’il serait possible le développer ?

M. Alain Raoux. Les formules qui président au développement de ce réseau tiennent compte de la rentabilité. Nous pourrions étendre le gaz à toutes les communes et à toutes les habitations du territoire, mais ce serait à un coût exorbitant sans rapport avec le bénéfice susceptible d’en être retiré. La politique gazière a toujours été très attentive à ne développer des investissements que s’ils sont économiquement justifiés, et cela était déjà vrai bien avant l’avènement du marché intérieur du gaz naturel. Toutes les communes n’ont pas vocation à être couvertes par le gaz.

M. Michel Romieu. Je complèterai cette réponse à laquelle je souscris pleinement. Le développement de ce réseau a été jusqu’à présent gouverné par la demande. Nous produisons un rapport B/I, bénéfice sur investissement, fondé sur la consommation locale. Avec l’avènement du biogaz, nous pouvons avoir une vision différente, fondée sur un développement-réseau gouverné par l’offre. Dans une zone rurale possédant une source de biogaz importante, comme en Bretagne avec le lisier de porc, il peut être décidé d’étendre le réseau. C’est un des axes de développement privilégiés par GRDF, et ce en étroite symbiose avec les collectivités territoriales, car le biogaz est véritablement une problématique territoriale et locale.

M. Jean Grellier. Il existe à l’Assemblée un groupe d’étude sur le développement de la méthanisation. Des réflexions sont actuellement conduites sur les techniques dans ce domaine, pour la cogénération dans la production d’électricité ou l’injection dans le réseau gazier. La rentabilité des installations de méthanisation dépend fortement du prix de rachat de l’électricité ou du gaz. Pensez-vous que l’injection de gaz puisse avoir un intérêt économique par rapport au prix du gaz sur le marché ?

M. Michel Romieu. Le biogaz est une industrie encore balbutiante, les coûts encore élevés ; nous ne bénéficions pas de ce que les Britanniques appellent la learning curve, et les effets d’échelle sont peu significatifs. De même, ce produit est encore loin d’être compétitif par rapport au gaz importé, et l’écart est d’autant plus grand entre le tarif d’achat et le prix de marché que les prix du pétrole sont bas. Nous savons que nous allons traverser une période un peu difficile pour le biogaz, mais il faut rester optimiste, notamment parce qu’il s’agit d’un produit fabriqué en France avec du matériel français, alors que les panneaux solaires viennent très souvent de Chine. En outre, ce biogaz se substituera à du gaz importé et allègera notre balance commerciale. Et, entre le coût de la tonne de CO2 évitée grâce au biogaz par rapport au coût de la tonne de CO2 évitée grâce à des panneaux solaires, il n’y a pas photo ! L’UPRIGAZ travaille sur les problèmes de qualité du gaz, afin de pouvoir accueillir ce gaz qui n’est pas toujours aux mêmes normes que le gaz commercial, et sur les moyens de lui faire remonter les réseaux, alors que le gaz importé les descend. Le comité biogaz de l’ATEE est également très actif, et nous travaillons avec lui.

Mme la rapporteure. La logique de la fiscalité n’est pas pour vos filières la même que celle qui préside à l’électricité.

M. Alain Raoux. C’est vrai mais ce n’est pas illogique dans la mesure où le gaz a ses spécificités. Il est normal que la fiscalité soit différente selon les fonctions que remplit chaque énergie.

Mme la rapporteure. La prise en charge de la précarité énergétique se retrouve pourtant à la fois dans les tarifs de l’électricité et du gaz.

M. Alain Raoux. La contribution au tarif spécial de solidarité finance l’intégralité de ce tarif. Son montant doit être adapté en fonction du nombre de personnes qui relève d’un tel régime, et je pense, malheureusement, que cette contribution a vocation à augmenter plutôt qu’à diminuer.

Mme Isabelle Muller. Il n’existe pas de dispositif national en ce qui concerne le fioul domestique. L’UFIP a accueilli favorablement le projet du chèque énergie inscrit dans le projet de loi sur la transition énergétique. À notre sens, ce chèque doit être alimenté dans le cadre d’un dispositif simple et transparent, sur la base d’un fonds dédié, éventuellement par un prélèvement sur des recettes fiscales existantes.

Nos entreprises sont très engagées auprès des bailleurs sociaux du secteur du bâtiment pour limiter les factures des particuliers. Dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), une convention vient par exemple d’être signée avec l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) par un des principaux membres de l’UFIP, pour les trois prochaines années ; il s’agit de participer à un programme intitulé « Habiter mieux » dans le but d’améliorer l’habitat précaire et de réduire les factures de chauffage des particuliers.

La fiscalité est différente sur des objets différents. Chaque énergie a ses propres charges, correspondant à ses spécificités. Le secteur pétrolier est considéré comme un secteur central de l’économie nationale et nous avons à ce titre des obligations de sécurité d’approvisionnement. Nous contribuons au stockage stratégique, qui représente un coût significatif sur l’ensemble de nos produits. Nous allons également être invités à contribuer plus largement au soutien du pavillon national, pour assurer que des navires au pavillon français puissent, si nécessaire, assurer l’approvisionnement de la France en cas de crise. Nous considérons que ce dispositif n’est pas nécessaire, mais il est voulu par la puissance publique et il accroîtra le coût de nos produits. Enfin, nous contribuons très largement à l’efficacité énergétique par la recherche sur les produits et les installations énergétiques qui nous concernent, chaudières et moteurs.

Maître Nicolas Autet, avocat. Je crois bon de rappeler que la CSPE a deux grands objectifs : elle finance les tarifs sociaux ainsi que le développement des énergies renouvelables ou alternatives. Dans le cas du gaz, ces éléments sont intégrés dans les différents tarifs ou taxes. Le gaz est lui-même une forme d’énergie alternative, et les opérateurs gaziers travaillent à développer des produits complémentaires, tels que le biogaz. Il n’y a pas besoin d’un financement spécifique dans la mesure où ce travail est déjà conduit par les opérateurs. Enfin, en ce qui concerne les tarifs sociaux, il existe déjà une contribution spécifique. La logique de ces éléments de fiscalité est différente de celle de la CSPE, mais la finalité est la même.

M. Jean-Pierre Gorges. Ne pensez-vous pas que, dans un pays qui cherche à conduire une transition énergétique, avec des sources d’énergie diverses et variées, tous ceux qui produisent de l’énergie auraient intérêt à se connecter sur une sorte de « boîte » assurant une péréquation ? Le gaz va très bien aujourd’hui, mais vous ferez peut-être face à des difficultés demain, à cause de la concurrence de l’éolien ou du photovoltaïque – même si cela me semble peu vraisemblable – ou de celle d’un nucléaire de nouvelle génération, et c’est peut-être vous qui aurez alors besoin de la CSPE, comme les énergies renouvelables en ont besoin aujourd’hui. Vous ne pourrez pas vivre longtemps en dehors d’un système global. Je vous sens pourtant très corporatistes.

Dans ce que je peux appeler le fatras de la transition énergétique, personne n’a encore statué. La ministre, qui suit un programme de désinstallation du nucléaire, parle aujourd’hui de réinstaller le nucléaire. Un système de péréquation est astucieux parce que, le politique avançant à la godille, cela facilitera les réorientations de flux de fiscalité.

M. Francis Duseux. Quand on parle d’énergie, on se projette toujours à l’horizon 2030-2050 : c’est l’horizon de la transition énergétique. Il se trouve que le débat, en France, s’est concentré sur la production d’électricité, qui pèse 22 %, alors que le pétrole satisfait 42 % des besoins en énergie des Français, et le gaz autour de 25 %. Du fait de ces chiffres, nous ne sommes pas inquiets. Nous nous concentrons sur nos métiers en tâchant d’assurer la pérennité de nos usines en France, qui est tout de même un peu menacée parce que nous sommes surtaxés et que l’on n’a pas pris conscience de leur rôle. Cependant, nous n’avons pas besoin de caisse de soutien car le pétrole pèsera encore 33 % à l’horizon 2030-2050 et que la part du gaz va augmenter ; les énergies fossiles, pétrole et gaz, resteront ainsi incontournables, pesant plus de 60 %. Malheureusement, nous n’avons pas été invités à la discussion sur la transition énergétique, et les conditions nécessaires pour assurer la pérennité de ce secteur ne sont pas mises en place.

M. Jean-Pierre Gorges. La loi sur la transition énergétique a été présentée avant la création d’une commission d’enquête sur le nucléaire et avant la création de la présente commission, et certains changent d’idées après avoir présenté un texte. Je suis d’accord avec vous mais je me fais l’avocat du diable.

M. Francis Duseux. Vous avez demandé si nous ne serions pas favorables à la création d’une garantie future, en indiquant que nous aurions peut-être besoin d’aides financières de l’État. Nous ne voulons pas de subventions, nous souhaitons seulement assurer la pérennité de nos usines, car nous sommes un secteur incontournable.

M. Michel Romieu. J’abonderai dans ce sens. Nous sommes sur un marché mondial et nous nous battons pour négocier le mieux possible et assurer la sécurité de l’approvisionnement ainsi que nos obligations de stockage. Jusqu’à présent, toutes les politiques ont consisté à dire que les renouvelables c’est l’électricité. On ne s’est jamais demandé si les énergies fossiles ne possédaient pas une capacité contributive en la matière ; on commence seulement à prendre conscience de cette capacité. Si nous voulons développer le biogaz et le biométhane – en France, pays agricole, cette ressource peut couvrir 32 % de la consommation –, on ne peut pas à la fois ajouter 111 euros à la facture de gaz de la veuve de Carpentras et demander à cette dernière de financer en outre la compensation pour le biogaz qu’il va falloir mettre en place. Le développement de la filière du biogaz, franco-française, demande des investissements, qui devront être mutualisés sur les consommateurs de gaz. Ce n’est pas le moment de tuer cette perspective ; essayons au contraire de la soutenir.

Le fil conducteur des discussions sur la transition énergétique n’a pas été le merit order du coût de la tonne de CO2 évitée ; on a fixé des pourcentages d’éolien, de photovoltaïque, ce qui a été un non-sens économique. Nous avons un plan de développement : compteurs communicants pour la maîtrise de l’énergie, synergie avec le réseau d’électricité aux interfaces avec l’éolien pour injecter de l’hydrogène dans les réseaux, biogaz… Nous voulons pouvoir le financer et le mener à bien, et nous avons très peur qu’une « CSPE énergie » nous fasse courir avec des chaussures en plomb, dans un contexte de concurrence internationale.

M. Alain Raoux. L’exemple de l’Allemagne est à cet égard intéressant. Il y a eu, en quelque sorte, « open bar » pour les renouvelables, qui se sont considérablement développées, dans le nord de l’Allemagne. Or, la consommation étant largement dans le sud, cela a déséquilibré le réseau électrique allemand, qui connaît aujourd’hui des problèmes. Par ailleurs, les Allemands ont fermé leurs centrales à gaz et développé des centrales à charbon, car le charbon est plus compétitif. Je ne suis pas certain que ce choix, pas plus dans la perspective du climat que pour le consommateur, ait été le plus pertinent.

La rationalité économique sera bien mieux respectée si chacun s’occupe de sa propre filière que si nous mélangeons l’ensemble des problématiques dans une « boîte » qui risquerait d’être assez opaque.

M. le président Hervé Gaymard. Madame, Messieurs, nous vous remercions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 11 février 2015 à 17 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, Mme Viviane Le Dissez, Mme Béatrice Santais, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Marc Goua, M. Alain Leboeuf, Mme Annick Le Loch, M. Stéphane Travert