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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Mardi 17 mars 2015

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 33

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de M. Éric Ciotti, Président puis de Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Vice-présidente

– Table ronde réunissant les représentants des syndicats des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire : Fédération Interco CFDT (M. José Porceddu, secrétaire national en charge de la branche justice, M. Jean-Philippe Guilloteau, secrétaire fédéral en charge de la branche justice, secteur pénitentiaire, M. Elyamine Saïd, secrétaire régional pénitentiaire Île-de-France, M. Éric Fievez,  secrétaire général du Syndicat national des cadres pénitentiaires SNCP-CFDT, M. Sébastien Vanroyen, secrétaire national du Syndicat national des cadres pénitentiaires SNCP-CFDT) ; Syndicat national pénitentiaire des personnels de surveillance FO (M. James Vergnaud, secrétaire général adjoint, M. David Daems, secrétaire national) ;  Syndicat des personnels de surveillance non gradés (SPS) (M. Philippe Kuhn, délégué régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Paris, M. Joseph Paoli, délégué régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Bordeaux) ; Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP–UNSA  justice) (M. Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint, M. Claude Tournel, secrétaire général adjoint) ; Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP-CGT) (M. Christopher Dorangeville, secrétaire national)

La séance est ouverte à 8 heures 30.

Présidence de M. Eric Ciotti, président.

M. le président Éric Ciotti. Messieurs, je vous remercie d’être présents devant cette commission d’enquête sur le suivi des individus et des filières djihadistes, qui a été créée le 3 décembre dernier et dont le champ d’investigation a été élargi après les événements tragiques ayant frappé notre pays début janvier. Après avoir auditionné la directrice de l’administration pénitentiaire et des représentants de vos autorités de direction, nous souhaitions absolument vous entendre pour bénéficier de votre expérience de la radicalisation en prison.

Comme vous êtes relativement nombreux, je propose qu’un représentant de chaque organisation fasse un propos liminaire relativement bref, avant que nous ne passions aux questions.

Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Toutes les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Éric Fievez, secrétaire général du Syndicat national des cadres pénitentiaires (SNCP-CFDT). Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous vous remercions pour cette invitation.

Les tragiques événements du mois de janvier ont montré de manière brutale que notre société est confrontée à un phénomène de radicalisation de plus en plus fréquent et violent, qui pose un réel problème tant d'un point de vue sécuritaire que par la remise en cause de notre modèle social qu'il implique.

Au préalable, nous tenons à faire remarquer que, pour être combattu efficacement, le phénomène de radicalisation doit être appréhendé dans sa globalité et non pas uniquement dans le cercle fermé de la prison : nombre de personnes se sont radicalisées en dehors de toute incarcération ; on ne peut pas demander à la prison de réussir là où toute la société a échoué. Cette mise au point étant faite, j’admets qu’il faut réagir dès à présent à l'urgence de la situation.

La CFDT représente l'ensemble des personnels pénitentiaires, du directeur au surveillant, en passant par les agents du corps d'encadrement et de commandement. Nous pensons que les détenus ciblés qui se sont réellement orientés vers un fanatisme religieux dangereux et parfois, il faudra bien l'admettre, irréversible, ne représentent qu’une minorité. La plupart d'entre eux sont des personnes en perte de repères, souvent jeunes, de petits délinquants ou des criminels déjà avertis. Certains sont parfois tout simplement en quête d'aventure et d'exaltation.

Aussi l’importance du fait religieux doit-elle être relativisée et convient-il d'avoir une gestion très fine de la mesure dite d'isolement. Quels critères de sélection retenir ? Quelle doit être la durée de cet isolement ? Quel doit être son but ? Cette procédure dite d'isolement du reste de la population pénale aurait le mérite de limiter « l'intoxication » des autres détenus, mais elle ne saurait être une réponse totalement satisfaisante au présent défi.

Répétons qu'il faut avoir une vision globale de ce problème. En détention tout comme à l'extérieur, il faut développer toutes les activités permettant aux personnes de se sociabiliser et d'être encadrées : formation, école, travail, sports, activités socioculturelles et formation religieuse. La religion musulmane est sujette à interprétation comme toutes les religions, et elle souffre de ne pas avoir de représentants clairement identifiés. Cette caractéristique facilite les prêches d'imams autoproclamés aux discours souvent exaltés et violents. À cet égard, nous sommes favorables à l’augmentation du nombre d’aumôniers musulmans, tout en constatant que les musulmans radicaux refusent de reconnaître leur autorité religieuse et choisissent leurs propres prêcheurs.

S’agissant des personnels, il nous paraît essentiel qu’ils bénéficient d’une formation à la hauteur des enjeux. Il est certes intéressant de développer le renseignement pénitentiaire en multipliant les postes de délégués locaux ou interrégionaux au renseignement pénitentiaire. Mais n'est-ce pas insuffisant ? Le renseignement est l'affaire de tous les agents. Le travail d'observation doit être remis en avant et valorisé car il permet non seulement de déceler les signes de prosélytisme mais également de révéler tout ce qui a trait à la vie carcérale : détresse, colère, isolement, agressivité ou, au contraire, dynamique favorable. Les agents doivent avoir le temps et l'envie de faire ce travail d'observation. Nous espérons que le nouveau logiciel – Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité (GENESIS) – facilitera les remontées d'informations.

Dans le même temps, il faut permettre au corps d'encadrement et de commandement d'organiser ce travail d'observation, grâce à une présence accrue en détention, au contact des agents et des personnes placées sous main de justice (PPSMJ). Or, depuis des années, les missions des officiers deviennent de plus en plus administratives alors qu’il est essentiel d'aider les surveillants dans leurs tâches quotidiennes vis-à-vis des détenus. N’oublions pas que les surveillants sont en première ligne : au quotidien, jour et nuit, ils sont au contact des détenus – quelles que soient les raisons de l’incarcération de ceux-ci – et notamment de ceux qui sont identifiés comme ayant des pratiques radicalisées de l'islam (PRI).

Pour ce faire, une augmentation des moyens humains et financiers est sans nul doute nécessaire, mais les enjeux en valent la peine : il s'agit ni plus ni moins de la liberté et la sécurité de nos concitoyens.

M. James Vergnaud, secrétaire général adjoint du Syndicat national pénitentiaire des personnels de surveillance FO. Parmi les détenus, certains esprits faibles peuvent se laisser endoctriner et trouver une identité culturelle qu’ils n’avaient pas à l’extérieur. Ils ont alors le sentiment d’appartenir à un groupe, à une bande qui leur apporte une protection car, sachez-le, les règlements intérieurs ne sont plus appliqués dans nombre de prisons françaises.

À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle : pour enrayer le phénomène de radicalisation, il faut isoler totalement les recruteurs du reste des détenus de droit commun. Nous ne croyons pas à l’efficacité de l’isolement au sein d’une prison, sur le modèle des expérimentations conduites actuellement dans certains établissements. La seule façon de cloisonner efficacement ces islamistes radicaux serait de les regrouper dans un même lieu d’incarcération, doté de moyens matériels et humains suffisants.

Quoi qu’il en soit, il est indispensable de réagir rapidement si nous voulons que les prisons reviennent à un état normal de fonctionnement, en mettant l’accent sur la formation des personnels : de l’officier au simple surveillant, chacun doit être en mesure de faire respecter le règlement. Il faut mettre fin à l’angélisme, à une politique qui consiste à éviter le moindre incident. La sécurité passe par le rétablissement des fouilles par palpation corporelle, c'est-à-dire par l’abrogation de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Le travail en binôme dans une aile est la clef de voûte du respect des règles. Or dans une prison comme celle des Baumettes, il y a un seul surveillant pour 140 détenus. Des personnels unis, expérimentés et en nombre suffisant pourront d’autant mieux gérer les situations de crise.

Le prosélytisme s’effectue non seulement par la parole mais aussi par la diffusion de messages internet – prohibés bien entendus – car les prisons ne sont pas équipées de brouilleurs performants. Récemment, il a été découvert des vidéos de propagande et une liste d’environ 500 journalistes d’origine juive dans un ordinateur. On se doute de ce qu’une telle liste peut devenir entre les mains de gens mal intentionnés. Les nouvelles technologies aidant, le passage d’informations n’a plus de limite dans les prisons.

Le recrutement annoncé d’aumôniers est une très bonne chose mais sachez qu’une certaine frange de la population pénale prêche dans les cours de promenade et interdit aux autres détenus d’écouter le religieux officiel.

Nous alertons depuis dix ans sur la montée de ce phénomène, apparu au départ dans les maisons centrales où étaient incarcérés des terroristes islamistes condamnés à de lourdes peines de prison. Actuellement, le fléau se répand dans les maisons d’arrêt, particulièrement dans celles de Marseille, de Lyon et de la région parisienne. Dans les maisons d’arrêt surpeuplées, où les détenus vivent dans la promiscuité, les agents ne sont pas assez nombreux pour lutter efficacement.

M. Philippe Kuhn, délégué régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Paris du Syndicat des personnels de surveillance non gradés (SPS). Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous avons l'honneur de nous entretenir avec vous sur ce sujet de la radicalisation en prison, en cette période dite d'unité nationale, et nous vous en remercions.

Dans le projet de loi de finances pour 2015, il a été indiqué clairement que la radicalisation s'exprimait de manière plus visible dans l'espace confiné des prisons. Pour autant, les mesures annoncées pour renforcer le dispositif de lutte contre le terrorisme semblent laisser de côté les personnels de surveillance, occulter leurs besoins en moyens humains et matériels. D’autre part, les médias se sont fait l’écho d’attaques récentes et déplorables contre des militaires français, mais personne ne semble s’émouvoir quand des surveillants sont visés par la même catégorie d’individus.

La prison, lieu d'insertion et de réinsertion où s’appliquent des règles, a évolué sous l’influence de différents textes : les règles pénitentiaires européennes de 2006 ; la loi pénitentiaire n° 1436 du 24 novembre 2009 qui a été adoptée en concomitance avec la politique de restriction budgétaire prévue par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 puis par la Modernisation de l'action publique (MAP) de 2012. Ces changements politiques imposés ont modifié les conditions de travail des surveillants et rendu difficile l’exercice de leurs missions de base. En outre, dans la prise de certaines décisions, priorité a été donnée à l'ordre public, ce qui a parfois laissé place à l'incompréhension.

Citons succinctement les obligations et les devoirs des personnels pénitentiaires afin de mieux appréhender les problèmes que pose la surveillance des filières et des individus djihadistes et de comprendre le contexte réel dans lequel les surveillants évoluent au quotidien.

Au niveau des obligations, les personnels surveillants de l'administration pénitentiaire doivent assurer la sécurité de l'établissement et des personnes, favoriser l'insertion et la réinsertion, contribuer à la prévention de la récidive, à l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes détenues.

Au niveau des règles de déontologie, la sécurité des établissements repose sur la vigilance, la connaissance de l'environnement et des personnes, la réglementation, la maîtrise des outils de recueil des informations et la conscience professionnelle de chacun des agents. Il est précisé que le personnel qui serait témoin d'agissements prohibés par le code de déontologie doit s'efforcer de les faire cesser et les porter à la connaissance de sa hiérarchie.

S’agissant du plan de lutte contre le terrorisme, nous souhaitons interpeller la commission en partant de ces missions dévolues aux surveillants pénitentiaires.

Les observations – pour ne pas dire les renseignements – sont transmises par les agents de surveillance, en fonction de l'urgence, par le biais du cahier électronique de liaison, du cahier de nuit et de divers registres spécifiques. Nous pouvons aussi informer notre hiérarchie de tout événement ou incident à l'aide d'un compte rendu professionnel. Des informations peuvent être données lors des passages de consignes, au moment des prises de service. Les agents doivent faire preuve de curiosité et d’un intérêt permanent pour être en mesure de fournir des informations. On demande aux surveillants d'être particulièrement attentifs aux détenus faisant l'objet d'une surveillance spécifique, qu’ils soient arrivants, suicidaires, détenus particulièrement signalés, présentant un risque d’évasion, etc.

Nous connaissons les signes d'alerte relatifs à la radicalisation djihadiste : la méfiance de l'autre jugé impur, le rejet de l’autorité, les propos, la tenue vestimentaire, l’alimentation, l’abandon de certaines activités telles que l’école, une formation professionnelle, le sport, la télévision. Pour être efficaces, les surveillants doivent prendre du recul, faire preuve de concentration, être organisés, avoir le sens de l’anticipation, savoir analyser et restituer les informations collectées.

Le ministère de la justice a réaffirmé sa volonté de combattre le terrorisme à la racine dans la circulaire 2015/0213/A13, datée du 12 janvier 2015, qui porte sur les infractions commises à la suite des attentats terroristes perpétrés les 7, 8 et 9 janvier 2015. Celle-ci insiste sur la volonté de combattre et de poursuivre tous propos ou agissements répréhensibles, haineux ou méprisants, proférés ou commis en raison de l'appartenance à une religion. Cette note rappelle l'article 421-2-5 du code pénal qui réprime le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes.

La prise en compte réelle de la situation des surveillants pénitentiaires est nécessaire. L’agression à coups de ciseaux portés au visage, dont a été victime un collègue du centre de détention de Châteaudun le 3 février dernier, est malheureusement l'exemple type de ce qui peut survenir dans nos prisons, à un moment où les fanatiques font des émules. Ces phénomènes peuvent surgir à tout moment, sous toutes les formes possibles, mettant en danger les surveillants, les codétenus et également nos concitoyens lorsque ces gens sortiront de prison. À la suite des attentats de janvier 2015, les moyens humains et matériels nécessaires aux forces de l'ordre – police et gendarmerie – ont été renforcés. Un important budget a été prévu pour le système de renseignement, pour prévenir d’éventuelles attaques terroristes. Le lendemain de l’agression à la prison de Châteaudun, trois militaires du cinquante-quatrième régiment d’Hyères ont malheureusement été attaqués à l'arme blanche et blessés légèrement sur la place Masséna à Nice. Le ministre de la défense et le ministre de l'intérieur se sont rendus à Nice, accompagnés du député-maire. Le ministre de la défense a évoqué une « tentative d'assassinat préméditée ». Comment devons-nous qualifier ou interpréter l'agression du surveillant pénitentiaire ? On ne parle jamais de ce qui se passe en prison, ou du moins on évite d'en parler.

Au cours des trois dernières années, nombre de mesures ont été adoptées qui vont à l’encontre de la sécurité : fermeture de miradors ; réduction des effectifs et non-remplacement des départs ; gel des projets de construction de nouveaux établissements ; mise en œuvre de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; prolongation du moratoire relatif à l'encellulement individuel jusqu'en 2018 ; non-prise en compte du renouvellement des matériels vieillissants.

Ces mesures ont eu des conséquences sur le travail des agents : dégradation des conditions de travail ; explosion du nombre des heures supplémentaires ; postes découverts ou réduits ; déclassement sécuritaire de certains détenus dangereux lors des extractions. Elles ont aussi eu des répercussions sur les matériels : tenues d'intervention lourdes, vétustes et mal adaptées ; absence de gilets pare-balles à port léger pour les agents d'escortes médicales ; parc automobile vieillissant à fort kilométrage devenant onéreux ; moyens de communication – téléphones et autres – manquant de fiabilité. Enfin, elles ont eu des effets sur la détention : surpopulation et agressions ; 4 192 agressions physiques et 15 880 agressions verbales contre le personnel ont été relevées en 2013.

Nous ne cessons de demander des effectifs afin de pouvoir travailler dans de bonnes conditions et d’assurer en sécurité le fonctionnement des établissements. Précisons qu'à partir de 2015, l'administration pénitentiaire devra prendre en charge les extractions judiciaires qui étaient assurées par la police et la gendarmerie. Nos revendications légitimes s'appuient sur une base de travail cohérente et proche du terrain, permettant de répondre aux attentes des surveillants pénitentiaires et, par la force des choses, de garantir la qualité d’un travail de renseignement désormais primordial.

Le 24 juin 2013, nous avions manifesté contre l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, relatif aux fouilles des détenus. Nous avions demandé l’installation de portiques de détection à ondes millimétriques pour pallier les effets de cet article, et un déblocage de 33 millions d'euros avait été annoncé pour calmer les ardeurs.

Le 29 août 2014, nous avons remis un rapport relatant toutes ces problématiques à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, lors de sa visite à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Le 9 février 2015, le cabinet de la garde des sceaux a pris la décision de ne mettre en place les portiques de détection à ondes millimétriques que dans les maisons centrales dites sécuritaires.

Il a fallu malheureusement les drames terroristes récents pour prendre conscience de certaines lacunes, mettre en place un plan de lutte et débloquer des fonds. On nous dit que la radicalisation peut se propager par le biais d'internet ou de communications avec l'extérieur. Pour notre part, nous constatons que des téléphones circulent toujours en prison, comme en atteste la dernière fouille effectuée à Lorient. On nous parle d'installer des brouilleurs plus efficaces alors que des portiques permettraient tout simplement d’éviter l'entrée des objets interdits.

Voici exposées succinctement les problématiques générales sur le rôle et les missions des surveillants pénitentiaires qui évoluent dans un contexte rendu déjà difficile par la surpopulation pénale et le manque cruel d'effectifs.

Les surveillants pénitentiaires naviguent entre les obligations sécuritaires, la prise en charge des détenus et les règles de déontologie. Les règles pénitentiaires européennes et les lois pénitentiaires se mettent en place sporadiquement sans prendre en compte les difficultés de fonctionnement existantes. Les conséquences de la politique de modernisation de l'action publique, dont l'objectif est de réduire les dépenses humaines et matérielles, doivent également être soulignées. On veut lutter fermement contre le terrorisme pour que de tels actes ne se reproduisent plus. Pour que ce combat soit efficace, tous les acteurs de l'État doivent pouvoir s’y impliquer pleinement. Il le sera d’autant plus si les personnels sont dotés des moyens nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions, leur permettant de faire remonter des informations de qualité et utiles à la surveillance de détenus qui envisageraient de rejoindre les rangs des terroristes.

Or des postes ne sont pas occupés afin de réaliser des économies de personnels et d'heures supplémentaires. Dans ces conditions, l'insécurité est grandissante et ne peut être jugulée. Les surveillants, souvent esseulés, sont livrés à eux-mêmes face à une population pénale qu'il est toujours plus difficile de contenir. Il est temps de réagir et de donner tous les moyens aux surveillants d'accomplir leur mission en toute sécurité.

Nous avons accepté ce métier, ses missions et ses contraintes. Nous nous sommes même engagés à les assurer avec professionnalisme, en nous adaptant au fur et à mesure des évolutions et des événements. Nos dirigeants doivent prendre la mesure de nos missions actuelles et futures et faire en sorte que notre outil de travail cesse de se dégrader sous prétexte d’économies à réaliser. Il faut se donner les moyens de lutter vraiment et efficacement contre ce fléau qu’est la radicalisation. Pour s'attaquer à la racine, il est nécessaire de renforcer la base : il faut redonner du crédit aux surveillants pénitentiaires qui ne peuvent être écartés de ce combat national.

M. Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP-UNSA justice). Nous vous avons apporté deux brochures importantes : Réflexion sur un service public moderne et rénové ; Contribution pour l’élaboration d’une doctrine du renseignement pénitentiaire. La première réactualise les travaux menés par notre syndicat depuis plus de vingt ans, tandis que la deuxième traduit des préoccupations plus récentes.

Il y a vingt ans, nous dressions déjà le constat que la prison était extrêmement difficile à gérer et que le prosélytisme religieux y créait de vrais soucis. Comme actuellement, nous estimions qu’il n’était pas possible de traiter le problème des prosélytes radicaux à part, en occultant la situation générale des prisons. Dans cet univers complexe, il existe des mouvances et des courants différents qui ne peuvent être gérés sans une réelle observation de la part des personnels pénitentiaires, et cela nécessite des moyens humains et matériels.

Depuis des années, nous travaillons sur les établissements spécialisés qui ont vu le jour : les établissements pour mineurs, qui ont offert des solutions efficaces ; les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) pour les détenus malades. Il nous semble important de créer de nouvelles structures permettant de gérer des détenus très dangereux ou appartenant à une mouvance islamiste, sans les priver des activités qui existent dans une prison classique. Les laisser végéter n’aboutirait à rien d’autre qu’à davantage de radicalisation.

Il y a six mois, nous avons publié un travail sur le renseignement. Or celui-ci se trouve désormais au cœur des priorités de l’administration pénitentiaire, après avoir été abordé dans le cadre de la mission sur la sécurité des établissements pénitentiaires, confiée à Jean-Marc Chauvet à la suite de la tentative d'évasion avec prise d’agents en otage qui était survenue à Fresnes le 27 mai 2001. La mission s’était déplacée dans différents pays, notamment en Grande-Bretagne où le renseignement pénitentiaire était très développé.

L’administration pénitentiaire a fait preuve d’amateurisme puisqu’elle n’a élaboré aucun plan détaillé, se contentant de placer dans différentes directions interrégionales un ou deux officiers chargés de recueillir du renseignement. Il faut aller beaucoup plus loin et développer une véritable filière du renseignement. D’une part, les personnels doivent être munis de toutes les autorisations et de tous les outils juridiques nécessaires à leur protection. D’autre part, il faut développer un vrai système de communication entre tous les services nationaux de renseignement français. À l’heure actuelle, l’administration pénitentiaire fournit des informations aux services de renseignement nationaux mais il n’existe aucune transversalité entre les services.

En ce qui concerne le plan de lutte contre la radicalisation, différentes pistes sont étudiées. Le programme « arrivants », doté de 1,72 million d’euros par an, est primordial et pas seulement dans une perspective de lutte contre le prosélytisme religieux. À leur arrivée en détention, les détenus devraient bénéficient d’une période d’observation d’une quinzaine de jours et non pas seulement de deux à trois jours comme c’est actuellement le cas. C’est la condition d’une prise en charge efficiente.

Il est aussi question de recruter soixante-dix surveillants dans les Équipes régionales d'intervention et de sécurité (ÉRIS), afin d’améliorer la sécurité des établissements. Mais ces recrutements paraissent incongrus à un moment où, par souci d’économies, on évite de recourir aux ÉRIS qui existent et sont déployées sur tout le territoire national : leur utilisation coûte très cher car les personnels sont mobilisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Signalons aussi que l’administration pénitentiaire a développé un plan d’action national relatif à la maîtrise des heures supplémentaires. D’un côté, on parle de recruter soixante-dix personnels dans les ÉRIS ; de l’autre, on restreint drastiquement les heures supplémentaires, au détriment de la sécurité. C’est complètement incohérent.

Un brouillage efficace des communications permettrait de lutter contre le fléau que représentent les téléphones portables en détention, mais il est difficile à réaliser sur le plan technique.

Il est aussi envisagé de créer cinq quartiers dédiés aux détenus concernés par le terrorisme islamiste, dont celui qui existe déjà à Fresnes. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour juger de la pertinence de ce genre d’isolement. Hier soir, nous avons eu communication du rapport de l’inspection générale des services pénitentiaires (IGSP) sur les premiers mois de fonctionnement du quartier de Fresnes qui regroupe une trentaine d’islamistes radicaux. On constate d’énormes difficultés : ces détenus choisis d’après une grille détaillée ont des occupations communes avec la population générale de la prison car il n’existe pas d’étanchéité absolue ; ils font néanmoins l’objet d’une restriction de leurs activités. Pour nous, ce n’est pas forcément pertinent. L’étanchéité est nécessaire si on veut mettre ces détenus de côté, mais on doit aussi leur proposer des activités pour éviter un sentiment d’injustice qui ne ferait qu’alimenter leur rébellion. Nous sommes d’autant plus critiques par rapport à ces cinq quartiers dédiés – quatre en région parisienne, un dans la région lilloise – qu’il n’y aura pas suffisamment de personnels pour s’en occuper : contrairement à ce qu’il faudrait faire, l’administration pénitentiaire prévoit d’y mettre moins de surveillants.

Pour terminer, je voudrais faire un point sur les techniques de sécurité et sur l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 qui nous pose d’énormes difficultés. Certes il s’agit d’une loi mais ne pourrait-on pas suspendre pendant deux ans l’application de la disposition qui interdit les fouilles systématiques ? Quand il y a contact avec l'extérieur, notamment à l’occasion des parloirs, le détenu doit être fouillé. Ceux qui sont incarcérés pour des faits mineurs et qui ne seront pas fouillés deviennent des mules, placés sous la contrainte de caïds qui les utilisent pour faire passer des produits interdits.

Le prosélytisme religieux ne pourra être endigué que par l’observation de toute la population pénale. Or, à Fresnes par exemple, un seul surveillant doit gérer plus d’une centaine de détenus. Comment le personnel pourrait-il faire une observation efficace ? Il faut y mettre les moyens, sachant que les problèmes de la prison ne se limitent pas au prosélytisme religieux.

M. Christopher Dorangeville, secrétaire national de l’Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP-CGT). Avec tous les Français, nous avons été profondément choqués et meurtris par les terribles événements survenus à Charlie Hebdo ainsi qu'au magasin Hyper Casher de la Porte de Vincennes. Avec tous les républicains, les laïcs, nous nous interrogeons sur l'intolérance religieuse et sa place de plus en plus prégnante dans notre démocratie. Avec tous les pénitentiaires, nous voulons témoigner notre solidarité envers toutes les victimes de ces attentats : les salariés et dirigeants du journal, les clients et les personnels de l'Hyper Casher, nos collègues policiers, les communautés juive et musulmane.

Mais être pénitentiaire, c'est aussi avoir une responsabilité et se questionner sur la manière dont quelques individus ont pu se radicaliser en passant par la case prison. En tant que syndicalistes, nous devons aider le pays à détecter et prévenir les risques touchant à la radicalisation. Nous avons quelques idées, mais être syndicaliste ce n'est pas avoir un avis éclairé et certain sur toute chose, particulièrement sur cette question qui n’a suscité que peu d'échanges avant que la réalité ne nous rattrape.

Permettez-moi une parenthèse. Il existe en prison d’autres radicalismes dont il faudrait se préoccuper à l’occasion d’un futur projet de loi, notamment celui des Témoins de Jéhovah qui sont pourtant identifiés comme un culte banal, ce qui est grave.

Pour circonscrire mon propos à l'objet de cette table ronde, je ne commenterai pas forcément les crédits budgétaires de fonctionnement et d'emplois accordés à l'administration pénitentiaire. On nous a dit qu’ils étaient des moyens nouveaux. Dont acte. Cependant, je ferai quelques remarques.

Pour lutter efficacement contre le radicalisme religieux, islamiste en l'espèce, il faut être capable de détecter les radicaux à leur arrivée en prison – quand ils ne nous ont pas été signalés au préalable – et il faut pouvoir les suivre ensuite. Chacun doit se rendre compte que la surpopulation pénale est un frein considérable à la détection, enjeu majeur pour le service public pénitentiaire. Nos collègues, au cœur des détentions, sont déjà sur tous les fronts et trop peu nombreux pour assurer convenablement les autres missions de prévention, la surveillance et le suivi individualisé.

Comment ne pas s’interroger sur la politique pénale et ses effets sur le nombre de personnes incarcérées ? Comment ne pas poser la question du nombre d'emplois à créer au cœur des détentions ? Pour la CGT, ces deux enjeux essentiels conditionnent la capacité à former nos collègues à la détection des risques islamiques radicaux. Actuellement, ils ne sont pas armés pour le faire. Il faut former l'ensemble des collègues et non pas quelques-uns comme le sous-entend le plan ; et il faut bien les former pour leur éviter de tomber dans l'amalgame ou d’ignorer les bons signes de radicalisation.

Il faut également repenser le travail pluridisciplinaire en interne et l'harmonisation des différents services de renseignement de l'État, l’administration pénitentiaire n'étant pas suffisamment prise en compte par les autres services.

Voilà, d'une manière condensée, quelques pistes de travail. Pour réussir une action publique pénitentiaire digne de ce nom, il faut améliorer les rôles et les missions des personnels de surveillance et de commandement, et leur redonner la capacité de travailler. Il ne suffira pas d'ajouter des agents de renseignements ici ou là, de créer des quartiers ou des équipes nouvelles. Tout ceci sera peu de chose sans la participation des agents qui se trouvent au cœur des détentions.

M. le président Éric Ciotti. Vous avez évoqué de façon assez unanime la nécessité de replacer cette question de la radicalisation dans une perspective plus globale, intégrant toutes les difficultés que rencontre la prison. Vous avez tous cité la surpopulation carcérale comme une source majeure de difficultés. Quelle est votre position sur la nécessité de construire des places supplémentaires et sur l’interruption des programmes prévus par la loi de mars 2012 sur l’exécution des peines ?

M. James Vergnaud. Bien entendu, nous avons besoin de plus de places de prison car nous n’avons d’autre choix que d’accueillir les personnes qui sont condamnées. Cela étant, nous avons besoin de prisons à taille humaine : il conviendrait de porter plus d’attention aux retours d’expérience des personnels et de leurs représentants concernant les ouvertures d’établissement qui ont eu lieu au cours des dernières années ; ces prisons neuves, qui sont de véritables usines, ne sont forcément adaptées à la population pénale et aux personnels.

M. Claude Tournel, secrétaire général adjoint de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP-UNSA justice). La surpopulation carcérale est telle qu’il faudrait sans doute créer quelques structures nouvelles mais à taille humaine, c'est-à-dire n’excédant pas 400 places. Il conviendrait aussi de développer les peines alternatives à l’incarcération – bracelet électronique ou autre – afin de faire baisser le nombre de détenus dans les établissements pénitentiaires.

M. Jean-Philippe Guilloteau, secrétaire fédéral en charge de la branche justice, secteur pénitentiaire de la Fédération Interco CFDT. Vous auriez pu poser la même question il y a trente ans : dans les années 1980, le taux de surpopulation carcérale était d’environ 115 %, c’est-à-dire d’un niveau quasiment identique à celui que nous constatons de nos jours ; au cours de cette période, il ne s’est stabilisé à 100 % que pendant une ou deux années. La surpopulation n’est pas un problème d’actualité, elle a toujours existé. Est-ce qu’en construisant plus de prisons, on abaisse le taux de surpopulation ? Oui dans l’immédiat mais pas à long terme. Ce constat s’est notamment vérifié au début des années 1990, au moment de la réalisation du « programme 13 000 ». La création de places est toujours suivie d’une hausse des incarcérations.

Comment prendre le problème ? La moitié des ateliers des prisons construites dans le cadre du « programme 13 000 » sont vides parce que les entreprises qui font travailler les détenus sont soumises à de fortes contraintes, et l’oisiveté se développe. Certains responsables politiques demandent l’application du contrat de travail type à l’intérieur des prisons alors que les entreprises vont y chercher des coûts un peu moindres et des conditions plus souples. Une telle mesure conduirait à vider totalement les ateliers. Que ferait-on alors de ces 600 ou 800 détenus ?

Au début des années 1990, dans un établissement de 600 places, au moins 200 à 250 détenus avaient du travail ; actuellement, ils sont à peine une centaine. Comment occuper les détenus ? L’oisiveté et l’ennui favorisent le prosélytisme radical islamiste. Les détenus n’ont rien à faire ; ils n’ont pas d’argent ; leurs familles n’arrivent pas à les aider ; l’administration pénitentiaire ne parvient pas à les accompagner. Il y a eu des projets « Euronef » pour la construction de salles de sport dans certaines prisons, pour lesquels l’administration pénitentiaire avait embauché des détenus. Cette initiative, comme plusieurs autres, a été interrompue sans que l’on sache vraiment pourquoi.

Si de nouvelles prisons sont construites, il ne faut pas reproduire les erreurs du passé : des établissements trop grands et un manque de personnels. Dans ces prisons, les surveillants souffrent d’un mal-être au travail car ils ne sont pas assez nombreux, et le nombre d’heures supplémentaires explose. Quand un surveillant doit gérer 80 ou 100 détenus sur une coursive, il n’a pas le temps de faire du renseignement pénitentiaire. En 1988, je travaillais à Fresnes où il y avait 200 détenus par étage. Un quart d’heure avant sa prise de service, le surveillant devait commencer par refaire la liste des mouvements de détenus prévus dans la matinée. Loin de s’interroger sur la manière d’observer les détenus, il se demandait comment il allait bien pouvoir gérer tous ces mouvements. En fait, il ne faisait que courir toute la journée.

Nous sommes allés visiter le fameux quartier dédié de Fresnes dont il y aurait beaucoup à dire. Il faut peut-être construire des prisons mais pas n’importe lesquelles et surtout pas n’importe où. La prison de Réau est au bord de l’autoroute, celle de Joux-la-Ville au fin fond d’un coin perdu, et une autre au milieu d’une zone industrielle. « Ouvrir une école, c'est fermer une prison », disait Victor Hugo. La prison d’Amiens, elle, est bâtie entre la cité et l’école ! Tous les jeunes qui vont à l’école passent forcément à côté de la prison…

(Présidence de Mme Geneviève Gosselin-Fleury,
vice-présidente de la commission d’enquête.)

M. Joaquim Pueyo. Pour en revenir au thème de la radicalisation, je suis assez d’accord sur la nécessité de renforcer le rôle d’observation du surveillant, dont il faudra sans doute compléter la formation. Mais dans un établissement comme Fresnes où est menée une expérimentation, comment interviennent les autres services ? Pensez-vous que des évolutions sont souhaitables dans le rôle que jouent les autres pénitentiaires ou les autres services publics en matière de détection et de prise en charge de la radicalisation ? La radicalisation est l’affaire de tous dans l’établissement et un enseignant, par exemple, peut aussi en détecter les signes chez un détenu.

L’un de vous prône le regroupement de tous les islamistes radicaux sur un même site, ce qui me laisse sceptique : le risque est qu’il s’y crée des noyaux durs et un environnement difficile pour les surveillants qui y seront affectés. Dans certains pays comme l’Irlande, le regroupement de détenus – non pas islamistes mais radicaux sur un autre plan – avait été un échec. Êtes-vous partisans de l’expérimentation en cours, tout en étant conscients qu’il faudra l’évaluer très vite pour être en mesure de l’améliorer ? En l’occurrence, il s’agit d’écarter des détenus radicalisés pendant quelques mois ou quelques années, tout en veillant à leur prise en charge.

La surpopulation dans les maisons d’arrêt empêche le surveillant de faire son travail, j’en suis bien conscient. Il faut sans doute construire et revoir aussi le fonctionnement des établissements où se posent des problèmes d’autorité, de discipline et de respect des règlements.

M. James Vergnaud. Monsieur le député, en toute humilité et sans esprit polémique, nous pensons que la classification des établissements est une nécessité absolue et que mélanger les différents profils de personnes détenues, quels qu’ils soient, est une grave erreur.

Reste à définir le profil des islamistes radicaux qui seront incarcérés dans les quartiers spécifiques annoncés. Est-ce que ce seront les prévenus qui reviennent de Syrie ? Est-ce que ce seront les détenus qui appellent au djihad et font régner la terreur dans les maisons centrales, qui imposent leur joug aux plus faibles ? Ceux-là sont les imams officieux auxquels nous faisions précédemment référence, qui interdisent aux autres détenus de rencontrer l’aumônier officiel. C’est une très bonne idée de recruter des aumôniers supplémentaires mais encore faut-il qu’ils puissent intervenir. À Clairvaux, l’aumônier ne met plus les pieds à la prison depuis des mois parce qu’il a peur. Que fait-on ? Sans être habités par une idéologie particulière sur des questions aussi sensibles, nous pensons que la classification des établissements doit devenir un sujet.

M. Joseph Paoli, secrétaire régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Bordeaux du Syndicat des personnels de surveillance non gradés (SPS). Monsieur le député, je voudrais revenir sur le rôle primordial du surveillant qui vit au quotidien avec les détenus et peut les suivre sur la durée, contrairement aux enseignants ou aux autres intervenants. C’est le surveillant qui peut déceler des signes de radicalisation ou de peur, un changement d’attitude, de tenue vestimentaire, etc. C’est vraiment son rôle et non pas celui des autres intervenants. D’ailleurs, nos directions sont bloquées quand nous ne faisons pas remonter les informations, comme ce fut le cas, il y a quelques années, lorsque nous avons boycotté le cahier électronique de liaison lors d’un conflit : pendant un mois, rien n’a été diffusé à l’échelon supérieur. L'information, la vraie, émane des surveillants.

Je voulais aussi insister sur la nécessité de créer des établissements spécifiques pour éviter qu’un seul individu ne contamine une cellule de quatre ou cinq personnes.

M. Stéphane Barraut. Le rapport de l’inspection générale des services pénitentiaires sur les quartiers dédiés relève l’absence de sensibilisation des surveillants à la mise en place des outils d’observation, et la présence de personnels peu expérimentés. Il souligne aussi le manque de coordination entre les différents intervenants : la concertation se limite à quelques membres de la direction ; les contraintes et engagements des autres partenaires ne sont pas pris en compte, ce qui peut expliquer la pauvreté des activités mises en œuvre.

Alors que les partenaires extérieurs – personnel médical ou instituteurs – peuvent côtoyer des détenus pendant plusieurs heures, les contacts entre services restent peu développés. Les surveillants sont aux premières loges mais nous devons tous travailler dans la même direction. Le rapport met en exergue un manque de symbiose entre les partenaires, qui nuit à la bonne observation dans ce quartier dédié.

M. Joaquim Pueyo. Ce que vous venez de dire est très important. Ma question précédente visait à souligner que la radicalisation est l’affaire de tout un service. Si personne n’a remarqué qu’un détenu s’est radicalisé, il ne faut pas désigner les surveillants comme seuls responsables. Au Danemark, tous les acteurs travaillent ensemble sur ce phénomène – la police, les travailleurs sociaux, tout le corps social – ce qui donne une dimension vraiment forte aux expérimentations. Dans les établissements pénitentiaires, tout le personnel doit se sentir concerné. Certes, le surveillant joue un rôle éminent sous réserve qu’il soit bien formé, qu’il ne soit pas débordé, mais aussi qu’il puisse consacrer suffisamment de temps à la concertation avec ses collègues et les autres partenaires. À partir de là, un bon travail d’observation et de renseignement est possible.

M. Claude Tournel. En matière de renseignement pénitentiaire, il y a effectivement un gros travail à fournir. Celui-ci devrait être pluridisciplinaire, comme c’est le cas dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), où la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les surveillants, l’encadrement… travaillent ensemble.

En revanche, dans la plupart des établissements pénitentiaires, le renseignement est confié à un officier qui doit remplir aussi de nombreuses autres tâches – enquêtes disciplinaires, gestion de la sécurité… De plus, aucun poste spécifique n’a été créé. Le travail est donc difficile.

Quant au regroupement, nous estimons ne pas avoir assez de recul pour savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose. L’expérience de Fresnes a commencé au mois d’octobre dernier – avant les événements tragiques du mois de janvier. Elle n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune concertation. Mais nous avons connu l’expérience du Groupe islamique armé (GIA), dans les années 1990. Ces détenus, déclarés DPS (détenus particulièrement signalés) à 80 %, étaient dès lors accompagnés par un, voire deux agents lorsqu’ils se rendaient à l’unité psychiatrique de soins et d’accompagnement (UPSA), au parloir… Lorsqu’ils quittaient l’établissement, les forces de l’ordre étaient automatiquement présentes. Mais ils étaient gérés de façon individuelle : ils étaient seuls dans leur cellule, et en général pas plus de deux par unité de vie.

M. Jacques Myard. Ils étaient beaucoup moins nombreux !

M. Claude Tournel. Certes, mais je serais curieux de savoir combien il y a d’islamistes radicaux repérés dans nos prisons. Je ne sais pas si quelqu’un est capable de nous le dire aujourd’hui.

Nous disposons donc de différentes expériences. Il faudrait se mettre autour d’une table, avec l’administration pénitentiaire, pour comparer les systèmes et choisir le plus efficient.

M. Philippe Kuhn. S’agissant de la relation avec les intervenants extérieurs, je voudrais apporter un témoignage. Je suis en poste à la maison d’arrêt de Villepinte, où Amedy Coulibaly, l’un des auteurs des récents attentats, a passé près de quatre ans. D’autres détenus incarcérés dans le cadre de l’enquête sur ces mêmes faits sont également passés par Villepinte. Nous sommes donc au cœur du problème.

Les surveillants ont repéré qu’alors que l’imam se préparait à conduire la prière, une double prière s’est mise en place. L’imam, comme nous, a fait remonter toutes ces informations. Il a dû être protégé, car il craint pour sa vie : s’opposer à la double prière peut être dangereux. Je souligne que les détenus inscrits au culte musulman – et donc présents lors de ces prières, et exposés à ces éventuels discours – sont très nombreux.

Il faut donc, en effet, favoriser l’entente entre tous les services. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

M. Georges Fenech. Je commencerai par vous rendre hommage : nous sommes tout à fait conscients de la difficulté de vos métiers, compte tenu de la pénurie des effectifs et des moyens.

Monsieur Barraut, vous semblez dire que les quartiers dédiés ne fonctionnent pas. M. Pueyo estime qu’un établissement spécialisé serait voué à l’échec, en prenant l’exemple irlandais. Les questions qui se posent à notre commission sont les suivantes : comment empêcher la radicalisation ? Quelle est la part des musulmans dans la population des prisons ? Nous aimerions bien avoir ce chiffre, ou au moins un ordre de grandeur. Car il faudrait suffisamment d’aumôniers. Vous nous dites que ceux-ci ont peur – c’est la première fois que j’entends cela. Comment l’expliquez-vous ?

Certaines expériences, comme Guantanamo, peuvent être critiquées de façon très justifiée. Ne faudrait-il pas néanmoins créer un établissement entièrement réservé aux détenus radicalisés ? N’est-ce pas la seule solution pour établir une étanchéité totale, puisqu’apparemment, à Fresnes, les détenus radicalisés ont des contacts avec le reste de la population de la prison ? Cela aussi, je le découvre.

Combien y a-t-il aujourd’hui de matelas dans les prisons ?

Comment empêcher les téléphones portables d’entrer ? Mme Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire, a cité le chiffre de 27 000 portables saisis en 2014, ce qui paraît énorme ! Vous souhaitez un moratoire sur l’application de l’article 57 de la loi de 2009, et le rétablissement des fouilles systématiques : est-ce vraiment possible ? N’y a-t-il pas d’autres moyens, notamment des portiques ? Ne peut-on pas parer aux jets de portables depuis l’extérieur ? N’est-il pas possible d’installer des brouilleurs ? Je suis pour ma part très perplexe.

Mme la garde des sceaux a annoncé un programme de lutte contre la radicalisation. Est-il déjà entré en application dans vos établissements ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. S’agissant des téléphones, que pensez-vous du projet d’installation dans les cellules de téléphones fixes, avec des numéros bloqués ?

M. Elyamine Saïd, secrétaire régional pénitentiaire Île-de-France de la Fédération Interco CFDT. Nous sommes opposés à l’installation de ces téléphones fixes, qui ne seront qu’un nouveau problème pour nous, même avec des numéros bloqués : tous les détenus n’ont pas les mêmes moyens, certains pourront se regrouper pour téléphoner…

Quant aux regroupements, le problème qui se pose à Fresnes est que ces détenus étiquetés PRI se trouvent en promenade, en activités, en salle de musculation avec d’autres. Ils ne sont pas isolés du tout. Ce n’est donc pas la solution. Mais la création d’un établissement réservé à ces détenus ne nous paraît pas une bonne solution non plus : cela serait une bombe à retardement. Il ne sera pas possible de les isoler. J’ai moi-même travaillé dans un quartier d’isolement, et les détenus ne sont pas véritablement isolés : ils sortent de leurs cellules individuellement, mais à ce moment, les détenus peuvent se parler. On ne peut pas l’empêcher ! Ils peuvent aussi se parler par les fenêtres. J’ajoute qu’à Fresnes, ces détenus se considèrent comme privilégiés, et ils s’adressent directement aux chefs…

La solution ne réside-t-elle pas plutôt dans un travail en amont, avec des associations ? Aujourd’hui, il n’y a pas le moindre suivi. Aucun effort n’est fait pour déradicaliser ces gens-là : ils sont livrés à eux-mêmes. Dans chaque établissement, il devrait y avoir un petit quartier, avec des agents formés, mais aussi avec un suivi, des associations pour travailler avec eux.

M. Stéphane Barraut. Il a été beaucoup question des quartiers dédiés par réaction aux événements du mois de janvier. On a parlé d’isolement des détenus radicaux à Fresnes, mais ce n’est pas le cas : il n’y a pas d’étanchéité. Il y a des activités en commun, la communication est possible durant la promenade. De plus, les surveillants de Fresnes vous diront que les deux détenus radicaux les plus dangereux ne sont pas dans ce quartier. Il y a donc eu un effet d’annonce, mais le problème n’est pas traité. On tâtonne. C’est pourquoi nous disons bien que nous n’avons pas assez de recul pour conclure. Effectivement, il faudrait des établissements spécialisés pour les détenus extrêmement dangereux, mais pour les détenus radicalisés, nous ne pouvons pas nous prononcer.

Il y a aujourd’hui, monsieur le député, plus de mille matelas dans les cellules.

Quant aux portables, le chiffre de 27 000 est juste. Il y en avait moitié moins il y a cinq ans.

Nous parlons de moratoire sur l’application de l’article 57, car celui-ci a été mis en œuvre sans se préoccuper de la sécurité. Des techniques de détection des portables devaient être développées, mais les portiques à ondes millimétriques – dont l’installation a coûté plusieurs millions d’euros – ne sont pas fiables. L’interdiction des fouilles systématiques à la sortie des parloirs permet aux portables d’entrer en prison bien plus facilement : une étude a montré que, depuis la fin des fouilles, il y a moins de jets de portables depuis l’extérieur. Pourquoi lancer des portables quand il suffit d’utiliser les parloirs ? C’est un véritable fléau, et il nous paraît nécessaire de rétablir les fouilles dès lors qu’il y a un contact avec l’extérieur. Les détenus connaissent cette faille et savent bien que, dès lors qu’il faut pour les fouiller une procédure écrite compliquée, ces fouilles ne sont plus faites.

M. David Daems, secrétaire national du syndicat national pénitentiaire des personnels de surveillance Force ouvrière (FO). Il faut que le dogme politique saute : vous tous, élus, devez-vous poser la question de la sécurité au sein de nos prisons, trop longtemps balayée d’un revers de main par peur des préjugés, de la stigmatisation… Mais, à force d’attendre, nous avons vingt ans de retard : voilà bien longtemps que les personnels de surveillance ont signalé la force du prosélytisme et l’importance de la radicalisation islamique en prison.

Il va aussi falloir arrêter d’aller voir chez nos voisins ce qui s’y passe, ce qui n’y marche pas. La France est la sixième puissance mondiale : prenons les rênes de notre destin et soyons au rendez-vous de l’Histoire ! Les événements tragiques du mois de janvier nous ont montré que le danger est bien là.

Actuellement, le ministère de la justice étudie le cas d’une vingtaine de détenus à Fresnes. Mais il faut arrêter de croire qu’il n’y a qu’une poignée de détenus radicalisés, même à Fresnes ! Leur nombre est bien plus élevé. Il y a aussi différents niveaux de radicalisation : il ne faut pas se contenter d’observer de près les détenus condamnés pour des faits de terrorisme ; il faut envisager le problème de façon beaucoup plus large.

Nos collègues de Fresnes se demandent comment agir avec les détenus radicalisés, qui ne sont pas repérés comme terroristes, pas ciblés par l’administration, mais qui continuent de se livrer au prosélytisme. La radicalisation est aujourd’hui un phénomène viral, et c’est pourquoi nous proposons de regrouper les détenus concernés dans un seul établissement, afin de former des personnels spécialisés. On pourrait d’ailleurs imaginer d’autres établissements spécialisés, à but sanitaire par exemple ; aujourd’hui, Château-Thierry accueille par exemple des personnes souffrant de troubles psychopathologiques importants. Ce regroupement, dans un établissement spécialisé, des détenus radicalisés n’a jamais été essayé. Vous nous dites, monsieur le député, que cela n’a pas marché en Irlande : mais pourquoi cela ne marcherait-il pas en France ? Nous n’avons pas la même histoire, la même culture, les mêmes préoccupations que les Irlandais ou les Danois. Nous n’avons d’ailleurs pas toujours les mêmes moyens non plus : en Suède, pour 5 000 détenus, il y a 5 000 surveillants ! En France, nous avons 25 000 surveillants pour 68 000 détenus. Soyons donc précurseurs.

Quant aux téléphones portables, ils ne servent pas aux détenus pour entretenir des liens avec leur famille : ils servent à entretenir leur business. L’objectif est donc d’empêcher ces téléphones d’arriver dans les prisons, notamment en abrogeant l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009. Il est tout à fait possible de le faire et de rétablir les fouilles à corps lors des retours de parloir – il suffirait de s’en donner les moyens.

Sur le fond, il y a une évolution des pratiques de recrutement : il y a vingt ans, les détenus issus du GIA s’affichaient comme islamistes – avec grandes barbes, tenues traditionnelles et appels à la prière. Malgré les alertes lancées par les surveillants, l’administration a laissé faire. L’islamisme s’est donc répandu. Aujourd’hui, la radicalisation a changé : un meneur prosélyte se rase la barbe... La maîtrise des médias – à commencer par YouTube – des groupes islamistes internationaux se retrouve en prison. Il faut avoir conscience de cette très grande capacité d’adaptation. Dès lors, le travail d’observation est primordial, mais impossible à réaliser aujourd’hui parce que les personnels de surveillance exercent leur métier dans des établissements surpeuplés, dans lesquels la simple gestion des flux occupe tout leur temps. Avec toujours moins de moyens et toujours plus de détenus, le guet-apens se referme sur eux.

M. Claude Tournel. Nous sommes incapables de dire aujourd’hui combien nos prisons comptent de musulmans, de catholiques ou de protestants. Lorsque le détenu arrive, il peut déclarer une religion, mais nous ne pouvons pas vous donner de chiffres exacts, comme d’ailleurs pour les détenus radicalisés dans les prisons. On a l’impression parfois que nos prisons sont entièrement radicalisées : c’est certes un phénomène qui existe, bien sûr, mais je ne pense pas que cela concerne des milliers de détenus.

Je voudrais revenir sur le repérage et le regroupement de ces personnes radicalisées. J’ai connu les quartiers de haute sécurité : s’ils ne fonctionnaient pas – et on a fini par les fermer – c’est parce que personne, ni le juge d’application des peines, ni le directeur de la prison, ne voulait prendre la responsabilité d’en sortir un détenu pour le remettre dans le circuit classique, de peur qu’il ne s’évade. Les détenus croupissaient donc dans les QHS. L’UFAP n’a pas aujourd’hui de jugement tranché sur l’opportunité de regrouper les détenus radicalisés : nous manquons de recul, je l’ai dit. Je redis que nous avons l’expérience des détenus du GIA – qui, s’ils n’étaient pas extrêmement nombreux, étaient tout de même une vingtaine à Bois-d’Arcy. Si regroupement il doit y avoir, il faut établir une étanchéité réelle, ce qui n’est absolument pas le cas à Fresnes aujourd’hui : les détenus radicalisés peuvent par exemple se rendre à la salle de musculation, un par un ou deux par deux, mais en même temps que les autres.

Je n’écarte pas l’hypothèse d’un établissement spécialisé, mais il faudra nous donner les moyens de le gérer. De plus, il faudra prévoir le moment, inévitable, où ces détenus rejoindront le circuit normal.

M. Christophe Cavard. S’agissant des « signaux faibles » de radicalisation, on nous a parlé, lors de visites de terrain, de formation des personnels, en nous montrant des exemples de ces formations qui se mettent en place. Où en est-on sur ce sujet ? Ce que nous avons vu était séduisant, mais qu’en est-il en réalité ?

Par ailleurs, avez-vous entendu parler de cas de radicalisation de certains personnels ?

Quel doit être, selon vous, le rôle de la prison ? La commission accorde de plus en plus d’importance aux facteurs psychologiques, identitaires de la radicalisation. Quel est le rôle des intervenants extérieurs en prison, et comment travaillez-vous avec eux, notamment avec les aumôniers ? Ceux qui sont déjà radicalisés ne sont pas intéressés par des contacts avec l’imam de la prison, et celui-ci ne peut donc pas faire grand-chose. Mais il peut jouer un rôle. Quels sont les autres intervenants qui pourraient être utiles ?

M. Jacques Myard. L’islam est, vous le savez, une religion qui n’est pas centralisée : chacun peut se proclamer imam, ce qui est une partie du problème.

Vous ne résoudrez pas les problèmes de la radicalisation en prison : c’est un problème qui vous dépasse ! La prison n’est pas étanche. C’est toute la société française qui doit réaffirmer ses principes.

Vous avez donné le nombre de surveillants et le nombre de détenus : le manque de moyens est tout à fait criant.

Quant à la fouille systématique, elle doit être faite. Mais nous nous heurtons ici à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme car, sur ce point, nous ne sommes plus souverains.

Vous évoquez le problème du contrat de travail des détenus. Mais je n’ai pas le sentiment que les détenus radicalisés aient envie de travailler.

Nous sommes donc incapables d’avoir des prisons étanches, un quartier étanche au sein des prisons. Sans revenir au bagne de Cayenne, ne peut-on pas changer complètement de méthode, de concept pour regrouper les radicaux ?

M. Jean-Philippe Guilloteau. S’agissant des intervenants extérieurs, le ministère de la justice a notamment choisi l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT). Ces actions n’ont pas commencé, en tout cas à Fresnes. Nous attendons donc de connaître comment seront pris en considération ceux que l’administration pénitentiaire appelle pudiquement les PRI.

En matière de renseignement, tous les acteurs doivent jouer le jeu, et en particulier la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Or, très récemment, un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) a signalé le changement d’attitude d’une personne suivie : la barbe qui pousse, des propos religieux qui reviennent dans les discussions… Or le commandant de la DGSI a convoqué cette personne, placée sous main de justice, et lui a demandé de s’expliquer sur ce signalement, en indiquant par qui il avait été fait. Nous avons saisi le ministère pour qu’une enquête soit diligentée. Comment les personnels peuvent-ils travailler l’esprit tranquille dans de telles conditions ? Aujourd’hui, cet agent a peur, puisqu’une personne placée sous main de justice qui a été signalée l’a identifié ! Le ministère doit donc déjà régler ces problèmes dans la gestion du renseignement.

M. Patrick Mennucci, rapporteur. Mais ce ne peut être qu’un problème de l’administration pénitentiaire ! Comment la DGSI peut-elle avoir eu connaissance du nom de cette personne ? C’est stupéfiant. Nous avons passé plusieurs heures aux Baumettes la semaine dernière, avec les personnels qui font du renseignement pénitentiaire. Nous avons admiré leur travail, leur investissement dans leurs missions, et je l’ai d’ailleurs dit dans la presse locale. Mais je ne comprends pas comment la DGSI peut avoir eu connaissance du nom de la personne qui donne un tel renseignement. Si c’est le cas, l’administration pénitentiaire a commis une erreur.

M. Jean-Philippe Guilloteau. Cette histoire s’est déroulée en milieu ouvert. Mais, nous sommes d’accord, il y a eu une erreur, et c’est pourquoi nous avons demandé à la garde des sceaux de diligenter une enquête. En tout cas, il n’y a pas d’erreur de la part de l’agent elle-même.

À Fresnes, il n’y a pas aujourd’hui de quartier dédié. Il n’y a que des cellules dédiées, ce qui n’a rien à voir. Il est tout à fait vrai qu’il n’y a aucune étanchéité, et que les détenus concernés discutent avec qui ils veulent – cela fait quatre mois et demi que cela dure.

Construire des prisons, pourquoi pas, mais dans quel but ? Il faudrait surtout remettre en place la formation. La formation des détenus a été abandonnée par l’administration. Les islamistes radicaux, bien sûr, n’ont certainement pas envie de s’engager dans une formation d’ébéniste ou de travailler. Mais je vous parle de ceux qui, eux, en ont envie, et qui, occupés, n’écouteront pas ceux qui prêchent…

Il y a aujourd’hui 183 imams pour 189 établissements pénitentiaires : c’est déjà un problème. De plus, les imams sont les seuls religieux qui ne montent pas dans les cellules pour discuter avec les détenus. Les aumôniers catholiques, eux, le font, sans aucun problème.

M. Christophe Cavard. Cela dépend peut-être des endroits…

M. Jean-Philippe Guilloteau. En tout cas, dans tous les établissements que nous avons visités, ils ne le font pas.

M. Jacques Myard. Où les imams voient-ils alors les détenus ?

M. Jean-Philippe Guilloteau. Dans les locaux dédiés aux cultes.

M. Joaquim Pueyo. On peut s’interroger sur le fait que les aumôniers entrent dans les cellules. Je suis, je l’avoue, sceptique. Nous parlons tout de même ici d’établissements laïcs !

M. Jean-Philippe Guilloteau. La liberté de culte est assurée en prison.

S’agissant de la formation professionnelle, beaucoup a été dit. Nous regrettons qu’à Fresnes, à ce jour, seuls des personnels d’encadrement aient été formés ; les surveillants chargés des PRI, eux, ne l’ont pas été. Le jour de l’une de nos visites, l’agent chargé des vingt-cinq PRI de la division arrivait d’un autre service totalement différent, et n’avait reçu aucune consigne. Il se débrouillait comme il pouvait. Les surveillants ont bien sûr l’habitude de changer fréquemment de service et de lieu d’exercice. Mais il s’agit là de détenus très particuliers, et l’absence de formation aurait pu poser problème. L’administration doit arrêter de marcher sur la tête : tous doivent être formés, et tout de suite. Le jour de cette visite, la formation n’était pas même programmée...

Nous n’avons pas entendu parler de personnels radicalisés. Cela peut certainement arriver, car le recrutement n’est pas forcément très bon. Naguère, il y avait 30 000 candidats au concours pour 200 postes ; aujourd’hui, c’est plutôt 12 000 candidats pour 1 000 postes ! La sélection n’est donc pas la même. Certains agents peuvent être fragilisés à leur arrivée, mais c’est très certainement une infime minorité. J’appartiens à cette administration depuis trente ans, et je remarque surtout que les surveillants viennent de tous les horizons, appartiennent à toutes les religions : je peux me tromper, mais je n’ai pas l’impression que cela pose plus de problèmes aujourd’hui que cela n’en posait hier.

Monsieur le député, vous posez la question du rôle de la prison. Nous nous la posons tous ! Nous ne pouvons pas, nous l’avons dit en préambule, régler tous les problèmes que la société n’a pas réussi à régler. Ce n’est pas en prison que se fera la déradicalisation. Mais, en prison, quelle conduite tenir ? Et, à la sortie, qui prendra les anciens détenus en charge ?

La Belgique suit une voie différente de la nôtre, en condamnant notamment beaucoup moins.

M. Jacques Myard. Mais la Belgique a la plus forte proportion de djihadistes dans sa population !

M. Jean-Philippe Guilloteau. Il faut sans doute regarder à l’étranger ce qui se fait. D’autres ont sans doute plus de recul, puisque l’administration pénitentiaire française a, pendant des années, choisi de ne pas entendre ce que nous lui disions.

Sur les statistiques, je précise que le chiffre de 25 000 surveillants englobe tous les corps, jusqu’aux commandants. Les quatre grades de surveillants – les agents au contact quotidien des détenus, ceux qui ouvrent et ferment les portes – ne comptent que 18 000 personnes. Les autres sont des gradés, des officiers. Voilà comment on en arrive à un surveillant pour 100 ou 150 détenus.

M. James Vergnaud. Un détenu peut pratiquer un islam très rigoriste sans que cela en fasse pour autant un terroriste. Il faut en tenir compte dans nos débats sur les formations – il est d’ailleurs regrettable que ces débats ne se tiennent pas au niveau de la chancellerie, mais seulement au sein de l’administration pénitentiaire. La formation doit permettre au surveillant d’observer si une personne détenue qui pratiquerait sa religion d’une façon très rigoriste, ce qui est son droit, doit être considérée comme potentiellement dangereuse.

C’est surtout contre le prosélytisme qu’il faut lutter sans faiblesse, car c’est là que sont les enjeux pour la sécurité. Bien sûr, tous ne deviendront pas terroristes, mais il faut souligner que les individus qui ont fait régner la terreur dans notre pays étaient tout de même des repris de justice : la prison est un sujet important.

Encore une fois, il faut repérer les personnes qui pratiquent un islam radical, mais aussi et surtout ceux qui peuvent être très dangereux lorsqu’ils sortent de prison. Ce n’est pas la même chose.

M. Christophe Cavard. Vous n’avez donc reçu aucune information sur les modules de formation.

M. James Vergnaud. Non.

M. Claude Tournel. Un module de formation va être mis en place à l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ÉNAP) à Agen avant l’été, mais cela ne concernera dans un premier temps qu’une trentaine de personnes. Ces modules ne seront intégrés à la formation continue qu’à partir de la 188e promotion. Mais nous ne savons rien du contenu de ce plan. Il y a tout de même autour de cette table quatre organisations syndicales représentatives, qui siègent au comité technique de l’administration pénitentiaire…

M. Christophe Cavard. On nous a montré quelques exemples de formation et le plan sera présenté prochainement. Je ne voudrais pas créer de polémiques inutiles. Ce qui est important, c’est la façon dont tous les surveillants pourront être formés.

M. Claude Tournel. On peut aussi s’interroger sur les effectifs de formateurs. Les budgets de formation ont fondu comme peau de chagrin. De plus, nous sommes en sous-effectif chronique : comment pourrons-nous assister à ces formations ? Il faut également savoir que les formateurs du personnel vont bientôt former les codétenus de soutien.

M. James Vergnaud. J’ajoute que le niveau d’exigence pour les formations est très important : je me répète, mais il est possible de pratiquer un islam très radical sans devenir dangereux pour la société. Tout cela est bien difficile à définir pour les personnels de surveillance que nous sommes.

Quant au renseignement, il est déjà de qualité dans l’administration pénitentiaire, comme l’a montré notamment l’affaire Nemmouche. Mais il vaudrait mieux prévenir que guérir : alerter que telle ou telle personne s’est radicalisée en prison, c’est une chose, mais il serait encore mieux d’éviter qu’elle ne se radicalise.

Qu’il y ait des personnels dans l’administration pénitentiaire qui pratiquent l’islam, c’est un fait ; si quelques-uns se sont radicalisés, c’est un phénomène marginal. Nous n’avons pas de difficultés majeures à signaler dans le vivre-ensemble des personnels de surveillance.

M. Jacques Myard. Aviez-vous repéré Amedy Coulibaly ?

M. Philippe Kuhn. Il n’assistait pas au culte. Il s’est renfermé petit à petit, et cela a été signalé à notre hiérarchie. Il disposait d’un ordinateur en cellule, ordinateur qui a bien sûr été étudié. Mais il n’avait pas de comportement particulièrement agressif. Peu de temps avant sa libération, nous avions bien vu que le contact avec les femmes se faisait de plus en plus difficile. Il travaillait à la buanderie. Mais, encore une fois, le comportement d’Amedy Coulibaly ne laissait rien présager : c’est toute la difficulté du repérage. Il faudrait vraiment que les agents puissent consacrer du temps à cette tâche, mais en pratique, c’est la course permanente dès la prise de service, en essayant de finir au mieux sans trop d’incidents…

M. Joseph Paoli. La difficulté, encore une fois, réside dans la détermination du degré de danger de ces personnes. J’ai vécu moi-même l’expérience d’un détenu converti, qui a basculé dans le monde islamiste, endoctriné par d’autres, que nous avions bien repérés. Ces personnes converties peuvent se dissimuler très facilement dans notre société.

M. le rapporteur. Le rôle des convertis est effectivement important. En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, on nous a signalé plusieurs individus particulièrement surveillés, dont la plupart étaient des convertis.

M. Jean-Philippe Guilloteau. À Fresnes, le détenu signalé à la direction comme le plus dangereux par les responsables de détention ne fait pas partie de ceux qui sont mis de côté. Il est au milieu des autres, et il prêche comme il veut…Le ministère de la justice rappelle qu’il y a aujourd’hui en France 302 détenus écroués pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste, et que 167 d’entre eux sont des islamistes radicaux, mais que 14 % d’entre eux seulement ont été écroués par le passé. La radicalisation ne se fait donc pas essentiellement en prison.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Merci à tous.

La séance est levée à 10 heures 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Cavard, M. Éric Ciotti, M. Georges Fenech, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Patrick Mennucci, M. Jacques Myard, M. Joaquim Pueyo, Mme Michèle Tabarot

Excusés. - M. François Loncle, M. Patrice Verchère