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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 18 février 2015

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président, puis de M. Alain Leboeuf, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF

M. le président Hervé Gaymard. Nous accueillons ce soir monsieur Jean-Bernard Lévy, qui est le président-directeur général (PDG) d’Électricité de France (EDF) depuis la fin du mois de novembre 2014. Le thème de notre commission relative aux tarifs de l'électricité nous a amenés à réfléchir à l'architecture du système électrique français qu’EDF dirige avec ses deux filiales à 100 %, Électricité Réseau Distribution France (ERDF) et Réseau de transport d'électricité (RTE). Avec l'ouverture des marchés, cette organisation se trouve confrontée à des objectifs d'intégration européenne et, comme nous l'avons vu, au rôle croissant des marchés de gros, de même qu'à l'afflux de certaines productions par les interconnexions.

La disparition progressive des tarifs réglementés à destination de la clientèle professionnelle pose des défis de compétitivité à EDF. Vous nous indiquerez, si vous le voulez bien monsieur le président, comment EDF s'est préparée à ces échéances, et notamment à la fin des tarifs verts et jaunes au terme de l'année 2015.

Comment votre entreprise maîtrisera-t-elle ses coûts commerciaux face à la concurrence de nouveaux acteurs dont on peut penser qu'ils feront du forcing auprès de certains segments de la clientèle ? Le contexte général s’avère d'ailleurs incertain, puisque l'on constate une baisse des prix de gros sur les marchés, mouvement dont on ne connaît ni la profondeur, ni la durée.

Dans un récent entretien au quotidien Le Monde, vous avez plaidé, monsieur le président, pour une augmentation raisonnable mais néanmoins sensible des tarifs qui porterait, par paliers, celui de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) de 42 à 50 euros le mégawattheure (MWh). Vous indiquez en effet dans ce même entretien qu’au tarif actuel, EDF vend son courant en dessous de son prix de revient !

En fait, la question tarifaire soulève de nombreuses interrogations et certaines contradictions. Comment préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises pour lesquelles l'électricité est un facteur de production important, parfois même déterminant ?

Quelle rentabilité est-elle nécessaire pour qu’EDF, mais aussi ERDF et RTE, puissent faire face à leurs investissements que d’aucuns comparent à un mur ? Par ailleurs, les objectifs de la transition énergétique, la programmation des économies d'énergie et la nouvelle méthode de détermination des tarifs reposant sur un empilement de coûts de nature économique et non plus comptable représentent autant de facteurs que vous devez prendre en compte.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur Lévy, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Bernard Lévy prête serment).

M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF. Le diagnostic ayant conduit à la création de cette commission d’enquête se fonde sur « un manque de transparence et de visibilité sur les tarifs réglementés ainsi que sur l’instabilité juridique s’agissant de leur détermination ». Les coûts de production, d’acheminement et de commercialisation d’EDF sont transparents et connus des pouvoirs publics et du régulateur ; notre budget et notre plan à moyen terme sont présentés en conseil d’administration auquel assistent l’État en tant qu’actionnaire et le commissaire du Gouvernement représentant le ministère de tutelle. Notre régulateur sectoriel, la commission de régulation de l’énergie (CRE), procède tous les ans à une analyse détaillée de nos coûts ; la commission établit ses propres prévisions d’évolution des coûts dans les années à venir et publie ses études dans un rapport annuel consacré à nos tarifs. La CRE réalise également des audits périodiques et la Cour des comptes examine régulièrement les comptes et les coûts d’EDF, comme ceux de notre parc nucléaire l’année dernière. La transparence constitue donc un sujet moins actuel que celui de l’insécurité juridique.

En effet, de nombreux arrêtés tarifaires ont été annulés en raison de leur irrespect du principe légal de couverture des coûts. EDF souhaite que l’insécurité juridique cesse, les annulations d’arrêtés étant dommageables pour l’image de l’entreprise et mettant en péril la relation entretenue avec les clients ; elles s’accompagnent souvent de factures rétroactives qui ont un coût pour la collectivité et qui engendrent des difficultés commerciales et des impayés. Nous espérons que les principes de construction tarifaire énoncés dans la loi seront respectés à l’avenir, car l’instabilité juridique et la non-couverture des coûts se nourrissent l’une et l’autre.

Les tarifs entrés en vigueur le 1er novembre dernier n’ont pas pris en compte le déficit tarifaire constaté par la CRE pour les années 2012 et 2013 et font donc l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, qui avait pourtant rappelé la nécessité de compenser ces déficits. Entre le 1er janvier et le 31 octobre 2014, les coûts n’ont, une nouvelle fois pas été couverts, si bien qu’un nouveau déficit tarifaire sera probablement constaté pour l’ensemble de l’année dernière. Tout cela générera à nouveau de l’instabilité juridique, des annulations de tarif et des corrections sur les factures.

Conformément aux prescriptions de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME), nous construisons nos tarifs, depuis le 1er novembre 2014, par l’empilement de coûts normatifs et non constatés. Ces coûts normatifs se fondent sur celui de l’approvisionnement sur le marché et non plus sur ceux d’EDF ; cette évolution entérine la fin de la couverture de nos coûts du fait des prix de marché. Cette méthode crée de la volatilité – modérée grâce à l’ARENH – due aux mouvements de marché.

L’ARENH constitue le prix de gros auquel nous vendons une partie de notre production nucléaire à nos concurrents et s’avère directeur pour les recettes d’EDF. Il s’applique aux ventes consenties aux fournisseurs alternatifs, mais également aux approvisionnements en production d’électricité nucléaire historique qui servent à la construction des tarifs réglementés ainsi qu’aux ventes de l’offre de marché. Or la trajectoire de l’ARENH dessinée par le régulateur n’est pas respectée et le projet de décret reste au stade de l’élaboration. On aboutit ainsi à des prévisions de dépenses bien supérieures à celles des recettes pour toute l’activité dérégulée d’EDF en France ; notre endettement à ce titre s’accroît chaque année de 3 milliards d’euros, et si les formules de calcul de prix ne sont pas modifiées, nous devrons faire face à une dette additionnelle de 30 milliards d’euros au titre de l’activité française en fin de période.

EDF, premier énergéticien français et européen, a un rôle à jouer dans la transition énergétique ; mais comment investir dans cette transition si le mode de calcul de nos tarifs crée mécaniquement de la dette ? Comment investir également dans la rénovation de notre parc nucléaire historique ? Nous souhaitons donc que le prix de l’ARENH atteigne le plus rapidement possible le niveau du coût économique complet du parc ; Nous estimons, comme la Cour des comptes, que celui devrait s’élever à 55 euros par MWh

La composante du tarif liée à l’acheminement correspond aux revenus des entreprises de réseau, RTE et ERDF. Le besoin d’investissement dans les réseaux s’avère important, récurrent et croissant, puisqu’il convient d’entretenir et de développer les réseaux et de s’adapter à la transition énergétique qui s’accompagnera d’une organisation territoriale différente des moyens de production engendrant de nouveaux modes d’acheminement de l’électricité. Nous souhaitons donc que la composante liée à l’acheminement permette ces investissements pour que les évolutions à venir puissent être mises en œuvre dans de bonnes conditions.

Néanmoins, le mode de rémunération des actifs de réseau a subi de nombreux changements au cours des dix dernières années. Le premier tarif d’utilisation des réseaux était construit selon une approche comptable, remplacée par une conception économique que le Conseil d’État n’a pas validée ; aujourd’hui, la méthode est hybride, mais fait également l’objet d’un recours. Cette situation, insatisfaisante, doit évoluer, et nous appelons de nos vœux la stabilisation du cadre juridique du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) sur des fondements économiques ; cela donnerait de la visibilité et un cadre de financement solide pour le financement des réseaux.

L’évolution récente de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) s’est révélée très importante ; il s’agit de la principale taxe spécifique, à laquelle il faut ajouter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui s’applique également sur la CSPE. La totalité des taxes porte le coefficient multiplicateur par rapport à la part électricité à près de 43 % dans la plupart des factures. La CSPE atteint 19,5 euros par mégawatts et représente, à elle seule, 18 % du tarif pour un client résidentiel moyen. Elle finance de nombreux aspects de la politique énergétique française, comme le soutien aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les départements d’outre-mer (DOM) et en Corse, les dispositions en faveur des clients démunis, la cogénération et, bientôt, les opérateurs d’effacement. En 2015, la CRE prévoit que la charge financée par la CSPE sera de 6,3 milliards d’euros, dont près des deux tiers – quatre milliards – seront dus aux énergies renouvelables (EnR) ; sur ces 4 milliards d’euros consacrés aux EnR, 2,2 milliards concernent la seule électricité photovoltaïque. Ce dernier montant reflète notamment les dépenses d’achat très élevées des installations engagées avant la réforme de 2011 ; en effet, certaines de ces installations ont des obligations d’achat atteignant 600 euros le mégawattheure pour des contrats qui courront pendant vingt ans. Les prix d’achat ont diminué depuis 2011 et les effets d’aubaine se sont ralentis, mais le photovoltaïque reste très loin d’être compétitif, il continue d’occasionner des surcoûts et il pèse sur la balance commerciale à hauteur de plus de 500 millions d’euros par an, la plupart des panneaux solaires étant importés d’Asie.

La CSPE augmente de 3 euros par mégawattheure chaque année depuis 2011, mais cela ne suffit pas pour faire face aux charges à financer et a conduit à un déficit de compensation qui s’élevait à 5,8 milliards d’euros à la fin de l’année dernière et qui se trouve intégralement supporté par EDF. Il faut apurer ce déficit, ce qui nécessiterait de toujours augmenter la CSPE, politique dont on peut interroger l’acceptabilité ; il convient de constater que l’augmentation de la facture de nos concitoyens provient à 60 % de la CSPE au cours des cinq dernières années. Cela entrave les hausses de tarif qu’EDF peut obtenir de la part de l’État, alors que notre entreprise en a besoin pour investir et pérenniser l’outil industriel. Il y a lieu de réfléchir à la façon de sortir de cette spirale en commençant par nous interroger sur le fort déséquilibre existant entre les taxes spécifiques sur l’électricité et les autres formes d’énergie. Aujourd’hui, les taxes spécifiques appliquées au tarif résidentiel de l’électricité sont de 32 % contre seulement 6 % pour le gaz et 13 % pour le fuel domestique. Cette situation fiscale, déséquilibrée, pénalise le développement de l’électricité dans la concurrence entre énergies, alors qu’elle est, de loin, l’énergie la moins carbonée. L’électricité fournit les plus gros efforts en matière de développement des EnR et c’est son prix que l’on augmente : nous sommes là face à un paradoxe. Les charges de service public ne dépassent pas 8 millions d’euros pour le gaz, à comparer avec les 4 milliards pour l’électricité soit un facteur de 500. Il est donc possible de rééquilibrer la fiscalité entre les énergies, afin d’être en cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de CO² et d’indépendance énergétique portés par le projet de loi sur la transition énergétique.

Il ne revient pas à EDF mais aux pouvoirs publics de fixer l’assiette de la CSPE, mais nous nous sommes permis d’avancer quelques propositions ; nous avons d’ailleurs noté avec intérêt que Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, a considéré, à l’occasion de l’examen du projet de relatif à la transition énergétique par l’Assemblée nationale, que l’élargissement de l’assiette de la CSPE serait un schéma idéal et a souhaité que votre commission d’enquête instruise le sujet dans ses différents aspects. J’espère que nous aurons progressé sur cette question le mois prochain, afin que l’on prenne en compte tous les paramètres, dont les émissions de CO² et les effets sur la santé publique, pour que l’ensemble des énergies soient mises à contribution.

EDF se prépare à la fin des tarifs verts et jaunes ; l’ensemble de nos prestations se trouvent en concurrence depuis 2007, mais de nombreux consommateurs ont continué de bénéficier de tarifs fixés par arrêté, ces tarifs verts et jaunes ayant servi de cadre de référence pour les petites et moyennes entreprises. La moitié des consommateurs professionnels qui n’ont toujours pas basculé dans des offres de marché le feront avec la disparition de ces tarifs. EDF a consenti un effort important en matière d’offre commerciale, de formation des agents et de déploiement de systèmes d’information adaptés au traitement de ces offres commerciales. Nous perdrons peut-être quelques parts de marché, mais les nouveaux systèmes mis en place nous permettront aussi d’en regagner.

Les industries électro-intensives sont fortement exposées à la concurrence internationale, et leur maintien dans notre pays entre dans nos missions de service public car il s’avère industriellement et socialement important. En facilitant la construction du consortium Exeltium, EDF a montré sa volonté de contribuer à l’effort national ; en outre, d’autres dispositifs de fourniture d’électricité avec participation des clients aux risques ont été mis en place. L’heure est à l’action sur une échelle plus large et il me semble que la voie adéquate repose sur des mesures techniques à caractère réglementaire ; d’autres pays ont suivi ce chemin et l’ont fait accepter par la Commission européenne. Plusieurs possibilités existent : augmentation de l’abattement du tarif d’acheminement, compensation du coût du CO² contenue implicitement dans les contrats d’électricité à prix de marché, et élargissement et accroissement de la rémunération de leur interruptibilité. La combinaison de ces mesures permettrait d’obtenir des baisses de factures substantielles pour les grands électro-intensifs, à l’image du résultat obtenu dans certains pays voisins comme l’Espagne et l’Allemagne dont les dispositifs ont été approuvés par la Commission européenne. Nous sommes donc en mesure de proposer des solutions précises pour les industriels électro-intensifs, qui s’inquiètent de la fin de leurs contrats à court ou moyen terme.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur le président, souhaitez-vous que les principes législatifs actuels fixant le mode de calcul du coût de l’électricité continuent de s’appliquer ou estimez-vous qu’il convient de les modifier et, donc, de réécrire la loi ?

Vous réclamez une augmentation, certes faible, des tarifs de l’ARENH, mais avant de formuler cette requête, avez-vous imaginé d’autres pistes qui n’auraient pas d’impact sur les consommateurs et sur les acteurs économiques ?

L’architecture institutionnelle organisant les rapports entre l’État et EDF s’avère complexe ; l’État exerce la tutelle sur l’entreprise, en est l’actionnaire et définit la politique publique en matière d’énergie. Comment l’État remplit-il ces différentes fonctions ? Celles-ci sont-elles séparées ou ne se mélangent-elles pas ? Puisque vous avez pris vos fonctions depuis à peine trois mois, êtes-vous surpris, comme nous le sommes parfois, par la gouvernance de l’entreprise ? Comment sont calculés les dividendes élevés que demande l’État actionnaire à EDF ? La pression de l’État en la matière n’est-elle pas trop forte ? Nous avons auditionné le 5 novembre dernier votre illustre et lointain prédécesseur, M. Marcel Boiteux, qui a évoqué de nombreux faits anciens – concernant Charbonnages de France ou les emprunts en dollars de mars 1974 – montrant que l’État a depuis très longtemps tendance à considérer EDF comme une « vache à lait » à qui il demande des actions exorbitantes du droit commun ou éloignées des obligations de service public. La contribution d’EDF à la transition énergétique, objectif de politique publique fixé par l’État, entre bien dans ses missions de service public, mais ce n’est pas toujours le cas. Notre commission doit se pencher sur cette question parce que le coût pour l’entreprise peut s’avérer lourd, ce qui peut entraîner des conséquences sur les tarifs. Les coûts propres à EDF peuvent-ils être maîtrisés au-delà de ce qu’ils sont aujourd’hui ? Existe-t-il une marge en la matière ?

M. François Brottes. La plus belle entreprise du monde ne peut pas donner plus que ce dont elle dispose ; or il existe un réflexe dans ce pays consistant à dire « il n’y a qu’à faire payer cela par EDF ». Le mur d’investissements, la baisse de la consommation, les contraintes sur les tarifs et les dividendes exigés par l’État vous contraignent à maîtriser plus fortement vos dépenses. En outre, la séparation commerciale avec Gaz de France (GDF) et les avances non remboursées pour la CSPE ont alourdi votre fardeau.

Dans l’élaboration des tarifs, est-on capable de différencier les coûts fixes ne dépendant pas ni nombre d’abonnés ni du volume de consommation de ceux pour lesquels une flexibilité existe ? Cette question est d’autant plus importante que l’on encourage les consommateurs à réaliser des économies d’énergie : lorsque le volume d’eau consommée diminue, le prix du mètre cube augmente. Notre commission doit mener cette réflexion pour laquelle vous pourriez nous apporter un avis éclairé.

Que pensez-vous des remarques récurrentes de la CRE et de la Cour des comptes sur la nécessité de rebaptiser ERDF ?

M. Denis Baupin. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir reconnu la croissance des coûts liés au nucléaire, que la Cour des comptes avait déjà mise en lumière dans un rapport où elle évaluait à 21 % l’augmentation des coûts d’exploitation du nucléaire au cours des trois dernières années. Ceux-ci atteindraient donc 59,8 euros par mégawattheure, ce montant ne comprenant pas la charge liée aux déchets, au démantèlement et à l’assurance pour laquelle des progrès restaient à accomplir aux yeux de la Cour des comptes.

Depuis 2011, les coûts du photovoltaïque ont nettement diminué et, notamment pour les panneaux installés au sol, nous ne sommes plus loin de la parité réseau. Les erreurs industrielles commises dans notre pays et en Europe ont permis aux Chinois de capter le marché des panneaux photovoltaïques classiques, et il ne faut surtout pas que nous manquions la prochaine génération, d’autant plus que le commissariat à l’énergie atomique (CEA) maîtrise toute la technique nécessaire. Néanmoins, dans une installation, le panneau ne compte que pour 20 %, le reste est fabriqué en France et emploie des personnes dans notre pays pour la maintenance, alors que nous importons entièrement l’uranium que nous utilisons.

Si EDF n’arrive pas à se financer avec les tarifs de l’électricité actuels, il doit, comme l’a dit Mme la rapporteure, réaliser des économies : or comme nous surproduisons de l’électricité tout au long de l’année dans l’Ouest de l’Europe, ne conviendrait-il pas de fermer quelques installations ? Je suis surpris d’entendre EDF indiquer qu’elle souhaiterait prolonger l’activité de tous ses réacteurs pendant 60 ans, vœu qui se trouve en contradiction avec les scénarios de consommation de RTE et avec l’objectif de ramener la part du nucléaire dans la production à 50 % d’ici à 2025.

Quel sera l’impact sur les tarifs de l’électricité de l’ouverture du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville ? Le coût de l’EPR n’a cessé de flamber pour atteindre officiellement 8,5 milliards d’euros, montant qui sera dépassé. Je vous pose la même question pour les investissements liés au grand carénage, dont la charge devrait atteindre 110 milliards d’euros selon la Cour des comptes.

Quelles seront les conséquences financières de la prise en compte du coût du centre industriel de stockage géologique (Cigéo) pour l’enfouissement des déchets radioactifs, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ayant revu à la hausse les frais de l’installation par rapport à la provision inscrite dans les comptes d’EDF ?

Dans une interview accordée au Monde il y a quelques jours, vous avez indiqué la nécessité de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Quel type de réacteur ? À quel horizon et à quel coût des réacteurs de nouvelle génération pourront-ils être construits ? Quelle serait leur rentabilité par rapport aux alternatives en matière de production renouvelable ?

Quelle suite comptez-vous donner à la recommandation de la Cour des comptes de garantir une plus grande indépendance à ERDF ?

M. Jean-Bernard Lévy. Derrière les questions techniques relatives au mode de calcul des tarifs ou à la durée d’amortissement émergent des enjeux plus vastes. Dès lors que nos tarifs sont fixés par la puissance publique, celle-ci doit veiller à ce qu’ils couvrent nos coûts. Le système du tarif par empilement présente le défaut de ne pas couvrir les coûts de manière structurelle, puisqu’une composante importante repose sur un prix de marché et non sur nos charges ; celui-là étant actuellement inférieur à celles-ci, nous vendons à perte. Le Conseil d’État a souligné que l’empilement n’empêchait pas en lui-même la couverture de nos coûts. La marge de manœuvre sur ces derniers renvoie au problème, bien connu des économistes, posé par l’existence de tarifs administrés pour une entreprise industrielle et commerciale.

L’État est en droit de voir ses capitaux rémunérés par des dividendes, calculés à partir des résultats du groupe EDF, dont un tiers de l’activité se réalise hors de France. Le dividende représente 55 à 65 % du résultat net courant – celui-ci découlant du résultat net retraité de quelques événements non récurrents – et atteint 58 % pour le dernier exercice.

L’État a également intérêt à ce que les coûts soient les plus faibles possible. On pourrait sortir du système de prix administré, d’autres monopoles soumis à la concurrence, comme celui des télécoms, ayant pu emprunter ce chemin ; cela n’est pas d’actualité pour l'électricité, mais on pourrait l’imaginer à terme. Des mécanismes d’incitation à maîtriser les coûts ont été déployés pour certains opérateurs d’infrastructures essentielles – ou utilities –, ce dont bénéficient les consommateurs, l’entreprise concernée et ses collaborateurs. Un tel mécanisme n’existe pas aujourd’hui pour EDF et peut-être votre commission pourrait-elle en imaginer. Il existe des marges de manœuvre pour améliorer les bases de coût chez EDF, même si de gros efforts ont déjà été consentis comme le programme Spark, initié par mon prédécesseur, qui a produit des résultats importants puisque le montant des économies a atteint 1,3 milliard d’euros en 2012 et 2013. Nous continuerons d’améliorer nos offres de service et la gestion de nos achats, de nos systèmes d’information et de notre parc immobilier tout en accroissant la productivité de nos installations. L’entreprise doit tout faire pour assurer le service public au meilleur coût, mais le système actuel, animé par la brutalité de la décision administrative, n’est pas adapté aux évolutions du marché, à la concurrence que nous subissons sur l’ensemble de nos prestations et à la recherche de la meilleure rentabilité de nos différentes dépenses.

Je n’ai pas noté que la Cour des comptes accuse EDF d’empiéter sur les prérogatives d’ERDF ; si tel était le cas, nous ne respecterions pas nos obligations légales. Nous avons répondu à la CRE et à la Cour des comptes sur les questions portant sur la marque ERDF. La gouvernance de cette filiale à 100 % d’EDF est assurée de manière indépendante, comme le dispose la loi.

Le coût du nucléaire a augmenté, pas autant que vous le dites, monsieur Baupin, mais cette hausse est normale car le coût de l’entretien d’un équipement s’accroît avec sa durée de vie.

(Présidence de M. Alain Leboeuf, vice-président de la commission)

Le conseil d’administration d’EDF a approuvé le principe du grand carénage, si bien qu’une phase de réinvestissement dans un outil de production nucléaire plus tout neuf s’ouvre devant nous. Les études de la CRE et de la Cour des comptes soulignent que le coût du nucléaire, même en prenant en compte l’amortissement prévisible du grand carénage, permet à cette source d’énergie de rester de loin la plus économique. Les Français profitent du nucléaire, comme le montrent les comparaisons dressées entre les tarifs de l’électricité dans notre pays et ceux pratiqués chez nos voisins. Le grand carénage vise à maintenir le coût de complet de production à 55 euros le mégawattheure, niveau inférieur à celui des énergies alternatives ; même si le coût des EnR diminue en effet, il reste très supérieur à celui du nucléaire, et ce sans compter l’intermittence de ces énergies.

Les charges de CSPE, qui s’élèvent actuellement à 6 milliards d’euros, augmenteront de près d’1 milliard d’euros par an pour atteindre au moins 10 milliards d’euros en 2020. L’effort consenti pour les EnR s’avère substantiel, d’où ma volonté de le voir partagé entre les consommateurs d’électricité et ceux d’autres formes d’énergie, notamment le gaz et le fioul.

Notre capacité de production électrique génère un solde commercial significativement positif – les exportations d’électricité contribuant à hauteur de 2 milliards d’euros à la balance nationale totale. Le parc de production nucléaire et hydraulique français engendre des exportations qui amortissent nos investissements à hauteur de 110 %, ce qui permet de diminuer d’autant le prix acquitté par les ménages.

Le réacteur de Flamanville est un prototype qui n’entre pas dans l’empilement économique servant à calculer le coût, mais nous travaillons intensément avec Areva pour que le retour d’expérience de ce projet – qui a connu des vicissitudes liées à son caractère innovant – permette de construire des EPR moins chers à l’avenir. Les futurs réacteurs, que nous appelons EPR nouveau modèle, ont vocation à intégrer les programmations pluriannuelles, prévues par le projet de loi relatif à la transition énergétique et élaborées sous l’autorité de l’État. En attendant, il convient, comme dans de nombreux pays européens et américains, d’allonger la durée de fonctionnement des réacteurs existants. Nous travaillons avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour que la durée de vie de ces réacteurs passe de 40 à 50 ans, les Américains ayant déjà décidé que les leurs, de technologie identique, restent actifs 60 ans.

Le temps est peut-être venu de s’interroger sur la façon dont l’État organise ses différents rôles d’actionnaire, d’autorité de régulation et de bâtisseur d’une politique de l’énergie, et de s’interroger sur les mécanismes incitatifs que l’on pourrait mettre en place afin d’assurer la cohérence de l’ensemble du dispositif.

M. Denis Baupin. Je suis toujours surpris d’entendre les représentants d’EDF expliquer que le nucléaire n’est pas cher parce que les tarifs s’avèrent moins élevés en France ; comme les tarifs sont administrés et que les coûts des déchets et du démantèlement nucléaires sont sous-évalués – sans même évoquer celui des accidents qui n’est jamais pris en compte –, on ne peut pas financièrement comparer les énergies. En revanche, nous sommes très favorables à la transparence de l’ensemble des coûts des filières énergétiques.

Quel sera l’impact sur les tarifs de la mise en fonctionnement de l’EPR de Flamanville, du grand carénage, du Cigéo, et des nouveaux EPR ?

M. Jean Grellier. Il y a deux ans, nous siégions dans une commission d’enquête sur l’avenir de la sidérurgie et de la métallurgie en France et en Europe ; des entreprises électro-intensives nous avaient interrogés sur les problèmes de compétitivité dont elles souffraient par rapport à leurs concurrentes étrangères. Ces questions sont réapparues dans les débats sur les projets de loi relatifs à la transition énergétique et à la croissance et à l’activité. Quelle est votre vision de ces sujets ? Il y a lieu de trouver un schéma optimal pour l’entreprise publique fournissant l’électricité et pour la compétitivité de ces entreprises. Comment imaginez-vous l’évolution de ces partenariats ?

Où en êtes-vous de la recherche et de l’innovation en matière de stockage d’électricité ? Quelles seront les conséquences sur les coûts et les tarifs ?

Mme la rapporteure. Quelles sont vos premières impressions sur la façon dont l’État exerce sa gouvernance dans ses rapports avec EDF ?

Partagez-vous le constat selon lequel l’État a tendance à toujours alourdir les charges d’EDF et à lui faire payer de nombreux éléments de sa politique énergétique ?

Comme M. François Brottes l’a suggéré, que pensez-vous de l’idée de distinguer les coûts fixes des variables et d’instaurer un mécanisme de forfait ou des modes de tarification différents, utilisés par d’autres secteurs ?

M. Jean-Bernard Lévy. Les dépenses de Flamanville sont intégrées au bilan d’EDF et ne sont pas amorties dans le compte d’exploitation : il n’existe donc aucun impact sur les tarifs d’EDF aujourd’hui. Lorsque Flamanville sera livré, nous amortirons son coût – qui sera compris entre 8 et 9 milliards d’euros – sur 60 ans, durée qui correspond à la vie de ces réacteurs de nouvelle génération. Cela entrera dans les coûts d’EDF comme l’amortissement des anciens investissements se trouve reflété dans les coûts actuels. La charge de Flamanville représentera donc 150 millions d’euros par an par rapport à un chiffre d’affaires qui s'élève à 40 milliards en France, soit moins de la moitié d’un point de pourcentage. Le coût du mégawattheure du premier EPR sera bien entendu supérieur au coût moyen du mégawattheure, puisqu’il s’agit d’une nouvelle production ; une fois ce choc amorti dans la totalité de la masse des moyens de production d’EDF, l’effet s’avérera minime.

Les dépenses liées au grand carénage sont directement amorties et ne sont pas placées au bilan en attendant que les études, les installations ou les équipements soient achevées. Le grand carénage permet de maintenir le coût du nucléaire à 55 euros le mégawattheure.

Le démantèlement s’effectuera au cours de nombreuses décennies et les frais induits suivront cet étalement. Le coût pour Cigéo est reflété dans nos comptes puisque nous avons provisionné le coût du démantèlement : certains estiment cette provision trop faible et d’autres trop élevée, ce qui n’est pas anormal compte tenu du degré d’incertitudeentourant ces coûts, qui peut avoir un effet de 2 à 3% sur le coût du MWh nucléaire.

Aider les industries consommant beaucoup d’énergie électrique entre dans nos missions et nous cherchons à leur faire bénéficier du tarif le plus bas possible, dans le cadre de la réglementation européenne. Des partenariats mis en œuvre récemment dans des pays voisins ont été approuvés par la Commission européenne, et nous essayons de bâtir, en lien avec le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique et les parlementaires, un système similaire grâce à l’utilisation des outils techniques comme l’interruptibilité et l’amortissement des taxes spécifiques à l’électricité.

Nous consacrons une partie des moyens de la recherche et développement (R&D) d’EDF à étudier la manière de compléter les EnR intermittentes – l’éolien et le solaire – par du stockage ; nous espérons que des solutions économiquement viables émergeront progressivement pour ce sujet fondamental.

Dans les télécoms, les coûts variables sont très modestes, car une fois le réseau construit, l’intensité de son trafic n’a que peu d’impact financier. La situation s’avère différente pour l’électricité et certains coûts variables sont plus importants. Les régulateurs et l’État ont, dans leur grande sagesse, mis en place un système d’abonnement fixe pour se connecter associé à une consommation proportionnelle. Nous serions prêts à examiner la pertinence du montant du coût fixe par rapport à celui du variable : faut-il déplacer le curseur ? Convient-il d’instaurer des forfaits pour que des consommateurs ne dépassent pas un certain montant de facture ? Le futur compteur Linky devra-t-il permettre de mieux maîtriser la consommation ?

La noblesse d’une entreprise de service public réside dans la nécessité de gérer l’ensemble de ses contraintes et d’assurer au mieux ses missions. Néanmoins, j’alerte les pouvoirs publics sur la croissance de l’endettement d’EDF au cours des dernières années et sur les taxes supportées par le consommateur d’électricité qui ne le sont pas par celui d’énergies fossiles alors que l’énergie électrique est décarbonée à 85 %.

Le rôle du PDG d’EDF est de limiter les surprises et d’anticiper les réactions de ses interlocuteurs dans les différents lieux de pouvoir de l’État. Il convient de veiller à assurer la cohérence qui permettra à l’entreprise de travailler dans la durée et dans la stabilité ; dans ce domaine, et même si mon expérience à la tête de l’entreprise est encore courte, je pense que le président d’EDF a un rôle à jouer.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Réunion du mercredi 18 février 2015 à 17 h 15

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Guillaume Chevrollier, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Henri Guaino, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais, Mme Clotilde Valter

Excusés. – Mme Jeanine Dubié, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Boinali Said, M. Stéphane Travert