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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Mercredi 11 mai 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n°21

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de M. Grégoire Doré, chef-adjoint de l'unité de coordination des forces d'intervention (UCOFI)

La séance est ouverte à 16 heures 15.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de M. Grégoire Doré, chef-adjoint de l'unité de coordination des forces d'intervention (UCOFI).

M. le président Georges Fenech. Nous recevons M. Grégoire Doré, chef adjoint de l’Unité de coordination des forces d’intervention (UCOFI). Il est accompagné du colonel Samuel Dubuis, membre du cabinet du directeur général de la gendarmerie nationale.

Monsieur le commissaire, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre commission d’enquête. Nous sommes d’autant plus désireux de vous entendre sur la rationalisation du commandement des opérations d’intervention, que le ministre de l’intérieur a présenté, le 19 avril dernier, le nouveau schéma national d’intervention des forces de sécurité qui crée notamment une procédure d’urgence absolue (PUA) permettant à toutes les unités d’intervenir en urgence sur tous les points du territoire sans critère de compétence autre que la proximité et la disponibilité immédiate.

En raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptible de nous délivrer, cette audition se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée nationale. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions ayant lieu à huis clos sont au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations sont soumises à la commission d’enquête, qui peut décider d’en faire état dans son rapport. Conformément aux dispositions du même article, sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information.

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vous demande maintenant de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

M. Grégoire Doré prête serment.

L’UCOFI a été créée en 2010, sous l’impulsion du ministre de l’intérieur Brice Hortefeux et à la demande du Président de la République Nicolas Sarkozy, afin de faciliter la collaboration des forces spéciales d’intervention. Elle était placée, à l’époque, sous l’autorité d’un général de gendarmerie secondé par un commissaire de police. Elle est devenue une passerelle, un lieu d’échange de connaissances, de partage des savoirs, des méthodes de négociation et d’action, des procédures radios, l’objectif étant qu’il n’y ait pas de perte de temps lors de la préparation d’un assaut. Elle est censée permettre aux unités réunies dans la force d’intervention de la police nationale (FIPN) – RAID, BRI de la préfecture de police, et groupes d’intervention de la police nationale (GIPN) outre-mer – et au GIGN d’harmoniser leurs techniques d’intervention.

Comment s’organise l’UCOFI ? Quels sont ses effectifs et comment se répartissent-ils entre les forces que j’ai citées ? Quelles procédures met-elle en place lors des interventions, je pense évidemment à celles qui ont eu lieu à l’Hypercacher et au Bataclan ?

M. Grégoire Doré, chef adjoint de l’Unité de coordination des forces d’intervention (UCOFI). Je suis très honoré d’être auditionné par votre commission d’enquête. D’une part, parce que c’est la première fois que l’UCOFI est sollicitée pour un tel exercice, d’autre part, en raison de l’importance de la problématique qui a motivé cette sollicitation et sur laquelle vous travaillez depuis plusieurs mois.

Mon propos liminaire portera sur les missions initiales et les réalisations de l’UCOFI depuis sa création ainsi que sur les mesures prises depuis les attentats de janvier 2015, puis de novembre 2015, ayant impliqué ou concerné l’UCOFI. Je conclurai en évoquant les perspectives de l’unité, notamment dans le cadre du schéma national d’intervention et de la procédure d’urgence absolue.

L’unité de coordination des forces d’intervention a été créée au sein du ministère de l’intérieur, le 1er juin 2010, à la suite de l’une des recommandations de la mission d’étude conduite par le général d’armée Guy Parayre et le contrôleur général Luc Presson. Organiquement rattachée à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), elle est fonctionnellement subordonnée aux deux directeurs généraux de la gendarmerie nationale et de la police nationale, et au préfet de police de Paris. Elle est animée par un officier de gendarmerie et par un commissaire de la police nationale. À sa création, elle était dirigée par un général de brigade de gendarmerie, secondé par un commissaire divisionnaire. Aujourd’hui, en tant que commissaire de la police nationale, j’ai l’honneur d’être à sa tête, secondé par un lieutenant-colonel de la gendarmerie. Cette structure est très rapidement appelée à être étoffée.

Aucun lien hiérarchique ne la rattache aux unités d’intervention de la gendarmerie et de la police nationales. Elle est chargée, sans remettre en cause leurs identités respectives, de donner davantage de cohérence, de transparence et d’efficience collective au dispositif des forces d’intervention du ministère de l’intérieur. Elle doit aussi les préparer à l’interopérabilité, qui est le cœur de mission de l’unité.

Au titre de son mandat initial, l’UCOFI a plusieurs missions :

Faciliter la coordination et la coopération entre les unités sans rechercher l’homothétie mais en favorisant, au contraire, les partenariats et les synergies opérationnelles. L’UCOFI a notamment permis d’élaborer un langage tactique opérationnel commun emprunté à celui de l’OTAN, car pour bien travailler ensemble, il faut employer les mêmes mots, par exemple « neutraliser », « fixer », « confiner ». L’unité suit aussi actuellement les travaux du service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (ST(SI)2) sur l’interopérabilité radioélectrique afin que les postes radio de l’ensemble des unités d’intervention soient interopérables, ce qui n’est pas le cas actuellement ;

Évaluer la mise en application des directives communes édictées par les directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationales ainsi que par le préfet de police, tant par des réunions fréquentes et régulières que par des visites sur le terrain ;

Faire la synthèse et évaluer, à l’attention des directeurs généraux et du préfet de police, les points de vue des chefs des unités d’intervention de la gendarmerie et de la police nationales, favorisant les convergences afin de tendre vers des interopérabilités ;

Élaborer des exercices conjoints et proposer des entraînements, des formations, des échanges, voire des procédures d’engagement commun. Elle peut ainsi proposer l’organisation de retours d’expérience (RETEX) des missions majeures, des entraînements et des exercices importants, et y participer ;

Assurer le suivi hebdomadaire et mensuel des activités des unités et en effectuer la diffusion aux autorités, services et unités qui ont droit et besoin d’en connaître. Elle doit être informée en amont des projets de convention et protocole qui lient ces unités à des partenaires publics ou privés, afin de veiller à leur cohérence au sein du ministère. Elle veille à la cohérence et à la pertinence des partenariats avec les armées en évitant les concurrences et en préservant les identités et cultures propres aux unités – je pense notamment au groupe interarmées d’hélicoptères (GIH). Elle doit être informée de toutes les actions internationales conduites par les deux forces, GIGN et RAID. Enfin, elle organise des réunions régulières avec les chefs des unités, et elle en adresse les comptes rendus aux deux directeurs généraux et au préfet de police de Paris.

À l’époque de sa création, l’UCOFI a effectué un premier recensement des différentes capacités développées par les unités d’intervention spécialisée du haut du spectre : le RAID, le GIGN, la BRI dans sa configuration BAC, les groupes d’intervention de la police nationale (GIPN), les groupes de pelotons d’intervention (GPI), les ex-pelotons interrégionaux d’intervention de la gendarmerie (PI2G), devenus des antennes du GIGN. Ce recensement, déclaratif, a été effectué en 2011, mis à jour une première fois en 2013, puis une deuxième fois en 2016, dans le cadre de l’élaboration du schéma national d’intervention.

Une note conjointe, rédigée par l’UCOFI en juillet 2014, a permis de formaliser la coopération et la coordination des unités d’intervention spécialisée de la gendarmerie et de la police nationales. Cette note, élaborée en concertation avec les unités d’intervention spécialisée, a posé des principes essentiels, dont celui du menant-concourant.

Dès sa création, l’UCOFI s’est penchée, avec les forces d’intervention, sur des scénarios concernant des tueries de masse ou planifiées, ou des prises d’otage de masse qui nécessiteraient des interventions conjointes. Un exercice de réaction à une tuerie de masse, avait été prévu en janvier 2015, au centre commercial Belle Épine, dans le Val-de-Marne, mais avait dû être annulé ; reprogrammé au centre commercial de Vélizy 2, le 17 novembre 2015, il avait de nouveau été annulé. Vous voyez, en tout cas, que la problématique des prises d’otages et des tueries de masse a été traitée très tôt par l’UCOFI, en particulier à partir de 2013 et l’attaque du centre commercial de Nairobi.

J’en viens aux mesures prises après les attentats de janvier 2015.

Le mardi 31 mars 2015, l’UCOFI a organisé un retour d’expérience sur la coordination entre les unités lors des attaques terroristes de janvier 2015. Ce RETEX s’est tenu à Bièvres, au siège du RAID, en présence des chefs du RAID, du GIGN, de la BRI et de l’UCOFI. Il en est notamment ressorti que l’articulation entre les deux forces a été efficace grâce à l’application du principe du menant-concourant dans la mission de recherche d’individus en fuite, en l’occurrence les frères Kouachi. Le GIGN a fait état d’une réflexion interne sur sa faculté à se déployer sur plusieurs crises avec des capacités dimensionnées aux besoins opérationnels.

Les événements de janvier 2015 ont également été l’occasion de mettre en œuvre un schéma simple de coordination : un assaut coordonné sans application du menant-concourant, chacun intervenant dans sa zone de compétence. Les deux forces se coordonnent au niveau des structures de commandement par l’intermédiaire d’officiers de liaison, sans conséquence sur l’organisation des postes de commandement. Ce premier niveau de coordination est acquis par les unités.

Au mois d’avril 2015, les sept groupes d’intervention de la police nationale (GIPN) de métropole, qui étaient tous rattachés à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), ont été intégrés à l’échelon central du RAID, à Bièvres, afin d’assurer une meilleure coordination et d’optimiser l’emploi des opérateurs qui composent ce « grand RAID ».

Réclamée par un mandat du ministre de l’intérieur, le 8 juin 2015, l’évolution de la doctrine d’intervention conjointe entre la police et la gendarmerie a été mise au point et a donné lieu à une note conjointe entre DGPN, DGGN et préfet de police, le 16 octobre 2015. Cette note met, en particulier, en avant le développement de la primo-intervention des forces d’intervention intermédiaire, notamment avec le plan BAC-PSIG, pour engager sans attendre les unités spécialisées Cette question a fait l’objet d’une annonce du ministre, le 30 octobre 2015, à Rouen. Ce principe constitue une véritable révolution doctrinale pour la police et la gendarmerie dans la gestion de ce type d’événement.

La doctrine d’intervention conjointe prévoit également la mise en place d’un volet équipement et formation pour optimiser la réponse en cas de crise – un plan d’équipement a été mis en place très rapidement.

S’agissant des attentats de novembre 2015, le RETEX a été intégré dans les réflexions du groupe de travail pour la rédaction du schéma national d’intervention.

Les deux directions, DGPN et DGGN, ont formulé le fruit de leurs réflexions respectives dans des notes spécifiques sur la gestion des tueries de masse, au mois de décembre 2015. La préfecture de police a adapté son dispositif de gestion de crise au moyen de la disposition générale EVENGRAVE, le 16 novembre 2015. Un mandat a été confié à l’UCOFI afin qu’elle élabore le schéma national d’intervention. Ce mandat a été signé et validé par les directeurs généraux et le préfet de police, le 31 décembre 2015, mais l’UCOFI y travaillait déjà depuis le 23 novembre.

Le schéma national d’intervention a été validé par les deux directeurs généraux et par le préfet de police le 23 mars 2016. Il a été présenté par le ministre le 19 avril 2016. Un exercice majeur, organisé par l’UCOFI, a eu lieu avec succès dans la nuit du 19 au 20 avril, à la gare de Montparnasse, pour illustrer le schéma national d’intervention. RAID, GIGN et BRI sont intervenus de manière coordonnée sur trois points distincts pour neutraliser une équipe de terroristes fictive lors d’une simulation de tuerie de masse.

Je termine avec les perspectives qui sont aujourd’hui les nôtres.

La mise en œuvre du schéma national d’intervention doit débuter par l’évaluation de trois premières capacités des forces d’intervention au cours de ce mois de mai. Dans ce cadre, l’UCOFI doit monter en puissance. L’unité a été renforcée par l’arrivée, le 28 mars 2016, d’un lieutenant-colonel de gendarmerie. Deux officiers, l’un de police, l’autre de gendarmerie, viendront prochainement l’étoffer.

L’UCOFI se positionne également comme le point d’entrée des forces d’intervention dans le cadre des travaux d’élaboration du protocole GIH et des plans gouvernementaux « Pirate » pour les forces d’intervention. Elle se rapprochera aussi des structures de coopération internationale pour savoir si une structure similaire de coordination existe à l’étranger, et éventuellement s’en inspirer.

Si vous le souhaitez, je vous communiquerai une synthèse des points principaux du schéma national d’intervention.

M. le président Georges Fenech. Il nous intéresserait, en effet.

Nous disposons d’un document du RAID, datant du 20 février 2014, qui indique que les auteurs des attaques de Bombay, In Amenas et Nairobi ont abattu la majorité des victimes dès les premières minutes. Il est précisé que « la volonté affichée de laisser le temps aux forces de sécurité d’arriver est flagrante. Bien qu’engagé dans une action suicidaire, les agresseurs ne se comportent pas en kamikazes mais combattent jusqu’au dernier moment, tentant de tuer le plus de victimes possible. Néanmoins l’assaut rapide des forces de l’ordre peut les surprendre et contrecarrer leur projet. »

Depuis lors, le nouveau mode opératoire de la FIPN préconise une intervention sans négociation. Cette doctrine a été fournie au ministre de l’intérieur ainsi qu’au directeur de l’UCOFI. Pourquoi ne pas avoir suivi cette recommandation au Bataclan ? La FIPN avait été déclenchée au mois de janvier, mais pas au Bataclan. Le document du 20 février 2014 indique pourtant clairement : « À la lumière de ces exemples récents, et devant la détermination dont font désormais preuve les terroristes islamistes radicaux, la FIPN travaille désormais sur une doctrine basée sur des assauts immédiats et sans négociation. » Pourquoi cette procédure n’a-t-elle pas été appliquée au Bataclan ?

M. Grégoire Doré. Lors de sa création, en 2009, la FIPN était composée de plusieurs entités : le RAID, les GIPN de la direction centrale de la sécurité publique et la BRI-BAC de la préfecture de police. La FIPN est une structure non permanente activée par le directeur général de la police nationale sur le territoire.

M. le président Georges Fenech. Les choses sont différentes à Paris.

M. Grégoire Doré. En effet, à Paris, il s’agit, en quelque sorte, d’une décision concertée car, si le DGPN reste l’autorité qui active la FIPN, il le fait sur proposition du préfet de police.

Aujourd’hui, les GIPN ayant rejoint « le grand RAID », la FIPN se compose du RAID et de la BRI-BAC. Il me semble que lors des événements que vous évoquez, la BRI-BAC, qui fait bien partie de la FIPN, a bel et bien appliqué la doctrine et les directives issues du retour d’expérience de la FIPN du mois de janvier.

M. le président Georges Fenech. Certes, mais si la FIPN avait été déclenchée, le RAID aurait pris les commandes. Nous sommes bien d’accord sur ce point ?

M. Grégoire Doré. Si elle avait été déclenchée, c’est en effet le chef du RAID qui aurait pris le commandement de la FIPN.

M. le président Georges Fenech. Pourquoi n’y a-t-il pas eu déclenchement de la FIPN lors des événements du Bataclan ?

M. Grégoire Doré. Je n’ai pas la réponse à cette question : je n’étais pas l’un des décisionnaires.

M. le président Georges Fenech. Nous le savons bien, mais, sous la foi du serment, vous devez pouvoir nous expliquer pourquoi, selon vous, la FIPN n’a pas été déclenchée lors de l’attaque du Bataclan, alors qu’elle l’avait été à l’Hypercacher.

M. Grégoire Doré. Parce que le directeur général de la police nationale n’a pas pris la décision de l’activer et que le préfet de police ne l’a pas proposé.

M. le président Georges Fenech. Quels critères, quels éléments ont-ils pu, selon vous, fonder cette décision ?

M. Grégoire Doré. Je ne peux que faire des suppositions. Les effectifs de la BRI-BAC étaient peut-être suffisants pour mener l’assaut. Le RAID étant intervenu en renfort, y avait-il nécessité d’activer la FIPN ? Je dois me contenter de formuler des hypothèses. Ces questions doivent être posées au directeur général de la police nationale et au préfet de police.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le commissaire, j’ai le sentiment, qui n’est pas nécessairement partagé par tous les membres de la commission d’enquête, qu’il y a eu une véritable volonté de la BRI de conserver la direction de cette opération alors que l’ampleur de l’attaque aurait pu justifier que « l’antigang » en laisse la direction à une unité spécialisée dans ce type d’attaque. Nous avons entendu parler d’une sorte de « guerre des polices » – qui peut aussi éventuellement constituer une forme de saine émulation entre services. Je ne dis pas que la BRI a mal fait son travail, mais n’avez-vous pas le sentiment qu’il y a eu une espèce de concurrence entre les services ?

M. Grégoire Doré. En l’occurrence, je n’ai pas de sentiment : si la BRI a estimé qu’elle était capable d’intervenir, il est normal qu’elle ait pu intervenir. Cette unité est parfaitement légitime à intervenir d’initiative sur une tuerie de masse dans Paris.

M. le président Georges Fenech. Ce n’est pas à elle de prendre une telle décision !

M. Grégoire Doré. Pas exactement. Si cette décision relève du préfet de police, la BRI conserve néanmoins une certaine marge d’initiative, notamment en situation d’urgence. Concernant l’activation de la FIPN, il n’est pas de mon ressort de commenter les décisions du directeur général de la police nationale et du préfet de police.

M. le président Georges Fenech. Durant l’opération, avez-vous eu un lien avec le chef opérationnel de la BRI ou avec le préfet de police ?

M. Grégoire Doré. Je n’ai eu aucun contact avec eux. En effet, je tiens à rappeler que L’UCOFI n’est pas une structure de commandement opérationnel. À aucun moment, elle ne doit intervenir pour coordonner ou commander les forces d’intervention en opération. Sa mission consiste à tirer les conséquences de l’action.

Nous avons tiré un certain nombre de leçons de ce qui s’est passé au Bataclan, s’agissant notamment du commandement et de la coordination des unités intervenant dans une crise majeure ou multiple. Nous sommes chargés d’une réflexion stratégique pour que l’organisation soit la plus efficace possible lors des interventions opérationnelles, mais nous n’avons aucun rôle à jouer durant les opérations elles-mêmes.

M. le président Georges Fenech. Le soir de l’attaque du Bataclan, vous n’avez eu aucun contact avec le RAID ni avec le poste de commandement sur place ?

M. Grégoire Doré. Non.

M. le président Georges Fenech. C’est une procédure normale ?

M. Grégoire Doré. C’est normal, monsieur le président.

M. le président Georges Fenech. Cette procédure n’a pas été revue depuis ?

M. Grégoire Doré. Pour l’instant, elle n’a pas été revue.

M. le président Georges Fenech. Elle doit l’être ?

M. Grégoire Doré. Ce n’est pas prévu : nous laissons les opérations aux opérationnels. L’UCOFI est une unité de réflexion stratégique dont les missions ont été énumérées en propos liminaires.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Quels sont les effectifs de l’UCOFI ?

M. Grégoire Doré. À ce jour, nous sommes deux. Dans sa configuration initiale, l’UCOFI était composée d’un policier et d’un gendarme, et ce dernier dirigeait l’unité.

M. le rapporteur. Pourquoi l’unité est-elle rattachée à la DGGN ?

M. Grégoire Doré. De nombreuses unités de coordination ont été mises en place lors du rapprochement entre la police et la gendarmerie. Elles doivent nécessairement être rattachées à une structure. L’unité de coordination des forces mobiles ou l’unité de coordination de sécurité des transports en commun sont, par exemple, rattachées à la DGPN, alors que l’unité de coordination de la lutte contre l’insécurité routière est organiquement rattachée à la DGGN. Mis à part le ministre, les deux directions générales sont les autorités suprêmes, il n’y a donc pas d’autre choix que de rattacher une unité à l’une ou l’autre d’entre elles.

M. le rapporteur. Comme le disait notre président, nous avons senti qu’il existait une « saine » concurrence entre les trois forces d’intervention. Dans ce contexte, le commissaire de police que vous êtes considère-t-il que le rattachement de l’UCOFI à la DGGN permet à l’unité d’être suffisamment écoutée par le RAID et par la BRI ?

M. Grégoire Doré. Lorsque le directeur général de la gendarmerie nationale m’a convoqué pour m’expliquer qu’il sortait du bureau du ministre et qu’il fallait mettre en œuvre un schéma national d’intervention, il a fait entièrement confiance à un commissaire de police pour rédiger ce document.

M. le rapporteur. Cela marche-t-il aussi bien dans l’autre sens ? Le RAID et la BRI font-ils confiance à l’UCOFI, unité rattachée à la DGGN ? L’unité dispose-t-elle de l’autorité nécessaire pour accomplir les nombreuses missions que vous nous avez décrites ?

M. Grégoire Doré. Assurément, j’en veux pour preuve la mise au point du schéma national d’intervention en si peu de temps. Cette rédaction n’aurait pas été possible si les forces d’intervention n’avaient pas coopéré ni ne s’étaient intégrées volontairement aux travaux menés par l’unité de coordination.

M. le rapporteur. Le schéma national d’intervention constitue une avancée, notamment parce qu’il assouplit le principe des compétences territoriales, mais le principe selon lequel le premier sur place intervient me paraît porteur d’effets pervers. Hors de Paris, l’on me dit que le maillage territorial des antennes du RAID et du GIGN éviterait tout risque de chevauchement. Qu’en pensez-vous ?

M. Grégoire Doré. La procédure d’urgence absolue prévue par le schéma national d’intervention permet à l’unité disponible la plus proche d’intervenir. Cette procédure concerne évidemment les unités d’intervention spécialisée du haut du spectre, mais également les unités d’intervention intermédiaire, comme les BAC ou les PSIG. Il ne s’agit pas d’organiser une course, mais d’évaluer, à l’instant où une crise se produit, qui est en mesure d’intervenir le plus rapidement.

Le schéma national d’intervention a permis de revoir la cartographie des forces d’intervention spécialisée. Sept nouvelles unités se répartissent sur le territoire national de façon cohérente. Des antennes du RAID et du GIGN ont été créées dans plusieurs villes de métropole, et une autre a été ouverte en outre-mer par la gendarmerie de manière à ce que l’ensemble du territoire national soit couvert.

Il n’y a pas de course à qui interviendra le premier. Simplement, la procédure permet à l’unité la plus proche et la plus disponible d’intervenir.

M. le rapporteur. Il y a la théorie et la pratique. Rien ne prévoyait, par exemple, que le GIGN se positionne en plein cœur de Paris, à la caserne des Célestins, comme il l’a fait lors des attaques du 13 novembre. Cela était pourtant extrêmement utile.

Dans la pratique, en cas d’attentats multiples sur une zone restreinte, plusieurs forces pourraient converger en même temps vers le site. Dans ce cas, les premiers arrivés prendraient donc la responsabilité des opérations ?

M. Grégoire Doré. Non, car, selon le principe du menant-concourant, l’unité qui se trouve dans sa zone prend le commandement des opérations. En zone police nationale, le RAID dirigerait les opérations ; en zone gendarmerie, ce rôle reviendrait au GIGN, et, à Paris, il échoirait à la BRI, sauf activation de la FIPN, auquel cas le RAID prendrait les rênes.

Le principe du menant-concourant permet aux unités territorialement compétentes d’avoir recours, si nécessaire, à d’autres qui ne le sont pas. Pour autant, la procédure d’urgence absolue permet à des unités qui ne sont pas territorialement compétentes mais qui sont proches et disponibles de se rendre sur place et de prendre provisoirement le commandement des opérations jusqu’à l’arrivée de la force menante.

M. le rapporteur. Les trois forces d’intervention que nous avons interrogées nous ont expliqué que, sur le plan opérationnel, il était préférable que la force présente sur place en premier devienne menante, quelle que soit la compétence territoriale : elle a davantage d’informations, elle a pris possession des lieux, elle a figé la situation… La modification du commandement en cours d’opération et le rétablissement du critère de la compétence territoriale ne posent-ils pas un problème ?

M. Grégoire Doré. Il ne faut pas sous-estimer le bon fonctionnement des unités, leur capacité à coopérer et la bonne volonté de leurs chefs. La reprise du commandement par une unité qui arrive sur un lieu se fait en concertation. Si une action est engagée par une unité, elle ne va pas s’interrompre parce qu’une autre unité se présente.

M. le rapporteur. À quel moment une action est-elle engagée ? La BRI était présente à l’Hypercacher bien avant le RAID. C’est pourtant ce dernier qui a engagé l’action.

M. Grégoire Doré. Les opérationnels pourront vous répondre sur les détails des événements. Disons qu’une action est opérationnellement engagée au « top assaut » ou, par exemple, lorsque des colonnes progressent vers un point névralgique.

M. le rapporteur. Dès lors que le schéma national d’intervention et la nouvelle doctrine d’emploi préconisent d’intervenir immédiatement, le fait d’attendre l’unité territorialement compétente n’a plus de sens.

M. Grégoire Doré. Vous avez raison de souligner ce point. De façon générale, les forces d’intervention spécialisée ne sont pas nécessairement primo-intervenantes sur tout le territoire.

Imaginons qu’il se produise quelque chose à Orléans, où le RAID ne se trouve pas. Qui interviendra immédiatement ? Ce sera la police territoriale, la BAC, le PSIG de la compagnie. Si nous nous trouvons en limite de zone police, dans la périphérie d’Orléans, et qu’un véhicule du PSIG se trouve à proximité, il interviendra en premier, avant la BAC.

Le schéma national d’intervention prévoit l’organisation des forces d’intervention spécialisée mais aussi intermédiaire, qui sont réparties sur tout le territoire national, soit presque huit cents unités au total. Les forces d’intervention spécialisée ont quasiment toujours besoin d’un délai avant d’intervenir, sauf à Paris. Avec le RAID à Bièvres, le GIGN à Satory, et la BRI sur place, le problème à Paris n’est pas le délai de réaction, c’est l’organisation des forces.

M. le président Georges Fenech. Dans le cadre de la procédure d’urgence absolue, la force qui intervient en premier est celle qui se trouve la plus proche du lieu de crise. À Paris, ce devrait être la BRI puisque, comme vous venez de l’indiquer, elle se trouve sur place. Or, dans la simulation que vous avez organisée le mois dernier à la gare Montparnasse, le RAID a pris le commandement. L’unité parisienne aurait pourtant dû être la force menante.

M. Grégoire Doré. Dans une tuerie de masse, il faut agir immédiatement. Le schéma national d’intervention organise l’immédiateté de l’intervention. Une unité doit d’abord « fixer » la situation. Au Bataclan, un commissaire de la BAC 75N est intervenu le premier : il a abattu l’un des terroristes, ce qui a mis fin à la tuerie. Ensuite, il faut « réduire » définitivement la crise, ce qui ne relève pas des forces d’intervention intermédiaire – BAC, PSIG, pelotons d’intervention d’escadron de gendarmerie mobile ou CRS (SPI-4G). L’unité d’intervention spécialisée – GIGN, RAID, BRI – disponible la plus proche intervient alors rapidement, avant que ne s’organise éventuellement par la suite une reprise de commandement. En fait, c’est la chronologie qui guide l’organisation des opérations.

M. le président Georges Fenech. Pourquoi le RAID est-il intervenu d’entrée de jeu à la gare Montparnasse ?

M. Grégoire Doré. Le RAID n’est pas exactement intervenu d’entrée de jeu. Selon le scénario que nous avions établi pour simuler une attaque de la gare Montparnasse, neuf terroristes étaient répartis en trois équipes, l’une commettant une tuerie dans la galerie commerciale, pendant que les deux autres faisaient de même dans un TGV. C’est la BAC 75N qui est intervenue la première, aidée par la force d’intervention rapide de la BRI qui a abattu un terroriste. Après quoi, les autres se sont retranchés. C’est ensuite que les forces d’intervention spécialisée sont intervenues.

M. le président Georges Fenech. À nouveau, pourquoi le RAID ?

M. Grégoire Doré. En l’espèce, nous avons décidé qu’il était arrivé rapidement et que la FIPN avait été activée. Nous aurions pu faire une autre hypothèse. La restitution correspondait au scénario élaboré.

M. le rapporteur. Dans le cadre du nouveau schéma national d’intervention, la FIPN a-t-elle encore un sens ?

M. Grégoire Doré. Elle permet de regrouper les forces de la police nationale si nécessité il y a.

M. Philippe Goujon. Le critère de proximité semble être le seul à jouer pour savoir quelle force intervient lors d’une attaque. N’en existe-t-il pas d’autres ? Une unité peut disposer d’un savoir-faire plus adapté qu’une autre à un type d’opération, elle peut avoir une meilleure connaissance du terrain, bénéficier de spécialistes absents d’une autre force.

Si l’on tient compte du seul critère de proximité, et que deux forces se disent prêtes à intervenir – imaginons que ce soit le cas, à Paris, de la BRI, du RAID et du GIGN –, qui choisit l’unité à engager ?

Dans les faits, les BAC ou PSIG que vous décrivez comme les primo-intervenants seront rarement les premiers sur place : il y a davantage de chance que ce soit des personnels de la brigade de gendarmerie ou du commissariat le plus proche – appelons-les primo-arrivants. Comment les choses s’articulent-elles entre ces derniers et les primo-intervenants, sachant qu’il faut détruire immédiatement l’élément terroriste pour éviter un massacre ?

La doctrine d’emploi a-t-elle évolué s’agissant des militaires de l’opération Sentinelle ? Ils sont plusieurs milliers à Paris notamment, où ils seront nécessairement amenés à intervenir d’une façon ou d’une autre en cas d’attaque.

M. Jean-Michel Villaumé. Je souhaite, moi aussi, savoir comment votre mission de coordination s’articule avec l’opération Sentinelle menée par l’armée.

Estimez-vous qu’il soit aujourd’hui toujours pertinent de disposer de trois unités d’élite également performantes et qualifiées ? Ne pourraient-elles pas travailler ensemble et, à terme, être regroupées ? Il s’agit d’une réflexion personnelle, sans doute partagée par certains d’entre nous qui ont du mal à suivre la description de dispositifs touffus aux intervenants multiples. Ce regroupement me semble constituer un objectif prioritaire à moyen terme. La synthèse des travaux de notre commission d’enquête devra en faire état.

M. Olivier Marleix. Je suis surpris de ne jamais entendre évoquer le rôle du ministre. Il est pourtant, à ma connaissance, la seule autorité hiérarchique directe de commandement de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Si l’on excepte son directeur de cabinet, qui peut le seconder, il n’existe aucune autre autorité de coordination.

Sur une attaque multisite, comme celle du 13 novembre 2015, le choix de ne pas déclencher la FIPN peut se comprendre – on nous a expliqué que le fait de ne pas savoir ce qui pouvait se produire ailleurs avait poussé à conserver la capacité du RAID et du GIGN en réserve. Dont acte ! Toutefois, à mon sens, un tel choix, relève du ministre.

À l’avenir, qui décidera de la mise en œuvre de la procédure d’urgence absolue ? Qui décidera de la mise en œuvre de la fonction de commandant et de coordinateur des opérations d’intervention spécialisée, telle qu’elle est prévue dans le nouveau schéma national d’intervention ? Quel doit être le rôle du ministre dans ce type d’intervention ?

M. Grégoire Doré. Toutes ces questions ont été prises en compte dans le schéma national d’intervention.

La proximité n’est pas le seul critère à prendre en compte pour faire intervenir une unité. Il faut savoir si elle est disponible : elle peut être en déplacement pour un entraînement loin de son lieu implantation, donc ne pas pouvoir intervenir, mais elle peut le faire, si besoin, là où elle se trouve. En outre, certaines unités ont développé davantage que d’autres des capacités spécifiques. Le schéma national d’intervention prend cette donnée en compte : il recense cent trente capacités nécessaires et fixe huit domaines qu’il faut maîtriser pour pouvoir intervenir dans les cas de tuerie. Ces capacités ont été normées et seront testées sous l’égide de l’UCOFI.

Une unité qui maîtrise moins bien qu’une autre une capacité peut avoir recours à celle-ci grâce à la procédure de concours capacitaire. Cette procédure s’applique soit par modularité – par exemple, pour effectuer une effraction complexe, on fait appel au module « effraction » d’une autre unité très spécialisée dans ce domaine –, soit par complémentarité, pour compléter avec des membres d’une autre unité un effectif qui ne serait pas suffisant. En tout état de cause, tout est organisé de manière à optimiser la réponse.

Si deux forces arrivent en même temps sur un lieu, il n’est pas nécessaire de prendre une décision. Les unités savent où elles doivent intervenir ; elles connaissent leur zone de compétence. Le principe du menant-concourant permet ensuite de définir un cadre, sauf en cas d’application de la procédure d’urgence absolue qui fait primer l’unité arrivée sur place en premier. Par ailleurs, les unités se parlent et s’entendent : si elles arrivent concomitamment sur place, l’unité menante prendra le commandement des opérations. Cela ne pose aucune difficulté majeure.

La note conjointe de la DGGN, de la DGPN et de la préfecture de police, du 16 octobre 2015, organise l’articulation de la primo-intervention en cas de tuerie de masse. Elle révolutionne une doctrine séculaire, partagée par la police et la gendarmerie, selon laquelle les unités non spécialisées dans le contre-terrorisme n’intervenaient pas. Désormais, l’objectif étant de mettre fin à la tuerie, tous les personnels qui arrivent sur place armés y contribuent. Quand ils ont les moyens de mettre fin à la tuerie, alors ils ont l’obligation de la faire – comme le commissaire de la BAC 75N au Bataclan.

Cependant, il ne s’agit pas que les primo-arrivants ou les primo-engagés « aillent au carton » ; il ne faut pas en faire des cibles. Un îlotier, un vététiste, une équipe de police-secours ne disposent pas de l’équipement nécessaire pour intervenir ; ils doivent donner l’alerte afin que les unités d’intervention intermédiaire arrivent dans les délais les plus brefs – il peut s’agir de quelques secondes. C’est dans cet esprit que le plan BAC-PSIG dévoilé par le ministre de l’Intérieur en octobre 2015 a permis de « monter en gamme » les BAC et les PSIG Sabre, afin de leur donner des capacités de primo-intervention avec le souci d’une couverture géographique rehaussée. Les unités d’intervention spécialisée ne prennent le relais qu’ensuite, afin de réduire définitivement la crise, s’il y a lieu.

Le schéma national d’intervention, dans sa version actuelle, est circonscrit aux forces de sécurité intérieure. Si les forces armées donnent aujourd’hui un coup de main essentiel aux forces de sécurité intérieure, elles sont considérées comme un élément visible qui rassure la population sans intervenir. Si elles intervenaient, elles le feraient après avoir été sollicitées dans le cadre de protocoles spécifiques. Les forces de sécurité intérieure détiennent l’ensemble des capacités d’assaut nécessaires.

Le schéma national d’intervention est néanmoins révisable : chaque fois que cela est nécessaire, et au moins chaque année. Il est donc possible de réfléchir à la place des forces armées. Cela dit, nous ne sommes pas encore en état de siège – espérons ne jamais y être – et certains principes juridiques empêchent les forces armées d’intervenir au même titre que les forces de sécurité intérieure. Une expérimentation de collaboration entre les forces a néanmoins été menée en Isère ces deux dernières semaines. Ce n’est pas vraiment mon domaine, mais je crois savoir qu’elle a donné totalement satisfaction. Elle doit désormais faire l’objet d’un RETEX qui permettra d’évaluer l’articulation entre les forces.

Est-il pertinent de disposer de trois unités d’élite ? À vrai dire, il y a bien trois unités principales, mais il faut aussi compter toutes les antennes du RAID et du GIGN, et toutes les forces d’outre-mer.

M. le président Georges Fenech. Elles sont trois même si elles se déclinent sur le territoire. Pourrait-on imaginer qu’il n’existe qu’une seule force ?

M. Grégoire Doré. Votre question implique qu’il n’y ait plus qu’une seule force de sécurité intérieure.

M. le président Georges Fenech. Il n’y aurait plus de distinction entre gendarmerie nationale et police nationale, pour la force d’élite.

M. Grégoire Doré. Le GIGN a un statut militaire qui lui permet notamment d’intervenir à l’étranger. Il entretient des relations avec les forces spéciales et fonctionne avec le commandement des opérations spéciales. Le RAID constitue une force civile de police nationale qui travaille régulièrement sur des missions de police judiciaire et de renseignement avec la DGSI. La complémentarité s’opère d’excellente manière : elle me paraît constituer un atout majeur. Il me semble, à titre personnel, que la remise en question des différents statuts ne mérite pas que l’on s’y penche.

M. le président Georges Fenech. Certains pays ne disposent pourtant que d’une seule force d’intervention spécialisée.

M. Grégoire Doré. Les opérateurs du GIGN, du RAID, de la BRI se connaissent, se fréquentent et se parlent. Les statuts civils et militaires permettent de mener des opérations différentes sur des théâtres différents. Peut-être vouliez-vous m’emmener sur le terrain d’une éventuelle réflexion sur un commandement unique…

M. le président Georges Fenech. Quid du rôle du ministre qu’évoquait M. Olivier Marleix ?

M. Grégoire Doré. Le ministre a piloté lui-même les travaux du schéma national d’intervention. Il a pris connaissance personnellement du compte rendu de chacun de nos travaux et de chaque avancée du schéma, dont il suit aujourd’hui chaque étape de la mise en œuvre. Il a ainsi rédigé le courrier saisissant l’UCOFI au sujet de la vérification des capacités. Il est donc totalement impliqué.

M. Olivier Marleix. En lisant le schéma national d’intervention, je n’ai pas vu à quel moment le ministre de l’intérieur intervenait lui-même ni quand il prenait des décisions.

M. Grégoire Doré. Ce document est à l’en-tête du ministère de l’intérieur. Le ministre est présent à chaque ligne et à chaque page du schéma national.

M. Olivier Marleix. Nous avons constaté, lors de la dramatique soirée du 13 novembre, en particulier au Bataclan, que la coordination entre police et gendarmerie devait, à un moment donné, pouvoir s’incarner. Concrètement et opérationnellement, elle ne peut être endossée, place Beauvau, que par le ministre lui-même. Physiquement, personne d’autre ne peut donner d’ordres à la fois au DGPN et au DGGN. Je suis surpris que le schéma d’intervention n’explicite pas de façon plus précise la part de responsabilité que le ministre prendra en cas de crise majeure se déroulant simultanément en plusieurs points du territoire.

M. Grégoire Doré. Il me semble clair que le ministre pilote les opérations quelle que soit la crise. On a vu que la coordination, tant au salon-fumoir du ministère de l’intérieur qu’au sein de la cellule interministérielle de crise, était assurée par le ministre en personne. Au salon-fumoir, où se trouvaient les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie ainsi que le préfet de police, c’est bien le ministre qui était à la manœuvre.

Le schéma national d’intervention confie un rôle opérationnel aux « sachants » que sont les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, et le préfet de police. Le ministre prend évidemment les décisions nécessaires et assure la coordination. En cas de crise multizone de compétence, le ministre pilote nécessairement les opérations. Le schéma national d’intervention prévoit (p.27) que le coordinateur des opérations d’intervention spécialisée, i.e. le chef du RAID et/ou du GIGN, qui coordonne en cas de crises multiples, « se positionne toujours auprès de l’autorité qui coordonne les opérations (préfet de police, directeur général, ministre de l’Intérieur) comme conseiller technique ».

M. Serge Grouard. La modification, en avril dernier, de la doctrine d’intervention par le schéma national démontre qu’il a fallu attendre les attentats en France, en particulier ceux de novembre, pour adapter notre outil opérationnel alors que d’autres attentats de masse avaient eu lieu à l’étranger – y compris dans des pays européens – et que nos services de renseignement n’étaient pas avares d’avertissements au sujet de la menace.

S’agissant des structures des unités d’intervention spécialisée, on peut comprendre qu’il existe des statuts différents et des histoires spécifiques. Mais pourquoi n’avoir pas organisé un commandement unique ? Nous souhaitons effectivement vous emmener sur ce terrain, car cette solution résoudrait toutes les questions de coordination. Un gendarme et un policier pourraient diriger ces forces à tour de rôle – de la même façon que le chef d’état-major des armées est alternativement issu de l’armée de l’air, de l’armée de terre et de la marine.

Par ailleurs, avez-vous tiré d’autres conséquences des événements de 2015 que celles traduites dans le schéma national d’intervention ?

M. Grégoire Doré. Il est vrai que les travaux relatifs au schéma national d’intervention ont commencé après les attentats de novembre 2015. Pour autant, le ministère de l’intérieur n’était pas resté sans rien faire alors que des attentats se déroulaient à l’étranger et que la menace était annoncée.

J’ai présenté dans mon propos liminaire ce qui avait été décidé, notamment dans le cadre des tueries de masse. Ainsi, le 8 juin 2015, un mandat du ministre définissait l’organisation pour faire évoluer la doctrine, dont découlent la note du 16 octobre relative à la primo-intervention et le plan BAC-PSIG présenté par le ministre à Rouen, le 30 octobre. L’instruction commune aux forces d’intervention spécialisée date, elle, de 2014. Elle a été rédigée après le retour d’expérience des attentats de Bombay et de Nairobi qui a permis de définir le principe menant-concourant. Elle comportait déjà deux articles essentiels qui ont été repris dans le schéma national d’intervention : la procédure du concours capacitaire et celle de l’urgence absolue. En réalité, le schéma national reprend des éléments existants en les précisant et en les élargissant après les événements de 2015, mais nous n’avons pas eu besoin d’être au pied du mur pour engager une réflexion.

Un commandement unique des forces d’intervention fait partie des solutions évoquées ; c’est l’une des pistes de réflexion. L’exemple du commandement des opérations spéciales (COS) est souvent cité, mais outre qu’il existe une différence de statut entre civils et militaires, il n’y a pas d’état-major des forces de sécurité intérieure comme il existe un état-major des armées auquel le COS est rattaché. Qui plus est, le chef de l’État est chef des armées, alors que le ministre de l’intérieur est le « premier flic de France ». Si le commandement unique semble constituer, en apparence, une solution évidente et simple, elle n’est peut-être pas la réponse la plus efficace qui soit.

M. Jean-Luc Laurent. L’exercice récent qui a eu lieu en Isère avec les forces armées me conduit à penser qu’une nouvelle entité issue de ces forces, impliquant des hommes et des matériels, va venir s’ajouter aux unités d’intervention spécialisée déjà nombreuses sur le terrain. Je suis inquiet à ce sujet. Quel est votre niveau d’information sur l’exercice en question et sur les matériels mobilisés ? Des projets d’acquisition sont-ils en cours afin de poursuivre l’expérimentation engagée ?

M. Grégoire Doré. Il ne faut pas se tromper s’agissant de nos forces armées qui contribuent à la sécurité nationale dans le cadre de l’opération Sentinelle : en matière de sécurité publique, elles n’agissent pas de manière autonome et elles ne disposent d’aucun pouvoir juridique. Un retour d’expérience permettra d’évaluer cette expérimentation qui ne relève pas du tout de mon domaine. Nous pourrions vous faire passer une note à ce sujet.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le commissaire, il me reste à vous remercier pour votre importante contribution à nos travaux.

La séance est levée à 19 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pierre Aylagas, M. Christophe Cavard, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Lucette Lousteau, M. Olivier Marleix, M. Jean-René Marsac, M. Sébastien Pietrasanta, M. Patrice Verchère, M. Jean-Michel Villaumé

Excusé. - M. Jean-Jacques Cottel