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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Jeudi 12 février 2015

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 20

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de M. Éric Ciotti, Président

– Audition de M. Marc Trévidic, vice-président chargé de l’instruction au pôle anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris

La séance est ouverte à 11 heures 30.

Présidence de M. Éric Ciotti, président.

M. le président Éric Ciotti. Nous recevons maintenant M. Marc Trévidic, venu faire l’état des lieux de la menace terroriste et nous dire quel est le suivi des djihadistes - ceux, notamment, qui reviennent de théâtres de guerre.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Marc Trévidic prête serment)

M. Marc Trévidic, vice-président chargé de l’instruction au sein du pôle anti-terroriste au tribunal de grande instance de Paris. Il nous faut d’abord identifier individus et réseaux, puis les traiter. J’évoquerai ces deux volets de notre action, en observant que la vision judiciaire est un peu différente de celle des services de renseignement.

En matière d’identification, la nouveauté est l’accroissement du nombre de signalements. Auparavant, ils provenaient de l’enquête judiciaire et des services de renseignement au sens traditionnel. Ces sources d’informations demeurent, mais s’y ajoutent la plateforme du numéro vert, les courriers et les dépositions des parents, les informations issues du service renseignement pénitentiaire. Malgré cela, des individus passent à travers les gouttes, et l’on voit de temps en temps les Turcs arrêter quelqu’un dont nous ignorions qu’il était parti et nous le renvoyer par avion. Tous les juges d’instruction du pôle anti-terroriste ont connaissance de ce phénomène.

Paradoxalement, la plupart des jeunes actuellement identifiés par les services de renseignement le sont parce qu’ils veulent bien l’être : une fois en Syrie, ils se mettent en scène sur les réseaux sociaux ou contactent leurs proches. Cela signifie que nous mangeons peut-être notre pain blanc ; le jour où ils choisiront la discrétion, nous serons confrontés à un problème majeur.

Contrairement à ce que l’on a trop tendance à dire, les services judiciaires ne se limitent pas à avaler ce dont les services de renseignement les nourrissent. Les enquêtes judiciaires jouent un rôle très important dans l’identification d’individus potentiellement dangereux ou qui ont en tout cas des velléités djihadistes : l’interrogatoire d’une personne conduit à identifier d’autres personnes parties elles aussi. Le judiciaire nourrissant donc également le renseignement, et beaucoup, il est important de maintenir une interaction harmonieuse entre les deux systèmes, même si les services de renseignement évitent l’engorgement des services judiciaires par un tri en amont.

Un autre élément nouveau est apparu depuis quelques mois : des « anciens » ont repris du service. Ainsi de Farid Mellouck, dont j’ai appris la présence en Syrie avec deux autres individus. J’en avais eu à connaître en 2000 en réglant le dossier de la première filière afghane ; il était à la tête d’un très important réseau d’acheminement de djihadistes. Les services de renseignement ont-ils les moyens de vérifier ce que sont devenus tous ces gens condamnés dans le passé pour leur implication dans une filière djihadiste? Il le faudrait, car ces « anciens » ont un carnet d’adresses phénoménal, en France et en Belgique, et peuvent inciter bien des gens à les rejoindre en Syrie. C’est un travail essentiel, mais j’ignore si les services disposent des capacités nécessaires pour le mener à bien.

J’en viens au traitement des dossiers. Après chaque attentat, on s’interroge : le passage du renseignement au judiciaire s’est-il fait correctement ? Pour que les choses se passent comme il se doit, deux préalables s’imposent : que les services de renseignement aient des moyens suffisants pour obtenir des informations pertinentes et que les services judiciaires aient la capacité de prendre les dossiers.

À cet égard, je suis très inquiet de n’entendre parler que de renforcer le renseignement - à croire que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) n’a pas de département de police judiciaire ! Or la DGSI a un gros département « renseignement » et un petit département « police judicaire », lequel est submergé. Cela se sait fort bien au sein de la Direction ; d’où la tentation de garder « en renseignement » des dossiers qui devraient être judiciarisés. Il faut à tout prix rétablir l’équilibre pour éviter cet engorgement ; un moment vient où il faut traiter ces dossiers pour crever l’abcès. Je ne demande ni juges ni greffiers, je demande que les créations de postes servent aussi, impérativement, à compléter l’effectif des enquêteurs de la police judiciaire ; c’est indispensable.

Au-delà, les modalités de la judiciarisation mériteraient d’être discutées entre la DGSI et les services du procureur de la République. Aujourd’hui, le parquet est entièrement dépendant du service de renseignement, qui décide seul si les éléments du dossier sont suffisants pour qu’il soit judiciarisé. Un peu plus d’ouverture ne nuirait pas. Après l’affaire Merah, la DGSI nous a présenté une vingtaine de dossiers jusqu’alors gardés sous le coude… Une plus grande fluidité serait nécessaire car le procureur peut estimer que les éléments recueillis suffisent au lancement d’une enquête judiciaire, et le service de renseignement faire une analyse erronée de ce qu’attend la justice. Il conviendrait d’étudier cette piste, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

Il me faut souligner un autre élément. Après qu’un attentat a été commis, on pointe les services de renseignement, auxquels on reproche des dysfonctionnements ; ainsi a-t-on critiqué les failles du suivi de Mohamed Merah. Mais la même chose peut se produire pendant une instruction judiciaire, puisque les services sont à ce point débordés qu’il faut prendre votre tour et attendre entre un an et dix-huit mois avant de faire l’opération que l’on sait nécessaire. Je peux citer un dossier impliquant des individus rentrés de Syrie depuis un an : on n’a toujours pas trouvé les effectifs nécessaires pour les interpeller… C’est franchement inquiétant. Auparavant, on pouvait attendre un an : les individus étaient surveillés par la justice. Actuellement, ils ne le sont pas du tout. En bref, Kouachi aurait très bien pu l’être au moment où il est passé à l’action.

Je viens de vous parler de ceux qui font l’objet d’une enquête judiciaire sans le savoir et qui peuvent passer à l’action parce qu’ils sont mal surveillés. Mais il y a aussi le cas, désespérant, des individus déjà mis en examen et placés en détention provisoire – si tant est qu’ils soient mis en détention provisoire –, parce qu’ils envisageaient de partir en Syrie avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire.

Les conditions dans lesquelles le contrôle judiciaire est exercé nous posent de réels problèmes. Rendez-vous compte : le passeport et la carte d’identité d’un individu sont gardés au greffe d’un juge d’instruction anti-terroriste, et nous apprenons ensuite qu’ayant fait une fausse déclaration de vol, il est parvenu à se refaire faire une pièce d’identité, grâce à laquelle il est parti en Syrie ! Je ne comprends pas comment cela est possible, mais c’est récurrent.

Encore n’ai-je rien dit du pointage dans les commissariats. Un cas d’école : le juge interdit le départ du territoire français et ordonne un pointage au commissariat toutes les semaines ou deux fois par semaine, puis il apprend que le mis en examen est en Syrie ; obtenant, avec difficulté, qu’on lui dise pourquoi il n’a pas été mis au courant de ce que cette personne ne pointait plus, il s’entendra finalement répondre qu’effectivement c’était le cas depuis deux mois, et que l’on comptait justement lui en faire rapport…

Non seulement le suivi des contrôles judiciaires est incertain, mais des gens peuvent se faire refaire des papiers d’identité alors que les originaux leur ont été confisqués et sont tenus au greffe du pôle anti-terroriste, et les pointages ordonnés ne sont ni respectés ni surveillés. Pourtant, nous envoyons au fichier national des personnes recherchées l’imprimé signalant les individus interdits de sortie du territoire national sous contrôle judiciaire. Je ne sais comment ce fichier est exploité, mais il est horripilant de constater la facilité avec laquelle on peut enfreindre le contrôle judiciaire en France.

Je citerai le cas de cette adolescente de 16 ans qui voulait partir en Syrie. Des écoutes téléphoniques ont permis de la rattraper in extremis à l’aéroport, avant qu’elle ne s’envole pour la Bulgarie. Mais, alors même que ses parents avaient fait opposition à sa sortie du territoire, elle avait franchi le filtre de la police des frontières. L’explication qui m’a été donnée est que l’appartenance de la France à l’espace Schengen interdit à la police des frontières les contrôles systématiques. Soit. Mais cela n’empêche pas le discernement : quand une jeune fille de 16 ans, voilée, veut embarquer pour la Bulgarie, un minimum de sensibilisation devrait peut-être conduire à contrôler qu’elle a le droit de quitter le territoire.

En résumé, au problème des moyens s’ajoutent de petits dysfonctionnements qui, à la longue, deviennent préoccupants.

Il est tout aussi surprenant de constater que les individus placés en détention provisoire continuent, pour beaucoup d’entre eux, d’être actifs. Il faut dire qu’ils ont des téléphones portables comme s’il en pleuvait. À nouveau, la question se pose : est-on dans un système très rigoureux tendant à contenir la menace terroriste ou dans le laxisme généralisé qui prévaut dans les maisons d’arrêt pour préserver la paix publique ? Un seul exemple : pour la troisième fois en un mois, on a trouvé un téléphone portable dans la cellule d’un individu que j’ai mis en examen pour crime terroriste - excusez du peu.

Je ne dis pas qu’il faudrait en venir à des établissements pénitentiaires conçus sur le modèle du Supermax de Colorado Springs, mais je me rappelle avoir eu à traiter en 2000, alors que j’étais procureur, le dossier d’un individu qui avait entièrement organisé, avec des téléphones portables depuis la maison d’arrêt, un projet d’attentat qui devait avoir lieu pendant le championnat d’Europe de football. Ce sont des gens dangereux ; il est très curieux qu’ils aient accès avec une telle facilité à des téléphones et même à des ordinateurs portables en maison d’arrêt. Il y a quelque temps, Flavien Moreau, alors en maison d’arrêt et depuis lors condamné à sept ans de prison, avait transmis à un codétenu qui les a lui-même transmis à un autre les renseignements qui lui ont permis de rejoindre la Syrie !

Plus de rigueur s’impose, que les individus en cause soient sous contrôle judiciaire ou qu’ils soient en détention provisoire, et cela ne demande pas que l’on modifie les textes.

Quant à les suivre « en milieu ouvert », cela demande beaucoup de monde, et les effectifs des services judiciaires ne sont manifestement plus tels que l’on puisse assurer les Français que des individus surveillés en exécution d’une commission rogatoire ne vont pas passer à l’action. Parce que, je vous l’ai dit, nous avons les mêmes difficultés en judiciaire qu’en renseignement, nous pourrions malheureusement nous trouver demain confrontés à un attentat « à la Merah » commis par un individu placé sous contrôle judiciaire.

En conclusion, le principal danger est selon moi le passage des terroristes à la clandestinité, ceux qui sont envoyés en mission en France pour y commettre des attentats d’envergure le faisant « à l’ancienne » : il ne s’agira plus de gens dont on savait qu’ils allaient revenir et dont on aura manqué l’arrivée à Marseille mais d’individus munis de faux papiers et entrant sur le territoire national en toute discrétion, par d’autres voies. Il y a là un grand risque. Les terroristes sont en train de se « professionnaliser », dans une stratégie qu’il nous sera beaucoup plus difficile de mettre en échec. Alors que nous avons déjà bien du mal à contrer ce qui est visible, gérer l’invisible sera très compliqué.

M. Georges Fenech. Le pôle anti-terroriste compte-t-il suffisamment de juges et de greffiers ? Combien avez-vous de dossiers en cours, et combien d’individus sont en détention provisoire de votre fait ? Que pensez-vous du fait que depuis la dernière réforme pénale, un individu placé sous contrôle judiciaire n’ait plus besoin de l’autorisation du juge de l’application des peines pour quitter le territoire ? Ne pourrait-on renforcer les pouvoirs des enquêteurs de la police judiciaire en matière d’enquête préliminaire, tant pour le balisage que pour étendre les enquêtes de sécurité à l’entourage ? La création, annoncée par le Premier ministre, d’un fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions à caractère terroriste, sur le modèle du fichier national relatif aux infractions à caractère sexuel, est une nécessité.

Avez-vous déjà été saisi du délit d’entreprise individuelle terroriste dont vous avez été l’un des promoteurs ? Un dispositif d’atténuation des peines est-il prévu, en matière terroriste, pour ceux qui expriment un repentir actif ? Face à des crimes exceptionnels, ne pourrait-on imaginer de prolonger à 6 jours, voire davantage, la garde à vue des individus soupçonnés d’actes terroristes, comme cela existe dans d’autres pays ? Faut-il améliorer les dispositifs judiciaires relatifs aux écoutes et aux perquisitions ? Enfin, êtes-vous satisfait de vos échanges avec vos homologues dans le cadre de la coopération européenne et internationale ?

M. Marc Trévidic. Renforcer les pouvoirs des enquêteurs de la police judiciaire en matière d’enquête préliminaire signifie multiplier les passages devant le juge des libertés et de la détention (JLD), qui n’a des dossiers qu’une vision très lointaine. Le fervent défenseur des juges d’instruction que je suis est contraint de constater qu’au fil des réformes, le JLD s’est progressivement transformé en juge tamponneur. En l’espèce, pour pouvoir exercer un contrôle effectif, il devrait connaître le dossier à fond ; ce n’est pas le cas en l’état, et cette absence de capacité de contrôle me paraît dangereuse, en ce qu’elle rend des abus possibles. C’est d’ailleurs pourquoi le législateur a donné aux seuls juges d’instruction, et non aux JLD, la faculté d’autoriser la sonorisation d’appartements et de voitures. Si l’on était dans l’univers rêvé où le JLD pourrait ne serait-ce que lire la procédure – à ce jour, il n’a connaissance que d’un procès-verbal – ma vision serait autre.

Les conditions de la garde à vue ont radicalement changé. Les gens ont des avocats, et certains choisissent de se taire, si bien que lorsque, exceptionnellement, on allonge la durée de la garde à vue, ils sont plus fatigués mais pas plus loquaces et l’on n’obtient guère plus. Les durées de garde à vue ne sont pas les mêmes selon les pays mais la diversité des pratiques rend les comparaisons difficiles. En Belgique par exemple, la durée de la garde à vue est de 24 heures au plus, mais les policiers continuent les interrogatoires à la maison d’arrêt. Nous avons la « chance » qu’en matière de terrorisme djihadiste, au contraire de ce qui vaut pour le terrorisme corse ou basque, certains parlent beaucoup ; mais ceux qui choisissent de se taire resteront strictement muets pendant 96 heures ou 10 jours, si bien qu’il n’est pas vraiment utile de prolonger encore la durée de la garde à vue.

Avec les équipes communes d’enquête et le mandat d’arrêt européen, la coopération européenne a beaucoup progressé, mais il est toujours difficile de parvenir à un travail complétement soudé. Nos dossiers et ceux de nos collègues belges sont les mêmes, puisque tous ceux auxquels nous nous intéressons se retrouvent en Syrie dans les mêmes katibas francophones. Nous mettons donc en commun nos planches-photos pour échanger nos informations sur chaque individu, mais il n’en reste pas moins que deux juridictions continuent de travaillent sur un seul dossier. Tout se passe bien avec nos homologues belges, même s’il y encore certaines lourdeurs, mais l’idéal serait des équipes communes d’enquête sur tous les dossiers « syriens ».

Avec les pays non-européens, le degré de coopération est très variable. Nous n’avons aucun échange judiciaire avec la Turquie. Les Turcs arrêtent les gens, les placent en centres de détention et, un beau jour, les mettent dans l’avion ; nous n’avons jamais un procès-verbal et nous ignorons dans quelles circonstances ils ont été arrêtés. La Turquie ne veut pas se lancer dans des procédures judiciaires, à la fois en raison du nombre d’individus concernés et pour ne pas devoir répondre à des demandes d’extradition ; elle choisit donc systématiquement la voie de l’expulsion. Il en résulte parfois des cas dantesques - tel celui de Mourad Fares, qui voulait se rendre mais que les Turcs ne voulaient pas aller chercher pour ne pas devoir lui notifier le mandat d’arrêt délivré par un juge français. Tout se passe donc de façon extra-judiciaire, par des expulsions décidées sur le fondement plus ou moins solide de séjours irréguliers ; mais quand un mandat d’arrêt international a été délivré, c’est bien d’extraditions qu’il s’agit, qu’on le veuille ou non. Le danger, c’est que le système extra-judiciaire ainsi mis en place peut s’interrompre : que les Turcs veuillent y mettre fin ou qu’ils soient débordés, il suffit qu’ils regardent ailleurs et les gens passent la frontière. Il en est de même avec la Bulgarie et la Grèce. Nous avons tout intérêt à motiver les autorités de ces pays au maximum ; ils constituent le premier cercle autour de la Syrie et de l’Irak et il faut rendre cette frontière la plus étanche possible. Si ces verrous sautent, les individus partis en Syrie reviendront en Europe par des voies différentes.

Bien entendu, il est toujours préférable d’avoir plus de juges et de greffiers, car l’explosion du contentieux sera progressivement difficile à gérer. La réalité, c’est que nous parvenons toujours à traiter les urgences mais que nous n’avons plus les moyens d’assurer le service après-vente, si je puis dire, faute d’officiers de police judiciaire en nombre suffisant : les gens sont arrêtés, une information judiciaire est ouverte, ils sont mis en examen et il faut immédiatement traiter d’autres procédures en urgence. La saturation est totale - d’autant que, je vous l’ai dit, l’enquête judiciaire approfondie apporte énormément d’informations et conduit à l’identification d’autres personnes : si quelqu’un est parti en Syrie, il est judicieux de s’intéresser à son entourage.

Soit une personne a été expulsée par les Turcs et nous l’arrêtons à sa descente d’avion. Soit elle a réussi à revenir sur le territoire français de son propre chef et nous l’apprenons ; dans ce cas, nous devons attendre notre tour, et il faudra 6 mois, ou 8 mois, ou un an avant qu’elle soit arrêtée… Objectivement, nous n’avons pas les moyens nécessaires : nous avons les dossiers, mais nous n’avons plus d’enquêteurs. Voilà pourquoi j’ai du mal à mettre en avant le problème d’effectif des juges.

M. Georges Fenech. Un rééquilibrage n’est-il pas possible au sein de la DGSI ?

M. Marc Trévidic. Il serait nécessaire, mais le département judiciaire a toujours été le parent pauvre de la DGSI. De surcroît, ce n’est pas simple : non seulement il faut des policiers qui connaissent le code de procédure pénale, ce qui ne s’obtient pas en claquant des doigts, mais ceux qui, dans la police nationale, posent leur candidature à la DGSI visent le renseignement. La DGSI a recruté 30 personnes que nous avons commencé à former ; 15 iront au pôle anti-terroriste, les autres au secret-défense ou à l’intelligence économique.

Les services les plus débordés sont ceux du parquet anti-terroriste ; en sous-effectif patent, ils traitent un volume d’enquêtes préliminaires sans cesse croissant et n’arrivent plus à remplir leur tâche. Soit on dirige les enquêtes, soit on ne dirige rien ; s’il y en a trop, on ne dirige rien. Or, il faut une harmonisation, et il faut beaucoup de temps pour faire le lien entre les dossiers, pour mener une politique pénale rationnelle, pour analyser ce que l’on met à l’information… Dans les dossiers « syriens », tout est lié : il faut donc, tout le temps, relier ce qui doit l’être, au risque, sinon, d’absurdités, avec des dossiers éclatés entre deux juges d’instruction ou davantage, donnant lieu à des informations judiciaires distinctes – j’ai un cas précis de ce type en mémoire. Ne même plus avoir le temps, parce que l’on est débordé, de se réunir pour faire l’état des dossiers en cours conduit à ces incongruités. Le parquet anti-terroriste doit vraiment être renforcé.

L’instruction doit l’être aussi, mais cela se voit moins car on traite toujours les urgences. Le problème, ce sont les dossiers en jachère, qui stagnent, car nous ne sommes pas assez nombreux pour traiter à la fois le stock et les dossiers nouveaux – et un dossier devient vite « ancien » ! Avant, il y fallait 10 ou 15 ans ; maintenant, c’est 1 ou 2 ans… Le manque d’enquêteurs a un impact sur le traitement de toutes les affaires, y compris celles qui ont particulièrement choqué l’opinion, tel l’assassinat au Mali de deux journalistes de RFI. Nous ne sommes pas assez nombreux pour traiter l’ensemble de ce qui nous échoit ; nous le sommes pour traiter les urgences.

M. le président Éric Ciotti. Qu’en est-il des renforts annoncés par le Premier ministre ?

M. Marc Trévidic. Je ne suis au courant de rien. L’effectif des juges anti-terroriste est passé de 4 à 8 depuis 2003. Le turn-over des islamistes en détention provisoire est important. Tous les cabinets n’ont pas la même stratégie. Pour ma part, considérant qu’il n’y a plus d’enquêteurs pour aller au fond des dossiers et que les nouveaux dossiers ne cessent d’arriver, je clôture assez vite. Certains de mes collègues, espérant une embellie, gardent leurs dossiers plus longtemps. En résumé, mieux vaut apprécier le nombre de détenus par an qu’à un instant donné. Actuellement, il doit y avoir une centaine de « Syriens » en détention provisoire pour l’ensemble des 8 juges d’instruction, soit une quinzaine pour chacun. Les dossiers sont liés, puisque tous les détenus étaient dans les mêmes katibas.

M. Georges Fenech. Comment parvenez-vous à prouver les actes commis par des Français partis en Syrie ? Ne faudrait-il pas créer une présomption de culpabilité, un renversement de charge de la preuve ?

M. Marc Trévidic. Si nous apportons la preuve qu’un individu a rejoint en Syrie Jabhat Al-Nosra ou l’État islamique, l’infraction est constituée, qu’il ait fait la vaisselle ou tenu un fusil, puisque ce sont des groupes terroristes. Ensuite, pour évaluer la dangerosité des personnes, comme le demandera le tribunal, il existe des critères objectifs. Les éléments que je demande à connaître dans le dossier judiciaire d’un individu arrêté pour activités terroristes en Syrie sont les suivants : l’ancienneté et le degré de radicalisation ; la volonté ou la tentative de départ pour le djihad précédemment ; l’expérience du djihad précédemment ; le groupe rejoint ; la durée du séjour ; enfin, ce qu’il a fait là-bas – entraînement, combat, participation à des atrocités.

Il se trouve qu’à ce dernier sujet, certains parlent, et parlent beaucoup des autres, pour se dédouaner eux-mêmes. Nous leur montrons des planches-photos ; souvent, ils disent avoir rencontré en Syrie tel individu ou tel autre, qui aurait par exemple participé à telle exécution publique. En outre, certains se vantent de leurs faits d’arme sur Facebook, et la DGSI fait des notes. La présomption de culpabilité est, dans les faits, évidente quand une personne part pour la Syrie, même si elle a été arrêtée par les Turcs avant de franchir la frontière. Certains ont menti à leur famille en prétendant partir en Tunisie, d’autres écrivent à leur employeur en expliquant qu’ils ne reviendront pas … tout cela permet de constituer un dossier. Pour l’instant, au terme d’un long travail, nous parvenons tant bien que mal à réunir les preuves. Le problème, je l’ai dit, sera beaucoup plus compliqué lorsqu’ils seront retournés à la clandestinité, quand nous n’aurons plus d’informations ouvertes.

M. Claude Goasguen. Le Premier ministre a dit que nous étions dans une « guerre asymétrique ». En conséquence, les Français qui combattent contre la France commettent contre elle un acte militaire. Dans ce contexte exceptionnel, pourquoi les militaires sont-ils tenus à l’écart, au moins pour ceux qui combattent en Irak ? En Syrie, la chose est plus compliquée, puisque finalement un grand nombre de djihadistes partis combattre en Syrie n’ont fait que suivre les invitations du gouvernement français. Nous devons, comme l’ont fait l’Allemagne et les États-Unis, nous mettre à l’abri de ceux qui reviennent.

D’autre part, si de nombreuses indications laissent penser qu’un individu condamné pour une infraction de droit commun et qui a purgé sa peine est prêt de basculer dans une dérive terroriste à sa sortie de prison, une solution judiciaire existe-t-elle ? Ou est-ce le rôle de la DGSI ?

M. Marc Trévidic. Le renseignement pénitentiaire alerte de plus en plus souvent la DGSI sur le fait que des délinquants de droit commun se sont radicalisés, qu’ils vont sortir et qu’il serait bon de les suivre en renseignement. Mais nous n’avons aucun moyen de lancer une enquête judiciaire sur une personne qui vient de sortir d’une maison d’arrêt au motif qu’elle s’y est radicalisée – pour judiciariser, il faut un minimum d’éléments ! Dans certains cas, c’est grâce au renseignement pénitentiaire que nous avons eu assez d’éléments pour judiciariser. C’est pourquoi ses moyens, clairement insuffisants, doivent être renforcés.

M. Claude Goasguen. Ne pourrait-on prévoir des mesures de sûreté ?

M. Marc Trévidic. Uniquement pour ceux qui ont été condamnés pour terrorisme. Pour les condamnés de droit commun, il n’y a aucun fondement.

M. Claude Goasguen. Si cela demande une mesure législative nouvelle...

M. le président Éric Ciotti. Dans le prolongement de cette réflexion, je m’interrogeais sur l’éventualité d’un dispositif de privation de liberté qui pourrait s’assimiler à une hospitalisation sous contrainte. Je reconnais que le chemin juridique est étroit car il est difficile de mesurer la dangerosité d’un individu selon des critères objectifs. On pourrait toutefois imaginer réaliser cette évaluation, sous le contrôle d’un magistrat, sur la base d’un rapport des services du renseignement pénitentiaire ou de la DGSI. Comment traiter ceux que l’on sait dangereux mais que l’on ne peut judiciariser ?

M. Marc Trévidic. Si un jeune est incarcéré en maison d’arrêt pour une infraction de droit commun, mieux vaut se demander comment éviter qu’il se radicalise plutôt que de se demander ce que l’on fera de lui s’il est radicalisé. En outre, la radicalisation est de deux types, dont l’un, le fondamentalisme tabligh, existe de longue date ; ses adeptes, bien que leur approche soit salafiste, sont théoriquement pacifiques. Il convient donc pour commencer de démêler de quoi l’on parle. D’une manière générale, il n’y a rien d’évident à étiqueter quelqu’un « salafiste djihadiste ». Sur le fond, on sera face à un jeune délinquant de droit commun qui se sera radicalisé en maison d’arrêt faute que l’on ait su mettre au point un dispositif qui l’en aurait empêché, et on lui expliquera qu’il sera surveillé alors qu’il a purgé sa peine parce que, pendant son incarcération, il a été mis au contact d’un prosélyte qui l’a rendu pire qu’il n’était à son entrée en prison ? Il est très gênant d’imposer des contraintes à la sortie parce que nous sommes incapables de régler le problème en maison d’arrêt.

M. Claude Goasguen. Il existe des centres fermés pour mineurs. C’est aussi un constat d’échec.

M. Marc Trévidic. Dans ce cas, c’est la notion de mineur en danger qui prévaut. On sait que de nombreux enfants baignent dans la radicalisation au sein de leur famille. La question est alors de savoir à partir de quand on estime qu’il doit être soustrait à l’influence familiale parce qu’elle le met en danger ; il est très difficile d’y répondre.

M. Claude Goasguen. Pourquoi ce qui vaut pour les mineurs ne s’appliquerait-il pas aux majeurs ?

M. Marc Trévidic. Si un majeur n’a rien fait de pénalement répréhensible, cela n’est pas possible. On ne peut pousser la prévention trop loin, sauf si l’on dispose de moyens d’évaluation fiables de la dangerosité, ce qui n’est pas le cas. Nul n’est formé pour cela. Aussi, plutôt que de se demander que faire des gens déjà radicalisés, il faut éviter la radicalisation. Il y a bien sûr trop de gens radicalisés, mais la frange qui passera à l’acte reste vraiment très minoritaire. D’autre part, que devraient faire les militaires – intervenir en Irak ?

M. Claude Goasguen. Il y a des tribunaux militaires.

M. Marc Trévidic. Pas en temps de paix. J’observe que nous participons à des opérations de maintien de la paix dans un système juridique en vertu duquel nous sommes censés traiter judiciairement les affaires terroristes ; malgré cela, le nombre d’exécutions de chefs djihadistes commises au Mali par le biais de drones est tel que l’on en voit disparaître plus que l’on en juge. Je rappelle aussi que l’intelligence avec une puissance étrangère est punie de trente ans de détention criminelle. L’incrimination existe ; elle n’est jamais utilisée car elle est très difficile à manier, et c’est pourquoi on utilise aujourd’hui la législation anti-terroriste.

M. François Loncle. Le « service après-vente » dont vous avez fait état tout à l’heure s’applique aussi aux guerres. Que tous ici veuillent bien se rappeler que la guerre qui a été menée en Libye en 2011 par la coalition internationale à laquelle participait la France a provoqué un chaos complet, nourrissant le terrorisme au Sahel dans des proportions considérables.

Vous avez évoqué l’hypothèse d’une évolution des djihadistes vers la clandestinité. Pourquoi cette prévision ? Cela conduirait-il à un changement de « public » parmi les terroristes ? Avez-vous relevé dans les pays démocratiques qui respectent l’équilibre entre liberté et sécurité des bonnes pratiques que nous n’utilisons pas encore et qui pourraient nourrir nos propositions ?

M. François Pupponi. On parle beaucoup de la radicalisation en prison, mais le plus inquiétant est, selon moi, l’ouverture en France, en toute légalité, d’écoles confessionnelles dont certaines sont peut-être gérées par des salafistes – et ces gens s’occupent d’enfants dont l’âge est compris entre 10 et 12 ans. On imagine ce que donneront dans quelques années des esprits ainsi formatés si jeunes. Il est tout aussi inquiétant qu’un individu emprisonné soit relâché parce que l’on n’a rien de très grave à lui reprocher et qu’il revienne dans son quartier d’origine sans que les acteurs locaux en soient informés. De même, il arrive que le maire puisse être informé qu’un de ses administrés est parti en Syrie, mais ignore s’il est revenu. Je suppose que les services de renseignement les surveillent et chacun doit être dans son rôle, mais le retour de ces jeunes dans les quartiers n’a rien d’anodin. Comme on l’avait fait il y a quelques années pour lutter contre la délinquance, ne peut-on imaginer des cellules rassemblant élus, magistrats, police et éventuellement Éducation nationale, pour diffuser les informations sur le nombre de jeunes radicalisés ou prosélytes présents dans une commune, chacun étant tenu au secret partagé ?

M. Marc Trévidic. Il est vrai qu’en 30 ans de lutte anti-terroriste, en France comme ailleurs, on a traité les effets et non les causes de la radicalisation, problème de société. Il faut, bien entendu, que les informations circulent, à condition d’admettre que les gens ne peuvent être étiquetés « radicalisé » ou « non radicalisé » car il y a des degrés et des stades de radicalisation. Dans certains cas le processus est très rapide, lent dans d’autres. On a des moyens d’action à un certain stade de l’évolution, difficilement ensuite. Mais quand quelqu’un est très véhément, les échanges d’informations avec le maximum de personnes sont logiques.

Il est vrai également qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur les maisons d’arrêt, car cette idéologie peut se répandre en de multiples autres lieux. Mais il ne faut pas imaginer que le code pénal peut à lui seul en combattre la diffusion – ce n’est pas parce que l’on fixe des interdits qu’une idéologie ne se répand pas.

Je pense que les djihadistes entreront dans la clandestinité parce qu’ils sont entrés dans une nouvelle phase. À l’effervescence brouillonne qui régnait en Syrie a succédé, avec l’État islamique, et aussi déplaisant que cela sonne à l’oreille, un État qui se structure, avec un territoire, des ressources, une économie, une hiérarchie, une administration et une police islamique. Cet État va, j’en suis certain, créer un service de renseignement et un « service action », et il a les moyens de former efficacement ceux qui en feront partie. Or, nous sommes leur ennemi prioritaire, celui qu’ils veulent abattre, et cela leur est beaucoup plus facile que de viser les États-Unis. Voilà pourquoi ce phénomène se produira nécessairement, que les volontaires se cachent dans la masse de ceux qui rentrent en France ou qu’ils se fassent passer pour des réfugiés syriens. Nous sommes leurs ennemis, ils ont les moyens de nous frapper ; pourquoi ne le feraient-ils pas ? Nous savions travailler ces questions ; maintenant, nous arrêtons tous ceux qui rentrent et, pendant que nous traitons leurs dossiers, j’ai la conviction que des projets d’envergure se préparent.

M. Patrice Verchère. Puisqu’il apparaît que le personnel pénitentiaire, dépourvu de moyens, ne maîtrise plus rien dans les prisons françaises sinon les velléités d’évasion, que penseriez-vous de la création de lieux de détention qui, sans aller jusqu’à Guantanamo, seraient réservés aux condamnés pour activités terroristes, avec des cellules sonorisées, une surveillance renforcée y compris pendant les visites et des expériences de dé-radicalisation assorties d’un suivi véritable ?

M. le président Éric Ciotti. Lors d’une table ronde, les représentants syndicaux du personnel de direction de l’administration pénitentiaire se sont dits favorables à l’installation de lignes de téléphone fixes dans les établissements, les communications étant systématiquement enregistrées. Cela vous paraît-il acceptable, et en tout cas préférable à l’anarchie actuelle, que traduit la saisie dans les prisons, l’an dernier, de 27 000 téléphones portables, qui sont donc quasiment en accès libre ?

M. Marc Trévidic. Nous signons déjà des listes de numéros de téléphone des familles que les détenus sont autorisés à appeler ; l’installation de lignes fixes n’empêchera pas les contacts occultes par les téléphones portables. La règle primordiale est qu’il ne doit y avoir aucun téléphone portable en prison ; elle doit être respectée. On a du mal à surveiller ces gens quand ils sont hors les établissements pénitentiaires ; quand ils sont en maison d’arrêt, on doit arriver à un minimum !

M. Loncle m’a interrogé sur les bonnes pratiques. Supermax, à Colorado Springs, est la prison de haute sécurité où les Américains placent leurs terroristes. C’est là, par exemple, qu’est incarcéré Zacarias Moussaoui. J’y suis allé plusieurs fois et, de mon point de vue, ce qui est fait est excessif : les prisonniers n’ont jamais aucun contact physique avec personne, même pas avec leur avocat.

Cela ne signifie pas que l’on ne puisse trouver une solution satisfaisante, à mi-chemin entre Supermax et la situation actuelle, insatisfaisante, dans les maisons d’arrêt françaises. À Fresnes, il y a une incompréhension persistante. Ceux qui font du prosélytisme sont des dangers publics qui doivent à tout prix être mis à l’isolement. Mais, d’autre part, il y a des jeunes gens qui ont voulu aller en Syrie, y sont restés 15 jours et sont revenus d’eux-mêmes ; on a peut-être une chance de les remettre dans le droit chemin, mais aucune s’ils sont en contact avec les gros durs. S’ils sont soumis à cette propagande, ils sortiront de la maison d’arrêt dans 4 ou 5 ans beaucoup plus dangereux qu’ils n’y sont entrés.

Voilà pourquoi il ne faut pas généraliser et mettre ensemble tous ceux qui ont la qualification de « terroriste ». Il faut tous les sortir du système pénitentiaire classique puis séparer ceux pour lesquels on peut faire quelque chose de ceux pour qui cela n’est plus possible - et nous savons les distinguer. J’ai quatre détenus à Fresnes, dont je connais les dossiers ; l’un deux n’a pas du tout le même profil que les trois autres, et ce mélange n’est pas bon. Dans cette population à part, il y a d’un côté des leaders dangereux, d’un autre côté ceux qui se sont laissés entraîner et qui sont récupérables ; c’est sur eux qu’il faut mettre les moyens disponibles, non sur Djamel Beghal, qui serait capable de radicaliser la psychologue qu’on lui enverrait !

Avec ceux qui ne sont pas fondamentalement radicalisés, il y a une marge de manœuvre ; leur passage à la maison d’arrêt doit donc servir à quelque chose. Proposer un dispositif spécifique quand ils en sortent, c’est dire que l’on estime que le temps passé en maison d’arrêt ne sert à rien.

M. Claude Goasguen. C’est pourquoi j’ai dit qu’avec les nouvelles dispositions ils sortent un peu tôt.

M. Marc Trévidic. C’est autre chose. Les peines longues sont plus légitimes quand on a tenté quelque chose en maison d’arrêt. Cela influe d’ailleurs sur la fixation de la peine : le juge se dit parfois que l’incarcération ne sert à rien, puisque l’on ne fait rien pour les remettre dans le droit chemin. Si, en revanche, le juge pense qu’un jeune sera placé dans un établissement spécialisé dans la rééducation et la dé-radicalisation, avec un suivi, et que le processus demande du temps, son approche de la longueur de la peine sera différente.

M. Meyer Habib. À situation d’exception, mesures d’exception ; lesquelles vous manquent le plus ? Que peut-on faire pour contrôler Internet, où fleurissent par dizaines de milliers menaces et propos intolérables ? En se concentrant sur l’État islamique, ne baisse-t-on pas la garde face aux autres mouvements terroristes, notamment le Hezbollah et les services syriens ? Que fait-on avec les pays qui soutiennent, financent et abritent les terroristes ? Enfin, Merah, Nemmouche, Kouachi et Coulibaly étaient-ils considérés comme particulièrement dangereux ? Je n’en suis pas persuadé.

M. Marc Trévidic. Si la formulation de votre question était : « Si vous aviez su que Mohamed Merah était allé au Waziristan, Mehdi Nemmouche en Syrie avec l’État islamique et Saïd Kouachi au Yémen alors qu’il était sous contrôle judiciaire dans un dossier terroriste, les auriez-vous considérés comme très dangereux ? », j’aurais répondu « oui ». Mais ai-je les informations qui me permettent de le dire ? Ce sont des gens connus, et il y a manifestement eu un retard à l’allumage dans l’appréhension de l’ampleur des informations permettant de cibler leur degré de dangerosité. Il est vrai que, même pour les individus que nous connaissons, nous avons du mal à faire des évaluations très exactes.

Pour ce qui est des moyens d’enquête, mis à part le fait que nous ne disposons toujours pas du logiciel espion prévu par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) en 2011, aucun dispositif n’ayant été agréé – ce que je vais répéter devant toutes les commissions parlementaires – les juges d’instruction ont des pouvoirs importants, puisqu’ils peuvent, par exemple, sonoriser des appartements. Le problème est de choisir dans quels dossiers le faire. En effet, les écoutes et leurs transcriptions ainsi que la surveillance d’Internet demandent un travail considérable ; or nous n’avons pas d’enquêteurs pour le faire. J’ai à connaître d’un dossier concernant des criminels terroristes vraiment dangereux ; ils ont commis un braquage pendant l’instruction, alors qu’ils étaient surveillés et qu’une sonorisation avait été installée – le son a été écouté quelques jours plus tard… Nous avons besoin de policiers, en nombre. Quand nous aurons les moyens humains, nous utiliserons les moyens techniques. Nous avons les textes nécessaires.

D’autres mouvements profitent certainement de ce que nous nous focalisons sur la menace que représente l’État islamique, mais nous ne pouvons tout faire – ni même contenir entièrement celle-là.

La nouvelle loi fixe des obligations aux fournisseurs d’accès à l’Internet, mais ils ne gèrent pas le système. Tout dépend des négociations avec les opérateurs américains : c’est eux qui peuvent couper le robinet ou faire disparaître, plus ou moins rapidement, une vidéo. Encore doivent-ils le vouloir. Il faut donc les inciter à procéder eux-mêmes au nettoyage qui s’impose mais, dans une société ouverte, il n’y a pas de solution idéale. On observe cependant que les vidéos postées par les terroristes restent moins longtemps en ligne - pas beaucoup plus d’une heure – avant d’être supprimées. Il y a donc une amélioration, et il faut continuer de pousser les opérateurs en ce sens.

Enfin, j’étais partisan de sortir le délit d’apologie du terrorisme du droit de la presse pour en traiter dans le cadre du droit commun. Ainsi peut-on juger en comparution immédiate des gens qui, auparavant, n’avaient rien à craindre de la justice ; on l’a vu après l’affaire Merah, qui a suscité des commentaires abjects. Les peines qui viennent d’être prononcées pour ce chef d’accusation ont été très fortes, mais cela va se réguler et elles seront plus mesurées.

M. le président Éric Ciotti. Monsieur, je vous remercie.

La séance est levée à 13 heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Éric Ciotti, M. Georges Fenech, M. Claude Goasguen, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Meyer Habib, M. François Loncle, M. Jacques Myard, M. Sébastien Pietrasanta, M. François Pupponi, M. Patrice Verchère

Excusé. - M. Patrick Mennucci

Assistait également à la réunion. - M. Boinali Said