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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Jeudi 10 mars 2016

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 7

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de M. Christophe Molmy, commissaire divisionnaire, chef de la Brigade de recherche et d’intervention de la préfecture de police de Paris et M. Marc Thoraval, chef de la brigade criminelle de la Direction régionale de la Police judiciaire (DRPJ) de Paris

La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de M. Christophe Molmy, chef de la brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police de Paris, et de M. Marc Thoraval, chef de la brigade criminelle de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de Paris

M. le président Georges Fenech. Nous poursuivons nos investigations avec M. Christophe Molmy, chef de la Brigade de recherche et d’intervention de Paris, la BRIP, et M. Marc Thoraval, chef de la brigade criminelle de la Direction régionale de la police judiciaire de Paris, qui vont pouvoir utilement compléter les informations que nous avons recueillies hier, tout particulièrement sur le rôle respectif et l’articulation entre elles des différentes unités.

Nous vous remercions, messieurs, d’avoir répondu à la demande d’audition de notre commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Avec le ministre de l’intérieur, que nous avons reçu lundi, et avec les responsables de la gendarmerie et de la police, que nous avons entendus hier, nous avons commencé à aborder les questions relatives à la conduite des opérations, à l’intervention des forces de l’ordre, et aux moyens mis à leur disposition.

La présente audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 14 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos vous seront au préalable transmis afin de recueillir vos observations. Celles-ci seront soumises à la commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal » — un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende — « toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans […], divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Christophe Molmy et M. Marc Thoraval prêtent serment.

Pouvez-vous tout d’abord, l’un et l’autre, nous présenter votre parcours professionnel ?

M. Christophe Molmy, commissaire divisionnaire, chef de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Paris. Après un passage de deux ans en commissariat, après ma sortie de l’école, j’ai travaillé à la BRI de Marseille comme adjoint, puis à l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB) pendant de nombreuses années. J’ai ensuite été responsable de deux antennes de la police judiciaire de Versailles, celle de Meaux pour la Seine-et-Marne, puis celle de Cergy pour le Val-d’Oise. Puis j’ai participé, avec le général Cormier, à la création de l’Unité de coordination des forces d’intervention (UCOFI) — Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) et BRI de Paris. Je suis retourné à l’Office central de la police judiciaire — à l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP). Enfin, il y a un peu plus de deux ans, on m’a offert la possibilité de prendre la tête de la BRI de Paris. Ma carrière s’est donc surtout déroulée au sein de la police judiciaire.

M. le président Georges Fenech. Vous n’avez pas de formation de policier de force d’intervention ?

M. Christophe Molmy. De fait, si — et tout dépend de l’acception qu’on donne au mot « intervention ». Ainsi, dans le cadre de la police judiciaire, pendant plusieurs années, j’ai participé non seulement à des interventions en milieu ouvert — autrement dit, à des interpellations sur la voie publique —, mais aussi à ce que l’on appelle des « assistances domiciliaires ». Pour ces opérations, nous sommes équipés comme peuvent l’être les unités d’intervention — gilets pare-balles lourds, protections balistiques, armes. Il s’agit, par exemple, de casser une porte à six heures du matin et d’appréhender des malfaiteurs, voire des terroristes, pour le compte de services enquêteurs.

Pendant trois ans, je me suis ensuite penché sur les techniques d’intervention et sur la problématique de la coordination des forces, avant d’intégrer la BRI et de passer une partie de mon temps en intervention. La BRI de Paris est en effet un service très atypique : elle passe autant de temps à traiter d’affaires judiciaires, à procéder à des filatures-surveillance, qu’à intervenir. Cette spécificité tient à son histoire. Elle a été le premier groupe d’intervention en France, pourvu d’une compétence à l’échelle nationale, voire internationale puisqu’elle est intervenue à La Haye dans les années 1970. Par la suite, avec la création du RAID, du GIGN et d’autres antennes, les compétences se sont sectorisées et l’action de la BRI s’est concentrée sur Paris. Pour ce qui concerne l’aspect judiciaire, la technique de travail, en amont, de filatures-surveillance, déjà mentionnée et destinée à pratiquer les flagrants délits, a essaimé, notamment à Marseille où j’ai travaillé. Nous travaillons au quotidien pour remplir ces deux missions.

M. Marc Thoraval, commissaire divisionnaire, chef de la brigade criminelle de la Direction régionale de la police judiciaire de Paris. Pour ma part, j’ai commencé ma carrière à la direction centrale de la police judiciaire, à Versailles, où je suis resté quatre ans. J’ai ensuite rejoint la préfecture de police, la direction régionale de la police judiciaire, et j’ai occupé successivement les fonctions de chef de section au service départemental de la police judiciaire des Hauts-de-Seine, d’adjoint à la BRI, d’adjoint à la Brigade de répression du banditisme (BRP), de chef d’état-major de la police judiciaire, de chef de la Brigade des stupéfiants et, depuis cinq ans, je suis à la tête de la Brigade criminelle de la direction régionale de la police judiciaire de Paris.

M. le président Georges Fenech. Venons-en aux faits survenus à Paris au mois de novembre dernier au Bataclan, sur plusieurs terrasses et à proximité du Stade de France. La commission a reçu vos éléments de réponses aux questions qui vous ont été posées. Nous disposons ainsi d’un rapport détaillé de vos interventions lors de ces attentats.

À 21 h 19, puis à 21 h 21, le 13 novembre, monsieur Molmy, vous avez été informé de l’explosion de deux kamikazes au Stade de France.

M. Christophe Molmy. J’ai en effet été informé par mes collaborateurs. La préfecture de police de Paris est un service très « tissé » : dans le cadre de la BRI au sens large, c’est-à-dire anti-commando, nous intégrons des effectifs de la Brigade d’intervention (BI) de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) et de ses six brigades anti-criminalité (BAC). Les fonctionnaires qui travaillent au sein de ces services se connaissent, se parlent et, bien évidemment, dès les premières explosions au Stade de France, ils se sont appelés, si bien que, par ricochet, après quelques minutes, j’ai été avisé de la première explosion. Comme tout le monde, j’ai espéré qu’il ne s’agissait que d’un accident — de l’explosion d’une baraque à frites par exemple — ; mais, dès la seconde explosion, les premiers éléments laissant penser que des kamikazes étaient impliqués, nous avons pris conscience qu’il s’agissait d’attentats.

M. le président Georges Fenech. Que faites-vous à ce moment-là ?

M. Christophe Molmy. Je suis en rapport avec mon état-major, mais, comme vous ne l’ignorez pas, les unités sont réparties en fonction de zones de compétences territoriales, ce qui participe à leur bonne coordination, et la BRI n’est pas compétente dans la petite couronne. D’une part, je me pose la question de savoir s’il est utile de partir immédiatement, sachant que ces explosions pouvaient ne pas impliquer de prises d’otages nécessitant notre intervention — ce qui s’est avéré — et, d’autre part, comme il s’agissait du secteur du RAID, il me semblait plus avisé d’attendre à Paris et de rester en alerte dans l’hypothèse, malheureuse, où des attentats s’y produiraient — ce qui est advenu.

M. le président Georges Fenech. Prévenez-vous dès lors le directeur général de la police nationale (DGPN) ?

M. Christophe Molmy. Il n’entre pas dans mes attributions de prévenir le directeur général de la police nationale ni même le préfet de police. Je ne suis que chef de la BRI : j’ai des contacts avec mon directeur — lequel est, du reste, déjà au courant — et avec l’état-major qui me confirme les explosions près du Stade de France ; j’en prends acte et demande à mes collaborateurs de rester dans les starting-blocks.

M. le président Georges Fenech. À 21 h 25 commence la tuerie des terrasses, d’abord au Petit Cambodge et au Carillon, puis, à 21 h 49, au Bataclan avec trois terroristes. Par qui êtes-vous prévenu et quelles mesures prenez-vous, puisque nous sommes là sur votre ressort territorial ?

M. Christophe Molmy. Je ne suis pas prévenu des fusillades sur les terrasses de café dans des délais très courts. Je ne suis au courant, jusqu’à 21 h 47, que des attentats au Stade de France. Dès que j’apprends, par ricochet là aussi, que des tirs se sont produits dans Paris, j’active la Force d’intervention rapide (FIR) de la BRI, la première, la plus rapide. Les membres de la FIR ont leur matériel chez eux afin de pouvoir se projeter immédiatement.

M. le président Georges Fenech. La FIR est composée de sept fonctionnaires, c’est bien cela ?

M. Christophe Molmy. Pas du tout, nous étions quinze, précisément.

M. le président Georges Fenech. Quinze fonctionnaires composent la FIR que vous activez ?

M. Christophe Molmy. En effet, il s’agit de la première lame que j’ai activée. Puis j’ai lancé la seconde alerte, dite « H+30 » : nous devons alors être en mesure de quitter le service en colonne constituée, équipés avec du matériel lourd, une demi-heure après l’appel.

À la fin de 2014, alors que nous étions déjà dans un contexte de risque d’attentats, nous avons été confrontés à un événement qui n’avait rien à voir avec le contre-terrorisme : l’attaque d’une bijouterie Cartier sur les Champs-Élysées, qui s’est terminée par une prise d’otage dans le 15e arrondissement. À cette occasion, nous avons constaté que l’alerte H+30 fonctionnait très bien : les fonctionnaires appelés se sont mobilisés immédiatement et sont revenus s’équiper à la brigade, alors que nous étions en fin de journée et qu’ils étaient en train de rentrer chez eux. Mais la circulation, à Paris, est tellement dense que la colonne d’assaut a ensuite mis beaucoup de temps à arriver sur place : un peu plus d’une demi-heure, ce qui est très long dans un contexte de contre-terrorisme. Nous avons donc décidé de créer une autre alerte, avec des fonctionnaires qui, la journée, sont, au service ou à l’entraînement, déjà équipés et à même de partir immédiatement par moto, par bateau, selon la configuration de la crise, avec pour objectif d’arriver sur les lieux moins d’un quart d’heure après l’alerte. Le soir, pour éviter qu’ils ne repassent par le service et ne perdent du temps, ces fonctionnaires rentrent chez eux avec leur armement.

J’ai activé cette FIR, le 13 novembre au soir, dès que j’ai pris connaissance de tirs dans Paris. Nous sommes partis immédiatement et, sur le chemin, j’ai confirmé à mon état-major que nous étions en route ; ainsi nous sommes-nous projetés immédiatement, en lançant par ailleurs, par téléphone, l’alerte H+30.

M. le président Georges Fenech. Si je comprends bien, parmi vos équipes, vous disposez d’une FIR qui intervient H+10 ou H+15 maximum.

M. Christophe Molmy. C’est plus que cela : H+30 ne signifie pas que mes collaborateurs doivent se trouver sur les lieux une demi-heure après avoir été alertés, mais qu’ils doivent partir du 36 quai des Orfèvres une demi-heure après avoir été alertés.

M. le président Georges Fenech. Pour s’équiper.

M. Christophe Molmy. Tout à fait. La FIR, quant à elle, n’obéit pas à une logique de « H+ » : elle se projette immédiatement. Certes, il faut aux fonctionnaires le temps d’enfiler un gilet pare-balles et de descendre les escaliers, mais ils n’ont pas l’obligation, la nuit, de revenir au service pour s’équiper, et ils partent directement de chez eux. C’est ainsi que nous sommes allés renforcer le RAID, à sa demande, le 18 novembre : nous sommes arrivés un quart d’heure après. C’est un choix tactique : il faut savoir que la vélocité nuit à la balistique ; pour être rapides, notre équipement est moins lourd. Un équipement lourd, c’est un casque de plusieurs kilos, un gilet pare-balles de vingt-cinq kilos, une arme longue, des grenades... Or la FIR a non seulement vocation à se déplacer très rapidement, mais à faire des « bonds » dans Paris si nécessaire — à l’entraînement, nous avons anticipé une menace qui se déplace —, ce qui est beaucoup plus difficile avec une colonne lourdement équipée, avec un blindé, des artificiers et toute une caravane qui suit.

M. le président Georges Fenech. À quelle heure estimez-vous l’arrivée de la FIR au Bataclan ?

M. Christophe Molmy. D’abord — et j’en prends la responsabilité —, nonobstant le fait que la FIR offre la possibilité de se projeter immédiatement, nous nous sommes réunis au 36 dans la mesure où je ne disposais pas d’informations précises de la part de mon état-major sur l’endroit où nous devions intervenir : on a fait état de tirs à plusieurs endroits, de la rue de Charonne... tout cela me paraissait un peu confus. Par ailleurs, on évoquait la présence de terroristes munis de ceintures d’explosifs ; or, dans la configuration que je viens d’exposer, nous n’évoluons pas avec des boucliers, qui sont volumineux. Aussi m’a-t-il semblé que, pour la sécurité des fonctionnaires, il faudrait récupérer quelques boucliers. Nous sommes partis de chez nous environ à 21 h 50 pour nous retrouver au 36 ; quelques-uns sont allés chercher des boucliers et nous sommes repartis du 36 à vingt-deux heures.

M. le président Georges Fenech. Combien étiez-vous ?

M. Christophe Molmy. Quinze en comptant le médecin.

M. le président Georges Fenech. N’êtes-vous donc pas sept normalement ?

M. Christophe Molmy. Non, nous devons être douze au minimum et nous sommes quinze en comptant le médecin, le dépiégeur d’assaut et le chef de service.

M. le président Georges Fenech. Nous avons auditionné hier le commandant du RAID qui a déclaré que, lorsqu’il est arrivé en renfort, il a trouvé sept fonctionnaires de votre service ; c’est dans son rapport.

M. Christophe Molmy. Je lui laisse la liberté de ce comptage et de ses propos. Nous étions quinze : je peux vous communiquer la liste des fonctionnaires en question et vous pourrez les auditionner. Peut-être le commandant du RAID n’a-t-il compté que ceux d’entre nous qui se trouvaient dehors, mais je vous assure que nous étions quinze.

M. le président Georges Fenech. Donc, vous étiez quinze ?

M. Christophe Molmy. Nous étions quinze.

M. le président Georges Fenech. Vous êtes arrivés à 22 h 30, c’est cela ?

M. Christophe Molmy. Non, vers 22 h 15, le temps de sortir des voitures, de faire le point avec les effectifs sur place. Il faut savoir que, dans ce genre de situation, l’interopérabilité des forces est très compliquée. Il faut relever les fonctionnaires qui se trouvent sur place et qui nous font le point sur ce qu’ils ont vu, vécu, sur la manière dont ils envisagent la crise. J’ai pour ma part demandé si les tirs avaient cessé ; on m’a répondu qu’ils avaient cessé depuis quelques minutes et nous n’en avons plus entendu, en effet, jusqu’à l’assaut. Je leur ai demandé ensuite si les terroristes étaient encore présents ; ils n’ont pas su me répondre, ce qui est naturel.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Qui avez-vous interrogé ?

M. Christophe Molmy. Un officier qui se trouvait dans le hall du Bataclan.

M. le rapporteur. Un officier qui intervenait ?

M. Christophe Molmy. Non. Je vous avoue que je n’ai pas relevé son identité à ce moment-là. Plusieurs fonctionnaires de la DSPAP se trouvaient à l’entrée du Bataclan et qui ont fait ce qu’on leur apprend — la BRI forme les effectifs de la BAC nuit et de la Compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI), lesquelles font partie de son dispositif — : ils avaient cessé leur intervention puisque les tirs avaient cessé. Leur travail, dans l’hypothèse où les tirs cessent, n’est pas, en effet, d’entrer et de progresser — les risques de la présence d’explosifs ou de terroristes embusqués et le risque de sur-attentat sont importants —, mais de figer la situation, ce qu’ils ont d’ailleurs très bien fait. Nous leur avons demandé de nous faire le point et ils nous ont indiqué, je le répète, que les tirs, a priori, avaient cessé ; ils se demandaient s’il y avait encore des terroristes et si certains n’avaient pas pu s’échapper en même temps que des otages qui étaient sortis par les issues de secours ou par l’entrée. Un silence complet régnait dans la salle. Nous avons pris cette situation en compte et nous sommes rentrés dans le Bataclan avec la première FIR à 22 h 20 environ.

M. le président Georges Fenech. À combien entrez-vous ?

M. Christophe Molmy. Toujours à quinze. Lorsque nous partons, on nous indique la rue de Charonne et, en chemin, mon directeur m’appelle pour m’indiquer qu’il faut plutôt aller au Bataclan, où nous nous rendons donc. Alors que nous partions, une seconde équipe arrivait au 36 pour finir de s’équiper. J’ai donné à cette seconde équipe, qui avait une petite dizaine de minutes de retard sur nous, la consigne d’aller malgré tout rue de Charonne pour lever tout doute. Sur place, cette seconde lame de la FIR a constaté que, malheureusement, elle ne pouvait plus aider, et elle nous a rejoints au Bataclan.

M. le président Georges Fenech. Vous êtes dès lors une trentaine ?

M. Christophe Molmy. Nous nous retrouvons en effet à une trentaine vers 22 h 30, 22 h 35.

M. le président Georges Fenech. Nous poserons de nouveau la question au commandant du RAID puisque, quand il arrive vers 22 h 50, il déclare trouver sur place sept fonctionnaires de la BRI.

M. Christophe Molmy. Sur ce point je serai très péremptoire. Je trouve même aberrant qu’un commandant du RAID vous explique combien nous étions. Je suis chef de service, j’étais sur place à 22 h 15 avec quinze fonctionnaires et, à 22 h 20, nous avons commencé nos investigations ; nous avons été rapidement rejoints par une autre lame et l’ensemble de la BRI nous a rejoints aux environs de 22 h 40, 22 h 45.

M. le président Georges Fenech. Quelle décision prenez-vous à ce moment précis ? En effet, étant donné l’ampleur de l’attentat, vous avez une possibilité : celle de demander qu’on déclenche la Force d’intervention de la police nationale (FIPN) qui regroupe les forces du RAID et de la BRI, sous le commandement unique du RAID.

M. Christophe Molmy. En effet, dans cette configuration le chef du RAID change de casquette et son adjoint est le chef de la BRI.

M. le président Georges Fenech. Avez-vous alors la possibilité ou bien la contrainte, en tant que demandeur, de faire déclencher la FIPN par l’autorité de tutelle ?

M. Christophe Molmy. Sur la forme, je ne suis que chef de brigade et n’ai pas compétence pour déclencher la FIPN. Cette décision revient au ministre de l’intérieur — il l’a d’ailleurs prise en janvier — sur proposition du préfet de police, lui-même informé par le directeur général de la police nationale. Sur le fond, je comprends volontiers, dans le cas de crises majeures, qu’on essaie de se rassurer en se disant qu’il faut engager l’intégralité des forces d’intervention qu’on a sous la main et tout de suite. Or il ne s’agit pas forcément de la meilleure solution dans la mesure où il faut « dimensionner » les crises. Ce qui importe, c’est d’apporter une réponse à la hauteur de la crise, de se projeter dans la durée, d’envisager la possibilité que soient commis d’autres attentats et surtout d’assurer une bonne coordination des forces. En l’occurrence, un protocole de coordination entre le RAID et la BRI, signé par les deux chefs d’unité et par les autorités, prévoit une articulation de ces deux forces, en particulier sur la place parisienne, afin d’apporter une réponse à la hauteur de la crise.

Lorsque nous arrivons au Bataclan, nous sommes, dans un premier temps, une quinzaine puis une trentaine, enfin toute la BRI. Nous devons d’abord apprécier la situation : nous ignorons si des terroristes sont encore sur place — ils auraient très bien pu être déjà partis — et, dans l’affirmative, déterminer leur nombre et savoir si nous sommes capables de résoudre seuls la crise. La question n’est pas de savoir si nous voulons y faire face seuls, mais elle de savoir si nous avons la compétence pour le faire — ce qui me semble alors être le cas — et si nous avons les capacités numériques, voire techniques, de le faire. En ce qui concerne le Bataclan, nous étions assez nombreux pour déminer le bas afin que les services de secours puissent prendre les blessés en charge. On n’aurait pas pu engager rapidement des forces d’intervention à l’intérieur du Bataclan : on ne sait pas, à ce moment précis, si des otages sont piégés, si des engins explosifs sont cachés, si des terroristes sont embusqués. La meilleure solution ne consiste donc pas à se ruer à l’intérieur. Il faut procéder par étapes, avec précaution. C’était pour nous-mêmes difficile, car, alors que nous voyions des blessés au sol, j’ai pris la responsabilité de ne pas faire entrer tout de suite les services de secours — il a fallu le faire dans de bonnes conditions, après que nous nous étions assurés que le bas présentait des conditions de sécurité adaptées.

La question ne s’est donc pas posée de déclencher la FIPN, car, à ce moment-là, je n’ai pas ressenti le besoin d’être renforcé.

M. le rapporteur. Sauf que les représentants du RAID nous ont expliqué hier que leurs éléments sont venus sur place de leur propre initiative pour compléter vos effectifs…

M. Christophe Molmy. Je pense qu’ils ont voulu bien faire, que cette décision participait d’une bonne intention, mais, encore une fois, je n’ai pas jugé utile de demander du renfort : il fallait d’abord apprécier la situation. Reste que, malgré ce qu’on peut imaginer, nous travaillons en bonne intelligence. J’ai constaté qu’un petit nombre de collègues du RAID étaient arrivés sur place ; aussi les avons-nous intégrés dans notre dispositif et les choses se sont bien passées.

M. le président Georges Fenech. Nous souhaitons bien comprendre la coordination de vos services avec le RAID et le GIGN. Vous avez donc estimé que vous étiez en nombre et en force suffisants pour gérer cette catastrophe — puisqu’il y avait 1 500 personnes au Bataclan et nous connaissons le résultat : 90 morts et des centaines de blessés — ; vous avez estimé de votre propre chef que vous n’aviez pas à suggérer le déclenchement de la FIPN et que vous n’aviez besoin ni du RAID ni du GIGN. Avez-vous eu des contacts avec le RAID et le GIGN ?

M. Christophe Molmy. De fait, nous avons eu des contacts avec le RAID puisque le chef du RAID s’est adressé à moi…

M. le président Georges Fenech. Spontanément ?

M. Christophe Molmy. Oui, spontanément.

Je reviens, si vous le permettez, sur le protocole. Nous obéissons à des règles de compétence territoriale : la préfecture de police est compétente à Paris, la BRI à Paris intra-muros, le RAID autour de Paris et le GIGN et le RAID se partagent la province.

À Paris, hors FIPN – dont le déclenchement ne m’appartient pas et ne me pose aucune difficulté : je crois que la FIPN a bien fonctionné à Vincennes –, la BRI est « menante », c’est-à-dire qu’elle est l’unité d’intervention naturelle, alors que le RAID est « concourant » et vient donc renforcer la BRI, à sa demande, en tant que de besoin, par des effectifs, des moyens techniques ou autres.

M. le rapporteur. Ce qui n’était pas le cas le 13 novembre : vous n’étiez pas demandeurs de l’aide du RAID ?

M. Christophe Molmy. Les choses sont allées beaucoup plus vite que cela, mais je vais y revenir.

Il y a quelques semaines, le RAID a dû s’occuper de deux crises dans la petite et dans la grande couronne ; il lui manquait deux tireurs d’élite : ils m’ont appelé, je leur ai envoyé deux tireurs d’élite et tout s’est très bien passé — c’est ce qu’on appelle la modularité.

Pensez-vous que, le 13 novembre, quand j’entre au Bataclan, à 22 h 20, je me pose la question de savoir si je dois gérer cette crise tout seul ou s’il faut que je demande l’aide du RAID, que je fasse demander celle de la FIPN, si j’ai des susceptibilités à cet égard ? Pas du tout ! Ma première préoccupation est de déminer le bas du Bataclan et de prendre la mesure de ce qui se passe à l’intérieur. Si nous avions disposé de cent fonctionnaires de plus, lourdement équipés, ils seraient restés dehors. Du reste, une colonne de vingt fonctionnaires est restée sur le trottoir : tout le monde n’est pas entré. Nous avons affronté les terroristes dans un couloir : les dix premiers sont montés à l’assaut tandis que les autres étaient en réserve.

Le dimensionnement de la crise que j’ai évoqué est important. Il n’est pas forcément nécessaire d’ajouter des unités d’intervention sur place afin de se rassurer et de se dire, plus tard, qu’on se sera donné tous les moyens. Ce n’est pas judicieux, parce qu’il faut réfléchir à une crise dans la durée : il faut prévoir l’éventualité de relèves, celle de multiples crises. Quand Jean-Michel Fauvergue est arrivé, il m’a demandé ce qu’il pourrait faire. Nous avions déjà réglé le problème du bas du Bataclan et nous apprêtions à monter dans les étages. Je lui ai donc dit de rester en bas pour nous protéger, mais, surtout, je lui ai demandé, si une autre crise survenait à Paris, de la prendre en compte. Il a pris acte et c’était, je pense, la meilleure solution. Je n’ai perçu aucune difficulté : les opérations se sont bien passées, bien articulées, de même qu’en janvier 2015, les trois groupes d’intervention ont travaillé de conserve.

M. le président Georges Fenech. Bref, tout s’est bien passé !

M. Christophe Molmy. Et je dis cela sans faire preuve d’ironie ou de naïveté. Seulement, je n’ai pas été embarrassé par le RAID, je n’ai pas eu le sentiment que nous nous étions mal entendus ; en somme, je n’ai pas connu de difficultés opérationnelles — mais peut-être d’autres considérations me dépassent-elles…

M. le président Georges Fenech. Où se situe le poste de commandement (PC) ?

M. Christophe Molmy. Un PC avancé, réunissant les commissaires de la BRI et du RAID est installé in situ, c’est-à-dire à l’intérieur du Bataclan. Un autre PC de la BRI a été mis en place, lui, à l’extérieur, dans un café, un peu plus loin.

M. le président Georges Fenech. Il y a donc deux PC.

M. Christophe Molmy. Dans le PC avancé, nous ne sommes pas assis, mais debout et nous nous parlons.

M. le président Georges Fenech. Celui-ci est donc à l’intérieur ?

M. Christophe Molmy. Oui.

M. le président Georges Fenech. Au milieu des blessés, donc ?

M. Christophe Molmy. Ce PC bouge en fonction de l’endroit où je me trouve, où se trouve mon adjoint et où se trouve le chef du RAID. Nous avons par ailleurs monté un PC-BRI, à quelques dizaines de mètres de là, dans un café.

M. le président Georges Fenech. Et où vous trouvez-vous, à ce moment précis ? Au rez-de-chaussée ?

M. Christophe Molmy. Au rez-de-chaussée, à l’étage… Je me déplace avec mes fonctionnaires.

M. le président Georges Fenech. Vous êtes donc au rez-de-chaussée, mais où se trouve le RAID ?

M. Christophe Molmy. Je n’ai pas passé mon temps à regarder ma montre pour savoir à quelle heure arrivaient les uns et les autres, mais c’est vers 22 h 40 ou 22 h 45 que le gros de la troupe de la BRI arrive, à laquelle se sont greffés quelques précurseurs du RAID dont une équipe arrive à peu près en même temps. Nous leur demandons de prendre en compte le bas déjà sécurisé afin de nous assurer une couverture lorsque nous nous trouvons à l’étage. Le RAID se trouve donc en bas, dans la fosse, pendant que nous sommes à l’étage à partir de vingt-trois heures.

M. le président Georges Fenech. À vingt-trois heures ?

M. Christophe Molmy. C’est l’heure à laquelle nous commençons à progresser dans les étages.

M. le président Georges Fenech. Vous commencez donc à progresser dans les étages à vingt-trois heures.

M. Christophe Molmy. Environ, oui.

M. le président Georges Fenech. Vous êtes sur les lieux depuis quelle heure ?

M. Christophe Molmy. Je vous l’ai dit : depuis 22 h 20.

M. le président Georges Fenech. Vous allez donc mettre à peu près quarante minutes pour progresser dans les étages ?

M. Christophe Molmy. Oui et cela s’explique, monsieur le président. Dans ce type de situation, vous avez deux catégories d’otages : ceux qui sont pressés de sortir et ceux qui se trouvent dans un état catatonique. Lorsqu’un otage se précipite vers nous, nous devons l’arrêter et prendre la précaution de lui demander de soulever son tee-shirt, de nous montrer ses mains, car nous ne savons pas de qui il s’agit, nous ne savons pas s’il est piégé — les militaires nous ont en effet avisés que parfois, en Syrie, les terroristes piégeaient les otages. Nous avons donc pris de multiples précautions pour faire sortir les otages valides, fouillés à plusieurs reprises.

M. le rapporteur. À partir de quelle heure commencez-vous à les évacuer ? Dès 22 h 20 ?

M. Christophe Molmy. Dès que nous commençons à progresser dans la fosse, nous nous dispersons par secteurs…

M. le rapporteur. Excusez-moi de vous couper : le chef du RAID nous a décrit des scènes, au rez-de-chaussée, pendant lesquelles des blessés tiraient sur le pantalon des forces en leur disant : « Secourez-moi, secourez-moi ! »

M. Christophe Molmy. Au rez-de-chaussée ? Je n’ai pas ce souvenir. Peut-être tous n’avaient-ils pas été évacués… La première image que j’ai en arrivant au Bataclan, ce ne sont pas seulement 90 morts et des dizaines de blessés, mais 300 à 400 personnes couchées à terre et qui ne bougent plus, pour beaucoup tétanisées par la peur — avant que nous n’arrivions, dès que l’une d’elles bougeait ou dès que son téléphone sonnait, on lui tirait dessus. Aussi, certaines ne voulaient plus bouger et d’autres n’osaient pas, même lorsqu’elles ont vu surgir des fonctionnaires de police avec des fusils d’assaut, car elles étaient encore sous le choc. Nous avons donc mis un peu de temps pour en rassurer certaines, les faire se lever, les évacuer — il est ici question des personnes valides.

M. le rapporteur. Ceci se passe-t-il vraiment dès vingt-deux heures ?

M. Christophe Molmy. Oui.

M. le rapporteur. Quand nous avons auditionné des victimes, nous les avons interrogées sur le délai non pas de votre intervention — ce que vous expliquez en la matière est tout à fait justifiable —, mais sur celui de leur prise en charge. Pouvez-vous nous expliquer comment les opérations se sont déroulées ? Comment avez-vous sécurisé les lieux et comment avez-vous progressé jusqu’aux étages, jusqu’au couloir où se trouvaient les derniers otages et où étaient retranchés des kamikazes, et, d’autre part, comment, pendant ce temps, étaient prises en charge les victimes ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur le moment où les secours sont intervenus ?

M. Christophe Molmy. Comme je vous l’ai indiqué, lorsque nous entrons, vers 22 h 20, au Bataclan, nous avons sous les yeux cette image de centaines de personnes au sol. Il nous faut quelques secondes — une ou deux minutes, peut-être — pour prendre la mesure de la situation et commencer à nous « étaler » avec précaution — vous pouvez imaginer qu’on n’entre pas en courant dans une salle où l’on voit des centaines de personnes par terre, où vient de se perpétrer un massacre, où l’on voit des morts, où l’on piétine…

M. le rapporteur. L’obscurité est-elle totale ?

M. Christophe Molmy. Non : malgré la pénombre, on peut distinguer ce qu’on a devant soi ; et on le distingue d’autant mieux que, je le répète, on voit des corps déchiquetés, on marche dans le sang… On sait donc très bien où l’on est. Il faut un peu de temps pour prendre la mesure des choses, pour commencer à avancer en sécurisant les lieux, c’est-à-dire en faisant glisser des fonctionnaires sur la droite, sur la gauche, tout en essayant de voir les points hauts, car il est difficile de travailler dans une fosse ceinturée d’étages d’où peuvent provenir des tirs. Techniquement, il n’est pas très judicieux de chercher à investiguer à la fois le bas et le haut : il faut malheureusement procéder par étapes.

Nous avons commencé à progresser lentement — avec le discernement indispensable —, car, je le répète, nous devions faire attention à ne pas tomber sur des engins piégés. On nous avait en effet prévenus, quelques mois auparavant, qu’on avait en Syrie de plus en plus recours aux gilets explosifs, ce qui n’a pas manqué. Nous sommes formés pour y faire face : nous disposons dans nos colonnes de dépiégeurs d’assaut pour nous conseiller. Progressant ainsi, avec précaution, nous avons fait sortir les otages valides, jusqu’à ce que nous ayons achevé de ceinturer la salle, de la sécuriser, moment où nous avons fait sortir en nombre les derniers otages valides restés au sol.

M. le rapporteur. Vers quelle heure ?

M. Christophe Molmy. Vers 22 h 30, 22 h 35.

M. le rapporteur. Donc, quasiment un quart d’heure après, vous faites sortir le gros des effectifs.

M. Christophe Molmy. Un peu moins : peut-être dix minutes après. Quand nous avons commencé à être renforcés par la deuxième équipe, nous sommes allés beaucoup plus vite, puisque nous avions déjà commencé à travailler. Nous nous sommes alors réparti la salle, et j’ai d’ailleurs donné la consigne à ceux qui étaient valides de se lever et de partir sous notre protection.

M. le rapporteur. Le gros des otages est-il évacué assez rapidement ?

M. Christophe Molmy. Oui, je dirais : cinq à dix minutes après que nous sommes entrés — je parle bien de la fosse.

M. le rapporteur. Vous entrez à 22 h 20 dans les locaux du Bataclan et, à 22 h 30, 22 h 35 ou 22 h 40…

M. Christophe Molmy. À 22 h 35, car je sais que mon adjoint arrive aux environs de 22 h 40, moment où il me dit voir les derniers otages sortir. Les otages sont alors passés au crible par les fonctionnaires de la CSI et de la BAC nuit qui se trouvent à l’extérieur et qui ont essayé de créer une sorte de goulot d’étranglement pour continuer à les appréhender, à les fouiller, de façon à s’assurer qu’il n’y ait pas de terroriste ou de personne piégée parmi eux.

M. le rapporteur. Une des otages dont la commission a recueilli le témoignage nous a assuré que, lorsque vous êtes arrivés, vous avez demandé aux personnes valides de se lever.

M. Christophe Molmy. C’est moi-même qui le leur ai demandé, mais pas tout de suite : au bout, je vous l’ai dit, de cinq ou dix minutes, puisqu’il a fallu sécuriser la salle. Après qu’ils sont sortis, nous nous retrouvons avec les blessés. Les pompiers et les personnels du SAMU ne seraient de toute façon pas entrés tant que les lieux n’étaient pas sécurisés, notamment le haut. Ce sont des fonctionnaires de police qui ont commencé à sortir les blessés, sous notre protection, en les portant aux services de secours sur des barrières Vauban. Le RAID est arrivé, la salle a fini d’être vidée des blessés que nous voulions sortir et nous avons commencé à progresser dans les étages.

M. le rapporteur. À partir de vingt-trois heures ?

M. Christophe Molmy. À peu près, oui.

M. le président Georges Fenech. Avant d’en venir à la progression dans les étages, sans doute des députés souhaitent-ils vous interroger. C’est vous qui dirigez les opérations et la FIPN n’est pas déclenchée ?

M. Christophe Molmy. La FIPN n’a pas été déclenchée.

M. Alain Marsaud. Vous faites donc en sorte que les valides puissent sortir afin d’être contrôlés, mais je suppose que des blessés restent au sol…

M. Christophe Molmy. Blessés ou catatoniques — certains n’osaient plus bouger.

M. Alain Marsaud. En effet, et tous méritent des soins. Vous êtes à ce moment-là sur le point de continuer à progresser, mais vous ne pouvez plus rien pour eux. Les services de secours comme le SAMU ne peuvent-ils pas intervenir à chaud pour s’occuper de ces blessés ?

M. Christophe Molmy. Non : à ce moment précis, nous faisons entrer des volontaires des services de police — CSI, DSPAP… — qui font sortir les blessés, parfois allongés sur des barrières Vauban pour être ensuite pris en charge par les services de secours. Reste qu’ils sont assez vite évacués.

M. Alain Marsaud. Vous continuez votre progression alors qu’il reste des blessés au sol…

M. Christophe Molmy. Certains le sont encore, je pense.

M. Alain Marsaud. Et êtes-vous certains qu’il y a des malfaiteurs à l’étage ?

M. Christophe Molmy. Non. Quand nous arrivons, nous faisons le point avec les services qui se trouvent dans le hall : ils nous disent que, de leur point de vue, il n’y a plus de terroristes à l’intérieur. Bien sûr nous nous méfions — et les faits nous donneront raison —, mais, jusqu’à 23 h 15 environ, moment où nous butons contre cette porte derrière laquelle nous entendons des otages nous hurler de ne pas approcher, nous n’avons aucune raison objective de penser qu’il reste des terroristes puisqu’il n’y a plus de tirs. Car il faut bien comprendre que soit les tirs cessent et nous progressons comme nous l’avons fait, soit les tirs continuent et, dans cette hypothèse, nous affrontons les terroristes immédiatement en entrant.

M. Alain Marsaud. Il y a le terroriste qui a été tué sur la scène en se faisant exploser.

M. Christophe Molmy. Lui est tué quelques minutes avant notre arrivée.

M. Alain Marsaud. Il est donc toujours sur la scène, quand vous arrivez.

M. Christophe Molmy. En effet, il est mort…

M. Alain Marsaud. Et, dans votre progression, alors que vous avancez avec les précautions nécessaires, vous ne savez pas s’il y a des gens en haut et vous pensez même qu’il n’y a plus personne ?

M. Christophe Molmy. Pour être tout à fait honnête, passé vingt-trois heures, tout en progressant dans les étages et avant d’arriver à cette fameuse porte, j’avais le sentiment qu’il n’y avait plus personne et que les terroristes étaient bien partis.

M. Olivier Falorni. On a évoqué le premier terroriste abattu, apparemment tué par un commissaire de la BAC de nuit de Paris.

M. Christophe Molmy. Absolument.

M. Olivier Falorni. Comment se fait-il que ce commissaire ait été en situation ? A-t-il agi de sa propre initiative ? Était-il vraiment en mesure d’intervenir ? Son geste a-t-il eu des conséquences sur votre analyse des interventions rapides dans ce type de situation où il n’y a pas vraiment de prise d’otages, mais où un massacre est presque immédiatement perpétré ? J’ai en effet du mal à comprendre : un mode opératoire prévoit qu’on attende l’entrée en action des groupes d’intervention spécialisés, ce qui est légitime ; or on a ici un commissaire de la BAC qui intervient, efficacement, avec un armement que j’imagine léger comparé à des kalachnikovs… Pourquoi est-il là, comment ressort-il et que fait-il ensuite ?

M. Christophe Molmy. Votre excellente question va me permettre d’apporter quelques explications. La BRI, dans sa formation anti-commando, est une structure fonctionnelle : dès lors que le préfet l’active, il place de facto sous mon autorité des fonctionnaires qui ne le sont pas usuellement, de manière organique ; il s’agit de fonctionnaires que nous formons, que nous équipons et que nous intégrons à notre dispositif. On parle alors de premier, de deuxième et de troisième périmètre.

Le premier périmètre se compose de ceux qui sont recrutés et formés pour passer à l’assaut, qui sont le plus lourdement équipés et qui s’entraînent le plus souvent. C’est la BRI qui, pour l’instant, intègre la BI de la DOPC, et qui, la restructuration en cours une fois achevée, sera, d’un point de vue numérique, complètement autonome.

Le second périmètre, quant à lui, a une utilité vitale, car il regroupe les fonctionnaires primo-engagés qui arrivent toujours avant nous. Je me permets de souligner, au passage, que la BRI est intervenue en douze minutes à Vincennes et en un peu plus de vingt minutes au Bataclan, ce qui, pour un groupe d’intervention, est très court : j’ai pris la liberté d’examiner ce type d’opérations un peu partout dans le monde où les délais d’intervention sont souvent beaucoup plus longs. Une intervention nécessite beaucoup de matériel, implique toute une logistique et va donc forcément moins vite que deux ou trois fonctionnaires d’une BAC qui tournent dans Paris à bord d’un véhicule civil.

Les BAC nuit et la CSI Paris comprennent donc des fonctionnaires que nous formons, à qui nous confions la mission d’arriver avant nous — sous notre contrôle opérationnel, en quelque sorte. Nous avons ainsi, il y a une quinzaine de jours, réalisé un exercice de nuit au Bon Marché, exercice au cours duquel la BAC nuit était censée arriver avant nous qui, ensuite, mettions en œuvre l’interopérabilité.

M. Olivier Falorni. Tous les policiers de la BAC nuit sont-ils susceptibles d’intervenir ou bien seulement des volontaires ?

M. Christophe Molmy. Tous les fonctionnaires de la BAC nuit et de la CSI sont formés et de façon continue, plusieurs fois par an — c’était d’ailleurs le cas du commissaire dont il a été question. Ce sont des formateurs de la BRI qui vont, la nuit, former les fonctionnaires de la BAC nuit.

Leur première mission consiste à se rendre immédiatement sur le lieu de crise et soit, en présence de tirs, ils pénètrent dans les locaux et, grâce aux techniques que nous leur enseignons, ils font cesser la crise en tuant le terroriste, soit les tirs ont cessé et ils figent la situation en attendant que nous arrivions et que nous passions devant. Leur deuxième mission, lorsque nous travaillons, ensuite, à la résolution de la crise, consiste à assurer notre protection. Il est arrivé, en Syrie, que des soldats soient attaqués par-derrière alors qu’ils étaient en train de traiter une crise — ce qu’on peut imaginer dans le contexte du Bataclan : nous sommes en train de travailler à l’intérieur alors que deux personnes entrent pour nous tirer dans le dos. Leur troisième mission est de prendre en compte les otages quand ils sortent — ce qui a été fait au Bataclan. Enfin, dernière mission, ils assurent avec nous ce que nous appelons la reprise : quand la crise est terminée, que les terroristes sont neutralisés, il faut s’assurer que l’un d’eux n’est pas caché dans un recoin. Cette dernière opération va très vite à l’Hypercacher de Vincennes qui est petit et n’a qu’un petit sous-sol ; elle est plus longue au Bataclan puisqu’elle a pris une heure — et imaginez une crise au quinzième étage de la tour Montparnasse : la reprise nous obligerait à vérifier tous les étages. Pour cela, nous avons besoin de fonctionnaires qui intègrent nos colonnes et avec lesquels nous nous entraînons, fonctionnaires qui font intégralement partie du dispositif prévu pour ce second périmètre.

Le troisième périmètre de la BRI est composé des services concourant à l’action et qui sont moins impliqués dans la partie opérationnelle : il s’agit des pilotes d’hélicoptères, de bateaux, de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL) qui nous fournit les moyens de mettre en place la bulle tactique – échanges data, vidéo, radio.

La BRI, dans ces conditions, compte théoriquement un peu plus de 300 fonctionnaires — pour mémoire, à la porte de Vincennes, nous étions 148 et un peu moins d’une centaine au Bataclan.

M. Olivier Falorni. Qui donne à ce commissaire l’ordre d’intervenir ? Et de quel armement disposait-il ?

M. Christophe Molmy. Peut-être n’ai-je pas été assez précis. Nous les formons pour cela : ils ont une mission continuelle qui consiste à se porter en premier sur les lieux d’une crise afin, si possible, de la circonscrire immédiatement en affrontant le terroriste — ce qu’a fait ce commissaire, puisque je crois avoir compris qu’il y avait des tirs lorsqu’il est arrivé ; il a donc fait son travail en faisant cesser la crise et je pense que c’est lui qui a fait cesser les tirs et le massacre ; ensuite, il s’arrête et il ne progresse pas dans les étages, car, j’y insiste, il est formé pour cela. Quant à l’équipement de ces fonctionnaires, je crois qu’ils disposent de fusils à pompe, d’armes de poing et je crois savoir qu’ils vont recevoir davantage de matériel, ce qui est plutôt une bonne chose. Ils ont, je le répète, une mission permanente.

Mme Françoise Dumas. Je poserai également cette question à chacun de vos collègues que nous auditionnerons : lorsque vous arrivez sur place, avez-vous déjà eu des contacts avec la presse ? La presse vous a-t-elle, d’une certaine manière, empêchés dans vos missions ? Avez-vous eu cet élément à « gérer » en plus de toutes les autres tâches que vous avez assumées avec beaucoup de courage et de sang-froid ?

M. Christophe Molmy. Non. Nous n’allons pas nous mentir : nous avons tous des contacts avec des journalistes ; après plus de vingt ans de police, certains ont mon numéro de téléphone, bien sûr. Mais, dans un cas comme celui-ci, je n’ai pas touché mon téléphone à partir du moment où j’ai mis le pied au Bataclan. En sortant, je devais avoir reçu quelque quatre-vingts textos et une centaine d’appels en absence. Les journalistes ne nous ont pas du tout embarrassés. Cela dit, la communication de crise est un sujet en soi, un peu lourd et que nous ne traiterons pas aujourd’hui.

Mme Françoise Dumas. Quand je disais « vous », ce n’était pas vous personnellement ; mais des journalistes étaient-ils déjà présents sur les lieux et, si oui, avez-vous été entravés par eux ?

M. Christophe Molmy. Non.

M. Olivier Marleix. Les patrons du RAID et du GIGN, hier, nous ont longuement entretenus des nouveaux schémas d’intervention liés à l’évolution des phénomènes terroristes auxquels vous êtes confrontés, notamment le djihadisme. Si je résume : on engage les forces au fur et à mesure, sans attendre la mise en place d’un dispositif complet, on ne négocie pas…

M. Christophe Molmy. Permettez-moi de vous interrompre sur ce point important : il est faux qu’il n’y ait pas de négociations. On ne peut pas, dans le cas d’une crise majeure, obérer l’hypothèse d’un contact avec le terroriste afin qu’il libère les otages avant de passer à l’assaut. Ce serait une faute.

M. Olivier Marleix. Je schématisais évidemment leurs propos.

M. le rapporteur. Olivier Marleix n’est pas si schématique : et les représentants du GIGN et ceux du RAID nous ont expliqué que, depuis l’affaire Merah, il n’était plus question de négociation, mais de prises de contact pour obtenir des informations afin de mesurer la détermination du terroriste. Et, en dernier ressort, on tâche de contacter le terroriste pour le fixer avant d’intervenir. Quoi qu’il en soit, selon les personnes auditionnées, il n’était plus question de négociations en vue de la libération des otages.

M. le président Georges Fenech. Dans votre rapport, vous indiquez qu’à 23 h 27, 23 h 29, 23 h 48, 0 h 5 et 0 h 18, le négociateur de la BRI entrait en contact avec eux. Donc il y a eu des négociations…

M. Christophe Molmy. C’est bien ce que je dis, oui.

M. le président Georges Fenech. … entre un négociateur de la BRI et les terroristes.

M. Christophe Molmy. Comme à la porte de Vincennes.

M. le président Georges Fenech. Pour compléter l’information : dans les rapports, notamment du RAID, à aucun moment il n’est fait état de négociations.

M. Christophe Molmy. Il n’y a pas de dissonance. Je rappelle que l’Hypercacher, à la porte de Vincennes, comme le Bataclan, relève de la compétence de la BRI. Il est donc tout à fait naturel que, la BRI étant force menante, ce soit son négociateur qui entre en contact avec les terroristes, ce qui fut donc le cas à la porte de Vincennes et au Bataclan.

M. le président Georges Fenech. Il y a donc eu des négociations ?

M. Christophe Molmy. Bien sûr. Après, on joue sur les mots : quand je considère que c’est une faute de ne pas engager de négociation, vous me répondez qu’il ne s’agit pas tout à fait d’une négociation, mais d’une prise de contact. Certes. Dans les faits, ce qui n’est pas envisageable, c’est de ne pas faire l’effort d’entrer en contact avec des terroristes, c’est de refuser de leur parler en se disant que cela ne servira à rien et qu’il vaut donc mieux passer tout de suite à l’assaut. Voilà qui serait une faute.

Nous sommes face à des gens radicalisés et nous savons avoir une infime chance d’obtenir d’eux la libération d’otages et encore moins leur reddition. Malgré tout, ce serait une erreur de ne pas essayer ; en effet, nous avons obtenu des informations d’Israéliens et de militaires qui revenaient de Syrie nous indiquant que, même si cela était rare, certains terroristes se ravisaient. Ainsi, je ne prendrais pas la responsabilité de passer à l’assaut sans me donner cette chance. D’ailleurs, fin 2014, avant les attentats de janvier 2015, nous avions fait former le négociateur de la BRI spécifiquement sur la question de l’islam radical par des intervenants extérieurs à la police et par des membres des services de renseignement, voire par des personnes versées dans la religion, de manière à essayer de comprendre quel pouvait être l’état d’esprit des terroristes, à maîtriser un certain vocabulaire pour pouvoir discuter avec eux.

Parlons clairement, et sous le sceau de la confidentialité : au Bataclan, après le deuxième coup de téléphone, mon négociateur me rend compte du fait qu’il n’arrivera à rien, qu’il n’y aura pas de négociation dans le sens où il n’y aura pas de libération d’otages ni de reddition, et les trois derniers appels…

M. le rapporteur. Le négociateur se trouve au PC ?

M. Christophe Molmy. Il est au PC, oui. Les trois derniers appels ne sont pas destinés à faire libérer les otages, mais à nous faire gagner du temps, à prendre la mesure de la situation. Nous sommes parfois déstabilisés : le négociateur est à l’initiative du premier coup de téléphone alors que les autres viennent des terroristes.

M. le rapporteur. Pour quelle raison ?

M. Christophe Molmy. Je pense qu’ils veulent entrer en contact avec le négociateur. Après les événements, celui-ci m’a dit que, autant Amedy Coulibaly était très froid, très posé, très construit dans ses propos — il était résolu à mourir et tenait un discours sur le califat —, autant, au Bataclan, il lui paraissait que nous avions affaire à des gens plus jeunes, beaucoup plus instables, incontrôlables. Du reste, dès le deuxième coup de téléphone, il m’a confié que nous n’arriverions pas à les tenir et qu’il nous fallait être sur nos gardes, car la situation pourrait déraper. Je suis donc sorti de la colonne pour me rapprocher du préfet de police et de mon directeur afin de leur en rendre compte et de requérir l’autorisation de passer à l’assaut, autorisation qui m’a été donnée.

M. le rapporteur. Vous ressortez du Bataclan ?

M. Christophe Molmy. Oui, je l’assume, car je considère que certaines décisions doivent être prises de visu : il est nécessaire de se parler et j’ai besoin de rendre compte physiquement. Comme nous n’étions pas loin les uns des autres, j’ai trouvé que c’était la meilleure solution.

M. Alain Marsaud. Comment obtenez-vous le numéro de téléphone des terroristes, et comment ont-ils eu le vôtre ?

M. Christophe Molmy. En l’occurrence, les premiers contacts avec les terroristes se font par le truchement d’un otage qui est assis derrière la porte et à qui ils demandent de nous dire de nous en aller. Leur revendication est en effet que nous partions. Nous leur expliquons évidemment que nous ne pouvons pas. En outre, à plusieurs reprises, ils s’enquièrent de savoir si les chaînes d’information continue sont présentes, sans toutefois demander à leur parler. J’ai considéré qu’il y avait un risque qu’ils attendent d’être en direct à la télévision pour se faire sauter.

M. le rapporteur. Ils ont voulu durer un peu !

M. Christophe Molmy. Je ne sais pas s’ils ont voulu « durer », mais j’ai craint qu’ils ne cherchent à avoir une tribune médiatique pour se faire sauter afin que les images fassent le tour du monde. Manifestement, ils ne cherchaient pas à nous affronter : ils savaient que nous étions là et sont demeurés cachés à l’étage pendant une heure, alors qu’ils auraient pu rester dans le hall du Bataclan et nous faire face. Je ne sais pas dans quelles conditions nous aurions eu le dessus ; nous l’aurions eu, mais nous aurions pu déplorer des morts de notre côté. Ils sont donc montés à l’étage et se sont cachés pendant une heure, sans un bruit, demandant aux otages de se taire et, ensuite, ils nous ont demandé de partir. Lorsque nous avons lancé l’assaut, ils ont reculé.

M. Alain Marsaud. Je reviens à ma question : comment peuvent-ils vous téléphoner ?

M. Christophe Molmy. Ils demandent à un otage de communiquer. Comme nous n’entendons pas bien, nous demandons un numéro de téléphone, et ce sont plusieurs otages qui hurlent un numéro que nous communiquons au négociateur. C’est le coup de téléphone du négociateur à ce numéro qui est le premier contact avec les terroristes, lesquels l’ont rappelé ensuite à plusieurs reprises.

M. Olivier Marleix. Le patron du GIGN et le patron du RAID nous ont décrit une inflexion forte dans leurs schémas d’intervention. La BRI a-t-elle connu les mêmes évolutions et comment estimez-vous les avoir appliquées au cours du drame du Bataclan ? Êtes-vous allés plus vite, moins vite que vous ne seriez allés autrefois — sans sous-estimer la difficulté de votre mission ?

M. Christophe Molmy. Comme je vous l’indiquais tout à l’heure, il y a eu plusieurs étapes : à la fin de 2014, malgré la réactivité commune à tous les groupes d’intervention, nous avons pris la mesure du fait qu’il nous fallait une demi-heure, quelle que soit l’heure, pour partir en colonnes : c’était peu, mais encore trop long. C’est pourquoi nous avons doublé l’astreinte, puis, au début de 2015, créé cette Force d’intervention rapide qui, au fil des mois, s’est affinée et a disposé de davantage de moyens. Je note que, à la porte de Vincennes, Coulibaly entre à treize heures dans l’Hypercacher et que les premières colonnes de la BRI sont présentes à 13 h 20. Nous allons donc plus vite qu’auparavant.

Après l’épisode de la porte de Vincennes, nous avons considéré qu’il fallait encore renforcer le dispositif. Nous l’avons fait et c’est pourquoi nous sommes arrivés en un peu plus de vingt minutes au Bataclan, ce qui, pour un groupe d’intervention, me semble très rapide.

Nous avons mené une réflexion plus large sur le contre-terrorisme et en particulier, donc, sur la rapidité d’intervention, mais aussi sur la formation et la spécialisation des négociateurs, sur la communication de crise – sujet très vaste et loin d’être épuisé – et, question importante, sur la spécialisation technique, la bulle tactique, c’est-à-dire les moyens dont nous disposons pour échanger des données data, vidéo, radio, dans un environnement Wi-Fi et 4G sur place, quand nous montons un PC — étant entendu qu’un PC efficient, en la matière, implique une crise qui dure un peu, car les moyens mobilisés sont très lourds : on ne les monte pas en dix minutes.

Nous avons poursuivi nos réflexions après les événements du Bataclan. Pour ce qui concerne la coordination, un schéma national d’intervention, sur lequel nous avons tous travaillé, va être signé par le ministre, ce qui me semble une bonne chose. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait aucune coordination auparavant, mais que nous nous adaptons aux événements. Je crois utile de rappeler, en effet, que, depuis le milieu des années 1990, la France n’avait pas été frappée de cette manière par des attentats. Nous étions évidemment en mesure d’intervenir et les services étaient déjà coordonnés, mais il était peut-être nécessaire d’aller plus loin dans l’articulation entre eux, tout au moins pour la plaque parisienne.

M. Olivier Marleix. Ma question portait sur la scène de crime elle-même. Un de nos interlocuteurs, que je résume, a déclaré que l’on n’attendait pas forcément que tout soit bien sécurisé, mais qu’il fallait avancer au plus vite. Sur le site lui-même, d’un point de vue technique, allez-vous plus vite ?

M. Christophe Molmy. Comme je vous l’ai dit peut-être maladroitement, la Force d’intervention rapide se compose de fonctionnaires plus légèrement équipés. Les gilets qu’ils portent sont lourds, mais pas autant que ceux prévus pour le passage à l’assaut ; leurs casques sont blindés, mais ne comportent pas de visière afin de pouvoir courir. Ces fonctionnaires sont géolocalisés pour que nous puissions leur demander de se déplacer dans Paris — de former une nasse si des tireurs circulent à scooter, par exemple. Plus rapides, ils sont moins protégés ; plus vous êtes véloces, plus vous êtes vulnérables. Ainsi, si vous voulez aller très vite, il faut poser les boucliers — c’est donc une affaire de choix. Ensuite, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Il existe deux situations différentes, techniquement, pour les trois groupes d’intervention. On déclenche soit un plan d’action d’urgence (PAU) si des tirs sont en cours, des vies en jeu, des personnes abattues ; dans ce cas de figure, nous entrons et faisons ce que nous pouvons ; nous affrontons immédiatement les terroristes avec les moyens et les hommes dont nous disposons. Soit, dans l’hypothèse d’une absence de tirs, on applique un plan d’action élaboré (PAE) qui consiste à définir une tactique d’intervention et à la soumettre à l’autorité politique ou, à tout le moins, au préfet de police de Paris qui la valide — ce qui a été le cas pour le Bataclan puisqu’il m’a donné l’autorisation de passer à l’assaut. Reste que, si nous sommes bien entrés au Bataclan, si nous n’avons pas marqué le pas, nous ne sommes pas pour autant entrés en courant et à 150, ce qui aurait été une faute, en termes de sécurité, tant pour les gens à l’intérieur que pour les services de sécurité, voire pour mes collaborateurs. Il faut donc apprécier la situation qui est toujours singulière : entrer au Bataclan, ce n’est pas entrer dans l’Hypercacher, ni au Bon Marché où nous avons réalisé un exercice il y a quelques semaines.

M. le président Georges Fenech. Aviez-vous les plans du Bataclan ?

M. Christophe Molmy. Nous n’avions pas les plans du Bataclan sur nous. Nous n’avons pas tous les plans avec nous quand nous nous déplaçons. Sur place, nous avons immédiatement récupéré les plans établis pour les pompiers par la commission de sécurité et qui étaient accrochés aux murs et d’où nous les avons arrachés. Nous disposions donc d’un plan de masse. Lorsque mon adjoint est arrivé avec l’ensemble de la BRI, il a récupéré l’ensemble des plans du Bataclan qui étaient à disposition au PC. Je vous avoue que, à ce moment, nous avions déjà beaucoup progressé et que ces plans de masse nous permettaient au moins de nous orienter — et puis, malgré quelques recoins, ce n’était pas si grand… Nous avons donc su nous organiser avec ces plans.

M. le président Georges Fenech. Vous avez donc eu les plans par le PC ?

M. Christophe Molmy. Non, j’ai dû mal formuler ma réponse : je vous ai dit que, à l’intérieur du Bataclan, nous avions arraché les plans de masse…

M. le président Georges Fenech. Mais ensuite vous avez eu les plans dont disposait le PC ?

M. Christophe Molmy. Un des responsables du Bataclan s’est rendu au PC pour donner à mes collaborateurs l’ensemble des plans de masse, mais ceux-ci n’ont pas été utilisés, puisque nous nous trouvions déjà devant la porte dont nous savions qu’elle donnait sur un couloir — celui-là même dans lequel nous avons affronté les terroristes.

Pour répondre plus précisément à votre question, il faut apprécier le volume, le nombre de fonctionnaires, la situation… Je pense humblement que vingt minutes pour faire sortir l’ensemble des personnes qui étaient allongées au sol au Bataclan et pour s’assurer qu’il n’y avait pas de terroristes ou d’explosifs, c’est assez rapide. Je me souviens d’avoir vu des otages sortir des faux-plafonds, d’avoir ouvert des toilettes classiques où dix personnes étaient entassées. Dans une telle situation, on ne peut pas leur demander de se précipiter dehors : il faut leur parler calmement, les faire sortir un par un, soulever le tee-shirt de chacun, les accompagner en leur demandant de ne pas regarder par terre — parce qu’il y a des corps partout. Cela prend beaucoup de temps, plus peut-être que l’on ne peut imaginer.

M. Alain Marsaud. Visiblement, un des terroristes a essayé de se faire passer pour un membre des forces de l’ordre. Tous vos hommes, y compris les premiers intervenants parmi les quinze, sont-ils déjà en uniforme au moment d’intervenir ou bien sont-ils en civil et enfilent-ils alors un gilet pare-balles ?

M. Christophe Molmy. Non. Comme je vous l’indiquais tout à l’heure, les hommes de la FIR partent en tenue noire avec un gilet tactique et la mention « BRI anti-commando » inscrite en gros dans le dos.

M. Alain Marsaud. Le commissaire de la BAC qui est intervenu était-il lui aussi en uniforme ?

M. Christophe Molmy. Non, je ne crois pas, ou peut-être en tenue de la BAC…

M. Alain Marsaud. Avez-vous un seul négociateur ou un négociateur par contexte ? Est-ce un policier ? Quelle est sa formation ?

M. Christophe Molmy. Nous avons sept négociateurs au sein du service. Ils reçoivent une formation spécifique, commune avec le RAID, et, auprès d’eux, se trouve une psychologue. Un des sept est de permanence chaque semaine, sans compter la permanence H+30…

M. Alain Marsaud. Le négociateur n’est pas un homme d’action ?

M. Christophe Molmy. Si. Le négociateur, au Bataclan, était à la fois chef d’état-major et chef des négociateurs. C’est un ancien chef de groupe qui a servi au sein des colonnes. À la BRI, nous avons fait le choix de la transversalité : de nombreux fonctionnaires ont plusieurs casquettes : ils peuvent être tireurs d’élite et membres des colonnes, négociateurs et spécialistes en varappe… Changer de casquette n’est pas inutile puisqu’ils ont ainsi plus de latitude sur leur intervention.

M. Philippe Goujon. Si nous faisons un peu de prospective, nous pouvons redouter des attentats multisites beaucoup plus nombreux dans Paris. En effet, vous êtes intervenus sur un site unique, le Bataclan. Mais imaginons une quinzaine d’attentats simultanés dans différents endroits de Paris. Vous vous heurterez à un premier obstacle : vous avez en effet évoqué votre difficulté à vous rendre sur les lieux en véhicule. Et je rappelle au passage que, à partir du mois d’août, la voie express de la rive droite sera définitivement fermée à la circulation automobile — nous avons d’ailleurs interrogé à ce sujet le ministre de l’intérieur, hier, lors de la séance des questions au Gouvernement, ainsi que le préfet de police qui nous a reçus. Qu’en est-il donc de la perspective d’attentats multisites dans Paris ?

Ensuite, vous nous dites que, arrivés au Bataclan, vous avez été amenés à arracher les plans des murs pour savoir comment progresser. N’y a-t-il pas d’autres méthodes ? La Brigade des sapeurs-pompiers possède les plans de multiples établissements, certains services de la préfecture de police également, la Ville de Paris dispose de ceux des établissements scolaires. Tout cela n’est-il pas informatisé et susceptible d’être mis à votre disposition ?

Quid, pour finir, d’un éventuel entraînement commun entre les forces de police et la brigade des sapeurs-pompiers ou avec les militaires de l’opération Sentinelle ? Ces derniers sont tout de même plusieurs milliers dans la région parisienne et, si leur métier est certes différent du vôtre, en cas de crise de cette nature, avez-vous des exercices communs ou une possibilité d’action commune ?

M. Christophe Molmy. Nous nous préparons, bien sûr, à l’éventualité d’attentats multisites ; nous nous préparons au plus grand nombre de scénarios possibles.

Comme je vous le disais, il me semble que les choses sont bien organisées. La coordination des forces comprend plusieurs échelons. En premier lieu, la BRI est compétente à Paris intra-muros avec un effectif de 300 personnes, dont 80 pour l’assaut — nous disposons donc de moyens. Nous nous projetons et voyons si nous sommes en mesure de traiter une ou deux crises ; nous menons à cet effet des exercices afin de déterminer un seuil de saturation. Si nous étions confrontés à deux crises similaires à celle du Bataclan, dans l’urgence, si nous n’avions pas le choix, nous pourrions essayer de nous scinder en deux et de traiter les deux. Nous étions environ 70 prêts à donner l’assaut au Bataclan. Or une dizaine seulement ont été mobilisés. Nous pouvons donc faire face à deux crises, mais la sagesse, bien sûr, consisterait d’abord à demander leur renfort au RAID puis au GIGN qui prendraient en charge d’autres sites. Nous devons néanmoins rester une garde prétorienne et être capables de traiter plusieurs sites, puisque le RAID et le GIGN peuvent être engagés ailleurs sur le territoire national.

Naturellement, nous n’avons aucune susceptibilité à demander du renfort — ce qui est prévu dans le protocole RAID-BRI. Plusieurs scénarios sont prévus : soit celui de la modularité — nous ne demandons que des moyens, s’il me manque des artificiers ou une colonne d’assaut ; j’ai ainsi demandé, il y a deux semaines, deux tireurs d’élite au RAID — ; soit celui de la complémentarité — modalité que nous avons appliquée au Bataclan puisque, comme nos collègues se sont portés en renfort, nous les avons intégrés au dispositif, ce qui a très bien fonctionné — ; soit celui de la subsidiarité — aux termes duquel nous confions au RAID ou au GIGN une crise à traiter seuls.

Au sein de la police, la FIPN peut être activée par les autorités et par le ministre. Dès lors, comme à la porte de Vincennes, nous sommes tous sous l’égide du même étendard et, comme nous savons travailler ensemble, le système fonctionne. Le GIGN peut, de son côté, être amené à nous renforcer, ce qui est précisé dans le schéma national d’intervention.

Je ne voudrais pas que vous craigniez qu’il n’y ait pas d’interopérabilité, en particulier avec le RAID. Je crois utile de rappeler que l’intégralité des intervenants du RAID et de la BRI participent à une même formation initiale de quatre mois dispensée par la FIPN. Ensuite, nous organisons des rencontres et, sous l’égide de l’UCOFI, des exercices communs, certes pas toutes les semaines, car ils sont très lourds à monter, soit avec le GIGN et le RAID, soit avec l’ensemble des forces.

Nous pouvons toujours être débordés et il est difficile de ne pas surréagir. Je reviens à l’attentat au Stade de France : ma responsabilité est également de ne pas partir trop vite — nos déplacements doivent être efficients — et il faut éviter de faire partir les collègues sans arrêt. Depuis novembre, si je les avais projetés chaque fois qu’on craignait quelque chose, nous n’aurions pas cessé. Nous nous sommes déplacés deux ou trois fois dans le quartier de la Goutte d’Or ; à la suite d’une explosion dans une école du 16e arrondissement, par précaution, nous avons envoyé les hommes de la FIR — et nous sommes arrivés en douze minutes —, mais on ne peut pas les envoyer chaque fois. Il faut prendre un peu de distance et se demander s’il s’agit d’un attentat ou d’une crise avec prise d’otages justifiant l’emploi d’une force d’intervention.

En ce qui concerne les sapeurs-pompiers, nous sommes étroitement liés à eux. Les médecins qui se trouvent avec nous dans les colonnes sont des médecins des sapeurs-pompiers. Nous avons chaque semaine un de ces médecins en permanence avec nous et deux lors des crises : le premier part avec la FIR et le second nous rejoint. Nous organisons des exercices avec eux. Dernièrement, nous nous sommes penchés sur l’hypothèse d’une intervention en « milieu feu », c’est-à-dire dans un immeuble en flammes dans lequel se trouveraient des terroristes détenant des otages. Il s’agissait de savoir si les pompiers devaient éteindre le feu pendant notre intervention ou si nous disposions du matériel nécessaire pour le faire nous-mêmes, pour peu que nous soyons formés. C’est ce dernier choix que nous avons fait avec la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), laquelle va nous familiariser avec le matériel et nous former. Le GIGN a la même approche.

Pour ce qui est des plans, nous n’avions pas ceux du Bataclan, n’ayant pas travaillé en amont sur ce site. Bien que la BRI dispose de très nombreux plans, elle n’a pas l’intégralité de ceux des salles de spectacle. Nous avons des dossiers d’objectifs, constitués au cours des années passées : ils n’ont pas tous été informatisés et nous sommes en train de les actualiser. Nous nous sommes récemment dotés d’un logiciel nous permettant non seulement de récupérer les plans de sites, mais d’y réaliser des repérages vidéo et photo qui nous seront très utiles si une prise d’otages s’y déroule. Nous procédons ainsi pour des sites majeurs, touristiques, étatiques, administratifs, mais aussi pour les grands bâtiments et les grandes entreprises. Reste que nous ne pouvons le faire pour l’intégralité de Paris.

Nous nous sommes rapprochés de la BSPP pour pouvoir récupérer les plans dont elle dispose. Nous cherchons à faire en sorte que la bulle tactique, in situ, lorsque nous montons un PC, nous donne accès à toutes ces données, tout en tenant compte des exigences de sécurité que nous imposent les administrations — nous avons trouvé un système qui nous le permet. Enfin, l’utilité d’un plan est à la mesure des lieux : plus un site est petit, moins son plan est susceptible de servir, alors que, si nous devions intervenir à Beaugrenelle, le site est si gigantesque que nous en aurions besoin. Quant au Bataclan, le site est grand, mais nous avons vite pris la mesure des lieux.

Je réponds, pour finir, à la question relative à nos éventuelles relations avec les soldats de l’opération Sentinelle. Nous les connaissons bien ; nous avons de nombreux contacts avec les militaires. Nous sommes allés la semaine dernière dans leur centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB), dans l’Aisne. Nous nous rapprochons par ailleurs du commandement des opérations spéciales (COS). Mais nous n’avons pas évoqué cette approche d’interopérabilité avec les militaires qui peuvent se trouver sur place. S’ils étaient amenés à intervenir, ils passeraient derrière nous une fois que nous serions arrivés.

M. Serge Grouard. Nous allons revenir ensuite, j’imagine, sur l’assaut final…

M. le président Georges Fenech. Non, nous n’aurons pas le temps, même s’il est bien légitime que nous ayons de nombreuses questions à poser.

Nous avons décidé avec le rapporteur de vous demander de bien vouloir vous présenter le 17 mars à 9 h 30 au Bataclan, où nous serons nous-mêmes. Sur place, nous pourrons avoir une meilleure idée de votre intervention et de sa chronologie.

M. Christophe Molmy. Très bien.

M. le président Georges Fenech. Nous pourrons ainsi aborder la question que voulait poser M. Grouard. En êtes-vous d’accord, monsieur le commissaire divisionnaire ?

M. Christophe Molmy. Je suis à votre service.

M. Serge Grouard. On voit bien la très grande difficulté de l’intervention au Bataclan ; on imagine bien les effets psychologiques y compris sur les fonctionnaires de police — or on n’en parle pas et je souhaite que nous l’évoquions un peu, que vous nous disiez très franchement, très simplement si, parmi les fonctionnaires placés sous votre responsabilité, certains sont marqués par ce qu’ils ont vu, par ce qui s’est passé à l’intérieur du Bataclan. L’armée, on le sait, rencontre ce genre de problème psychologique : est-ce le cas pour vos hommes ?

Ensuite, vous avez évoqué des scénarios de crises futures. Avez-vous des équipements NRBC (Nucléaire, radiologique, biologique et chimique) pour intervenir ?

M. Christophe Molmy. Oui, nous avons été marqués par l’intervention. J’ai peine à croire qu’on puisse vivre une situation pareille sans en garder de traces. Je n’avais jamais vu un charnier de 90 personnes et mes collègues non plus. Cela a été difficile, mais pas tant dans le traitement de la crise, car nous agissons en fonction de mécanismes automatiques et, tout à la résolution de celle-ci, mobilisés par notre action, nous parvenons à occulter autant que possible ce que nous avons sous les yeux. Le plus dur est évidemment après. La BRI a des contacts avec les militaires, que nous avons rencontrés par le biais du gouverneur militaire de Paris qui nous a aidés en la matière. Nous avons fait du defusing au cours de séances avec des psychologues. Jusqu’à présent, je n’ai enregistré aucune défection et je pense qu’il n’y a pas un seul de mes collaborateurs qui ne serait plus capable d’intervenir. Les semaines qui ont suivi ont été un peu difficiles, certes. Mais ils ne sont pas non plus dans un esprit de revanche. Ils restent professionnels et ont repris leurs marques. Reste que nous avons tous été bouleversés, bien sûr.

En ce qui concerne l’équipement NRBC, le risque d’être confronté à une attaque nucléaire ou radioactive dans Paris intra-muros est plus qu’infinitésimal et, le matériel qu’elle impliquerait étant très onéreux, la coordination s’imposerait et je n’aurais aucune susceptibilité à faire intervenir le RAID ou le GIGN — ce dernier disposant de scaphandres qui lui permettent d’intervenir dans les centrales nucléaires. En ce qui concerne une attaque biologique ou chimique, nous possédons du matériel — notamment des appareils respiratoires isolants (ARI) que nous prévoyons de renouveler en achetant une nouvelle génération. Nous avons réalisé un exercice dans le métro suivant un scénario d’attaque chimique. Nous serions en tout cas capables d’intervenir — c’est un sujet sur lequel nous travaillons.

La moitié de mes effectifs est mobilisée par l’intervention et l’autre moitié par l’activité judiciaire. Ils tournent par semaine de façon à rester polyvalents. Chaque semaine, mes collègues s’entraînent et nous essayons de multiplier les scénarios, que ce soit sur les bateaux-mouches, dans le métro, dans des centres commerciaux, dans des gares, dans la rue. Nous tâchons d’envisager un maximum de projections et le NRBC en fait partie.

M. le rapporteur. Dans le document portant sur le déroulement des événements, communiqué lors de l’audition, hier, par le directeur du GIGN, il est précisé qu’à 23 h 08, une information est envoyée au centre opérationnel du groupement 86 par le père d’une victime avisé par texto qu’un des terroristes se trouvait dans les loges du Bataclan et voulait négocier avec la police. À 0 h 18, un autre message précise : « Je suis au premier étage au Bataclan, blessés graves, etc. ». Ces informations et d’autres sont arrivées par divers canaux aux brigades de gendarmerie. Il en est allé de même, je suppose, avec la police par le biais du 17. Ces informations, susceptibles de vous être utiles, vous étaient-elles communiquées en temps réel ? Vous indiquiez que, à vingt-trois heures, quand vous commenciez à progresser, vous ne saviez pas s’il y avait encore des terroristes au Bataclan, et que vous en doutiez même. Aviez-vous des contacts avec l’extérieur à même de vous communiquer ces informations ?

M. Christophe Molmy. Je ne sais pas trop quelles informations les gendarmes ont obtenues ; en tout cas, nombreuses sont celles arrivées à la préfecture de police, soit directement par les fonctionnaires de police ou via les états-majors. La majeure partie d’entre elles ont été dirigées vers l’état-major, notamment, ensuite, vers le PC-BRI. Il leur revient de faire le tri et de ne me communiquer que les informations utiles, opérationnelles — à savoir celles qui peuvent influer sur l’opération elle-même.

M. le rapporteur. L’information selon laquelle un terroriste se trouve dans les loges, en haut, est forcément utile…

M. Christophe Molmy. Je ne me souviens pas que celle-ci me soit parvenue. En revanche, je sais que, juste avant l’assaut, on m’avise qu’un otage serait en train de tweeter qu’il y a des échanges de coups de feu et que des otages sont en train d’être abattus ; or nous sommes derrière la porte et nous n’entendons pas de coups de feu. De nombreuses informations sont arrivées, ont été triées par le PC et certaines me sont parvenues, sans doute pas toutes.

M. le rapporteur. Vous sont-elles envoyées par le PC opérationnel que vous avez mis en place ou par une salle de crise à la préfecture de police ?

M. Christophe Molmy. Je ne peux pas vous parler de la salle de crise de la préfecture de police : je n’y étais pas et elle ne relève pas de ma responsabilité…

M. le rapporteur. J’imagine qu’un certain nombre d’otages encore présents au Bataclan appelaient automatiquement le 17 — nous avons eu à ce sujet le témoignage de plusieurs victimes.

M. Christophe Molmy. Je pense au 17 mais aussi à des fonctionnaires de police de leur connaissance. Les informations parvenaient de partout et par tous les moyens.

M. le rapporteur. Les informations traitées que vous jugez utiles, opérationnelles, provenaient, dites-vous, de la police ; vous n’avez pas forcément obtenu d’informations de la part de la gendarmerie ou bien…

M. Christophe Molmy. Je n’ai pas dit cela !

M. le rapporteur. …vous ne savez pas comment a été opéré le tri.

M. Christophe Molmy. Je ne sais pas du tout de quelle manière le tri s’est opéré à l’état-major de la préfecture de police de Paris. Je peux vous parler de mon PC : lorsque les informations y arrivaient, elles étaient triées et certaines me sont arrivées.

M. le président Georges Fenech. Je reviens sur une contradiction qu’il faut résoudre : pouvez-vous nous faire parvenir, d’ici au 17 mars prochain, la liste des fonctionnaires de la BRI de Paris présents au début de l’intervention au Bataclan ?

M. Christophe Molmy. Je vous enverrai la liste des quinze, bien sûr.

M. le président Georges Fenech. Ainsi nous lèverons toute ambiguïté.

M. Christophe Molmy. Pour moi, il n’y en a pas, mais je n’ai aucune difficulté à vous communiquer la liste.

M. le président Georges Fenech. Pour nous, il y a ambiguïté, puisque nous avons deux positions différentes exprimées sous serment.

Je relève, dans votre rapport, que vous faites état à deux reprises du PC avancé : à un endroit, vous écrivez que le PC avancé de la BRI est implanté au rez-de-chaussée, sommes-nous bien d’accord ?

M. Christophe Molmy. Le PC avancé, oui.

M. le président Georges Fenech. Et vous écrivez également que tous les numéros de contact de ces personnes étaient retransmis au PC-BRI sur le site du Bataclan.

M. Christophe Molmy. S’agit-il bien de mon rapport ?

M. le président Georges Fenech. Oui.

M. Christophe Molmy. Je crois qu’il s’agit plutôt du document final de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ).

M. le président Georges Fenech. Ce sont les éléments de réponse de la DRPJ.

M. Christophe Molmy. Peut-être y a-t-il une litote.

M. le président Georges Fenech. Je souhaite que vous soyez bien clair sur ce point.

M. Christophe Molmy. Le PC avancé, c’est mon adjoint et moi-même et les officiers chefs de colonne ; nous sommes les uns auprès des autres, les pieds dans le Bataclan. Le PC avancé est plus qu’opérationnel : c’est là où nous prenons les décisions.

M. le président Georges Fenech. Je me suis renseigné sur ce qu’était un PC avancé : il s’agit d’un poste de commandement, une structure sous tonnelle…

M. Christophe Molmy. Non. Il s’agit peut-être d’un abus de langage de notre part, monsieur le président, mais, pour nous, un PC avancé, ce sont les autorités, ceux qui prennent les décisions et qui sont les uns auprès des autres, ce qui est le cas lorsque…

M. le président Georges Fenech. On a du mal à imaginer un PC avancé avec les autorités qui le constituent au milieu des cadavres et des blessés.

M. Christophe Molmy. C’est peut-être un abus de langage de notre part. Considérons dès lors qu’il s’agit de fréquentes réunions informelles des décideurs sur place : nous nous voyons et nous nous parlons.

M. le président Georges Fenech. Où se trouve exactement le PC avancé ?

M. Christophe Molmy. Dans le Bataclan.

M. le président Georges Fenech. Vous faites la distinction entre le PC-BRI et le PC avancé qui, lui, est dans le Bataclan.

M. Christophe Molmy. Oui, je fais aussi la distinction avec le PC de négociation et le PC de coordination avec les autres unités.

M. le président Georges Fenech. En fait, le PC avancé est un PC informel.

M. Christophe Molmy. Oui, bien sûr. Le PC avancé se compose des autorités qui sont à l’intérieur et qui prennent les décisions. Et, comme me le dit à l’instant mon collègue, M. Thoraval, tout est fonction de la configuration des lieux : on peut parfois s’isoler dans une salle et se poser. Au Bataclan, nous étions dans la fosse, puis nous sommes montés dans les escaliers. Avant l’assaut, le PC avancé était sur le premier palier avant l’escalier qui mène à la porte — nous aurons donc l’occasion de le constater sur place ensemble. Nous nous sommes mis là où nous pouvions nous parler en sécurité et prendre des décisions.

M. le président Georges Fenech. Lors des attentats du mois de janvier, la FIPN a-t-elle bien été déclenchée ?

M. Christophe Molmy. Oui, elle a été déclenchée la veille, dans l’après-midi, et associée au GIGN pour la battue menée autour de Longpont où tout a été, semble-t-il, très bien organisé : nous nous sommes partagé le travail entre le GIGN et la FIPN et, au sein de la FIPN, entre le RAID et la BRI par secteurs. La BRI, sous la protection du RAID, a investi, le soir, une maison qui s’est révélée vide. Le lendemain, nous avons laissé une colonne de chaque unité sur place pour finalement les démobiliser quand nous avons su que les frères Kouachi étaient en Seine-et-Marne. Le RAID et le GIGN se sont retrouvés à Dammartin où je me suis également rendu et, estimant que nous étions en surnombre, j’ai demandé l’autorisation, qui m’a été accordée, de me replier sur Paris. Ensuite, étant déjà à Paris, la BRI est intervenue seule et, une petite heure plus tard, le RAID nous a rejoints, nous l’avons intégré dans la configuration FIPN et nous sommes intervenus de conserve.

M. le président Georges Fenech. Contrairement à ce qui s’est passé au Bataclan.

M. Christophe Molmy. Est-ce si important que cela de déclencher la FIPN ?

M. le président Georges Fenech. Il faut la supprimer alors !

M. Christophe Molmy. Ce n’est pas de ma responsabilité, mais je constate que le RAID et la BRI, à Vincennes, ont bien travaillé sous cette égide, mais ont également très bien travaillé au Bataclan. La différence, peut-être, est que, à la porte de Vincennes, le RAID était en unité constituée, avec toutes ses troupes, alors que, au Bataclan, seul un petit détachement est venu nous renforcer. Dans les deux cas, la coordination a été convenable.

M. le président Georges Fenech. Je vous remercie. Je dois mettre un terme à cette audition, car le rapporteur et moi-même avons un rendez-vous avec le préfet de police et tout son état-major à seize heures. M. Thoraval n’a malheureusement pas pu être interrogé, mais il serait intéressant que, lui qui a dirigé les constatations après l’intervention au Bataclan, se joigne à nous le 17 mars prochain lorsque nous nous rendrons sur les lieux.

La séance est levée à 15 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Falorni, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Jean-Luc Laurent, M. Olivier Marleix, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta

Excusé. - M. Jacques Cresta