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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Lundi 9 février 2015

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 10

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de Mme Geneviève Gosselin-Fleury, vice-présidente, puis de M. Éric Ciotti, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Isabelle Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire, et de M. Bruno Clément-Petremann, sous–directeur de l’état–major de sécurité

La séance est ouverte à 14 heures 30.

Présidence de Mme Isabelle Gosselin-Fleury, vice-présidente

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Nous recevons cet après-midi Mme Isabelle Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire, et M. Bruno Clément-Petremann, sous-directeur de l’état-major de sécurité, que nous avons souhaité entendre pour aborder la question centrale de la radicalisation en milieu carcéral et des moyens pour prévenir et combattre ce phénomène.

Je vous signale que cette audition est ouverte à la presse et fait l’objet d’une retransmission en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. La vidéo est disponible pendant quelques mois, à la demande.

Je vous rappelle également que la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission, qui pourra également décider d’en faire état dans son rapport.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires faisant obligation aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous demande, madame, monsieur, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Isabelle Gorce et M. Bruno Clément-Petremann prêtent serment.)

Mme Isabelle Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire. Mesdames, messieurs les députés, je préciserai tout d’abord que les phénomènes de radicalisation dans l’administration pénitentiaire ne sont pas récents : ils sont connus depuis une vingtaine d’années. Des détenus islamistes radicaux sont enfermés pour des actes de terrorisme commis dans les années 1990 et des conversions ont été observées depuis plusieurs années. Toutefois, la radicalisation prend une coloration nouvelle dans nos établissements du fait de l’incarcération de ressortissants français revenus de Syrie. On peut estimer qu’il existe une massification – même si le mot est excessif – des comportements d’adhésion au fondamentalisme musulman, phénomène qui s’observe essentiellement dans les grands établissements de la région parisienne, qui reçoivent l’ensemble des personnes placées sous mandat de dépôt pour des faits de terrorisme.

Toutefois, nous n’avons pas traité ce problème de manière spécifique dans la mesure où, depuis plusieurs années, les détenus qui se tournent vers l’islam radical ne s’inscrivent plus dans des relations conflictuelles avec l’institution : ils ne cherchent plus à organiser des prières collectives dans les cours de promenade ou à marquer une opposition en matière d’alimentation ou de culte. Nous savons, grâce notamment aux travaux de recherche de M. Farhad Khosrokhavar, que les détenus se comportent de façon beaucoup plus discrète dans l’expression de leur fondamentalisme. Nous ne rencontrons pas de problèmes majeurs de discipline ou de police intérieure avec eux.

Cette évolution ne nous laisse bien sûr pas indifférents. S’il n’est pas possible de véritablement quantifier ce phénomène, nous observons des changements collectifs de comportements se manifestant par un rapprochement avec des détenus fondamentalistes, qui s’auto-proclament imams.

Je vais vous donner quelques chiffres tenant compte des mandats de dépôt du week-end dernier. En France, sur les 307 personnes détenues pour des faits de terrorisme, 172 sont écrouées pour des actes de terrorisme liés à l’islam radical : 145 sont des prévenus qui relèvent, à l’exception de dix individus, de la direction interrégionale de Paris ; 27 purgent de longues peines. Le nombre de terroristes islamistes ayant déjà fait l’objet d’une incarcération est de vingt et un, ce qui montre qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre le fait d’avoir été précédemment incarcéré et le retour en prison pour des faits de terrorisme liés à l’islam radical.

L’administration pénitentiaire dispose d’un bureau de renseignement, s’appuyant sur un réseau régional. Créé en 2003, il s’est densifié à partir de 2012. Il travaille avec les services du ministère de l’intérieur, en particulier la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; une convention avec l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) de la police nationale devrait bientôt faciliter les échanges d’informations. En outre, un fichier de renseignements nous permet de croiser les renseignements relatifs aux personnes détenues avec les informations dont disposent les services de renseignement du ministère de l’intérieur. Il est en cours de régularisation auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) car il n’avait pas été déclaré.

L’administration pénitentiaire dispense depuis plusieurs années des formations sur le culte en prison et a développé de nombreuses formations continues et initiales consacrées à l’islam radical, notamment à des fins de renseignement : il faut que nos agents sachent ce qu’ils doivent observer et surveiller pour que les informations soient le mieux partagées possible au sein de l’institution. La grille de détection des comportements de radicalisation, mise au point il y a une dizaine d’années, a été récemment revue, en tenant compte notamment des analyses de M. Farhad Khosrokhavar sur les nouvelles formes que revêt ce phénomène. Nous avons également fait appel à un prestataire extérieur, l’Association française des victimes du terrorisme, pour nous aider à mieux détecter les comportements de radicalisation et les détenus vulnérables, plus exposés à ce risque.

Ces dernières années, nous avons développé de nombreuses recherches sur la pratique du culte en prison. Une journée d’études consacrée au fait religieux en prison a été organisée à l’automne 2013 et a donné lieu à la publication d’un ouvrage, que je tiens à votre disposition. Ces travaux ont permis de montrer que le lien entre la prison et la recherche de spiritualité est ancien. L’enfermement, la fragilité, le sentiment de culpabilité, l’isolement poussent les personnes détenues à s’interroger sur leur identité, leur parcours de vie et les raisons de leur délinquance ; ils nourrissent une aspiration à pratiquer un culte, qu’il soit catholique, protestant, musulman ou israélite. La présence des aumôniers à l’intérieur des établissements est très importante : elle contribue très largement à permettre aux détenus sinon de trouver des réponses, du moins de se désangoisser.

Une partie des pistes à explorer repose sur l’organisation de la pratique du culte, notamment du culte musulman. Sur 66 000 détenus, 18 000 déclarent pratiquer le ramadan, un chiffre élevé qui reflète la propension des personnes incarcérées à resserrer des liens communautaires en cette période si importante pour l’islam.

En outre, l’administration pénitentiaire a mis en place à Fresnes un regroupement de détenus posant des problèmes de prosélytisme. Cette initiative a été prise par le chef de l’établissement lorsqu’il s’est aperçu que le nombre important de détenus incarcérés dans le centre pour des faits de terrorisme donnait lieu à des changements de comportement au sein de la détention. L’emprise grandissante qui se faisait sentir, sans véritablement poser de problèmes de police intérieure, exposait certains détenus à un risque de radicalisation, du fait de leur fragilité. Ce choix doit maintenant être approfondi, afin de bien identifier les personnes qui doivent être regroupées dans un secteur de détention, ce régime étant distinct de l’isolement. Une fois ce regroupement effectué, le niveau de pression sur le reste de la détention a diminué de manière manifeste et de nombreux détenus ont pu à nouveau vivre comme ils le faisaient auparavant, reprenant leurs habitudes en matière de repas et de douches. Preuve qu’il était nécessaire d’intervenir.

Mme la garde des Sceaux a réuni la semaine dernière les organisations professionnelles pour leur présenter le plan de lutte contre le terrorisme et la radicalisation élaboré par le ministère de la justice. L’administration pénitentiaire bénéficiera de la création de 483 emplois nouveaux et de l’octroi de 80 millions d’euros de crédits supplémentaires.

Ces nouveaux moyens permettront de renforcer le renseignement pénitentiaire. Nous pourrons densifier notre réseau, nous doter d’outils rénovés, mieux exercer notre veille, notamment sur les réseaux sociaux, et conduire une analyse plus fine des outils informatiques utilisés par les détenus. Le logiciel SCALPEL, qui permet d’effectuer des contrôles sur les 2 500 ordinateurs dont disposent les détenus en cellule – essentiellement des personnes condamnées à de longues peines – nécessite une remise à niveau permanente et appelle le développement de compétences dans les régions.

Ce plan servira aussi à équiper nos établissements de brouilleurs de téléphones portables de nouvelle génération.

Il contribuera à favoriser l’intervention d’équipes spécialisées pour effectuer des fouilles. Dans les établissements pour peine, il est difficile au personnel de surveillance de procéder à des fouilles régulièrement alors que c’est l’un des moyens les plus sûrs d’exercer notre mission de sécurité, notamment lorsque des détenus ont été condamnés pour des faits de terrorisme.

Il viendra renforcer notre dispositif de formation, continue et initiale, et nos capacités d’intervention : il ne suffit pas d’identifier les détenus radicalisés ou en voie de radicalisation, encore faut-il intervenir. À l’instar d’autres pays européens, nous souhaitons mettre en place des dispositifs de déradicalisation, qui sont avant tout des dispositifs de prise en charge. Il s’agit d’interroger les détenus sur les choix qu’ils sont en train de faire et de créer un contre-discours par rapport au discours fondamentaliste qui prend facilement dans les détentions.

Nous comptons également consolider l’aumônerie musulmane par une meilleure indemnisation des aumôniers et la création de postes supplémentaires dans les établissements. Aujourd’hui, les aumôniers musulmans interviennent essentiellement le vendredi, jour du prêche, mais sont peu présents les autres jours de la semaine pour des raisons qui tiennent essentiellement au niveau de leur rémunération. Une présence plus assidue contribuera à alimenter un contre-discours et évitera que des détenus s’auto-proclamant imams ne prennent de l’ascendant sur leurs codétenus.

Ces moyens permettront en outre de prendre en compte les multiples aspects de la radicalisation en améliorant la prise en charge des détenus, la surveillance, le réseau de renseignement, mais aussi la formation des personnels. Il est important d’affiner la connaissance qu’ont les agents de ces questions afin d’éviter qu’ils ne passent à côté de certains comportements ou ne versent dans l’islamophobie, ce qui serait totalement contraire à l’objectif poursuivi.

Je vais maintenant laisser la parole à Bruno Clément-Petremann pour vous présenter le bureau de renseignement pénitentiaire.

M. Bruno Clément-Petremann, sous-directeur de l’état-major de sécurité. La création du bureau du renseignement pénitentiaire, concomitante de celle de l’état-major de sécurité, a eu lieu en 2003. Il a pour but de collecter tous types de renseignements concernant les établissements ou les détenus sensibles faisant l’objet d’un suivi particulier, d’analyser et de recouper ces données pour anticiper les comportements occasionnant une certaine dangerosité.

Ce service se penche sur la radicalisation depuis une dizaine d’années. Il a élaboré en 2005 la première grille de détection des comportements radicaux, laquelle a été rénovée en 2009, à la suite de travaux d’une commission dépendant de la Commission européenne, puis a été remplacée par une nouvelle grille en 2010.

Aujourd’hui, le renseignement pénitentiaire est structuré en trois niveaux.

Le niveau central, à l’état-major de sécurité, comprend treize personnes affectées à deux pôles, l’un dédié à la surveillance du grand banditisme, l’autre à la surveillance du terrorisme et à la criminalité internationale.

L’échelon régional rassemble des délégués interrégionaux auprès de chacune des dix directions interrégionales de l’administration pénitentiaire. Ils sont au nombre de quatorze car ils sont deux dans les directions couvrant le plus grand nombre de détenus concernés par le terrorisme et le grand banditisme – Paris, Lille, Lyon et Marseille.

Enfin, un réseau local recouvre l’ensemble des établissements. Il est toutefois difficile d’évaluer ses effectifs car il regroupe des personnes qui n’occupent pas toujours ces fonctions à temps complet, tout dépendant de la taille de l’établissement et du profil des détenus qui y sont accueillis.

En termes d’équivalents temps plein travaillés, le renseignement pénitentiaire mobilise 70 personnes.

Il a connu un grand tournant avec l’affaire Merah, qui l’a fait paraître sur la place publique. La radicalisation en détention a en effet été particulièrement mise en avant à cette occasion, même si l’étude du dossier de Mohammed Merah a montré que les choses n’étaient pas aussi simples, sa radicalisation s’étant effectuée moins en prison, qu’il n’a fréquentée que de manière fragmentée, qu’au sein de sa propre famille, à travers l’usage des réseaux sociaux. À cet égard, je rappellerai, à la suite de Mme la directrice, que sur les 172 personnes écrouées pour actes de terrorisme, seules 21 ont déjà fait l’objet d’une incarcération.

En juin 2012, la direction de l’administration pénitentiaire a signé un protocole avec la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue depuis la DGSI, visant à échanger des informations et des matériels et à faire participer les agents du renseignement intérieur à la formation de notre propre réseau de renseignement.

L’administration pénitentiaire a répondu en 2014 à plus de 6 000 requêtes provenant de services de renseignement extérieurs partenaires contre 3 000 en 2012, chiffres qui montrent l’importance prise par le renseignement pénitentiaire au sein de la communauté du renseignement.

Le renseignement pénitentiaire est en effet devenu un acteur qui compte dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Il est de moins en moins considéré comme une simple source pour les autres services et apparaît désormais comme un partenaire à même de fournir des renseignements importants s’agissant du milieu fermé comme du milieu ouvert. N’oublions pas en effet que les activités du bureau du renseignement couvrent non seulement les 66 000 personnes détenues dans nos établissements, dont 800 font l’objet d’un suivi régulier, mais aussi les 175 000 personnes suivies en milieu ouvert, dont certaines peuvent aussi alimenter les filières djihadistes.

Pour finir, je précise que nous sommes en train d’élaborer avec l’UCLAT un protocole construit sur le même modèle que celui que nous avons signé avec la DGSI en 2012. Il devrait être signé très prochainement.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Avant de donner la parole à mes collègues pour poser leurs questions, j’aimerais vous demander, madame la directrice, si des expériences de désendoctrinement auprès de détenus radicalisés ont déjà été menées. Et si oui, quels en sont les résultats ?

M. Joaquim Pueyo. J’aurai trois questions très précises.

Il y a parfois confusion, notamment au sein de notre assemblée, entre séparation dans des quartiers dédiés et isolement. Pouvez-vous nous indiquer combien de détenus considérés comme des islamistes radicaux sont placés dans des quartiers d’isolement, ce qui suppose qu’ils sont seuls en cellule et dans les cours de promenade et encadrés dans leurs mouvements ? La réglementation actuelle, notamment les dispositions du code de procédure pénale, vous paraît-elle suffisante ? Ne faudrait-il pas la modifier, compte tenu du phénomène nouveau que constitue la radicalisation ?

Ma deuxième question porte sur les quartiers dédiés. Cette procédure existe déjà, notamment pour les arrivants ou les détenus considérés comme dangereux sur le plan de la sécurité publique. S’agissant des islamistes radicaux, des dispositions complémentaires seront-elles prises, notamment pour les cours de promenade ? Dans le centre de Fresnes, la surveillance ne paraît pas trop ardue, compte tenu du fait que les cours sont relativement petites, mais ce n’est pas le cas dans tous les établissements.

Ma troisième question concerne le renseignement pénitentiaire. Il est fondamental d’identifier les détenus qui peuvent se radicaliser. Les services intervenant dans les établissements pénitentiaires sont-ils prêts à collaborer ? Je pense à l’éducation nationale, au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), au service médical, car la radicalisation peut aussi être détectée par leur biais. Une coordination a-t-elle été mise en place ?

M. Jacques Myard. Première question toute simple : pourquoi autorisez-vous les portables et les ordinateurs en prison ? Pourquoi vous cassez-vous la tête à vouloir brouiller les ondes alors même que les prisonniers n’ont pas à détenir ces moyens de communication. Ils sont en prison, oui ou non ?

S’agissant de la déradicalisation, quels arguments sont mis en avant ? Pour avoir participé à des commissions d’enquête sur les sectes, je peux vous dire que faire sortir quelqu’un d’une secte n’a rien d’évident.

Enfin, monsieur Clément-Petremann, quelle est la formation de vos agents ? Sont-ils magistrats ou sont-ils issus d’autres univers leur ayant permis d’acquérir certaines connaissances en ce domaine et d’éviter les pièges ? Attention : cette audition est ouverte à la presse, ne nous livrez pas d’éléments qui pourraient être détournés.

Mme Isabelle Gorce. Il faut faire preuve de modestie : nous ne faisons que commencer et n’avons pas vraiment d’expériences de déradicalisation ou de désendoctrinement. Nous étudions les procédures mises au point par les Britanniques, qui n’hésitent pas à travailler avec d’anciens terroristes pour établir un contre-discours à destination des détenus radicalisés. La doctrine de désendoctrinement reste à élaborer et nous souhaitons la mettre au point le plus rapidement possible.

Nous avons la conviction qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème psychologique qui s’apparenterait à l’adhésion sectaire. La question du culte se pose également et cela suppose de nous entourer d’aumôniers à même de répondre sur le terrain religieux aux détenus sous l’emprise des discours salafistes. L’administration pénitentiaire n’a pas la capacité de tenir de contre-discours en ce domaine.

Nous avons passé un marché avec l’Association française des victimes du terrorisme qui participe au programme européen RAN – Radicalisation Awareness Network. Elle dispose d’un réseau d’interlocuteurs en Europe qui nous permettra d’aider à construire les programmes de désendoctrinement.

Il nous faut également mener un travail de prévention afin de prendre en compte les détenus les plus vulnérables, susceptibles d’être rapidement influencés par des discours simplistes sur la vie en société et la géopolitique.

Vous m’interrogez sur l’isolement, monsieur Pueyo. Aujourd’hui, une vingtaine dedétenus liés à l’islam radical ont été placés dans des quartiers d’isolement au sens juridique du terme. C’est une proportion modérée au regard du total de 172 et qui recouvre des flux changeants puisque le régime de l’isolement n’est pas pérenne : il doit être renouvelé et reposer sur des éléments objectifs.

La réglementation actuelle est-elle suffisante ? Oui, car les quartiers dédiés et les quartiers d’isolement ne renvoient pas aux mêmes cas. L’isolement stricto sensu doit être réservé à des détenus qui posent de véritables problèmes de dangerosité pénitentiaire. C’est la raison pour laquelle la réglementation est exigeante et que nous devons nous aussi être exigeants quant au respect de cette réglementation. Les quartiers dédiés sont appelés à se développer. Le regroupement de Fresnes a été décidé en fonction de données objectives – la nature des faits pour lesquels les détenus ont fait l’objet de poursuites judiciaires et leur comportement en détention. Nous devons toutefois affiner ces critères pour déterminer quels détenus peuvent être regroupés et lesquels ne le peuvent pas.

Ces quartiers dédiés n’entendent pas reproduire les quartiers d’isolement. Nous nous interrogeons sur le caractère systématique à donner à l’encellulement individuel, qui n’a pas été retenu dans tous les cas à Fresnes. Notre projet est de regrouper des détenus dans certaines parties de l’établissement sans pour autant leur appliquer un régime de détention spécifique. Ils feront toutefois l’objet d’une attention spéciale lors des moments où ils côtoient d’autres détenus – cours de promenade, sports collectifs à l’extérieur –, qui présentent toujours des risques car la surveillance de proximité n’est pas nécessairement très forte. Aujourd’hui à Fresnes, les 23 détenus faisant l’objet d’un regroupement sortent en promenade ensemble et pratiquent le sport à l’extérieur ensemble mais sont mélangés avec les autres détenus en petit nombre pour les autres activités.

Il faut à la fois préserver le reste de la détention des activités de prosélytisme, veiller à ne pas auto-alimenter le radicalisme en faisant vivre en permanence ensemble les détenus regroupés, et faire en sorte qu’ils soient l’objet d’une observation permanente, voire soient isolés les uns des autres lorsque c’est nécessaire. Nous devons donc couper ces détenus du reste de la détention dans la vie quotidienne et renforcer l’encadrement par le personnel de surveillance.

(Présidence de M. Éric Ciotti, président.)

M. Bruno Clément-Petremann. Monsieur Myard, les personnes qui travaillent dans la filière du renseignement pénitentiaire sont quasi-exclusivement des officiers de l’administration pénitentiaire, qui postulent sur profil de poste et font l’objet d’une formation spécifique.

Dans le cadre du plan mis en place par Mme Taubira, les effectifs dédiés au renseignement seront doublés. Par ailleurs, le recrutement sera très largement ouvert à des catégories qui n’étaient pas jusqu’à présent concernées par la filière – et cela rejoint la nécessaire pluridisciplinarité évoquée par M. Joachim Pueyo. Des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation seront ainsi appelés à rejoindre nos rangs alors qu’il n’y en avait aucun auparavant, malgré la somme de renseignements collectés par cette catégorie de personnel.

Depuis plus d’un an, le bureau de renseignement pénitentiaire intervient dans le cadre de sessions de formation continue ou initiale devant des publics de directeurs d’insertion et de probation ou de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, lesquels, à notre surprise, manifestent un intérêt marqué pour les questions liées au renseignement pénitentiaire.

Le plan de lutte contre la radicalisation va nous permettre de passer à une vitesse supérieure. Une quinzaine de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sera recrutée pour renforcer les cellules dédiées au renseignement des directions régionales et deux cadres vont rejoindre le bureau du renseignement pénitentiaire au niveau central.

Mme Isabelle Gorce. Monsieur Myard, aux termes de l’article D. 449-1 du code de procédure pénale, les « détenus peuvent acquérir par l'intermédiaire de l'administration et selon les modalités qu'elle détermine des équipements informatiques ». Le nombre d’ordinateurs à destination des détenus reste extrêmement faible et il ne faut pas sous-estimer le fait que beaucoup exécutent leur peine sans poser de problèmes ni à l’administration pénitentiaire ni à l’extérieur. Les ordinateurs sont nécessaires aux détenus souhaitant suivre des études supérieures. Ils sont scellés de manière à ne pouvoir être démontés ou recevoir de clefs USB. Il est toutefois incontestable que certains détenus parviennent à les détourner de l’usage pour lequel nous les autorisons en détention.

C’est la raison pour laquelle un contrôle doit s’exercer sur l’utilisation des ordinateurs. Nous disposons à cette fin du logiciel SCALPEL mais souhaitons aussi développer les possibilités pour le personnel d’avoir recours à des logiciels d’analyse plus fins et plus poussés.

Quant aux téléphones portables, comme vous le savez, ils sont interdits dans les établissements pénitentiaires. Malgré tout, nous en saisissons en très grand nombre chaque année, qui provient de projections ou d’introductions par les parloirs.

M. le président Éric Ciotti. Pourriez-vous nous préciser le nombre de portables saisis ?

Mme Isabelle Gorce. En 2014, 27 524 téléphones portables ou accessoires ont été saisis contre 10 990 en 2010, soit un quasi-doublement en quatre ans. C’est effectivement un véritable fléau.

Notre détermination dans la lutte contre l’introduction de téléphones portables ne faiblit pas. Je demande régulièrement à ce que soient opérées des fouilles sectorielles ou des fouilles à la sortie des parloirs lorsque des incidents à répétition se produisent. Cela étant, la miniaturisation poussée des modèles rend très facile leur introduction au sein des établissements.

M. le président Éric Ciotti. Et qu’en est-il des brouilleurs ?

Mme Isabelle Gorce. Actuellement, 628 brouilleurs sont installés, mais ils ont perdu en efficacité. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de tester avec Thales, aux centres d’Osny et de Poissy, une nouvelle génération de brouilleurs conçus pour être adaptés à la structure des établissements pénitentiaires contrairement à ceux qui sont actuellement utilisés.

M. le président Éric Ciotti. Quand est prévue leur généralisation ?

M. Bruno Clément-Petremann. Nous recevrons la semaine prochaine un premier bilan des tests menés dans ces deux établissements.

Aujourd’hui, 628 brouilleurs sont installés. Le programme 4 000 et programme 13 200 ont rendu leur présence obligatoire dans les quartiers d’isolement, les quartiers disciplinaires et les quartiers des maisons centrales. Leur utilisation se heurte à plusieurs difficultés techniques : ils ne parviennent pas à brouiller la 4G et quand leur puissance est augmentée, ils affectent les appareils de radiocommunication internes à l’établissement voire la téléphonie extérieure, ce qui pose des problèmes avec les riverains.

Les brouilleurs actuellement testés devraient être mieux adaptés : leur portée serait restreinte aux limites des établissements sans affecter les périmètres extérieurs.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je dois dire que j’ai eu un instant d’inquiétude lorsque vous avez expliqué que le bureau de renseignement pénitentiaire avait été créé en 2003 et qu’il s’était densifié en 2012. Est-ce à dire qu’il a été très peu actif pendant neuf ans ? Pourrions-nous avoir des précisions sur l’allocation des moyens durant cette période ? Si nous avons perdu neuf ans avant l’affaire Merah dans le déploiement d’un réseau de renseignement utile, cela me semble un élément intéressant à connaître.

Ma deuxième question porte sur la formation des gardiens. Je note avec satisfaction que des moyens supplémentaires lui seront consacrés. Dans quelles directions ira l’amélioration qualitative ? Les gardiens de prison, pour autant que l’on sache, sont des êtres relativement isolés dans l’exercice de leurs fonctions, ils ne sont pas de ceux qui ont bénéficié d’un surcroît de lumières s’agissant de l’islam et peuvent être sensibles à une islamophobie rampante qui affecte certains milieux. Sont-ils véritablement en mesure de détecter les effets de l’islamisme radical ? En d’autres termes, leur formation ne devrait-elle pas être particulièrement renforcée ?

Ma troisième et dernière question concerne les pouvoirs des directeurs d’établissement. Estimez-vous qu’ils disposent, en vertu de la loi de 2009, de pouvoirs suffisants en ce qui concerne la possibilité de s’opposer à certaines visites ou même de suspendre certaines correspondances ? Croyez-vous qu’ils mériteraient d’être renforcés ?

M. Bruno Clément-Petremann. Sans doute me suis-je mal exprimé, madame Bechtel. Je n’ai pas voulu dire que le bureau de renseignement pénitentiaire s’était densifié en 2012 mais que c’était à cette date qu’il avait surgi sur la place publique puisqu’à l’occasion de l’affaire Merah, la question de la radicalisation en prison avait été évoquée pour la première fois. Le bureau de renseignement pénitentiaire, né en 2003, a grandi au fil des années. La première grille de détection a été mise au point en 2005 puis a fait l’objet d’une rénovation en 2010.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Quels étaient les effectifs dans ces périodes ?

M. Bruno Clément-Petremann. Au niveau central, le bureau comprenait dix personnes en 2003 à sa création et en compte aujourd’hui treize. Les échelons opérationnels que sont les échelons régionaux et locaux se sont construits progressivement. En 2005, il n’y avait pas de délégué interrégional à temps complet dans chaque direction interrégionale, comme c’est le cas aujourd’hui avec un doublement dans quatre directions, et encore moins de délégués locaux, lesquels apparaissent à mesure que des postes sont créés.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je souhaiterais que soient annexés au rapport des chiffres précis sur l’évolution des effectifs du bureau de renseignement pénitentiaire entre 2003 et 2012.

Mme Isabelle Gorce. Nous vous communiquerons bien entendu ces chiffres. En matière de formation, nous souhaitons renforcer la sensibilisation du personnel aux questions de la radicalisation. Ces formations peuvent se dérouler sur deux jours en service déconcentré, sur place ou par regroupement de personnels. Nous ne ferons pas de nos 24 000 surveillants de grands spécialistes du sujet. Ce qui importe, c’est qu’ils soient formés pour faire la part des choses entre ce qui relève de la réalité et ce qui n’en relève pas. Il n’est pas question d’assimiler à des radicaux dangereux tous les détenus qui se déclarent fondamentalistes, ce serait dangereux pour tout le monde. Il est absolument nécessaire de sensibiliser les surveillants à la question des diverses tendances au sein de l’islam, à la différence entre un salafiste quiétiste et un salafiste djihadiste. Ils doivent être en mesure de détecter dans le comportement des détenus ce qui doit nous inquiéter et ce qui ne le doit pas. Nous n’avons pas la prétention d’imaginer que l’ensemble de notre personnel sera finement sensibilisé à court terme. Cela réclame un travail de long terme de formation continue que nous développerons dans les mois qui viennent.

Nous avons noué des contacts avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD). De nombreuses préfectures nous associent désormais aux programmes de formation mis en place par le ministère de l’Intérieur en direction des fonctionnaires. Nous-mêmes, soit au sein de l’École nationale d’administration pénitentiaire, soit au sein de nos services déconcentrés, souhaitons que nos personnels soient plus finement sensibilisés. Nous commencerons dès cette année par la direction interrégionale de Paris, qui est la première concernée par ce sujet.

S’agissant des prérogatives des directeurs des services pénitentiaires, je rappellerai qu’ils peuvent prendre des décisions de suspension de permis de visite lorsque le comportement des visiteurs pose problème. Néanmoins, ce sont des décisions qui font grief, elles doivent être motivées et reposer sur des faits objectifs car elles sont susceptibles de donner lieu à contestation. Cela dit, je considère que la question de l’extension de leurs pouvoirs ne se pose pas. J’estime plus important de travailler à sensibiliser le personnel au repérage des comportements problématiques, qu’il s’agisse des visiteurs ou des intervenants extérieurs.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Qu’en est-il des correspondances ?

Mme Isabelle Gorce. Le contrôle des correspondances est effectué de manière ciblée. C’est le travail effectué par le renseignement pénitentiaire et le croisement des observations qui rendent les opérations de contrôle efficaces. Il n’est pas nécessaire de contrôler de manière excessive des personnes qui ne le justifient pas.

M. Meyer Habib. J’aimerais revenir sur les téléphones portables. Le chiffre de 27 524 saisies que vous avez évoqué laisse supposer qu’il existe 50 000 à 80 000 téléphones dans les établissements. Est-il vrai que les portables peuvent être obtenus moyennant finance en prison ? Cette question est extrêmement préoccupante. Nous voyons bien le danger qu’il y a à ce qu’un détenu puisse communiquer 24 heures sur 24 avec l’extérieur. Cela appelle des solutions, même s’il est toujours facile de dire « il faut », « il n’y a qu’à ». S’il paraît impossible de contrôler les puces, tant elles sont petites, ne pourrait-on pas envisager de scanner les cellules pour détecter les portables ? Cependant, il peut y avoir un intérêt à laisser les détenus utiliser leurs portables. Est-il possible de les mettre sur écoute ?

Ensuite, faut-il regrouper les détenus radicalisés ou au contraire les séparer ? N’y a-t-il pas de risques d’émulation et de surenchère sachant que ces personnes n’ont souvent pas peur de la mort ?

Il me paraît important de déployer en prison des imams républicains. Mohammed Merah, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly, Mehdi Nemmouche, sont entrés délinquants en prison et en sont sortis djihadistes. C’est une inquiétude majeure.

Dernière question : y a-t-il des « taupes » infiltrées dans les prisons ?

Mme Isabelle Gorce. Que de questions sur les chiffres noirs !

Il existe aujourd’hui des modèles de portables miniaturisés qui ne sont pas détectables par les portiques de détection de masse métallique. Des détecteurs permettent de repérer les appareils dans les cellules, mais seulement s’ils sont sous tension. Nous pensons aujourd’hui que le brouillage est la meilleure des solutions pour éviter l’usage des téléphones portables.

Dès lors que des téléphones sont introduits au sein des établissements, ils sont susceptibles d’être monnayés et nous ne ménageons pas nos efforts pour éradiquer les trafics.

La majeure partie des téléphones provient de projections opérées de l’extérieur. À la suite d’un plan décidé par Mme Taubira en juin 2013, nous avons développé des dispositifs anti-projections dans les cours de promenade. Il reste que les établissements situés en centre-ville ou proches des centres urbains sont particulièrement vulnérables.

L’une des raisons pour lesquelles nous pensons pouvoir lutter plus efficacement contre l’introduction de portables est que le plan récemment mis en place prévoit le déploiement d’équipes légères d’intervention et de sécurité ayant pour mission de sécuriser le périmètre des établissements et de rechercher les appareils jetés par-dessus les murs.

Les trafics se nourrissent aussi des introductions par les parloirs, parfois aussi par les personnels ou les intervenants extérieurs. Des enquêtes de police sont très régulièrement menées pour interpeller les personnes qui commettent des infractions à l’intérieur des établissements.

Regroupement ou séparation, demandiez-vous, monsieur Habib. Nous ne souhaitons pas regrouper les détenus qui posent de véritables problèmes de dangerosité pénitentiaire ou d’ordre public. Nous les gérons comme nous l’avons toujours fait, soit en les laissant en régime normal de détention, où ils font l’objet d’une surveillance particulière, soit en les plaçant en quartier d’isolement, ce qui est le cas de 19 des 172 détenus liés à l’islam radical.

Nous raisonnons en termes de cercles concentriques. Au cœur du cercle, les détenus les plus dangereux : au nombre d’une trentaine, dont vingt sont particulièrement surveillés. Dans un cercle plus large, les détenus radicalisés qui posent des problèmes de prosélytisme : nous souhaitons les regrouper dans des quartiers dédiés pour mieux les contrôler et pour protéger le reste des détenus de leur faculté de nuisance. Enfin, à la périphérie se trouve la masse des détenus plus ou moins vulnérables : nous devons les protéger car ils sont susceptibles d’être exposés au prosélytisme.

Pour ces raisons, il est en effet très important de recruter des imams qui soient capables de comprendre l’attirance de certains détenus pour les thèses fondamentalistes et de contrecarrer ce discours-là car ce n’est pas l’islam apaisé que beaucoup de musulmans en France souhaitent pratiquer. Pour cela, nous avons besoin d’imams mieux formés que ce n’est le cas aujourd’hui. Ils doivent, au-delà de la question de la spiritualité et de l’assistance à apporter aux détenus, être davantage en prise avec la réalité de la population carcérale, composée d’hommes plutôt jeunes venant de cités, susceptibles de revendiquer une forme d’appartenance communautaire et de rechercher une protection à travers un islam radical.

Enfin, vous parliez des taupes, monsieur Habib. Je vous dirai seulement que le renseignement repose sur des informations aussi fournies par des intervenants et des détenus.

M. Georges Fenech. Je note que notre commission d’enquête est si opportune que son bon fonctionnement peut être affecté par l’actualité. L’autre jour, le président Ciotti avait été retenu à Nice ; aujourd’hui, j’imagine que notre rapporteur, Patrick Mennucci, est retenu par les événements à Marseille.

Je reviendrai à mon tour sur les portables. Ils permettent non seulement de communiquer avec l’extérieur mais d’accéder à Internet, et donc aux messages que peuvent véhiculer les groupes djihadistes. Il faut reconnaître que c’est notre majorité, monsieur le président, qui a supprimé en 2009 les fouilles systématiques. Est-il envisageable de les rétablir après chaque parloir afin d’éviter les introductions de portables ?

Nous ne disposons pas de statistiques officielles sur le nombre de détenus de confession musulmane. Le seul chiffre que nous connaissons est le nombre de détenus déclarant faire le ramadan. Dans son avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire pour 2015, notre collègue M. Guillaume Larrivé, se fondant sur les études du sociologue M. Farhad Khosrokhavar, estime à 60 % la proportion de détenus musulmans dans nos prisons. Ne serait-il pas possible d’obtenir des chiffres plus précis sur le nombre de détenus de confession musulmane ou est-ce contraire au principe de laïcité et à l’interdiction des discriminations ?

Ces données sont importantes, elles permettraient de déterminer un nombre d’aumôniers musulmans correspondant à la population de détenus de confession musulmane. Le plan d’action de Mme la ministre de la justice prévoit d’augmenter leur effectif de soixante, mais ce chiffre reste bas en comparaison des quelque 400 aumôniers catholiques, les détenus de cette religion étant minoritaires. Le renforcement des effectifs d’aumôniers musulmans se justifie d’autant plus face au phénomène des imams autoproclamés.

Madame la directrice, vous êtes sous la foi du serment, et donc déliée de votre obligation de réserve. Ne pensez-vous pas que la pénurie de places de prison, qui entraîne cette surpopulation que nous dénonçons tous, devrait être une préoccupation première ? Il y a 58 000 places de prison en France, 96 000 en Grande-Bretagne ; le taux de surpopulation carcérale de 110 % ne rend-il pas urgent la construction de prisons ?

J’aimerais savoir où en est le processus de l’appel d’offres relatif au dispositif de déradicalisation.

Enfin, dernière question, monsieur Clément-Petremann, à propos du renseignement pénitentiaire. Il semblerait qu’il n’y ait pas de véritables échanges entre les agents du renseignement intérieur et les agents de l’administration pénitentiaire : ne faudrait-il pas encourager une meilleure coordination ?

Mme Isabelle Gorce. Le nombre de téléphones portables saisis a plus que doublé : 10 990 en 2010, 20 532 en 2012 et 27 524 en 2014. Cet accroissement ne semble toutefois pas lié à la suppression des fouilles à la sortie des parloirs. D’une part, 70 % des détenus restent soumis à une fouille à la sortie des parloirs. D’autre part, l’introduction des portables se fait très majoritairement par des projections depuis l’extérieur. Mieux vaut effectuer des fouilles ciblées qui soient bien faites que de prétendre les effectuer de manière systématique en procédant de manière négligée.

S’agissant du nombre d’aumôniers musulmans, nous sommes confrontés à un problème d’évaluation statistique lié au fait qu’en France, les statistiques officielles ne peuvent reposer sur l’appartenance à une religion. Le fait que 18 000 détenus déclarent faire le ramadan est un indicateur relativement important. À la lumière des travaux de M. Khosrokhavar, le taux de 60 % ne me paraît pas pouvoir s’appliquer à l’ensemble des établissements de France. Il concerne plutôt les établissements des grands centres urbains, qui comptent beaucoup de détenus de culture musulmane. À Fresnes, par exemple, sur 2 500 détenus, 1 000 déclarent faire le ramadan, soit un pourcentage analogue.

M. Meyer Habib. Avez-vous des chiffres concernant les repas spéciaux ?

Mme Isabelle Gorce. Il y a des régimes sans porc mais nous ne disposons pas d’autre élément que les déclarations liées au ramadan. Les statistiques varient d’un établissement à l’autre.

Quant à la surpopulation carcérale des maisons d’arrêt, elle constitue bien entendu un point de fragilité pour l’administration pénitentiaire, pour son personnel et pour les détenus eux-mêmes car il est beaucoup plus difficile de vivre dans des établissements où le taux d’occupation atteint 160 % que dans des établissements pour peine où le numerus clausus est appliqué. Il faudra bien construire des places de prison pour réduire le taux de surpopulation et permettre un encellulement individuel, principalement dans les maisons d’arrêt. Un programme de construction est d’ailleurs en cours. La nécessité d’augmenter le parc est l’une des conclusions du rapport de M. Dominique Raimbourg sur l’encellulement individuel.

L’appel d’offres que vous évoquez, monsieur Fenech, a abouti. Nous avons mandaté l’Association française des victimes du terrorisme, qui commence dès maintenant à travailler avec nous sur les sites d’Osny et Fleury pour élaborer une grille de repérage des détenus en voie de radicalisation et pour nous aider à construire des programmes de prise en charge de la radicalisation religieuse des détenus.

M. Bruno Clément-Petremann. Le bureau du renseignement pénitentiaire est un service jeune. La frilosité que vous soulignez, monsieur Fenech, a pu exister dans les commencements, au début des années 2000, du fait d’effectifs restreints et d’une méconnaissance de la part des services de renseignement intérieur et de nos autres partenaires. Aujourd’hui, les rapports sont en train de s’inverser.

En 2012, nous avons signé un protocole avec la DCRI devenue DGSI. Nous nous apprêtons à signer un protocole analogue avec l’UCLAT. Un directeur des services pénitentiaires est aujourd’hui mis à disposition de cette unité à temps complet, ce qui favorise les échanges. Notre exigence vis-à-vis des services partenaires est de ne pas être considérés uniquement comme une source. Des échanges d’informations s’effectuent désormais. Nous avons créé, il y a trois ans, des équipes mixtes mêlant fonctionnaires du renseignement pénitentiaire et fonctionnaires des services extérieurs de renseignement, qui se rendent dans les établissements pour travailler sur certains cas et rencontrer des détenus.

Ce changement de dimension s’accompagnera, grâce au plan d’action, d’un doublement de nos effectifs. Cela nous impose une obligation de professionnalisation.

M. Patrice Prat. Vous avez évoqué le premier bilan de l’expérience menée à Fresnes avec les quartiers dédiés que vous envisagez d’étendre aux autres établissements. A-t-on réellement les moyens de mettre en œuvre cette politique compte tenu de tous les retards accumulés au sein de nos prisons ?

Vous avez souligné, madame la directrice, l’importance de ne pas couper les détenus faisant l’objet d’un regroupement du reste de la détention au motif qu’il ne fallait pas qu’ils auto-entretiennent leur dangerosité. Toutefois, si les contacts sont maintenus, n’y a-t-il pas un risque de propagation aux détenus vulnérables plus particulièrement exposés au prosélytisme ?

Vous avez manifesté le désir de voir augmenter le nombre d’aumôniers musulmans. Quelles conditions spécifiques devront-ils remplir ? Quels profils privilégierez-vous ? Une formation ou des agréments seront-ils requis ? Quelles seront les spécificités de leurs missions ? Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Mme Isabelle Gorce. S’agissant des quartiers dédiés, nous ne prétendons pas avoir définitivement clos la discussion et la réflexion. Nous progressons en même temps que nous faisons.

Nous essayons de trouver un juste milieu : le regroupement doit permettre de protéger les détenus les plus vulnérables sans pour autant qu’il s’apparente aux quartiers par trop sécurisés ou isolés rappelant ceux du passé. Il faut que nous continuions de gérer les détenus les plus dangereux de façon spécifique, en les isolant. Nous l’avons toujours fait et il faut continuer de le faire.

Nous allons poursuivre l’expérimentation du regroupement, liée principalement au fait que les détenus liés à l’islam radical se trouvent pour l’essentiel en région parisienne – une quarantaine à Fleury-Mérogis, une trentaine à Fresnes. Si l’ensemble des parquets avaient compétence en matière de terrorisme et que ces détenus étaient dispersés sur l’ensemble du territoire national, la question ne se serait sans doute pas posée dans ces termes.

Il s’agit d’une question de police, je l’ai dit, mais aussi de prise en charge. Le regroupement facilitera la mise en place de programmes spécifiquement dédiés à ces détenus, Il permettra de mieux observer leurs comportements individuellement et collectivement. Nous ne souhaitons pas non plus les isoler complètement du reste de la détention. Il n’est pas question de casser des logiques d’insertion : les détenus doivent pouvoir avoir accès à l’enseignement, au travail ou à la formation professionnelle. Or nous ne pouvons pas reproduire à l’échelle d’un quartier dédié tous les dispositifs de prise en charge.

Nous avançons pas à pas et sans doute aurons-nous à ajuster notre méthode de travail.

S’agissant des aumôniers musulmans, je dois préciser que ce n’est pas l’administration pénitentiaire qui les agrée ; c’est l’aumônier national, sous l’égide du Conseil français du culte musulman, qui les recrute. Des enquêtes administratives sont menées pour s’assurer qu’ils remplissent certaines conditions. J’ai sollicité l’aumônier national pour établir un profil des nouvelles recrues puisqu’une soixantaine de postes va être créée. Les critères de recrutement doivent coïncider avec nos besoins.

M. François Loncle. Je vais vous poser une question brève, dont je reconnais qu’elle est peu politiquement correcte : que viennent faire les religions dans l’espace public que constituent les prisons ? Ce sont des établissements publics. Qu’en est-il de la loi de 1905 ? Qui peut contrôler les aumôniers, quelle que soit leur formation ou leur religion ? Et dans leurs comportements et dans leur langage ? Nous n’avons aucune garantie. Le fait qu’on augmente leur effectif ne résout pas le problème, bien au contraire.

Mme Isabelle Gorce. Monsieur le député, c’est tout simplement la loi qui dit que l’administration pénitentiaire doit permettre aux personnes détenues de pratiquer leur culte. Je n’ai nul état d’âme en ce domaine. La loi m’oblige à organiser le libre exercice des cultes.

M. Claude Goasguen. Les imams dans la religion sunnite sont souvent autoproclamés. On peut douter de leur efficacité. Les aumôniers musulmans qui seront recrutés feront-ils l’objet d’une formation particulière ?

Mme Isabelle Gorce. Il n’y a pas de formation particulière pour être aumônier, quel que soit le culte. Une fois que les aumôniers ont été désignés par leur aumônerie nationale, l’administration pénitentiaire leur dispense cependant une formation sur ce qu’est un établissement pénitentiaire, les règles pénitentiaires et la déontologie qui est attendue d’eux.

En lien avec le ministère de l’intérieur, nous travaillons à mettre au point des formations spécifiques destinées aux aumôniers musulmans car la radicalisation pose des questions particulières face auxquelles, ils le disent eux-mêmes, ils se sentent parfois démunis. Ils n’ont pas toujours les outils pour contrecarrer des discours tenus par des détenus qui n’ont pas forcément de culture et de compétences en matière de religion alors même qu’ils se prétendent imams.

M. le président Éric Ciotti. Je vous remercie, madame la directrice, monsieur le sous-directeur, pour ces éléments extrêmement précieux pour notre commission.

L’audition s’achève à 15 heures 55.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Éric Ciotti, M. Georges Fenech, M. Claude Goasguen, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jean-Claude Guibal, M. Meyer Habib, M. François Loncle, M. Jacques Myard, M. Patrice Prat, M. Joaquim Pueyo

Excusés. - M. Christophe Cavard, M. Patrick Mennucci