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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Mardi 17 mars 2015

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 34

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de Mme Geneviève Gosselin-Fleury, vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Samir Amghar, chercheur en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

La séance est ouverte à 18 heures.

Présidence de Mme Geneviève Gosselin-Fleury, vice-présidente.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Monsieur Amghar, nous vous remercions d’avoir accepté l’invitation de notre commission d’enquête portant sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Vous avez obtenu un doctorat en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et êtes spécialiste de l’islam en Europe. En 2011, vous avez publié un ouvrage intitulé Le salafisme d’aujourd’hui. Nous sommes heureux de pouvoir entendre vos analyses sur l’évolution du djihadisme et sur les moyens de lutter contre la radicalisation.

Cette audition, ouverte à la presse, fera l’objet d’un compte-rendu écrit qui vous sera soumis et que la commission pourra citer intégralement ou partiellement dans son rapport. Celle-ci pourra également faire état de vos observations portées sur le compte-rendu.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur Amghar, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Samir Amghar prête serment).

M. Samir Amghar, chercheur en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Deux thèmes importent pour comprendre le phénomène djihadiste : les facteurs de la radicalisation et les programmes de déradicalisation mis en œuvre dans des pays européens et du monde arabe.

Plusieurs experts ont tenté de comprendre les raisons conduisant des jeunes à commettre des attentats en France ou à partir en Syrie pour rejoindre des groupes djihadistes et combattre le régime de M. Bachar el-Assad.

Le premier motif est de nature idéologique et repose sur une lecture particulière de l’islam qui invite les croyants à prendre les armes et à user de la violence politique pour défendre les musulmans menacés. Un certain nombre de responsables religieux, issus notamment du Conseil français du culte musulman (CFCM), affirment que les auteurs d’attentats agissent pour des causes qui n’ont rien à voir avec l’islam et insistent sur le besoin de revenir à une lecture plus orthodoxe et rigoureuse des préceptes de la religion musulmane sur la violence.

Les individus peuvent également se radicaliser à cause d’un sentiment de frustration politique. Ils ne peuvent pas exprimer leur opposition à l’action des pouvoirs publics en matière d’islam sans que celle-ci soit pénalisée ou criminalisée. En septembre 2012, un groupe de jeunes musulmans de la banlieue parisienne a voulu organiser une manifestation devant l’ambassade des États-Unis pour protester contre la diffusion d’un film mettant en scène le prophète de l’islam ; des policiers ont empêché le rassemblement et ont arrêté certains manifestants. Confrontés à ces situations, les jeunes ont le choix entre se taire ou passer à l’action violente pour se venger de ce qu’ils considèrent être une injustice faite aux musulmans. Si la plupart d’entre eux optent pour le silence, une petite minorité décide d’utiliser l’arme de la violence politique.

Le troisième facteur de radicalisation découle de la criminalisation des personnes se revendiquant du djihadisme. Les personnes ayant choisi le djihad font l’objet de surveillance et certaines d’entre elles sont incarcérées. Ces individus se radicalisent car ils savent que la loi les punit. Le système législatif français a des effets contre-productifs, car il légitime a posteriori les positionnements idéologiques des djihadistes. La prison peut avoir un effet curatif et dissuasif en permettant à certaines personnes de se rendre compte du caractère mauvais de leurs actions ou des conséquences carcérales de celles-ci. Cela fut notamment le cas pour M. Farid Benyettou, chef de la filière irakienne des Buttes-Chaumont à laquelle appartenait l’un des frères Kouachi : après avoir passé sept années en prison, il suivit des études d’infirmier et changea d’idée en matière de djihad. En revanche, la prison n’eut pas cet effet positif sur Amedy Coulibaly, Mohammed Merah et Medhi Nemmouche. Le renforcement de l’arsenal juridique pourrait ancrer davantage les convictions djihadistes de personnes condamnées à une peine d’emprisonnement.

Les programmes de déradicalisation mettent l’accent sur tel ou tel aspect en fonction de la nature de la radicalisation de la personne suivie. Si l’on considère que la radicalisation résulte avant tout d’une lecture étriquée de l’islam, le programme insistera sur la dimension religieuse. Il s’agira alors de produire un contre-discours visant à détricoter l’idéologie djihadiste. Au Royaume-Uni, on a ainsi tenté de mettre en avant la tendance quiétiste du salafisme pour déconstruire et délégitimer, sur un fondement religieux, la pensée djihadiste. De même, lors de la guerre civile, les autorités algériennes ont mis en avant une fraction du salafisme qui possédait une forte capacité de persuasion intellectuelle et qui a incité des djihadistes à déposer les armes. Dans ces deux pays, le développement du djihadisme fut contenu grâce au déploiement de cette politique.

Si l’on lit la radicalisation comme une conséquence d’une frustration et d’un ressentiment politiques, le programme mettra en place une structure pouvant jouer le rôle de court-circuit politique. Ainsi, face au développement du djihadisme dans le monde arabe, certains pays ont légalisé des partis islamistes. Ces gouvernements ont pensé que l’interdiction de l’expression d’une certaine forme d’islam politique reviendrait à favoriser la clandestinité et la marginalisation d’individus qui se radicaliseraient d’autant plus facilement. Au lendemain des attentats de 2003 à Casablanca, le Maroc s’est refusé, malgré la pression d’une partie de l’opinion publique, à interdire le parti de la justice et du développement (PJD) pour ne pas nourrir le djihadisme.

Certains pays européens et arabes considèrent que la pénalisation excessive produit de la radicalisation. Ils estiment donc nécessaire d’accompagner la lutte contre le djihadisme d’un volet préventif reposant sur une logique de réinsertion sociale et politique et visant à éviter l’approfondissement de la radicalisation. Le Danemark a mis en place depuis quelques mois un programme de déradicalisation cherchant à faire revenir des individus partis en Syrie et à les réinsérer. Les Danois veulent être efficaces et pensent que la réinsertion des djihadistes constitue le meilleur moyen de les démobiliser ; les responsables politiques danois ne portent pas de jugement de valeur sur l’engagement djihadiste passé de ces personnes – ils ne les nomment d’ailleurs pas terroristes, mais rebelles.

Éléments importants de la lutte contre la radicalisation, ces programmes ne représentent pas une solution miracle, et certaines personnes les ayant suivis ont récidivé. D’après des chiffres diffusés par les autorités saoudiennes, 10 % des bénéficiaires de ces programmes renouent avec le djihadisme et réintègrent des cellules combattantes.

M. Patrick Mennucci, rapporteur. Comment analysez-vous l’attitude de MM. Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafar qui ont légalisé le parti Ennahda en 2011 après la fuite de M. Zine el-Abidine Ben Ali, et les résultats politiques de ce choix aujourd’hui ?

M. Samir Amghar. J’ai rencontré des conseillers politiques de M. Marzouki qui m’ont expliqué le caractère très pragmatique de la démarche suivie par leur chef en matière d’islam politique et de djihadisme. M. Marzouki considérait que les djihadistes tunisiens étaient des acteurs incontournables de la vie religieuse et politique, et qu’il ne fallait surtout pas en faire des ennemis. Entre 2011 et 2014, il a donc favorisé leur institutionnalisation afin que celle-ci induise leur déradicalisation.

M. le rapporteur. Quel lien établissez-vous entre Ennahda et les djihadistes ?

M. Samir Amghar. M. Marzouki a décidé de faire des concessions et a intégré les islamistes dans le jeu politique, afin que ce dernier les amène à effectuer des compromis, cette dynamique devant nourrir la déradicalisation. Les statuts du parti communiste français (PCF) prévoyaient, jusqu’en 1977, l’instauration de la dictature du prolétariat. Associer des partis révolutionnaires à la vie institutionnelle permet d’obtenir une atténuation du contenu extrémiste de leur discours, et l’expérience récente des islamistes tunisiens le prouve dans une certaine mesure.

M. le rapporteur. Le choix de MM. Marzouki et Ben Jaafar a institutionnalisé Ennahda qui a participé au pouvoir, puis qui a accepté sa défaite électorale ; a-t-il eu une influence sur le développement de la radicalisation en Tunisie, sachant que ce pays présente le contingent de recrues étrangères de Daech le plus fourni ?

M. Samir Amghar. L’idéologie de l’islam politique mue continuellement et a subi de nombreuses évolutions depuis les années soixante-dix. Au contact du pouvoir, les partis se réclamant de cette orientation ont tendance à se déradicaliser et à changer leur contenu programmatique ; ainsi, certains islamistes, une fois nommés au gouvernement, ont abandonné l’idée de créer un État islamique. Leur adaptation au réel leur permet de répondre à l’offre politique et de prendre en compte le rapport de force du moment.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. La radicalisation des personnes quittant le territoire français vous paraît-elle d’essence plutôt religieuse ou politique ?

M. Samir Amghar. Il est difficile d’évaluer la part des facteurs religieux et politique dans ces processus, mais l’on sait que ces individus ont l’intime conviction de ne pas agir à l’encontre des lois. Empreints de naïveté politique, ils considèrent que leur engagement correspond à un idéal de justice religieux et politique.

En 2002, un an avant son arrestation, j’ai reçu M. Benyettou, qui opérait une différence entre les conflits opposant des musulmans à des non-musulmans et dans lesquels le djihad était légitime, et les pays où la tension était contenue et dans lesquels il n’y avait pas lieu de commettre des attentats. Ainsi, dans son esprit, il était possible de rejoindre des cellules djihadistes en Irak, mais l’islamophobie ne constituait pas une raison suffisante pour se lancer dans l’action terroriste en France. M. Benyettou a peut-être incité certains individus à partir en Irak, mais il pensait que la lutte contre l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école devait se mener dans le cadre démocratique, notamment par le biais de manifestations.

M. le rapporteur. En prenant l’exemple d’une manifestation devant l’ambassade des États-Unis à Paris, vous avez indiqué que des personnes considéraient que la loi de la République était particulièrement dure à leur encontre et que leur protestation était interdite parce qu’ils étaient musulmans. Comment leur expliquer que la règle n’est pas édictée en fonction de la religion des gens ? Une telle mesure est motivée par le fait que la France a toujours protégé les ambassades installées sur son territoire et qu’elle attend que les autres pays fassent de même pour ses postes diplomatiques.

M. Samir Amghar. La politique, c’est de la perception. Ces arrestations n’ont en effet rien à voir avec une quelconque volonté de discriminer l’islam, mais une partie des musulmans, peut-être les plus militants d’entre eux, ont pensé que cet événement illustrait le fait qu’il n’était pas possible pour eux d’exprimer un mécontentement sans être arrêtés et disqualifiés. Il convient de faire montre de pédagogie pour combattre cette perception et d’expliquer que l’islam a toute sa place dans la République, dès lors que ses fidèles respectent l’ordre public et la loi de la majorité.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Comment accompagner et traiter les personnes rentrant en France en provenance d’Irak ou de Syrie ?

M. Samir Amghar. Il serait opportun de s’inspirer du modèle danois, car il associe un programme de réinsertion au volet répressif. Ainsi, les personnes revenant de Syrie bénéficient d’un suivi psychologique, religieux et socio-éducatif, et se voient offrir une aide pour reprendre des études ou un travail.

M. le rapporteur. Qu’est-ce que la doctrine quiétiste ? En France, les mosquées salafistes sont-elles toutes quiétistes ? Certaines d’entre elles diffusent-elles un discours favorable au djihad ?

M. Samir Amghar. Le salafisme est un mouvement ultra-orthodoxe de l’islam développant une approche littéraliste des versets coraniques et de la tradition prophétique. Une multitude de tendances s’est développée au sein de cet ensemble ; elles s’opposent entre elles sur les plans religieux et politique. La particularité du salafisme français réside dans la large domination de sa branche quiétiste. Le discours de cette dernière vise à former les « musulmans sociologiques » et les convertis au véritable islam. Les tenants de cette mouvance se caractérisent par leur apolitisme et par leur rejet de la violence ; ils s’opposent ainsi systématiquement au positionnement politique des Frères musulmans en Égypte – en France, ils critiquent M. Tariq Ramadan – et à celui des islamistes marocains et algériens, car ils considèrent que l’islam n’est que religieux.

M. le rapporteur. Participent-ils aux scrutins électoraux en France ?

M. Samir Amghar. Le salafisme quiétiste critique les valeurs dominantes de la société et ne les reconnaît pas car elles ne sont pas régies par les lois islamiques. Un fossé existe cependant entre le discours et la pratique, car l’environnement, perçu comme hostile, conduit à réaliser des compromis. Le discours salafiste quiétiste peut sembler radical et sectaire puisqu’il ne reconnaît pas les principes autour desquels s’organise la société, mais ses partisans font des efforts pour s’intégrer. L’imam salafiste de Brest, M. Rachid Abou Houdeyfa, très populaire auprès des jeunes musulmans, diffuse régulièrement des vidéos sur Internet qui sont visionnées par plusieurs dizaines de milliers d’individus ; il développe à partir de la matrice salafiste quiétiste l’idée selon laquelle il est tout à fait possible de concilier salafisme et intégration dans la société française. La majorité des salafistes quiétistes considèrent néanmoins qu’il s’avère impossible d’être pleinement musulman en France et qu’il y a lieu de retourner dans les pays d’origine.

M. le rapporteur. Pourquoi M. Abou Houdeyfa a-t-il développé cette intéressante idée ?

M. Samir Amghar. Il est difficile de répondre à cette question car il refuse toutes les sollicitations des journalistes et des chercheurs. On sait qu’il a dressé un bilan critique du salafisme quiétiste. Le salafisme promu par les théologiens d’Arabie saoudite se révèle difficile à vivre en France, puisqu’il conduit à refuser de travailler et à rejeter les valeurs de la société. M. Abou Houdeyfa estime que ce discours n’est pas opérationnel pour les musulmans français et cherche à enraciner le salafisme en France car il a constaté que les salafistes de deuxième et de troisième génération vivant dans notre pays étaient complètement acculturés. Le salafisme a mauvaise presse puisqu’il se trouve souvent assimilé au djihadisme et au terrorisme, et cet imam cherche à redorer le blason de ce mouvement.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Ces salafistes quiétistes à la française pourraient-ils intervenir dans des programmes de déradicalisation ?

M. Samir Amghar. Ils pourraient en effet servir de relais, dans la mesure où le salafisme quiétiste se nourrit de la même matrice idéologique que celle du salafisme djihadiste. Ils disposent donc d’arguments théologiques pour démontrer à des individus partis en Syrie qu’ils ont commis une erreur au regard des commandements de l’islam. Il faudrait cependant que cette intervention des salafistes quiétistes soit discrète pour ne pas les déconsidérer aux yeux de leurs ouailles.

M. le rapporteur. Quelle est la doctrine des salafistes quiétistes en matière de travail ? Acceptent-ils que les musulmans soient fonctionnaires ou salariés dans une entreprise privée ou doivent-ils se cantonner à la profession de commerçant ?

M. Samir Amghar. Les salafistes ont évolué sur cette question, car ils acceptent l’intégration dans la société française. On voit ainsi de plus en plus de personnes se revendiquant du salafisme intégrer la fonction publique, la SNCF ou la RATP. On assigne souvent les individus à une idéologie, alors qu’ils évoluent en fonction de leur intérêt économique, social et culturel.

M. le rapporteur. Dans votre livre, vous racontez vous être déguisé en salafiste et que le port d’habits distinctifs vous a apporté le respect des musulmans. Quel mécanisme se trouve ici à l'œuvre ?

M. Samir Amghar. Lorsque l’on s’habille de façon islamique, on affiche publiquement la force de sa foi, ce qui sera considéré comme une vertu qui vaudra respectabilité dans certains quartiers et auprès de responsables religieux. Les processus de retour à l’islam ou de conversion se nourrissent souvent de l’envie d’apparaître comme une personne estimable.

On vit en Occident dans une société du spectacle où l’image s’avère fondamentale. La « théâtralisation de l’identité islamique » – pour reprendre l’expression de M. Raphaël Liogier – se matérialise par le port d’une barbe, d’une djellaba ou d’un voile et vise à adresser un message d’appartenance commune aux autres musulmans et d’affirmation identitaire au reste de la société.

M. le rapporteur. Quelle est la signification des chaussettes montantes ?

M. Samir Amghar. Certains musulmans, cherchant à se conformer à la lettre du Coran, portent un vêtement tombant au-dessous du genou, mais au-dessus de la cheville, car un habit trop long serait un signe d’arrogance.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. En 2011, vous concluiez votre ouvrage sur le salafisme en Europe par un pronostic sur le déclin de la logique sectaire propre au salafisme. Pensez-vous avoir eu raison ? Comment analysez-vous la multiplication du nombre de Français et d’Européens partant pour le djihad ?

M. Samir Amghar. Il y a un an, j’ai rencontré un djihadiste lyonnais qui, infirmier, travaille dans une maison de retraite. Il souhaitait émigrer dans un pays musulman – faire la hijra –, en l’occurrence au Qatar. Il comptait se marier, avoir des enfants et inscrire ceux-ci non pas dans une école qatarienne, mais au lycée français de Doha. Les salafistes peuvent se montrer critiques envers la France, mais ils ont du mal à se départir de la culture dans laquelle ils ont grandi.

M. le rapporteur. La tendance salafiste djihadiste est-elle organisée ? Des mosquées françaises défendent-elles le djihad ?

M. Samir Amghar. Non, il n’y en a plus depuis le 11 septembre 2001, car la pression sécuritaire des services de renseignement et des pouvoirs publics est forte ; par ailleurs, les responsables des mosquées veulent montrer qu’aucun discours favorable au djihad n’est prononcé dans les lieux de culte.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Au cours des auditions que nous avons menées, certaines personnes ont préconisé de détacher le bureau des cultes du ministère de l’intérieur. Qu’en pensez-vous ? Si vous étiez d’accord avec cette suggestion, à quelle structure souhaiteriez-vous le voir rattaché ?

M. Samir Amghar. Je n’ai pas réfléchi à cette question et n’ai donc pas d’avis à vous donner.

M. le rapporteur. Nous avons visité des prisons et avons discuté avec des aumôniers musulmans : le salafisme est-il présent dans les maisons d’arrêt ? Comment les salafistes perçoivent-ils la délinquance ? Condamnent-ils le trafic de drogue et les autres actes de banditisme qui conduisent en prison et donc, pour certaines personnes, à la radicalisation djihadiste ?

M. Samir Amghar. M. Moussa Khedimellah a étudié le mouvement Tabligh qui présente de nombreux points communs avec le salafisme. D’origine indo-pakistanaise et reposant sur la prédication, le Tabligh a connu son âge d’or dans les années quatre-vingt-dix et deux mille au cours desquelles une large partie de la jeunesse musulmane réislamisée s’est inscrite dans cette tendance. Il a constaté que les quartiers où l’implantation du Tabligh était forte connaissaient la paix et retrouvaient un équilibre. Les représentants de ce mouvement peuvent donc jouer un rôle pour détourner des individus de la délinquance, celle-ci n’étant pas conforme aux préceptes de l’islam.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Que pensez-vous de la campagne « Stop djihadisme » lancée par le Gouvernement ? Avez-vous des échos de la façon dont elle est perçue ?

M. Samir Amghar. Je vous invite à regarder une vidéo réalisée par une association musulmane belge, qui critique avec humour la communication du Gouvernement. Elle révèle l’opinion d’une partie des musulmans – du moins les plus militants et les plus conservateurs d’entre eux –, qui considèrent que la campagne amalgame les djihadistes et les musulmans orthodoxes. Ces personnes expliquent que le refus de serrer la main d’une femme n’est pas le signe d’une appartenance djihadiste et rejettent les discours des pouvoirs publics instaurant une forme de continuum entre les radicalisations religieuse et politique. Selon eux, les logiques s’avèrent distinctes : refuser les valeurs de la société française pour leur irrespect des prescriptions coraniques ne signifie pas que l’on enfreigne les lois de la République.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Quelles sont les causes de la conversion de personnes dont la famille ne provient pas de pays musulmans ?

M. Samir Amghar. Le salafisme, djihadiste ou quiétiste, représente le mouvement bénéficiant du plus grand nombre de conversions religieuses, et 20 à 30 % des salafistes sont des convertis. L’origine ethnique de ces derniers s’avère variée, puisque ce sont des Français de métropole, des Camerounais, des Congolais, des Zaïrois, des Réunionnais ou des Martiniquais. Ils se convertissent au salafisme car celui-ci défend une vision rigoriste de l’islam ; tout parcours de conversion marquant une rupture, les tendances les plus orthodoxes, voire les plus radicales, se révèlent les plus attirantes. En outre, comme ils ne proviennent pas de familles de culture musulmane, ces personnes développent un complexe d’islamité et souhaitent rattraper leur retard en embrassant une vision orthodoxe de la religion. Enfin, l’individu se convertissant ne connaît pas la variété de l’islam et ne se rend donc pas compte que telle expression de la religion musulmane est plus ou moins orthodoxe.

M. le rapporteur. Selon vous, les conversions à l’islam sont forcément tournées vers les tendances radicales de la religion musulmane ?

M. Samir Amghar. Je tentais d’expliquer les raisons de la conversion à l’islam salafiste ; des conversions à l’islam soufi existent, mais elles ne sont pas mues par les mêmes aspirations.

M. le rapporteur. Les gens s’engagent dans le djihad pour des motifs qui ne sont pas toujours religieux. Les filles, qui, parmi les mineurs, sont plus nombreuses que les garçons à vouloir partir en Syrie, seraient attirées par le romantisme du prince charmant combattant, et de nombreux jeunes souhaitent participer à la fondation d’une nouvelle société et d’un État. Peut-on évaluer l’influence du religieux et celle du politique dans leur démarche ?

M. Samir Amghar. Tout est mêlé, mais la dimension romantique du djihad existe bien. Dans le marché des utopies, il ne reste que le djihadisme ! Les individus qui partent en Syrie auraient été membres d’un groupe d’extrême-gauche dans les années soixante-dix et auraient rejoint les Brigades internationales dans les années trente.

M. le rapporteur. Pourquoi n’auraient-ils pas rejoint les rangs fascistes ?

M. Samir Amghar. J’ai rencontré des individus en partance pour l’Irak qui ont comparé les djihadistes européens aux volontaires des Brigades internationales qui ont lutté contre Franco.

M. le rapporteur. C’est de la propagande ! Il est prestigieux d’avoir été membre des Brigades internationales ! Je comprends le romantisme, mais l’horreur – des enfants sont tout de même assassinés ! – ne le détruit-il pas ?

M. Samir Amghar. Les personnes qui quittent les rangs de Daech se sont rendu compte que cette organisation s’était fourvoyée en ne respectant pas certaines valeurs. Les djihadistes qui s’engagent au nom de l’islam pensent qu’ils vont respecter l’éthique de la guerre. Rappelez-vous de l’interview d’un des frères Kouachi expliquant que, contrairement aux Occidentaux, les musulmans suivaient un code d’honneur et ne tuaient ni les femmes ni les enfants. Les processus de déradicalisation résultent souvent d’un dégoût ressenti devant le manque d’éthique religieuse des combattants du djihad.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, présidente. Nous vous remercions, monsieur Amghar, d’avoir répondu à nos questions.

La séance est levée à 19 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Patrick Mennucci

Excusés. - M. François Loncle, M. Patrice Verchère