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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Lundi 4 avril 2016

Séance de 13 heures 30

Compte rendu n°15

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire, et de Mme Fabienne Viton, cheffe du bureau du renseignement pénitentiaire

La séance est ouverte à 13 heures 30.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire, et de Mme Fabienne Viton, cheffe du bureau du renseignement pénitentiaire.

M. le président Georges Fenech. Madame la directrice, madame, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Avec le procureur de la République de Paris, ainsi que les responsables du parquet antiterroriste, les magistrats du pôle antiterroriste chargés de l’instruction et les présidents de la cour d’assises spéciale et de la seizième chambre du tribunal de grande instance de Paris, nous nous sommes intéressés mercredi dernier au volet judiciaire. Nous allons poursuivre avec vous nos investigations sur les moyens de la lutte contre le terrorisme en nous intéressant à la facette pénitentiaire du sujet. Nous allons pouvoir vous interroger sur des questions sensibles comme les problèmes posés par la détention des personnes radicalisées ou encore aborder celle des moyens humains et matériels du renseignement pénitentiaire. Les informations que vous nous donnerez nous seront d’autant plus précieuses que certains d’entre nous se rendront au centre pénitentiaire de Fresnes immédiatement après votre audition.

En raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, cette audition se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée nationale. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Isabelle Gorce et Mme Fabienne Viton prêtent serment.

Madame la directrice, la lutte contre le terrorisme est une nécessité absolue, et nous sommes nombreux à considérer que l’administration pénitentiaire doit prendre part à ce combat, notamment en renforçant ses moyens, afin non seulement d’assurer la sécurité des établissements pénitentiaires et de ses personnels mais également de créer en son sein un service de renseignement susceptible d’apporter des informations issues de la détention quelquefois décisives aux forces chargées de lutter contre les atteintes les plus graves à la sécurité de notre pays. Je pense aux parcours en prison de Mohamed Merah, des frères Kouachi ou d’Amedy Coulibaly. L’un de vos prédécesseurs, le préfet Didier Lallement, avait pris en compte cette nécessité, en créant au sein de l’administration pénitentiaire une grande sous-direction de la sécurité, intitulée « état-major de sécurité », qui disposait de moyens importants. Cette sous-direction faisait un travail remarquable et reconnu par tous. Alors que la France était confrontée à des attentats cruels, vous avez cependant décidé de revenir sur cette organisation et vous avez supprimé, par arrêté du 30 juin 2015, l’état-major de sécurité et délayé cette question de sécurité dans plusieurs sous-directions.

Aujourd’hui, le bureau du renseignement pénitentiaire est placé au sein de la sous-direction des missions, aux côtés du bureau de gestion de la détention, du bureau des politiques sociales, d’insertion et d’accès aux droits, du bureau de l’action juridique et du droit pénitentiaire et du bureau des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine. Dans ces circonstances, madame la directrice, ce choix vous paraît-il judicieux en termes d’implication et de visibilité, notamment en vue de l’insertion du renseignement pénitentiaire au sein du deuxième cercle des services de renseignement ? Et, depuis les attentats de Charlie Hebdo, comment avez-vous organisé l’échelon central de coordination de la sécurité et du renseignement pénitentiaire ? Enfin, pour que la commission puisse faire d’utiles recommandations, il serait utile que nous connaissions les instructions que vous avez reçues ou, à défaut, votre propre position sur la création d’un service de renseignement pénitentiaire spécifique au sein de l’administration pénitentiaire.

Mme Isabelle Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire au ministère de la justice. La réorganisation de l’administration centrale avait très largement précédé, bien entendu, les attentats de janvier et de novembre 2015. L’organigramme est néanmoins entré en vigueur au mois de septembre dernier, donc au beau milieu de l’année.

Pourquoi cette réorganisation ? Pourquoi avoir supprimé l’état-major de sécurité ? Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai estimé que l’administration pénitentiaire était très bien charpentée, avec une loi et un système réglementaire plutôt bien faits, et des services déconcentrés assez structurés. Ce qui lui manquait considérablement et qui n’était quasiment jamais traité par l’administration centrale ni par les services déconcentrés, c’était un travail suffisant sur ses métiers – j’en savais quelque chose, puisque j’avais déjà travaillé douze ans à l’administration centrale, de 1990 à 2002, j’avais d’ailleurs participé à l’une des premières réorganisations de l’administration centrale. C’est là l’une des grandes carences de l’administration pénitentiaire, et ce constat est toujours valable : elle travaille sur ses missions, mais elle ne travaille pas sur la manière de faire. C’est l’une de ses grandes faiblesses : elle manque de réflexion sur l’exercice de ses missions. Il était donc pour moi absolument indispensable de restructurer l’administration centrale pour mieux travailler sur les savoir-faire de l’administration pénitentiaire et sur les pratiques professionnelles, qu’il s’agisse des métiers de la surveillance, des greffes ou des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), des personnels de direction ou des autres fonctions.

Une sous-direction des métiers a donc été créée, qui est aujourd’hui la sous-direction totalement intégratrice de tout ce qui peut être décidé sur les missions de l’administration pénitentiaire. Tout passe par cette sous-direction et on mesure à quel point il est absolument indispensable d’avoir un service totalement dédié aux savoir-faire, aux méthodes de travail et à la manière d’intervenir dans les établissements – on le voit avec les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), avec les transferts des extractions judiciaires, avec l’énorme travail de restructuration des méthodes d’intervention des SPIP qu’a nécessité la mise en œuvre de la réforme pénale.

Dans ce contexte, il fallait évidemment faire des choix, et je n’étais pas convaincue, douze ans après sa création, de l’efficacité de l’état-major de sécurité. J’ai estimé que cette sous-direction s’était totalement cloisonnée et ne travaillait que très peu avec les autres. Le bureau du renseignement, notamment, s’était refermé sur lui-même et j’avais très peu d’informations sur ce qu’il faisait. Je savais qu’il travaillait beaucoup avec les services spécialisés du renseignement mais, à plusieurs reprises, j’ai pu constater que je ne parvenais pas à obtenir les informations que je lui demandais. J’ai donc estimé qu’il devait être replacé au cœur des missions de l’administration pénitentiaire et de la sécurité des établissements, de la gestion des détenus, car c’est bien cela notre mission première, avant de travailler pour les services spécialisés du renseignement : gérer des détenus.

M. le président Georges Fenech. « J’ai estimé », dites-vous, mais je suppose que vous aviez l’accord de la garde des sceaux ?

Mme Isabelle Gorce. Bien entendu. J’ai présenté ce projet très tôt…

M. le président Georges Fenech. La suppression de l’état-major de sécurité s’est donc faite avec l’accord du garde des sceaux de l’époque.

Mme Isabelle Gorce. Bien sûr.

Aujourd’hui, les questions de sécurité sont traitées de façon transversale, au sein de l’administration pénitentiaire. Je rappelle que le premier bureau de la sous-direction des missions se consacre à la gestion des établissements pénitentiaires et de la détention, c’est notamment le bureau qui gère les crises. Il fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une permanence remonte l’ensemble des incidents – le matin et le soir – et toute la chaîne, jusqu’au ministre, est ainsi informée deux fois par jour des crises et des incidents qui ont lieu dans les établissements pénitentiaires. Ce bureau, essentiel, est totalement tourné vers les établissements pénitentiaires et la gestion des détenus, y compris les plus dangereux, ceux qu’on appelle les détenus particulièrement signalés, gérés en étroite collaboration avec le bureau M3, qui est le bureau du renseignement.

Nous avons profité de cette réorganisation, mais aussi des deux plans de lutte contre le terrorisme, le PLAT 1 et le PLAT 2, pour renforcer le rôle du renseignement et surtout restructurer l’ensemble de la chaîne, que ce soit au niveau central, régional ou local. À mon sens, le positionnement de ce bureau au sein de l’administration centrale ne pose pas de problème. Il est bien intégré dans sa sous-direction et travaille mieux avec les autres services de l’administration centrale.

On peut toujours s’améliorer. Demain, un autre mode d’organisation pourra peut-être se dessiner, à la faveur, éventuellement, de l’intégration de l’administration pénitentiaire dans le second cercle du renseignement – ce n’est pas encore totalement voté. À la lumière de mon expérience et de ce qu’est devenu au fil du temps l’état-major de sécurité, il me paraît en tout cas très important que le bureau du renseignement reste totalement amarré à l’administration pénitentiaire et au ministère de la justice. Les informations dont il dispose doivent servir d’abord à la sécurité des établissements et des personnes qui travaillent en leur sein. Mais il peut et doit évidemment transmettre des informations utiles aux services spécialisés du renseignement, soit à la demande, soit de sa propre initiative. Je pense essentiellement à la Direction générale de sécurité intérieure (DGSI) et au Service central du renseignement territorial (SCRT), avec lesquels nous avons des protocoles, mais également à l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste – avec laquelle nous avons des réunions hebdomadaires avec l’UCLAT. Je reçois moi-même le correspondant de l’administration pénitentiaire, puisque j’ai mis un directeur des services pénitentiaires à la disposition de l’UCLAT, qui travaille maintenant à plein-temps au sein de ce service. Cela nous permet d’avoir une interface avec l’Unité. Ce cadre pénitentiaire participe chaque premier lundi du mois au comité de direction que nous organisons sur la lutte contre la radicalisation. L’administration pénitentiaire entretient donc des liens très forts, au plus haut niveau, avec l’UCLAT. De ce point de vue, je pense que l’intégration du bureau du renseignement dans le fonctionnement de l’administration centrale est meilleure.

Quid de l’éventuelle intégration de l’administration pénitentiaire dans le second cercle du renseignement ? J’ai suivi tout le débat qui a commencé au début de l’année 2015. Pour ne rien vous cacher, je n’avais pas d’idée totalement arrêtée sur le sujet. J’y voyais des avantages incontestables, notamment celui d’une meilleure prise en considération d’un savoir-faire qui existe au sein de l’administration pénitentiaire en matière de renseignement. S’il y a en effet des gens qui savent observer ce qui se passe dans un établissement, ce sont bien les personnels pénitentiaires, qui ont ce don particulier, et le temps, surtout, d’observer des individus dangereux et d’obtenir des informations. J’y voyais donc des avantages mais aussi des risques, car, comparés aux services spécialisés du renseignement, nous sommes de petits artisans : nous ne disposons pas de l’infrastructure nécessaire pour superviser toutes les techniques de renseignement et appliquer les dispositions de la loi. Les débats ont donc suivi leur cours, y compris au sein de l’institution, où les positions sont assez partagées. On ne peut pas dire qu’il y ait unanimité sur la question entre les directeurs interrégionaux, au sein de l’encadrement supérieur de l’administration pénitentiaire ou même des organisations professionnelles.

Aujourd’hui, ma position a évolué. Je ne sais pas si nous devons faire partie du second cercle, mais il est certain que nous devons être beaucoup plus professionnels que nous l’avons jamais été, et il est absolument indispensable que nous disposions d’une capacité à faire ce que nous ne pouvons pas faire aujourd’hui. Ainsi, alors que nous sommes confrontés à l’introduction massive de téléphones portables dans les établissements pénitentiaires, nous n’avons pas le pouvoir d’exploiter cette mine d’informations. Certes, tous ces téléphones ne présentent pas le même intérêt, mais lorsqu’ils sont trouvés chez des détenus qui nous intéressent, nous ne pouvons que le faire savoir à nos collègues de la police judiciaire. Or, comme ils sont eux-mêmes débordés, on ne peut pas dire qu’ils en fassent un usage à la hauteur de ce que nous pensons possible. Il serait bon que nous puissions faire une première analyse de ce que contiennent ces téléphones portables – déterminer par exemple quelles personnes ils ont mis en contact – avant de passer la main. L’administration pénitentiaire ne revendique pas le statut d’un service de renseignement, au sens noble du terme – ce n’est pas son métier –, mais il y a là une mine d’informations et nous gérons des gens qui posent des problèmes de sécurité massifs. Nous pourrions recueillir un certain nombre d’éléments dont l’exploitation par les services spécialisés du renseignement serait utile. Or, en l’état du droit, nous n’avons pas la possibilité d’agir.

Cela nécessite-t-il une réforme du code de procédure pénale ou bien une intégration de l’administration pénitentiaire dans le second cercle ? Je ne saurais le dire, mais il est certain que les possibilités d’action de l’administration doivent être améliorées.

M. le président Georges Fenech. Si nous avons bien compris, une réflexion est en cours, sur une question qui nous a déjà occupés en commission des lois, à l’époque où celle-ci était présidée par M. Jean-Jacques Urvoas et où nous examinions le projet de loi sur le renseignement. Vous avez décidé de supprimer l’état-major de sécurité, et le bureau du renseignement pénitentiaire est aujourd’hui intégré au sein de la sous-direction des missions. Selon vous, cela fonctionne bien mais cela pourrait encore être amélioré, sans doute par une intégration de l’administration pénitentiaire dans le deuxième cercle du renseignement.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Je suis l’auteur avec Philippe Goujon de l’amendement visant à permettre que le bureau du renseignement pénitentiaire intègre le deuxième cercle des services de renseignement. Comment envisagez-vous la possibilité d’utiliser des techniques de renseignement ? Nous avions bien senti une réticence de la garde des sceaux, Mme Taubira, dont je pense qu’elle était partagée par un certain nombre de responsables de l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, la discussion se poursuit au Sénat. Comment envisagez-vous concrètement votre réorganisation à la faveur de cette intégration au second cercle ?

Mme Isabelle Gorce. En l’état de ma réflexion, il me semble qu’il y a deux moyens d’envisager la question – en tout cas, je n’en ai pas trouvé d’autres. Soit la direction de l’administration pénitentiaire se dote d’un service ad hoc, une nouvelle sous-direction du renseignement, rattachée directement au directeur, avec tout un réseau qui se décline, soit nous conservons un système intégré. Les organisations sont faites pour évoluer, et il est tout à fait possible que l’organigramme soit modifié eu égard à l’évolution de la situation, mais c’est aujourd’hui un bon organigramme. Au-delà du renseignement, en effet, il y a tout le reste : l’activité de l’administration pénitentiaire consiste quand même, très majoritairement, à s’occuper des détenus et des personnes suivies en milieu ouvert. Or, en la matière, nous avons de vraies carences en termes de méthode.

Pour que le système reste cohérent, le bureau du renseignement doit rester intégré dans les missions de l’administration pénitentiaire et amarré au fonctionnement de celle-ci. Si le service se déconnectait progressivement de l’administration pénitentiaire, il y aurait un vrai risque. Quand bien même serait-il finalement décidé que l’administration pénitentiaire rejoint le second cercle, il faut absolument que son réseau du renseignement reste amarré à ses missions et à la prise en charge des personnes placées sous main de justice, qu’elles soient détenues ou pas. Aujourd’hui, nous comptons 67 000 détenus, et 175 000 personnes suivies en milieu ouvert. Une partie de la question, pas la plus simple ni la plus mince, concerne ainsi le milieu ouvert. Nous avons donc aussi besoin d’être très proches des services du milieu ouvert, au plus près du suivi des personnes en milieu ouvert – je pense notamment à tout ce qui concerne l’approche des publics. En milieu ouvert, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation travaillent énormément en proximité avec les justiciables. Leur demander d’être vigilants, par exemple, sur les processus de radicalisation, cela ne se fait pas du jour au lendemain, et il faut absolument irriguer l’ensemble de l’institution pour que chacun comprenne les enjeux de cette observation et de la remontée d’informations vers les directions interrégionales.

Pour moi, le centre névralgique de l’administration pénitentiaire se situe principalement dans les directions interrégionales. C’est là que se capitalise l’essentiel des informations, et que s’y croisent ce qui vient du niveau national et ce qui remonte du niveau local et départemental, des SPIP. Quel que soit le choix final – maintien du renseignement à l’intérieur d’une sous-direction ou mise en place d’une entité directement rattachée au directeur de l’administration pénitentiaire –, c’est la structuration du réseau du renseignement pénitentiaire qui est aujourd’hui l’une des questions majeures.

L’essentiel de l’activité des collaborateurs de Mme Viton au sein du bureau du renseignement est de saisir des données qui viennent du terrain dans le logiciel CAR. Les capacités d’analyse du bureau sont aujourd’hui très faibles. J’exerce donc une réelle pression pour que le bureau devienne capable de faire des analyses sur ce qui se passe au cours des détentions, pour que nous sachions à quels processus nous sommes exposés. En Rhône-Alpes, particulièrement en Isère, la mafia albanaise est très importante. Qu’en fait-on ? Comment se comportent les gens en détention ? On sait que la mafia albanaise a des intérêts communs avec l’islam radical – trafic d’armes, trafic de stupéfiants, trafics d’êtres humains –, et beaucoup d’argent transite par l’Albanie. Il faut donc la surveiller étroitement notamment en détention. Or nous manquons aujourd’hui de capacités d’analyse sur ce qui se passe dans les détentions. Comment les réseaux se forment-ils ? Qui parle avec qui ? Comment les gens échangent-ils les uns avec les autres ? Ce sont ces analyses que j’attends du bureau du renseignement au niveau national, plus que du traitement, de la saisie et de la gestion au cas par cas. C’est au niveau des directions interrégionales et des établissements, bien sûr avec des remontées au niveau central, que l’essentiel de l’activité du renseignement de terrain doit se faire. C’est ce que nous avons commencé à développer grâce aux moyens obtenus, surtout dans le cadre du PLAT 1, au mois de janvier 2015.

M. le rapporteur. Pour résumer, vous avez rattaché le bureau du renseignement à la sous-direction des missions parce que, s’il avait de bonnes relations avec les autres services de renseignement, il ne répondait plus vraiment à vos sollicitations.

S’il devait intégrer le deuxième cercle, serait-ce pour vous un véritable service de renseignement à part entière ? Ou un lien très fort doit-il demeurer entre vous, directrice, et ce bureau ?

Mme Isabelle Gorce. Le bureau du renseignement était l’un des bureaux d’une sous-direction, l’état-major de sécurité, qui en comptait trois : le bureau de gestion de la détention, le bureau du renseignement et le bureau de la sécurité des établissements, lequel gérait, grosso modo, la sécurité passive, faisait des audits sur la sécurité des établissements et pilotait les équipes régionales d’intervention et de sécurité. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai constaté que ce bureau EMS3 du renseignement pénitentiaire fonctionnait en autarcie au sein de cette sous-direction, et ne rendait pas, à mon sens, le service attendu de lui en termes de gestion tant des établissements que des détenus posant des difficultés – les détenus particulièrement signalés, et les autres. Je vous confirme que je ne parvenais pas à obtenir de ce bureau un certain nombre d’analyses, voire d’informations sur des personnes détenues. Je le sentais très tourné vers les services spécialisés du renseignement mais plus suffisamment amarré à la direction de l’administration pénitentiaire.

La priorité, pour moi, était de travailler sur les métiers pénitentiaires. Cela étant, si la réorganisation a nécessairement affecté l’état-major de sécurité, je n’ai évidemment pas voulu supprimer le bureau du renseignement, qui est très important au sein de la direction de l’administration pénitentiaire – c’est si vrai que mon adjoint et moi le pilotons quasiment en permanence. Ainsi, avec Mme Viton, nous avons fait un voyage de trois jours au Maroc, la semaine dernière, consacré à la question du renseignement et de la radicalisation. Je m’intéresse donc personnellement à ce bureau : compte tenu de l’importance des enjeux, il faut avoir l’œil en permanence sur son fonctionnement. J’ai aussi changé l’équipe qui le dirigeait : Mme Viton a donc pris ses fonctions à la fin de l’année 2015 ainsi que son adjoint. J’ai demandé à cette nouvelle équipe de reprendre en main le bureau pour qu’il soit beaucoup plus amarré à l’administration pénitentiaire et qu’il se consacre davantage aux services qu’on lui demande.

Si nous intégrons le second cercle, je ne sais pas si ce bureau se densifiera, mais il devra en tout cas piloter des techniques que nous ne maîtrisons pas aujourd’hui et animer un réseau encore en phase de construction. C’est un très grand défi, que nous ne renoncerons évidemment pas à relever.

M. le rapporteur. Qu’est devenu le prédécesseur de Mme Viton à la tête du bureau du renseignement pénitentiaire ?

Mme Isabelle Gorce. Il a été nommé directeur de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.

M. Meyer Habib. Je souhaite tout d’abord revenir sur les téléphones portables. Dans le cadre d’une précédente commission d’enquête, nous avions appris que près de 22 000 « items » avaient été saisis en prison : téléphones, puces, etc. C’est considérable, voire invraisemblable. En outre, plus les détenus sont aisés, plus ils arrivent à faire entrer des téléphones – mais cela requiert évidemment des complicités au sein de l’administration pénitentiaire. Faut-il brouiller les communications ou, au contraire, faciliter cette introduction de téléphones pour permettre un meilleur suivi des détenus radicalisés ? Cela se fait dans d’autres pays. Faut-il, par ailleurs, regrouper les détenus radicalisés ou les séparer ? De l’extérieur, il me semble qu’il faut éviter toute dynamique de groupe.

En France, on ne classe pas les détenus selon leur religion. Or ce tabou favorise les rumeurs les plus farfelues. Peut-être le nombre de repas halal peut-il donner une indication, même si, heureusement, l’écrasante majorité de ceux qui mangent halal ne sont pas radicalisés. Notre hantise est qu’un détenu envoyé en prison pour des faits de délinquance en sorte radicalisé – songez à Mehdi Nemmouche.

M. Pierre Lellouche. Au cours de cette législature, j’ai participé à l’examen des sept lois antiterroristes, de la loi renseignement et de celle qui modifie le code de procédure pénale, et j’en passe. Lorsque je me suis rendu à la prison de Fresnes avec mon collègue Guillaume Larrivé il y a un an et demi, nous avons été stupéfaits d’apprendre du directeur de l’établissement que l’administration pénitentiaire n’avait pas le droit d’écouter les téléphones portables qui entrent en prison. Nous venions pourtant de voter une loi sur le renseignement qui permet d’écouter tous les Français ! Cherchez l’erreur. Faut-il donc un texte législatif supplémentaire, madame la directrice, alors même que la loi sur le renseignement permet d’écouter tout le monde ? Et, faute d’empêcher l’introduction de ces téléphones portables en prison, le Gouvernement a-t-il prévu de vous accompagner avec des moyens d’interception ? On sait qu’une grande partie des personnes radicalisées se sont radicalisées sur internet ou en prison.

Deuxième question, qu’en est-il de la gestion du retour des djihadistes ? Le directeur de la prison de Fresnes avait, à l’époque, commencé à séparer les nouveaux venus, arrivés du djihad, des détenus de droit commun en les installant dans une galerie à part, mais Mme Taubira était plutôt sceptique, comme vous le savez. Où en êtes-vous ? Les retours de Syrie et d’Irak seront plus nombreux à mesure que la pression s’accentuera sur Daech …

Troisièmement, il semblerait, d’après des syndicalistes de l’administration pénitentiaire, que des surveillants posent un certain nombre de problèmes de sûreté. Certains, recrutés dans des conditions baroques, seraient des repris de justice, tandis que d’autres témoigneraient une certaine compréhension au milieu intégriste à l’intérieur des établissements. Le confirmez-vous ?

Quatrième question, de combien d’agents disposez-vous pour exercer votre mission de renseignement avec 67 000 détenus et 175 000 personnes en milieu ouvert. Et de combien d’agents faudrait-il disposer ?

Enfin, où en sont ces fameux programmes de déradicalisation ? Y a-t-il un budget, une méthode ? Je me suis intéressé à la manière dont est abordée la question dans d’autres pays, y compris en Arabie saoudite, car il se trouve qu’il en existe là-bas… N’entrent en fait dans ces programmes que des débutants du djihad, pas des djihadistes confirmés. Quelle est votre doctrine sur ce point ?

M. le président Georges Fenech. J’ai moi-même reçu de certains syndicats pénitentiaires des informations selon lesquelles 300 surveillants de prison seraient eux-mêmes l’objet de fiches S, et il y aurait des tensions au sein du personnel pénitentiaire, dont une partie fréquenterait des mosquées salafistes. Est-ce exact ?

Mme Isabelle Gorce. Les téléphones portables, je l’ai déjà dit, sont incontestablement un fléau pour l’administration pénitentiaire, et le nombre de saisies ne diminue pas, il augmente.

M. Pierre Lellouche. Ça, c’est parce qu’on a supprimé la fouille !

Mme Isabelle Gorce. Oui et non.

Une modification de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 vient d’être adoptée par le Sénat sur la proposition du Gouvernement. Je ne conteste pas que l’application de cette disposition ait posé un problème d’autant que je suis la directrice qui a mis en œuvre l’article 57. Quand j’ai pris mes fonctions, la loi, pourtant adoptée par le Parlement, n’était pas appliquée. Cependant, s’il n’y a plus de fouilles systématiques à l’issue des parloirs, les détenus sont quand même fouillés à d’autres occasions.

M. le président Georges Fenech. Cet article avait été adopté par la précédente majorité, en conformité avec une directive européenne. On peut effectivement se demander s’il ne faudrait pas revenir sur cette disposition.

Mme Isabelle Gorce. Ayons cependant à l’esprit que le nombre de téléphones portables, clés USB et tout petits éléments matériels liés à l’usage d’un téléphone portable a augmenté dans les établissements pénitentiaires même lorsque l’article 57 n’était pas appliqué. Cette augmentation n’est donc pas particulièrement liée à la mise en œuvre de cette disposition. Je crois que les fouilles n’étaient pas si bien faites que cela. Un certain nombre d’objets entraient déjà dans les établissements pénitentiaires à une époque où, en théorie au moins, elles étaient systématiques à la sortie des parloirs.

Il y a trois types de moyens pour faire entrer des téléphones portables en prisons : les projections, et il y en a beaucoup ; les parloirs, sûrement ; le personnel ou des intervenants extérieurs, cela arrive. Régulièrement, des agents sont interpellés, placés en garde à vue, condamnés et révoqués.

M. le président Georges Fenech. « Régulièrement » ?

Mme Isabelle Gorce. Oui. J’ai révoqué près de quarante agents ces deux dernières années. La direction de l’administration pénitentiaire est intransigeante en cas d’implication du personnel dans les différents trafics.

M. le président Georges Fenech. Le chiffre que vous donnez est quand même considérable. Ces agents éprouvent-ils quelque sympathie à l’égard du mouvement salafiste ? Agissent-ils à des fins lucratives ?

Mme Isabelle Gorce. La religion des détenus n’est pas forcément en cause. C’est surtout un commerce, même s’il peut aussi y avoir des pressions sur les surveillants. Et ce commerce n’est pas propre à la France.

Comment lutter contre l’introduction des téléphones portables ? Il y a plusieurs manières de voir les choses.

Le plus simple est de développer les brouilleurs. Si on tue la demande, on tuera le trafic, qui engendre par ailleurs des tensions entre détenus ; des pressions s’exercent sur un certain nombre d’entre eux, souvent les plus vulnérables, puisque ce sont ceux qui ne sont pas fouillés. C’est à eux que l’on demande d’introduire, au moment des parloirs avec leurs familles, des téléphones portables pour les caïds. C’est un effet pervers. Le meilleur moyen de lutter contre l’introduction des portables, c’est donc le brouillage.

Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas aujourd’hui comme on veut ? Parce que les systèmes de brouillage installés dans les établissements pénitentiaires ne sont pas évolutifs. Ainsi, un certain nombre de brouilleurs ne peuvent brouiller que la 2G ou la 3G, mais pas la 4G. Dans de nouveaux établissements comme ceux que nous ouvrons actuellement, par exemple à Valence, la 4G est brouillée et aucun téléphone portable n’y circule. Mais lorsque la 5G arrivera sur le marché les brouilleurs ne seront plus adaptés. Il faut donc des équipements évolutifs.

M. le rapporteur. Combien y a-t-il de brouilleurs actuellement ?

Mme Isabelle Gorce. Plus de 400… Je vous transmettrai le chiffre exact, je ne l’ai pas en tête.

Deuxième sujet, les brouilleurs sur le marché n’ont pas été pensés pour les prisons, avec leurs coursives, leurs couloirs, leurs escaliers, leurs différents niveaux. Faut-il alors faire en sorte de brouiller massivement, au risque de brouiller dans les environs et sans doute de poser quelques problèmes de santé publique ? Nous brouillons certains quartiers de détention : les quartiers d’isolement, ou certaines ailes où se trouvent des détenus susceptibles de poser problème.

Nous recherchons donc des solutions techniques : premièrement, un système de brouillage évolutif ; deuxièmement, un système de brouillage adapté à l’architecture des prisons. J’ai beaucoup de contacts avec les Belges, qui me disent que tout marche bien chez eux, mais ils ont certainement fait comme nous : ils ont installé des systèmes de brouillage 4G. Cela fonctionne donc bien, mais je ne sais comment ils feront lorsque la 5G arrivera – je doute qu’ils soient plus performants que nous. Le problème du caractère évolutif des dispositifs demeure.

Surtout, se pose la question de l’adaptation à l’architecture. Nous avons travaillé avec des industriels pour tester un dispositif innovant. Sur la base de cette expérimentation, nous avons lancé un marché pour mettre en concurrence des industriels sur un dispositif adapté à notre besoin ; c’est ce qu’on appelle un dialogue compétitif. Neuf entreprises ont répondu. Elles pourront tester un système sur site, dans un établissement, et nous choisirons à l’automne celle avec qui nous passerons un marché pour développer un nouveau système de brouillage, adapté à nos besoins.

M. Pierre Lellouche. Et vous faut-il un nouveau texte législatif, madame la directrice ?

Mme Isabelle Gorce. Selon l’analyse de nos juristes, oui.

La loi nous permet d’écouter et d’enregistrer les communications téléphoniques passées légalement par les détenus dans les cabines installées dans les établissements pénitentiaires. En revanche, aucun texte ne nous permet de détecter les communications téléphoniques illicites, de les écouter ni de les enregistrer.

L’une des difficultés est que les détenus téléphonent à des personnes à l’extérieur. Nous écouterions donc non seulement les détenus mais aussi leurs interlocuteurs à l’extérieur.

M. Pierre Lellouche. Cela ne tient pas ! On peut écouter tous les Français !

Mme Isabelle Gorce. Un service de renseignement le peut. Les services spécialisés du renseignement peuvent ainsi écouter les détenus, et il peut arriver que les autorités judiciaires, ayant appris en écoutant des personnes à l’extérieur qu’un détenu avait un téléphone portable, nous demandent de surtout le lui laisser, mais c’est bien sur décision d’un juge que les conversations de ce détenu seront enregistrées par un système d’écoute téléphonique.

L’administration pénitentiaire n’a ni compétence propre ni attributions pour le faire. En revanche, si elle rejoint le second cercle, elle pourra faire comme les autres services spécialisés du renseignement.

M. le président Georges Fenech. Elle pourra alors utiliser toutes les techniques prévues par la loi sur le renseignement.

M. Pascal Popelin. Selon la loi sur le renseignement, ce sont le ministère de l’intérieur, via ses services, le ministère de la défense et le ministère du budget qui peuvent constituer un dossier.

M. le président Georges Fenech. Je rappelle que M. Popelin est membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

M. Pascal Popelin. Un certain nombre de services sont habilités à faire ce type de demande, mais rien n’empêche le bureau du renseignement pénitentiaire de solliciter la DGSI. Ensuite, le dossier arrive, et il est visé, dans le cas qui concerne la DGSI, par le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur. La CNCTR rend un avis sur l’opportunité et c’est le Premier ministre, ou son représentant, qui décide d’autoriser l’écoute pour une période de quatre mois renouvelable autant qu’il est jugé nécessaire.

M. le président Georges Fenech. Entre les autorisations administratives et les interceptions judiciaires, en quoi un nouveau dispositif législatif vous est-il nécessaire ?

M. Pierre Lellouche. L’administration pénitentiaire ne peut pas écouter.

M. Pascal Popelin. Même en l’état actuel des choses, rien n’empêche l’administration pénitentiaire de solliciter les services habilités – je pense en particulier, compte tenu des sujets qui nous occupent, à la DGSI – pour qu’une écoute soit diligentée.

M. le président Georges Fenech. Êtes-vous d’accord avec cela ?

Mme Isabelle Gorce. C’est exactement ce qui se passe. L’administration pénitentiaire ne peut pas elle-même, toute seule, écouter quelqu’un. Elle peut faire appel à d’autres services pour le faire.

M. Pierre Lellouche. C’est cela qu’il faut changer !

M. Pascal Popelin. Actuellement, seuls trois ministères peuvent solliciter l’usage de techniques de renseignement. Lors de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, l’Assemblée nationale a prévu d’y ajouter le ministère de la justice, et le Sénat a confirmé cette possibilité. Il faudra ensuite que le garde des sceaux sollicite lui-même l’intégration du bureau du renseignement pénitentiaire dans la communauté du renseignement au titre du deuxième cercle. Aujourd’hui, le recours à ces techniques est quand même possible, moyennant une étape supplémentaire.

M. le président Georges Fenech. Nous allions aborder la question du regroupement des détenus radicalisés.

Mme Isabelle Gorce. Islamistes radicaux ou pas, les détenus dangereux sont en règle générale gérés sur le mode de la dispersion par toutes les administrations pénitentiaires du monde, à quelques exceptions près. Et, parfois, elles les font tourner entre établissements.

Après l’initiative prise par le directeur de l’établissement de Fresnes, nous avons décidé de créer des unités dédiées pour gérer les islamistes radicaux, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous avons constaté qu’un certain nombre posaient de vrais problèmes en détention, se livrant au prosélytisme auprès d’autres détenus, avec parfois de grandes capacités à rassembler autour de leur personne. Il fallait donc intervenir pour éviter que trop de détenus se fassent prendre dans les mailles du filet. D’autant que ces prosélytes sont souvent des caïds ; ils ne s’intéressent pas qu’à l’âme de leurs codétenus : ils les pourvoient aussi en biens matériels. Il s’agissait donc, en premier lieu, d’éviter le prosélytisme.

Ensuite, si un grand nombre de ces personnes qui reviennent de Turquie ou de Syrie ont été placées sous mandat de dépôt, en fait, nous ne savons rien d’elles : d’où viennent-elles ? qui sont-elles ? Pourquoi sont-elles parties ? Ce qu’elles nous racontent n’est pas forcément la vérité. Nous avons donc décidé de consacrer les unités dédiées, celle de Fresnes, du fait de la proximité du Centre national d’évaluation (CNE), puis celle de Fleury-Mérogis parce que nous avions besoin d’étendre notre dispositif, à l’évaluation de ces détenus qui reviennent essentiellement de Turquie ou même qui sont arrêtés dans le cadre d’opérations de police contre des associations de malfaiteurs. L’idée est de faire un bilan pour savoir pourquoi ils en sont arrivés là. Nous savons qu’un certain nombre s’est converti, que d’autres n’avaient pas particulièrement eu de liens avec la délinquance, ou alors seulement avec la petite et moyenne délinquance, sans avoir fait parler d’eux au titre de l’islam radical. Ce bilan est nécessaire pour savoir comment les gérer, c’est-à-dire comment mettre en place un programme de prise en charge. J’ai estimé qu’il fallait essayer de faire quelque chose avec eux à partir du moment où nous les avions sous la main.

Nous pouvons les gérer à l’isolement ou les disperser dans les établissements de la région parisienne, mais, pour mettre en place un programme spécifique de prise en charge, alors que le taux d’encombrement des établissements de la région de la région parisienne atteint des niveaux inédits, il fallait s’organiser et les regrouper.

Nous avons donc commencé à les regrouper par petits groupes à la maison d’arrêt du Val-d’Oise, à Osny. Pendant un an, nous y avons testé, avec l’Association française des victimes de terrorisme, un programme de prise en charge pour des groupes d’une quinzaine de détenus. Certains appellent cela un programme de « déradicalisation » : nous n’avons pas cette prétention, nous ne cherchons pas nécessairement à intervenir sur la question religieuse, nous nous intéressons plutôt au comportement. Notre problème n’est pas tant qu’ils se soient convertis que de déterminer s’ils sont dangereux et risquent de passer à l’acte.

Au bout d’un an, le résultat s’est révélé suffisamment intéressant pour que nous décidions de développer ce type de programme. Nous avons donc créé une unité dédiée à Osny, et une autre à Fleury-Mérogis, où nous travaillons avec un autre partenaire, la Fondation pour la recherche stratégique, pour tester une autre approche.

À Osny, douze détenus, qui viennent essentiellement de Fresnes et de Fleury-Mérogis, ont été intégrés au programme. Regroupés pour une durée de six mois, ils sont pris en charge du matin jusqu’au soir. Ils sont seuls en cellule, et suivent un programme qui leur est imposé – cela fait partie du contrat qui leur a permis de quitter des établissements surencombrés pour venir à Osny. Évidemment, c’est expérimental. Nous essayons de tester une approche individuelle et collective pour les amener à une remise en question de leur engagement et de leur comportement, et nous avons obtenu quelques changements d’attitude ou de discours qui nous laissent présager que la démarche est intéressante et qu’il faut continuer.

Ce ne sont évidemment pas les détenus complètement enfermés dans leur islam radical qui vont dans ces unités dédiées de déradicalisation – ceux-là ne veulent pas communiquer avec nous. Il faut des détenus capables de faire preuve d’auto-critique. C’est pourquoi un bilan initial, à Fresnes ou à Fleury-Mérogis, est nécessaire.

S’agissant des plus radicalisés, soit nous les gérons à l’isolement, en région parisienne, soit nous essayons de les transférer au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, où nous avons créé une autre unité dédiée, destinée, celle-ci, à des détenus beaucoup plus ancrés dans l’islam radical. Dans leur cas, une approche plus individuelle nous paraît nécessaire. En outre, nous travaillons beaucoup plus avec des imams, car il faut entrer dans le vif de l’approche religieuse des choses.

Nous essayons, nous testons. J’ai toujours dit qu’il fallait en tout état de cause nous organiser pour prendre en charge ce problème. Tant mieux, si nous obtenons quelque résultat ; si cela ne marche pas, nous en tirerons les conclusions et nous ferons autrement. En tout cas, l’approche est extrêmement intéressante, et certains détenus « se réveillent », presque au sens propre du terme, à une analyse critique et deviennent capables de remettre en cause les engagements pour lesquels ils sont incarcérés.

En ce qui concerne les surveillants, je sais ce que disent les organisations professionnelles, mais tout cela n’est pas crédible. Non, il n’y a pas 300 surveillants qui font l’objet de fiches S. Il n’y a pas un nombre important de surveillants suivis au titre de l’islam radical par les services de renseignement. Quelques cas isolés posent toutefois problème, et nous sommes en train de nous organiser au niveau de l’administration centrale pour créer une cellule de veille sur ces remontées d’informations. Nous allons nous rapprocher de l’UCLAT pour échanger des informations sur ces surveillants et nous assurer qu’ils ne présentent pas de risques. Le sujet est extrêmement délicat et exige beaucoup de sang-froid.

Vous m’avez interrogée sur les moyens. Nous avons créé plus de cinquante emplois en 2015 pour renforcer le renseignement pénitentiaire. Il faut encore en créer une centaine. Nous avons renforcé le bureau du renseignement pénitentiaire, mais nous connaissons actuellement un petit creux de vague, parce qu’un certain nombre d’agents sont partis à la faveur de notre déménagement de la rue du Renard, dans le Marais, à la porte d’Aubervilliers. Nous sommes donc en phase de recrutement.

Dans les directions interrégionales des services pénitentiaires, quatorze agents étaient positionnés sur le renseignement pénitentiaire, nous en avons trente-quatre aujourd’hui. Nous avons créé onze emplois d’analystes-veilleurs, douze emplois d’investigateur numériques, trois emplois de traducteurs – nous en avons encore sept à recruter. Nous avons des délégués du renseignement pénitentiaire dans tous les établissements. Notre objectif est d’atteindre quarante-quatre emplois d’officiers à temps plein en 2016 ; nous sommes en train de les recruter. Des commissions administratives paritaires se sont tenues la semaine dernière. Nous n’avons pas fait le plein, mais nous aurons dorénavant des officiers spécialisés sur ces questions à temps plein. Nous avons également demandé aux 103 SPIP d’identifier un référent du renseignement pénitentiaire – c’est quasiment chose faite. Celui-ci fait le lien entre leurs collègues qui ont des informations à donner, les services de renseignement et les directions interrégionales ; ces référents participent avec leur chef de service à l’état-major de sécurité des préfectures.

La phase de déploiement de moyens n’est pas terminée. En outre, nous devons parallèlement former les agents, les professionnaliser. Il faut tout simplement qu’ils sachent ce qu’ils doivent observer. Qu’est-ce qu’un islamiste radical ? Quels changements de comportement doivent être repérés ? Quelles informations faut-il absolument faire remonter, au niveau régional et au niveau national ? C’est tout un réseau qui est en cours de constitution. Nous sommes passés du petit artisanat à la PME.

M. Pierre Lellouche. Si la mission d’un agent est de renseigner sur d’éventuels dommages à l’établissement ou sur ce qui se passe à l’intérieur de la prison, il ne s’agit pas là du travail de renseignement dont le pays a besoin : il faudrait plutôt repérer d’éventuelles connexions entre ces gens et des groupes djihadistes à l’extérieur des prisons. Il est bon d’avoir un service de renseignement… encore faut-il savoir quelle est sa mission ! S’agit-il de rester dans le cadre pénitentiaire ou bien de contribuer au renseignement général et à la lutte contre le terrorisme ? La question n’est pas sans implications sur la formation de vos agents.

Mme Isabelle Gorce. Les services de renseignement ne s’occupent pas seulement de djihadisme et d’islam radical mais aussi du grand banditisme, de criminalité organisée, de terrorisme basque lié à l’ETA – cela concerne encore une centaine de détenus de nos établissements. En outre, il n’y a pas d’islamistes radicaux dans tous les établissements pénitentiaires français.

Il y a donc un travail de renseignement, de suivi et de recueil d’informations au sein de l’établissement : qui sont les détenus ? Que font-ils ? Avec qui sont-ils dans les cours ? Avec qui parlent-ils ? Changent-ils de comportement ? Ces informations sont ensuite transmises et partagées avec les services spécialisés du renseignement. Elles irriguent également la chaîne de l’administration pénitentiaire. Si nous pensons qu’un détenu présente des risques ou pose des problèmes dans un établissement pénitentiaire, notre premier devoir est de le changer d’établissement, pour assurer la sécurité de l’établissement et des codétenus. Ainsi, les prosélytes islamistes de la prison de Béziers dont le cas a été évoqué la semaine dernière par BFM ont été transférés dans un autre établissement ou placés à l’isolement. Si un certain nombre d’informations recueillies par l’officier de renseignement laissent penser que tel détenu est dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis d’autres, qu’il est en train de devenir le caïd du lieu ou qu’il commence à faire du prosélytisme, il faut d’abord gérer cette personne au niveau de l’administration pénitentiaire – c’est ce qu’on appelle la gestion de la détention. Ensuite, les services spécialisés du renseignement seront saisis puisque les officiers de renseignement les voient toutes les semaines et partagent avec eux les informations nominatives sur les détenus suivis. Par ailleurs, ces échanges sont aussi l’occasion, pour l’administration pénitentiaire, de recevoir des informations de l’extérieur : les services spécialisés de renseignement nous signalent les détenus suivis par eux, et nous demandent de les informer de ce qui se passe à l’intérieur des détentions avec ces détenus-là. Il s’agit donc de gérer le collectif des détenus et d’assurer la sécurité à l’intérieur des établissements tout en contribuant à la sécurité publique.

M. le président Georges Fenech. Pouvez-vous préciser cela, madame Viton ?

Mme Fabienne Viton, cheffe du bureau du renseignement de la direction de l’administration pénitentiaire. Je confirme ce que vient de dire Mme Gorce. Il y a, depuis plusieurs années, des échanges permanents entre le bureau du renseignement pénitentiaire et les services centraux de renseignement ou de police. Ils ont lieu aujourd’hui au niveau le plus local, donc finalement au plus près du phénomène, au niveau où on en a la connaissance la plus fine. Nous sommes nettement passés à une vitesse supérieure ces derniers temps.

M. Alain Marsaud. Je ne porte pas de jugement sur la décision de dissoudre l’état-major de sécurité en pleine période de crise ; elle vous appartenait – ou elle appartenait à la garde des sceaux de l’époque.

D’après les échos que nous en avons des différents services spécialisés, ce qui manquerait au sein du bureau pénitentiaire, ce sont des analystes, des personnes vraiment en mesure de traiter l’information « brute ». Or, en matière de djihadisme, vous êtes l’une des administrations qui a le plus d’informations, que ce soit sur ce qui se passe en milieu fermé ou en milieu ouvert. Ne vous serait-il pas possible d’« emprunter » ces analystes – par voie de détachement, par exemple – aux services spécialisés ? J’ai cru comprendre qu’ils étaient assez favorables à l’idée de travailler davantage avec vous.

Ma deuxième question concerne les détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité en matière de terrorisme dont l’un, Georges Ibrahim Abdallah, fut de mes « clients » – il doit en être à sa trente-troisième ou trente-quatrième année à Lannemezan, où il reçoit régulièrement la visite de parlementaires qui le soutiennent. Ont-ils un statut spécial ?

Mme Isabelle Gorce. Je le répète, le bureau du renseignement n’était pas une sous-direction. C’est l’état-major de sécurité qui était une sous-direction, composée de trois bureaux : celui de la gestion de la détention, qui existe toujours ; celui du renseignement, qui, lui aussi existe toujours ; et celui de la sécurité, réintégré dans la sous-direction des métiers. Les compétences de l’état-major de sécurité n’ont donc pas disparu de la direction de l’administration pénitentiaire, je pense même qu’elles se sont plutôt développées.

En ce qui concerne les compétences propres du bureau du renseignement, oui, nous avons besoin de passer à la vitesse supérieure et de nous charpenter sur notre capacité à analyser ce qui se passe à l’intérieur de nos établissements et à corréler ce qui se passe à l’intérieur avec ce qui se passe à l’extérieur. Nous avons besoin d’aider nos services à mieux comprendre les phénomènes qui se déroulent au sein des établissements pénitentiaires. Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’essentiel des effectifs actuels du bureau du renseignement est composé d’agents qui font de la saisie sur le logiciel CAR, qui n’existe actuellement qu’au niveau central. C’est une petite machine un peu artisanale que nous souhaitons complètement restructurer pour pouvoir la décliner au niveau régional ; quand les saisies seront faites à ce niveau, le bureau de l’administration centrale pourra se consacrer à autre chose. Pour passer à la vitesse supérieure, nous avons besoin de moyens : un système d’information complètement redéfini, des compétences différentes de celles que nous avons aujourd’hui et, effectivement, des analystes. Je ne désespère pas de pouvoir recruter – pourquoi pas par voie de détachement – des personnels qui viendraient, notamment, du ministère de l’intérieur.

Quant à nos « terroristes historiques », condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, ils sont presque tous répartis entre les différentes maisons centrales. Souhaitant savoir comment ils étaient gérés par ces établissements, notamment en termes de dispersions et regroupements, j’ai demandé à l’inspection des services pénitentiaires de procéder à un audit. L’inspection a fait le tour de toutes les maisons centrales dans lesquelles sont incarcérés ces détenus. Il en ressort – c’est assez positif – que les établissements savent gérer ces détenus, dont une grande partie sont totalement restés enfermés dans leur islam radical, et n’ont pas évolué depuis des dizaines d’années. On peut dire, aussi, qu’on ne s’est pas vraiment occupé d’eux non plus… Une partie d’entre eux travaille et continue de pratiquer son culte en détention. Leur engagement, leur comportement n’ont pas vraiment changé, mais ils sont sous contrôle – étroit.

M. Olivier Falorni. L’administration pénitentiaire a fermé les yeux : elle a été aveugle pour acheter la paix à l’intérieur des prisons. J’ai fait valoir mes droits de parlementaire pour aller visiter la maison centrale située dans ma circonscription, celle de Saint-Martin-de-Ré. J’y ai découvert des préfabriqués, appelés « casinos ». L’un a été pris en main par les Basques, un autre par les Haïtiens, et un troisième, dont les fenêtres ont été calfeutrées, est en fait une mosquée clandestine salafiste, où les personnels ont beaucoup de mal à entrer. Quand j’y suis allé, une affichette en arabe au-dessus de la porte prônait le djihad. Et cela dure depuis des années !

Aussitôt après cette visite, lors des questions d’actualité au Gouvernement, j’ai demandé à la ministre de la justice de détruire ces casinos – appelés ainsi parce que c’étaient à l’origine des salles où on jouait aux cartes. L’aumônier musulman m’a dit qu’il ne rencontrait plus de détenus à Saint-Martin-de-Ré : visiblement, l’islam républicain qu’il professe n’y a plus d’audience, ou alors la pression est forte sur les détenus qui seraient susceptibles d’aller voir cet homme, considéré comme un « collaborateur » et un espion de l’État français. Mme Taubira m’a répondu qu’il serait procédé à la destruction de ces casinos, mais j’attends toujours confirmation que celle-ci a bien eu lieu. Cette situation est parfaitement scandaleuse.

Mme Isabelle Gorce. Les « casinos » de Saint-Martin-de-Ré existent depuis des années, et ont toujours été des lieux de regroupement des détenus, qui s’y retrouvent par affinités. Très sincèrement, je ne peux pas vous préciser aujourd’hui si les casinos ont été détruits ou pas, mais je peux vous dire que cette destruction a été programmée et budgétée. En tout cas, il n’est pas dans mes intentions de maintenir des situations de cette nature.

Si une mosquée clandestine s’est installée dans le casino, c’est qu’on a laissé faire. Il y a là un travail de reprise en main de l’établissement, ce n’est pas qu’une question de bulldozer – je le dis aussi pour l’ensemble du personnel de cette centrale.

M. Olivier Falorni. On abandonne les maisons centrales ?

Mme Isabelle Gorce. Non, mais il faut que le personnel soit aussi là. Un certain repli du personnel de surveillance peut avoir pour effet des comportements qui ne sont pas admissibles de la part des détenus, des regroupements qui ne sont plus sous contrôle. Nous devons reprendre le contrôle partout.

M. Pierre Lellouche. Mais les directeurs des maisons centrales dépendent de votre direction, madame !

M. le rapporteur. Je ne comprends pas. Si la situation est connue de vos services, pourquoi ne pas fermer tout simplement ce « casino » ? Pourquoi des agents n’entrent-ils pas pour arracher les affiches ? Sans doute un certain nombre d’agents trouvent-ils plus confortables d’éviter d’aller au contact pour préserver la « paix sociale » dans l’établissement, mais cette situation est problématique – et sans doute pas unique en France. Il faut réaffirmer l’autorité de l’administration pénitentiaire.

Mme Isabelle Gorce. Je partage entièrement votre point de vue. Simplement, dans ces casinos très anciens, il y avait aussi une bibliothèque et une laverie.

M. Olivier Falorni. Il n’y a plus de bibliothèque ni de laverie ! On n’y trouve que des affichettes salafistes.

M. Meyer Habib. Y a-t-il d’autres cas similaires ?

Mme Isabelle Gorce. Je viens de vous dire que j’ai fait faire une inspection de l’ensemble des maisons centrales. Je n’ai pas de retour de cette nature.

M. le président Georges Fenech. C’est donc très spécifique à Saint-Martin-de-Ré. Nous allons nous intéresser à ce problème.

Mme Françoise Dumas. Avez-vous le sentiment que la radicalisation concerne plutôt certains territoires, certaines populations ? Ma région – le Sud-Est – est très fortement concernée par le radicalisme. Y a-t-il des zones plus préservées ? Sentez-vous une évolution inquiétante ? Je voudrais aussi savoir combien de mineurs incarcérés sont concernés et quelle est la proportion de femmes ou de filles ?

Des mesures de prévention peuvent-elles être prises ? Qu’en est-il du rôle des aumôniers religieux ? Vous sont-ils utiles, ou vous mettent-ils des bâtons dans les roues ?

Mme Isabelle Gorce. Nous avons cinq mineurs écroués pour terrorisme, une dizaine de femmes, et une seule jeune fille mineure.

Nous avons commencé à cartographier les signalements faits au niveau des établissements sur la question de l’islam radical. Se dessine un axe Paris-Lyon-Marseille, qui n’est pas tellement étonnant, auquel s’ajoute le Languedoc-Roussillon, ce qui n’est pas totalement étonnant non plus. Cela recoupe ce qui est dit également par les services de renseignement. Évidemment, il est intéressant de voir comment cela évolue, notamment pour les services de milieu ouvert, qui sont vraiment au contact du tout-venant des personnes placées sous main de justice.

Le nombre de mineurs écroués est à peu près stable : 700 à 800 en permanence. Ils sont difficiles. Écroués dans des quartiers de mineurs ou des établissements pour mineurs, ils peuvent assez facilement être dans la provocation. Une action spécifique est donc nécessaire, assez différente de celle menée avec les majeurs. Nous travaillons beaucoup avec l’éducation nationale sur l’éducation à la citoyenneté, la laïcité, les valeurs républicaines, en mobilisant des partenaires extérieurs, culturels ou autres. On ne peut pas dire qu’il y ait un mouvement massif de radicalisation chez les mineurs. Ils sont plus ambivalents dans leur comportement.

Vous m’interrogiez sur le nombre de musulmans dans les établissements pénitentiaires : on comptabilise le nombre de personnes qui déclarent faire le ramadan – et non le nombre de personnes qui mangent halal. Sur 67 000 détenus, 18 000 ont déclaré le faire, l’année dernière. On ne sait pas si tous sont musulmans. Compte tenu de la surpopulation carcérale, des détenus qui ne sont pas musulmans peuvent en effet faire le ramadan parce qu’ils sont détenus avec d’autres, qui le font. Du fait d’un phénomène de conformation sociale en prison, on suit parfois la majorité du groupe. Dans un établissement pour mineurs, la proportion de détenus faisant le ramadan peut atteindre 80 %. Dans celui de Porcheville, à l’ouest de Paris, la quasi-totalité des mineurs a déclaré faire le ramadan l’année dernière. Cela ne veut pas dire qu’ils le feront pendant toute la période, mais il y a bien un phénomène de groupe et de conformation sociale. C’est un risque auquel il faut être particulièrement attentif.

Les aumôniers sont des partenaires très importants dans la lutte contre la radicalisation. Nous avons créé 39 emplois d’aumôniers en 2015, sur un volume de 60 prévus dans le cadre du premier plan de lutte antiterroriste du mois de janvier 2015. Et nous avons évidemment des contacts réguliers et étroits avec l’aumônier national des prisons. L’aumônerie musulmane est complexe ; les courants, les obédiences, les luttes d’influence n’y sont pas neutres. Il peut arriver ainsi que les détenus refusent de voir un aumônier non parce qu’ils se sont radicalisés mais parce qu’ils sont majoritairement algériens et que l’aumônier est marocain.

M. Pierre Lellouche. Il manque donc une vingtaine d’aumôniers.

Mme Isabelle Gorce. Nous ne les recrutons pas nous-mêmes. C’est l’aumônier national qui, avec les aumôniers régionaux, recherche les personnes qui acceptent d’exercer les fonctions d’aumônier. Il s’agit d’une activité à temps partiel assez mal payée, et le recrutement n’est pas facile car, pour les aumôniers musulmans, c’est quasiment une activité professionnelle alors que les aumôniers catholiques et protestants sont très majoritairement bénévoles. Nous avons obtenu une revalorisation des indemnités dans le cadre du PLAT 2. Elle devrait intervenir dans les semaines à venir – il faut modifier un arrêté pour augmenter le montant versé.

M. Meyer Habib. Vos aumôniers sont-ils au-dessus de tout soupçon ?

Mme Isabelle Gorce. Il est procédé à enquête préfectorale avant tout agrément.

M. Serge Grouard. Quelle est la proportion de musulmans dans la population carcérale ? Je suis certain que l’on peut avoir des indications relativement précises.

Par ailleurs, vous avez dit, madame la directrice, que le rapport d’inspection que vous aviez demandé ne mentionnait pas d’autre cas que celui évoqué par notre collègue Olivier Falorni, mais ce cas lui-même figurait-il dans le rapport rendu ?

Mme Isabelle Gorce. Le rapport ne mentionne pas la persistance d’un phénomène tel que constaté par M. Falorni.

M. Serge Grouard. Cela laisse augurer qu’il y en a d’autres.

M. le président Georges Fenech. Pourriez-vous nous tenir informés sur ce point, madame la directrice ? Et pouvez-vous nous donner des précisions sur le nombre de musulmans ?

Mme Isabelle Gorce. Nous ne tenons pas le compte du nombre de détenus musulmans.

M. le président Georges Fenech. Le sociologue Khosrokhavar, dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dont Éric Ciotti était le président et Patrick Mennucci le rapporteur, s’était livré à une estimation, de même que notre collègue Guillaume Larrivé dans un précédent rapport, mais la loi interdit ce genre de chiffrage.

M. Pierre Lellouche. Si la loi interdit de dire la vérité, alors il faut la changer !

M. le président Georges Fenech. Ils estimaient à environ 60 % la proportion de détenus de confession musulmane.

Mme Isabelle Gorce. Je ne tiens évidemment pas ce genre de statistiques. Encore une fois, nous ne connaissons que le nombre de détenus qui font le ramadan. Et celui-ci est proportionnellement beaucoup plus important en région parisienne qu’au plan national, où il représente 25 % à 30 % de la population carcérale totale – je pense que M. Khosrokhavar évoquait plutôt la région parisienne.

Gardons en outre à l’esprit qu’un établissement pénitentiaire est aussi un lieu où s’exercent des pressions. Il y a une forme de conformation sociale, qui est très importante. Des détenus qui ne sont pas a priori particulièrement pratiquants seront, en prison, soumis à la loi du groupe, mais il en allait déjà ainsi hier et cela n’en faisait pas des terroristes !

M. Pierre Lellouche. Certes, vous ne tenez pas ce genre de statistiques, mais si vous en aviez la possibilité, vous serait-il utile de savoir qui est qui dans un établissement pénitentiaire ?

M. le rapporteur. Avez-vous des chiffres précis sur le nombre de détenus incarcérés pour terrorisme lié à l’islam radical ? Qu’en est-il des détenus de droit commun dont vos services remarquent qu’ils sont liés à l’islam radical ? Au sein du bureau du renseignement pénitentiaire, ces personnes font-elles l’objet d’un suivi individuel ? Le cas échéant, sous quelles modalités ? Existe-t-il un fichier au niveau central ? Le cas échéant, comment, est-il utilisé par les services de renseignement autres que l’UCLAT ?

Mme Isabelle Gorce. Nos chiffres reposent sur des déclarations. Nous avons fait une recherche sur la demande cultuelle auprès de l’ensemble des établissements pénitentiaires mais elle est très variable. Il est extrêmement difficile de déterminer établissement par établissement dans quelle mesure la présence d’un aumônier musulman est nécessaire.

M. le rapporteur. Le niveau de certains aumôniers musulmans laisse à désirer.

Il semblerait que nous ayons un problème de formation et de contenu. On m’a ainsi raconté qu’un aumônier musulman avait involontairement fait passer des textes salafistes à des détenus sans même le savoir ! Il a été évidemment écarté.

En fait, les aumôniers musulmans peuvent être utiles pour éviter une certaine contagion du « ventre mou », mais ne sont guère écoutés des plus radicalisés.

Mme Isabelle Gorce. Incontestablement, nombre d’aumôniers musulmans n’ont pas le niveau suffisant pour tenir tête à des islamistes radicaux, ou pour avoir le bon discours face à des jeunes de banlieue qui n’ont pour connaissance de l’islam qu’une espèce de prêt-à-penser truffé d’erreurs trouvé sur internet. Il faut une forte personnalité pour affronter cette rhétorique islamiste. Construire du contre-discours n’est pas à la portée de tout le monde. Beaucoup de nos imams n’en sont pas capables ; ils le reconnaissent et sont d’ailleurs demandeurs de formation, de soutien technique.

M. le président Georges Fenech. Vous allez bientôt avoir la charge de la détention de Salah Abdeslam. Nous espérons que, contrairement à l’ex-instituteur de Villefontaine, il ne sera pas en mesure de mettre fin à ces jours. Cela provoquerait un séisme, car les victimes attendent un procès et, pour l’instant, il est le seul survivant des auteurs des attentats de Paris. Le garde des sceaux a indiqué que ce détenu serait particulièrement surveillé. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Mme Isabelle Gorce. Nous préparons effectivement l’arrivée en France de Salah Abdeslam, dans un grand établissement de la région parisienne. Il y sera placé à l’isolement, dans des conditions de sécurité maximales, comme tous les détenus de ce type.

M. Meyer Habib. Quelles chaînes de télévision les détenus reçoivent-ils ?

Mme Isabelle Gorce. Il s’agit d’un bouquet, dont je ne saurais vous préciser le détail.

M. le président Georges Fenech. Mme Viton, pouvez-vous nous donner quelques chiffres et répondre aux questions du rapporteur ?

Mme Fabienne Viton. Il n’existe pas aujourd’hui de fichier des radicalisés dans les établissements pénitentiaires. Les services de police tiennent un certain nombre de fichiers. Si nos détenus y figurent, nous en sommes informés, mais nous n’établissons pas de fiches « AP », à la manière des fiches « S », pour les détenus qui seraient radicalisés.

Ce qui compte avant tout, pour le renseignement pénitentiaire, c’est de pouvoir observer et de capitaliser un certain nombre d’informations : qui sont-ils ? Qui fréquentent-ils ? Que veulent-ils faire demain ? Ces observations sont fondamentales. Une fois capitalisées et exploitées, elles peuvent nous permettre de repérer des phénomènes – c’est le côté « analyse » du processus de renseignement. C’est tout le sens de l’exploitation des données qui, grâce à notre savoir-faire en matière de renseignement, sont collectées tous les jours dans les établissements pénitentiaires.

M. Christophe Cavard. D’après nos informations, il peut arriver que les services de police ne soient pas informés de l’incarcération, pour un motif de droit commun, d’une personne radicalisée qu’ils suivaient. Est-ce toujours le cas ?

Mme Fabienne Viton. J’aimerais pouvoir affirmer que cela n’arrive plus. En tout cas, il y a eu des progrès. Un certain nombre d’événements, notamment l’année dernière, ont obligé tout le monde à progresser dans les deux ministères.

Quant aux chiffres, le 1er avril dernier, 256 terroristes issues des mouvances islamistes radicales étaient écroués dans nos établissements pénitentiaires, parmi lesquels 186 prévenus et 70 condamnés.

Mme Isabelle Gorce. Selon les informations remontées par les directions interrégionales et les établissements, entre 800 et 1 000 détenus seraient de près ou de loin concernés par l’islam radical. Soyons cependant très prudents : la détection de ces cas n’est pas scientifique.

M. le président Georges Fenech. Mesdames, je vous remercie de votre contribution aux travaux de la commission d’enquête.

La séance est levée à 15 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Cavard, M. David Comet, M. Jacques Cresta, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Falorni, M. Georges Fenech, M. Serge Grouard, M. Meyer Habib, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, M. Pierre Lellouche, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, Mme Julie Sommaruga