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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Lundi 29 février 2016

Séance de 18 h

Compte rendu n° 4

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Table ronde consacrée à la prise en charge hospitalière des victimes :

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées (SSA), accompagné du médecin général inspecteur Dominique Vallet, adjoint « offre de soins et expertise » au directeur central, et du médecin en chef Jean-Christophe Bel et M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accompagné du docteur Christophe Leroy, chef du service « gestion des crises sanitaires » à l’AP-HP)

La séance est ouverte à 18 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Table ronde, ouverte à la presse, consacrée à la prise en charge hospitalière des victimes, avec :

– M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées (SSA), accompagné du médecin général inspecteur Dominique Vallet, adjoint « offre de soins et expertise » au directeur central, et du médecin en chef Jean-Christophe Bel ;

– M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accompagné du docteur Christophe Leroy, chef du service « gestion des crises sanitaires » à l’AP-HP.

M. le président Georges Fenech. Nous avons souhaité commencer nos travaux par l’audition des victimes, qui ont droit à toute l’attention de la représentation nationale. Nous les poursuivons en nous intéressant à leur prise en charge hospitalière.

Je suis heureux d’accueillir à cette fin M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées (SSA), accompagné du médecin général inspecteur Dominique Vallet, adjoint « offre de soins et expertise » au directeur central, et du médecin en chef Jean-Christophe Bel.

Le service de santé des armées est un service interarmées dont la mission première est d’être au plus près des combats, mais il participe aussi à la gestion des risques dans le domaine de la santé et aux secours en cas de catastrophe naturelle.

J’ai le plaisir d’accueillir également M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accompagné du docteur Christophe Leroy, chef du service « gestion des crises sanitaires » à l’AP-HP.

L’AP-HP est un établissement public de santé et le centre hospitalier universitaire (CHU) de la région Île-de-France. Elle regroupe trente-neuf hôpitaux, qui accueillent 7 millions de personnes malades chaque année.

Nous avons décidé que nos auditions seraient ouvertes à la presse, car nous devons mener cette enquête dans la plus grande transparence. Tel est donc le cas de cette table ronde, qui est en outre retransmise en direct sur le portail vidéo internet de l’Assemblée nationale. Son enregistrement y restera disponible pendant quelques mois.

Notre commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de cette audition.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Martin Hirsch, M. Christophe Leroy, M. Jean-Marc Debonne, M. Dominique Vallet et M. Jean-Christophe Bel prêtent successivement serment.)

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire, afin que vous puissiez notamment répondre aux questions que nous vous avons adressées préalablement par écrit. Ensuite, le rapporteur, les membres de la commission et moi-même serons amenés à vous demander des précisions ou à vous poser d’autres questions.

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées. C’est un honneur de m’exprimer devant vous dans le cadre de cette commission d’enquête.

En 2015, le SSA, parce qu’il est au croisement des mondes de la défense et de la santé, a été en effet tout particulièrement impliqué dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. La part la plus visible de son action, mais non la seule, reste la participation des hôpitaux d’instruction des armées (HIA) Bégin et Percy à la prise en charge des blessés des attentats du 13 novembre. Ce soir-là et dans les jours qui ont suivi, le SSA s’est fortement mobilisé aux côtés des autres acteurs de la santé, au premier rang desquels figure, bien évidemment, l’AP-HP. Le fait que vous ayez souhaité m’entendre conjointement avec son directeur général est révélateur de la complémentarité de nos services.

Avant de vous présenter le rôle qu’a joué le SSA dans l’action des pouvoirs publics en réponse aux attentats, permettez-moi d’insister brièvement sur son positionnement actuel dans la gestion des crises sanitaires sur le territoire national.

Fort d’une longue expérience de la gestion des crises sanitaires sur les théâtres d’opérations extérieures (OPEX), le SSA a développé un certain nombre d’aptitudes spécifiques, qui peuvent être mises au service de la Nation. Le SSA pourrait être amené à considérer la gestion des crises sur le territoire national comme une nouvelle dimension de son action, et non plus seulement comme une contribution optionnelle visant à épauler les structures civiles de santé.

Il ne s’agit pas pour le SSA de suppléer, et évidemment encore moins de supplanter les acteurs institutionnels civils de la réponse aux crises sur le territoire national. Nos organisations ne doivent être ni redondantes ni concurrentes, mais, bien au contraire, complémentaires. Il s’agit donc de partager nos compétences et nos aptitudes avec l’ensemble de la communauté de santé. Pour reprendre les propos tenus en novembre dernier par le chef d’état-major des armées au sujet de l’action des armées sur le territoire national, je pense aussi qu’ « il faut une valorisation, et non pas une banalisation » de l’action du SSA.

C’est dans cet état d’esprit que les ministères de la santé et de la défense opèrent actuellement un rapprochement sans précédent. Cela devrait prendre la forme, au printemps, d’un protocole d’accord visant à identifier nos complémentarités pour faire face aux menaces impliquant le domaine de la santé lors des crises intérieures. Sans attendre cette échéance, à titre d’exemple, nous travaillons de concert avec la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et le Conseil national de l’urgence hospitalière (CNUH) pour mettre en place très rapidement des formations au profit des professionnels de santé civils en vue de la prise en charge des blessés lors d’attentats utilisant des armes de guerre. Les premières versions des modules de formation sont en cours de finalisation, et les formations débuteront très prochainement.

Voici pour le contexte et l’actualité de notre action depuis la survenue des attentats de janvier et de novembre 2015. Cependant, n’oublions pas que, à côté de cette contribution grandissante à la résilience de la Nation, le SSA doit avoir en permanence la capacité de remplir sa mission première : appuyer l’action militaire, où qu’elle se situe et quelles qu’en soient les modalités. De facto, par le soutien médical qu’il prodigue aux forces armées, le SSA participe activement à la lutte contre le terrorisme, tant par le renforcement de la posture de protection du territoire national que par l’intervention de nos forces à l’étranger.

J’en viens maintenant concrètement aux faits : quelle a été la participation du SSA à l’action des pouvoirs publics dans les suites immédiates des attentats ? Sans en détailler la chronologie précise – qui est l’objet du document que nous vous avons communiqué ce jour même –, je m’attacherai à en dégager les grandes lignes. Ainsi que vous me l’avez demandé, mon intervention ne concernera que les personnels « placés sous mon autorité ». Je n’évoquerai donc pas l’action du service médical de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), qui compte quarante-cinq praticiens du SSA dans ses rangs, puisqu’il est placé sous les ordres du général commandant la BSPP.

Je vous propose d’articuler mon propos de manière chronologique en évoquant dans un premier temps les attentats de janvier, avant d’aborder plus longuement, dans un second temps, ceux de novembre 2015, qui ont largement mobilisé les moyens du SSA.

L’action du SSA lors des attentats de janvier est dans la ligne de son action habituelle. Si les attentats du 7 au 9 janvier 2016 ont été un événement « inhabituel », ils n’en ont pas pour autant provoqué une situation inhabituelle dans les hôpitaux militaires : nous n’avons pas assisté à un afflux massif de blessés. Il semble que la proximité géographique ait joué un rôle dans l’orientation des blessés. La participation de l’HIA Bégin de Saint-Mandé, situé quasiment sur la même avenue que l’Hyper Cacher de Vincennes, n’est donc pas surprenante. Cet hôpital a d’ailleurs reçu un policier du RAID blessé par balle lors de l’assaut.

L’HIA Percy de Clamart a également apporté sa contribution en prenant en charge le joggeur blessé peu avant l’attaque, un dessinateur de Charlie Hebdo, ainsi que la policière municipale blessée à Montrouge, malheureusement arrivée en état de mort apparente et déclarée décédée peu après.

L’action du SSA a également concerné les centres médicaux des armées (CMA), qui assurent le premier recours. Ils ont été mobilisés pour soutenir l’opération Sentinelle déclenchée en janvier. Dans un premier temps, le SSA a pu s’appuyer sur son maillage territorial pour assurer un soutien de proximité. Dans un second temps, une organisation spécifique a été mise en place, avec notamment la désignation d’un directeur médical de l’opération Sentinelle, à l’instar de ce qui se pratique en OPEX. Les CMA parisiens ont alors été renforcés par des équipes venues des autres régions. Enfin, l’ensemble des militaires déployés a été doté d’une trousse individuelle comportant un pansement compressif et un garrot tourniquet.

L’action du SSA lors des attentats de novembre a été, quant à elle, plus inhabituelle par son ampleur. Je souhaiterais insister sur les quatre points les plus marquants de l’engagement du SSA à l’occasion de ces événements dramatiques.

Le premier point porte sur la prise en charge des blessés physiques. Placés en alerte dans les minutes qui ont suivi les premiers événements, les hôpitaux de la plateforme hospitalière militaire d’Île-de-France se sont mis en capacité, en moins de quatre-vingt-dix minutes, d’assurer une prise en charge simultanée d’un nombre maximal de blessés, conformément au plan Mascal – mass casualties –, qui est la procédure mise en œuvre en OPEX en cas d’afflux massif de blessés. Peu avant minuit, les blessés sont arrivés par vagues successives de sept à huit ambulances, régulées efficacement pour limiter la saturation des capacités hospitalières. Ces blessés ont bénéficié de stratégies et de techniques de prise en charge largement utilisées et éprouvées en OPEX, tel le damage control, mais aussi, lorsque cela était nécessaire, d’une transfusion de plasma lyophilisé (PLYO), qui est systématiquement utilisée en première intention en cas de traumatismes hémorragiques, dans les HIA comme en OPEX.

Au total, ce sont cinquante-deux blessés qui ont été pris en charge dans la nuit, dont dix-huit urgences absolues sur les quatre-vingt-dix-huit qui ont été dénombrées dans les hôpitaux franciliens. Cinquante interventions chirurgicales ont été réalisées en quarante-huit heures au profit de ces blessés, treize d’entre eux étant admis en réanimation. En parallèle, ces hôpitaux ont contribué au réapprovisionnement de certaines ambulances de la BSPP et du service d’aide médicale urgente (SAMU) pour leur permettre de poursuivre leur mission. Dès le lendemain après-midi, les HIA se sont réorganisés pour intégrer la prise en charge des blessés dans leurs activités habituelles, programmées et d’urgence.

Dans le même temps, le centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) a mis en œuvre sa procédure de montée en puissance en cas d’urgence, ce qui a permis d’assurer sans discontinuer le soutien transfusionnel des deux HIA. Le samedi, dès 7 h 30, l’ensemble du personnel militaire et civil du CTSA a répondu présent pour accueillir 500 volontaires des communes environnantes venus spontanément donner leur sang. Il a fallu en effet identifier les 164 donneurs du groupe O – les plus immédiatement utiles, comme vous le savez –, puis prélever les 132 personnes qui ne présentaient pas de contre-indication au don du sang. La préparation des produits ainsi collectés et leur qualification ont pu démarrer immédiatement, le CTSA étant en mesure de qualifier les produits sanguins même le week-end.

L’établissement de ravitaillement sanitaire (ERSA) de Vitry-le-François a également été mobilisé en soutien des HIA. Il a permis leur fonctionnement continu ainsi que la régénération de leurs moyens dans un délai extrêmement bref. Devant la forte consommation de produits antihémorragiques, il a constitué des « stocks tampons » pour pouvoir répondre aux éventuels besoins de nos structures chirurgicales actuellement déployées en OPEX. Dès le dimanche midi, anticipant la venue des renforts militaires de l’opération Sentinelle en région parisienne, il a livré 2 000 garrots et 2 000 pansements compressifs pour en doter nos soldats. Il a également livré sans préavis des trousses de secours individuelles du combattant aux deux unités parachutistes arrivées à Paris en urgence, ainsi qu’à la BSPP.

Le deuxième point marquant concerne la prise en charge des blessés psychiques, qui a eu deux volets : l’un dans les HIA, l’autre au sein d’une cellule dédiée située à l’École militaire.

Dans les HIA, nos psychiatres et nos psychologues ont été présents dès l’arrivée de la première vague de victimes. Ils ont pris en charge à la fois les blessés conscients ne relevant pas de l’urgence vitale et les patients impliqués sans blessure physique, lesquels ont pu bénéficier d’échanges individuels dans un espace dédié, avec un souci permanent de traçabilité. Au cours de la nuit, les équipes ont progressivement été renforcées afin de prendre en charge les personnes venant retrouver un blessé, mais également de soutenir les personnes profondément angoissées après la recherche infructueuse d’un proche dans d’autres hôpitaux parisiens.

Passées ces premières heures de mobilisation immédiate, la cellule d’urgence médico-psychologique s’est réorganisée pour prendre en charge au plus tôt les blessés hospitalisés – c’est-à-dire dès que leur état clinique l’a permis –, ainsi que leur entourage familial. Au total, plus de 100 consultations ont été réalisées en moins de quarante-huit heures dans les deux HIA. Les assistantes du service social ont renforcé sous vingt-quatre heures ce dispositif de crise par la prise en compte globale des besoins des victimes et de leurs proches. Dans le même temps, les équipes de soins ont fait l’objet d’une attention particulière. Des débriefings médico-psychologiques ont d’emblée été programmés. Ils ont ensuite été réalisés progressivement, pour permettre aux soignants d’aborder autrement l’expérience qu’ils venaient de traverser.

En parallèle, à la demande de la DGS, une cellule d’aide médico-psychologique a été mise en place sur le site de l’École militaire pour armer un dispositif d’aide aux familles et aux personnes impliquées. Des psychiatres et des psychologues des HIA Percy, Bégin et du Val-de-Grâce, ainsi que du service médico-psychologique des armées et du service de psychologie de la marine, ont apporté leurs compétences dans l’organisation du soutien psychologique aux familles et aux victimes. Ils ont mis en place une zone d’accueil et de priorisation des personnes en difficulté, comportant un premier niveau d’accompagnement médico-psychologique qui pouvait se prolonger dans des entretiens individuels. Nos personnels ont mené au total plus de quatre-vingts entretiens individuels, sans compter les nombreuses autres rencontres informelles. À chaque fois, ils ont proposé un rendez-vous de suivi pour assurer la continuité de la prise en charge. C’est un principe fondamental que nous appliquons à chaque déploiement d’une cellule de soutien médico-psychologique.

Ainsi, le SSA a été pleinement associé au soutien médico-psychologique qu’il a assumé sans discontinuer durant près de vingt-quatre heures, en étroite collaboration avec les personnels de santé civils, avant d’être relevé par d’autres équipes civiles mobilisées par le ministère de la santé.

Le troisième aspect que je voudrais brièvement évoquer est l’accompagnement de la montée en puissance de la force Sentinelle. Tout le personnel des CMA de la région Île-de-France est passé en alerte, et les personnels soignants ont été rappelés, voire sont revenus spontanément. Dès le samedi matin, les antennes médicales concernées par l’arrivée de renforts militaires ont anticipé le soutien médical du premier renfort de 1 000 soldats et ont mis en place un accueil médico-psychologique spécifique aux armées.

Enfin, il est essentiel de rappeler le quatrième aspect de notre engagement : durant tout ce temps, le SSA a continué à garantir la permanence du soutien des forces projetées en OPEX, où sept équipes chirurgicales sont actuellement déployées, deux d’entre elles provenant d’ailleurs des HIA d’Île-de-France. L’alerte Medevac – medical evacuation – a été assurée, une évacuation médicale aérienne étant réalisée le jour même des attentats entre la Côte d’Ivoire et l’HIA Percy. L’approvisionnement de nos unités médicales opérationnelles déployées sur les théâtres d’opérations a été assuré en permanence durant cette période de forte tension sur le territoire national et pendant son décours.

Mesdames, messieurs les députés, je voudrais profiter de la tribune qui m’est accordée aujourd’hui pour saluer devant vous l’engagement, le dévouement et la compétence des personnels du SSA. Ils ont fait preuve d’une exceptionnelle réactivité et d’une efficacité difficilement égalable dans un tel contexte. Ils ont tout mis en œuvre pour apporter aux victimes de ces terribles attentats une prise en charge visant à préserver leurs chances de survie et, le cas échéant, de moindres séquelles physiques et psychiques. Pour cela, le SSA a plus particulièrement mobilisé cinq aptitudes fondamentales nécessaires à sa mission première qui est, je le rappelle, le soutien médical des forces armées en opérations.

En premier lieu, le SSA dispose d’un savoir-faire non seulement technique, mais aussi organisationnel en matière de traitement des blessés de guerre. La prise en charge des victimes, parfois « sous le feu », leur catégorisation, leur mise en condition à l’avant, en prenant toujours en compte les facteurs temps et sécurité, est l’aboutissement d’une expérience fortement éprouvée et mise en œuvre encore aujourd’hui sur de nombreux théâtres d’opérations.

Au-delà des procédures et du sang-froid qu’elle suppose, cette prise en charge est basée sur des techniques médico-chirurgicales spécifiques et parfois novatrices. Prenons l’exemple du damage control, que j’ai évoqué : ce concept, complémentaire de celui de sauvetage au combat, donne la priorité à la correction des désordres physiologiques, et non à la réparation chirurgicale complète immédiate. Son intérêt est de réduire le temps opératoire initial en ne réalisant que les gestes vitaux strictement nécessaires. Cette technique permet une prise en charge rapide de réanimation, centrée sur la maîtrise du choc hémorragique grâce à l’emploi précoce des dérivés du sang et de médicaments favorisant la coagulation. Elle autorise une reprise chirurgicale éventuelle dans les vingt-quatre heures chez un blessé stabilisé, donc dans de bien meilleures conditions.

La notion de chirurgie de guerre dépasse très largement, vous l’aurez compris, la simple prise en charge d’une blessure par balle. Elle est une stratégie globale visant à adapter l’acte chirurgical aux conditions dans lesquelles il est exercé. La nature des soins prodigués dépendra ainsi, par exemple, des moyens et des délais d’évacuation et du caractère éventuellement hostile, voire agressif de l’environnement.

En deuxième lieu, le SSA dispose d’équipes hospitalières particulièrement réactives. En novembre dernier, les médecins-chefs des HIA ont déclenché le plan blanc dans les trente minutes qui ont suivi le début de la fusillade. Ils se sont immédiatement organisés pour préparer les équipes et les locaux. Ils ont été tout aussi réactifs dans le reconditionnement de leur établissement : le dimanche 15 novembre dans l’après-midi, ils avaient restauré toutes leurs capacités et étaient en mesure de faire à nouveau face, le cas échéant, à un afflux massif de blessés, cela sans jamais avoir compromis la capacité du SSA à assurer le soutien médical des forces en OPEX.

La troisième aptitude porte sur le soutien logistique santé intégré. En temps de paix, il appartient au SSA de constituer et d’entretenir des stocks préconditionnés afin qu’ils soient immédiatement transportables et utilisables sur le terrain. Cet objectif implique d’entretenir et de renouveler un stock « plancher » constitué de tous les produits pharmaceutiques, équipements médico-chirurgicaux et produits sanguins labiles nécessaires au soutien des forces. Il implique également de disposer d’équipes prêtes à conditionner et distribuer ces produits à tout moment. Cela nous permet d’être autosuffisants en contexte opérationnel afin de ne pas freiner l’action médicale.

La quatrième aptitude concerne la capacité d’organisation dans la conduite des opérations. À la chaîne organique du service se superpose en permanence une chaîne fonctionnelle dédiée à l’engagement opérationnel. Cette chaîne de commandement est en mesure d’assurer une couverture globale des risques. Son pivot est l’état-major opérationnel santé (EMO-santé). Intégré au pôle opérationnel de l’état-major des armées à Balard, l’EMO-santé dirige en permanence l’échelon opératif du SSA placé en OPEX, outre-mer ou en métropole. Il coordonne la projection des équipes et des structures, leur ravitaillement et, surtout, l’évacuation et le rapatriement des soldats malades ou blessés. Il permet de commander et de contrôler la manœuvre santé dans tout son spectre et de conserver ainsi une autonomie de décision. Ce savoir-faire permet d’activer instantanément et simultanément un ensemble de compétences pour répondre à une problématique donnée dans sa globalité. C’est ce que nous avons fait durant tout ce terrible week-end. C’est également ce que nous avions fait lors de la crise de fièvre ebola.

Enfin, la dernière des cinq aptitudes que je tenais à signaler concerne la doctrine d’emploi, qui est in fine la clé de voûte de toutes nos aptitudes. Cette doctrine régit l’ensemble de nos activités opérationnelles. Elle est continuellement révisée grâce aux enseignements tirés en permanence des retours d’expériences. Elle conduit le SSA à bâtir et planifier des scénarios de réponse aux crises. Elle est le fondement de notre auto-résilience, car elle garantit le recours à des moyens adaptés à la situation, par des équipes médicales correctement formées et présentes au bon endroit et au bon moment.

En conclusion, au-delà de son expertise, le SSA se singularise par une capacité d’action permanente et réactive, adaptable à son environnement, structurée par sa chaîne de commandement et sa doctrine d’emploi, qui intègre un soutien logistique autonome. Tout cela est rendu possible par les fortes valeurs d’engagement et de cohésion que partagent les personnels de notre service, comme ceux des armées en général.

Les savoir-faire des personnels du SSA, ainsi que les moyens dont il dispose, ont été utilisés lors des attentats qui ont frappé Paris en 2015. Pour être véritablement efficace dans de telles circonstances, l’expérience opérationnelle du SSA doit s’intégrer dans une réponse plus globale associant de nombreux autres acteurs. C’est bien ce que vise le SSA à travers la démarche d’ouverture, vers le service public de santé notamment, qui caractérise son nouveau modèle « SSA 2020 ».

M. le président Georges Fenech. Merci, monsieur le directeur central. Vous nous avez dit que le plan blanc avait été déclenché environ trente minutes après le début de la fusillade, lequel est intervenu vers 21 h 20. Vous avez également indiqué que les premiers blessés étaient arrivés quelques minutes avant minuit. Il s’est donc passé environ deux heures entre ces deux événements. Comment expliquez-vous ce temps de latence ?

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Nos médecins chefs ont été prévenus immédiatement que des attentats avaient lieu à Paris. Cette simple pré-alerte est intervenue trente minutes après le début des attentats. Il ne leur était pas encore demandé de prendre en charge des blessés, mais de se mettre en capacité de prendre en charge le plus rapidement possible dans leurs hôpitaux un nombre de blessés qu’il nous fallait indiquer. Il s’est effectivement écoulé environ deux heures entre la première mise en alerte des hôpitaux militaires et l’arrivée des blessés. Selon l’interprétation que je peux en faire, ce délai tient au fait qu’il a fallu mettre les blessés en condition d’évacuation et les transporter.

M. le président Georges Fenech. À moins que l’évacuation n’ait commencé que tardivement ? Avez-vous le cas échéant une autre explication que celle que vous avez donnée ?

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Non, je n’ai pas d’autre explication. Il est tout à fait logique que nous ayons été pré-alertés et qu’on nous ait demandé de nous mettre en capacité d’accueillir des blessés. Sur cette simple pré-alerte, nous avons activé le plan blanc. Nos hôpitaux ont été sollicités – ils n’ont pas été les seuls à l’être – au moment où la régulation l’a estimé nécessaire.

M. le président Georges Fenech. Quelle distance sépare le Bataclan et l’hôpital Bégin de Saint-Mandé ?

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. La question est plutôt celle du temps qui était nécessaire pour parcourir cette distance. À mon avis, la circulation devait être très perturbée. Je ne peux pas me prononcer sur le temps qui était nécessaire dans le contexte de cette nuit-là pour acheminer des blessés entre le lieu des attentats et l’hôpital Bégin.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Je salue le travail remarquable accompli par les personnels du SSA et de l’AP-HP.

Je complète la question posée par le président sur la prise en charge des blessés : pouvez-vous nous expliquer de manière très pédagogique comment ils ont été répartis entre les hôpitaux militaires et ceux de l’AP-HP ? La question du délai est évidemment importante, et les victimes ont un certain nombre d’interrogations à propos de la pré-hospitalisation. Le fait de déterminer s’il y a des places disponibles dans tel ou tel hôpital rallonge-t-il les délais ?

Considérez-vous que les choses se sont passées comme elles le devaient le 13 novembre – certes, les circonstances étaient exceptionnelles – ou bien avez-vous des critiques à formuler à cet égard ? Au regard de votre expérience, quelles sont, le cas échéant, les pistes d’amélioration ? J’aimerais avoir votre sentiment personnel à ce sujet.

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Je regrette de ne pas pouvoir répondre à votre première question : la régulation des blessés n’entre pas du tout dans le champ du SSA. Ainsi que je vous l’ai indiqué, une quarantaine de praticiens du SSA travaillent au sein de la BSPP, mais celle-ci n’est pas placée sous mon autorité. Je ne peux absolument pas éclairer cette commission sur ce qui a prévalu en matière d’orientation des blessés vers telle ou telle structure, ni vous donner un avis pertinent à ce sujet. Je n’ai d’ailleurs pas connaissance de ce qui s’est passé en la matière.

En revanche, pour ce qui est de votre seconde question, je peux vous dire exactement la façon dont nous avons vécu l’arrivée des blessés dans nos hôpitaux : premièrement, en aucun cas, nous n’avons été saturés malgré l’afflux important de blessés ; deuxièmement, en aucun cas, les blessés n’ont été mal orientés – si tel avait été le cas, cela aurait pu être dramatique pour certains d’entre eux. Tous les blessés qui ont été orientés vers les hôpitaux militaires parisiens ont pu être pris en charge par ces hôpitaux sans transfert secondaire. La première mise en alerte des hôpitaux visait à identifier et à vérifier au préalable leurs capacités d’accueil et leurs compétences, de manière à s’assurer de l’adéquation de ces compétences aux éventuels blessés à orienter. Cela a parfaitement fonctionné : à aucun moment, les HIA Bégin et Percy n’ont été saturés par un afflux non régulé d’ambulances. Les blessés sont arrivés en nombre important, mais la situation était parfaitement gérable et a d’ailleurs été parfaitement gérée, grâce aux techniques de catégorisation initiale que nous avons mise en œuvre. Voilà ce que je peux dire sur la question du pré-hospitalier.

M. le rapporteur. La question de la répartition ne relève pas de votre responsabilité, mais elle est posée. D’autre part, à vous écouter, j’ai le sentiment que vous auriez pu prendre en charge beaucoup plus de blessés dans les HIA Bégin et Percy. D’après les chiffres dont nous disposons – M. Hirsch pourra y revenir –, les hôpitaux Georges-Pompidou, Henri-Mondor et La Pitié-Salpêtrière, ainsi que Saint-Louis et Saint-Antoine en raison de leur proximité, ont accueilli à eux seuls 80 % des victimes. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de montée en charge des hôpitaux militaires et que d’autres hôpitaux civils qui avaient offert leurs services – de l’AP-HP ou hors AP-HP – n’aient pas été sollicités ?

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Dans un contexte opérationnel de guerre, sur les théâtres d’opération, nous sommes contraints de prendre en charge tous les blessés, quel que soit leur nombre. C’est aussi le cas pour un certain nombre d’opérations. Le 13 novembre au soir, les hôpitaux militaires parisiens n’ont pas été saturés au sens strict du terme, en tout cas pas au point d’être déstructurés, mais leur taux d’occupation a été largement suffisant. Certes, nous n’avons pas rappelé tous les personnels, ni ouvert en permanence tous les blocs opératoires. Mais, si nous avions dû le faire, ces hôpitaux auraient clairement été placés en mode de fonctionnement « anormal ». Nous avons eu à gérer une situation inhabituelle, mais cela n’a pas entraîné de dysfonctionnement. Les capacités des hôpitaux militaires parisiens, augmentées compte tenu du contexte, ont été utilisées de manière optimale. Je ne peux pas dire qu’il y avait une réserve d’accueil importante dans ces hôpitaux.

M. le médecin général inspecteur Dominique Vallet, adjoint « offre de soins et expertise » au directeur central du service de santé des armées. Ainsi que vient de l’évoquer le directeur central, les HIA Bégin et Percy n’ont pas été saturés, mais ils ont été largement utilisés, bien au-delà de leurs capacités habituelles de fonctionnement. Je dirais qu’ils ont été utilisés à 100 % de leurs capacités et des moyens humains disponibles, lesquels se sont d’ailleurs mobilisés spontanément. Il faut bien mesurer que trente-cinq blessés sont arrivés à l’HIA Bégin en l’espace d’une heure et demie – en trois vagues avec un intervalle d’une demi-heure – et que, de ce fait, les blocs opératoires ont fonctionné sans discontinuer pendant près de trente-six heures, compte tenu du temps nécessaire pour assurer un triage secondaire des patients, procéder à leur évaluation au service des urgences et les transférer vers les blocs.

À un moment donné, il peut y avoir encore des capacités d’accueil et de médicalisation des patients en urgence, mais les capacités des blocs opératoires rencontrent, elles, une limite, dans la mesure où l’accomplissement des gestes chirurgicaux demande un certain temps, même s’il ne s’agit que de gestes de première intention ou de sauvetage. Il faut aussi tenir compte des temps de récupération des équipes chirurgicales, qui sont nécessaires. Nous avions d’ailleurs pré-alerté des équipes militaires de province afin qu’elles rejoignent éventuellement les hôpitaux parisiens, tout en sachant cependant qu’il fallait aussi conserver des réserves là où elles se trouvaient, au cas où d’autres attentats seraient survenus sur le territoire.

M. le président Georges Fenech. Qui procède à l’identification préalable des capacités hospitalières en vue de l’orientation des blessés ?

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Ce sont les SAMU et la BSPP qui sont chargés de la régulation, et nous répondons à leurs sollicitations. M. Hisrsch est sans doute mieux placé que moi pour répondre.

M. Jean-Michel Villaumé. Le matin même du jour où les attentats se sont produits, un exercice de réponse à une attaque terroriste multisite a été organisé. Il a mobilisé de nombreux services hospitaliers, notamment les SAMU de Paris et de la région parisienne. Son objectif correspondait malheureusement à ce qui s’est passé le soir même. Avez-vous, le SSA et vous-même, monsieur le directeur central, été sollicités dans le cadre de cette répétition générale ?

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. J’ai appris a posteriori que cet exercice avait eu lieu et que des agents du SSA y avaient été associés. À ma connaissance, qui n’est peut-être pas exhaustive, cela a été l’occasion pour eux de s’assurer de leur capacité de réponse au cas où de tels attentats se produiraient, notamment de leur capacité à activer le plan blanc et à rappeler les personnels. Mais cela n’a pas été au-delà : il n’y a pas eu de simulation grandeur nature d’un afflux massif de blessés dans les hôpitaux militaires parisiens.

M. le président Georges Fenech. Pour la clarté de cette audition, avant de passer aux autres questions, je donne la parole à M. Hirsch pour son exposé liminaire.

M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. J’essaierai, dans mon exposé, d’apporter des éclaircissements sur certaines questions que vous avez commencé à aborder.

En droite ligne avec les propos de M. Debonne, j’indique que nous avons beaucoup travaillé, notamment au deuxième semestre 2014, sur les relations entre l’AP-HP et le SSA, d’une part, et entre l’AP-HP et la BSPP, d’autre part. Dans les deux cas, cela s’est traduit par la signature d’une convention – celle qui a été passée entre l’AP-HP et la BSPP a été préparée à la fin de l’année 2014 et officialisée au début de l’année 2015. Nous avons ainsi organisé nos relations quotidiennes et nos actions communes en matière de formation, d’exercices, de communication et de répartition de nos forces. Nous avons souhaité faire en sorte que nos trois organisations jouent un rôle complémentaire dans la prise en charge des blessés, à la fois en temps normal et en cas d’événements dramatiques. Ces conventions ont joué un rôle très important dans la coordination des secours et des moyens mis en place lors des moments tragiques que nous avons connus.

Au moins de janvier, plusieurs épisodes se sont produits en quatre jours. Nous avons pris en charge des victimes dans un état grave, en nombre bien évidemment beaucoup plus réduit qu’au mois de novembre. Cela a néanmoins été l’occasion d’examiner les conditions et les temps d’accès et de prise en charge. Nous avons également été confrontés à la prise en charge des victimes psychologiques, des proches et des témoins, tant de l’attentat contre Charlie Hebdo que de la prise d’otages à l’Hyper Cacher de Vincennes. Pour la première fois, nous avons organisé cette prise en charge dans un lieu unique, à l’Hôtel-Dieu, où des équipes de professionnels étaient disponibles, avec des psychiatres, des psychologues, des médecins somatiques et un certain nombre de volontaires. Nous avons ouvert cette structure d’accueil à l’Hôtel-Dieu dans l’après-midi du 7 janvier, l’avons maintenue en activité intense pendant plusieurs jours et l’avons laissé fonctionner encore plusieurs semaines. Nous avons constaté l’utilité de ce type de prise en charge et réfléchi à sa pérennisation, de manière à pouvoir l’activer dans d’autres situations exceptionnelles.

D’autre part, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur Villaumé, l’année 2015 a été consacrée à plusieurs exercices réguliers sur différents scénarios, certains étant malheureusement proches des événements que nous avons vécus. L’exercice le plus récent s’est tenu le matin même du 13 novembre, ce qui est bien évidemment le fruit d’un triste hasard. En revanche, le fait que ces exercices aient été organisés régulièrement n’était pas, lui, le fruit du hasard. Ce travail conduit par les services médicaux de l’AP-HP et les autres services de l’État visait à nous préparer à différentes éventualités. Il se poursuit bien sûr aujourd’hui. Ces exercices sont fondamentaux.

Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le président, l’AP-HP regroupe trente-neuf hôpitaux, mais elle exerce aussi une responsabilité dans le pré-hospitalier, puisqu’elle compte en son sein quatre SAMU, ceux de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le SAMU de Paris joue le rôle particulier de SAMU de zone : lorsque des moyens sont déployés au-delà de son propre ressort, sa responsabilité opérationnelle s’étend à tous les autres SAMU de la zone de défense et de sécurité.

Le 13 novembre, les premiers événements s’étant produits à proximité du Stade de France, le premier SAMU activé a été celui de la Seine-Saint-Denis ; il est arrivé quelques minutes après sur les lieux. Ensuite, lorsqu’a été connue l’information selon laquelle des fusillades se déroulaient dans Paris intra-muros, les autres SAMU, notamment celui de Paris, et la BSPP ont eux aussi été activés et sont arrivés sur les lieux. Le SAMU de Paris et la BSPP disposent chacun d’un système de régulation central. Il y a des relations, d’une part, entre ces deux systèmes centraux et, d’autre part, entre les acteurs sur le terrain.

Cette nuit-là, le contexte pré-hospitalier a été marqué par des éléments particuliers par rapport aux planifications que nous pouvons faire. Première caractéristique : certaines fusillades s’étant produites à proximité immédiate d’hôpitaux, des victimes ont pu se rendre spontanément dans ces établissements, soit par leurs propres moyens, soit portés par d’autres blessés, soit avec l’assistance d’équipes médicales qui sont sorties des hôpitaux pour aller les chercher. L’AP-HP a donc connu une situation symétrique à celle qu’a évoquée M. Debonne : les premiers blessés sont arrivés dans nos hôpitaux très rapidement, avant le déclenchement du plan blanc. Tel a été le cas à Saint-Louis et à Saint-Antoine, qui ne sont pas particulièrement destinés à la prise en charge de victimes souffrant de traumatismes lourds, mais se sont organisés en quelques minutes pour faire face à la situation.

Dans le même temps, les SAMU et les pompiers ont mis en place conjointement le mécanisme de régulation pour transporter les blessés graves vers d’autres établissements. Environ 130 véhicules de l’AP-HP ont été mobilisés à cette fin. Il existe certaines règles : Paris et la petite couronne sont divisés en quartiers, afin que l’on puisse trouver les chemins les plus courts vers les hôpitaux les plus appropriés. Un recensement des moyens disponibles et des équipes prêtes est effectué soit par le centre de régulation du SAMU de Paris, soit par le centre de crise de l’AP-HP. Les médecins chargés de la régulation ont dont connaissance de la réalité des disponibilités par rapport au schéma théorique du nombre de places en bloc opératoire ou en réanimation.

Deuxième caractéristique du contexte : il était très évolutif. Au moment où les fusillades ont commencé dans Paris, personne ne savait ce qui pouvait se produire, notamment à la suite des premières explosions au Stade de France. Quant à la situation au Bataclan, elle ne s’est révélée qu’un peu plus tard. Le nombre des terroristes et leurs déplacements n’étaient pas connus. Dans ces conditions, les équipes de régulation – les professionnels que vous avez prévu d’auditionner vous le diront avec plus de précision et de compétence que moi – ont fait le choix de concilier deux objectifs : d’une part, faire en sorte que les victimes, notamment celles qui relevaient de l’ «  urgence absolue », arrivent dans des établissements complètement prêts à les prendre en charge pour des traumatismes complexes ; d’autre part, conserver des établissements disponibles pour accueillir des blessés supplémentaires au cas où le bilan s’alourdirait au-delà des premières dizaines ou centaines de victimes recensées, par suite des attaques en cours ou d’éventuelles autres attaques.

La prise en charge des blessés a été organisée au sein de l’AP-HP en utilisant au mieux des établissements très équipés, notamment les hôpitaux Georges-Pompidou et de La Pitié-Salpêtrière. Quant à Saint-Louis et Saint-Antoine, qui n’ont pas vocation à être mobilisés lors d’une attaque de cette nature, ils ont reçu des renforts en personnel, venus en partie d’autres établissements. Enfin, nous avons mis d’autres hôpitaux en alerte pour qu’ils accueillent un petit nombre de blessés envoyés par la régulation ou se présentant spontanément.

Lorsque des voies d’accès étaient fermées pour des raisons de sécurité, il a pu arriver que les véhicules de secours soient déroutés : partis vers un hôpital, ils ont été réorientés vers un autre établissement. À cet égard, le fait que plusieurs hôpitaux aient été mobilisés représentait un avantage : cela a permis au système de s’adapter au fur et à mesure des contraintes de terrain liées aux événements dramatiques en cours.

Ainsi que j’ai pu en juger par moi-même tout au long de la nuit, nous avons vérifié en permanence la capacité de prise en charge de blessés, notamment de blessés graves, par les différents hôpitaux, d’abord par ceux de l’AP-HP, puis par ceux de la région Île-de-France – hôpitaux militaires, hôpitaux généraux hors AP-HP ou établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) – qui ont été mobilisés par l’Agence régionale de santé (ARS), en étroite relation avec nous. Assez rapidement, des établissements situés hors de l’Île-de-France ont également été mis en alerte, notamment des CHU disposant de moyens de transport héliportés avancés, afin qu’il n’y ait pas de perte de chance pour les patients au cas où le nombre de blessés graves aurait dépassé les quelques centaines.

Ce qu’a indiqué M. Debonne à propos des hôpitaux placés sous sa responsabilité vaut aussi pour ceux qui sont placés sous la mienne : la répartition des blessés a été faite de telle sorte que certains établissements spécialisés prennent en charge le plus grand nombre possible de patients sans atteindre leurs limites. Je peux vous en donner une illustration très claire : l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, qui a pris en charge de nombreux blessés graves dans les toutes premières heures, avant que l’hôpital européen Georges-Pompidou ne prenne le relais, a pu continuer dans le même temps à sauver des vies en procédant à des interventions très lourdes, notamment à une greffe de cœur et à une greffe de rein. Cela vous montre la force de ces établissements et leur capacité de mobilisation : en quelques minutes, une dizaine de blocs opératoires ont été ouverts en parallèle. Or ouvrir un bloc opératoire, ce n’est pas seulement en ouvrir la porte : c’est faire en sorte que l’ensemble des équipes – chirurgicale, médicale, d’anesthésie, paramédicale – soient disponibles, ce qui a été le cas. Dans aucun de nos établissements, nous n’avons déploré de manque de personnel ou de matériel.

Et je parle de l’ensemble des personnels : non seulement de ceux auxquels on pense immédiatement et que je viens d’évoquer, mais aussi de ceux qui assurent des fonctions support, par exemple la stérilisation des instruments ou la fourniture de médicaments et de matériel. À aucun moment, je le répète, il n’y a eu de manque de personnel, malgré les petites incertitudes que nous avons eues concernant l’accès aux établissements : cette nuit-là, plusieurs périmètres ont été bouclés, et les membres du personnel n’avaient pas nécessairement sur eux leur carte professionnelle ou un document prouvant leur appartenance à une équipe hospitalière. Cela n’a pas eu de conséquences, car nous avons eu de nombreux contacts avec les services de police pour faciliter leur accès aux hôpitaux. De même, en janvier 2015, la circulation avait été coupée ou perturbée sur certaines voies de communication pour des raisons de sécurité, ce qui avait compliqué le trajet de certains de nos agents jusqu’à leur établissement, notamment lorsqu’ils habitaient – c’est souvent le cas – relativement loin de celui-ci. C’est un point important sur lequel nous travaillons aujourd’hui.

En résumé, la prise en charge des blessés s’est faite selon un schéma pensé et organisé pour maintenir des capacités techniques disponibles en cas d’évolution ultérieure, mais, comme toute action planifiée, elle a aussi dû s’adapter à la réalité, c’est-à-dire aux conditions d’accès à tel ou tel établissement. Certains patients qui étaient en route vers un hôpital ont donc probablement été réorientés vers un autre, sans que cela soit le résultat d’une improvisation, car, à tout moment, les régulateurs avaient connaissance des disponibilités dans les différents établissements. J’insiste sur ce point : la capacité de prévision, qui implique un recensement des besoins et des moyens, ainsi que des exercices préalables, doit aller de pair avec une capacité d’adaptation des acteurs sur le terrain.

À l’AP-HP, nous avons notifié le déclenchement du plan blanc à nos hôpitaux à 22 h 34. Pourquoi ai-je pris la décision à ce moment-là ? Dans la demi-heure qui a précédé, nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de mobiliser tous les établissements à l’échelle de l’AP-HP, ce qui, à ma connaissance, ne s’était jamais fait. Cela présentait un avantage : déployer l’ensemble de nos capacités. Mais cela présentait aussi un risque : mobiliser sur une nuit des hôpitaux qui pourraient, de ce fait, ne pas « tenir » dans la durée. Cependant, nous avons considéré que le caractère évolutif de la crise, le nombre de lieux touchés dans Paris et à Saint-Denis, ainsi que les fortes incertitudes concernant le nombre de victimes possibles au Bataclan – à 22 h 34, nous ignorions ce qui s’y passait ; nous savions seulement qu’un grand nombre de personnes y étaient enfermées avec des terroristes – justifiaient la mise en alerte de l’ensemble de nos hôpitaux. Ils ont donc tous rappelé du personnel, sachant qu’il est difficile de faire la part entre ceux qui ont répondu à ce rappel et ceux qui sont revenus spontanément. Encore une fois, il n’y a eu de manque de personnel dans aucun établissement, ni dans les heures immédiatement après les attentats, ni dans les jours qui ont suivi.

Comme vous le savez, parmi plusieurs centaines de blessés, au moins une centaine d’ « urgences absolues » ont été prises en charge dans nos hôpitaux. Il y a eu quelques transferts secondaires, mais pour des raisons tout à fait justifiées. Ce que tous nos chirurgiens et nos médecins nous ont dit, c’est qu’ils ont pu intervenir, certes dans des circonstances exceptionnelles, mais dans les mêmes conditions de sécurité et de qualité que la semaine précédente ou la semaine suivante, c’est-à-dire dans les conditions de prise en charge sanitaire qui sont prévues dans ces établissements de très grande technicité. En d’autres termes, nous ne nous sommes pas mis en situation de devoir transiger sur la qualité et la sécurité des soins ; aucun professionnel n’a eu l’impression de pratiquer une chirurgie ou une médecine dégradée. C’est pourquoi la plupart des patients, y compris ceux qui souffraient de blessures extrêmement graves, ont été sauvés. Sur les centaines de victimes qui sont parvenues jusque dans les hôpitaux, quelques-unes seulement sont décédées : deux à leur arrivée, une le 14 novembre au matin, une autre quelques jours plus tard. Ces données n’ont pas de valeur scientifique, mais des études plus poussées permettraient probablement de les confirmer.

La question de l’information s’est rapidement posée : nous avons aussitôt reçu des appels, ce qui nous a conduits à activer notre système de réponse téléphonique en mettant en place un numéro dédié, celui que nous utilisons en général en journée lorsque des personnes ont perdu de vue un de leurs proches et veulent savoir s’il est hospitalisé. À cette fin, les établissements ont communiqué à la cellule de crise l’ensemble des données concernant l’identité des victimes. Le numéro a été opérationnel vers 1 heure du matin dans la nuit du 13 au 14 novembre. Nous avons reçu environ un millier d’appels à ce numéro dans les vingt-quatre premières heures, puis environ 4 000 dans les jours qui ont suivi.

J’insiste sur le fait que nous pouvions répondre à une seule question : lorsque l’on nous donnait un nom, dire si cette personne était ou non hospitalisée dans un établissement de l’AP-HP. Nous avons été en mesure de fournir cette information très rapidement au cours de la nuit et, avec une certitude quasi complète, au début de la matinée du samedi 14 novembre. Notre système étant centralisé, les proches n’avaient pas à faire le tour des différents hôpitaux de l’AP-HP. Mais, bien évidemment, nous ne pouvions pas indiquer si une personne qui ne figurait pas sur notre liste était hospitalisée dans un établissement hors AP-HP, ni dire ce qu’elle était devenue. Telles sont les questions extrêmement douloureuses qu’un certain nombre de proches ont pu se poser pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. Certaines familles ont connu un parcours atroce, se rendant d’un hôpital à un autre. Les personnes qu’elles cherchaient pouvaient être, entre autres, décédées ou réfugiées ailleurs. Nous avons donc mis en place, dans chacun de nos hôpitaux, des équipes chargées de leur répondre.

En outre, à la lumière de notre expérience du mois de janvier, nous avons mis en place à l’Hôtel-Dieu, un peu avant minuit, un lieu pouvant recevoir des proches ou des personnes s’étant trouvées sur les lieux des attentats mais ne souffrant pas de blessures graves. Ainsi que j’ai pu le constater en me rendant sur place, un grand nombre de psychiatres et de psychologues étaient disponibles dans la nuit à l’Hôtel-Dieu. Ils ont reçu relativement peu de patients dans les premières heures, notamment parce que d’autres centres étaient ouverts.

Le samedi matin, nous avons constaté qu’un certain nombre de numéros étaient saturés, que les sources d’information étaient cloisonnées et qu’il y avait une limite aux informations que nous pouvions fournir – comme vous le savez, les hôpitaux ne donnent pas d’information concernant les décès lorsqu’une enquête est ouverte. On a alors ressenti le besoin de prévoir un lieu où seraient centralisées et mises à jour l’ensemble des informations à destination des familles et des proches, et où seraient présentes les autorités habilitées à délivrer ces informations, ainsi que des soutiens psychiatriques et psychologiques. En fin de matinée, les autorités gouvernementales ont décidé que ce lieu serait l’École militaire. Celle-ci a pu recevoir les familles à partir de 15 heures.

Bien évidemment, l’AP-HP a elle aussi assuré un soutien psychologique et pris en charge des victimes du stress gravissime consécutif aux attentats. Ainsi, plus de 1 000 personnes sont venues en consultation soit pour recevoir un appui et des soins, soit pour obtenir un certificat de la part d’un médecin. Le flux de patients a été très important pendant au moins une dizaine de semaines – la deuxième quinzaine de novembre, le mois de décembre et l’ensemble du mois de janvier. Les équipes de l’Hôtel-Dieu, les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) qui avaient été déployées au cours de la nuit du 13 au 14 novembre et les équipes qui ont pris leur relais ont donc vu un grand nombre de patients.

Les agents de l’AP-HP, quels que soient leur métier et leur grade, ont fait preuve d’une conscience professionnelle – je dirais même d’une « conscience vocationnelle » – tout à fait remarquable. Mais il faut aussi rappeler le choc que cela a été pour ces professionnels : ils ont été confrontés à une situation d’une rare violence, au fait que beaucoup de victimes étaient jeunes, à des blessures gravissimes, à des chocs psychologiques et somatiques, à la douleur des proches et des victimes. Nous avons donc mis en place des mécanismes de soutien psychologique à la fois collectifs et individuels. Ils ont été beaucoup utilisés et le seront encore dans les mois qui viennent. Cette dimension doit être prise au sérieux pendant une longue période.

Je confirme ce que M. Debonne vous a indiqué pendant la première partie de l’audition : nos moyens n’ont pas été saturés, et ils ont été mobilisés pour faire face à une éventuelle dégradation de la situation. Au nom des équipes que je représente, je dois dire que, lors des nombreux retours d’expérience que nous avons organisés, personne n’a évoqué de désorganisation des secours, de quelque point de vue que ce soit – administratif, technique, logistique, chirurgical ou médical –, y compris dans les heures qui ont immédiatement suivi les attentats. Je ne parle pas là des difficultés de terrain rencontrées lors de la phase pré-hospitalière compte tenu des conditions extrêmement difficiles, mais de l’intervention une fois que l’accès aux victimes a été possible. C’est à mettre au crédit du très grand professionnalisme des équipes qui ont été mobilisées. Et je mets sur un même plan celles et ceux qui ont dû faire face à un afflux de blessés extrêmement important et celles et ceux qui étaient en réserve avec peu ou pas de blessés à prendre en charge, mais dont le rôle est tout aussi important dans des circonstances de cette nature. C’est pourquoi nous faisons en sorte que les exercices concernent non seulement celles et ceux qui risquent de se retrouver en première ligne, mais aussi celles et ceux qui seront en seconde ligne.

Nos institutions tiennent un double rôle : le premier, visible et tout à fait fondamental, est d’apporter une réponse sanitaire ; le second est d’être un facteur de stabilité face à la menace. Si je peux m’exprimer au nom de mes équipes, tout le monde sent, au-delà de l’effet des bombes et des balles de kalachnikov, une tentative de déstabilisation psychologique. Et nous voyons dans les exercices que nous organisons et dans la discipline dont font preuve les différentes équipes une réponse à cette deuxième menace, qui tue certes moins directement que la première, mais s’avère tout aussi redoutable. Même si chacun est touché dans sa chair, ainsi que vous avez pu le constater en entendant de nombreux témoignages, les équipes ont montré un grand sang-froid.

Nous avons tenu à ce que nos établissements rendent des comptes dans les heures, les jours et les semaines qui ont suivi les attentats, tout en restreignant fortement l’accès des médias à nos établissements, car il fallait à la fois permettre aux équipes de travailler et préserver le secret professionnel et médical. C’est un élément important pour la stabilité d’un dispositif sanitaire dans des conditions aussi dramatiques que celles que nous avons vécues.

M. le président Georges Fenech. Merci beaucoup, monsieur le directeur général, pour cet exposé très complet.

M. le rapporteur. Vous avez expliqué que la prise en charge avait été concentrée principalement sur trois établissements ainsi que sur deux hôpitaux de proximité tout simplement parce que l’on ne savait ce qui pouvait arriver. Cependant, pourquoi les hôpitaux qui ne dépendent pas de l’AP-HP n’ont-ils pas été mobilisés davantage ?

Ainsi que certains responsables politiques l’ont dit, nous faisons face à une situation de guerre avec l’emploi d’armes de guerre. Les hôpitaux ont dû traiter des blessures de guerre reçues en plein cœur de Paris. Vous avez indiqué que la prise en charge médicale et chirurgicale n’avait en rien été dégradée. Pour sa part, M. Debonne a évoqué le damage control. La doctrine de l’AP-HP sur ce type d’intervention et de prise en charge a-t-elle évolué au regard de l’expérience qui a été la sienne le 13 novembre ?

Les associations de victimes, que nous avons reçues il y a quelques semaines, nous ont beaucoup fait part de leurs difficultés à obtenir des informations sur l’identité des victimes, notamment de la part de l’AP-HP. Ainsi que vous l’avez rappelé, cela a été un parcours du combattant pour certaines personnes. Compte tenu des retours d’expérience, comment envisagez-vous d’améliorer le dispositif d’information, en particulier à destination des familles ?

M. Martin Hirsch. Dans de telles circonstances, la préoccupation est non pas d’assurer une répartition harmonieuse des victimes entre les différents établissements, mais de faire en sorte – cela a bien été le cas – qu’aucun patient n’arrive dans un endroit où l’on soit débordé.

En tant que directeur général de l’AP-HP, je ne me suis pas occupé de la régulation, et c’est très bien ainsi : les décisions de régulation ne sont pas politiques ou administratives, elles doivent être purement médicales et opérationnelles. Je les constate a posteriori. Et je peux dire a posteriori que, si j’avais eu la légitimité pour le faire, je n’aurais pas donné d’instructions différentes de celles qui ont été données.

Si l’on examine les lieux des attentats, la répartition géographique des victimes s’explique aisément.

Le premier attentat s’est produit à côté du Stade de France. L’AP-HP dispose de deux établissements relativement proches : au nord de Paris, les hôpitaux Beaujon et Bichat, qui font partie du même groupe hospitalier et, à Bobigny, l’hôpital universitaire Avicenne. Ces deux établissements ont été préservés.

À proximité du Bataclan et des lieux des autres fusillades se trouvent les hôpitaux Lariboisière, Saint-Louis, Saint-Antoine et de La Pitié-Salpêtrière. Logiquement, c’est cet ensemble d’établissements qui a été sollicité.

Le seul établissement qui a été sollicité à quelque distance de ce périmètre est l’hôpital européen Georges-Pompidou. Il l’a été pour une raison assez simple : c’est l’un des rares hôpitaux qui dispose de toutes les spécialités nécessaires – chirurgie orthopédique, chirurgie du rachis, réanimation, chirurgie cardiaque et vasculaire, etc. Certains établissements m’ont dit qu’ils auraient pu faire venir d’autres équipes en renfort de leurs spécialités, mais il valait mieux faire appel à des établissements parfaitement adaptés et complètement armés.

J’ajoute que, à Paris, les hôpitaux et les services d’urgences ne chôment pas, même en période normale. Il est donc assez logique de garder des établissements pour faire face aux urgences quotidiennes, par exemple aux infarctus.

La règle veut que l’on « croise » la disponibilité des établissements et leur labellisation. L’hôpital de La Pitié-Salpêtrière est labellisé pour l’accueil des polytraumatisés. L’hôpital Bichat-Beaujon l’est aussi, mais il a été mis en réserve précisément pour cette raison. Encore une fois, lorsqu’on l’examine a posteriori, la répartition des victimes me paraît avoir répondu à l’objectif d’intérêt général qu’est la protection des patients.

Les professionnels que vous auditionnerez ultérieurement seront plus légitimes et plus compétents que moi – qui ne suis pas médecin – pour répondre à votre question sur les évolutions de la prise en charge. En tout cas, celles-ci n’ont pas été décidées dans la nuit du 13 au 14 novembre. Les armes très meurtrières qui ont été utilisées provoquent en effet beaucoup de blessures et de traumatismes. Ces derniers temps, nos équipes, surtout les équipes pré-hospitalières, ont eu des échanges nourris avec leurs collègues français, mais aussi britanniques, espagnols et américains, afin d’adapter leur prise en charge. Les conditions balistiques dictent les conditions de prise en charge.

Nous travaillons beaucoup sur les questions d’identification des victimes et d’information. Il y a plusieurs aspects. D’abord, il faut établir plus rapidement et mieux une liste consolidée des victimes prises en charge dans les différents établissements, non seulement dans les trente-neuf hôpitaux de l’AP-HP, mais aussi dans les autres hôpitaux, où les blessés ont pu arriver par leurs propres moyens. Cela a été fait sous l’égide de l’ARS non pas dans les premières heures, mais dans les jours qui ont suivi.

Ensuite, il existe un délai incompressible – que je ne suis pas en mesure d’évaluer – pour l’identification des victimes décédées, compte tenu du temps nécessaire à l’enquête et aux opérations d’identification parfois extrêmement délicates qu’il faut réaliser. Cette attente restera douloureuse pour les proches et les familles.

Enfin, selon moi, c’est une bonne chose de consacrer un lieu central et accessible à l’accueil des familles et des proches. Nous avions suggéré que ce lieu soit l’Hôtel-Dieu, que nous venions d’ouvrir. Ce n’est pas le choix qui a été retenu, pour des raisons de sécurité que je comprends très bien. Nous sommes prêts à organiser, pour l’avenir, un lieu analogue à l’Hôtel-Dieu, offrant des conditions d’accueil adéquates, doté du personnel et des moyens informatiques requis, qui soit considéré par les différents acteurs comme un lieu naturel pour recevoir les familles et les proches.

M. Philippe Goujon. J’exprime toute ma reconnaissance et mon admiration aux équipes qui sont intervenues à Paris dans des conditions aussi particulières et difficiles.

En temps normal, les hôpitaux de l’AP-HP font face à un afflux considérable de patients, notamment dans leurs services d’urgences. Ceux-ci sont saturés de manière quasi permanente. Même si chacun fait ce qu’il peut, il n’est pas rare que l’on attende jusqu’à six ou sept heures aux urgences dans les hôpitaux parisiens, par exemple à l’hôpital Georges-Pompidou, qui est situé dans l’arrondissement dont je suis maire. Comment peut-on concilier l’arrivée de blessés de guerre en grand nombre, comme cela a été le cas, avec l’afflux régulier de personnes qui réclament des soins aux urgences ? Dans un tel cas de figure, que deviennent les personnes qui ne sont pas prises en charge aux urgences ?

Les établissements hospitaliers qui ne relèvent ni de l’AP-HP ni du SSA n’ont presque pas été sollicités pendant cette crise. À ma connaissance, très peu de blessés – il serait d’ailleurs intéressant d’en connaître le nombre exact – ont été orientés vers ces établissements, alors qu’ils auraient pu les prendre en charge dans les mêmes conditions, sans bouleverser l’organisation générale des urgences. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Je soulève à nouveau cette question, car de nombreux médecins et responsables d’établissements hospitaliers parisiens se la posent. Ils ont attendu « l’arme au pied » – passez-moi l’expression – que des blessés arrivent, mais cela ne s’est pas produit, alors que certains hôpitaux de l’AP-HP étaient saturés.

Les chirurgiens des hôpitaux civils ne sont pas accoutumés à traiter des blessés souffrant de blessures de guerre. Existe-t-il une formation ou une préparation à la médecine de guerre pour le personnel hospitalier civil ? Si tel n’est pas le cas, a-t-il été décidé d’en mettre une en place, notamment depuis les attentats ? Le SSA, l’AP-HP et, le cas échéant, d’autres organismes coopèrent-ils en la matière ?

Les hôpitaux de l’AP-HP sont-ils eux-mêmes suffisamment protégés contre les risques d’attentat ? J’imagine que ceux du SSA le sont. Si un attentat se produisait dans un hôpital, la crise pourrait être encore beaucoup plus grave que celle que nous avons connue.

M. Serge Grouard. Je voudrais revenir sur ce qui s’est passé au cours de la nuit à proximité des lieux des attentats. Vous avez évoqué, monsieur le directeur général, des « difficultés de terrain », expression qui m’a alerté. De quelle nature étaient-elles ? On comprend très bien que des membres du personnel médical aient pu rencontrer des difficultés pour rejoindre leurs hôpitaux respectifs, ainsi que vous l’avez expliqué. Mais, qu’en est-il des professionnels de santé relevant des SAMU ou des sapeurs-pompiers – nous aurons l’occasion de les entendre ? Ont-ils eu des difficultés pour accéder aux blessés qui se trouvaient sur les lieux des attentats ou à proximité ? Comment le premier secours s’est-il passé très concrètement ? Je fais référence aux témoignages des victimes que nous avons reçues il y a quelques semaines. Plusieurs nous ont dit avoir été prises en charge après un certain délai, qu’elles ont parfois quantifié. L’une d’entre elles a relaté les faits suivants : elle a appelé de son téléphone portable pour signifier qu’elle était à tel endroit, qu’elle était blessée et qu’elle perdait beaucoup de sang ; les personnels de santé ont été mis au courant très vite, mais ils n’ont pas pu accéder à elle alors qu’elle ne se trouvait pas à proximité immédiate du Bataclan. Il semble donc que des professionnels de santé n’aient pas pu franchir certains périmètres de sécurité. Comment la coordination avec les forces de police s’est-elle passée ?

M. le président Georges Fenech. Nous auditionnerons les SAMU et les sapeurs-pompiers le 16 mars. Ils pourront apporter des éléments de réponse à votre question.

M. Martin Hirsch. On attend en effet trop longtemps aux urgences. Ce n’est pas normal, et je suis le premier à le reconnaître. Nous avons pris l’engagement de diviser par deux le délai moyen de prise en charge dans les services des urgences – qui est actuellement un peu inférieur à quatre heures – sur la durée de notre plan stratégique. Nous travaillons beaucoup sur ce point.

Cependant, cela n’a aucun impact sur les conditions de prise en charge dans des circonstances telles que celles du 13 novembre, pour plusieurs raisons. Premièrement, les blessés suivent alors un circuit préparé. Ils sont souvent pris en charge directement en salle de réveil sans passer par l’infirmière d’orientation, notamment. C’est l’une des forces de cette prise en charge. Deuxièmement, outre le rappel du personnel, le plan blanc a pour objet de « faire de la place », non pas au sens physique du terme, mais en accélérant le circuit des patients déjà présents dans l’hôpital. Par exemple, un patient se trouvant en salle de réveil va passer plus rapidement à l’étape suivante. Il n’y a eu aucune difficulté de ce point de vue le 13 novembre. Ainsi que me l’ont rappelé certaines équipes le lendemain, elles s’y étaient préparées le matin même, lors de l’exercice mentionné précédemment.

D’autre part, j’y insiste, en raisonnant en professionnels, les agents des hôpitaux de l’AP-HP ou hors AP-HP qui n’ont pas pris en charge de victimes ne devraient pas exprimer de frustration. Ils pourraient le faire si les hôpitaux qui ont été en première ligne avaient été débordés et avaient mal pris en charge les victimes. Or tel n’a pas été le cas. Partager le flux de patients entre l’hôpital Saint-Joseph et l’hôpital européen Georges-Pompidou plutôt que de les orienter tous vers ce dernier aurait été une mauvaise décision médicale, car les équipes de Georges-Pompidou avaient préparé tous les aspects de la prise en charge – matériel, stérilisation, etc. Imaginez l’inverse : que l’on ait réparti les victimes entre les hôpitaux dans un souci d’équité et que l’une d’entre elles ait été mal prise en charge…

En tant que directeur de l’AP-HP, responsable à la fois d’une partie du pré-hospitalier – les quatre SAMU que j’ai cités – et de l’hospitalier, j’estime qu’il faut assumer complètement la répartition qui a été faite. Elle était rationnelle du point de vue de la qualité de la prise en charge. Elle a d’ailleurs permis à certains établissements, qui n’étaient pas nécessairement labellisés pour l’accueil des polytraumatisés, de faire face à un plus grand nombre de « petites » urgences. Les gens qui regardaient les actualités en continu savaient que, s’ils se faisaient une entorse, ce n’était guère le moment d’aller à Georges-Pompidou, et qu’il y avait d’autres hôpitaux qui n’étaient pas, eux, en première ligne.

Concernant la prise en charge sur les lieux des attentats, il y a eu des difficultés de deux ordres. D’une part, ainsi que les acteurs de terrain pourront en témoigner, certains endroits étaient sécurisés, notamment le Bataclan et ses abords, parce que les rafales de tirs continuaient et qu’il s’agissait d’éviter des victimes supplémentaires. De ce fait, les secours n’ont pas pu accéder immédiatement à certains blessés – dont, probablement, le journaliste du Monde que vous avez reçu. Les forces de police dissuadaient les médecins secouristes d’emprunter telle ou telle rue, les instructions étant alors de se mettre à l’abri sous les porches ou dans les rues avoisinantes. Telle a été la logique. J’ignore s’il y a des choses à revoir en la matière. Rappelons que la situation était inédite : nous étions en plein Paris, le nombre de terroristes était indéterminé, de même que la quantité d’armes dont ils disposaient.

D’autre part, de manière moins dramatique, nous avons été alertés sur le cas d’infirmières bloquées à des barrages alors qu’elles rejoignaient, par exemple, l’hôpital Saint-Louis. J’ai appelé le préfet de police de Paris et ses collaborateurs, et nous nous sommes mis d’accord sur le fait que, compte tenu des circonstances, tout moyen d’identification pouvait convenir. Nous nous sommes aussi entendus sur un numéro d’appel permettant de vérifier l’identité des personnes en cas de doute. Actuellement, nous travaillons à la mise au point d’une carte d’identification identique au badge d’accès qui serait mise à jour plus régulièrement et que chaque membre du personnel conserverait sur lui en permanence. Tout le monde ne disposait pas d’un tel document le 13 novembre.

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Je souhaite revenir sur la question posée par M. Goujon à propos des urgences et apporter l’éclairage du SSA en la matière, en complément de la réponse de M. Hirsch. Je rappelle que je suis médecin de formation.

Dans une situation telle que celle que nous avons vécue le 13 novembre, il y a deux mots-clés à retenir : « circuit séparé » et « catégorisation ». En cas d’afflux massif de blessés, ce n’est pas le même circuit qui est emprunté, et ce n’est pas non plus le personnel du service d’accueil des urgences (SAU) qui est sollicité pour les prendre en charge. La catégorisation des blessés – on parle aussi parfois de « tri » – est une méthode que nous avons apprise sur les théâtres d’opérations et que nous avons implantée dans nos hôpitaux sur le territoire national. Elle est tout à fait adaptée en cas d’afflux de blessés en grand nombre, ou en nombre moins important mais dans un état grave, ce qui peut avoir un effet très déstructurant sur l’activité. Il s’agit de faire en sorte que le plus grand nombre de blessés aient le maximum de chances de survie et de moindres séquelles.

D’une part, il est important de dédier un circuit particulier à la catégorisation : elle ne peut pas se faire dans les locaux d’un SAU, quel qu’il soit. Dans la nuit du 13 au 14 novembre, nous avons mis en place de tels circuits dédiés dans les HIA Bégin et Percy. D’autre part, les personnels qui vont devoir accomplir cet acte médical majeur, qui consiste à déterminer qui relève de l’urgence absolue et qui relève de l’urgence relative, doivent être pré-identifiés. Il doit s’agir de professionnels particulièrement avertis : on affecte toujours à cette tâche les professionnels les plus expérimentés.

En tout cas, il faut se préparer en amont à la catégorisation. Car, si l’on découvre cette méthode au moment où l’on est confronté aux événements, c’est plus compliqué. D’après notre expérience, la prise en charge d’un afflux massif de blessés n’entre pas en concurrence avec le fonctionnement quotidien d’un SAU, car les personnels les plus concernés ne sont pas les médecins urgentistes du SAU : on mobilise d’autres compétences, celles d’anesthésistes-réanimateurs et de chirurgiens, j’y insiste, particulièrement expérimentés.

Nous avons été confrontés, nous aussi, à une certaine frustration des personnels, soit parce qu’ils étaient dans des structures hospitalières qui n’ont pas eu de blessés à prendre en charge, soit parce que nous n’avons pas fait appel à eux alors qu’ils auraient souhaité venir – nous avons voulu les garder en réserve, car nous ne savions pas, nous non plus, ce qui pouvait se passer. Ce sentiment de frustration est parfaitement compréhensible, d’autant que nous n’avions peut-être pas assez préparé les personnels à une telle situation, plus coutumière sur les théâtres d’opérations extérieures. Nous en avons tiré la leçon qu’il fallait désormais mettre les cartes sur la table en amont vis-à-vis d’eux, en leur disant clairement que, si un événement se produit, ils doivent attendre qu’on les appelle. C’est sans doute préférable à un afflux massif de personnel, qui peut être déstabilisant.

J’en viens à la question de la formation.

D’abord, il faut bien comprendre que la chirurgie de guerre est non pas une série d’actes techniques ou une méthode qu’il s’agit d’appliquer, mais la prise en charge globale de blessés graves dans un contexte de guerre. Cela revient à se poser la question de ce qu’est un contexte de guerre. Or – c’est un point majeur – il n’y a pas de contexte de guerre univoque, ce qui signifie qu’il n’y a pas de recette. En d’autres termes, sur un théâtre d’opérations extérieures ou en plein cœur de Paris, ce n’est pas la même chose.

Certes, il existe des techniques, notamment le damage control, dont nous avons parlé. C’est une technique qui vise à préserver toutes les chances du patient mais en tenant compte des conditions d’exercice, la première d’entre elles étant l’afflux massif de blessés. Passer plusieurs heures à opérer un seul patient lorsqu’il y a d’autres urgences absolues à côté, cela soulève de nombreuses questions du point de vue éthique. Le damage control permet précisément de donner le plus grand nombre de chances au plus grand nombre de blessés, ce qui est parfaitement recevable tant du point de vue technique que du point de vue éthique.

La chirurgie de guerre, ce sont donc des gestes techniques, le cas échéant sur des plaies particulières, mais dans le cadre d’une prise en charge beaucoup plus globale qui tient compte du contexte, lequel peut être agressif. À Paris, dans la nuit du 13 au 14 novembre, d’après les retours que nous avons eus, il y avait de l’agressivité au moment où les soignants sont intervenus. C’est une situation que nous vivons quotidiennement sur les théâtres d’opération et qui impose des techniques particulières. Quant aux plaies par balle, elles ne sont pas propres à la chirurgie de guerre : on en soigne couramment à l’AP-HP et dans d’autres hôpitaux français.

En revanche, à Paris, on n’est pas confronté à la problématique de l’ « élongation » que nous, militaires, rencontrons sur les théâtres d’opérations extérieures, par exemple en Afghanistan ou au Mali : presque chaque semaine, nous réalisons l’évacuation d’un blessé grave par voie aérienne sur 4 000 ou 5 000 kilomètres, ce qui influe sur le geste que doit accomplir le chirurgien.

Le SSA existant depuis trois siècles, les militaires ont, malheureusement ou heureusement, une certaine expérience en matière de chirurgie de guerre. Nous avons été sollicités très rapidement pour des formations dans ce domaine. Il y a d’abord eu des échanges entre confrères civils et militaires – chirurgiens et réanimateurs, notamment – et entre institutions. Puis, au début de cette année, la DGS et la DGOS nous ont adressé une demande officielle, au professeur Pierre Carli, président du CNUH, et à moi-même.

Ainsi que je l’ai indiqué dans mon exposé liminaire, nous sommes en train de répondre à cette demande : nous mettons actuellement en place une formation de formateurs destinée à être relayée sur tout le territoire, afin de préparer les équipes civiles – pas seulement des chirurgiens, mais des équipes complètes – à prendre en charge un afflux massif de blessés. Chaque fois que cela sera possible, des équipes militaires seront associées, sachant que nous avons des hôpitaux implantés à Paris, à Lyon, à Marseille, à Toulon, à Bordeaux, à Brest et à Metz. La nuit du 13 au 14 novembre, ainsi que l’a indiqué le médecin général inspecteur Vallet, nous n’avons pas fait venir de chirurgiens militaires de Lyon ou d’ailleurs. Nous avons préféré coopérer là où nous nous trouvions, car aucun d’entre nous ne savait ce qui pouvait se passer.

L’une de nos formations, le cours avancé de chirurgie en mission extérieure (CACHIRMEX), est déjà ouverte à des chirurgiens civils qui en font la demande, notamment à ceux qui s’engagent dans la réserve opérationnelle du SSA et qui partent sur les théâtres d’opérations extérieures. Certains praticiens de l’AP-HP donnent d’ailleurs des cours dans le cadre du CACHIRMEX aux côtés de leurs collèges militaires. Nous sommes très satisfaits que la coopération fonctionne ainsi dans les deux sens, le SSA ayant besoin de réservistes. Donc, les relations entre professionnels de santé militaires et civils existent, et elles se sont un peu plus institutionnalisées sous l’impulsion des demandes récentes du ministère de la santé.

M. Martin Hirsch. J’aimerais souligner un point. Tous les professionnels vous diront qu’ils ont été frappés par l’altruisme des blessés, qui leur ont souvent dit d’aller s’occuper des autres plutôt que d’eux-mêmes. J’en ai moi-même été témoin. Il y a donc, dans de telles circonstances, un phénomène de résilience – je ne sais pas si c’est le terme approprié – tout à fait remarquable au sein de la population, que les pouvoirs publics doivent prendre en compte.

Cela m’amène à pousser la réflexion un cran au-delà : outre la question de la préparation des pouvoirs publics eux-mêmes, il faut aller plus loin en matière de formation de la population aux premiers secours et de diffusion des connaissances sur la protection civile. Lorsque j’étais président de l’Agence du service civique, nous avons fait en sorte que tous les voltaires du service civique aient obligatoirement une formation au brevet de premiers secours. Dans notre pays, la proportion de la population qui a suivi une telle formation est trop faible, et les connaissances relatives à la protection civile sont peu enseignées. Or cette sensibilisation est fondamentale pour la population elle-même, notamment pour qu’elle acquière des réflexes qui peuvent sauver des vies. En outre, ce sont autant d’occasions d’échanges entre la population, les professionnels de santé, les militaires, les pompiers, etc.

La protection des hôpitaux est pour nous une source de préoccupation majeure, d’autant que ce sont des lieux facilement accessibles. Nous avons pris nous-mêmes des mesures visant à renforcer leur sécurité, en liaison avec la préfecture de police de Paris. Au-delà, il y a un travail très lourd à réaliser, notamment du point de vue budgétaire. Il est un cours. Selon moi, nous devons modifier dans une certaine mesure la doctrine traditionnelle des hôpitaux en matière de sécurité.

M. Jean-Michel Villaumé. Combien de victimes des attentats du 13 novembre sont encore hospitalisées aujourd’hui ?

D’après les associations d’aide aux victimes, vous n’avez transmis certaines informations à la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV) qu’au bout de quelques jours, après intervention ministérielle. Pourquoi ?

M. Martin Hirsch. Il y a encore huit victimes hospitalisées.

Il n’y a eu strictement aucune rétention d’information de notre part. Nous avons transmis les listes des victimes en temps réel à la fois aux autorités sanitaires – à charge pour l’ARS de les diffuser à ceux qui en avaient besoin – et à l’autorité judiciaire – dont un représentant est venu en cellule de crise. Sur ces listes figuraient le nom, le prénom et la date de naissance. Dans les trente-six heures après les attentats, la quasi-totalité des victimes avait été identifiées, et leur liste était parfaitement connue.

Le lundi à la mi-journée, la CIAV nous a demandé les coordonnées des victimes – adresse postale, adresse électronique, numéros de téléphone fixe et portable –, informations que nous n’avions pas demandées dans les premières heures. Nous sommes retournés vers les patients ou leurs proches pour les obtenir.

Je comprends que ce problème ait pu être ressenti comme extrêmement douloureux par les familles, mais, selon moi, il n’y a pas eu de dysfonctionnement.

M. Jean-Michel Villaumé. En effet, cela a été ressenti de manière très douloureuse par les familles. On a même évoqué des problèmes de logiciel et de mise en forme des documents entre les différents services concernés.

M. Martin Hirsch. Les coordonnées ne font pas partie des informations que l’on recueille dans les premières heures.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Au cours des auditions précédentes, une victime nous a indiqué qu’un certain nombre d’informations, notamment son nom et son prénom, avaient été recueillies par les personnels de santé lors d’un premier entretien, mais que ces informations n’avaient pas été transmises lorsqu’elle avait été prise en charge par une autre structure. Tout le monde a été impressionné par l’accueil médical, mais il y a eu, semble-t-il, une grande désorganisation du point de vue administratif. Selon vous, certains aspects pourraient-ils être améliorés ?

M. Martin Hirsch. À ma connaissance, il est possible qu’on ait demandé deux fois leur identité aux victimes : une première fois sur site, avant de les placer sur un brancard et de les emmener en véhicule, et, une seconde fois, à l’entrée de l’hôpital. Il y a peut-être eu des cas où l’information n’a pas complètement suivi entre ces deux moments. C’est le seul hiatus qui a pu se produire. Mais, à partir du moment où les victimes ont été enregistrées à l’entrée de l’hôpital, il n’y a eu aucune perte d’information, en tout cas dans les établissements de l’AP-HP.

M. Christophe Leroy, chef du service « gestion des crises sanitaires » à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. L’identité des victimes a en effet probablement été demandée une première fois sur site – je n’étais pas sur site, mais à la cellule de crise – par les intervenants pré-hospitaliers et, une seconde fois, à l’arrivée à l’hôpital.

L’identitovigilance est une question très complexe à l’hôpital. Au quotidien, il arrive souvent que l’identité recueillie lors de la prise en charge pré-hospitalière par les SAMU ne soit pas vraiment consolidée, notamment lorsque le patient est inconscient. Or une erreur sur un prénom peut entraîner des conséquences très graves, en ce qui concerne la carte de groupe sanguin, les résultats d’analyses biologiques ou les antécédents figurant dans le dossier médical. C’est pourquoi nous faisons une première vérification en demandant une nouvelle fois leur identité aux patients communicants lorsqu’ils arrivent à l’hôpital. S’agissant des patients non communicants, nous sommes obligés de conserver une identité provisoire, qui est consolidée par la suite. Ainsi, après les attentats, un certain nombre d’identités sont restées provisoires dans notre application VICTIMES, qui concentre l’ensemble des informations relatives aux personnes prises en charge. Ces identités ont été consolidées au fil du temps, ce qui a parfois permis d’affiner la réponse que nous avons apportée aux familles.

Au téléphone, il est extrêmement délicat de communiquer des informations concernant un patient si nous ne sommes pas sûrs de l’orthographe de son nom, notamment s’il y a un risque d’homonymie. Car il est tout aussi dramatique de donner une mauvaise réponse que de dire que nous n’avons pas la réponse. Il y a donc un temps incompressible nécessaire à l’identitovigilance, ce qui a entraîné de l’attente pour les familles.

Grâce à l’application VICTIMES, conçue en 2007, nous avons pu récupérer auprès de nos établissements l’ensemble des données qui nous ont permis d’établir les listes de victimes très tôt dans la nuit. Au petit matin, la grande majorité des fiches d’identité étaient consolidées.

Il a été très compliqué pour nous de faire le travail supplémentaire demandé par la CIAV le lundi matin, car il a fallu que nous retournions dans les dossiers des victimes. Les blessés les plus légers étaient déjà sortis. Nous n’avions pas pour habitude de communiquer à des personnes tierces les numéros de téléphone des personnes de confiance et des personnes à contacter. Cela a été un gros travail pour les hôpitaux de les récupérer et de les envoyer à l’ARS à l’attention de la CIAV. Comme il n’existait pas d’autre système, les tableaux ont été réalisés au format Excel. Les intervenants successifs possédant des versions différentes de ce tableur, cela a été source de difficultés techniques pour la CIAV. Pour sa part, l’AP-HP a été en mesure de fournir en paquet l’ensemble des coordonnées et références des victimes prises en charge dans ses établissements.

M. Jean-Luc Laurent. Pouvez-vous expliquer ce qu’est concrètement un plan blanc ? Combien de lits et de véhicules sont mobilisables ? Quelles sont les modalités d’activation ? En tant que président de la commission de surveillance des hôpitaux universitaires Paris-Sud, je ne l’ignore pas, mais il serait utile que vous apportiez des éléments d’information à l’attention du public qui regarde cette audition. Les plans blancs concernent d’ailleurs tous les hôpitaux. Vous en avez rappelé l’esprit, monsieur le directeur général : il s’agit de secourir les victimes d’un événement dramatique et de leur prodiguer des soins, mais aussi de garder des disponibilités pour répondre, le cas échéant, à des besoins ultérieurs.

Combien de personnes blessées se sont présentées de façon spontanée dans les SAU ou les autres services des différents hôpitaux, qu’ils relèvent ou non de l’AP-HP ? On nous a indiqué que des victimes avaient quitté elles-mêmes les lieux des attentats et qu’elles avaient même parfois été encouragées à le faire, pour des raisons de sécurité, lorsqu’elles étaient en mesure de se déplacer.

S’agissant de la prise en charge du traumatisme psychologique, je comprends de vos interventions qu’il n’y a pas de plan d’ensemble, mais que chaque institution – l’AP-HP, le SSA et, éventuellement, d’autres hôpitaux – a pris ses propres dispositions. D’après les échos que j’ai eus, les familles, les victimes et les aidants, mais aussi les personnels de santé, ont besoin d’un soutien et d’un accompagnement en la matière. Quelles sont concrètement les prises en charge mises en place ? Quelles en sont les modalités et la durée ?

Monsieur le directeur central du SSA, une fois que vous avez accompli les actes de médecine ou de chirurgie requis, assurez-vous le suivi des victimes que vous avez prises en charge, ou bien les réorientez-vous vers d’autres hôpitaux ? Dans la seconde hypothèse, combien de personnes ont été réorientées ?

Il est prévu que l’organisation du SSA évolue, et un nouveau plan stratégique de l’AP-HP vient d’être adopté. De votre point de vue, au regard de l’expérience que vous venez de vivre, y a-t-il des réorientations qui s’imposent dans vos institutions dans les semaines ou les mois à venir – à moyens constants, je suppose ?

M. Martin Hirsch. Le plan blanc, c’est un mode opératoire, un ensemble de procédures organisées, qui concerne plusieurs aspects.

Premièrement, il s’agit de pourvoir les besoins en personnel, soit en maintenant sur place les agents présents, soit en en rappelant d’autres. Dans une institution telle que l’AP-HP, il y a d’abord une décision de principe qui est prise pour l’ensemble des établissements ; ensuite, chaque établissement, en fonction de ses spécialités notamment, « décachette » une liste de membres du personnel à rappeler, avec leur qualification et leurs coordonnées. Cela implique une connaissance des spécialités et des métiers de chacun.

Deuxièmement, ainsi que je l’ai évoqué précédemment, il s’agit d’accélérer le circuit des malades déjà pris en charge, par exemple en faisant passer en phase d’hospitalisation ceux qui sont en salle de réveil, ou en faisant sortir plus rapidement ceux dont le départ n’était prévu que pour le lendemain.

Troisièmement, il y a un volet relatif aux questions logistiques, notamment à la fourniture et à la stérilisation du matériel.

Précisons que le « mode d’emploi » est spécifique au contexte : le plan blanc ne sera pas actionné de la même manière selon qu’il s’agit d’un accident ou d’un attentat de tel ou tel type, touchant telle ou telle catégorie de la population.

La prise en charge du traumatisme psychologique est organisée. Depuis environ vingt ans existent les CUMP, dont j’ai parlé, qui sont chacune rattachée à un SAMU. La CUMP du SAMU de Paris a une responsabilité zonale et peut être amenée à coordonner les autres. Dans la nuit du 13 au 14 novembre, le directeur général de la santé a jugé nécessaire de faire appel à des CUMP de province en renfort. Cela a permis d’avoir davantage d’équipes présentes sur place, mais nous avons vu lors des retours d’expérience qu’elles n’avaient pas nécessairement les mêmes modes d’intervention ni les mêmes habitudes de travail. Nous devons donc nous poser la question de l’évolution du dispositif. L’ARS travaille actuellement avec nous et avec les autres acteurs concernés à la réactualisation d’une forme de « plan blanc médico-psychologique ». Car tout n’a pas fonctionné de manière optimale dans cette mobilisation et cette prise en charge : pour le dire de manière caricaturale, à certains endroits, il y avait des professionnels présents mais peu de patients ont été orientés vers eux, tandis que, à d’autres endroits, il y avait des proches des victimes mais pas nécessairement les professionnels nécessaires.

Nous avons eu une discussion à ce sujet avec les élus de la ville de Paris. Ils estiment qu’il vaut mieux installer les lieux d’accueil à proximité immédiate du traumatisme. Cela peut se justifier, mais impose un certain type d’organisation. À l’inverse, on peut considérer qu’il vaut mieux prévoir des lieux disposant de l’ensemble des moyens utiles. Pour notre part, le 13 novembre, nous étions partis sur cette deuxième option, et nous avons dû nous adapter, tant bien que mal, à la première option. Ces options méritent d’être étudiées à nouveau – il était très difficile de le faire pendant la période de crise –, au regard d’impératifs qui ne sont pas nécessairement tous faciles à prendre en compte.

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Je ne peux pas vous dire exactement combien des cinquante-deux patients que nous avons pris en charge sont encore suivis dans les hôpitaux du SSA. Lorsque nous prenons en charge des victimes dans un tel contexte – ce soir-là, elles ont évidemment été amenées dans nos hôpitaux indépendamment de leur volonté –, nous les suivons au moins un certain temps avant de les réorienter vers un circuit plus habituel. Certains des patients que nous avons pris en charge résidaient en province ou, pour trois d’entre eux, à l’étranger. Nous les avons parfois réorientés vers d’autres hôpitaux, quelques-uns étant d’ailleurs dans un état grave. Nous continuons à suivre dans nos hôpitaux ceux qui résident en région parisienne et ceux qui l’ont souhaité.

Je n’ai pas d’éléments complémentaires à apporter concernant le plan blanc.

Une dizaine de blessés sont arrivés par leurs propres moyens dans les hôpitaux militaires. Il s’agissait de blessés légers ou de blessés psychiques.

Je laisse le soin au médecin général inspecteur Vallet, qui est psychiatre et responsable des hôpitaux auprès de moi, de vous exposer la façon dont le SSA s’est organisé, de manière très structurée et depuis un certain temps déjà, pour prendre en charge le traumatisme psychique. On parle beaucoup de chirurgie de guerre et de plaies par balle, mais la dimension psychique de ces blessures est tout à fait essentielle. La prise en charge ne peut être que globale. Le SSA a totalement intégré cette exigence, qui est devenue pour lui une évidence depuis longtemps.

M. le médecin général inspecteur Dominique Vallet. La confrontation à des événements d’une telle ampleur a évidemment des conséquences psychologiques importantes, tant sur les victimes directes que sur les autres personnes impliquées, notamment les sauveteurs. Il faut bien reconnaître qu’il est parfois difficile d’agir sur ces conséquences, les victimes civiles étant par définition très dispersées et constituant une population moins « captive » ou « cernable » que les unités militaires ou le personnel d’un hôpital.

Environ 180 personnes bénéficient actuellement d’un suivi psychologique dans nos trois hôpitaux parisiens. Elles ont pris contact avec nous soit directement dans les hôpitaux le 13 novembre et dans les jours qui ont suivi, soit à travers la cellule d’accueil des familles qui avait été mise en place à l’École militaire, au sein de laquelle nous sommes intervenus pendant trente-six heures.

S’agissant des sauveteurs, le SSA est concerné au premier chef par le personnel de la BSPP, qui a un statut militaire. L’impact des événements sur ces femmes et ces hommes ayant été rapidement perceptible, un plan d’action de grande ampleur a été décidé : les 840 pompiers concernés ont été reçus en entretien individuel par un psychiatre ou un psychologue dans les jours suivants, et 24 % d’entre eux ont souhaité avoir un deuxième entretien. Un plan d’action spécifique a été mis en place à la BSPP : le commandement est formé à la détection d’un certain nombre de signes indirects qui peuvent traduire une souffrance des personnels à distance des événements. En outre, dans le cadre de la médecine du personnel dont disposent ces unités, une procédure particulière de dépistage du traumatisme psychique et de l’état de stress post-traumatique a été mise en place lors des visites médicales périodiques. Elles concernent soit l’ensemble de l’unité, soit des personnels spécifiquement ciblés.

Ces mesures s’inscrivent plus largement dans le cadre d’un plan d’action mis en place depuis trois ans par le SSA en matière de prise en charge des troubles psychotraumatiques. Ce plan prévoit notamment un dépistage systématique lors du débriefing ou du sas de décompression qui suit immédiatement certaines interventions, ainsi que lors des visites médicales annuelles ou bisannuelles que passent les militaires.

Il est essentiel de conserver un regard très attentif sur ces personnels dans la durée, au-delà des événements et au-delà de l’émotion et de l’attention collective qu’ils ont suscitées. La souffrance de ces personnels peut s’exprimer parfois de manière très indirecte, soit au travers de troubles du comportement, qui, en milieu militaire, peuvent éventuellement avoir une traduction disciplinaire, soit au travers d’incidents dans l’exercice technique des fonctions, voire de fautes professionnelles. Ces faits qui, à distance, paraissent se réduire à de simples défaillances du personnel, peuvent être le reflet de sa souffrance psychique. Il est donc très important que les institutions mettent en place des dispositifs qui permettent de suivre ces personnels dans la durée, sans les forcer et en respectant leur intimité. Il faut continuer à offrir une prise en charge, dont les intéressés peuvent se saisir ou non.

En ce qui concerne les victimes civiles, la tâche est plus difficile, je l’ai dit, en raison de leur dispersion et de l’absence de structures « de cohésion » qui permettent d’exercer un regard collectif attentif. Cela rend encore plus nécessaire l’attention de la part de l’ensemble des acteurs de la communauté nationale, notamment dans les secteurs médical et médico-social. Il ne faut pas oublier ce que les gens ont traversé et s’efforcer de ne manquer aucune des occasions dans lesquelles on peut leur apporter une aide, qu’elle soit médicale, médico-sociale ou de l’ordre de la réparation. Outre le suivi de 180 victimes civiles au sein de nos HIA, que j’ai mentionné, nous avons réalisé plus de 60 expertises initiales à distance des événements pour des victimes qui demandent un certificat médical, lequel constitue une reconnaissance de leur souffrance et une première étape vers une réparation de la part de la communauté nationale. En effet, ces victimes peuvent éventuellement solliciter une réparation au titre des pensions militaires d’invalidité ou des pensions civiles, les deux dispositifs étant ouverts à l’ensemble des victimes, civiles comme militaires.

M. le président Georges Fenech. Souhaitez-vous ajouter quelque chose sur l’un ou l’autre des sujets qui ont été abordés, monsieur le médecin en chef Jean-Christophe Bel ?

M. le médecin en chef Jean-Christophe Bel. Non, je n’ai pas d’éléments supplémentaires à apporter.

M. Martin Hirsch. S’agissant des éventuelles réorientations concernant l’organisation de l’AP-HP, le premier enseignement, c’est qu’il faut préserver notre potentiel. Il a été extrêmement sollicité, mais n’a été ni saturé ni désorganisé. Au cours des dernières semaines, j’ai participé à un retour d’expérience devant les ambassadeurs des vingt-sept autres pays de l’Union européenne, et j’ai discuté avec les Américains. Tous les observateurs, qui se sont informés en suivant les actualités ou en consultant les articles scientifiques que nous avons fait paraître, considèrent que nous disposons d’un système de haut niveau, à la fois en termes de capacités, de moyens techniques et de compétences professionnelles. C’est de nature à rassurer les Parisiens et les Franciliens.

M. Jean-Luc Laurent. Nous parlons là de l’Île-de-France…

M. Martin Hirsch. En effet. D’ailleurs, toutes les capitales ne disposent pas d’un service public civil et militaire capable d’apporter une telle réponse sanitaire. Il me semble important de le souligner devant les représentants de la Nation.

Notre défi en matière d’organisation et d’utilisation des moyens, c’est de tenir compte en permanence du fait que des circonstances exceptionnelles peuvent survenir. Cependant, nos réorganisations sont moins dictées par cette exigence que par la nécessité de faire face à la demande de soins au jour le jour. L’un de nos objectifs est de réduire l’attente des patients aux urgences, ainsi que nous l’avons évoqué. Selon moi, il n’y a pas besoin de davantage de services de réanimation ou de centres pour les polytraumatisés en Île-de-France. Encore une fois, nous disposons de capacités fortes, que d’autres métropoles de la même taille peuvent nous envier.

D’autre part, notre préoccupation, c’est que notre « force de frappe » – en personnel, en véhicules, etc. – puisse être mobilisée au cas où d’autres points du territoire seraient touchés. Certes, la probabilité de catastrophes de cette nature est plus élevée en Île-de-France, mais il peut y avoir, un jour, autant de victimes ailleurs en France. Il y a, je le souligne, une solidarité très forte entre les institutions et les professionnels de région parisienne et de province. Elle peut jouer dans les deux sens : de la même manière que des collègues provinciaux nous ont dit qu’ils étaient à notre disposition le 13 novembre, la région Île-de-France sera à leur disposition si nécessaire, non seulement pour les soutenir psychologiquement, mais aussi pour leur apporter une aide organisationnelle et concrète.

M. le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Depuis trois ans, le SSA a engagé une profonde réforme : il met en œuvre son nouveau modèle, baptisé « SSA 2020 ». Celui-ci est caractérisé par deux mots-clés : « concentration » et « ouverture ».

La « concentration » n’est pas un processus inhabituel : toute institution doit s’interroger périodiquement sur l’adéquation de ses ressources à ses missions. Dès 2012, le SSA avait anticipé la nécessité de mettre fin à une certaine dispersion de ses activités, qui était le fruit de l’histoire : le service avait été amené à répondre aux besoins d’une communauté très étendue et à certaines demandes spécifiques, par exemple en matière de médecine tropicale. Aujourd’hui, le SSA recentre ses activités sur les besoins actuels des armées, c’est-à-dire ceux des militaires projetés sur les théâtres d’opérations, qui correspondent aussi à ceux auxquels il faut répondre en situation de crise. Il s’agit en particulier de la traumatologie et de la défense médicale face aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Le SSA a une très grande expertise dans ces domaines, en termes non seulement de soins, mais aussi de formation et de recherche.

Corollaire de la concentration, l’ « ouverture » est un principe plus nouveau pour nous. Le SSA a décidé de ne plus assumer seul le soutien médical des forces armées – en tant que directeur central, j’ai estimé qu’il était de ma responsabilité de dire qu’il lui serait de plus en plus difficile de le faire – et a donc proposé de devenir un acteur à part entière des territoires de santé, qui sont actuellement en pleine réorganisation. Il faut que le SSA trouve une juste place au sein de ces territoires de santé. L’article 222 de la loi de modernisation de notre système de santé, qui vient d’être votée, habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances à cette fin. Cette loi nous permettra d’aller plus loin. Ainsi que je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, conformément à la demande des ministres de la défense et de la santé, un protocole d’accord sera signé très prochainement. L’accord-cadre qui en découlera aura pour objet de bien positionner le SSA en fonction de la contribution qu’il peut apporter sur le territoire national.

Derrière cela, il y a un autre mot-clé, que j’emprunte à l’armée de l’air : « unis pour faire face ». En situation de crise, nous considérons que nous devons travailler ensemble, de manière complémentaire : si la crise a lieu à l’extérieur, le SSA peut avoir besoin, parfois, d’un soutien ; si la crise a lieu sur le territoire national, le SSA peut soutenir les institutions qui ont la responsabilité première d’y répondre. Dans les deux cas, cela fonctionne parfaitement.

Le SSA avait anticipé ces évolutions. Les événements qui se sont produits en 2015 nous ont conduits à accélérer la mise en œuvre de notre nouveau modèle, pour toutes les composantes du service : non seulement l’hôpital, mais aussi la médecine de premier recours militaire, la formation, la recherche et le ravitaillement sanitaire.

M. le président Georges Fenech. Je vous remercie vivement, messieurs, pour votre importante contribution. Elle nourrira notre réflexion, nos travaux et, sans aucun doute, des propositions de notre part, qui iront, je le pense, dans le sens que vous souhaitez.

La séance est levée à 20 heures 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Françoise Dumas, M. Olivier Falorni, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Jean-Luc Laurent, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Michel Lefait, Mme Lucette Lousteau, M. Jean-René Marsac, M. Sébastien Pietrasanta, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. David Comet, M. François Lamy, M. Alain Marsaud