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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Jeudi 16 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n°34

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes.

M. le président Georges Fenech. Mes chers collègues, nous sommes particulièrement heureux de recevoir Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes.

Nous vous remercions, madame, d’avoir répondu à la demande d’audition de notre commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous avons entendu il y a deux semaines le garde des sceaux, le ministre de la défense et le ministre de l’intérieur. Nous avons décidé d’achever avec vous le cycle d’auditions ministérielles. Comme vous le savez, nous avons commencé nos travaux en entendant les représentants des victimes et de leurs familles, qui ont droit à toute la considération de la représentation nationale. Nous avons souhaité symboliquement les terminer en entendant le membre du Gouvernement chargé des victimes, nommé en février dernier. Madame la secrétaire d’État, nous attendons de vous un retour d’expérience de leur prise en charge, un bilan du rôle de la cellule interministérielle d’aide aux victimes – CIAV – et les éventuelles pistes d’amélioration que vous souhaiteriez présenter.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l’objet d’une retransmission en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale ; son enregistrement sera également disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale. Je vous signale que la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition. Nous avons en effet décidé que, d’une manière générale, et quand cela ne soulèvera pas de difficulté pour les personnes entendues ou au regard de la confidentialité des informations recueillies, nos auditions seraient ouvertes à la presse car nous devons mener cette enquête dans toute sa transparence.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(Mme Juliette Méadel prête serment.)

Je vais maintenant vous laisser la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un large échange de questions et réponses.

Parmi ces questions, je peux d’ores et déjà citer : la prise en charge des victimes du 13 novembre dans les heures et les jours qui ont suivi ; les principaux enseignements des retours d’expérience effectués par la CIAV, après ces attentats ; le rôle qu’a pu jouer le Fonds de garantie des victimes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) ; les rôles respectifs du Secrétariat d’État et du Comité interministériel de suivi des victimes de terrorisme dans l’accompagnement des victimes ; les actions concrètes mises en œuvre ; les principales nouveautés contenues dans la circulaire du 13 avril 2016 relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme ; et d’une manière générale, les actions qui ont été entreprises pour améliorer la prise en charge des victimes.

Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Monsieur le président, dès le début de vos travaux, vous avez déclaré que c'était « avant tout pour les victimes que cette commission parlementaire [avait] été décidée » et de fait, il y a quatre mois, vous avez entamé vos travaux par l'audition des victimes et des associations d’aide aux victimes.

J’ai l’honneur de clôturer ces auditions, et je veux rendre hommage à la cohérence de ce plan de travail. En tant que secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes, je ne peux que partager votre souci de repenser nos dispositifs d'urgence en cas d'attentats, et votre volonté d'améliorer la prise en charge des victimes, aussi bien dans l'urgence qu’au long cours – j’y reviendrai. Mais auparavant, je souhaite revenir sur le bilan.

Depuis le 7 janvier 2015, 151 personnes ont perdu la vie sur le sol français en raison d'attentats – 130 le 13 novembre. C'est autant de victimes en une année que depuis 1945. Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, assassinés le 14 juin 2016 à Magnanville, à leur domicile, devant leur jeune fils sont venus grossir ce déjà trop lourd bilan.

Au total, ce sont 2 179 victimes d'attentats terroristes commis en France ou ressortissants français victimes d'attentats à l'étranger entre 2015 et 2016. Des centaines de personnes resteront durablement marquées, physiquement et/ou psychologiquement, parfois pour le restant de leurs jours. Le bilan de ces attentats est terriblement lourd. Aussi, après un attentat, après un accident collectif, après un drame de cette nature, l'État doit-il être là pour soutenir les victimes dans l'épreuve immédiate. Cela passe non seulement par la parole, mais surtout par des actes concrets.

De quoi les victimes ont-elles eu besoin le soir du 13 novembre et dans les jours qui ont suivi ?

Dans les premiers temps, elles ont eu besoin : de protection pour assurer leur sécurité et celle de leurs proches, et c'est le travail des forces de l'ordre et du ministre de l'intérieur ; d'information sur l'état de la situation pendant les événements et sur leurs conséquences, et c'est le travail du Parquet ; d'une prise en charge rapide de leur état de santé par les forces de secours, les sapeurs-pompiers, et les médecins-hospitaliers ; de soins immédiats et d'un lieu d'accueil médico-psychologique, et c'est le travail du ministère des affaires sociales et de la santé ; d'une identification rapide des corps, et c'est le travail de la police judiciaire, en lien avec la médecine légale. Enfin, elles ont besoin d'une parole de soutien et d'humanité, et c'est le devoir de chacun d'entre nous.

Or, à l'évidence, le 13 novembre, nous n'étions pas totalement prêts à répondre à l'ensemble de ces besoins suscités par un drame d'une ampleur inédite sur le sol français. Nous n'étions pas totalement prêts à satisfaire aux grandes, aux légitimes attentes des victimes envers la puissance publique.

Et pourtant, les Français, vous le savez, attendent beaucoup de l'État. C'est même l'une de nos spécificités nationales. Dans de telles circonstances, ils attendent de la puissance publique qu'elle les accompagne, qu'elle les protège, qu'elle les guide et qu'elle les soutienne. Dans aucun autre pays au monde, l'État n'a été conduit à remplir autant de fonctions dans de telles circonstances.

Qu'est-ce qui a posé problème le 13 novembre, et qui a empêché un traitement optimal de ces attentes ?

La situation exceptionnelle du 13 novembre a obligé à mobiliser une grande diversité d'acteurs – pompiers, médecins, policiers, gendarmes, psychologues, magistrats, associations d'aide aux victimes, bénévoles, etc. – en un temps très bref. Cette situation a mis en lumière le manque de coordination entre les acteurs, mais aussi les différences de modes opératoires.

Ce manque de coordination s'est avéré particulièrement criant lorsqu’il s’est agi de faire circuler les informations, conduisant à ralentir les réponses apportées aux victimes et aux proches, voire à engendrer des erreurs absolument dramatiques. Celles-ci n'étaient pas si nombreuses, mais elles ont eu un retentissement important, et pour cause.

Le président de la République et le Premier ministre ont donc voulu la création d'un secrétariat d'État à l'aide aux victimes, placé auprès du Premier ministre. Cette position au cœur de l'action gouvernementale nous permet de construire une politique interministérielle d'aide aux victimes. Cela signifie que les pouvoirs publics doivent être en mesure de penser aux réponses que doivent apporter les services publics face à toutes les difficultés rencontrées par les victimes, pendant l'événement et ensuite.

Pour bien concevoir et organiser la réponse aux besoins, non seulement des victimes d'attentats mais aussi – et c'est l'objet de mon secrétariat d'État – des victimes d'accidents collectifs, il faut distinguer deux moments essentiels dans leur parcours : l'urgence pendant l'événement dramatique puis le suivi dans les jours, les mois et les années qui suivent.

Commençons par le temps de la crise.

Je l'ai dit, le manque de coordination a été un des problèmes clef du 13 novembre. Comment améliorer l'organisation et la synchronisation des acteurs publics pendant l'événement ? Mon programme s'établit en deux points – comme le détaille l'instruction interministérielle du 13 avril 2016 : d’abord, l'accès immédiat à une information fiable par téléphone ou mail ; ensuite, l'accès pour les victimes au personnel compétent pour répondre aux premiers besoins des victimes dans un lieu d'accueil unique.

L'accès à l'information fiable est garanti par l'ouverture d'un numéro d'appel unique par la CIAV, localisée au Quai d'Orsay. C’est là qu’est remonté l'ensemble des informations nécessaires aux victimes. Ces informations concernent principalement l'identification des victimes, la localisation des blessés dans les hôpitaux, et les coordonnées du centre d'accueil des familles. L'accès au personnel compétent pour répondre aux premiers besoins des victimes dans un lieu d'accueil unique est indispensable dans les premiers instants du drame.

À Paris, les familles seront accueillies sur le site de l'École militaire, au centre d'accueil des familles. Il s'agit d'un lieu d'accueil unique pour les victimes et leurs proches qui leur permet de se signaler, d'être informés de la situation de la personne qu'ils recherchent, de bénéficier d'un soutien psycho-traumatologique adapté et, le cas échéant, de fournir les éléments nécessaires à l'identification des victimes – dans le cadre de la cellule ante mortem.

En cas d'événement en province, les préfets ont identifié des centres d'accueil des familles – CAF – et des centres d'accueil des impliqués – CAI. Le secrétariat d'État à l'aide aux victimes veillera à l'envoi en province d'une équipe déléguée de la CIAV dont la mission sera d'assister le préfet sur toutes les questions relatives aux victimes et à l'accompagnement des familles.

La politique d'aide aux victimes, c'est aussi, concrètement, après le temps de l'urgence, le temps du suivi dans les jours, les mois et les années qui suivent.

Après le temps de la crise, le long terme.

Dans les jours qui suivent le drame, la vie des victimes et de leurs familles est bouleversée, mais elle continue – autrement. Dès lors, le second objectif du secrétariat d'État chargé de l'aide aux victimes est de veiller à leur bonne prise en charge dans le temps, pour les accompagner et les aider à retrouver un équilibre.

Au lendemain d'un attentat, les victimes ont des besoins différents. Les victimes blessées ou choquées n'ont pas les mêmes besoins que les victimes ayant perdu un proche. D’ailleurs la définition même de victime n'est pas la même pour toutes les institutions administratives, ce qui complexifie la réponse apportée par les pouvoirs publics et n'aide pas les victimes à s'y retrouver.

D'une manière générale, les victimes ont besoin de comprendre comment elles vont pouvoir être remboursées de leurs dépenses et indemnisées, tant du point de vue des frais liés à leur santé, que de tous les frais annexes. Pour celles qui sont blessées et handicapées, la vie change du tout au tout : de la prise en charge de leur frais d'appareillage à celle des consultations de psychologues, l'accès à un logement adapté ou encore l'aide à l'obtention d'une formation professionnelle nécessaire pour leur réadaptation et leur retour à l'emploi. Les besoins des victimes sont, à long terme, d'une grande variété et exigent une réponse publique qui doit conserver sa cohérence en dépit de la multiplicité des intervenants.

La réponse institutionnelle à ces nouveaux besoins passe par le pilotage, de la part du secrétariat d'État à l'aide aux victimes, de l'action menée par les administrations concernées pour les victimes. C'est dans cet esprit que je préside le Comité interministériel de suivi des victimes.

Je l'ai réuni deux fois, et sa prochaine session est prévue pour le 4 juillet. Le Comité de suivi assure la continuité de l'aide apportée par l'État, et notamment par les différents ministères concernés. Il assure le suivi non seulement des victimes du 13 novembre 2015, mais aussi des victimes françaises d'attentats survenus à l'étranger. Il rassemble les associations d'aide aux victimes et les associations de victimes, ainsi que les principaux ministères concernés : les ministères de la justice, de la santé, des finances, avec le FGTI, le ministère de la défense avec l’ONACVG, et à présent, le ministère du logement.

Le suivi des victimes repose aussi sur le traitement des cas particuliers qui exigent une intervention spécifique. À cet égard, avec mon équipe, je reçois les victimes qui nous sollicitent, je me déplace pour les rencontrer et je veille au règlement de leurs difficultés administratives en intervenant directement quand c'est le seul moyen de débloquer une situation. Ainsi, avec mon équipe, nous avons traité en quatre mois près quatre-vingts situations ; et pour environ soixante d'entre elles, nous avons trouvé une solution concrète.

Le suivi des victimes repose aussi, bien entendu, sur l'action indispensable des associations de victimes et d'aide aux victimes. La spécificité de ce secrétariat d'État est son lien fort et intrinsèque avec les associations de victimes et d'aide aux victimes et ce pour une raison simple : répondre aux besoins des victimes, c'est d'abord écouter ce que leurs représentants ont à nous dire. De fait, parce que ce sont les premières concernées, les victimes participent à la politique que nous sommes en train de construire pour elles. Elles attendent des réponses précises, claires et concrètes. J'ai donc choisi une méthode de décision qui repose sur la participation des associations à la définition des outils que je veux mettre au service de nos objectifs.

J'ai ainsi mis en place une table-ronde des associations intitulée « Construisons ensemble » qui rassemble périodiquement l'ensemble des associations de victimes et d'aide aux victimes d'attentats terroristes. Ensemble, nous avons ainsi bâti une stratégie de simplification des outils d'information au service des victimes. C'est dans cette perspective que je présenterai en avant-première à ces associations le projet de site internet unique d'ici à la mi-juillet.

J’aborderai maintenant l'identification, pour mon secrétariat d’État, de cinq priorités, les cinq piliers de la mise en place d’une véritable politique d’aide aux victimes.

Mes échanges réguliers et quotidiens avec les associations m'ont convaincue que la politique d'aide aux victimes repose sur cinq principes d'action : une information fiable, claire et adaptée à chaque étape de la prise en charge ; une prise en charge globale, médicale et psychologique, garantie dans le temps, et prévisible – démarches nécessaires, délais et phasage ; une indemnisation juste et un dispositif axé sur la transparence dans la relation avec le FGTI ; la simplification et l'humanisation des démarches administratives ; le soutien de la Nation.

Première priorité : une information fiable, claire et adaptée

En dehors de la phase de crise, quand les victimes et leurs familles doivent entamer des démarches administratives pour faire valoir leurs droits, l'information est éparpillée et donc délicate à obtenir, ce qui n'est pas acceptable. Aussi avons-nous décidé de tout mettre en œuvre pour simplifier, accompagner les démarches administratives, et centraliser l'ensemble des informations disponibles sur le portail internet dénommé « GUIDE » – information et démarches.

Deuxième priorité : une prise en charge globale, médicale et psychologique, garantie dans le temps.

Dans le cadre du comité interministériel de suivi des victimes – CISV – j'ai demandé aux ministères compétents, notamment au ministère des affaires sociales et de la santé, d'explorer toutes les pistes pour améliorer la prise en charge des victimes, à l'hôpital puis à sa sortie, tant sur le plan médical et psychologique que financier – prise en charge des remboursements de soins. Je pense aussi aux victimes choquées, c'est à dire traumatisées. Les chocs psychologiques sont, on le sait, de plusieurs natures : les victimes physiques n'ont pas les même besoins d'accompagnement que celles qui ont été choquées ou impliquées.

Au terme de ces premiers mois de travail et de ces multiples rencontres avec des victimes directes ou indirectes, j'ai pu mesurer l'importance de la prise en charge du traumatisme psychique dans ses aspects médicaux, psychologiques, et organisationnels.

Dès le début, c'est à dire dans les vingt-quatre premières heures de l'événement, la présence du thérapeute, est indispensable pour aider la victime à penser de nouveaux repères. La première mission des psychologues mais aussi de tout le personnel aidant est « d'être là ». C'est-à-dire d'être, non seulement présent physiquement, mais surtout d'être présent psychiquement, d'être disponible, à l'écoute de ces premières verbalisations de la souffrance qui peut être dans certains cas massive et envahissante.

Les soignants, auxquels je tiens à rendre un vibrant hommage, sont d’une certaine manière les « réceptacles » de ce temps de crise psychique. Je n'oublie pas les personnels de secours qui sont souvent, eux aussi victimes de cette agression psychique. Les aidants, les soignants, les sauveteurs doivent être accompagnés.

Et puis, passées les premières semaines de l'attentat, les victimes ont besoin d'être aidées par un accompagnement psychologique. Or elles se sont parfois isolées, faute d'interlocuteur. Le suivi des victimes dans la durée, du point de vue de l'accompagnement psychologique, est encore aujourd’hui, hélas, trop parcellaire. Un effort doit être engagé, notamment dans le prolongement du travail engagé par les cellules d'urgences médico-psychologiques – CUMP.

Parallèlement, en lien avec l'AP-HP, j'ai confié à Mme Françoise Rudetzki une mission de préfiguration et de réflexion sur la notion de résilience. L'opinion publique s'interroge en effet sur ces nouvelles approches cognitives, ou parfois expérimentales, du soin du traumatisme. Il était donc de mon devoir d'engager une réflexion et une recherche à ce sujet pour en tester la solidité.

Troisième priorité : une indemnisation juste et transparente

Si pour les victimes et les familles endeuillées, aucune indemnisation ne peut remplacer la perte d'un être cher ou un traumatisme causé par un attentat terroriste, l'opacité du processus d'indemnisation par le FGTI, qui reste pourtant un des plus réparateurs au monde, peut-être insupportable.

Il faut donc rendre plus transparent le processus d'indemnisation. La clarification des critères d'indemnisation est en effet essentielle pour permettre aux victimes de comprendre l'évaluation de leur indemnisation et lever tout sentiment d'arbitraire.

En outre, et c'est un des principes auxquels je suis particulièrement attachée, les victimes et leurs proches, dont la vie a basculé à la suite d'attaques terroristes, doivent être indemnisés à hauteur du préjudice qu'ils ont subi. C'est le principe même de la réparation intégrale. Il est indispensable de maintenir ce principe, même si les dépenses d'indemnisation devaient augmenter en raison des attentats terroristes. Une mission d'inspection a d’ailleurs engagé un travail de réflexion pour maintenir la soutenabilité financière du FGTI et, qu'elles qu'en soient les conclusions, je veillerai à ce que soit maintenu le principe de la réparation intégrale.

Enfin, au-delà de l'indemnisation des victimes, il faut alléger, autant que possible, le poids des difficultés administratives et fiscales liées à la perte d'un être cher victime d'attentat. C'est la raison même pour laquelle nous avons pris, le mois dernier, avec le ministre des finances et des comptes publics et le secrétaire d'État au budget, des mesures d'exonération fiscale fortes en faveur des ayants droit des victimes.

Quatrième priorité : la simplification et l'humanisation des démarches administratives.

Les jours et les semaines qui suivent l'attentat, les démarches administratives, nécessaires à l'activation des droits des victimes et à leur prise en charge, ne doivent pas ajouter du tracas à la douleur. Rien n'est plus insupportable, quand on souffre, qu'une administration complexe, froide et rigide. La diversité des interlocuteurs – FGTI, ONACVG, sécurité sociale, etc. – censés répondre à la diversité des droits représente alors une difficulté supplémentaire.

Voilà pourquoi la simplification et l'humanisation des démarches administratives sont aujourd'hui nécessaires. Aussi ai-je décidé la création d'un guichet unique afin de faciliter l'ensemble des démarches existantes. Ce guichet unique sera décliné de deux manières : d’abord un guichet unique numérique, avec le site internet que j'ai déjà évoqué, qui centralisera l'ensemble des démarches administratives à réaliser ; ensuite un guichet unique territorial, avec un lieu physique d'accueil et un réfèrent associatif, désignés au sein de chaque département. Ces deux modalités sont en cours d'étude et devraient être concrétisées d'ici à l'été 2016 pour la première, d'ici à la fin de l'année 2016 pour la seconde. Cela permettra aux victimes et à leurs proches d'effectuer leurs démarches comme ils l'entendent, et de choisir le mode d'accompagnement qu'ils souhaitent.

Cinquième et dernière priorité : le soutien de la Nation

Parce qu'elles ont été victimes d'actes de terrorisme, d'un terrorisme qui trouve sa source dans une lutte contre une société, un gouvernement ou un État, les victimes d'attentats – victimes simplement d'avoir été là – demandent autre chose qu'une simple indemnisation ou une prise en charge : elles demandent aussi le soutien de la Nation.

J'ai déjà évoqué la création de ce secrétariat d'État, le principe de réparation intégrale, les exonérations fiscales : ce sont des formes de solidarité de l'État. Nous sommes tous potentiellement visés par les attentats. L'état de victime d’attentat terroriste ou d’accident collectif n'est conditionné que par le hasard, celui d'avoir été là au mauvais moment. Les conséquences de cet aléa dramatique, cruel, doivent être partagées par la collectivité, par l'État et ne peuvent pas être assumées uniquement par l’individu.

Selon moi, nous devons aller plus loin. Cela peut prendre plusieurs formes, au-delà des hommages officiels. Je pense ainsi à l'officialisation d'une journée nationale en mémoire des victimes d'attentats terroristes. Il faut en tout cas satisfaire cette demande de soutien des victimes et des associations.

Dernier élément fondamental auquel je tiens tout particulièrement : l'exigence d'égalité.

Au-delà de ces différentes demandes  – information fiable, prise en charge globale, indemnisation juste, simplification et humanisation des démarches et reconnaissance de la nation – je voudrais insister sur une exigence supplémentaire : l'égalité de traitement entre toutes les victimes d'actes de terrorisme. Il ne peut y avoir de concurrence victimaire.

En effet, quel que soit l'attentat, sa médiatisation ou son bilan, quel que soit le lieu de résidence des victimes, le principe d'égalité nous oblige à répondre aux besoins des victimes de la même manière, avec le même soutien de l'État. À cet égard, j'ai préparé une circulaire adossée à l'instruction interministérielle du 13 avril, complémentaire à la circulaire du ministère de l'intérieur et du ministère des affaires sociales et de la santé, afin de décliner le schéma national au niveau local de la prise en charge des victimes.

Je souhaite en effet que le comité interministériel de suivi soit décliné en comités de suivi départementaux, de sorte que les victimes résidant en province puissent disposer d'un réfèrent unique au niveau associatif et d'une instance de l'État, deux piliers nécessaires pour les accompagner dans leurs démarches et débloquer d'éventuelles difficultés.

En conclusion, mesdames et messieurs les députés, je veux vous dire que ces enjeux sont, certes, d’une immense complexité et doivent été appréhendés dans un souci d'équilibre, entre égalité formelle et équité de traitement, entre rapidité des processus et personnalisation des réponses, entre gestion administrative et humanité des relations. C'est un défi quotidien, exigeant, nécessaire que nous devons tous relever.

Le travail mené avec les victimes et les associations permet à présent de disposer d'une doctrine d'accompagnement qui dépasse le champ des victimes de terrorisme. Les efforts de mise en réseau et de professionnalisation des acteurs doivent se poursuivre pour généraliser le savoir-faire et la méthodologie que nous avons acquis dans tous les domaines de la prise en charge en urgence et dans la durée.

Pour aller plus loin, de nouvelles dispositions législatives sont nécessaires pour faire naître un service public de l'aide aux victimes, en prise avec toutes les dimensions que comportent les accidents de la vie quels qu'en soient les qualificatifs – catastrophes naturelles, accidents collectifs, drames de nature pénale. Car il y a naturellement de nombreux points communs entre les politiques d’aide aux victimes de terrorisme et aux victimes d’autres catastrophes. Je sais pouvoir compter sur la représentation nationale pour aller plus loin et promouvoir au sein de l'État une culture commune de l'aide aux victimes.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre attention et me tiens naturellement prête à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

M. le président Georges Fenech. Merci, madame la ministre, pour cet exposé exhaustif des actions que vous avez menées en peu de temps, puisque votre secrétariat d’État est de création récente. Le rapporteur et moi-même sommes à l’écoute de tout le travail qui a déjà été accompli et qui répond en très grande partie, voire en totalité, aux demandes, aux inquiétudes et parfois à la saine colère des victimes qui se sont trouvées confrontées à une situation à laquelle nous n’étions pas préparés. L’important est d’apporter des réponses pour l’avenir, et le programme que vous nous communiquez aujourd’hui, avec ses cinq axes, correspond à cette attente et à ces besoins.

Nous aimerions toutefois approfondir plusieurs points avec vous.

Le secrétariat d’État chargé de l’aide aux victimes ne devrait-il pas aussi s’occuper des mineurs recrutés par Daech sur les réseaux sociaux et qui partent à l’étranger ? Même s’ils entrent dans un processus de terrorisme, ne pensez-vous pas que ces recrues sont aussi des victimes ? Les parents de ces jeunes gens, qui vivent sur notre territoire, sont pris de cours. La plupart du temps, ils ne s’étaient même pas rendu compte de leur endoctrinement.

Par ailleurs, à l’occasion de notre mission aux États-Unis, nous avons constaté combien était déterminante la rapidité des secours apportés aux victimes de ce que l’on peut qualifier de véritables actes de guerre. Or nous nous sommes rendu compte, au cours de nos travaux, que l’accès aux blessés, notamment au Bataclan, avait pris un certain temps et qu’il avait notamment fallu attendre que le périmètre de sécurité ait été levé.

Aux États-Unis, ils ont recours à un corps mixte, composé de colonnes d’assaut accompagnées par des médecins formés à l’intervention de crise, équipés et à même d’agir. Ce dispositif permet, et c’est ce qui s’est notamment passé à Orlando, une rapide prise en charge médicale, déterminante pour la survie des victimes.

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Sur les mineurs ou les jeunes adultes recrutés par les filières, c’est une réalité très récente en Europe, et qui n’est pas spécifique à la France. D’autres pays européens, comme l’Angleterre, connaissent eux aussi ce type d’instrumentalisation de la part de Daech.

Comme vous le savez, le Gouvernement est très mobilisé sur ce point et a mis en place un plan de lutte contre la radicalisation, qui comporte 80 mesures. Les familles sont bien souvent désemparées, en effet, face à une radicalisation qui se fait sur internet, et la question des réseaux sociaux est centrale dans les drames que nous vivons. Le sujet n’est pas mince. Croyez-bien que j’en suis consciente et que je m’investis, comme tout membre du Gouvernement, et comme tout citoyen français.

S’agissant de la compétence stricto sensu du secrétariat d’État d’aide aux victimes, je ne peux pas ne pas m’intéresser à ce qui a produit l’abomination. J’ai demandé au secrétariat général du Fonds interministériel de prévention de la délinquance – FIPD – de lancer de nouveaux projets. Il faut pouvoir travailler, de manière interministérielle, sur la question de la prévention et de l’aide aux familles. Cette démarche est aujourd’hui au cœur de l’action du Gouvernement. Elle prendra probablement du temps. Vous vous doutez bien que ce n’est pas d’un coup de baguette magique que l’on pourra mettre en place une politique de lutte contre ce phénomène de radicalisation. Mais je suis évidemment sensible au fait que les mineurs peuvent être victimes de ce type de réseaux.

S’agissant des premiers secours, vous devez d’abord savoir que l’action des pompiers et du personnel de secours a été immédiate. Elle a été engagée avec la plus grande détermination, et même avec une part d’abnégation sur ces terrains dangereux.

Je vous indique par ailleurs que depuis avril 2016, les médecins et les personnels civils reçoivent une formation spécifique à ce type d’attaques. Les équipes de secours, la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris – BSPP – apprennent des techniques particulières de prise en charge médicale, qu’on utilise sur les théâtres de guerre. Vous avez sans doute entendu parler de ces techniques américaines appelées damage control par lesquelles on met en place un certain nombre de soins d’urgence, afin d’éviter que l’état de la victime ne s’aggrave avant qu’elle puisse rejoindre un hôpital.

Enfin, les forces d’intervention, le RAID, la BRI, le GIGN, sont elles-mêmes engagées dans un travail de formation avec les pompiers et le SAMU pour assurer une bonne coordination entre les forces d’intervention et les forces de secours. Cette coordination doit être assurée à tous les degrés de l’action publique, sur le terrain comme dans les administrations.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Madame la ministre, ma première question porte sur les attentats du 13 novembre. Au départ, les appels téléphoniques ont été gérés par la Préfecture de police – c’est ce qui était prévu dans la circulaire. Mais du fait de l’ampleur de l’événement, le standard téléphonique de la Préfecture de police a sauté à quatre reprises et un certain nombre de familles n’ont pu contacter la CIAV. Le samedi en fin d’après-midi, le dispositif a basculé sur le ministère des affaires étrangères. Qu’est-ce qui a présidé à cette décision ? Comment est-elle intervenue ? En avez-vous tiré des leçons ? Vaut-il mieux utiliser un lieu unique pour recevoir, puis traiter les appels téléphoniques ?

Ma deuxième question, qui a été évoquée par les victimes que nous avons auditionnées, comme par la presse, porte sur la liste unique des victimes. Il semblerait qu’aujourd’hui encore, certaines personnes qui souhaitent y figurer rencontrent des problèmes. Ceux-ci ont-ils été résolus ? Avez-vous été sollicitée par certaines d’entre elles ? Les difficultés ont-elles été identifiées ? Pouvez-vous nous donner quelques éléments précis sur cette liste unique des victimes ?

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Monsieur le rapporteur, il y a eu en effet un afflux massif d’appels, notamment à la Préfecture de police – plus de 90 000 appels – et celle-ci n’était évidemment pas en capacité d’y répondre.

Quel enseignement en a-t-on tiré ? Désormais, la CIAV, qui dispose d’un numéro d’appel unique, sera techniquement en capacité de répondre à un afflux massif d’appels. Surtout, nous avons collectivement veillé à faire en sorte que dès la survenance de l’attentat, ce numéro unique s’affichera partout sur tous les médias – télévision, internet, etc. La CIAV est dotée des infrastructures humaines et techniques qui lui permettront de faire face à un afflux massif d’appels. Il s’agit en effet d’éviter ce qui s’est passé au soir du 13 novembre. Ayant pu tester le numéro unique au cours des cinq exercices NOVI – les exercices de préparation à un attentat de grande ampleur – que nous avons organisés, je peux vous dire que le système fonctionne bien.

Vous m’avez par ailleurs interrogée sur la liste unique des victimes (LUV). Celle-ci est constituée par la section C1 du Parquet de Paris. C’est un document de travail interne au Parquet, qui est devenu avec le temps un outil partagé et qui ouvre des droits. Il n’a pas d’existence juridique autonome.

Seules les victimes directes figurent sur la LUV. On considère comme une victime directe celle qui se trouvait sur les lieux de l’attaque terroriste, qui a été directement exposée au risque. Il y en a trois catégories : les victimes décédées ; les victimes blessées et les victimes choquées, c’est-à-dire blessées psychiquement – sans blessures physiques mais ayant été témoins des événements et étant naturellement traumatisées.

Je reconnais que la définition des victimes mériterait probablement d’être clarifiée. La définition de la LUV, qui se limite aujourd’hui aux victimes directes, ne rend pas compte en effet de la définition des victimes utilisée par le FGTI qui va jusqu’aux victimes indirectes, à savoir les ayants droit des victimes.

Voilà pourquoi, au secrétariat d’État d’aide aux victimes, nous avons engagé un travail pour clarifier les définitions et surtout, faire en sorte que toutes les institutions publiques utilisent les mêmes. Je pense, par exemple, à la notion de « victime impliquée », qui souffre elle aussi d’un manque de précision. Nous souhaitons mettre en place un référentiel unique pour définir les différents types de victimes.

M. le rapporteur. Le secrétariat d’État a-t-il été sollicité pour régler des cas de non-intégration à la liste unique des victimes ? A combien s’élève le nombre de personnes figurant sur la LUV ?

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Nous avons été saisis de quelques cas de victimes s’étonnant de ne pas être sur la LUV, que nous suivons très précisément – je ne donnerai évidemment aucun nom. Mais nous y travaillons avec la plus grande diligence.

Je précise que l’on figure sur la liste unique des victimes au terme d’une enquête effectuée par le Parquet, lequel s’appuie sur des documents probants : procès-verbaux, etc. C’est le Parquet qui établit sa liste unique des victimes, et qui dispose de tous les éléments juridiques.

S’agissant des attentats du 13 novembre : à la date d’aujourd’hui, on compte 1 747 victimes sur la dernière LUV, dont 130 décédées, 493 blessées et 1 124 choquées.

M. le rapporteur. Lors des auditions, notamment celle de SOS Attentats, il a été fait allusion à l’opacité du système d’indemnisation du FGTI – que vous avez-vous-même évoquée tout à l’heure. Comment envisagez-vous l’évolution éventuelle de son fonctionnement?

Certes, il est toujours très compliqué d’évaluer financièrement la perte d’un proche. Le fonds se détermine à partir d’un certain nombre de critères. Mais au terme de la conjugaison de ceux-ci, la perte par exemple d’un compagnon, d’une compagne, d’un époux ou d’une épouse sera mieux indemnisée que la perte d’un enfant. Qu’en pensez-vous ?

Le secrétariat d’État pourrait-il faire évoluer ce fonds vers plus de transparences ? Vous parliez de la nécessité d’une prise en charge plus humaine. De fait, un certain manque d’humanité a pu être déploré.

Vous souhaitez par ailleurs une simplification des démarches administratives : c’est ce qu’attendent en effet les victimes et leurs représentants. Ils ont appelé notre attention sur la prise en charge des frais d’avocat. Quel est votre sentiment en la matière ?

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Revenons sur la procédure d’indemnisation devant le FGTI.

Le FGTI ouvre des dossiers d’indemnisation pour les victimes directes, qui figurent sur la LUV, et pour les victimes indirectes qui sont les ayants droit et les proches des victimes directes. Sont considérées comme victimes indirectes par le FGTI : les conjoints, les ascendants, les descendants jusqu’au deuxième degré, les frères et les sœurs des personnes décédées ; mais aussi les conjoints et les ascendants, les descendants au premier degré des personnes blessées ; enfin toute personne justifiant d’un lien particulier avec toute personne décédée ou blessée. Tels sont les critères d’éligibilité.

Concrètement, le FGTI prend l’attache des victimes qui sont inscrites sur la LUV, ou de leurs ayants droit. Mais cela n’empêche pas que toute personne puisse saisir directement le FGTI si celui-ci ne l’a pas contactée et qu’elle s’estime victime d’un acte de terrorisme.

Une fois le contact pris, le FGTI verse une première provision au plus tard un mois après avoir reçu la demande de la victime – et après l’avoir analysée. Ensuite, des provisions complémentaires peuvent être accordées sur demande.

Le FGTI présente une offre d’indemnisation définitive au plus tard trois mois après avoir reçu les justificatifs – certificats médicaux, rapports d’expertise médicale, justificatifs de perte de revenus ou justificatifs d’état-civil. Mais pour les blessés graves ou pour les victimes qui ont subi un traumatisme psychologique, il faut attendre ce que l’on appelle la « consolidation » de l’état de santé physique ou psychologique. On peut aussi parler de « stabilisation ». Or cette phase nécessite du temps. Par exemple, l’effet blast d’une blessure par balle peut avoir une résonance sur la consolidation des os. L’attente dépend de l’état de santé de la victime : un mois, deux mois, trois mois, voire beaucoup plus. Ainsi, le processus d’indemnisation définitive dépend lui-même de la consolidation de l’état de santé.

Vous avez ensuite posé la question essentielle de l’évaluation du préjudice, les victimes ayant souvent le sentiment qu’il y a deux poids deux mesures lorsqu’il s’agit d’indemniser un préjudice. Je serai donc précise et concrète sur la façon dont le préjudice est évalué.

Les principaux postes de préjudice sont fixés par la nomenclature Dintilhac, parmi lesquels figurent : les dépenses de santé, les pertes de revenus, le déficit fonctionnel, les souffrances endurées, les éventuels frais résultant de l’assistance d’une tierce personne, le préjudice d’affection, les frais d’obsèques pour les ayants droit, etc.. Mais il n’y a ni montant fixe ni barème, car ce serait contraire au principe de réparation intégrale.

Le FGTI se réfère à la pratique des tribunaux judiciaires, et en particulier au référentiel d’indemnisation des cours d’appel pour estimer les préjudices. Celui-ci peut parfois est majoré par le fonds, sur production de documents d’expertise et sur analyse fine du dossier.

S’agissant de votre interrogation sur l’amélioration de la transparence du référentiel d’indemnisation, le conseil d’administration du FGTI s’est prononcé contre la diffusion de ce référentiel. Il n’est donc pas possible de communiquer sur l’évaluation des postes de préjudice faite par le fonds.

Enfin, il existe une réparation forfaitaire complémentaire qui est accordée au titre du PESVT – le préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme. Cette réparation a été décidée en 2014 par le conseil d’administration du FGTI, précisément pour tenir compte de la spécificité des préjudices subis par les victimes du terrorisme. Ainsi, 30 000 euros sont accordés aux personnes blessées au cours d’un acte de terrorisme ; pour les proches, le montant varie de 3 500 à 17 000 euros en fonction du lien de parenté.

Toutefois, ce type de réparation, qui est mal compris par les victimes, soulève un certain nombre de difficultés : ce n’est pas un poste de préjudice de droit commun, son montant est relativement faible et il est mal expliqué par le FGTI.

Pour les victimes directes, on distingue celles qui sont directement exposées auxquelles on accorde 30 000 euros, des victimes indirectement exposées, qui perçoivent 10 000 euros. Or cette distinction est ténue. Cela a entraîné à plusieurs reprises des débats au sein du conseil d’administration, et a conduit à des évolutions après chaque attentat. Par la suite, les critères d’attribution du PESVT pour les victimes directes sont devenus peu lisibles. C’est la raison pour laquelle je pense qu’un effort de clarification doit être engagé notamment sur le PESVT.

Quels sont les leviers du secrétariat d’État sur le FGTI ? Avons-nous un rôle direct sur le FGTI ? Aujourd’hui, j’ai un rôle d’action dans la mesure j’ai la responsabilité de travailler à la bonne coordination de chaque ministère représenté au sein du conseil d’administration du fonds. Mais je n’ai pas un rôle direct de pilotage. Vous le savez, le FGTI a un statut juridique particulier de droit privé. Une mission réfléchit néanmoins à l’évolution de son statut.

Cela étant, j’ai mené plusieurs types d’actions pour alerter le FGTI sur certains cas particuliers, qui justifieraient l’accélération et la simplification des démarches. Je réponds ainsi à votre dernière question : le secrétariat d’État a lancé une action concertée sur la révision des formulaires du FGTI. Il faut que ceux-ci soient lisibles et faciles à remplir, et que les victimes n’aient pas à renseigner plusieurs fois le même formulaire, car cela leur est très pénible. De nouveaux formulaires actualisés et simplifiés sont en ligne depuis le 20 mai, et seront validés par le prochain conseil d’administration du FGTI. Comme vous pouvez le constater, nous avons donc d’ores et déjà contribué à la simplification des démarches.

Nous avons également travaillé à l’amélioration des courriers qui seront adressés aux victimes. Dès que j’ai été nommée, nous nous sommes mobilisés sur ce point. Nous avons fixé au FGTI des indicateurs pour que chaque demande reçoive une réponse dans un délai raisonnable. Je suis aujourd’hui en mesure de vous dire que d’ici à la fin de l’année, aucune demande ne sera laissée sans réponse de la part du FGTI.

S’agissant des frais d’avocat, dans le cadre d’une procédure pénale, ceux-ci sont pris en charge par l’aide juridictionnelle – et pour les victimes de terrorisme, elle est acquise sans conditions de ressources. Tel n’est pas le cas en revanche lorsqu’on est en phase transactionnelle. Les frais d’avocat devant le FGTI ne peuvent donc pas être pris en charge. Ils peuvent néanmoins aller jusqu’à10 % de l’indemnité.

J’ai engagé trois types de réflexion pour régler cette situation.

Premièrement, l’extension de l’aide juridictionnelle à la phase transactionnelle.

Deuxièmement, la prise en charge des frais d’avocat par le FGTI. Mais il faut que ceux-ci ne rentrent pas dans la réparation intégrale, car il faut absolument éviter les effets d’aubaine.

Troisièmement, la prise en charge par l’assurance protection juridique de ces frais. Il y a plusieurs occurrences dans le travail que nous menons : soit le déplafonnement, soit une convention de prise en charge des frais et des honoraires entre le FGTI, le Conseil national des barreaux et les assureurs, sur le modèle des accidents collectifs. À ce stade, le travail que nous menons n’est pas encore achevé.

M. Christophe Cavard. Madame la ministre, on ne peut que se réjouir de l’existence officielle du secrétariat d'État chargé de l’aide aux victimes qui, je l’espère, s’inscrira dans le temps puisque les risques sont malheureusement grands d’être à nouveau confrontés à d’autres situations comparables. J’insiste sur son rôle de coordination et d’information car, en cas d’attentat terroriste, les victimes reçoivent peu d’éléments – secret défense, volonté des personnels de justice de réunir ou pas les victimes pour les informer. Et lorsque les attentats ont lieu à l’étranger, les relations avec les familles des victimes sont encore plus compliquées.

Ne pensez-vous pas que le secrétariat d’État d’aide aux victimes pourrait jouer un rôle particulier en la matière ? Vous pourriez, au nom du Gouvernement, donner directement des informations aux victimes ou à leurs représentants, ce qui leur éviterait, ce qui est toujours très désagréable, d’en prendre connaissance par voie de presse.

Par ailleurs, l’instruction des affaires de terrorisme est particulièrement longue. Celle de l’affaire Merah a duré plus d’un et un certain nombre de familles de victimes ont déploré que, pendant tout ce temps, elles ne savaient pas comment la situation évoluait. Certes, la justice fait son travail et il faut attendre le procès. Mais quel est votre point de vue sur ce point ?

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Monsieur le député Christophe Cavard, il est en effet difficile pour les victimes d’attendre que l’enquête aboutisse. Le temps de la justice ajoute à leur souffrance. Les victimes, comme nous tous, ont envie de savoir ce qui s’est passé, et le plus vite possible. Mais je ne peux que rappeler la loi et nos principes, et notamment le II de l’article préliminaire du code de procédure pénale qui dispose que « L’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. »

Ainsi, personne d’autre que le juge d’instruction ne peut s’adresser aux victimes pour rendre compte et dire les éléments de l’enquête, pour des raisons de principe, mais aussi pour préserver la conduite de l’enquête dans les meilleures conditions possibles. Il s’agit d’éviter, en particulier, que la divulgation par d’autres que par l’autorité judiciaire ne puisse avoir une répercussion, soit sur le bon déroulement de l’enquête, soit même sur son issue, qui est de trouver la vérité.

Je reconnais volontiers que cela ne répond pas à l’attente des victimes qui, elles, veulent avoir des informations. Le secrétariat d’État à l’aide aux victimes peut-il se substituer aux magistrats ? La réponse est clairement non . Il n’est pas question que, même en termes de communication, qui que ce soit s’exprime à la place des magistrats.

Cela étant, il y a deux façons d’améliorer les choses, et elles sont déjà mises en place.

Premièrement, lorsqu’on se constitue partie civile, on a accès au dossier. Donc, pendant une information judiciaire, l’avocat de la partie civile dispose des mêmes droits que le conseil de la personne mise en examen. Il peut obtenir des copies des pièces de la procédure et les transmettre à son client. C’est l’article 114, alinéa 5 et suivants du code de procédure pénale. En outre, depuis la loi du 27 mai 2014, les copies peuvent être demandées par les parties, et les rapports d’autopsie font bien partie des pièces communicables.

Deuxièmement, le code de procédure pénale prévoit également que, pour les magistrats instructeurs, une réunion d’information doit avoir lieu tous les six mois avec les victimes qui se sont constituées partie civile. Il y a une dizaine de jours, se sont ainsi tenues à l’École militaire les journées d’information des victimes. Le ressenti a été positif : les victimes ont apprécié d’être reçues par les magistrats qui s’occupent du dossier. De fait, six magistrats instructeurs – ce qui suppose une mobilisation de moyens assez exceptionnelle – sont chargés de ces dossiers d’une immense complexité. Les échanges ont été d’une grande précision et les victimes ont eu le sentiment d’un grand professionnalisme. Il y a eu des exposés très nourris, parfois de deux heures, et on leur a présenté le compte rendu d’investigations multiples. Cela n’a pu que rassurer les victimes qui ont ainsi eu accès à tous les éléments d’information. Certaines questions sont restées sans réponse, mais pour une raison simple : elles ne relevaient pas de la procédure en cours.

Au moment où ces journées se sont tenues, Salah Abdeslam venait d’indiquer qu’il ne s’exprimerait pas, ce qui a légitimement suscité une immense frustration. À l’issue de ces journées, certaines victimes s’en sont plaintes. On peut le comprendre, mais chacun doit aussi rester conscient du rôle des magistrats instructeurs qui, bien entendu, ne peuvent pas se prononcer dans un tel cas.

Je rappelle, pour m’en réjouir, que vous avez voté à l’unanimité, dans le cadre du projet de réforme pénale, un amendement visant à réduire le délai à partir duquel une association peut se constituer partie civile, ce qui a été salué par les associations comme étant un grand progrès. Le fait de pouvoir se porter partie civile sans délai préalable de constitution d’une association perme en effet aux victimes d’avoir accès à l’information.

M. le président Georges Fenech. Je vous remercie de l’avoir rappelé. Cette avancée, qui est issue de nos travaux, a été portée par notre collègue Pascal Popelin.

M. Christophe Cavard. Le président avait prévu dans le cadre de nos travaux des auditions avec les médias, qui peuvent parfois mettre en danger les personnes impliquées. Nous-mêmes ne vivons pas très bien d’apprendre certaines informations dans les journaux. En l’occurrence, je m’intéresse davantage aux éléments qui sont donnés dans la presse sans que les victimes ou leur famille en aient eu connaissance. Certes, le droit doit être respecté. Mais, de par votre rôle de coordination, peut-être pouvez-vous recueillir les informations qui peuvent être partagées.

Les victimes – et même les magistrats, mais c’est un autre problème – ne comprennent pas que certaines informations ne leur soient pas données sous prétexte qu’elles relèveraient de dispositifs particuliers et tomberaient sous le coup du secret. Je pense notamment à des éléments qui sont dans les mains des services de renseignements. Peut-être que la police, via le ministère de l’intérieur, pourrait livrer aux victimes les informations qu’un journaliste spécialiste du renseignement a réussi à obtenir.

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Vous posez une très bonne question, qui a d’ailleurs un certain nombre d’implications sur d’autres éléments d’information, comme le nom de proches qui se retrouvent dans les journaux avant même que l’identification des corps ait eu lieu, ou de photos qui circulent sur internet au mépris de la dignité des personnes. Bref, nous parlons de la liberté d’information et d’expression, et de la grande capacité des réseaux sociaux à divulguer tout et n’importe quoi en un quart de seconde d’un bout à l’autre de la planète. Face à cela, que peut faire l’État ?

D’abord, s’agissant des services de renseignement, de l’instruction et de l’enquête, notre rôle à tous, représentation nationale, Gouvernement, autorité publique, est de dire qu’il y a une seule information fiable, une seule information vraie : la parole des magistrats.

Ce principe est important et nous devons le rappeler, y compris dans les relations que nous avons avec les victimes. Donc, quand je reçois les victimes, je leur dis de ne pas croire ce qu’elles peuvent lire car un certain nombre d’informations fausses circulent. Il est de notre responsabilité de ne donner d’informations que lorsqu’elles sont vraies, c’est-à-dire vérifiées, ce qui suppose que l’ensemble des services de l’État aient eu le temps de procéder à cette vérification. La rapidité va souvent de pair avec la rumeur, et la rumeur est quasiment toujours fausse.

Nous pouvons néanmoins agir.

Prenons tout d’abord le cas d’une image ou une d’information – vraie ou fausse – heurtant la dignité des victimes et qui circule dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Je pense ici à la photo d’un proche d’une victime au lendemain du crash aérien de l’avion d’EgyptAir. J’ai contacté les journaux concernés et leur ai demandé, au nom de la déontologie et de leur propre charte éthique, de retirer cette photo, le principe étant que toute victime qui ne souhaite pas que la photo ou le nom d’un proche soit divulgué(e) doit être entendue. Nous pouvons donc agir non pas par la contrainte, car la presse est libre, mais par un travail mettant en avant la déontologie et renvoyant les journalistes à leur propre éthique.

Par ailleurs, les réseaux sociaux sont aussi un vecteur d’information précieux, que le secrétariat d’État à l’aide aux victimes utilise énormément. Ainsi, dès la survenance d’une catastrophe aérienne, nous pouvons envoyer par ce biais le numéro de téléphone permettant d’avoir accès à des informations. Nous le faisons naturellement en lien avec le ministère des affaires étrangères et le centre de crise et de soutien. Mes équipes vérifient très concrètement que le numéro de téléphone fonctionne, puis nous le mettons immédiatement en ligne sur les réseaux sociaux. Et vu le nombre de retweets, je pense qu’il y a là une vraie utilité. Les victimes et leurs proches demandent en effet une information vraie et fiable tout de suite, dès les premières minutes de la catastrophe. Donc, les réseaux sociaux peuvent aussi être utilisés pour renforcer la qualité des informations auxquelles les victimes ont accès.

Enfin, et pour finir, j’ai lancé une réflexion, au sein du secrétariat d’État, sur l’impact délétère de la circulation, dans la presse, des photos des terroristes. J’ai bien conscience qu’on est, là encore, sur le terrain de la liberté d’information et que celle-ci est indispensable. Je ne suis pas sûre cependant qu’il soit de bon aloi pour les victimes de voir circuler partout sur les réseaux sociaux et dans la presse les photos des terroristes, leur nom, le récit de leur vie ; même si cela satisfait probablement des besoins narcissiques cela heurte les survivants et leur famille. La juxtaposition, dans les journaux, des photos des victimes et des terroristes dont on parle beaucoup et qui renvoient à des actes abominables, ne sert pas, selon moi, l’intérêt général. Mais nous sommes là sur le terrain de la déontologie et de l’éthique.

M. le président Georges Fenech. Madame la ministre, la France a été bouleversée par le double assassinat d’un couple de fonctionnaires de police. Quelles mesures vont être prises pour leur enfant, désormais orphelin ? Je crois savoir qu’il aurait le statut de pupille de la Nation. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Monsieur le président, ce petit enfant de trois ans remplit tous les critères pour devenir pupille de la Nation. Nous avons saisi l’ONACVG. J’ajoute qu’à l’issue des attentats de 2015 et 2016, plus de cinquante enfants, au total, sont aujourd’hui pupilles de la Nation.

Au secrétariat d’État, nous avons immédiatement pris contact avec la famille pour savoir comment nous pouvions lui être utiles. Nous sommes à leur disposition pour les recevoir. J’insiste sur ce point essentiel : une fois passés les premiers jours, quand la presse ne s’y intéressera plus, le suivi de cet enfant devra être permanent et contrôlé. Même dans plusieurs mois, le sort des proches de ce couple et de ce petit garçon sera pris en charge par le secrétariat d’État aux victimes. Par ailleurs, un hommage aura lieu à Versailles vendredi, en la mémoire de ses parents.

M. le président Georges Fenech. Madame la ministre, il ne me reste plus qu’à vous remercier. Nous sommes très attentifs au sort des victimes et nous ne pouvons que nous féliciter de toutes ces mesures qui ont été annoncées en un temps record et qui recueillent, j’imagine, l’assentiment des associations. Elles participent du reste aux décisions que vous prenez, ce qui est très important.

Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Merci, monsieur le président.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Cavard, M. David Comet, Mme Marianne Dubois, M. Georges Fenech, M. Serge Grouard, Mme Lucette Lousteau, M. Jean-René Marsac, M. Sébastien Pietrasanta

Excusés. - M. François Lamy, M. Michel Lefait